Les avocats sont ils incompétents ?
Par Eolas le mardi 25 janvier 2005 à 14:39 :: La profession d'avocat :: Lien permanent
C'est la question qui ne peut manquer de venir à l'esprit à la lecture de l'enquête (malheureusement en accès payant) menée par UFC Que Choisir ? le 28 octobre 2003, annonçant des résultats apocalyptiques à l'examen que notre profession avait subi sans le savoir.
Je me suis procuré cette enquête que des lecteurs ont eu la gentillesse (peut être teintée d'une pointe de perfidie) de me signaler.
Et en effet, le tableau est terrible.
Sur 21 avocats consultés sur un problème supposément simple, 3 ont su apporter la bonne réponse, 10 ont été franchement médiocre et approximatifs, et les 8 derniers ont été franchement incompétents. 14% de bons, 48% de médiocres, 38% de nuls ? Suivent une série de témoignages édifiants sur des avocats peu scrupuleux voire franchement malhonnêtes.
L'article s'attaque aussi aux notaires, aux huissiers, et à la justice trop lente voire malhonnête (où l'on reparle de trop fameux tribunal de grande instance de Nice).
Bref, tout le monde se voit tailler un costard, sauf UFC-Que-Choisir ?, ça va de soi.
Avec retard, certes, la parole est à la défense.
A titre préliminaire, j'ai eu l'occasion d'être en contact avec UFC-Que-Choisir ? au cours de ma carrière de juriste. Le sérieux et la compétence de cette association dans la réalisation de ses enquêtes ne fait pour moi aucun doute. Donc si elle dit que seuls 3 avocats sur 21 ont pu donner la bonne réponse, je la crois sur parole.
Mais cette enquête fait preuve parfois de sensationnalisme et même d'une certaine malhonnêteté intellectuelle.
Sensationnalisme, car voici les sous titres séparant les diverses divisions de l'enquête. Je vous laisse apprécier.
Avocats : la loi de la jungle. (C'est le titre de l'enquête, qui correspond en fait à un constat : les honoraires des avocats sont fixés librement avec son client).
Avocats : le droit de travers (la suite n'a rien à voir, mais c'était l'occasion de glisser un jeu de mot).
Des honoraires flous (alors qu'en fait ils sont clairement chers)
Compétence fluctuante
Corporatisme (Ce cliché là, on ne peut pas y échapper, dans une partie qui parle de la mise en cause de la responsabilité de l'avocat, et de la remise en cause de ses honoraires)
A surveiller de près : compétence, honoraires, déroulement de l'affaire. (Ce qui insinue qu'il faut se méfier de son avocat et le surveiller).
Mais revenons en à cette enquête : Première objection : 21 avocats choisis au hasard dans la localité où vivent les testeurs d'UFC, est-ce une population suffisante pour en tirer des conclusions générales sur la compétence des avocats ? Toute personne ayant fait un peu de statistique répondra que non, 21 sur 37000 est totalement insuffisant. D'ailleurs, UFC se garde bien d'en tirer de telles conclusions. Mais elle n'attire pas du tout l'attention du lecteur sur le caractère éminemment aléatoire de ces résultats.
Deuxième objection : la nature de la question posée.
En voici la présentation : Fin février, nous avons acheté, sur Internet, un séjour touristique pour deux personnes d'un montant de 3 446 euros sans souscrire d'assurance annulation. Nous avons payé le voyage avec une carte bancaire n'incluant pas d'assurance. Nous avons envoyé à l'agence de voyages une lettre d'annulation trois jours après, mais celle-ci ne veut pas nous rembourser. Comment récupérer notre argent ?
La réponse est la suivante : le Code de la consommation prévoit que tout achat fait par correspondance (ce qui a priori semble pouvoir s'appliquer à un achat en ligne) peut faire l'objet d'une rétractation sous sept jours à compter de la réception du bien ou de l'acceptation de l'offre pour un service. Le professionnel est tenu de rembourser intégralement l'acheteur. MAIS parmi les nombreuses exceptions, que vous pourrez lire avec profit ici ou là, figure celle de l'article L.121-20-4, 2° : sont exclus la prestation de services d'hébergement, de transport, de restauration, de loisirs qui doivent être fournis à une date ou selon une périodicité déterminée.
Donc, l'agence peut refuser de rembourser l'intégralité. Toutefois, la plupart des agences permettent une annulation avec une indemnité variable selon le temps restant avant le voyage commandé.
La réponse de la consultation devrait être : à supposer que vous soyez dans le délai, vous ne pouvez pas vous rétracter au motif qu'il s'agirait d'une vente à distance, la loi vous l'interdit, mais vous pouvez annuler promptement pour récupérer une partie du prix. UFC ajoute une autre possibilité : trouver un tiers qui rachètera le voyage. Je conteste ce dernier point car ce n'est pas tant une solution juridique qu'une solution de fait, et trouver ledit tiers n'est pas aisé. Je ne pense pas que l'on puisse exiger d'un avocat qu'il recommande Ebay ou de passer une petite annonce, et nul n'a besoin d'un avocat pour avoir l'idée de revendre une chose dont il ne veut plus. Un avocat conseille, il ne se substitue pas à vos hémisphères cérébraux.
Je parlais de malhonnêteté intellectuelle tout à l'heure. La voici selon moi. La question posée, présentée comme banale par UFC, est en fait une question de droit de la consommation pour un montant modeste. C'est à dire la spécialité d'UFC-Que-Choisir ?. Et certainement pas le domaine d'action habituel des avocats. Soyons francs : les dossiers avec un enjeu de 3446 euros, on n'en voit très peu. Le Code de la consommation, on n'en fréquente que les titres consacrés aux crédits à la consommation et aux crédits immobiliers (livre III), pas le livre I sur l'information des consommateurs et la formation des contrats. La preuve en est que quatre des avocats sollicités ne réclameront aucun honoraire pour cette consultation, qu'ils considèrent plus comme un service rendu dans l'espoir que le client reviendra s'il a un plus gros dossier, et un seul avocat demandera plus de 100 euros (275 euros en l'occurrence).
La question posée est d'une facilité déconcertante pour UFC-Que-Choisir ? mais totalement inadaptée pour jauger un avocat. La plupart d'entre nous ne connaît pas la réponse de tête et ne peut donc la donner ex abrupto au cours d'un premier rendez-vous. Cela ne signe pas notre incompétence. Un kiné s'y connaît certainement plus en anatomie qu'un médecin. Faut-il en déduire que les kinés sont plus compétents que les médecins ?
En fait, la démonstration que fait UFC-Que-Choisir ? dans cette enquête est que pour les litiges de consommation courante, elle est plus compétente que les avocats. Ce n'est pas un scoop, même si ça fait toujours du bien de plaider pour sa chapelle tout en prétendant ne faire qu'informer. Si les associations de consommateurs existent et ont un tel succès, voire sont parfois victimes de leur succès, c'est qu'elles répondent parfaitement à une demande. Si notre profession existe aussi, c'est qu'elle répond à une autre demande.
Bref, le test aurait été plus intéressant et fiable en portant sur une une population beaucoup plus vaste (de l'ordre du millier au moins) choisie selon des critères représentant la répartition de la population des avocats (par âge, par ville, par mode d'exercice) et sur une question relevant du domaine d'intervention professionnel normal de ceux-ci (litige portant sur plusieurs dizaines de milliers d'euros).
Le constat général posé en exergue de l'article est donc franchement contestable.
Suit une série de récits de pratiques peu scrupuleuses voire carrément antidéontologiques (telle cette avocate qui aurait laissé ses clients-testeurs consulter un dossier analogue qu'elle était en train de traiter, en violation flagrante du secret professionnel, ou les avocats qui rechignent à faire une facture pour éviter de facturer la TVA, et de déclarer ces revenus par la même occasion), qui relèvent plus de cas isolés que d'un constat global de délabrement moral. Mais après une telle mise en cause de la compétence professionnelle, ça fait son effet.
Enfin, quelques paragraphes sont consacrés aux litiges sur les honoraires. Là encore, ce n'est que le client se plaignant "que l'avocat n'a rien fait" et a facturé démesurément qui est entendu. Les faits ne sont pas vérifiés, l'avocat concerné ne peut se défendre, ne serait-ce que parce que le secret professionnel le lui interdit (il existe une procédure spéciale à huis clos devant le Bâtonnier, l'appel étant quant à lui public).
La tentation du sensationnalisme a été un peu trop forte, en l'occurrence.
On peut supposer qu'une enquête sérieuse qui aboutirait probablement au constat que les avocats sont globalement compétents, honnêtes, et facturent de manière raisonnable serait effectivement peu vendeuse.
Commentaires
1. Le mardi 25 janvier 2005 à 16:16 par Veuve Tarquine
2. Le mardi 25 janvier 2005 à 16:58 par Resnumerica
3. Le mardi 25 janvier 2005 à 17:25 par Paul
4. Le mardi 25 janvier 2005 à 19:21 par Maxime R.
5. Le mardi 25 janvier 2005 à 22:48 par Trak
6. Le mercredi 26 janvier 2005 à 11:57 par forgeron
7. Le mercredi 26 janvier 2005 à 15:12 par forge
8. Le mercredi 26 janvier 2005 à 15:58 par Paul
9. Le mercredi 26 janvier 2005 à 17:08 par cossaw
10. Le jeudi 27 janvier 2005 à 09:46 par Guignolito
11. Le vendredi 28 janvier 2005 à 00:32 par socdem
12. Le mercredi 2 février 2005 à 14:03 par cedcox
13. Le mercredi 20 juillet 2005 à 01:48 par NONO
14. Le jeudi 8 septembre 2005 à 17:52 par manue
15. Le jeudi 29 septembre 2005 à 21:25 par Mel
16. Le dimanche 27 novembre 2005 à 22:38 par Chalou