Pourquoi je n’ai rien contre le plaider coupable
Par Eolas le dimanche 3 octobre 2004 à 11:08 :: General :: Lien permanent
C’est le 1er octobre qu’est entrée en vigueur la nouvelle procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ou CRPC. Les premières audiences de ce type auront lieu lundi 4 octobre à Paris.
Première précision d’emblée : on dit que la loi Perben II entre en vigueur aujourd’hui. C’est on ne peut plus faux. Cette loi a modifié plus de 400 articles de divers codes et la plupart de ses dispositions sont entrées en vigueur dès le lendemain de sa publication au JO soit le 10 mars 2004 (comme l’aggravation du délit de contrefaçon, effacez vite vos MP3, et l’aggravation des délits à mobile raciste ou homophobe).
D’autres ne sont pas encore entrées en vigueur : le chapitre sur l’application des peines ne s’appliquera qu’au 1er janvier 2005, la généralisation de la responsabilité des personnes morales (disposition que nul ne conteste) et le droit d’appel de toutes les ordonnance du juge d'application des peines au 31 décembre 2005, la réduction à un an du délai d’exécution d’une peine de travail d’intérêt général ne sera effective qu’au 31 décembre 2006, quant à l’obligation pour le parquet d’informer les victimes de tous les classements sans suite, c’est renvoyé au 31 décembre 2007. Sans compter que certaines dispositions sont soumises pour leur entrée en vigueur à des décrets qui, s’ils ne sont jamais pris, les priveront d’effet (conservation au casier judiciaire des condamnations des mineurs, droit de se constituer partie civile pour les associations de victimes d’accidents collectifs, entre autres).
La presse s’en fait largement écho, parlant beaucoup de procédure « à l’américaine », ce qui n’est pas censé être un compliment sous la plume de ceux qui l’écrivent et qui ne connaissent pas le système judiciaire américain autrement que par les fictions télévisées, en disant que cette procédure est très contestée par les avocats et ressortent à cette occasion des images des manifestations de mars 2003.
Hormis le fait que je suis très content de me voir à nouveau dans un coin de mon écran de télévision, puisque j’étais à ces manifestations, ces images me semblent trompeuses.
Ce qui a mis le Barreau dans la rue n’est pas cette nouvelle procédure de CRPC. Il y a controverse au sein du Barreau, pas unanimité. Ce qui a causé la colère des avocats en mars, c’est la procédure spéciale instituée en matière de délinquance organisée.
Cette procédure donne de nouveaux moyens considérables à la police, ce qui en soi n’est pas nécessairement critiquable : elle permet les infiltrations par des policiers sous couverture, des perquisitions de nuit entre 21 heures et 6 heures du matin, ce qui était interdit jusque là, des gardes à vue rallongées à 96 heures sans la présence d’un avocat avant la 48e heure, la police peut décider sans l’aval d’un juge de poser des micros ou mettre des lignes sur écoute, procédure dont les principaux travers ont été heureusement corrigés par la décision 2004-492 DC du 2 mars 2004 du Conseil Constitutionnel, qui a annulé les deux dispositions les plus scandaleuses, et a tempéré cette loi par des réserves d’interprétation fort heureuses.
Revenons en à la CRPC.
Comment ça marche ?
Cette procédure peut s’appliquer aux délits punis jusqu’à 5 ans d’emprisonnement, à l’exception des délits commis par des mineurs, des délits de presse, d’homicide involontaire, et des délit politiques.
Le parquet prend seul l’initiative de cette procédure, mais le prévenu peut demander à en bénéficier par lettre recommandée, le parquet n’étant toutefois même pas tenu d’y répondre. Cette lettre ne peut être versée au dossier par le parquet (puisque par définition elle contient un aveu de culpabilité).
Un substitut reçoit le prévenu accompagné de son avocat (cette présence est obligatoire) et propose une peine. Aucune négociation n’est prévue, la circulaire d’application et la position de principe des parquets étant pour le «à prendre ou à laisser». On verra ce qu’il en est à la pratique.
Cette peine peut aller jusqu’à un an d’emprisonnement ferme, sans pouvoir dépasser la moitié du maximum encouru. Tous les aménagements de peine (sursis simple, sursis avec mis à l’épreuve, semi détention, etc…) sont possibles.
Le prévenu peut demander un délai de réflexion. C’est de droit, et il a dix jours pour accepter ou refuser. Le parquet peut demander au juge des libertés et de la détention de placer le prévenu sous contrôle judiciaire voire en détention provisoire durant ce délai. En pratique, la détention provisoire me semble devoir être exceptionnellement prononcée vu que par définition, ce sont des peines légères qui seront prononcées, la plupart du temps sans détention ferme (un prévenu signerait n’importe quoi pour ne pas aller en prison).
Une fois l’accord signé, le prévenu est présenté à un juge qui prend connaissance du dossier et de la peine proposée. Curieusement, le parquet n’est pas présent à cette audience, alors qu’il est à l’origine de cette procédure et demandeur à l’homologation ; il pourrait avoir à défendre son choix devant un juge dubitatif. Ce rôle sera donc dévolu à l’avocat de la défense, ce qui est un peu paradoxal. Le but de la loi apparaît ici clairement : libérer des magistrats pour que plus de dossiers puissent être traités. Cependant, ça me paraît difficilement viable à terme. L’absence des explications du parquet risque d’entraîner des refus d’homologation. Ce sera sûrement corrigé par une future réforme, le code de procédure pénale étant aussi instable que de la nitroglycérine. Mise à jour : voir ce billet pour voir que je ne m'étais pas trompé.
Le juge peut homologuer l’accord par une ordonnance qui donne force de jugement à cette décision, ou refuser d’homologuer et renvoyer devant le tribunal correctionnel ou le juge d’instruction.
En cas de refus d’homologation, toutes les pièces concernant la CRPC sont écartées du dossier et le tribunal n’est pas censé connaître cette tentative préalable (concrètement, cependant, je vois difficilement comment cette confidentialité pourrait être respectée : les greffiers savent tout ce qui se passe dans leur tribunal et les magistrats déjeunent ensemble, bref : l'information circule par des canals pas toujours prévus au code de procdure pénale).
La victime est informée par tous moyens de cette audience où elle peut se constituer partie civile. Elle n’est pas partie à l’accord sur la peine, ce qui est normal : la peine ne concerne que l’action publique exercée par le parquet. C’est donc le juge homologateur qui fixera les dommages intérêts accordés à la victime. Le prévenu et la partie civile peuvent faire appel de cette ordonnance. Le parquet ne peut former qu’un appel incident, c’est à dire que si le prévenu fait lui même appel. Le droit d'appel du prévenu peut paraître étrange, puisqu'il a accepté la peine. C'est une sorte de droit de rétractation, mais dont l'efficacité me paraît douteuse.
Je n’ai a priori rien contre cette procédure. On lui fait beaucoup de mauvais procès, surtout d’intentions.
J’ai vécu assez d’audiences où la procédure est irréprochable, où les faits sont parfaitement établis par le dossier, reconnus par le prévenus, et où la seule question en jeu est la peine. Aux comparutions immédiates, c’est même le quotidien. L’audience consacre autant de temps aux faits qu’à la constatation de l'identité du prévenu et la lecture de la prévention. Les déclarations du prévenus se résument à une litanie de « oui… oui… oui… », et la plaidoirie n’est qu’une variation autour du thème de « ce n’est pas si grave, il y a de l’espoir, laissez lui une chance, il a eu une enfance malheureuse, ne l’envoyez pas en prison », pour que finalement, le juge rende une décision alors que l’avocat est parti depuis longtemps. Faut-il se battre pour que les audiences restent ainsi ? Les avocats qui crient à la justice en danger ne pratiquent pas assez les comparutions immédiates. La misère y règne depuis longtemps.
Alors si le procureur fait une proposition qui nous semble correspondre à une décision plutôt indulgente d’un tribunal, pourquoi passer par la case audience ? Quand on sait à quoi se réduit la plupart du temps une telle audience, le justiciable n’y perd pas grand chose.
La critique la plus pertinente que j’aie lue est celle, publiée dans Le Monde, de Serge Portelli, vice président du tribunal de grande instance de Paris et président de la 12e chambre. C’est un magistrat pour qui j’ai la plus grande estime et qui honore toute la magistrature par le respect qu’il témoigne envers toutes les parties, l’écoute attentive accordée à chacun, l’analyse juridique rigoureuse à laquelle il soumet les dossiers.
Il craint que :
- Dès la garde à vue, les policiers, avec l’aval du parquet, ne fassent miroiter une CRPC en chiffrant même la peine en échange d’aveux.
Il a raison, mais il y a déjà des pressions très lourdes en garde à vue. Le problème existe déjà, et restera inchangé. Il a mille fois raison de dénoncer la religion de l’aveu. Ce président est un des rares capables de prononcer une relaxe sur le fond malgré des aveux dans le dossier.
- L’homologation par le juge deviendra vite une formalité.
Sans doute, mais ce ne serait un scandale que si tous les présidents étaient des Serge Portelli. Las, on est loin du compte, et que certains irascibles ne fassent qu’homologuer une décision prise par d’autres ne me chagrinera pas. Si l’avocat et le procureur sont tombés d’accord sur une peine, il y a de fortes chances qu’elle soit équilibrée.
- Cette procédure écarte la publicité des débats, principe fondamental en démocratie.
C’est vrai, mais cette publicité est la plupart du temps une fiction. Les personnes présentes dans la salle sont soit des prévenus, des parties civiles, soit leur famille, qu’un seul cas intéresse. Le contrôle par les citoyens est illusoire. Il est en réalité exercée par la presse, quand elle est là, et par les avocats, quand ils tiennent un blog.
Pour le reste, il constate que les juges du siège portent une lourde part de responsabilité dans le mouvement général de recul de leur rôle au profit du parquet. Ce propos est d’une lucidité rare. L’Etat ne donne pas à la justice les moyens dont elle a besoin, mais les juges du siège ne donnent pas à leur travail assez de valeur ajoutée pour encourager la chancellerie en ce sens. J’entends par valeur ajoutée une volonté pédagogique d’expliquer à chaque partie ce qui se passe, faire en sorte qu’elle comprenne les enjeux et la décision prise. Ce travail n’a pas lieu la plupart du temps. Dès lors, l’audience perd une grande part de son utilité : pourquoi ne pas la supprimer purement et simplement ? C’est d’une logique administrative imparable.
Ce dernier point doit être souligné : il s’agit d’une nouvelle procédure visant à faire du chiffre, à traiter des dossiers en masse en leur accordant le moins de temps possible et en bloquant le moins de magistrats possibles (le parquet n’est pas présent à l’audience d’homologation), plutôt qu’augmenter enfin les moyens de la justice, en recrutant des magistrats et des greffiers. L’objectif est louable : accélérer les procédures. Le moyen l’est moins, mais le statu quo ante n’était pas une alternative réjouissante non plus. Alors la CRPC, pourquoi pas ?
Je me réserve naturellement le droit de changer d’avis à l’usage.
C’est ce qu’on appelle la liberté de la défense.
Commentaires
1. Le mardi 19 avril 2005 à 13:05 par groM
2. Le mardi 10 mai 2005 à 17:42 par orély
3. Le dimanche 19 février 2006 à 15:00 par max
4. Le dimanche 19 février 2006 à 15:18 par Veuve Tarquine