Bienvenue sur la planète Mars…
Par Eolas le lundi 19 avril 2004 à 16:54 :: La profession d'avocat :: Lien permanent
Comme beaucoup de mes confrères, je suis un névrosé de la langue française.
Le Français est notre outil de travail, c’est une arme aussi quand il s’agit de convaincre. J’exècre les anglicismes quand bien même j’aime cette langue et la pratique régulièrement, et j’abhorre le jargon inutilement technique dans toutes les professions fabriqué de toutes pièces par l’utilisation abusive de sigles.
Le droit a son propre langage, c’est pourquoi j’ai mis dans mes liens le remarquable dictionnaire du droit privé qui fournit un glossaire précieux.
Le langage du droit paraît facilement abscons car c’est un langage technique. Le droit est une science, il se fonde sur des raisonnements, pas sur une perception morale arbitraire d’un individu qui a réussi un concours après quatre ans de fac.
C’est inévitable et rend la justice difficile d’accès.
Mais souvent, dans un tribunal, les magistrats, les greffiers, les procureurs, et par imitation, les avocats, en rajoutent inutilement.
Devant un tribunal correctionnel, où les prévenus et les parties civiles sont des particuliers qui n’ont pas tous eu la chance d’avoir accès à l’éducation supérieure, ça en devient pathétique. Surtout si le prévenu n’a pas d’avocat (ce n’est pas obligatoire en correctionnelle) pour faire l’interprète.
Pour illustrer, voici un dialogue imaginaire, mais qui pourrait être entendu dans n’importe quelle salle d’audience, car il est composé de phrases que j’ai réellement entendues.
Le président : Dossier suivant. Alors, c’est un renvoi sur CI, avec CJ. Le rapport de l'AAPé est au dossier Le B1 est il arrivé ?
Le procureur : oui, je l’ai reçu juste avant l’audience.
Le président : Voyons. Un SME ? Il y a récidive légale ?
Le procureur : Mmmh… Non, Monsieur le Président, délai d’épreuve expiré.
Le président : Ha, réputé non avenu donc. (au prévenu :) Vous avez de la chance.
Le prévenu, ravi : Ha, bon ?
Le président : Par contre, il y a une ITF suite à une ILE. Pourquoi ce n’est pas dans la citation ?
Le procureur : Je ne sais pas. Un oubli.
Le président, au prévenu : décidément, vous avez beaucoup de chance.
Le prévenu, aux anges : Ha, bon ?
Le président : Alors voyons, vous êtes accusé d’avoir (pause : le président inspire profondément et lâche d’un coup) :
àParisle23février2004entoutcassurleterritoirenationaldepuistempsn’emportantpaslaprescriptiond’avoiraveccettecirconstancequelesfaitsontétécommispardeuxpersonnesagissantenqualitéd’auteuroudecomplice.
Reconnaissez vous les faits ?
Le prévenu, sursaute : Hein ? Heu… N… Non ?
Le président, furieux : Quoi ? Vous niez les faits ? Mais vous avez été pris la main dans le sac !
Le prévenu, paniqué : Ha, heu, si, si, je reconnais.
Le président, calmé : J’aime mieux ça. Bon, Monsieur le procureur, vos réquisitions.
Le procureur (le postérieur à demi levé de son siège) : vu les antécédents et l’ITF, je requiers un SME de 6 mois ou un sursis-TIG et une nouvelle ITF de trois ans.
Le procureur, qui n’était qu’à mi chemin de la station debout, se laisse lourdement retomber.
Le président, au prévenu : Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?
Le prévenu : Heu, je.. Ben… C’est que… Heu… J’sais pas. Rien.
Le président : Vous avez entendu le procureur requérir des TIG. Vous savez ce que c’est ?
Le prévenu, une lueur d’espoir dans les yeux, on va enfin lui expliquer ce qui se passe : Non, c’est quoi ?
Le président : Ce sont des Travaux d’Intérêt Général. (silence embarrassé du prévenu, pas plus avancé). Est ce que vous accepteriez d’en faire ?
Le prévenu : je peux refuser ?
Le président : Oui, mais dans ce cas c’est la prison.
Le prévenu : Bon alors je veux bien.
Le président : Bien, merci, délibéré en fin d’audience.
Et en fin d’audience :
Le président : Bon, le tribunal vous reconnaît coupable et vous condamne en répression à 6 mois de prison dont 4 mois de SME d’une durée de 5 mois, assorti d’une ITF de 3 ans.
Le prévenu : Heu.... Merci ?
Du coup, le « plaider-coupable », je ne suis pas sûr que ce soit vraiment une régression des droits de la défense. Là, au moins, la présence de l’avocat-interprète est obligatoire.
Post scriptum : Dictionnaire martien-Français.
CI : Comparution Immédiate, anciennement flagrant délit. Procédure rapide quand le dossier a pu être constitué dans la foulée de l’arrestation par la police.
CJ : contrôle judiciaire. Quand un prévenu ne peut être jugé en comparution immédiate, l’affaire est renvoyée à une autre audience mais le tribunal peut décider de placer le prévenu en détention provisoire ou de le placer sous contrôle judiciaire. Dans ce dernier cas, le prévenu reste libre mais est soumis à des mesures de surveillance (obligation de pointage au commissariat, répondre aux convocation, interdiction de se rendre sur les lieux de commission de l’infraction…).
AAPé : Association d'Aide Pénale : structure en charge du suivi des contrôles judiciaires ; elle convoque périodiquement l'intéressé, lui demande de produire les justificatifs de sa situation et du respect des obligations assortissant son contrôle judiciaire, et remet un rapport à la juridiction sur l'assiduité et le respect par le contrôlé de ses obligations.
B1 : Bulletin n°1 du casier judiciaire, qui mentionne toutes les condamnations, qui n’est accessible qu’à l’autorité judiciaire. Le n°2 est moins complet et accessible à l’administration, le n°3 est encore moins complet et accessible à l’intéressé uniquement. Pour commander le votre, cliquez ici.
SME : Sursis avec Mise à l’Epreuve. Peine de prison non exécutée si le condamné se soumet pendant un délai décidé par le tribunal à une série d’obligations que la condamnation détermine. Par exemple : suivre une désintoxication, suivre des études, indemniser la victime…
ITF : Interdiction du Territoire Français. Peine complémentaire ne pouvant frapper que les étrangers.
ILE : Infraction à la Législation sur les Etrangers. Séjour irrégulier, quoi.
TIG : Peine de prison avec sursis qui n’est pas mise à exécution si le prévenu exécute un nombre d’heures (240h max) non rémunérées dans un délai décidé par le tribunal.
Les travaux forcés étant prohibés par la loi, il faut que le prévenu donne son consentement à cette peine, car le non respect des obligations entraînent forcément un emprisonnement.
Commentaires
1. Le dimanche 2 janvier 2005 à 22:22 par Spikou