Qu'ils sont cons ces ricains...
Par Eolas le mardi 20 avril 2004 à 16:58 :: Commentaire judiciaire :: Lien permanent
Depuis un certain événement survenu il y a un an, l’anti-américanisme refleurit et avec lui toutes les caricatures qui sont devenues pour nombre de Français la réalité des Etats-Unis.
Pour simplifier à peine, les américains sont des adolescents attardés, de préférence obèses, incroyablement ignares si ce n’est débiles légers, arrogants, armés jusqu’aux dents, assoiffés de fric et de pétrole, prêts à laisser leur prochain crever dans la rue et surtout, surtout, procéduriers.
Je suis un grand ami et admirateur des Etats-Unis. L’étude de leur constitution m’a passionné en fac de droit, car ils ont mieux que personne compris le sens de la démocratie et les idées de Montesquieu et ont su les mettre en application.
Aujourd’hui, je m’attarderai uniquement sur l’aspect procédurier.
La caricature veut qu’aux Etats Unis, dès que l’on offre des fleurs à sa secrétaire, on est poursuivi pour harcèlement sexuel et qu’on gagne des millions de dollars, de même que quand on se brûle avec un café chaud, on obtient 3 millions de dollars pour avoir été idiot (un café est servi chaud) et maladroit (la personne en cause s’étant quand même brûlé les parties génitales avec son café).
Un courrier circule régulièrement par e-mail et relate des affaires désopilantes ayant prétendument rapporté des millions de dollars dont celle-là. Une veut par exemple qu'un américain ait gagné une fortune car il avait acheté un camping car géant, avait mis la conduite automatique (vitesse et direction constante) et avait quitté le volant pour aller se faire un café, ce qui avait naturellement causé un accident car il pensait que conduite automatique voulait dire que le camping car se conduisait tout seul. Toutes ces hitsoires sont fausses et inventées de toutes pièces ; toutes sauf celle de l’américaine qui s’est brûlée avec un café.
C’est la fameuse Stella Liebeck, devenue malgré elle l'icône servant à attaquer la justice américaine. Elle a involontairement donné son nom aux Stella Awards, récompenses distribuées chaque année par des avocats américains, non aux décisions les plus absurdes de la justice américaine (de telles décisions sont aussi rares aux Etats Unis qu’en France) mais aux actions les plus opportunistes dont sont saisis les tribunaux. Ces actions ayant toutes abouties à un rejet cinglant et rapide.
Etant moi même avocat, je me suis légitimement demandé comment quelqu'un qui se brûle avec du café chaud peut obtenir une telle somme. Après tout, j'ai moi même des clients qui doivent bien attraper quelques cloques chez MacDonald’s, ou Quick, je n'ai pas d'idées préconçues, et je suis prêt à faire des procès à tout ce qui brûle pour une quote part raisonnable des sommes obtenues…
Or voici ce qu’un esprit critique et curieux peut apprendre très facilement grâce à de charmants avocats américains et l'internet.
Madame Liebeck est une texane — circonstance aggravante sans doute—de Santa Fe, de 79 ans. Elle recevait son fils qui devait prendre un avion tôt à Albuquerque. Elle l’a conduite à l’aéroport (90km de route) avec son petit fils et s’est arrêtée au retour au Mc Donald’s prendre un petit déjeuner, dont un café servi dans un gobelet fermé par un couvercle. Elle a garé sa voiture pour ajouter le lait et le sucre. Mais le couvercle était coincé. Le tableau de bord était en pente, et elle n’avait pas de porte gobelet. Ayant besoin de ses deux mains, elle a coincé le gobelet entre ses genoux . Elle a tiré le couvercle qui s’est détaché brutalement en renversant le gobelet et le café brûlant s’est répandu sur ses genoux, le siège, et donc ses cuisses et ses fesses. Imaginez vous assis sur de l’eau bouillante, coincé par une ceinture de sécurité et à 79 ans. Elle a hurlé et son petit fils s’est précipitée à son secours.
A leur arrivée aux urgences, elle avait des brûlures aux seconds (phlyctène séreuse au milieu d'une zone érythémateuse, douleurs importantes) et troisième degré (tout le derme est lésé, carbonisation des téguments et des tissus sous-jacents, on observe une escarre de coloration brune parfois noire, plus ou moins épaisse avec un lacis veineux coagulé, la zone est très peu douloureuse voire insensible) sur les jambes et les fesses.
Elle a été hospitalisée une semaine et a passé trois semaines en convalescence immobilisée allongée, aidée par sa fille qui a pris à cette fin un congé sans solde. Elle a été ensuite hospitalisée à nouveau pour des greffes de peau, aussi douloureuses que les blessures et qui l’ont contraintes à une parfaite immobilité pendant plusieurs semaines. Elle a perdu dix kilos pendant cette hospitalisation.
Je vous vois venir. Américains = obèses, ça lui aura pas fait de mal.
Sauf qu’elle en pesait à peine 50 avant.
Son époux a écrit à Mc Donald pour leur demander de baisser la température des cafés servis, car même les amateurs de café très chaud n’apprécient pas les brûlures au 3e degré (c’est prouvé) et a demandé le remboursement des frais médicaux à leur charge soit 2000$ et la perte de revenus de leur fille qui a pris un congé sans solde pour soigner sa mère pendant sa convalescence. Voilà pour ces cons de ricains assoiffés d’argent.
Mc Donald’s leur a proposé 800$ pour solde de tout compte et a dit qu’ils ne baisseraient pas la température du café.
Furieux et blessés, ils ont eu recours aux services d’un avocat (je ne peux qu’approuver ce réflexe…). Qui a porté l’affaire devant un jury.
Parenthèse juridique :
Aux Etats unis, tout procès portant sur une valeur supérieure à 20$ peut être portée devant un jury (7e amendement). 20$, c’est ridicule aujourd’hui, mais en 1791, c’était une somme très importante. Elle n’a jamais été révisée depuis.
Dans un procès en responsabilité civile, on distingue deux types de dommages intérêts.
Les premiers sont réparateurs (actual damages) et correspondent au préjudice subi, et les seconds sont punitifs (punitive damages), ils correspondent à la gravité de la faute si le comportement fautif est volontaire ou délibérément imprudent. En France, la loi ne permet d’accorder que des actual damages c’est à dire que le préjudice est indemnisé à hauteur du dommage subi et non de la gravité de la faute.
Fin de la parenthèse juridique.
Vous imaginez bien la tête du jury qu’on réunit pour une histoire de brûlure de café…
Sauf que.
Sauf qu’au cours du procès, il va apprendre qu’un café à 1,70$, peut causer des brûlures au 3e degré en 3 secondes et demie.
Que Mc Donald’s sert ses cafés à une température entre 82°c et 87°c car c’est à cette température qu’il conserve le plus longtemps son goût, sans jamais s’être interrogé sur les risques de servir un liquide aussi chaud dans un gobelet en carton fermé d’un opercule en plastique. Pour comparer, le café fait à la maison est servi entre 55 et 60°C.
Que Mc Donald’s a reçu plus de 700 plaintes pour des brûlures identiques sans jamais en tenir compte et s’assurer que le café n’était pas servi brûlant car leurs consultants ont déterminé qu’un grand nombre de consommateurs achetaient un café pour le consommer sur leur lieu de travail et que baisser la température risquait de réduire les ventes car leur café pourrait arriver tiède.
Qu’un expert en thermodynamique cité par les demandeurs va expliquer qu’un liquide à 80°C est impropre à la consommation car il brûlerait la langue et la gorge. Que le simple fait de baisser la température à 75°C aurait réduit très grandement la gravité des brûlures subies par Stella Liebeck, par le simple refroidissement du liquide au contact de l’air. Car chaque degré en moins réduit exponentiellement la dangerosité du liquide.
Le jury va accorder 160 000$ d’actual damages et 2.7 millions de dollars en punitive damages que le juge va réduire à 640.000 $ comme la loi texane lui en donne le droit en cas d’appréciation manifestement exagérée.
Depuis, Mc Donald’s a baissé la température des cafés servis. Il a fait appel de la décision et l’affaire s’est terminée par un accord amiable dont la teneur est secrète.
Qui d’entre nous trouvera cette décision injuste, absurde, et animée uniquement d’esprit de lucre ? Qui d’entre nous dira : « moi, je n’aurais rien dit, et j’aurais accepté les 800$ et fermé ma gueule ? »
Et combien d’entre nous, à commencer par moi la première fois que je l’ai entendue, ont cru la version « Stella Liebeck imbécile qui sait pas boire un café sans se brûler, boit cul sec sans s’assurer de la température et qui avec une petite cloque se précipite chez un avocat pour gagner des millions de dollars » tout ça parce qu’elle est américaine ?
Je m’en veux encore.
Commentaires
1. Le mercredi 12 janvier 2005 à 21:43 par safran
2. Le mardi 18 janvier 2005 à 18:06 par Maxime R.
3. Le jeudi 3 février 2005 à 21:11 par Joachim D.
4. Le dimanche 20 février 2005 à 22:35 par nicole legrand
5. Le mardi 1 mars 2005 à 12:13 par pat
6. Le jeudi 21 juillet 2005 à 18:21 par michel
7. Le samedi 7 janvier 2006 à 04:21 par tokvil