Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Le piratage privé est il légal en France ?

C’est cette question que soulève le jugement rendu le 13 octobre 2004 par le tribunal correctionnel de Rodez (Aveyron), disponible sur Juriscom.net (lien).

Les faits, tels qu’ils résultent du jugement, seul document dont je dispose, étaient les suivants :

Le 8 février 2003, à l’occasion d’une perquisition au domicile d’Aurélien D., la police découvre 488 CD-ROM contenant autant de films et dessins animés. Interpellé à ce sujet, il déclare qu’il s’agit de films téléchargés sur internet ou des copies de CD-ROM d’amis.

Entendu par la police il déclare avoir déjà prêté certains CD-ROM, mais n’en avoir jamais vendu ni échangé ; qu’il les utilisait seulement à titre personnel pour regarder ces films seuls ou avec des amis.

Il précise savoir qu’il était interdit « de graver des films sur internet » (sic) et qu’il avait gravé ces CD-ROM uniquement pour voir ces films à plusieurs reprises et en faire profiter ses amis qui venaient occasionnellement chez lui.

Le ministère public engage alors des poursuites pour contrefaçon.

Ce délit est prévu par l’article L.335-2 du code de la propriété intellectuelle (lien) comme étant « toute édition d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs ». Le terme d’édition regroupe les deux droits patrimoniaux de l’auteur : la représentation et la reproduction de l’œuvre. S’agissant d’un film, la représentation consiste à regarder le film ; la reproduction à le fixer durablement sur un disque dur ou sur un support inaltérable comme un CD-ROM.

Conformément à leur politique de dissuasion, les grandes sociétés de production cinématographiques se constituent partie civile. La liste est impressionnante : la Fédération nationale des distributeurs de film, le Syndicat de l’Edition Vidéo, la 20th Century Fox, Buena Vista, Gaumont, Columbia, Tristar, Paramount, Universal Pictures, Warner Bros, Disney, Dreamworks, et la Metro Goldwyn Mayer.

Peine perdue : le tribunal va relaxer Aurélien D. et débouter les parties civiles.

Son raisonnement se divise en deux parties, et si la première doit être approuvée, la deuxième a de quoi laisser le lecteur dubitatif.



Tout d’abord, le tribunal écarte la thèse, soulevée semble-t-il par les parties civiles, que le prévenu se livrait à un véritable trafic, échangeant et vendant ses copies via des annonces internet.

Pour le tribunal, le fait que les films découverts soient tous en exemplaire unique prouve que les reproductions en cause étaient bel et bien destinées à un usage personnel et ne s’inscrivait pas dans une démarche de vente ou d’échange.

Il écarte les allégations des parties civiles selon lesquelles le prévenu vendait ou échangeait des copies via des contacts pris par internet car elles ne sont pas démontrées (ce qui est tout à fait normal).

Il écarte également toute représentation publique de ces œuvres (gratuite ou payante), aucun élément n’étayant cette thèse. Là aussi, c’est tout à fait normal.

Donc le tribunal considère comme établi qu’il s’agissait de copies réalisées dans le seul but d’être vues par le prévenu et éventuellement quelques amis, ce qui reste un cercle privé, mais qu’il ne s’agissait pas d’une personne agissant par lucre.

Jusque là, on ne peut qu’approuver : le tribunal fait une appréciation souveraine des faits, et cette appréciation est conforme à la présomption d’innocence qui implique que tout doute profite au prévenu.

Il demeure que le prévenu a reproduit des œuvres entières sur un support durable. Cela est tout à fait susceptible de constituer l’élément matériel du délit.

Le tribunal va écarter cette hypothèse en développant une argumentation juridique qui est très contestable, mais qui fera le bonheur des amateurs de Kazaa, eMule et consorts.

Cette deuxième partie du jugement et sa critique feront l’objet de la note de demain, ce qui fera que ce blog sera sûrement le seul où ne parlera pas des résultats de l’élection américaine.

Ce procédé honteux m’a été soufflé afin d’éviter le travers de ce blog qui est de faire des notes très longues mais pas quotidiennes. Je transmettrai vos protestations à qui de droit.

Lien vers la suite de cet article

Commentaires

1. Le mercredi 16 novembre 2005 à 20:25 par philippe

Bonjour suite à votre article et aux nombreux ouvrages que j'ai put lire sur la copie, je voulais savoir si le fait de telecharger avec un logiciel tel que kazaa ou emul est un délit.Sachan que sur ce type de telechargement on est obligé de partager nos fichier.Ensuite je voulais savoir si le fait de telecharger sur un site sans partager ou sur un serveur privé est un delit.Merci d'avance pour toutes reponses.

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