Terminons le débat
Par Eolas le mardi 30 novembre 2004 à 21:15 :: La profession d'avocat :: Lien permanent
Abordons à présent la deuxième partie, le sujet le plus délicat.
La profession est-elle remplie d'incompétents et de malhonnêtes qui facturent prou et font peu ?
J’entends souvent ce type de reproches, qui ne me sont pas adressés naturellement (air faussement modeste), mais sont soit dans la bouche de clients qui me confient un dossier en en déchargeant un confrère, soit de gens rencontrés dans les dîners qui, apprenant que je suis de robe, en profitent pour vider leur sac sur ma profession, sachant que je ne facture pas à l’heure d’écoute.
Je sais que je vais être accusé de corporatisme en défendant la profession, mais mes lecteurs me feront crédit d'un minimum d'honnêteté.
Ces reproches ne sont pas fondés, pour la plupart des cas. Par contre, là où les avocats ont des progrès à faire, c’est en apprenant à montrer au client qu’on fait quelque chose. Le tenir informé, l’impliquer dans le dossier. Mon Maître me disait toujours « ce n’est jamais le client qui doit appeler ». Ce n’est pas facile. Mais ce défaut de communication (je ne prétends pas avoir des leçons à donner en la matière, d’ailleurs) est à la source de beaucoup de malentendus, qui s’expriment dans le contentieux des honoraires, j’y reviendrai.
A charge, j'ai les impressions cinglantes d'un futur avocat, Béotien, témoin redoutable car lui même futur membre de cette profession, et à titre d’expertise une enquête d'UFC Que Choisir dont les résultats, que je me suis procuré, sont pour le moins préoccupants. J'y reviendrai aussi, mais dans une prochaine note.
La parole est à la défense.
Les avocats forment une profession qui n'est pas plus que les autres à l'abri des idiots, des incompétents et des malhonnêtes. Certes, il y a un concours d'accès pour y arriver. Un examen en fait, mais avec un numerus clausus. Mais cet examen vise à évaluer les connaissances universitaires et le répondant de l'avocat. S'agissant de son honnêteté, aucune méthode préventive ne s'est avérée efficace. Il demeure que, comme partout dans la société, les gens raisonnables, compétents et honnêtes abondent.
Et c’est une profession responsable.
L’avocat peut être remis en cause professionnellement, et ce de trois façons. On peut contester les honoraires qu’il réclame, on peut mettre en cause sa conduite professionnelle, et on peut demander réparation des dommages qu’il a causé par sa faute. Le problème est que souvent, les clients mécontents confondent les différents recours.
Si un avocat vous présente une note qui vous paraît démesurée par rapport aux diligences effectuées, vous contestez ses honoraires.
Si un avocat a mal fait son travail au point de compromettre le dossier et que vous refusez de payer un travail mal fait, vous mettez en cause sa responsabilité civile professionnelle.
Si un avocat a été malhonnête en se prétendant spécialiste d’une question qu’il ignorait, a encaissé des fonds qui lui ont été confiés pour payer des tiers ou l’adversaire, a trahi se secret professionnel, a un comportement indigne de la profession, vous estimez qu’il mérite des sanctions disciplinaires.
C’est cumulatif. Un avocat qui n’a strictement rien fait dans un dossier, a laissé s’écouler les délais pour agir et refuse de vous rendre les fonds que vous lui avez remis pour qu’il paye des sommes que vous deviez acquitter au titre d’une transaction, et vous réclame pour ça 100.000 euros, vous avez à faire aux trois contentieux.
La question la plus délicate est celle des honoraires. En effet, si l’avocat doit dans la mesure du possible rendre ses honoraires prévisibles, il est impossible de demander un devis, comme je l’ai lu dans l’enquête d’UFC Que choisir. Parce que l’avocat n’a au début d’un dossier pas la moindre idée du temps qu’il va devoir y consacrer et de la complexité de ce qu’on va lui opposer en face. Bien sûr, à la longue, on connaît le montant que génère un « dossier type ». Mais s’engager sur cette base forfaitaire est de la folie. L’imprévu est toujours possible, et j’ai vu des dossiers prendre une démesure imprévisible.
Exemple : un client vous appelle pour une comparution immédiate pour une agression sexuelle accompagnée de violences. Une comparution immédiate, c’est une demi journée de travail intensif. Facile de déterminer le montant des honoraires ?
Oui mais voilà.
Le président, à la lecture du dossier, n’est pas d’accord avec son traitement par le parquet. Il estime qu’il y a eu pénétration sexuelle et découvre que la violence en question, c’est la menace d’un couteau. Il estime qu’il y a eu viol aggravé par usage d’une arme, et renvoie le dossier à l’instruction. Votre client est immédiatement déféré au juge de permanence qui le met en examen puis devant le juge des libertés et de la détention pour placement en détention. On en est déjà à la journée complète et à trois audiences. Votre client est placé en détention provisoire. Il faudra désormais aller le voir en maison d’arrêt. C’est une instruction criminelle qui démarre, qui s’étale sur un an au moins, avec à la clef interrogatoires (au moins deux) et confrontation avec la victime (au moins une), une flopée d’expertises médicopsychologiques, psychiatriques, ADN, enquêtes de personnalité, et des demandes de mise en liberté à aller défendre devant la chambre de l’instruction, des débats tous les quatre mois devant le juge des libertés et de la détention pour la prolongation de la détention provisoire. Et à la fin, un renvoi devant la Cour d'assises, deux jours d’audience minimum.
C’est un exemple tiré d’un cas tout à fait réel et qui n’a rien d’exceptionnel. La même chose peut se voir dans les autres disciplines que le pénal. Tous les avocats vivent des cauchemars procéduraux de ce type, et on les redoute autant que les clients. Tant qu’un jugement n’est pas définitif (plus de recours possible), on ne peut pas savoir ce qui va se passer.
Tout ce qu’on peut communiquer au client, c’est le mode de calcul des honoraires (taux horaire), et une durée estimative purement indicative. Et ce avec mille précautions verbales. Ce n’est pas satisfaisant pour le client qui veut savoir où il va ? Oui. Mais c’est la réalité judiciaire. Et elle est têtue. Elle fera toujours que l’avocat ne sera jamais un professionnel comme les autres, et que son client ne sera jamais un consommateur.
Et voilà pourquoi il existe toujours un flou et qu’un avocat sera toujours évasif sur le montant des honoraires. C’est la seule, la vraie raison. Un dommage collatéral de l’aléa judiciaire.
Béotien peste contre les gens malhonnêtes qui continuent d'exercer. Il y a énormément d'avocats incompétents, et en plus, ils sont affreusement chers.
Je ne suis pas d’accord sur l’adverbe « énormément ». Il y en a, mais ils sont très rares. Plus fréquent est le cas de l’avocat qui accepte un dossier hors de son domaine de compétence. Un excellent avocat en matière de brevets sera un piètre défenseur au pénal. Un ténor des assises sera médiocre devant le juge des baux commerciaux. Ils ne méritent pas l’opprobre de la radiation pour autant.
Quelle parade à ce risque ? Préventivement, se renseigner sur le domaine d’activité de l’avocat. Le barreau de Paris, et celui de Lyon, propose des recherches par mots clefs ou activités dominantes, la plupart propose la mention des spécialités, qui sont très fiables car contrôlées, mais les honoraires s’en ressentent. Poser la question à l’avocat, si c’est un domaine qu’il a déjà pratiqué, ou sinon lui demander de recommander un confrère pour qui c’est le cas. A posteriori, sachez que les dégâts causés par un avocats sont assurés par son ordre. A Paris, le montant assuré de base est de 3.811.225 €. La solvabilité est donc certaine. Mais il y faudra un procès pour fixer le montant dû.
« Encore un avocat ? Bah, les requins ne se dévorent pas entre eux » diront les irréductibles mauvais coucheurs.
Erreur. Ca ne posera aucun problème à un avocat de poursuivre un confrère. Je l’ai fait, au civil comme en contestation d’honoraires. Ce serait la meilleure. On défend des assassins, des violeurs, des pédophiles, des terroristes, et on ne toucherait pas à un confrère qui a fait sauter un délai ? Surtout que c’est l’assurance de l’ordre qui paye, on ne met pas le confrère à la rue.
La majorité des avocats, en tout cas la quasi totalité de ceux que j’ai rencontré et fréquenté dans mon exercice professionnel, seraient d’accord avec l’engagement professionnel de Béotien.
Commentaires
1. Le mercredi 1 décembre 2004 à 12:55 par samantdi
2. Le mercredi 1 décembre 2004 à 13:42 par Veuve Tarquine
3. Le mercredi 1 décembre 2004 à 15:26 par Avocat Blog
4. Le jeudi 2 décembre 2004 à 00:07 par guerby
5. Le jeudi 2 décembre 2004 à 09:39 par Hugues
6. Le jeudi 2 décembre 2004 à 10:04 par jpgaulier
7. Le lundi 6 décembre 2004 à 12:07 par Raboliot
8. Le lundi 6 décembre 2004 à 12:59 par Eolas
9. Le lundi 6 décembre 2004 à 14:57 par Raboliot
10. Le lundi 6 décembre 2004 à 16:51 par Eolas
11. Le dimanche 12 décembre 2004 à 18:44 par bistouri
12. Le vendredi 14 janvier 2005 à 10:44 par Paul
13. Le mardi 5 avril 2005 à 00:51 par zorro