Engageons le débat
Par Eolas le mercredi 24 novembre 2004 à 12:17 :: La profession d'avocat :: Lien permanent
Je souhaite réagir à deux commentaires récents sur mon site, en fait plus particulièrement sur le second, le plus long, mais celui-ci a été provoqué par le premier.
Que voici:
Point de vue d'un juge d'instruction : la nullité crasse de bon nombre d'avocats en procédure pénale est un problème important dans notre pays. Notre procédure repose tout de même en partie sur la participation active des avocats à la procédure. Du coup, on a souvent le choix entre des très hargneux ou des très incompétents.
Paxatagore
Le deuxième commentaire émane d'un élève avocat qui finit son année de formation à l'Ecole de Formation du Barreau (EFB), par où passent les futurs avocats issus des facultés du ressort de la cour d'appel de Paris. Il est assez cinglant et critique avec la profession, et c'est sur ce point que je voudrais réagir.
Je partage totalement le point de vue du juge d'instruction provincial.
En tant que publiciste, je remarque la même chose dans ce domaine, notamment en droit des étrangers. Pour une raison qui m'échappe, beaucoup considèrent que le droit des étrangers est une branche du droit pénal.
En tout cas, à l'Ecole du barreau, la "formation" en droit des étrangers, dispensée par un membre de la commission 'droit des étrangers' de l'Ordre des avocats, était incluse dans la semaine de droit pénal. L'avocate formatrice, censée être au moins superficiellement spécialiste en ce domaine, nous a gentiment distribué un modèle de requête en annulation d'un arrêté de reconduite à la frontière.
Il s'agissait en réalité d'une sorte de formulaire, avec pointillés pour le nom de l'étranger et deux lignes : "légalité externe: incompétence de l'auteur de l'acte, vice de forme" et "légalité interne: erreur manifeste d'appréciation". Et "démerde toi le magistrat, tu n'as que cela à faire, moi j'ai des trucs plus importants en cours" écrit en encre subliminale.
Elle nous a expliqué que ce qui était génial, avec le droit administratif et l'arrêt Intercopie, c'est qu'il suffisait d'invoquer un moyen de légalité externe (de forme), et un moyen de légalité interne (de fond), et hop!, le boulot était fait. Le juge s'occupait du reste.
Il est vrai que le délai de recours est très court: si l'étranger est en rétention administrative, il est de 48 heures à compter de la notification de l'arrêté.
Mais il n'en reste pas moins que en appel, il arrive régulièrement (d'après ce que je me suis laissé dire par un magistrat d'une cour administrative d'appel) que ce même type de formulaire soit simplement repris, avec "A Mmes Mrs les conseiller du TA" biffé, et à la main rajouté un "de la cour administrative d'appel". Ce même magistrat expliquant que la tentation était grande, dans ce cas, d'envoyer copie du recours au bâtonnier pour éloigner ce genre d'avocats du barreau.
Quand on commence à entrer dans cette profession, il y a toute la famille, les proches, les amis, les connaissances, qui viennent soumettre leurs petits problèmes juridiques, leurs litiges, etc. pour avoir un avis. Des fois, un avocat est passé par là, ou est en charge de l'affaire, ce qui permet de se faire une idée du travail de certains membres de la corporation.
Jusqu'à présent, je suis arrivé à une certitude: la déontologie devrait faire l'objet d'une formation continue, et le barreau devrait sérieusement nettoyer ses écuries. C'est cool les campagnes de pub, mais cela ne sert à rien si des gens malhonnêtes continuent d'exercer. Il y a énormément d'avocats incompétents, et en plus, ils sont affreusement chers. L'avocat nullissime et jem'enfoutiste coûte en effet le même prix que l'avocat consciencieux.
Un avocat est l'incarnation juridique, la parole, la voix du client, et souvent dans des affaires qui représentent un enjeux important pour lui : le moins qu'on puisse attendre, c'est que l'avocat se donne la peine d'être à la hauteur de cette confiance qu'on place en lui.
Béotien.
Ces derniers propos me paraissent excessifs sur bien des points et je me sens obligé d'y réagir par respect du contradictoire.
Béotien part du particulier (la formation dispensée en droit des étrangers) pour en arriver au général : il existe "énormément" d'avocats malhonnêtes, dangereusement incompétents, affreusement chers, qu'il faudrait radier d'urgence avant de faire de la pub institutionnelle.
Eclairons aujourd'hui le premier point.
La formation des avocats se fait après examen sur un an de formation au sein d'un Centre Régional de Formation des Avocats (CRFPA), le CRFPA de Paris se faisant appeler l'EFB car à Paris on ne fait jamais rien comme les autres. L'EFB a également l'ambition de devenir une "Grande Ecole", mais on n'y est pas encore. Le CRFPA est géré directement par les avocats, des universitaires et des magistrats intervenant dans l'enseignement.
Cette formation, qui passera bientôt à 18 mois, se fait en deux temps. Une partie théorique, composée d'ateliers sur un thème précis étalé sur une ou deux semaines, et un stage en cabinet de 20 semaines, ou l'élève avocat peut accompagner partout son maitre de stage et peut même (à mon sens doit) prendre la parole en audience. Il y a des ateliers juridiques et d'autres non (comme celui de formation à l'expression orale, celui de langue étrangère).
La partie théorique est très critiquée par les élèves, mais parfois pour des motifs différents.
Pour ma part, ce que je reprochais à ce système est de ne pas faire de distinction de niveau. On nous répète à l'entrée que les connaissances universitaires sont réputées acquises, car c'est ce que l'examen d'accès à la profession vise à vérifier.
Fort bien.
Mais notre formation universitaire n'est pas uniforme, surtout pour ceux, nombreux, qui ont fait un troisième cycle, nécessairement très spécialisé.
En ce qui me concerne, par exemple, les ateliers de droit des sociétés et de droit des affaires a été pour moi une réécriture de 20.000 lieues sous les mers. On nous a donné un cas pratique de fusion acquisition d'une SARL par une SA que quelques futurs confrères ont réglé en 20 minutes montre en main, et en une heure ont proposé des montages complexes mais fiscalement avantageux qui ont appelé les louanges de l'intervenant. Je n'y ai rien compris.
Par contre, l'atelier de droit pénal a été pour moi une ballade de santé, à la limite de l'ennui parfois. Je me souviens avoir engagé une passionnante discussion avec un procureur sur le sens et la portée de la présomption d'innocence (qui est en vérité uniquement une règle de preuve, et non un principe fondamental qui interdit à quiconque d'exprimer quelque soupçon que ce soit). Il était ravi de voir un avocat avoir compris ce point source de beaucoup de malentendus et de plaidoiries grandiloquentes mais creuses. Mais au bout de dix minutes, les soupirs et protestations des autres élèves, complètement largués, m'ont contraint à abréger cete discussion.
D'autres ateliers sont en revanche très bien : notamment le foisonnement où on doit gérer simultanément plusieurs dossiers (tirés de cas réels) dans des matières diverses relevant de tribuanux différents (e tdonc de procédures différentes), certains en demande, d'autres en défense. On doit assigner, conclure en réponse, communiquer ses pièces à l'adversaire et on finit par plaider le dossier devant un jury simulant le tribunal. Parfois, des magistrats viennent participer au jury, et les plaidoiries ont lieu dans une salle du tribunal (pour les élèves formés dans les centres détachés à Créteil ou Bobigny).
L'EFB s'est fixée un objectif absurde : faire des élèves des spécialistes en tout, en ne faisant que des ateliers de haut niveau. Ca ne marche pas, car on ne fait pas d'un béotien en la matière un spécialiste en une semaine de formation pratique.
C'est à l'avocat de refuser les dossiers dans lesquels il est incompétent, en sachant que sa première expérience en cabinet en tant que collaborateur d'un autre avocat (phase obligatoire en début d'exercice) le contraindra parfois à se spécialiser dans une matière nouvelle pour lui, mais où il excellera rapidement par la force des choses et avec l'aide d'un patron un tant soit peu pédagogue.
C'est en effet le stage en Cabinet qui constitue la vraie formation de l'élève avocat. Souvent d'ailleurs, l'élève avocat y devient collaborateur à l'issue de sa formation.
L'avocat a une obligation de formation continue, et l'Ordre organise des formations dans toutes les matières, qui sont à mon avis bien meilleures que les ateliers de l'EFB, surtout parce que le public est composé d'avocats ayant une expérience professionnelle. Quand je pense que certains de mes camarades à l'EFB n'avaient encore jamais mis les pieds dans une salle d'audience...
Venons en à son reproche précis : celui d'une formation bâclée en droit des étrangers, incluse dans le droit pénal.
Je n'ai pas connu ça. De mon temps (à prononcer avec un dentier décollé), il n'y avait pas de formation en droit des étrangers hormis des conférences facultatives le samedi matin, de très bonne qualité, mais que la fatigue d'un élève avocat rend impossible à suivre.
Je connais les deux matières que je pratique régulièrement. Je ferai des notes sur le droit des étrangers car c'est une belle matière d'avocat, un domaine où le mot défense a encore un véritable sens, même s'il faut aimer perdre, être mal payé, et garder intact sa capacité à s'indigner.
Elles sont liées, c'est sûr. Le séjour irrégulier est un délit, mais son élément matériel dépend exclusivement du pur droit administratif. C'est à dire que les juges judiciaires ont rarement à en connaître et sont eux même ignorants en la matière.
J'ai déjà raconté ici avoir entendu un avocat général me sortir aux assises que ma cliente, seconde épouse d'un malien, avait droit à une carte de séjour car étant mère d'un enfant né en France, pour en déduire qu'elle vivait volontairement dans la marginalité. J'ai explosé de colère dans ma plaidoirie : primo, une femme vivant en état de polygamie n'a pas le droit à quelque titre de séjour que ce soit fût-elle mère du président de la République ; secundo, un enfant né en France n'est pas Français avant ses 16 ans s'il est encore en France et n'a qu'un seul droit : celui d'accompagner sa mère si elle est expulsée.
La formation dont fait état Béotien est indigente. Mais il demeure qu'elle a un mérite, c'est d'exister. Un étranger est incapable de faire lui même un recours dans les formes légales, surtout quand les délais sont parfois aussi court que 48 heures (vous imaginez quand l'arrêté de reconduite à la frontière est notifié le vendredi après midi ?) Un tel recours doit parfois être rédigé à la va-vite pour que le tribunal soit saisi dans les délais. Si le législateur nous impose des délais aussi courts, que ses juges ne viennent pas pleurnicher quand ils reçoivent des formulaires à titre de requête introductive d'instance. Le tribunal administratif de Paris met 3 à 4 ans pour rendre un jugement, devoir formaliser une procédure en 48 heures est un exploit qui doit heurter l'imagination des juges administratifs. Pour ma part, je n'en suis pas là, mais c'est tout comme : j'ai des recours tout prêts sous Word et je les complète le moment venu ; il m'est arrivé de devoir en rédiger à la main au centre de rétention. Il faut connaître cette réalité là avant de condamner les avocats qui ne font pas de beaux recours sur papier vergé 160 g/m².
Soulever une nullité de forme et ne nullité de fond permet d'en soulever d'autres par la suite (arrêt Intercopie). Ca ne dispense pas l'avocat de les rechercher, mais le juge doit aussi vérifier s'il n'y a pas des moyens d'ordre public à soulever d'office. Or en matière de liberté de circulation, tout ou presque est d'ordre public. Le principal est que le juge soit saisi. Voilà ce que l'intervenant devait vous dire dans le peu de temps qui lui était accordé. Si vous l'avez compris comme "remplissez un formulaire et après vous vous en foutez", c'est qu'il se sera mal exprimée ou aura été maal compris.
Demain, j'aborderai la question des avocats malhonnêtes, dangereusement incompétents, affreusement chers, qu'il faudrait radier d'urgence.
Commentaires
1. Le mercredi 24 novembre 2004 à 20:53 par Paxatagore
2. Le vendredi 3 décembre 2004 à 15:24 par lmpo
3. Le vendredi 3 décembre 2004 à 16:05 par lmpo
4. Le vendredi 3 décembre 2004 à 22:01 par Eolas
5. Le samedi 11 décembre 2004 à 17:43 par emiboot
6. Le mercredi 6 juillet 2005 à 07:22 par Myriam