L'autre 10e chambre
Par Eolas le vendredi 3 décembre 2004 à 12:57 :: Dans le prétoire :: Lien permanent
J'ai déjà parlé ici du documentaire de Raymond Depardon, la 10e chambre.
Mais il y en a une autre.
La 10e chambre de la cour d'appel traite les appels correctionnels en matière de délinquance organisée. En fait, beaucoup de dossiers qui lui sont soumis relèvent de la déliquance ordinaire : violences volontaires, vols, agressions sexuelles. Il y a une masse de dossiers à traiter, et la 10e est mise à contribution. Ce sont les dossiers les plus graves qui sont pour elle.
Cela fait deux ans maintenant, peut être plus, qu'un double box a été installé, clos par des parois de verre épais. Seul un insterstice de 20cm subsiste entre la partie basse du box, en bois, et la paroi de verre.
L'avocat ou l'interprète souhaitant parler avec son client durant l'audience doit donc se prosterner devant lui pour lui glisser quelques mots par cet interstice. Sachant que devant ces box ont été installés des tables et des chaises fixées au sol, pour les avocats. Cela fait longtemps que les avocats demandent la suppression de cette vitre ou au moins qu'elle soit coupée pour faciliter la communication avec les avocats. En vain jusqu'à présent.
J'ai ressenti un intense sentiment de tristesse il y a quelques jours, en contemplant ce lamentable spectacle. Trois détenus nigérians sont amenés, pour un délibéré. Ils sont poursuivis pour association de malfaiteurs et proxénétisme aggravé. Une interprète en anglais, âgée de la cinquantaine, assure la traduction. Elle cavale de travée en travées, évitant les sacoches et mallettes des autres avocats (Mais qui donc a laissé trainer un casque de vélo sur une chaise ?) se plie à quatre vingt dix degrée pour murmurer dans l'interstice les éléments débités par le président.
Les prévenus sont relaxés du délit d'association de malfaiteur. Ils sont déclarés coupables de proxénétisme aggravé. En répression, ils sont tous condamnés à 5 ans de prison ferme et une interdiction définitive du territoire français, ce qu'avait prononcé le tribunal.
Le premier pose une question : pourquoi, alors qu'une des charges est abandonnée, sont-ils condamnés à la même peine ?
La réponse est laconique : pour proxénétisme aggravé, la peine encourue est de 10 ans, la cour peut donc condamner à 5 ans pour ce seul délit. Le prévenu n'a pas l'air convaincu par le raisonnement.
Une autre question s'élève : l'un des prévenus a un enfant en France, comment pourra-t-il le voir s'il est interdit à vie du territoire.
Réponse de la cour : les conseillers haussent les épaules et écartent les bars dans un geste d'impuissance. C'est comme ça, voilà tout.
Les avocats des prévenus ne sont pas là. Aucun parmi ceux de la dizaine de prévenus n'a fait le déplacement. Ca sent l'aide juridictionnelle. C'est donc l'interprète qui va se casser le dos de travée en travée pour expliquer aux prévenus pliés en deux le sens de la peine et répondre comme elle peut aux questions, sa réponse la plus fréquente étant "I don't know, I'm not lawyer" ou "Ask your lawyer". Le président s'énerve, il a plein de dossiers en attente, il ordonne à l'escorte d'emporter les prévenus, en s'exclamant que l'interprète n'a pas à répondre aux questions mais seulement traduire les propos de la Cour.
Au revoir, Messieurs. Allez raconter là bas comment est la justice d'un grand pays occidental civilisé.
Commentaires
1. Le vendredi 3 décembre 2004 à 13:51 par lmpo
2. Le vendredi 3 décembre 2004 à 14:06 par Emmanuel
3. Le vendredi 3 décembre 2004 à 14:40 par lmpo
4. Le vendredi 3 décembre 2004 à 18:44 par Paxatagore
5. Le lundi 3 janvier 2005 à 20:26 par Louis
6. Le lundi 3 janvier 2005 à 20:27 par re louis
7. Le lundi 12 septembre 2005 à 18:21 par David