Le pénal aux pénalistes !
Par Eolas le lundi 23 août 2004 à 16:12 :: Dans le prétoire :: Lien permanent
J’ai déjà pesté et pesterai encore contre les avocats qui se frottent au pénal sans rien y connaître. Il y a quelques mois, j’ai vu un cas en pleine action. Ou inaction, en l’espèce. Je bouillais intérieurement en assistant à l’audience. Ce qui me mettait en colère est qu’il était en défense.
Je vais devoir entrer un peu dans les mécaniques du droit pénal pour bien vous faire comprendre.
Le prévenu était poursuivi pour tentative d’escroquerie.
Il avait acheté un lecteur mini disc dans un magasin spécialisé. Le vendeur lui avait remis un billet d’achat, que le prévenu a présenté à la caisse où il a réglé le prix de l’appareil. On lui a alors remis un bon de sortie. Il est allé retiré son minidisc, et là, le préposé a omis de tamponner le bon de sortie.
Voyant cela, le prévenu a décidé de se présenter à nouveau le lendemain, espérant se voir remettre un deuxième appareil pour le même prix.
Le préposé, qui n’est pas le même que la veille, tique toutefois : pourquoi le bon de retrait est il daté du jour précédent à 14 heures ? Quand on a payé 200 euros un appareil, on a qu’une hâte, c’est de l’avoir en main. On n’attend pas 24 heures pour venir le réclamer, surtout que les caisses sont à 10 mètres du service de retrait des achats !
Le prévenu prétend alors qu’il avait reçu un appel urgent sur son mobile et avait dû partir précipitamment.
Le préposé ne le croit pas et vérifie avec le numéro de l’appareil en stock. Il découvre que le produit a bien été retiré la veille. Il appelle la sécurité qui appelle la police.
Menottes, garde à vue, et le voilà devant le tribunal correctionnel, pas très fier. Pas de casier, inconnu des services de police, un bon boulot, une famille, il encourt quand même jusqu’ à 5 ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende.
Quand j’entends le président raconter les faits, mon oreille se dresse. Je remarque un sentiment de malaise chez le président, qui me fait sourire. Le procureur est impassible, les yeux plongés dans ses papiers. Il ne pose aucune question. Ca ne m’étonne pas, il ne doit pas être très à l’aide non plus.
Le malaise est compréhensible. Il n’y a pas escroquerie. Le tribunal doit relaxer. Même si l’attitude de ce monsieur n’a pas été honnête. Peu importe : on fait du droit ici, pas de la morale, vous vous souvenez ?
En effet, (début des explications juridiques) : l’escroquerie est définie par la loi (article 313-1 du code pénal) comme le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.
Je sais, c’est indigeste, on va élaguer.
Pour qu’une escroquerie soit constituée, il faut la réunion de deux éléments matériels :
- une manœuvre frauduleuse (dont le début de l’article ne donne que des exemples précis) et
- la remise d’une chose par la victime de l’escroquerie à l’auteur de celle ci, cette remise ayant été déterminée, c’est à dire provoquée par la manœuvre frauduleuse.
La manœuvre frauduleuse doit être un minimum élaborée. D’où le terme de manœuvre. Un simple mensonge, fut il écrit, ne suffit pas, il doit être corroboré par d’autres éléments (une mise en scène, l’intervention d’un tiers, l’usage d’une fausse qualité, d’un faux nom, etc…).
Ici, il n’y a pas eu remise, en effet, mais pour une raison extérieure à la volonté du prévenu : on est bien dans le domaine de la tentative.
Non, là où la prévention fait défaut, c’est sur la manœuvre frauduleuse. En quoi consisterait-elle ? En avoir présenté une deuxième fois le bon de retrait ? Mais ce n’est pas suffisant, pas plus que ne constituerait une tentative d’escroquerie le fait d’introduire sciemment un ticket de métro usagé dans un portillon automatique dans l'espoir qu'il s'ouvre quand même !
Le bon de sortie n’a pas été altéré ni falsifié, il est authentique, et le prévenu s’est bien présenté sous sa vraie identité lors de la deuxième présentation du bon de sortie. Il a menti par omission, en présentant le bon de sortie en taisant qu’il avait déjà retiré l’appareil.
Mais ce mensonge, qui n’est corroboré par aucune mise en scène ni élément supplémentaire quelconque n’est pas suffisant pour être une manœuvre frauduleuse au sens de la loi. Le préposé du magasin ne s’y est pas laissé prendre, d’ailleurs, pas plus qu’un portillon automatique ne se laisse prendre par un billet usagé.
Il a tenté de profiter d’une erreur du préposé de la veille qui n’a pas tamponné le bon de retrait. C’est malhonnête, certes. Mais ce n’est pas puni par la loi.
Fin des explications juridiques. Ce n’est pas évident, je le reconnais. Mais tout pénaliste saura ça, c’est du B.A. BA.
Laissons moi bouillir sur mon banc et tournons nous à nouveau vers le tribunal.
Le procureur se lève. Il se la joue bon prince, commençant ses réquisitions comme une plaidoirie. Le prévenu n’est pas un délinquant d’habitude, il n’a pas su résister à la tentation, il a un travail, il est inséré, il n’a aucun antécédent, il suggère la clémence. Je soupire. Comment peut il requérir une peine quand l’infraction n’est pas constituée ? Question rhétorique : c’est un procureur. La défense va lui renvoyer sa fausse générosité à la figure, j’espère ! Mais a-t-elle vu la relaxe ?
Finalement, il requiert, en souriant paternellement au prévenu, deux mois de prison avec sursis simple, pas d’amende. Il va même plus loin : il requiert la non inscription de la condamnation au bulletin n°2 du casier judiciaire ! (C’est à dire qu’aucune administration publique ne sera informée de cette condamnation, pas plus que tout futur employeur : seule la justice en aura éventuellement connaissance).
Là, chez tout avocat pénaliste, fut-ce le plus embouché, une alarme mentale doit s’allumer. Quand le parquet fait un tel cadeau à la défense, c’est qu’il y a anguille sous roche.
Il n’y a pas de partie civile, bien sûr (quel serait le préjudice ? Rien n’a été indûment remis au prévenu !), c’est le tour de la défense.
L’avocat est visiblement surpris de la clémence du parquet. Et là, que fait il ? Il fait de la surenchère dans la clémence. Il demande un ajournement de peine. Je vois un sourire apparaître sur le visage du président et du procureur : le lièvre n’a pas été levé. Pis : l’avocat se ridiculise sans s’en rendre compte.
En effet, l’ajournement de peine est prévu par l’article 132-60 du code pénal qui précise que la juridiction qui déclare un prévenu coupable peut décider d’ajourner le prononcé de la peine lorsqu'il apparaît que le reclassement du coupable est en voie d'être acquis, que le dommage causé est en voie d'être réparé et que le trouble résultant de l'infraction va cesser. Il faut que ces trois conditions soient réunies. Le tribunal renvoie le prononcé de la peine à une date ultérieure et à cette date, il examinera si ces éléments sont depuis acquis : le prévenu s’est il réinséré (a-t-il trouvé du travail, repris les études ?), a-t-il indemnisé la victime, et réparé le dommage de toute autre manière qui s’impose (présenté des excuses publiques, ou que sais-je …) ? la juridiction en tient compte alors pour fixer la peine, qui peut aller jusqu’à la dispense de peine pure et simple.
Mais là, le prévenu a déjà un travail, et depuis longtemps : il gagne honnêtement sa vie. Il est déjà reclassé ! Il n’y a pas de dommage à réparer puisque le magasin ne s’est pas dessaisi du moindre bien. Il n’y a rien à indemniser ! Le trouble a cessé en supposant qu’il ait jamais existé puisque c’est une simple tentative ! Que pourrait faire le prévenu dans l’intervalle qui justifierait un ajournement ? C’est ridicule ! A la rigueur, l’avocat pourrait plaider la dispense de peine dès aujourd’hui, faute de plaider la relaxe.
Là, je ne bouillonnais plus, j’écumais. Comment ce confrère a-t-il osé défendre quelqu’un qui pouvait se voir condamner jusqu’à 5 ans de prison ferme sans avoir au moins examiné la cohérence de la qualification juridique des faits ? L’article 313-1 est compliqué ? Ca, oui ! C’est pour ça que l’on passe des heures à l’étudier en faculté, que des longues études pointues sont publiées (et accessibles à la bibliothèque de l’ordre), que le code pénal Dalloz fait suivre l’article 313-1 de pas moins de 29 pages d’annotations de jurisprudence (c’est sans doute l’article le plus décortiqué) !
Bon sang, il défendait un innocent et l’a laissé condamner !!!
Décision : un mois avec sursis simple, pas d’amende, dispense d’inscription au Bulletin n°2.
Commentaires
1. Le mardi 17 janvier 2006 à 15:11 par flodia
2. Le samedi 11 février 2006 à 19:58 par aroua