Comment faites vous pour défendre des coupables ?
Par Eolas le dimanche 18 avril 2004 à 11:57 :: La profession d'avocat :: Lien permanent
Combien de fois ai-je entendu cette question, et combien de fois l’entendrai-je encore ?
L’image de l’avocat pénaliste (comprendre : qui fait du droit criminel) tombe toujours dans la caricature, probablement véhiculée par la vision simplificatrice des nombreuses fictions inspirées par notre métier.
Cette caricature veut que l’avocat pénaliste soit défende un innocent accusé d’un crime qu’il n’a pas commis, et de préférence arrive à lui tout seul à démontrer en un magnifique coup de théâtre que c’est l’épouse / la maîtresse / le majordome / le demi-frère caché et jaloux (rayez la mention inutile) le véritable coupable ; soit qu’il soit un être amoral qui, bien qu’il connaisse pertinemment la culpabilité de son client, qui est naturellement un salaud de la pire espèce, va l’aider à berner tout le monde et à s’en sortir en toute impunité.
Ces deux images sont archi-fausses.
D’abord parce que dans la grande majorité des affaires, la culpabilité n’est pas en débat. Le prévenu ou l’accusé a reconnu les faits, ou ceux-ci sont établis au-delà du moindre doute.
Ensuite, parce que les clients ne nous confient jamais dans le creux de l’oreille qu’ils sont coupables alors qu’ils clament haut et fort leur innocence.
Au contraire, ils testent leur baratin sur nous. Si leur avocat croient leur mensonge, pensent-ils, le juge, qui n’est pas forcément plus malin, le croira aussi.
Les délinquants sont ainsi pour la plupart persuadés qu’un avocat convaincu de l’innocence de son client le défendra mieux — ce qui est faux, puisque la défense sera bâtie sur une prémisse inexacte et sera très fragile—, et qu’un avocat qui sait que son client est coupable n’a pas le droit de dire qu’il est innocent — ce qui est faux également ; nous sommes liés par le secret professionnel et un bon avocat pénaliste ne dira jamais que son client est innocent car nous ne sommes pas des témoins et n’avons pas à servir de caution morale à nos clients.
Donc, la plupart du temps, nous défendons des coupables qui reconnaissent les faits. Alors à quoi servons-nous dans ces cas ?
Et bien la culpabilité, ce n’est que la moitié de l’objet de l’audience.
L’autre moitié, c’est la peine. Le juge doit prendre une décision sur ce point aussi. Le procureur a requis une peine. C’est une proposition et rien d’autre, qui est généralement sévère. L’avocat doit pouvoir en proposer une autre plus adaptée à son sens. Nous connaissons mieux que personne la situation personnelle de notre client, s’il travaille, s’il fait des études, s’il a des projets. Lui éviter la prison est un enjeu en soi. Nous aidons le juge à prendre une décision.
Il demeure quand même, certes, l’hypothèse rare où nous savons que notre client est coupable parce que nous avons, lors de nos entretiens, démoli ses mensonges et l’avons mis face à ses contradictions. Il persiste à vouloir nier devant le juge. Que faire ?
Se retirer du dossier est pour moi inacceptable, et je ne pardonne pas aux confrères qui le font. C’est là signer les aveux de son client aux yeux du juge. Imaginez un peu : « Mon client nie les faits, ma conscience m’impose de me retirer du dossier ». C’est une trahison et une forfaiture.
L’avocat est un juriste, un procès est une affaire de droit, et uniquement de droit. Pas de morale.
Ce n’est pas moi qui le dis. A mon premier dossier d’assises, le président m’a sèchement coupé la parole quand je me suis avancé sur le terrain de la morale en me disant « Maître, nous ne sommes pas ici pour faire de la morale, mais du droit ». J’ai retenu la leçon.
La loi, rien que la loi.
Et que dit-elle, la loi ?
Que l’innocence est présumée, et que c’est au ministère public d’apporter la preuve de la culpabilité, et non à l’accusé de démontrer son innocence.
« Prouvez-le ! », voilà ce que nous répétons sans cesse au procureur. Et si le parquet n’apporte pas cette preuve, le tribunal doit relaxer, sans même que nous ayons à dire « mon client est innocent ».
Et pour finir, sur le point qui génère le plus d’incompréhension.
La culpabilité est prouvée. Les faits sont reconnus. Mais la procédure est frappée d’une nullité que nous soulevons et parfois, obtenons. Le tribunal doit relaxer contre toute évidence, le dossier part à la poubelle.
Ca ne m’a jamais posé le moindre problème.
Un procès pénal est susceptible de porter atteinte à deux droits fondamentaux de la personne. La liberté et la propriété. Il s’agit là de deux droits sacrés, inaliénables, qu’aucun comportement fut-il le plus abject ne saurait justifier que qui que ce soit en soit dépouillé. L’Etat tire la justification de son existence de la préservation et la protection de ces droits.
Or un homme va peut-être être frappé par l’Etat, dans sa personne par de la prison ou dans ses biens par une amende, parce que la loi l’a prévu.
Fort bien. Mais cette atteinte devra alors avoir lieu conformément à la loi.
L’Etat peut sanctionner celui qui ne respecte pas les règles qu’il édicte, mais à la condition qu’il respecte lui-même ces règles.
Or une nullité assez grave pour affecter toute la validité des poursuites constitue une violation flagrante et irrattrapable de ces règles.
Ne croyez pas que la procédure soit une matière absconse, technocratique et inutile. Ne croyez pas qu’on obtienne une nullité à cause d’un tampon qui manque ou d’une faute de frappe.
La procédure, c’est le siège des libertés ; c’est la procédure qui protège les droits, pas leur proclamation grandiloquente sur les frontispices des monuments. J’y reviendrai dans un prochain post.
Une nullité de la procédure, cela arrive quand un policier ou un juge a outrepassé ses pouvoirs ou a violé ceux de la personne poursuivie.
Les policiers et les juges tirent leurs pouvoirs de la loi. En dehors de ce cadre, ils n’en ont plus aucun. C’est pas plus compliqué que ça. Les actes qu’ils font en dehors de ce cadre sont nuls et de nul effet.
Il serait inadmissible que l’on valide des arrestations arbitraires, des gardes à vue illégales qui s’apparentent dès lors à de la séquestration, des aveux obtenus par la contrainte. L’Etat qui tolèrerait cela ne serait pas un Etat de droit. C’est l’honneur des juges de refuser de condamner des personnes poursuivies dans ces conditions.
Les nullités sont rares. La loi restreint très sévèrement les délais et les formes pour les soulever. Les juges font tout pour sauver les dossiers.
Alors, quand nous parvenons à obtenir la nullité d’une procédure, nous pouvons être surs que nous avons fait notre travail d’avocat, et de la plus belle manière.
Commentaires
1. Le mercredi 1 décembre 2004 à 15:34 par Chitah
2. Le mercredi 1 décembre 2004 à 15:35 par Chitah
3. Le jeudi 2 décembre 2004 à 20:32 par Eolas
4. Le vendredi 3 décembre 2004 à 14:26 par passant
5. Le mardi 8 novembre 2005 à 12:38 par Albert E
6. Le mardi 8 novembre 2005 à 19:31 par Albert E
7. Le samedi 12 novembre 2005 à 10:00 par Verel
8. Le jeudi 1 décembre 2005 à 10:17 par ML
9. Le jeudi 1 décembre 2005 à 11:30 par ML
10. Le mercredi 21 décembre 2005 à 13:27 par Sylvain
11. Le vendredi 23 décembre 2005 à 01:57 par Abie
12. Le mercredi 4 janvier 2006 à 10:03 par romeo prizzi
13. Le jeudi 5 janvier 2006 à 11:54 par Diane
14. Le vendredi 13 janvier 2006 à 19:15 par Bib2
15. Le lundi 23 janvier 2006 à 14:35 par jeune publiciste
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