Une lumière dans la nuit
Par Eolas le mardi 27 avril 2004 à 12:54 :: Dans le prétoire :: Lien permanent
Tribunal des enfants, audience de jugement.
Quatre mineurs comparaissent tour à tour pour avoir volé une voiture et l’avoir utilisée. Sans permis, bien sur, même pas conduite accompagnée. Trois d’entre eux sont des petits caïds, le troisième est un grand dadais un peu simplet, on sent qu’il a envie qu’on l’aime et de faire plaisir à tout le monde. Je l’appellerai Dadais, par la suite.
Ainsi, quand la police les a arrêté, il a très gentiment tout déballé à la police : la voiture volée devait servir à se rendre à une rave-party en province pour y vendre du cannabis fourni par un des co-prévenus. Une perquisition a permis de saisir plusieurs dizaines de grammes de drogue.
Les parents des trois lascars sont là. Ils sont ravis que le tribunal rappelle fermement à la loi les espèces de sauvages que sont devenus un beau matin leurs petits garçons, et qu’il leur rappelle que la place d’un mineur est à l’école pour se faire un avenir plutôt qu’en prison, où cette aventure va pourtant les envoyer.
Ils sont moins ravis quand le tribunal leur explique que leurs parents vont devoir payer les pots cassés et indemniser le propriétaire de la voiture, en tant que civilement responsables de leurs actes.
Dadais, lui, est accompagné par un type au physique de tueur. 1m80, crane rasé, trapu et costaud, des tatouages sur les bras, de ce bleu-gris typique de ceux faits en prison ou dans la légion. Un visage patibulaire, des yeux bleus gris qui mettent mal à l’aise. Si c’est son père, ils ne se ressemblent pas.
Le parquet prend des réquisitions sévères, prison ferme pour tout le monde jusqu’à la majorité.
Les avocats plaident, la parole est donnée en dernier aux prévenus (rien à dire) et aux civilement responsables (pas mieux).
Sauf… le tueur.
Il se lève et demande la parole.
La présidente, lui demande s’il est le père du prévenu.
Le tueur répond que non, il est son beau-père. Son vrai père est parti quand la mère de Dadais a découvert qu’elle était enceinte, elle est depuis alcoolique et dépressive. Le tueur a fait sa connaissance à sa sortie de prison. Le procureur soupire « avec une famille pareille on comprend… » et commence à soulever que le compagnon de la mère d’un prévenu n’a pas qualité pour assister à l’audience.
Le Tueur ne se laisse pas démonter.
D’une voix étrangement fluette à cause du trac, et en totale contradiction avec son physique de pilier de rugby, il explique que depuis qu’il connaît Dadais, il l’aime comme son fils, que c’est un bon garçon, un peu naïf, il ne sait pas dire non à ses copains et se fait sans cesse embarquer dans des aventures malheureuses, mais qu’il ne faut pas le mettre ne prison. Lui, il en a fait de la prison, et c’était mérité, mais c’est trop dur, trop dur pour Dadais, il n’y survivrait pas. Il n’a pas pu l’empêcher de faire cette connerie parce que Dadais ne lui en a pas parlé. Il promet que si Dadais est laissé libre, il va le prendre avec lui dans le garage où il travaille comme mécano et lui apprendra son métier, Dadais adore les voitures (le procureur : « c’est bien ça le problème… »), et il fera un bon mécano, l’école n’étant visiblement pas faite pour lui. Il promet qu’il ne le lâchera pas d’une semelle, qu’il ne le quittera pas des yeux, qu’il est prêt à signer tous les papiers que le juge voudra, mais que surtout, il ne faut pas envoyer Dadais en prison. Il se répète maladroitement, il redit que la prison, lui, il sait ce que c’est, pas la présidente qui n’y a jamais été, c’est un monde dur, où les gentils se font écraser. Ses yeux sont rougis par les larmes que ce malabar ne parvient que difficilement à contenir, sa voix s’éraille par l’émotion, il a vraiment peur que Dadais ne soit envoyé à Fleury.
Quand il termine, le tribunal reste longtemps silencieux. Toute dureté a disparu du regard de la présidente. Elle regarde le procureur, qui comprend le message, joue les durs deux secondes et acquiesce de la tête.
La présidente : — vous seriez d’accord pour travailler avec votre beau-père dans son garage ?
Dadais crie : « Oh, oui ! », du ton d’un enfant à qui on a proposé de passer une nuit dans un magasin de jouets.
Prison ferme pour les trois caïds, sursis avec mise à l’épreuve pour Dadais.
Le type à la tête de tueur a fait une des plus belles plaidoiries que j’ai entendues à ce jour.
Commentaires
1. Le jeudi 28 avril 2005 à 09:08 par La Fédédents
2. Le jeudi 28 avril 2005 à 10:07 par La Fédédents
3. Le mardi 10 mai 2005 à 12:42 par jid
4. Le mardi 10 mai 2005 à 19:37 par mmenfin
5. Le mercredi 11 mai 2005 à 23:54 par kartben
6. Le lundi 16 mai 2005 à 12:35 par Kima
7. Le lundi 9 janvier 2006 à 22:30 par Bib2
8. Le mardi 10 janvier 2006 à 18:17 par Bib2
9. Le mardi 31 janvier 2006 à 18:32 par strand
10. Le mardi 14 février 2006 à 16:30 par Neville