Questions réponses sur le droit et les médias
Par Eolas le mardi 18 janvier 2005 à 19:12 :: General :: Lien permanent
Des élèves de Sciences Po m'ont fait l'honneur de solliciter un entretien par e mail pour un travail qu'ils préparent sur la justice et les médias, y inclus les blogs.
Leurs questions étant fort pertinentes, j'espère que mes réponses le sont un peu elles aussi et vous en fait donc profiter ci-après.
1. Vous tenez un blog et vous êtes avocat; pensez-vous que la justice est mieux médiatisée quand elle l'est "de l'intérieur"? Quel est selon vous le "plus" de votre blog, très actif, par rapport aux médias?
Je ne raisonnerai pas en terme qualitatif de "mieux" ou de "plus" par rapport aux médias. Ce n'est pas mon but. Ma démarche est pédagogique, et pas journalistique. Je ne m'intéresse pas particulièrement aux affaires médiatiques qui font le bonheur des gazettes.
Maintenant, puisque vous souhaitez faire une comparaison, oui, sans aucun doute, la justice est mieux médiatisée de l'intérieur, dans le sens de : vue par un professionnel.
La justice est une machine complexe, et j'ai pu constater depuis longtemps une certaine incompétence en matière juridique de la part des journalistes qui s'intéressent aux affaires judiciaires. Imaginerait-on de confier le suivi du championnat de Ligue 1 à un journaliste qui ne connaitraît pas les règles du football ? Pourtant, s'agissant de dossiers aussi complexes que l'arrêt Perruche, ou au pénal l'affaire Juppé, on laisse le sujet être traité par des journalistes qui ne connaissent pas le code pénal ni le code de procédure pénale. Les infractions d'abus de confiance ou d'abus de biens sociaux sont complexes, et donnent lieu à une jurisprudence nombreuse et parfois fluctuante. Il s'agit là d'une des premières préoccupations des juges, et les journalistes passent totalement à côté de cet aspect. Et avec eux le public, qui en est réduit à se contenter des tartes à la crème des journalistes : "le premier jour a été occupé par des questions de procédure" ; "un débat complexe s'est engagé entre la défense et le parquet...", "le jugement a statué par des attendus difficilement compréhensibles", etc.
Mon objectif est d'expliquer ces subtilités, de raconter comment se passe la justice au quotidien, dans l'envers du décor où la publicité n'existe pas, où les journalistes ne viennent pas sans autorisation, ou tout simplement parce que cet aspect au quotidien n'intéresse pas les médias traditionnels.
Mon "plus" est simple : mes lecteurs comprendront les données juridiques, et auront les moyens de se faire leur propre opinion, plutôt que de se contenter de celle d'un journaliste qui n'a pas forcément les compétences nécessaires.
2. Les avocats ont récemment entrepris une campagne de communication autour de leur métier. Pensez-vous que votre profession rencontre un problème d'image et en quoi? Pensez-vous que les médias donnent une vision déformée de l'institution judiciaire?
Cette campagne vise à encourager les professionnels et les particuliers à nous solliciter dès avant le stade du contentieux. L'image de l'avocat est associée au procès, où nous avons un monopole de représentation en justice. Mais le travail de conseil de l'avocat est de l'essence de son métier, et ce marché est grignoté par des professions concurrentes qui n'ont pas nécessairement notre compétence.
C'est cet aspect que cette campagne a voulu mettre en valeur, d'autant plus qu'aucune communication institutionnelle n'a été faite depuis longtemps.
L'image des avocats est plutôt bonne. Un sondage effectué par l'ordre montrait un très grand taux de satisfaction de ceux ayant eu affaire à un avocat.
Les problèmes sont connus : le prix de nos prestations (beaucoup moins élevé en réalité que ce que pensent les justiciables), l'incertitude du montant de nos honoraires lié à l'aléa judiciaire, le sentiment que les dossiers avancent lentement parce que "l'avocat ne fait rien", la difficulté de trouver un avocat spécialiste du problème que l'on a. Mais ce ne sont pas des spots télévisés qui résoudront ce problème : c'est à chaque avocat d'oeuvrer pour une plus grande transparence de son travail et de ses honoraires. Ce n'est pas facile, le temps est une denrée rare pour nous, et cet aspect est très chronophage. Mais c'est une obligation professionnelle.
3. Pensez-vous que tous les procès devraient être filmés, et pourquoi?
Non, ni tous ni quelques uns, à de rares exceptions près (les procès ayant un intérêt historique). Un prétoire n'est pas un plateau télé. Les magistrats et les avocats ne sont pas formés pour bien passer à l'écran, leur rhétorique n'est pas la même. Le public peut accéder librement dans les salles d'audience, mais à charge pour lui d'avoir une attitude correcte, silencieuse et ne troublant pas le déroulement de l'audience. On ne regarde pas une audience, même diffusée intégralement et sans montage, de la même façon dans son salon.
De plus, qui dit télévision dit montage. Une audience dure au moins 30 minutes, plusieurs heures pour des affaires complexes. Un reportage au JT dure 2 minutes, dont le temps nécessaire au reporter pour montrer son visage. Seules quelques phrases seront citées, hors de leur contexte. On le voit bien dans les interviews que nous accordons. L'entretien dure 20 minutes, seules 10 secondes sont diffusées, une phrase choc et complète (sujet, verbe, complément). Le débat juridique n'a pas sa place dans ce contexte.
Le prévenu n'a pas non plus à se transformer en vedette de télé réalité.
La présence d'une caméra et d'un micro perturbe l'audience, chaque intervenant pensant plus à l'image de soi qu'il va donner de lui plutôt qu'au seul dossier. L'avocat pénaliste oscille souvent entre deux impératifs parfois divergeants : plaider pour le juge (une plaidoirie efficace et courte, mais incompréhensible pour le client et parfois acceptant le principe de l'emprisonnement pour mieux en atténuer la rigueur) ou pour le client (une longue diatribe sur l'acharnement de la justice, l'inutilité de la prison, et le manque de chance de son client, qui est inefficace mais donne au client l'impression d'être défendu). Il s'ajouterait une troisième tentation : plaider pour la caméra.
Bien sur, filmer un procès aurait des avantages. Cela rendrait la justice plus accessible et surtout mettrait fin à des directions d'audiences haïssables de la part de présidents qui se lâchent complètement et font des remarques inadmissibles ou de nature à mettre en cause leur impartialité, puisque l'on pourrait montrer aux juges d'appel le genre de tribunal qui a prononcé la peine que l'on attaque, alors qu'aucun greffier n'oserait porter ces propos aux notes d'audience.
Mais cet avantage ne tempère pas à mes yeux les défauts rédhibitoires que je citais plus haut.
4. Les médias doivent-ils parfois aller à l'encontre du secret de l'instruction?
Les journalistes ne sont pas tenus par le secret de l'instruction. Il ne vise que les personnes qui concourent à cette instruction : concrètement, le juge d'instruction, son greffier, les policiers et gendarmes, les experts. Pas les avocats (ils sont tenus au secret professionnel, mais que dans l'intérêt de leur client), ni les mis en examen, ni les journalistes. Il n'y a aucune faute de leur part à publier des informations sur des instructions en cours. Là où ils prennent des risques, c'est en publiant des pièces du dossier qui leur sont remis par des personnes liées par le secret de l'instruction : ils commettent un délit de recel.
Le principe du secret de l'instruction est d'ailleurs très contesté chez les avocats. Les mises en examen sont annoncées, ce qui jette un soupçon sur la personne concernée, mais comme les éléments du dossier restent secrets, il ne reste que les rumeurs, les indiscrétions téléguidées, etc.
Le secret devrait être l'exception, quand la réussite de l'enquête l'impose (démantèlement d'un réseau, crime en préparation), au lieu de perdurer même une fois que tous les responsables sont interpellés .
Commentaires
1. Le mardi 18 janvier 2005 à 20:05 par CoinKoin
2. Le mercredi 19 janvier 2005 à 09:49 par Veuve Tarquine
3. Le mercredi 19 janvier 2005 à 10:11 par Hal
4. Le mercredi 19 janvier 2005 à 12:00 par Resnumerica
5. Le mercredi 19 janvier 2005 à 20:55 par Mathieu
6. Le mercredi 19 janvier 2005 à 21:31 par guerby
7. Le samedi 22 janvier 2005 à 13:40 par cobab
8. Le samedi 5 février 2005 à 09:39 par cedcox