Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

vendredi 27 janvier 2012

De la liberté de parole à l'audience

Par Gascogne


Le parquet est hiérarchisé. On le répète assez, et les parquetiers eux-mêmes disent le plus souvent que cette hiérarchie n’est pas en soi choquante, afin d’assurer sur l’ensemble du territoire national l’application d’une politique pénale cohérente et homogène. Ceci étant dit, et cette justification de la hiérarchisation du parquet mise en avant, rien ne justifie par contre que le pouvoir exécutif soit à la tête de cette pyramide hiérarchique, en violation de la séparation des pouvoirs. Les élections présidentielles qui arrivent seront l’occasion de voir la vision qu’ont les candidats à la magistrature suprême de notre justice.

Les magistrats du parquet ne rendent cependant pas compte au jour le jour à leur hiérarchie de l’ensemble des décisions qu’ils prennent, que ce soit à la permanence, dans le traitement des procédures qui leur sont soumises, ou encore dans lors de la rédaction des réquisitoires définitifs qu’ils rédigent[1].

Le devoir de loyauté qui doit exister au parquet vis-à-vis de la hiérarchie porte essentiellement sur les dossiers les plus importants : par leurs enjeux, leur portée, ou encore les risques de développement médiatiques qu’ils comportent. Ce qui signifie que dans 99 % des cas, le parquetier, dans la solitude de son cabinet, traite en toute indépendance l’extrême majorité des dossiers qui lui sont soumis. Malheureusement, les projecteurs médiatiques se portent sur les 1 % qui restent, où le problème de l’indépendance du parquet se pose de manière accrue.

Mais s’il reste une liberté quasi totale aux membres du ministère public, c’est bien celle de la liberté de parole à l’audience, quelle que soit cette audience. Cette liberté est garantie par l’article 33 du code de procédure pénale, qui dispose que si le lien hiérarchique impose que le procureur d’audience “est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données dans les conditions prévues aux articles 36, 37 et 44”, “il développe (par contre) librement les observations orales qu’il croit convenables au bien de la justice”. Tout comme la parole des avocats est protégée à l’audience, celle des parquetiers l’est tout autant.

Et pourquoi est-elle protégée ? Elle l’est pour que les réquisitions à l’audience soient développées pour ce qui est convenables au bien de la justice. Pas convenables à l’égo de certains élus. Ou de certaines catégories socio-professionnelles.

Le recueil des obligations déontologique des magistrats, édité par le Conseil Supérieur de la Magistrature, évoque d’ailleurs l’application des dispositions de l’article 33 du CPP, et leur articulation avec les dispositions du statut de la magistrature relatives notamment au droit de réserve, en disposant que : “Le devoir de réserve, qui résulte d’une disposition statutaire, est le même pour les magistrats du siège et pour ceux du parquet. Si les articles 5 du statut de la magistrature et 33 du Code de procédure pénale permettent au magistrat du parquet d’exprimer publiquement à l’audience une position personnelle, cette prise de parole doit être formulée dans des termes propres à ne pas nuire à la dignité de la fonction de magistrat.

A partir de cette définition de l’instance disciplinaire des magistrats, j’aimerais comprendre en quoi les propos du collègue de Castres, rapportés par Médiapart, pourraient être de nature “à nuire à la dignité de la fonction de magistrat“ ? Faut-il que le magistrat du parquet serve une soupe insipide à l’audience, et ne pas parler du contexte, fut-il politique, qui peut concourir à la réalisation d’une infraction ?

Et en allant un peu plus loin dans la justice fiction, peut-on sérieusement penser que si un magistrat du parquet, requérant dans une affaire de travail illégal, venait à parler de l’instauration des 35 heures pour expliquer les difficultés des entreprises, il ferait immédiatement l’objet des foudres de la Chancellerie pour violation de son obligation de réserve ?

La pression qui existe depuis quelques années, sans que les politiques ne se posent la moindre question sur ce qui est une attaque à l’indépendance de la Justice, sur la liberté de parole des magistrats du parquet à l’audience, ne fait que renforcer la nécessité de plus en plus prégnante de réformer le statut des magistrats du parquet. Et je suis heureux de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui me semble la seule à même de mettre la pression sur nos hommes politiques nationaux. Malheureusement.

Et ce n’est sûrement pas le président de la République, garant de l’indépendance de la Justice[2], qui me contredira, lui qui vient de déclarer à Dijon que l’indépendance de la magistrature avait progressé durant son quinquennat.

Si une chose est définitivement claire en France en matière d’indépendance de la Justice, c’est qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. Un gouffre.

Notes

[1] Lorsque le juge d’instruction estime que son enquête est terminée, il en informe les parties et transmet le dossier au parquetier qui le suit, afin que celui-ci prenne des réquisitions, sous la forme d’une synthèse du dossier, sur la suite qu’il souhaite voir donner à l’affaire.

[2] Art. 64 de la constitution

lundi 23 janvier 2012

Quelques mots sur l'affaire Megaupload

Sans prétendre à l’exhaustivité, d’autant que je n’ai accès qu’aux informations publiées, voici un petit topo sur l’affaire Megaupload, qui a généré beaucoup de questions de mes lecteurs (☹) et lectrices (♥).

Megaupload, pour ceux qui ne le savent pas, est le nom d’une société basée à Hong Kong, fondée par un ressortissant ayant les nationalités allemandes et finlandaises, Kim Schmitz, qui offrait au public un vaste espace de stockage en ligne, permettant de partager des fichiers très volumineux, par la technique du upload/download, ou téléchargement acendant/descendant (un utilisateur A envoie un fichier du disque dur de son ordinateur sur le serveur de Megaupload, un utilisateur B peut le télécharger du serveur Megaupload sur son disque dur.

La popularité du service proposé par cette société est due au fait que l’on pouvait trouver sur ses serveurs des fichiers audio et surtout vidéo de films et de séries récentes, en bonne qualité, permettant un visionnage dans des conditions de confort satisfaisantes, mais évidemment mises là sans l’accord des ayant-droits. Le service était à la base gratuit, mais limité (un seul téléchargement à la fois, après un temps d’attente de 45 secondes) tandis que des utilisateurs payant (dit premium) pouvaient télécharger plusieurs fichiers simultanément à une vitesse supérieure. Outre ces comptes premium, les revenus du site étaient liés à la publicité qui s’affichait à chaque téléchargement non payant.

Le 19 janvier 2012, Kim Schmitz, connu aussi sous le nom de Kim Dotcom (qui veut dire “point com” en anglais comme à la fin d’un nom de domaine), a été arrêté dans un manoir près d’Auckland, en Nouvelle Zélande, aux côtés de Finn Batato, directeur marketing, Mathias Ortmann Directeur technologique, tous trois allemands, et Bram van der Kolk, ressortissant hollandais. Dans le même temps, le site Megaupload (et ses déclinaisons thématiques, formant “la galaxie Mega”), ont été fermés.

Qui est à l’origine de cette arrestation ?

Tout a commencé par une enquête de la police fédérale américaine (le FBI), puisque la contrefaçon est en elle-même un délit fédéral (en outre, le caractère international de l’affaire donnait de toutes façons compétence au FBI). Cette enquête a réuni des éléments à charge contre les fondateurs de Megaupload, qui ont été présentés, comme la loi l’exige, à un Grand Jury (en français dans le texte), composé d’au moins 16 personnes, qui vote pour dire s’il y a lieu de prononcer une inculpation (indictment). C’est une procédure non contradictoire (la défense n’est pas entendue, et la plupart du temps, les suspects ignorent qu’ils font l’objet d’un Grand Jury). Le Grand Jury a prononcé cette inculpation, qui permettait au FBI d’engager des poursuites judiciaires et surtout exercer des actes de contrainte sur les personnes suspectées (sans indictment, seule une garde à vue est possible, et une très courte détention provisoire, le temps nécessaire au Grand Jury de se prononcer sur l‘indictment).

Sur la base de cet indictment, le FBI a saisi un juge fédéral de Virginie qui a émis un mandat d’arrêt international. Ce mandat d’arrêt international oblige tous les pays liés aux États-Unis par des accords internationaux d’arrêter les personnes visées et de les tenir à disposition des autorités américaines (certains États, comme la France, refusent d’extrader leurs nationaux, mais à la place les jugent sur leur territoire).

Les quatre suspects étaient en Nouvelle Zélande sans qu’aucun d’eux en ait la nationalité, la question ne se posait donc pas. La police les a arrêtés le 20 janvier dans un manoir luxueux loué par Kim Scmitchz qui y fêtait sont 38e anniversaire (il est né le 21 janvier). Comme le prévoit la loi néozélandaise, ils ont été présentés à un juge qui a décidé de les placer en détention le temps que les mérites de la demande d’extradition soient examinés (c’est ce qui est arrivé à Julian Assange en Angleterre et à Roman Polanski en Suisse). La procédure en est toujours là au moment où j’écris ce billet.

Quelles sont les suites prévisibles ?

Soit la justice néozélandaise estime le mandat d’arrêt illégal au regard de la loi kiwie, et ils seront remis en liberté, mais toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt exécutable s’ils quittent le pays. Soit elle valide la procédure et les quatre suspects seront escortés jusqu’aux États-Unis où ils seront présentés à un juge qui statuera sur leur sort : remise en liberté sous caution (bail) ou placement en détention (remand in custody) en cas de risque de fuite avéré. S’ouvrira ensuite une phase judiciaire classique. En attendant, toujours à la demande de la justice américaine, les autorités chinoises de Hong Kong ont gelé les avoirs de Megaupload sur le territoire du Port aux parfums, là aussi en exécution des engagements internationaux unissant les deux pays, que la Chine a dû contracter pour entrer dans l’Organisation Mondiale du Commerce (le piratage en ligne a fait plus pour le rapprochement entre la Chine et les États-Unis que 50 ans de diplomatie durant la Guerre Froide).

Que risquent-ils ?

D’après les qualifications retenues, jusqu’à 50 ans de détention dans une prison fédérale (les peines se cumulant aux États-Unis).

Pourquoi est-ce un juge provincial de Virginie qui a ordonné cette arrestation ?

Ce n’est pas un juge provincial. D’abord, la Virginie est un État, pas une région, et ce n’est pas un juge de Virginie qui a ordonné cette arrestation mais un juge fédéral en poste en Virginie, c’est à dire un juge relevant du gouvernement des États-Unis d’Amérique. Deux systèmes judiciaires cohabitent aux États-Unis : le système de l’État fédéré, qui applique les lois dudit État (ici la Virginie) et où les juges sont généralement élus par les citoyens du Comté où ils exercent, et le système fédéral, qui applique la loi fédérale, et où les juges sont nommés par l’exécutif après validation par le législatif. La répartition des compétences entre les États fédérés et l’État fédéral est une question fondamentale aux États-Unis, et c’est là la véritable séparation entre les deux grands partis, Républicain, favorable à l’autonomie des États fédérés et préférant un État fédéral limité au minimum, et Démocrate, favorable à un États fédéral aux compétences élargies. Mais un juge fédéral de Virginie est aussi important et puissant qu’un juge fédéral à New York ou à Los Angeles.

En l’occurrence, c’est tombé en Virginie parce que Megaupload était hébergé entre autres sur des serveurs situés en Virginie, à Dulles (625 serveurs selon l’acte d‘indictment), de la société Carpathia. Cela donnait compétence à la justice américaine, même si la société était basée à Hong Kong, car les actes de contrefaçon avaient ainsi lieu en partie sur le territoire américain. Aucun autre État ne pouvait être compétent.

Comment les États-Unis ont-ils pu mettre hors ligne un site situé à Hong Kong et hébergé partout dans le monde ?

Un jeu d’enfant pour eux, privilège d’être le berceau du net. Les serveurs situés à l’étranger sont probablement intacts à l’heure où j’écris. Simplement, le juge fédéral américain a ordonné à VeriSign, l’établissement situé en Virginie (comme c’est commode) qui gère au niveau mondial ce qu’on appelle les résolutions de noms de domaine en .com notamment, de bloquer les DNS (Domain Name Systems) du site, c’est à dire de faire en sorte que si le nom de domaine http://megaupload.com ni les adresses IP auxquelles renvoyaient ce nom de domaine ne répondent. En somme, les serveurs existent toujours, mais ils ne peuvent plus être joints, ils n’ont plus d’adresse valide.

Comment puis-je me faire rembourser mon abonnement premium à vie ?

Nemo auditur propiam tupritendinem allegans[1] : nul ne peut invoquer en justice sa propre turpitude. Vous ne pouvez exiger l’application d’un contrat illicite.

Megaupload est un service mettant à disposition de l’espace mémoire sur des serveurs. Je pouvais ainsi y sauvegarder mes photos personnelles ou ma comptabilité. Pourquoi ne retient-on que l’aspect contrefaçon, et les dirigeants ne peuvent-ils plaider qu’ils ne peuvent surveiller le contenu de leurs serveurs ?

Ce sera probablement leur axe de défense. Cependant, l’argumentation du FBI tient en 8 arguments :

1. La durée de conservation des données dépend de leur popularité en nombre de téléchargements. La plupart des fichiers disparaît rapidement, les seuls les fichiers durables étant de fait les fichiers d’œuvres contrefaites.

2. Une faible proportion des utilisateurs paye pour le stockage. L’affaire repose donc essentiellement sur la publicité, qui s’affiche en cas de téléchargement. Donc l’affaire repose non sur la capacité de stockage louée mais sur le nombre des téléchargements. À rapprocher du point 1 ci-dessus.

3. Les inculpés ont personnellement donné des instructions à des utilisateurs pour localiser des fichiers violant le droit d’auteur et ont eu des échanges démontrant qu’ils avaient connaissance de cet usage très répandu, ce qui exclut qu’ils invoquent leur ignorance.

4. Les inculpés ont en outre personnellement recherché dans les bases de données internes pour trouver des liens vers des contenus illicites. Bref ils utilisaient eux même leur service pour visionner des films et des séries, et l’ont fait non comme utilisateurs mais en utilisant leur accès interne au site. Pas malin.

5. Le site a un système permettant de signaler des contenus pédopornographiques, mais pas des contenus contrefaisants.

6. Les utilisateurs uploadant des contenus contrefaisants ne voyaient jamais leur compte supprimé, mais juste le contenu signalé comme contrefaisant par les ayant-droits retiré. Les inculpés n’ont fait aucun effort pour identifier les contenus contrefaisants et tenter d’empêcher leur chargement sur les serveurs du site.

7. Un système de rémunération a été mis en place pour récompenser les chargements de contenus populaire donnant lieu à beaucoup de téléchargements.

8. Les inculpés ont explicitement discuté entre eux de problèmes de contrefaçons et de comment se mettre à l’abri, notamment une tentative de télécharger et stocker tout le contenu de Youtube.

Est-ce la fin de la circulation en ligne de films et de séries ?

Ah ! Ah ! Ah !

Est-ce qu’une offre légale similaire va se développer rapidement proposant un service aussi souple permettant un accès à un tel catalogue pour des prix raisonnables ?

Ah ! Ah ! Ah !

Si vous avez des questions ou des rectifications à apporter, les commentaires vous sont ouverts : vous avez tous un compte premium à vie ici.

Note

[1] En Français “Vous l’avez dans l’os”.

jeudi 19 janvier 2012

Avis de Berryer : Virginie Efira

Peuple de Berryer ! Bonjour Madame

Bonne année, tous mes vœux. Pour fêter l’an nouveau, et la promo nouvelle, retrouvons-nous tous, du moins ceux qui pourront entrer, ce mercredi 25 janvier à 21 heures, Virginie Efira, comédienne et animatrice de télévision.

Sous l’œil rigoureux des connaisseurs mais indulgent des premières fois, Monsieur Pierre Darkanian, 4ème Secrétaire (tiens ? N’est-ce pas le Premier qui inaugure la Berryer en principe ?) nous fera son rapport sur l’invitée et par la même la démonstration de son talent.

Les sujets abordés par les candidats seront les suivants :

1. Ma nouvelle tare est-elle la chance de ma vie ?

2. L’amour à trois, est-ce un défi raté ?

Qu’on se le dise !

vendredi 30 décembre 2011

Le Sage, le Flic et le Suspect

Par Simone Duchmole, officier de police judiciaire, que mes lecteurs actifs en commentaires connaissent bien, à qui je souhaite la bienvenue comme auteur invitée et que je remercie pour sa participation à ce débat.


Je ne vous le cache pas : je me réjouis de la décision du Conseil Constitutionnel en date du 18.11.2011 sur l’audition dite « libre » des suspects et sur l’impossibilité pour les avocats d’accéder, au moment de la garde à vue, aux pièces du dossier.

J’entends bien ceux qui y voient une démission des Sages de la rue de Montpensier, arguant, consternés, que ces derniers font fi des règles fondamentales pourtant réaffirmées avec force depuis plusieurs années par les magistrats européens de Strasbourg (où l’herbe est si verte). Oui, j’entends tout cela. Mais je ne peux m’empêcher de me réjouir car je constate que cette prestigieuse institution (cela dit sur ce point le doute m’assaille, il suffit notamment de voir son attitude vis à vis des comptes de campagne du candidat Balladur en 1995 pour se rendre compte du malaise)… que cette prestigieuse institution, donc, garde une conception du « procès pénal » proche de la mienne. En tout cas, c’est comme cela que je l’interprète. Et cette joie m’a donné envie de coucher quelques remarques sur le papier. Je remercie donc Maître Eolas de m’avoir ouvert son blog malgré nos avis très divergents sur le sujet.

Pour mieux comprendre mon point de vue, commençons par des choses simples, ce qui, pour une fonctionnaire de police, n’étonnera personne. Nous, les flics, à quoi servons nous exactement, à part bien sûr harceler les automobilistes ou déloger brutalement de sympathiques manifestants ? L’article 14 du Code de Procédure Pénale résume, en quelques mots, notre mission, en tout cas celle de la Police Judiciaire à laquelle j’appartiens : nous sommes chargés de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, et ce tant qu’une information n’est pas ouverte (donc tant qu’un juge d’instruction n’est pas saisi). Comme vous le voyez, nous n’intervenons que de manière limitée dans le « procès pénal », concept beaucoup plus large comprenant notamment la phase essentiel du jugement. Pour faire simple, nous recherchons, au cours de nos enquêtes, tous les éléments utiles permettant à la Justice de se prononcer d’abord sur les éventuelles poursuites puis sur la culpabilité de la personne poursuivie.

Et dans le cadre de cette recherche, il nous arrive de mettre en œuvre une mesure devenue emblématique : la garde à vue.

Évacuons tout de suite la question des conditions matérielles de cette dernière. On en parle depuis longtemps et c’est bien souvent le premier grief formulé par ceux qui ont la « chance » de passer dans nos locaux, dans ces cellules exigües, inconfortables et bien souvent malodorantes. L’État estime peut-être que la brièveté du séjour ne mérite pas que soit consenti un effort particulier. On s’en tient donc au strict minimum, aussi bien en ce qui concerne le mobilier (le béton redevient cependant tendance) que la propreté (un coup de serpillière quand le personnel en charge du ménage y pense, c’est largement suffisant). Voilà un chantier qui aurait du être engagé depuis longtemps.

Évacuons ensuite son caractère d’« indicateur d’activité ». C’était le cas il y a encore quelques mois mais la politique en la matière a changé. Il y a peu, plus vous faisiez de gardes à vue, plus vous montriez le dynamisme de votre service. Aujourd’hui, tout cela est bien fini. En caricaturant un peu, je dirais qu’il ne faut dorénavant faire de la garde à vue que lorsque vous ne pouvez pas faire autrement. Convoquer votre mis en cause pour le lendemain, en vue d’une audition libre, au lieu de régler le problème immédiatement est l’attitude préconisée, du moins pour les plus petits délits… même si cela complique votre tâche. Et tout cela pourquoi ? Parce que l’augmentation du nombre de gardes à vue a fini, assez logiquement, par marquer les esprits et parce que, très certainement, la présence accrue des avocats au cours de ces mesures a un coût que l’administration compte bien minorer.

La réforme adoptée en 2011 et entrée en vigueur en juin dernier a posé les bases suivantes : Ne peut faire l’objet d’une garde à vue que la « personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement ». Il s’agit d’une mesure de contrainte décidée par un Officier de Police Judiciaire, seul (mais pas de façon arbitraire) ou sur instruction du Procureur de la République. Cette mesure doit constituer l’unique moyen de parvenir à l’un des six objectifs énumérés par l’article 62-2 du Code de Procédure Pénale (1-Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne, 2-Garantir sa représentation devant le procureur afin que ce dernier puisse apprécier la suite à donner à l’enquête, 3-Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices, 4-Empêcher la personne de faire pression sur les témoins ou les victimes, 5-Empêcher que la personne ne se concerte avec les éventuels co-auteurs ou complices, et enfin 6-Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit).

Très souvent, j’entends que les policiers se contentent de vagues soupçons pour placer en garde à vue leurs clients alors qu’ils feraient mieux de pousser un peu leurs investigations avant de les passer à la question. Cette attitude s’expliquerait par leur probable fainéantise et surtout le culte sans pareil voué aux aveux. Non, les enquêteurs ne se disent pas en recevant leurs dossiers : « Il y aurait bien quelques trucs à faire pour démontrer l’infraction et confondre son auteur, mais je vais me contenter de placer en garde à vue le suspect et lui faire avouer son forfait. »

Ce sont les circonstances qui l’emportent bien souvent. La plupart des dossiers donnant lieu à des gardes à vue sont a priori traités en flagrance, c’est à dire quand le crime ou le délit se commet au moment de l’intervention des forces de l’ordre ou quand il vient de se commettre. Et là c’est l’urgence qui prédomine. Le suspect est interpellé puis interrogé en même temps que sont récoltés les éléments de preuve. Il est difficile de remettre une convocation pour la semaine suivante à une personne poursuivie par la clameur publique et « accusée » d’avoir commis dix minutes plus tôt un vol avec violences, un viol ou un meurtre. Oui, de simples soupçons suffisent pour que l’on décide de vous retenir un moment afin d’y voir plus clair. Comment faire autrement lorsqu’une femme de ménage sort d’une chambre d’hôtel en accusant un client de l’avoir agressée ? Comment faire autrement lorsqu’un jeune homme connu pour agression sexuelle présente des griffures au visage et a été aperçu en compagnie d’une camarade de classe peu de temps avant que celle-ci ne disparaisse mystérieusement ?

Nos dossiers permettent heureusement parfois que soient engagées de multiples investigations avant l’audition du suspect. Mais l’absence d’élément probant, en raison par exemple de l’ancienneté des faits, ou l’existence d’un simple faisceau d’indices, ne rend pas pour autant injustifiées les auditions sous le régime de la garde à vue. Et il arrive de devoir précipiter une garde à vue parce qu’un événement inattendu bouleverse le déroulement normal de l’enquête.

Privé de liberté (rassurez vous, pour une durée très limitée), contraint de rester à la disposition des policiers pour tous les actes qu’ils jugeront utiles à la manifestation de la vérité (cette fameuse vérité que les avocats nous présente toujours comme une chimère), le suspect dispose néanmoins (et fort heureusement) de droits. Ils ne sont certes pas très nombreux mais permettent de ne pas se sentir isolé, seul face à l’oppresseur. Le suspect peut donc (n’est évoqué ici que le régime de droit commun, histoire de ne pas compliquer mon propos), et ce depuis le 01.06.2011 (ne revenons pas sur les régimes antérieurs), après avoir été avisé de la nature et de la date des faits reprochés :

- faire prévenir un proche (et non pas passer un coup de téléphone lui-même, nous ne sommes pas aux États-Unis)

- être examiné par un médecin qui se prononcera sur la compatibilité de son état de santé avec la mesure de garde à vue et administrera des soins si nécessaires

- s'entretenir avec un avocat au début de la mesure ainsi qu’au début de l’éventuelle prolongation, de manière confidentielle et pendant 30 minutes (Une demi-heure durant laquelle aborder le fond de l'affaire n'est pas interdit. Néanmoins le suspect ayant la fâcheuse tendance à mentir, même à son avocat, nous comprenons la difficulté de la tâche de ce dernier) et se faire assister au cours des auditions (mais pas des autres actes, comme les perquisitions par exemple). Cette assistance est bien sûr gratuite, laissée à la charge des contribuables, et ce quels que soient les revenus du suspect. Bien évidemment, si celui-ci choisit d’être assisté par un avocat particulier, ce sera à lui de régler les honoraires. D’où parfois la réticence de certains avocats à se déplacer et/ou rester pour des clients qu’ils connaissent peu ou pas et dont ils redoutent l'insolvabilité.

L'assistance de l'avocat au cours des auditions est donc la grande avancée de la dernière réforme sur la garde à vue. Cette dernière, adoptée dans la difficulté sous la pression des instances judiciaires nationales et supra-nationales, laisse cependant les avocats toujours aussi insatisfaits. En effet, si les portes de nos bureaux leur sont désormais ouvertes, ils enragent de ne pouvoir intervenir au cours des auditions (peur du syndrome de la plante verte ?). Certes ils peuvent toujours rédiger des observations sur ce qu'ils voient et entendent, et même poser des questions à la fin de chaque audition (ce qui n’est pas rien), mais ils voudraient prendre la parole pour orienter, au fur et à mesure de l'audition, leurs clients.

Ils exigent aussi et avant tout de pouvoir prendre connaissance du dossier pour organiser la défense. C’est le nœud principal de la discorde et un des objets de la récente décision, négative (mais très positive) du Conseil Constitutionnel. Les avocats s'estiment particulièrement floués puisque selon eux l'accès au dossier est un élément fondamental dans l'organisation de la défense, défense qu'ils doivent pouvoir exercer librement. « Comment défendre mon client si je ne sais pas ce qui lui est reproché ? » En réalité, en s'entretenant avec leurs clients puis en écoutant les questions posées par les enquêteurs, il leur est certainement possible de se faire une idée plus ou moins précise de la nature exacte des faits reprochés, des circonstances dans lesquelles ils ont été commis et des éléments en possession des enquêteurs.

La Cour Européenne des Droits de l'Homme, dans son interprétation du « procès équitable », exigerait, selon eux, que les suspects bénéficient d'une défense sans entrave, et ce dès le début de l'enquête. C’est oublier que la Cour a eu l’occasion d’indiquer que cette équité s’apprécie au regard de la procédure pénale dans son ensemble. C'est aussi refuser de voir dans le procès pénal un processus complexe composé de plusieurs phases. Et celle qui nous intéresse ici, l'enquête policière, doit être distinguée, selon moi, des phases d' « inculpation » et de jugement. Comme l'ont rappelé les Sages, lors de la garde à vue, qui n'est qu'un acte d'enquête parmi d'autres au moment où les policiers et gendarmes tentent de recueillir tous les éléments utiles à la manifestation de la vérité, l'avocat présent n'a pas vocation à plaider et à discuter du bien-fondé des actes accomplis. Les bureaux des forces de l'ordre ne sont pas des prétoires. Nous agissons dans une phase qui ne laisse sciemment pas le contradictoire prendre sa pleine mesure. Il le fera éventuellement par la suite (notamment au moment du jugement, du moins en théorie). Nos investigations sont certes attentatoires aux droits et aux libertés, mais c'est la nature même de notre mission qui l'exige. Les preuves, il faut que nous allions les chercher, les débusquer et parfois les arracher.

L'égalité des armes à ce stade des investigations est une vaste plaisanterie. Il ne faut absolument pas « juridictionnaliser » la garde vue, ni d’ailleurs l'enquête de police dans son ensemble. Certains exigent en effet que la garde à vue, et d’une manière générale la phase d’enquête, devienne pleinement contradictoire. Cette volonté provient certainement du fait que le contradictoire semble aujourd’hui malmené au cours de nombreuses procédures de jugement (notamment celles dites simplifiées). Le voir, pour pallier cette situation, s’installer dans les bureaux des enquêteurs peut paraître séduisant mais ce serait une erreur. La phase d’enquête n’a pas à souffrir des problèmes liés à l’engorgement des tribunaux.

Je le répète, je suis donc contre l'accès au dossier à ce stade des investigations Le mis en cause n'a pas à prendre connaissance de l'intégralité des éléments à disposition des enquêteurs. Pour arriver à savoir ce qu'il s'est vraiment passé, il faut parfois mettre le suspect face à ses contradictions, ses incohérences, ses élucubrations, en passer par des questions auxquelles on sait pertinemment qu'il mentira pour ensuite lui présenter, de manière calculée, les éléments qui démonteront son discours. Lui présenter dès le départ les pièces du dossier par le biais de son conseil, c'est l'éclairer totalement sur ce que nous savons (et donc ce que nous ne savons pas encore), c'est lui permettre d'élaborer un discours adapté.

Je suis également contre l'accès aux dossiers car certains d'entre eux contiennent des informations qui ne peuvent être divulguées, à ce stade de l'enquête. Je fais référence ici à tous les actes en cours ou à venir qui seraient mis en danger en cas de « publicité ».

Et ce n’est pas jeter la suspicion sur les avocats que de leur refuser, à ce stade du processus pénal, l’accès à notre procédure. Mais tout bon avocat utilisera les éléments qui lui seront présentés (tous, y compris et surtout ceux qui pourraient réduire à néant l’enquête) pour mener à bien sa mission, à savoir défendre les intérêts de son client (intérêts qui n’ont parfois rien à voir avec la manifestation de la vérité), et ce, sans enfreindre la moindre règle déontologique.

Alors, certes, beaucoup de dossiers ne contiennent pas grand chose et leur caractère confidentiel ne rime pas à grand chose. Mais accepter un accès total et sans condition à la procédure c'est potentiellement mettre en péril des dossiers complexes et/ou sensibles.

Maître Eolas a évoqué un compromis, à savoir un système dans lequel l’accès au dossier serait de droit mais susceptible de faire l’objet d’un report sur décision des autorités judiciaires. C'est une solution envisageable (mais que je ne souhaite pas) même si je reste persuadée que les avocats monteront au créneau à chaque fois que cet accès leur sera refusé.

La garde à vue ne concerne, faut-il le rappeler, qu'environ un mis en cause sur deux. 50% des suspects sont donc entendus en « audition libre ». Comme chacun sait, cette question me tient à cœur car c'est une vieille pratique que je défends ici depuis longtemps. Mes dossiers ne nécessitent pas souvent la mise en œuvre d'une garde à vue. Et cela n'a rien à voir avec le fait que l'audition se déroule hors présence d'un avocat. Contrairement à ce que sous-entend souvent le Maître des lieux, on ne choisit pas l'audition libre pour se débarrasser des avocats (c’est une vision assez nombriliste de la situation), on le fait parce qu'elle s'adapte mieux aux circonstances. La lourdeur et le caractère infamant (entre autres) de la garde à vue me paraissent suffisamment importants pour que je n’use de cette mesure qu’avec parcimonie.

Bref, le Conseil Constitutionnel a défendu l’existence d’une telle audition, malgré le contexte actuel, au grand désespoir des avocats qui ne se voient toujours pas invités à y assister. Les Sages exigent néanmoins que soit réelle la liberté dont jouissent ceux qui sont ainsi interrogés hors du régime de la garde à vue par les forces de l’ordre. A titre de garantie, les informations suivantes doivent être délivrées aux mis en cause avant toute question sur le fond :

- nature et date de l’infraction que la personne est soupçonnée avoir commise

- droit de mettre fin à tout moment à l’entretien en quittant les locaux de police ou de gendarmerie.

Pour info, je n’ai pas attendu la décision des Sages pour informer mes convoqués de leur possibilité de mettre fin à tout moment à l’entretien. Je le fais depuis plusieurs mois, et jusqu’à présent personne ne s’est levé pour quitter mon bureau. Personne n’est monté sur ses grands chevaux pour exiger la présence d’un avocat à ses côtés. Et tous, avec plus ou moins d’entrain, ont bien voulu répondre à mes questions. Le désir de donner leur vision des évènements était visiblement plus fort que le reste.

Alors, bien sûr, j’entends d’ici ceux qui prétendent que notre suspect n’a pas vraiment le choix, que, malgré ces petites garanties procédurales, il n’acceptera son sort qu’en raison de la menace sourde qui pèse sur lui (serait-ce la présence de mes bottins, négligemment posés sur le bord de mon bureau ?). Pourtant, que risque le suspect qui n’apprécie pas ce choix ? Au mieux, rentrer tranquillement chez lui. Au pire, se retrouver en garde à vue et donc bénéficier de ces droits dont il rêvait tant et que le fourbe enquêteur n’avait pas voulu lui accorder. Je précise, en ce qui me concerne, que seule la première option trouve grâce à mes yeux. En effet, si j’ai choisi d’entendre librement mon suspect, ce n’est pas pour changer d’avis en chemin uniquement parce que celui-ci ne veut pas répondre à mes questions. Si j’avais voulu le contraindre à passer quelques heures en ma compagnie, je l’aurais placé en garde à vue tout de suite. La poursuite de mes investigations m’obligera cependant peut-être à le recroiser dans des circonstances moins agréables pour lui.

Malgré cette sage décision du Conseil Constitutionnel, nous constatons que la mobilisation des avocats reste entière. Ils continuent de demander l’accès au dossier et estiment que tout suspect, privé ou non de liberté, doit pouvoir être assisté d’un conseil. Bien que de nombreux parlementaires semblent aujourd’hui prêter une oreille attentive à ce discours, les espoirs de ces auxiliaires de justice reposent toujours sur les magistrats de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui, espèrent-ils, condamneront la France pour être restée sourde à leurs revendications. Mais attention, de grands espoirs peuvent parfois déboucher sur de grosses déceptions.

vendredi 2 décembre 2011

Avis de Berryer : Pierre Ménès

Peuple de Berryer ! Nos amis à l’ovalité contrariée ont eux aussi le droit à notre attention.

Quitte à faire dans l’incongruité, la Conférence, composée de 12 défenseurs, aura l’honneur de recevoir à leur attention le lundi 5 décembre 2011 à 21 heures, en Salle des criées, Pierre Ménès, journaliste sportif, qui bien qu’extérieur au monde de la justice, jouera à domicile tant le public lui sera acquis.

Au programme :

Première mi-temps : Le Café des Sports n’est-il qu’un bar à buts ?

Deuxième mi-temps : La mise en bière des supporters est-elle la mort du ballon de rouge ?

L’équipe de la Conférence sera disposée en 5-3-2, puisque le le portrait du visiteur sera dressé à deux voix par M.Pierre Reine, 3ème Secrétaire et M.Martin Reynaud, 5ème Secrétaire.

Comme toujours, l’entrée est libre pour les hooligans, sans réservation possible. Seuls les joueurs, que l’on souhaite ne pas être petits, doivent réserver.

Toute personne, footballeur ou non, peut assister à la Conférence Berryer.

Les candidats (et non les spectateurs) sont invités à s’inscrire auprès de l’arbitre, M. Matthieu Hy, 4ème Secrétaire :

Tél : 01.77-32.13.61 / hy.avocat[at]gmail.com

Bon match.

jeudi 1 décembre 2011

La minute électorale

Bon, je m’y étais pris sur le tard l’année dernière, cette fois ci je m’y prends à l’avance. Ce billet s’adresse exclusivement à mes confrères parisiens.

Chers confrères,

Comme votre boîte mail engorgée vous l’aura immanquablement appris, les élections ordinales approchent : elles auront lieu les 6 et 7 décembre prochain. Nous avons à voter pour 13 candidats, et souvent, on ne sait pas à qui donner une de ces voix.

Je vous invite donc, comme je l’avais fait l’année dernière, à voter pour l’un d’entre eux, notre confrère Abderrazak Boudjelti. C’est un avocat très actif dans le domaine de la défense des étrangers, tout particulièrement de la défense d’urgence, et l’Ordre tirera le plus grand profit de ses compétences tant pour réagir aux évolutions de ce droit que pour l’organisation de cet aspect fondamental de la défense, très sollicité actuellement, alors même qu’une réforme profonde du droit de la reconduite à la frontière vient d’entrer en vigueur. J’en pense autant de bien que l’année dernière, et vous invite à joindre votre voix à la mienne.

J’ajoute que je n’ai aucune communauté d’intérêt avec lui (hormis un intérêt pour le droit des étrangers) : il n’est pas mon associé, je lui apporte mon soutien sans contrepartie, même si, full disclosure oblige, il m’a invité, à la suite de mon soutien de l’an passé, à aller déguster un couscous avec lui, invitation que je n’ai pas encore honorée à ce jour.

Merci à ceux d’entre vous qui voudront bien joindre leur soutien au mien.

Et pardon aux autres de vous avoir ennuyé avec ce sujet.

PS : je ne soutiendrai aucun autre candidat, inutile de me contacter pour cela.

mercredi 30 novembre 2011

Annonces en vrac

Quelques annonces qui peuvent intéresser mes lecteurs.

Je serai dans une heure environ l’invité de Métro France pour un tchat d’une heure environ sur leur site sur la justice, l’actualité judiciaire, la vie, l’amour et la mort.

Ça se passera par ici. Le temps de lire les questions, d’y répondre, et de les publier, je ne pense pas pouvoir répondre à plus d’une vingtaine, ne vous faites pas d’illusions. Je mettrai un lien vers le transcript final.


Une nouvelle Berryer s’annonce, le jeudi 1er décembre soit demain. En voici l’annonce officielle :

Les Commissaires du jeune Barreau de Bruxelles, les Secrétaires du jeune Barreau de Genève et les Secrétaires de la Conférence du Barreau de Paris auront l´honneur de recevoir, le jeudi 1er décembre 2011 en Salle des Criées, Monsieur Arié Elmaleh, acteur.



Les sujets proposés aux valeureux candidats sont les suivants :

1. Fallait-il choisir une lascive ordinaire alors qu´Ariel m´allait ?

2. Une Belge nette peut-elle rater un Suisse hideux ?

Le portrait approximatif sera dressé par Mlle Julia Katlama, 7ème Secrétaire.

Comme toujours, l’entrée est libre, sans réservation possible.

Toute personne, avocat ou non, peut assister à la Conférence Berryer.

Les candidats (et non les spectateurs) sont invités à s’inscrire auprès de M. Matthieu Hy, 4ème Secrétaire :

Tél : 01.77-32.13.61 / hy.avocat[at]gmail.com”


Enfin, je rapporte ici le mouvement de grève des audiences lancé par mes confrères intervenant habituellement devant la Cour nationale du droit d’asile, pour protester contre les modalités déplorables et inacceptables de défense au titre des commissions d’office : 12 dossiers par jour, impossibles à préparer dans des conditions satisfaisantes alors que c’est la dernière chance du demandeur d’asile et la seule fois où il peut être assisté d’un avocat. J’approuve et soutiens ce mouvement, sans réserve. Haut les coeurs, confrères.

Un article du nouvel obs sur ce sujet.

dimanche 27 novembre 2011

Garde à vue : la démission du Conseil Constitutionnel

Le 18 novembre dernier, le Conseil constitutionnel a examiné par le biais d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) la conformité à la Constitution de la réformes de la garde à vue entrée en vigueur le 1er juin dernier. Hormis une réserve d’interprétation qui n’est certes pas dénuée d’intérêt, le Conseil a déclaré la réforme conforme à la Constitution, écartant notamment le moyen tiré de l’absence d’accès au dossier, et le fait qu’en cas d’audition libre, c’est à dire d’interrogatoire d’une personne venue sans contrainte au commissariat, elle ne bénéficie pas du droit à l’assistance d’un avocat (les autres griefs ne me paraissaient pas en effet relever de la procédure de QPC, j’y reviendrai brièvement).

Naturellement, je suis très déçu par cette décision sur l’accès au dossier et sur l’audition libre sans avocat, mais la parade existe pour cette dernière. Mes lecteurs savent bien que je participe, modestement, au combat pour cette réforme, qui n’est pas terminé, mais ma déception ne vient pas tant du fait que cette décision ne va pas dans mon sens mais du fait que le Conseil Constitutionnel, comme effrayé par sa propre audace de juillet 2010, quand il avait jugé que l’ancien régime de la garde à vue n’était pas conforme aux exigences constitutionnelles, a renoncé, vous allez le voir, à aller au bout des principes qu’il avait alors posés.

Après vous avoir expliqué dans ce billet ce qu’a dit le Conseil et en quoi à mon sens il a déchu, je vous inviterai dans un prochain billet à faire un petit point sur l’état actuel de la garde à vue, et les conséquences à en tirer sur l’exercice de la défense. Les étudiants en droit qui me lisent auront reconnu ici une problématique et une annonce de plan on ne peut plus académique.

La décision du Conseil constitutionnel donc.

Re-situons un peu le débat.

Le 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le régime de garde à vue tel qu’il existait, c’est à dire avec une intervention d’un avocat limitée à un entretien confidentiel de 30 minutes en début de garde à vue et en cas de prolongation, cet entretien étant repoussé dans des affaires de délinquance et criminalité organisée, stupéfiants et terrorisme.

Ce ne fut pas un coup de soleil dans un ciel bleu, loin de là. Des coups de boutoirs résonnaient régulièrement depuis la Cour européenne des droits de l’homme, qui a condamné la Turquie, puis l’Ukraine, précisément pour interdire l’assistance d’un avocat au cours des gardes à vue, c’est-à-dire chaque fois que des propos pouvant incriminer le gardé à vue étaient reçus.

Ce qui a condamné l’ancien système, pour le Conseil, est que les dispositions légales en vigueur alors autorisaient l’interrogatoire d’une personne gardée à vue mais ne permettaient pas à la personne ainsi interrogée, alors qu’elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat ; le Conseil a donc estimé; et j’attire votre attention sur cette phrase (considérant n°28), qu’une telle restriction aux droits de la défense est imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes. Le Conseil constate enfin que la personne gardée à vue ne recevait pas la notification de son droit de garder le silence.

Voilà la règle posée : une restriction aux droits de la défense imposée de manière générale et sans considération des circonstances particulières pouvant la justifier, c’est niet. Je ne pouvais qu’applaudir et boire une Guinness.

Vint alors la loi sur la garde à vue. Le législateur semblait avoir compris le message, et l’appliquer, certes sans enthousiasme, mais avec une résignation républicaine, allant au-delà de la décision en supprimant l’intervention repoussée de l’avocat dans les gardes à vue dérogatoires (délinquance organisée, stups, terrorisme), et en remplaçant cela par la possibilité offerte au parquet de décider, dans toutes les procédures, de repousser de 12 heures l’intervention de l’avocat, et de 24 heures avec l’accord du juge, à condition de motiver sa décision, ce qui implique que si le tribunal devait par la suite estimer ces motifs injustifiés, les déclarations reçues en garde à vue étaient susceptibles d’être annulées. C’est l’article 63-4-2 du Code de procédure pénale (CPP).

Pour la petite histoire, j’ai constaté que dans mes premiers dossiers suivant l’application de cette loi, plusieurs OPJ, pour manifester leur mécontentement, demandaient à ce que l’intervention de l’avocat soit repoussée, y compris dans des dossiers banals d’outrage-rébellion. Le parquet a systématiquement refusé ces demandes infondées, et c’est tout à son honneur. Du coup, ces demandes mécaniques ont rapidement disparu.

Mais il y eut l’article 63-4-1. Et là, on est proche de la malfaçon législative, et encore dans le meilleur des cas.

Cet article, source de tous mes maux, est ainsi rédigé.

À sa demande, l’avocat peut consulter le procès-verbal établi en application du dernier alinéa de l’article 63-1 constatant la notification du placement en garde à vue et des droits y étant attachés, le certificat médical établi en application de l’article 63-3 [Il s’agit du certificat dressé par le médecin quand le gardé à vue a demandé à bénéficier d’un examen médical visant à s’assurer que son état de santé est compatible avec une garde à vue], ainsi que les procès-verbaux d’audition de la personne qu’il assiste. Il ne peut en demander ou en réaliser une copie. Il peut toutefois prendre des notes.

Passons sur cette ridicule autorisation de prendre des notes. Cet article a rapidement été interprété comme constituant la liste exhaustive des pièces auxquelles nous avons accès, bien qu’il ne le dise pas expressément. C’est ce sens que lui donne d’ailleurs le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 novembre 2011, j’en prends acte. C’est d’ailleurs confirmé par l’examen des débats parlementaires sur cet article, proprement affligeants. C’était à la session du 20 janvier 2011, sur l’article 7 de la loi qui crée ce fameux article 63-4-1 du CPP. Voici ce que va dire le Garde des Sceaux pour justifier d’écarter l’amendement prévoyant un droit d’accès au dossier pour l’avocat.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je crois qu’il ne faut pas se méprendre. Dans la plupart des cas, la garde à vue est, heureusement, une phase très courte : plus de 80 % des gardes à vue ne dépassent pas douze heures. Dans ce cas, le dossier n’est pas très épais ; en cas de flagrance, il n’y a pas de dossier du tout.

Le dossier se constitue donc au fur et à mesure, et on ne peut pas communiquer un dossier qui, par nature, n’existe pas. Il ne s’agit pas de cacher quoi que ce soit à l’avocat, mais on ne peut pas lui donner quelque chose qui n’est qu’en cours de constitution, puisque la garde à vue a justement pour objet d’aider à la constitution d’un dossier.

Je comprends donc bien le but poursuivi par M. Raimbourg, mais je pense que ces amendements devraient être retirés.

Affligeant. En cas de flagrance, il n’y a pas de dossier du tout ? Les policiers qui me lisent vont s’étrangler. Pour info, le dernier dossier de flagrance que j’ai traité faisait 132 pages au terme de la garde à vue. Quant à l’affirmation selon laquelle je demanderais à accéder à un dossier qui n’existe pas, je rassure notre garde des Sceaux, ma demande ne porte que sur les pièces qui existent. Concrètement, la plainte de la victime, ou ce qu’on appelle la saisine-interpellation quand les policiers constatent eux-même une infraction (en “flag”), et les éventuelles dépositions de témoins.

Là où le bat me blesse, c’est que, comme vous l’avez remarqué, cette règle est générale et s’applique à toutes les gardes à vue et à toutes les pièces de la procédure, sans la moindre distinction. Or me refuser d’accéder à ces pièces, c’est entraver mon action d’avocat. C’est une restriction aux droits de la défense. Nul ne peut en disconvenir.

Or qu’avait dit le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010 pour censurer l’ancien système, déjà ? Une telle restriction aux droits de la défense est imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes.

Si le Conseil avait été cohérent, il aurait dû censurer cet article 63-4-1 du CPP et imposer par exemple un système analogue à celui du 63-4-2 : le dossier peut être si les cirocnstances l’imposent et seulement dans ce cas, dans un premier temps caché à l’avocat, sur décision du procureur et du juge selon le délai.

Mais cohérent, il ne le fut pas. Sa décision du 18 novembre tient de l’esquive pure et simple puisqu’il ne se prononce même pas sur la pertinence de ces arguments.

Voici ce que dit cette décision sur l’article 63-4-1 du CPP. C’est le Considérant n°28.

comme le Conseil constitutionnel l’a jugé dans sa décision du 30 juillet 2010 susvisée, les évolutions de la procédure pénale qui ont renforcé l’importance de la phase d’enquête policière dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée doivent être accompagnées des garanties appropriées encadrant le recours à la garde à vue ainsi que son déroulement et assurant la protection des droits de la défense ;

Jusque là nous sommes d’accord. Voyons donc ce qu’il en est des garanties appropriées assurant la protection des droits de la défense, non ? Non.

(…) les dispositions contestées n’ont pas pour objet de permettre la discussion de la légalité des actes d’enquête ou du bien-fondé des éléments de preuve rassemblés par les enquêteurs, qui n’ont pas donné lieu à une décision de poursuite de l’autorité judiciaire et qui ont vocation, le cas échéant, à être discutés devant les juridictions d’instruction ou de jugement ; (…) elles n’ont pas davantage pour objet de permettre la discussion du bien-fondé de la mesure de garde à vue enfermée par la loi dans un délai de vingt-quatre heures renouvelable une fois ;(…), par suite, les griefs tirés de ce que les dispositions contestées relatives à la garde à vue n’assureraient pas l’équilibre des droits des parties et le caractère contradictoire de cette phase de la procédure pénale sont inopérants.

Inopérants, c’est à dire que quand bien même ces griefs seraient bien fondés (et ils le sont), ils ne sont pas de nature à entrainer l’inconstitutionnalité du texte.

Là, j’ai du mal à comprendre. Le Conseil dit en 2010 que les évolutions de la procédure doivent être accompagnées des garanties appropriées protégeant les droits de la défense, et il censure l’ancienne garde à vue pour ce motif ; aujourd’hui, on lui dit que la nouvelle loi ne comporte toujours pas les garanties appropriées protégeant les droits de la défense, et il répond que ces griefs sont inopérants. À croire qu’effrayé par sa propre audace, le Conseil constitutionnel fait machine arrière toute et, vous le verrez dans le prochain billet, se défausse complètement sur la Cour européenne des droits de l’homme, qui ne pourra qu’imposer cette solution, puisqu’elle tente déjà de le faire.

Comme toujours, celui qui souhaite comprendre ce que dit le Conseil constitutionnel va lire le commentaire de la décision aux Cahiers du Conseil constitutionnel(pdf).

On y apprend ainsi que le Conseil a décidé de distinguer les exigences du procès équitable et les droits de la défense, et cette distinction le conduit à séparer deux phases dans la procédure : la garde à vue, qui est une mesure de police judiciaire, et la phase judiciaire, devant le juge, où le rôle de la défense pourra s’exercer pleinement (ou même s’exercer tout court), avec accès au dossier, droit à l’avocat, etc. Le Conseil refuse de juridictionnaliser la garde à vue en donnant au gardé à vue le droit de discuter cette mesure, tant en légalité qu’en opportunité, cette contestation devant prendre place devant le juge.

Je disconviens respectueusement.

Cette distinction est totalement arbitraire et ne repose sur rien dans la Constitution. Elle va même totalement à contre-courant de la Convention européenne des droits de l’homme, qui certes ne fait pas partie de la Constitution, mais celle-ci ne perd rien à être interprétée de façon conforme aux engagements internationaux de la France en matière de droits de l’homme. Il n’y a rien d’incongru à ce que la France applique sa norme suprême de manière conforme aux traités qu’elle signe quand on touche aux droits de l’homme.

La garde à vue est avant tout une mesure privative de liberté frappant une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction lui faisant encourir une peine d’emprisonnement, et visant à réunir les preuves de cette infraction, ses déclarations en faisant partie au premier chef. Elle est particulièrement éprouvante, tant physiquement que psychologiquement, les conditions de détention étant bien plus dures en garde à vue qu’en prison. Une cellule de garde à vue, c’est une pièce de quelques mètres carrés, avec un banc en ciment, trois murs opaques et un quatrième en verre blindé. Je n’ai vu des toilettes (à la turque) dans des cellules de garde à vue que dans un seul commissariat pour le moment (celui du 17e arrdt, rue Truffaut, qui vient d’être refait à neuf). Ça veut dire que dans tous les autres, il vous faut quémander pour aller uriner ou plus si affinités. Pas de fenêtre vers l’extérieur, avec ce qu’il en découle au niveau de l’aération (il y est suppléé par l’usage généreux de désodorisant/désinfectant en spray). Vous y périssez d’ennui car vous n’avez ni télévision, ni radio, ni même de livre dans le cas peu probable où vous en auriez eu un sur vous au moment de votre arrestation, tous vos effets personnels (lunettes, montre, ceinture, lacets, cravate) étant écartés pour des motifs de sécurité. Curieusement, ces mêmes effets vous sont laissés en prison, leur dangerosité disparaissant mystérieusement lors de votre écrou.

Face à cette atteinte grave (grave ne voulant dire nécessairement injuste, inutile ou illégale, mais ce n’est pas non plus incompatible), le Conseil nous dit benoîtement et sans rire : pas de problème, vous pourrez la contester… quand elle sera finie. L’intérêt de la chose est tout de même fortement réduit, admettez-le.

Je ne puis être d’accord, nonobstant mon respect pour le Conseil. Dès lors qu’il y a privation de liberté, qui rappelons-le est selon notre Constitution est un des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme dont la conservation est le but de toute association politique (Art. 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789), il y a exercice de la force par l’État, et les droits de la défense doivent pouvoir s’exercer à plein car c’est la seule protection du Citoyen contre l’arbitraire de l’État. C’est pour jouir de cette protection contre l’arbitraire que nous avons fait la Révolution il y a deux siècles, pas pour substituer à l’arbitraire du monarque absolu celle de l’officier de police judiciaire. Distinguer entre la privation de liberté dans les geôles d’un commissariat et celles du Palais de Justice, c’est une vue de l’esprit. L’État a beaucoup de geôles, mais nous n’avons qu’une liberté.

Ce qui me désole est qu’une fois de plus, c’est de l’Europe que viendra le Salut ; je préférerais que la France donne l’exemple en matière de droits de l’homme plutôt que recevoir des leçons.

En effet, cette position va frontalement à l’encontre de la Convention européenne des droits de l’homme, et en l’appliquant, nous nous exposons à des condamnations à répétition devant la Cour. Car Ce n’est pas que nous n’ayons pas l’habitude, mais en ces temps de crise, les deniers de l’État pourraient être mieux employés. Ce serait dommage de perdre notre AAA à cause de violations des droits de l’homme… En effet, l’arrêt Dayanan c. Turquie de la Cour européenne des droits de l’homme, que mes lecteurs connaissent bien, pose dans son §32 que :

32. Comme le soulignent les normes internationales généralement reconnues, que la Cour accepte et qui encadrent sa jurisprudence, un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit (pour les textes de droit international pertinents en la matière, voir Salduz, précité, §§ 37-44). En effet, l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer.

Cette jurisprudence, qui est aussi claire que la volonté des magistrats français de ne pas l’appliquer, exige une intervention sans entrave de l’avocat dès la privation de liberté, qui est le seul critère pertinent. Elle exige nécessairement l’accès au dossier puisque nous sommes censés préparer les interrogatoires, organiser la défense, rechercher des preuves favorables à l’accusé, qui bien souvent se trouvent dans le dossier, quand on le lit avec un œil un peu critique, les procureurs le savent bien, et en tout état de cause, c’est là que se trouvent les éléments nous permettant de préparer les interrogatoires (plainte de la victime, audition des témoins et des policiers eux-même en cas de “flag” et d’organiser la défense, qui peut très bien être : “arrêtez avec votre baratin à deux balles, il y a toutes les preuves contre vous, reconnaissez les faits, c’est dans votre intérêt”. Dire comme le fait le Conseil que cette phase est de pure “police judiciaire”, ce qui justifie que l’avocat soit maintenu dans l’impuissance jusqu’à ce qu’il soit trop tard, n’est pas conforme à la CEDH, mais aussi aux normes internationales généralement reconnues, dixit la Cour. Bref, nous avons ici une exception française qui n’est pas à notre gloire.

Enfin, pour tous ceux qui reprocheront aux juristes de planer dans l’exosphère juridique au point d’en oublier la pratique, reproche absurde au demeurant car il n’y a pas matière plus concrète que le droit, mon prochain billet redescendra au ras des pâquerettes pour faire un bilan pratique du nouveau régime et vous inviter à réfléchir aux conséquences à tirer de cette décision et de son volet “audition libre”. Au mépris du risque de paradoxe, on y parlera beaucoup du silence.

vendredi 18 novembre 2011

Avis de Berryer : Gilbert Montagné

Peuple de Berryer !

La Conférence 2011 agonise mais n’a pas dit son dernier mot. Avant de rendre son dernier râle, elle recevra le mardi 22 novembre à 21 heures,en Salle des criées, Monsieur Gilbert Montagné, Chanteur.



Les sujets proposés aux valeureux candidats sont les suivants :



1. Liberté, faut-il brailler ton nom ?

2. La musique de droite est-elle l’honneur de la légion ?

Le rapport sera rendu par Mlle Alexandra Bourgeot, 10ème Secrétaire.

La Conférence profitera de cette occasion pour présenter au monde ébloui sa progéniture, qui vient d’éclore et la dévorera le 1er janvier prochain.

Comme toujours au Palais, l’entrée est libre (c’est la sortie qui se négocie), sans réservation possible.



Rappel : toute personne, avocat ou non, peut assister à la Conférence Berryer.



Les candidats (et non les spectateurs) sont invités à s’inscrire auprès de M. Matthieu Hy, 4ème Secrétaire :



Tél : 01.77-32.13.61 / hy.avocat@gmail.com

samedi 12 novembre 2011

Attention manip : le "pacte 2012" de "l'Institut pour la Justice"

Depuis quelques jours, un appel à signer un “Pacte pour la justice” en vue de l’élection présidentielle de 2012 circule sur internet, émanant de l’Institut pour la Justice (IPJ), que mes lecteurs connaissent bien, hélas pour eux.

Dans un premier temps, j’ai consacré à cette initiative le traitement que je réserve à toutes celles de l’IPJ, c’est-à-dire mon plus profond mépris.

Mais je dois reconnaître que l’IPJ est en train de réussir son coup, avec sa méthode habituelle : mettre en avant la douleur d’une victime qui se défend de mettre en avant sa douleur, des affirmations que rien ne vient étayer si ce n’est la parole de la victime, étant entendu que quiconque est contre est un salaud qui méprise la douleur d’un père, un droitdel’hommiste bobo naïf, et bien évidemment l’ami du crime.

J’ai quand même été quelque peu soulagé de constater que sur la centaine de personnes qui m’ont signalé ce lien, la plupart avaient une approche méfiante et voulaient des explications. Car des explications, ce fameux message n’en contient pas le début d’une. Le lire avec un minimum d’esprit critique ne peut que révéler cette évidence, mais vous allez voir qu’il est fait justement pour neutraliser d’entrée votre esprit critique.

Puisque la justice, qu’invoque l’IPJ, mais seulement dans son intitulé, exige un débat ou chaque point de vue peut s’exprimer, je vais donc répondre à ce message, par des faits, des explications, des arguments, bref, par la Raison. Je suis désolé de devoir apporter une réponse critique à Joël Censier, dont je ne puis que comprendre la douleur et la colère, c’est une position que je n’apprécie nullement. Mais c’est lui qui a choisi de porter son histoire dans un débat public et d’en faire un argument politique. Je respecte ce choix, mais il entraine des conséquences, dont celle de devoir supporter la critique.

Commençons par une analyse du propos de Joël Censier, avant de terminer par une analyse de la démarche de l’IPJ, dont je rappelle qu’il n’est ni un Institut, ni pour la Justice, mais une simple association de 1901 essayant de promouvoir des thèses ultra-répressives sous un vernis pseudo-scientifique, qui revendique sur son site “400 000 sympathisants” mais non adhérents, c’est à dire des gens dont l’implication a été un clic sur internet mais dont aucun n’a souhaité verser la moindre cotisation. Les candidats sollicités feraient bien de s’en souvenir.

Le propos de Joël Censier

Je m’appelle Joël Censier, j’ai 52 ans et trente ans de police derrière moi. En vous envoyant cette vidéo, j’ai conscience de commettre un acte grave. Mais c’est une question de conscience.

Notez la dramatisation : le policier de trente ans commet un acte grave : il s’exprime. Car quelle que soit la critique qu’appellent ses propos, ils sont dans la limite de la liberté d’expression et sont parfaitement légaux. Son auteur ne s’expose à aucune sanction, aucune poursuite, rien. Mais sa “conscience” le pousse à “commettre un acte grave”. Un peu de dramatisation ne fait pas de mal.

Un de mes enfants, Jérémy, a été tué par un groupe de jeunes, alors qu’il rentrait à la maison. Ces jeunes, pour certains « bien connus des services de police », se sont déchaînés sur Jérémy, simplement parce qu’il était « fils de flic ». A dix contre un, ils l’ont tué avec une « barbarie inimaginable », selon les témoins et les médecins légistes.

Vous en avez sans doute entendu parler à la télévision, ou dans les journaux. C’était à Nay, une ville du Sud-Ouest, le 22 août 2009.

Retenez bien ces deux paragraphes. ce seront les seules présentations des faits auxquels vous aurez droit pour asseoir votre opinion.

La presse de l’époque est encore accessible en ligne (voir ici, ou ). Voici donc ce qu’on peut apprendre sur ce qui s’est passé.

Les faits ont eu lieu la nuit du vendredi 21 au samedi 22 août, à Nay, dans les Pyrénées Atlantiques. Le village célébrait sa fête traditionnelle. Vers 2 heures du matin, alors qu’il rentrait se coucher chez les amis qui l’hébergeaient (Jérémy habitait dans le Gers), il aurait aperçu une rixe qui opposait deux groupes (des gitans sédentarisés qui vidaient une querelle, semble-t-il). Il se serait approché de l’attroupement pour séparer les belligérants. Il semble établi qu’il ne s’est à aucun moment battu lui-même. Mais à peine était-il arrivé qu’une des personnes présentes, Samson G., mineur sans antécédents judiciaires, qui était semble-t-il déjà au sol quand Jérémy est arrivé, s’est relevé et lui a porté cinq coups de couteau, le premier à la poitrine, puis les autres à la poitrine et à la tête. L’autopsie a constaté que deux de ces coups étaient mortels, sans pouvoir déterminer celui des deux qui a été porté en premier et a donc été le coups mortel.

Le mineur a alors remis le couteau à une des personnes présentes en lui demandant de le faire disparaître. Ce mineur, auteur des coups, a été rapidement interpellé et a reconnu être l’auteur des coups de couteau. L’homme qui avait caché le couteau a été arrêté et a indiqué l’emplacement où il avait jeté le couteau (un canif dont la lame faisait 12 cm) qui a été retrouvé. Comme vous l’avez vu, il n’étaient pas dix, mais un. De plus, il est manifestement impossible que l’agresseur de Jérémy ait su que son père était policier puisque les faits ont eu lieu à Nay et que Jérémy habitait dans le Gers à 200 kilomètres de là et étaient hébergé chez des amis. Enfin, jamais les mots “barbarie inimaginable” n’apparaissent dans des rapports de médecins légistes qui emploient des termes techniques froids et descriptifs. D’ailleurs, Joël Censier a publié ce rapport sur le site consacré à cette affaire, et vous pourrez constater que ces termes n’apparaissent nulle part. En réalité, Jérémy Censier a reçu cinq coups de couteau dont deux mortels et des coups de pied une fois au sol. Voilà pour la “barbarie inimaginable”. Selon une technique qui sera employée tout au long, les faits vous sont cachés pour que votre imagination vole au secours de votre indignation.

La réaction judiciaire a été tout à fait normale : après une enquête de police visant à identifier et interpeller les responsables (avec succès ici), retrouver des témoins, faire les constations sur le lieu des faits avant que les indices ne disparaissent, enquête dite de flagrance, le procureur de la République de Pau, face à des faits sans nul doute criminels (il y a des violences volontaires reconnues et mort d’homme), a saisi un juge d’instruction pour continuer l’enquête. C’était obligatoire. Le mineur responsable des coups a été placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention de Pau, à la demande du juge d’instruction, de même que deux autres personnes soupçonnées dans un premier temps d’avoir participé aux faits (le frère du mineur et un ami de celui-ci), qui seront par la suite mises hors de cause sur la mort de Jérémy.

Comme nous le verrons, seul Samson G. a été finalement renvoyé devant la cour d’assises pour meurtre, cinq des sept autres personnes mises en examen seront jugées pour les faits de violences préméditées, c’est-à-dire la bagarre initiale à laquelle Jérémy était étranger, deux ont été mises hors de cause et ont bénéficié d’un non lieu.

La qualification des faits retenue est homicide volontaire pour la personne ayant porté les coups de couteau et violences volontaires en réunion ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de 8 jours.

Le cumul de qualification (homicide + violences avec ITT) s’explique par le fait que si cinq autres personnes présentes ont porté des coups à Jérémy, aucun de ces coups n’a été mortel ni n’a été porté avec l’intention de tuer. Ils ne peuvent donc être assimilé au crime de meurtre. On parle d’incapacité totale de travail de plus de 8 jours car c’est la mesure de la gravité des blessures non mortelles : si Jérémy avait survécu, il aurait eu une ITT de plus de 8 jours. Au-delà de cette limite, fixée par un médecin expert, on est en présence d’un délit, en deçà, d’une contravention. Mais la présence d’une ou plusieurs circonstance aggravante transforme toute violence même légère en délit. Ici, la réunion (violences commises par au moins deux personnes simultanément) est constituée, les auteurs des coups encourent donc cinq ans de prison.

Joël Censier oublie juste de vous dire que la qualification de meurtre a bien été retenue. Je comprends que tous ceux qui étaient présents sur le pont soient responsables de la mort de son fils à ses yeux. La justice se doit de porter sur les faits un regard objectif.

Reprenons les propos de Joël Censier.

Pour Corinne, mon épouse, et pour moi, la vie s’est arrêtée ce jour-là. Nos nuits et nos jours ne sont plus qu’une succession de cauchemars insupportables. Jusqu’à la fin de nos jours, nous pleurerons cet enfant que rien ni personne ne pourra nous rendre. Mais cette vidéo n’a PAS pour but de vous raconter notre histoire,

Et c’est bien dommage, puisqu’on nous demande de prendre position.

et encore moins de vous demander de nous plaindre.

Comme on va le voir, c’est ce qu’en rhétorique, on appelle une prétérition.

Ce n’est pas parce que notre enfant est mort que nous avons décidé de lancer cet appel. Si je vous parle aujourd’hui, c’est à cause de ce qu’il s’est passé après. Car cela concerne tous les citoyens qui, un jour peut-être, auront affaire comme nous à la Justice. Et nous ne voulons pas que d’autres connaissent ce que nous avons connu. Nous ne voulons pas que d’autres traversent les terribles épreuves que nous avons vécues après la mort de notre fils.

Comme beaucoup de victimes, nous avons cru que la Justice allait nous défendre. Qu’elle allait tout faire pour poursuivre les assassins. Ou qu’elle allait, au minimum, essayer de les empêcher de recommencer. Mais non, ce fut TOUT LE CONTRAIRE.

Tout le contraire ? Donc, nous allons avoir une démonstration que la justice ne fait rien pour poursuivre les meurtriers ou même les empêcher de recommencer, et qu’au contraire elle fait tout pour qu’ils recommencent. C’est ce qu’annonce sérieusement ce paragraphe. Retenez cette promesse. Vous allez voir qu’elle ne sera pas tenue. Ne serait-ce déjà que parce que le 15 août 2011, Samson G. a été renvoyé devant les assises pour le meurtre de Jérémy. La justice encourage les meurtriers en les jugeant aux assises ?

Dès les premières heures de la procédure, la Justice s’est rangée du côté des assassins. D’abord, le juge chargé de l’enquête a déclaré que, comme ils étaient dix, on ne pouvait pas savoir avec certitude qui avait donné les coups qui ont tué notre enfant. Il a donc immédiatement libéré sept des voyous, ne gardant que les trois plus dangereux.

Argument d’autorité : je vous le dis, c’est que c’est vrai. Cela reviendra souvent.

Sauf que cette affirmation est douteuse en soi et contraire aux faits.

Douteuse en soi car elle ne tient pas juridiquement, d’abord. Il existe en droit pénal une théorie jurisprudentielle ancienne dite de l’acte unique de violences. Quand un groupe a pris part à des violences, tous les membres de ce groupe sont co-auteurs d’un acte unique de violences en réunion. Peu importe pour leur culpabilité qui a porté tel ou tel coup. Tous sont responsables du résultat. Le rôle de chacun garde son importance pour déterminer la peine (celui qui s’est acharné sera plus sévèrement sanctionné que celui qui a porté un coup). Donc s’il avait été établi que les coups portés par ce groupe avait occasionné la mort de Jérémy, ils auraient commis des violences volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner, sauf à ce que des faits objectifs établissent une intention de tuer.

Ce n’est pas le cas ici. Les coups fatals ont été portés par un couteau, et on sait que seul Samson G. les a portés. Donc il est certain que les violences (coups de poing et de pied) subies par Jérémy n’ont pas causé sa mort, elles n’étaient pas assez puissantes pour cela. L’acte unique de violences ne s’applique qu’aux violences, pas au meurtre, car il faut une intention homicide individuelle.

Rappelons que l’auteur des coups de couteau les a reconnu, tant en garde à vue (aveux qui ont depuis été annulés faute pour ce mineur d’avoir pu être assisté d’un avocat) qu’à nouveau devant le juge d’instruction. Des témoins de l’agression ont été entendus par la police et ont confirmé que seul lui avait porté des coups de couteau. Et cet auteur a bien été mis en examen pour homicide volontaire et placé en détention provisoire jusqu’en septembre dernier, soit deux ans (je reviendrai sur les conditions de sa libération). Il sera jugé pour meurtre par les assises, aux côtés de cinq autres personnes auteurs de violences non mortelles.

Joël Censier semble s’être persuadé que tous ceux présents sur le pont sont responsables de la mort de son fils. Je comprends que son chagrin ne le pousse pas à faire dans le détail. Nous n’avons pas cette excuse pour ignorer la vérité.

Peu de temps après, sur les trois, ils en ont relâché deux, sans raison.

Ah, que j’aimerais que la Justice libérât mes clients sans raison. Mais elle en demande, la bougresse.

Si, bien sûr, il y a une raison. Il suffit de lire la presse pour la connaître. Les éléments impliquant les personnes concernées sont devenus sujets à caution, excusez du peu. Le respect de la présomption d’innocence peut déranger le père d’une victime, je le comprends. Mais le chagrin n’interdit pas l’honnêteté intellectuelle. Il n’y a nul dysfonctionnement dans ces remises en liberté. D’autant que la suite donnera raison à la chambre de l’instruction : ces deux personnes ont été mises hors de cause dans le meurtre et les violences non mortelles. L’erreur de Joël Censier est pardonnable, il n’y a pas à l’IPj de juriste compétent pour lui expliquer cela.

Toute poursuite pour meurtre a été abandonnée contre eux.

Oui, le 15 août 2011, lors de l’ordonnance de règlement de l’instruction, soit après deux années d’enquête. La phrase précédente, commençant par “peu de temps après” laisse entendre que ce fut dans les jours qui ont suivi, ce qui n’est pas le cas.

Les magistrats ont déclaré qu’ils ne retiendraient que le délit de « violences volontaires ayant entraîné une interruption de travail supérieure à huit jours ». Oui, vous avez bien lu : une « interruption de travail supérieure à huit jours ». Un des délits les moins graves du code pénal. >Alors que notre fils est mort !

Jamais la justice n’a nié ce décès, ce que laissent entendre ces propos. Il est mort, mais pas du fait de ces violences.

Mais le pire était à venir.

Je n’en doute pas.

Le 16 septembre dernier, c’est-à-dire il y a un mois [Donc ce message date de mi octobre 2011. NdEolas] , la Justice a décidé de relâcher pour « vice de forme » le dernier qu’elle détenait encore. Cet individu est pourtant le danger public qui a avoué être l’auteur de multiples coups de couteau sur notre fils : un coup qui a transpercé son cœur, un coup qui a traversé sa boîte crânienne, et d’autres encore qui l’ont défiguré. Mais la Justice l’a libéré pour « vice de forme » !

Et quel « vice de forme » ? Ses avocats ont demandé une « mise en état du dossier de leur client, le 25 octobre 2010 ». Il s’agit d’une formalité purement juridique, sans aucune conséquence pratique sur la culpabilité de l’accusé. La chambre d’instruction avait trois mois pour leur répondre. Mais elle a dépassé ce délai. Alors les avocats ont exigé la libération du jeune. Et la Cour de Cassation leur a donné raison. Il a donc été immédiatement libéré. « Cette décision de remise en liberté pour non-respect des délais est une première en France dans l’application du texte concerné. C’est un immense soulagement », a déclaré l’avocat du tueur, Maître Sagardoytho. « Un immense soulagement » ; « une première en France ».

Pour Corinne et pour moi, ces mots victorieux sont insupportables. Nous avons pensé à tous les autres parents qui, désormais, risquent de voir eux aussi les assassins de leur enfant libérés pour ce « vice de forme ».

Vous avez compris ce qui s’est passé ? Non ? Moi non plus, et pourtant je suis avocat. Mais encore une fois, le but n’est pas de vous expliquer quoi que ce soit, de vous convaincre, de s’adresser à votre Raison.

Heureusement pour vous et moi, les décisions de la Cour de cassation sont publiées. J’ai donc pu retrouver l’arrêt concerné (Crim. 14 septembre 2011, pourvoi n°11-84937), ce qui n’a pas été commode puisque et arrêt est non pas du 16 mais du 14 septembre 2011.

Voici donc ce qui s’est passé : à vous de vous faire une opinion, en vous fondant sur les faits, qui vous sont soigneusement cachés par l’IPJ, qui a un rapport délicat avec la vérité, qui il faut dire lui est rarement favorable.

Le 5 mars 2007 a été promulgué une loi modifiant la procédure pénale, prise à la suite de l’affaire d’Outreau. Elle a entre autres introduit de nouvelles procédures permettant d’assurer une meilleure surveillance des détentions provisoires, pour essayer d’éviter qu’à nouveau, des innocents puissent croupir trois ans en prison.

Cette loi a notamment prévu la possibilité pour la défense de demander à la chambre de l’instruction de passer en revue l’instruction, dans une audience en principe publique, où les éléments à charge et à décharge peuvent être débattus afin de s’assurer que la détention est réellement nécessaire. C’est l’article 221-3 du Code de procédure pénale (CPP). Elle se distingue de l’appel sur la détention provisoire qui ne porte que sur l’adéquation de la détention avec les critères posés à l’article 144 du même code.

Cette demande, qualifiée dans le texte de Joël Censier de “mise en état”, terme impropre qui ne s’applique qu’à une procédure civile, peut être introduite par l’avocat d’une partie (même la partie civile, mais ça n’a que peu d’intérêt pour elle), ou par le parquet (même remarque que pour la partie civile) quand une personne est détenue depuis au moins trois mois et que l’avis de fin d’instruction n’a pas encore été rendu par le juge d’instruction. Le président de la chambre de l’instruction peut même décider d’office de lancer de lui-même cette procédure, mais à ma connaissance, ce n’est encore jamais arrivé. C’est une arme procédurale contre l’inaction d’un juge d’instruction qui semblerait trop négliger un dossier.

Dans notre affaire, l’avocat du mineur incarcéré (et seul incarcéré désormais) a déposé une telle demande le 19 octobre 2010, c’est à dire après un an et deux mois de détention de son client. On peut supposer qu’il estimait que l’instruction avait fait le tour des faits et qu’il craignait que le dossier ne stagnât et que son client végétât en détention.

Le Président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Pau avait huit jours pour y répondre. Soit il rejetait la demande par une décision non susceptible de recours, soit il transmettait à la chambre qu’il préside pour que l’affaire soit jugée après une audience réunissant toutes les parties. Dans ce cas, la loi exige que la cour statue par un arrêt qui doit être rendu dans un délai de trois mois à compter de cette saisine par le président. Faute de quoi, prévoit ce texte, “les personnes placées en détention sont remises en liberté.” C’est la loi.

le 25 octobre 2010, soit dans le délai de 8 jours, le président a estimé que cette demande méritait d’être examinée par la cour. La cour devait donc rendre son arrêt au plus tard le 25 janvier 2011.

Pourtant ce n’est que le 5 avril 2011 qu’il va prendre une ordonnance fixant l’audience au 6 mai 2011.

Les 4 et 5 mai 2011, la défense a déposé ses argumentations écrites, qu’on appelle “mémoires”, commettant ainsi une erreur : en effet, si d’ordinaire, les mémoires peuvent être déposés au plus tard la veille de l’audience, dans le cadre de l’audience de l’article 221-3 du CPP, ils doivent être déposés au moins deux jours ouvrables avant. C’est comme ça, c’est la loi. Le même jour, soit la veille de l’audience (je ne crois pas du tout à un hasard de calendrier) devant la cour, le juge d’instruction notifie aux partie l’avis de fin d’instruction.

Le 7 juin 2011, la chambre de l’instruction a rendu un arrêt déclarant irrecevables les mémoires de la défense car déposés trop tardivement, disant n’y avoir lieu à application de l’article 221-3 du CPP du fait que le 5 mai 2011, veille de l’audience, le juge avait rendu son avis de fin d’instruction, estimant qu’il avait terminé son enquête. L’avocat du détenu a formé un pourvoi contre cette décision, invoquant notamment le non respect du délai de 3 mois. Le 14 septembre 2011, la Cour de cassation a cassé cet arrêt et ordonné la remise en liberté immédiate du mis en examen détenu, car “lorsque la chambre de l’instruction est saisie sur le fondement de ce texte, son arrêt doit être rendu au plus tard trois mois après sa saisine, à défaut de quoi les personnes placées en détention sont remises en liberté” et “en omettant de statuer d’office sur la remise en liberté du requérant alors que le délai de trois mois à compter de sa saisine était expiré, la chambre de l’instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé”.

Cette décision a ulcéré le père de Jérémy. Pourtant il faut en comprendre la portée. Le mis en examen est remis en liberté (il a depuis été placé sous contrôle judiciaire, c’est-à-dire qu’il reste suivi par la justice, avec notamment une obligation de pointer au commissariat de Mont-de-Marsan deux fois par semaine). Point.

Les poursuites continuent, l’ordonnance de mise en accusation de Samson G. du 15 août 2011 reste valable (sous réserve de l’appel en cours contre cette ordonnance, qui a été renvoyé par la Cour de cassation pour être jugé devant la cour d’appel de Toulouse), et ce jeune homme sera probablement jugé par la cour d’assises des mineurs. Simplement, il sera jugé libre. Sachant que devant la cour d’assises, toute peine est immédiatement exécutoire : s’il est condamné à ne serait-ce qu’un jour de prison de plus que ce qu’il a déjà effectué (soit deux ans et trois semaines), il sera immédiatement arrêté et conduit en prison. Voilà, c’est tout. Voilà la justice amie des assassins et ennemie des victimes en général et de Joël Censier en particulier.

Je cite les mots de son avocat, commentant la décision de septembre dernier, cité dans Sud-Ouest : “Une décision que ne conteste pas Me Martial. « Elle est en conforme en droit. » L’avocat confie qu’il s’attendait à cette issue. Il avait d’ailleurs prévenu les parents de Jérémy de la probabilité de la remise en liberté de Samson G.”. Même leur avocat leur dit que c’est normal.

Ce qui d’ailleurs mérite qu’on s’y attarde. Qu’a fait la justice ainsi vilipendée ? Au départ, le président de la chambre de l’instruction commet une erreur en n’audiençant pas dans le délai de 3 mois. Le 25 janvier 2011, la détention de Samson G. devient illégale. Il aurait dû être remis en liberté ce jour là. Et pourtant il n’en sera rien fait. Au contraire, le président va laisser au juge le temps d’envoyer l’avis de fin d’instruction pour audiencer l’affaire et tenter de dire que l’article 221-3 du CPP n’est plus applicable ; or c’est cet article qui fonderait la libération immédiate du suspect. Ce qui, avec le pourvoi, va repousser cette remise en liberté au mois de septembre 2011, soit 9 mois en toute illégalité. Bref, la justice paloise a tout fait, y compris violé la loi, pour réparer les conséquences de son erreur. Quand une cour d’appel viole la loi pour ne pas remettre un suspect en liberté, comment peut-on ensuite affirmer qu’elle a pris parti contre soi et en faveur du meurtrier de Jérémy ? De bonne foi, s’entend ?

Alors nous avons décidé de lancer cet appel à toute la population pour protester auprès des autorités afin que cette affreuse injustice ne touche pas d’autres familles. Pour nous, c’est trop tard, la Justice ne reviendra pas en arrière. Mais si vous ne faites rien, le monde judiciaire et les hommes politiques considéreront que ce fonctionnement là de la Justice est accepté par l’opinion publique. Et le même scénario frappera d’autres familles.

Le scénario étant : un présumé innocent remis en liberté en attendant d’être jugé. Aux armes !

Il faut savoir que le jour de la reconstitution, toute la bande est arrivée le sourire aux lèvres, les mains dans les poches. Ils se sont amusés à raconter et re-raconter le meurtre, en changeant de version à chaque fois, pour se moquer de gendarmes, ou de nous. Ils étaient parfaitement décontractés et désinvoltes. Ils savaient qu’ils n’avaient rien à craindre. De mon côté, je pleurais de douleur. J’ai commencé à comprendre que la Justice était en train de nous lâcher.

“Mais l’objet de cet appel n’est pas de nous faire plaindre.”

Je n’ai aucune information sur cette reconstitution, hormis le fait qu’elle a eu lieu en janvier 2011. Maintenant, qu’un groupe de jeunes sortant à peine de l’adolescence, dans une situation où ils sont mal à l’aise, se mette à ricaner bêtement et à rouler des mécaniques pour assurer devant les copains, je le crois volontiers. Je vois le même comportement dans les prétoires, à mon grand dam quand il s’agit de mon client. Quant à l’affirmation “ils savaient qu’ils n’avaient rien à craindre”, elle ne repose que sur le ressenti d’un père bouleversé ; et le “j’ai commencé à comprendre que la justice était en train de nous lâcher”, j’aimerais comprendre.

Le juge d’instruction fait une reconstitution, c’est à dire une mesure d’instruction sur les lieux du drame, demandant à chacun d’expliquer où il était et ce qu’il a fait. Que les explications données soient contradictoires, et parfois mensongères, cela arrive assez souvent. Il y a toujours l’illusion qu’un mensonge bien trouvé permettra d’échapper à l’évidence et au châtiment. Cette illusion est l’ennemie des avocats, car elle aboutit à creuser la tombe de leurs clients, qui ne font qu’éveiller d’avantage les soupçons à leur égard : “s’il ment, qu’a-t-il donc à cacher ? Ne serait-il pas plus impliqué encore que ce que les indices semblent révéler” ? Notons d’ailleurs que le genre de propos que tient l’IPJ ne peut qu’encourager ceux qui le lisent à tenter de nier l’évidence et mentir effrontément face à la justice, puisque l’IPJ laisse entendre que cela permet de s’en sortir et même de se mettre les juges dans la poche. Conseil d’un avocat pénaliste : n’essayez jamais cette méthode. Dites la vérité, ou mieux, taisez-vous, mais ne mentez jamais face à la justice. Jamais. JAMAIS.

Sur le pont, à l’endroit de la reconstitution, un gendarme s’est approché de moi. Ce n’était pas pour me dire un mot de sympathie. Non. Il m’a présenté une convocation à la Gendarmerie. Une plainte avait été déposée contre moi pour « subornation de témoin », et je devais être entendu par les gendarmes. Je me suis retrouvé sur le banc des accusés parce que j’avais demandé à un témoin du meurtre de se manifester auprès des autorités. On m’a expliqué que ce n’était pas à moi de le faire, je devais « laisser la Justice faire son travail »…

Cette anecdote est curieuse. Généralement, les convocations sont envoyées par courrier. Une remise en main propre est plutôt un dernier avertissement à quelqu’un qui n’y défère pas avant l’interpellation en bonne et due forme. Mais il n’est pas du tout conforme aux usages de mélanger les procédures et de confier aux gendarmes chargés du service d’ordre d’une confrontation de remettre des convocations pour audition dans une procédure différente. Ne serait-ce que parce que la maladresse serait ici évidente et que les gendarmes ont des égards. D’autant plus qu’entendre Joël Censier comme témoin aurait relevé de la brigade territoriale du domicile de Joël Censier plutôt que celle de Nay, située à 200 km de là. Vu les imprécisions, les omissions et les contre-vérités contenues jusque là, je prendrai donc cette affirmation avec des pincettes.

La subornation de témoin est un délit prévu par l’article 434-15 du Code pénal. Il consiste dans le fait d’user de promesses, offres, présents, pressions, menaces, voies de fait, manœuvres ou artifices au cours d’une procédure ou en vue d’une demande ou défense en justice afin de déterminer autrui soit à faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation mensongère, soit à s’abstenir de faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation. Elle est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende, ce même si la subornation n’est pas suivie d’effet.

Le simple fait de demander à un témoin de se manifester n’est pas une subornation de témoin. C’est tout à fait légal. Pour qu’une plainte ait été déposée à la gendarmerie, il faut donc que ce témoin se soit senti quelque peu pressé de faire une déclaration qui n’était pas tout à fait conforme à la vérité. J’ignore les suites qui ont été données à cette audition et à cette plainte. je ne doute pas un instant que si elle était allée plus loin, Joël Censier n’aurait pas manqué d’en remettre une couche sur la justice qui s’acharne contre lui. On peut donc supposer qu’elle a été classée sans suite. Détail pas assez important pour qu’on vous le communique. Que diantre, il faut bien vous faire cliquer à la fin.

J’ai même risqué des poursuites pénales car j’avais parlé d’un des meurtriers de mon fils en disant que c’était un « enfoiré ». >Son avocat me menaçait d’un procès en « diffamation ».

“J’ai même risqué”. Comprendre : “je n’ai pas été poursuivi”. Notez que Joël Censier s’obstine à parler au pluriel des meurtriers alors qu’il a été depuis longtemps établi que Samson G. a seul porté les coups mortels. Enfin, “enfoiré” n’est pas une diffamation mais une injure.

C’est alors que mon épouse et moi avons décidé de ne plus nous laisser faire. Au lieu d’attendre passivement le procès, nous avons décidé de rejoindre l’Institut pour la Justice.

Nous y voilà.

Le placement de produit de l’IPJ

L’Institut pour la Justice est un organisme indépendant qui regroupe des juristes, des victimes et des citoyens, qui œuvrent pour réformer la Justice française. Cet Institut a élaboré un Pacte 2012, qui sera présenté à tous les candidats à l’élection présidentielle, pour demander des réformes urgentes du système judiciaire.

Vous pouvez contribuer aujourd’hui à faire passer ces réformes, et à sauver des victimes futures, en signant le Pacte 2012 pour la Justice, en cliquant sur le bouton ci-dessous. Car si nous sommes des centaines de milliers de citoyens à soutenir ces propositions de réforme, les candidats seront obligés de nous écouter ; c’est une question de poids électoral. Mais c’est aussi une question de conscience et de justice.

Pas de vérité ni de Raison.

Lorsqu’on n’y est pas personnellement confronté, on pense souvent que la Justice fait bien son travail. On n’ose pas demander qu’elle soit plus rigoureuse envers les délinquants et les criminels, de peur d’être accusé de manquer d’humanité. Mais je peux vous dire, après trente ans d’expérience dans la Police, que vous n’avez pas à craindre cela. Il est rarissime qu’un vrai délinquant soit traité trop sévèrement en France. La plupart des délinquants bénéficient même d’une impunité à peine croyable.

Argument d’autorité. “J’ai trente ans d’expérience dans la police, je dis donc la vérité. Le fait que je sois partie prenante à une procédure qui me touche personnellement n’a naturellement en RIEN affecté mon jugement. Cela me dispense donc d’étayer mes affirmations par des faits, qui on l’a déjà vu ont un fort parti pris contre moi.”

On entend souvent parler de “violation des Droits de l’homme” dans nos prisons. Mais savez- vous pourquoi 225 détenus, dans une prison de Lyon, viennent de lancer une pétition pour dénoncer « des conditions de détention inacceptables » ? Ces conditions « inacceptables » c’est qu’il leur est interdit d’utiliser… la Playstation 3 dans leur cellule !!

A votre avis, est-ce à cause de l’interdiction d’utiliser une Playstation 3 en cellule que 6 détenus se sont suicidés dans cette prison entre janvier et septembre de cette année ? Voici le texte de la pétition. Les détenus réclament en effet (entre autres : le racket du cantinage, qui est un véritable scandale, l’absence d’activité sportive, illégale, le défaut d’écoute des prisonnier, qui a conduit à des suicides, tout ça sont des détails) de pouvoir utiliser des consoles de jeux vidéos dans leur cellule. De 9 m², surpeuplée, où ils passent 23h/24 chaque jour. Mais ces consoles ne sont pas offertes par l’administration pénitentiaires, pas plus que les télévisions dans les cellules : elles sont louées au prix fort, comme dans les hôpitaux, d’ailleurs. Je ne doute pas que certains citoyens modèles estimeront que ne pas périr d’ennui et sombrer en dépression est faire un traitement trop doux à des prisonniers. Le sadisme des honnêtes gens m’a toujours effaré.

Il n’est pas rare que la Justice relâche un délinquant arrêté des dizaines, voire des centaines de fois par la Police. Le Préfet de Police de Paris, lui-même, en a témoigné dans la presse, le 8 septembre dernier.

Si, c’est rare : il faut encore que je sois son avocat.

Plus sérieusement… Non, en fait, je ne peux pas prendre ce genre d’affirmation sérieusement. Tenez, voici un homme qui cette semaine s’est pris un an ferme pour avoir volé 2 euros de bonbons parce qu’il avait 15 mentions sur le casier. Non mais allez un peu voir des audiences correctionnelles, au lieu de gober des énormités pareilles. Là, la démonstration va consister en prendre une exception pour faire croire qu’elle est révélatrice de la généralité.

Il a cité le cas d’un homme qui venait d’être arrêté pour la 97eme fois. Peut-on imaginer pire mépris pour les victimes ?

Arrêté 97 fois ne veut pas dire condamné 97 fois (ce qui est impossible sauf à vivre plus d’un siècle et commencer jeune). Donc ne veut pas dire coupable 97 fois, et encore moins 97 victimes. Je ne sais rien de ce cas, cité effectivement par le préfet de police qui en bon préfet aime plus les chiffres que les faits. Ainsi, ce même préfet de police n’hésite pas à affirmer que le taux d’élucidation baisse depuis que les avocats assistent les gardé à vue. Avant de dire que grâce à son action volontariste, le taux d’élucidation est en hausse. Comme disait Sir Winston Churchill : je ne fais jamais confiance à des chiffres que je n’ai pas falsifié moi-même.

Des dizaines de milliers de personnes âgées sont cambriolées chez elles chaque année, sans qu’on ne se donne même plus la peine de rechercher les coupables, parce qu’on sait qu’ils seront de toute façon relâchés par la Justice. Des femmes se font violer, ou disparaissent, et on laisse leurs agresseurs libres de recommencer sous des prétextes dérisoires.

Source ? Lien ? Faits ? Pas question. Ça vous ferait réfléchir. Or on surfe sur vos préjugés.

Aujourd’hui, il est grand temps que les candidats aux élections s’en aperçoivent. Mais si nous voulons être sûrs qu’ils se prononcent officiellement, alors il est indispensable que nous soyons des centaines de milliers à signer le Pacte 2012 de l’Institut pour la Justice. J’espère que vous allez le signer et transmettre cette vidéo à tout votre entourage.

Bref vous comporter comme un virus informatique.

Il ne s’agit pas de mesures « répressives », et encore moins de réclamer un retour en arrière. Il s’agit simplement de recentrer la Justice sur sa mission première de protection des citoyens. Instaurer un fonctionnement normal, moderne et juste de l’institution judiciaire, adapté à la réalité d’aujourd’hui, dans lequel les citoyens puissent avoir confiance.

Nouvelle prétérition. L’IPJ ne connait que le tout répressif. Vous allez voir.

Un petit mot sur la mission de la justice, “protection des citoyens”. Ce n’est pas, n’a jamais été et en sera jamais le rôle de la justice. L’IPJ oublie d’ailleurs que les prisonniers sont eux aussi des citoyens et devrait donc militer pour leur protection contre l’État qui leur impose des conditions de détention indigne. Mais pour l’IPJ, on n’est plus citoyen quand on a été condamné.

Protéger suppose une antériorité du danger, d’empêcher un dommage de survenir. La justice, par sa nature même, n’intervient que pour réparer, donc a posteriori. Était-ce le rôle des juges d’être sur le pont de Nay pour empêcher la mort de Jérémy ? Bien sûr que non, ce rôle incombe à la police, et il est illusoire de croire qu’elle peut tout prévenir : même les États les plus policiers du monde connaissent le crime et la délinquance (dans des proportions plus importantes que chez nous, paradoxalement). La mission de la justice n’est pas de protéger, mais de réparer, en sanctionnant le crime. Vouloir inverser la chronologie aboutit à la rendre responsable de la mort de Jérémy et de tous les crimes commis. On sent que cette tentation existe aussi dans le personnel politique. Elle est irrationnelle, et malsaine, car elle revient à faire pression sur les juges, dont l’indépendance est notre première garantie.

Nous demandons: - que les peines de prison soient vraiment appliquées quand elles sont prononcées ; il faut savoir en effet qu’actuellement, 80 000 peines de prison restent non exécutées, faute de place.

Plutôt 82.000, chiffre issu d’un rapport de l’Inspection Générale des Services Judiciaires de 2009, qui représente 13% des peines de prison ferme prononcées. Il est faux de dire que c’est uniquement faute de place que ces peines ne sont pas exécutées. Environ 30.000 d’entre elles ne le sont pas car on ne retrouve jamais le condamné. Les 50.000 peines restantes constituent le stock des dossiers en attente d’exécution (source : le lien précédent). La plupart de ces 50.000 peines seront exécutées un jour. Le délai de traitement est en effet problématique, pour le condamné lui-même au premier chef (il n’y a pas de victime dans tous ces dossiers, loin de là), qui a pu trouver du travail, se réinsérer et changer de vie quand vient l’heure d’exécuter sa peine. Résultat inéluctable de décennies de moyens insuffisants. Si vous ne voulez pas vous payer une justice digne de de ce nom, vous le paierez d’une autre façon.

Le parc pénitentiaire fait 56 150 places opérationnelles au 1er mai 2011. Toutes ces places sont occupées, et plus encore : la population carcérale est de 64 584 personnes (au 1er mai 2011toujours) (taux d’occupation de 115%, avec les répercussions que l’on imagine sur les conditions de détention, qui vont un peu au-delà de l’absence de Playstations en cellule). Que propose l’IPJ ?- Ben d’exécuter ces peines, voyons. - Et comment ? - Ah mais vous allez nous lâcher avec ces satanés faits ?

J’ajoute enfin que le passage à l’acte suppose dans la plupart des cas (excluons les terroristes et les déments) que la personne commettant une infraction ait la conviction de l’impunité, c’est-à-dire qu’elle soit persuadée qu’elle ne sera pas arrêtée et punie pour ce fait. Colporter urbi et orbi et dans tous les médias que les peines de prison ne sont pas exécutées en France, quand bien même c’est faux, risque ainsi fort de favoriser des passages à l’acte. En somme, l’IPJ pousse au crime.

- que les victimes aient au moins autant de droits que les accusés, car aujourd’hui la triste réalité est que les délinquants ont souvent plus de droits et de considération que les victimes ;

Il est vrai que le fait qu’on n’incarcère pas les victimes les prive du droit de contester leur détention. Je vous laisse le soin de décider s’il faut modifier cet état du droit.

Pour le reste, j’invite l’IPJ à aller voir comment ça se passe ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis, pour constater que la France est le pays qui traite sans doute le mieux les victimes dans le cadre du procès. La seule chose qui leur reste fermée est la possibilité de faire appel sur l’action publique, c’est à dire demander une peine plus sévère ou contester une relaxe ou acquittement, qui est le monopole du parquet. Elles ne peuvent faire appel que sur leur action, l’action civile, c’est-à-dire les dommages-intérêts. Parce que la justice n’est pas la vengeance, et que la peine frappe le condamné au nom de la société et non au nom de la victime. Et que leur donner ce droit serait une usurpation des prérogatives de la République par des particuliers, et un cadeau empoisonné. La vérité est terrible : aucune peine, aussi dure fût-elle, ne répare le chagrin de la victime ou de ses proches. Même les familles des victimes dont l’assassin a été condamné à mort et exécuté n’ont jamais ressenti le moindre soulagement de ce fait. Parce qu’une exécution ne répare pas une mort, mais en fait une deuxième. J’ai déjà été confronté à des victimes qui se réfugiaient dans la colère pour échapper à leur douleur. C’est une échappatoire tentante et facile en apparence, mais c’est un cul-de-sac. Une fois la peine définitive tombée, elles se disent que si leur douleur est toujours là, c’est que cette peine est insuffisante, et demeurent à jamais frustrées en se disant que si la peine maximale avait été prononcée, elles ne souffriraient plus. Et si la peine maximale est prononcée, la douleur restant la même, elles se disent que ce maximum n’est pas suffisant. Et ainsi de suite.

Je ne leur jette nullement la pierre, je ne souhaite à personne de connaître ce qu’elles subissent. Mais la douleur ne remplace pas la Raison. Et en faire un argument politique est pour le moins critiquable.

- qu’aucune atteinte aux personnes et aux biens ne reste impunie, car les plaintes classées sans suite sont une invitation à la récidive;

D’un autre côté, une plainte fantaisiste ou infondée (parce que les faits ne constituent pas un délit), doit bien être classée sans suite. Quand les faits sont suffisamment étayés, le parquet n’hésite pas à poursuivre. Mais il n’a pas de temps à perdre à consacrer ses faibles moyens à poursuivre les chimères.

- que les lois nous protègent vraiment des criminels récidivistes ; aujourd’hui, la perpétuité dure 20 ans en moyenne. Même les prédateurs les plus dangereux ont vocation à sortir de prison ;

Bien sûr. Tous les matins, les juges d’application des peines arrivent au bureau en se demandant quel prédateur particulièrement dangereux ils vont pouvoir libérer aujourd’hui. C’est bien connu. D’ailleurs, traditionnellement, le 1er lundi du mois, il demandent aux avocats pénalistes de leur ressort de leur envoyer la liste de leurs clients détenus les plus dangereux pour établir les libérations conditionnelles du mois.

Désolé de faire de l’humour, mais face à ce monceau de sottise, ce n’est que de la politesse.

Plus sérieusement, je rappellerai ici que le meurtre de Jérémy n’a rien à voir avec la récidive puisque Samson G. n’avait aucun antécédent judiciaire, et n’a commis aucun autre meurtre, ni que je sache aucune infraction, depuis sa remise en liberté. Ce sont ici les thèses de l’IPJ qui s’invitent et parasitent la sympathie que vous pourriez éprouver pour Joël Censier.

S’agissant de la récidive, qui est un phénomène très variable selon la nature des faits, voici les chiffres du ministère de la justice, portant sur l’année 2007. Pour les condamnés pour délit, 8,0 % étaient en état de récidive légale, et 26,7 % en simple réitération sur cinq ans, c’est à dire qu’ils avaient déjà été condamnés dans les 5 années précédentes pour des faits de nature différente (par exemple : l’auteur d’un vol déjà condamné pour conduite en état d’ivresse). Ce qui laisse 65,3% de primo-délinquants.

Le taux varie selon les faits : les délits sexuels (agression sexuelle, exhibitionnisme) connaissent parmi les plus bas taux de récidive (moins de 6% en 2004), les délits routiers (conduite en état alcoolique ou en grand excès de vitesse) le plus haut, de l’ordre de 16%, le sommet étant les vols et recel avec près de 30% (chiffres 2004, pdf, lien Google viewer). Les sanctions prononcées sont nettement plus lourdes en cas de récidive ou de réitération, l’emprisonnement ferme qui représente 6,7 % des peines prononcées à l’encontre des primo condamnés, passe à 30 % pour les réitérants et à 50 % pour les seuls récidivistes. Sur les 3 245 condamnés pour crime en 2007, 128 étaient en état de récidive légale soit un taux de récidive de 3,9 %. Ce taux varie selon le type de crime : de 9,5 % pour les vols aggravés à 2,7 % pour les viols (je cite le ministère de la justice).

Les deux tiers des criminels condamnés n’avaient aucun antécédent judiciaire. En somme, méfiez-vous plutôt des honnêtes gens…

- que la justice et les magistrats soient responsables devant les citoyens, parce que leurs décisions sont prises au nom du peuple français ;

C’est oublier que ce sont précisément des citoyens qu’ils jugent. Être responsable devant ceux qu’on juge, est-ce une garantie d’indépendance ? Auriez-vous confiance dans la justice si votre riche adversaire dans son tort pouvait menacer le juge de poursuites s’il ne lui donnait pas raison ? Les magistrats sont responsables, mais cette responsabilité tient compte de leur nécessaire indépendance. J’ai traité ce sujet dans ce billet. Mais il est plus facile pour l’IPJ de laisser entendre que les juges sont irresponsables parce que les justiciables qu’ils condamnent ne peuvent pas se venger par un procès. La complexité, c’est pas le truc de l’IPJ, vous l’aurez compris.

La mise en œuvre de ce Pacte serait un changement considérable pour la protection des citoyens et des victimes.

…parce que….? Ah, non, c’est la fin de la phrase. Ceux qui veulent des explications iront se brosser.

Mais même si ces mesures peuvent vous paraître évidentes, elles n’ont aucune chance d’être reprises par les candidats à la présidentielle et votées dès 2012 si des centaines de milliers de citoyens ne se manifestent pas pour les demander maintenant.

C’est pourquoi je vous demande de cliquer sur le bouton ci-dessous pour signer votre Pacte 2012, puis de transférer ce message à vos amis, votre famille, vos collègues.

Le clic, nouveau paradigme de l’action politique. Cela permettra juste à l’IPJ de revendiquer désormais un million de personnes qui auront été abusées le temps de remplir un formulaire, et qui n’ont aucun moyen de se retirer de leurs fichiers, et de prétendre parler en leur nom.

De notre côté, nous mobilisons d’importants moyens humains et financiers pour : - rassembler des dizaines, des centaines de milliers de signatures ;

Soit des données personnelles collectées en toute illégalité et sans garanties pour les signataires, puisque les mentions imposées par la loi informatique et liberté s’agissant d’un traitement de données nominatif (notamment la désignation de la personne auprès de qui exercer le droit d’accès, de rectification et de retrait) sont absentes du formulaire de signature. Je suis certain que l’IPJ exigera que la loi pénale lui soit appliquée avec autant de rigueur qu’il l’exige pour les autres. Ah. Ah. Je déconne.

- préparer des dossiers précis, justifiant le coût et la faisabilité de chacune de nos réformes, avec des avocats et des juristes spécialisés ;

On aurait pu croire que ce travail avait été fait en amont, ne croyez-vous pas ?

- mobiliser la presse, pour que cette action soit médiatisée le plus largement possible ;

C’est le but de la manœuvre. L’IPJ n’a aucune légitimité dans le milieu universitaire, elle essaie la légitimité médiatique : le fameux “vu à la TV”. Force est de reconnaître qu’il a réussi sur ce point.

- organiser des rencontres officielles avec chaque candidat, pour obtenir leur engagement à mettre en œuvre nos réformes, en cas d’élection.

Marine Le Pen se fera sans nul doute un plaisir de les recevoir.

(…) Au nom de mon enfant, de ma famille, et de mon pays, je vous dis merci.

Non. Votre pays, M. Censier, est aussi le mien, et vous n’avez aucune légitimité pour parler en son nom. Quant à embarquer la mémoire de votre fils mort dans un combat qui ne fut jamais le sien, je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur hommage à lui rendre.


PS à mes lecteurs : content de vous retrouver. Vous m’avez manqué.

samedi 22 octobre 2011

Devine qui vient diner ce matin : LA FINALE

Allons bon. Une rediffusion.

Je ne vais pas répéter ma présentation du drapeau néozélandais et de l’équipe des All Blacks. J’en ai déjà parlé ici.

La présence de la France en finale est, pour le moins inespérée. Je crois bien qu’on est la première équipe à y arriver en ayant essuyé deux défaites.

Je devrais être dans un état de surexcitation à cette perspective. Mais cette équipe n’a hélas pas réussi à m’enthousiasmer, sauf face à l’Angleterre. Cependant, elle est tellement déstabilisante qu’elle serait fichue de gagner. Bon, soyons clairs, toutes les augures sont favorables aux néo-zélandais. Cette équipe a été impressionnante et constantes, et même si elle a perdu de grands joueurs sur blessure, comme Carter, la relève a été à la hauteur, comme ce diable de Weepu comme buteur. Elle joue à domicile, avec une volonté de gagner comme sans doute jamais dans son histoire.

Sur le papier, il n’y aura pas de finale, et dès la mi temps, le XV de France sera enterré.

Maintenant, cette équipe est horripilante d’irrégularité, dans un sens comme dans l’autre. Les Blacks sont forts physiquement et techniquement, mais pas toujours moralement. Si on parvient à les faire douter, ils craquent. C’est ce qui s’est passé en 1999, où ils ont été comme tétanisés tandis que la France leur passait 33 points contre 7 en deuxième mi temps. Et c’est quand la France est le challenger, quand on ne l’attend pas, quand elel est décontractée qu’elle est capable de tout.

Je m’endormirai donc ce soir avec une petite flamme au fond de la nuit. Un miracle peut arriver demain. C’est peu probable, mais nul ne peut dire que c’est impossible. Et la violence de la presse néozélandaise montre bien que les Kiwis en ont terriblement conscience.

Alors on oublie les regrets, les déceptions, le petit jeu à l’anglaise.

Demain, un seul mot d’ordre.

Allez les bleus !!!

vendredi 21 octobre 2011

Avis de conférensse Berryer : Maïwenn

L’an deux mille onze
et le vingt cinq octobre
à 21 heures220px-Maiwenn_Le_Besco_Cannes_2011_2_croppped.jpg

Nous, Matthieu Hy, 4ème Secrétaire de polisse judissiaire,

Étant au servisse Salle des Criées, au Palais de Justisse,

Constatons que se présentera devant nous l’individu ssi-dessous désigné :

NOM : cf. Prénom.
Prénom : Maïwenn
Profession : actrisse, sssénariste et réalisatrisse
Sexe : féminin, assurément.

Lui notifions son plassement en garde à vue pour une durée d’une conférensse Berryer.

Lui notifions qu’elle a le droit à cette occasion d’être assistée par douze avocats commis d’office par la Conférensse.

Lui notifions qu’elle a le droit de garder le silensse mais la supplions de n’en rien faire.

Lui donnerons connaissansse du rapport de synthèse de Monsieur Martin Reynaud, adjoint de sécurité et 5ème Secrétaire.

Ouïrons des témoins acermentés qui déposeront sur les questions suivantes :

1. L’enfance est-elle le bal des actes tristes ?

2. N’y a-t-il que La Palice qui dise la vérité ?

Disons que toute perçonne, même extérieure au service, pourra assister à ladite mesure dans la limite des plasses disponibles.

Rappelons qu’il y a intérêt à toquer à l’huis très en avansse.

Disons que tout témoins désirant déposer sans garantie d’absensse de violensses polissières prendront contact avec nous : Tél : 01.77-32.13.61 / hy.avocat@gmail.com

Lecture faite avec nous, l’intéressée persiste et signe.

——

De même, suite :

Mentionnons que la photographie est (cc) Georges Biard - BY-SA.

Dont procès verbal.

jeudi 20 octobre 2011

Accusé, levez vous.

“Par Fantômette et Gascogne”


A l’heure où la France s’en va vers des rives lointaines de finale de coupe du monde de rugby, là où personne ne la voyait pourtant, il me semble d’une importance particulière de livrer au grand jour un procès qui n’aurait pas dû attendre, celui de l’accusé Christian Jeanpierre, dont le procès, largement trop reporté, n’a pu encore avoir lieu.

Ainsi, et après quelques mises en cause médiatiques, la parole est à l’accusation, la vraie, l’officielle : la parole est donc à Monsieur l’avocat général Gascogne.

==========

Monsieur le président, merci de me laisser exposer à votre Cour et à Mesdames et Messieurs les jurés tout mon courroux, coucou, comme l’aurait clamé un grand avocat général aujourd’hui disparu. Nous sommes donc aujourd’hui réunis pour un procès à plus d’une part symbolique.

Symbolique tout d’abord pour démontrer à ceux qui dénigrent ce blog qu’il peut tout à la fois maintenir un haut niveau juridique, et nous amener d’une manière si jouissive vers une allégorie sportive qui nous ramène, quoique l’on en pense, toujours au droit, et à ses règles certes contraignantes, mais tellement agréablement contingentes.

Cette parenthèse effectuée, vous permettrez, Monsieur le président, Madame Monsieur de la Cour, Mesdames et Messieurs les jurés, que j’en vienne au cas qui nous occupe aujourd’hui, et quel cas ! Celui de Monsieur Christian Jeanpierre.

Qu’il fut bon, le temps de la télévision publique, des Albaladejo et autres Herrero !

Quel bonheur d’entendre pendant un match tendu son célèbre “il l’a coupé en trrrrranches !”. Il n’est que de lire la poésie qui se dégage d’un commentaire écrit de Daniel Herrero pour comprendre à quel niveau se situent ses commentaires.

Qu’il fut bon, le temps des commentateurs sportifs qui commentaient le sport qu’ils avaient connu. Pas seulement en temps que sportifs professionnels, car après tout, n’en avons nous pas vus des sportifs devenus ministre sans même que leur compétence politique fut jamais reconnue ? Ne parlons donc dès lors pas de leurs compétences journalistiques…

Ainsi, il fut un temps où celui qui parlait d’un sport retransmis à la télévision en connaissait un tant soit peu les règles. Je n’oublie pas que celles du beau sport, celui du ballon ovale, sont particulièrement complexes, et que celui qui dirait à l’antenne les maîtriser dans leur ensemble paraitrait extrêmement présomptueux.

Ceci étant, à qui viendrait l’idée de faire commenter un championnat de Judo à Chantal Jouanno ?

Sur quelle chaîne verrait-on Sébastien Loeb se permettre des commentaires techniques quant à la manière de tel ou tel coureur de grimper un col ?

Où verrait-on un journaliste sportif remettre en cause les explications techniques données par le quadruple champion du monde qui l’accompagne[1] ?

Pense-t-on sérieusement que Jeannie Longo serait à même d’instruire le procès Servier ? (bon, là, je ne dis pas, l’exemple n’est pas nécessairement le meilleur. Ce serait comme dire que Jean-Luc Delarue ne pourrait reprendre un cabinet de magistrat du parquet en charge des stupéfiants. Peu crédible).

Alors, que les choses soient claires, Monsieur Jeanpierre : pour parler dans un micro, je ne vous arrive pas à l’oreillette. Mais concernant ce sport que j’aime tant, le rugby, et même si je suis totalement opposé au retour en force du délit de blasphème, comment pouvez-vous oser dire que vous commentez fort bien les matches de rugby, et que ceux qui vous critiquent sont des jaloux ?

Comment pouvez-vous laisser penser que le seul fait de dire “Etlonouvre” ou encore “la charge de…” vous permet de croire ne serait-ce que le temps que met un ailier gallois à traverser le terrain que vous êtes apte à commenter ce si beau sport ?

Comment laissez croire qu’un commentaire qui consiste à dire au pire moment de la débâcle que tout va aller pour le mieux car le staff français va faire rentrer les “cadors” est un commentaire apportant une quelconque plus-value au spectateur estourbi par l’avance de l’équipe adverse ?

Non, mesdames et messieurs, vous ne laisserez pas l’infamie envahir le petit écran, pas plus que le prétoire. Je ne doute pas que la défense mettra en avant les états de service de l’accusé en matière de football, mais sincèrement, quoi de commun entre les joueurs du ballon rond, aux règles simples, si l’on excepte celle du hors-jeu, et les sportifs qui manient cet instrument si particulier qu’est la beuchigue, quand bien même ce jeu fut-il inventé par les anglais ?

C’est en conséquence en toute confiance que je vous demande de bien vouloir déclarer l’accusé coupable de mécommentaire sportif et que je requiers une peine qui ne saurait être autre qu’une véritable peine d’élimination : une interdiction d’exercer, pour une durée qui ne saurait être moindre que la présente coupe du monde et la suivante. Les amateurs de rugby vous en seront particulièrement reconnaissants.

=======

La parole est à la défense. Me Fantômette, la Cour et le jury vous écoutent.

=======

Monsieur le président, Mesdames, Messieurs de la Cour, c’est avec une grande fierté que je me présente devant vous ce jour pour défendre une noble cause, une cause digne, une cause –n’ayons pas peur des mots – admirable, celle de l’accusé, M. Christian Jeanpierre.

Cet accusé voué aux gémonies, cet accusé que l’on voudrait vous voir détester, dénigrer, mépriser et n’est-ce pas facile, en effet ? Il est facile de détester celui-là et son air de ne pas vouloir en avoir l’air, son passé sulfureux, ses passions déviantes – n’a-t-il pas le tort de préférer aux trajectoires fantasques du ballon ovale, les lignes droites et franches du ballon rond ?

Mais ne vous y trompez pas.

Cet accusé est en réalité le porte-parole étrange et fascinant d’une cause sublimée, qu’il porte hautement, et fièrement. Et cette cause porte un nom, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs de la Cour.

C’est celle de l’Imaginaire.

Car oui, si dans un passé trouble - dont on ne saurait parler qu’avec une infinie et douloureuse pudeur - M. Jeanpierre a pu s’égarer dans le milieu du FOOTBALL – il faut savoir nommer les choses, même celles qui choquent – je crois que tout, en réalité, tout, dans ce qui lui est reproché aujourd’hui vous démontrera que, sincèrement repenti, il est désormais voué corps et âme à la défense passionnée – que dis-je, passionnée, passionnelle ! Mesdames et Messieurs – des trajectoires heurtées et délirantes qui sont le monopole et la gloire des référentiels de forme ovale.

Dans un exercice d’une audace qui interpelle les plus blasés d’entre nous, au lieu de prétendre décrire par la grâce de mots qui lui échappent les subtilités d’un jeu et d’un règlement que nul en ce bas monde ne peut sérieusement prétendre connaitre, tel un prophète émerveillé, voilà qu’il ne peut que répéter « charge de truc », « ouverture de machin », sur le ton morne et obstiné de l’homme encore abasourdi par une épiphanie que son âme peine à concevoir.

Et comment ne pas comprendre ! Comment ne pas lui pardonner !

Qui trouve les mots justes, les mots qui disent la Vérité d’un jeu tombé du ciel telle une Apocalypse ? Qui parmi nous jettera la première pierre, à Jeanpierre?

Si son passé n’excuse pas tout, du moins la pitié qu’il nous inspire devra guider notre jugement.

Les mots qu’il ne trouve pas, son phrasé banalement répétitif et «blanc», comme l’on parle en littérature d’une «écriture blanche», est l’écrin banal qui n’en fait que mieux ressortir la beauté d’un sport que l’on ne saurait décrire sans l’affadir.

Vous l’avouerai-je ? Frappée jusqu’à l’âme par cet exercice de pauvreté stylistique, j’ai parfois été jusqu’à couper le son pour aller jusqu’au bout de cette géniale intuition, et mieux savourer encore la parfaite rencontre entre le vide intérieur d’un homme et la grâce du sport qu’il commente sans savoir en parler.

Au-delà de cette adaptation du style et du fond, je dois également admettre avoir admiré, profondément admiré, cette capacité de l’accusé à ne jamais douter. A voir, dans les moments les plus sombres, briller encore la possibilité d’une victoire, dans un délire si violemment positif qu’il suscite un mélange de bonheur et d’effroi.

Comment, voilà nos joueurs maltraités, perdus, malmenés par l’une des équipes les plus fortes du monde et l’accusé s’écrit, au beau milieu de nulle part, et alors que rien de précis ne se dégage d’un vague mouvement sur le terrain «HA HA ! Là les choses vont changer !».

Eh quoi ! La suite lui donnera tort, mais Monsieur le Président, Mesdames Messieurs de la Cour, qui sommes nous pour prétendre que ce n’est pas la Réalité qui se trompe ? L’espoir – l’espoir fou, l’espoir absurde, l’espoir vain, enfin – ne mérite-t-il pas néanmoins d’avoir trouvé son héraut ? Celui qui le soutiendra, envers et contre tous, et à commencer par ceux qui se contentent d’observer les faits, avec cette triste certitude qu’ils ne sauraient mentir…

Mais les faits mentent parfois, les faits nous leurrent! Ne vous laissez pas aveugler par eux, et regardez le dossier avec les yeux de la foi : que verrez-vous ?

Une équipe de France qui, sans sembler jamais être au meilleure de sa forme, jouera dans deux jours la finale de la Coupe du Monde.

Une équipe de France qui a magistralement éteint la vigilance de la Nouvelle-Zélande, notamment par le truchement de cette astuce géniale qui consista à perdre contre eux – ce qui aujourd’hui nous laisse dans la position confortable de ceux qui n’ont plus qu’à gagner – et c’est en partie grâce à des personnes comme l’accusé que nous en sommes là.

Nous avons perdu contre les Tongiens, non pas que nous avons mal joué, expliqua l’accusé, mais là encore, simplement pour préparer ce beau match qui nous vit triompher de l’équipe anglaise – avec une grâce que nous devons à des personnes comme lui, de ceux qui ne s’en laissent pas compter par la logique mortifère et calculatrice des scientifiques et des experts.

Nous avons gagné si petitement contre le Pays de Galles que l’effet en est presque identique – et ce, n’en doutons pas, afin de préparer encore le triomphe qui ne pourra manquer de suivre !

Astuce ! Génie ! Portés par les intuitions d’un entraineur de haute tenue et la Geste de son héraut le plus habile, nos joueurs du XV de France, habités par la grâce de ceux qui sont su perdre et vaincre néanmoins, n’ont plus qu’à parachever leur histoire, et nous, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs de la Cour, n’avons plus qu’à nous incliner devant la force de cette évidence : l’accusé n’est coupable en rien, sinon d’avoir mesuré l’impossibilité de sa tâche et de continuer à croire – et ce n’est pas un crime.

Vous ne pourrez donc que l’acquitter, et le laisser aller, petit homme gris, porter son rêve de victoire dans la litanie de ses mots creux, inoffensif et génial, et lancer avec lui, à tout moment, et ce dès la deuxième seconde de jeu : « HA HA ! Sera-ce le tournant du match ? »

Et vous tous et moi-même, l’écouterons, bienveillants et sereins, bercés d’espoirs infinis, jusqu’à l’ultime seconde de l’ultime rencontre, qui nous verra, sans nul doute, et grâce à lui, triompher sur le terrain imaginaire de nos espoirs les plus fous.

=========

Dans cet ultime moment de tension qui précède le départ de la Cour et du Jury pour le délibéré, le président donne la parole à l’accusé : “Accusé Jeanpierre, souhaitez-vous ajouter quelque chose pour votre défense ? - Fffff…. La charge de l’avocat général ! Heureusement que j’ai pu compter sur une défense hermétique de mon avocate…”

La dernière parole revenant en la matière au peuple, c’est avec une très grande confiance que nous laissons les commentateurs décider du sort de l’accusé.

Notes

[1] Malheureusement, j’ai entendu un journaliste sportif, Pierre Fulla, pour ne pas le nommer, dire à David Douillet que non, la technique qu’il disait être une technique de jambe était en fait une technique de hanche…

mardi 18 octobre 2011

Avis de Berryer : Jean-François Zygel

Peuple de Berryer ! La Conférence entre dans la traditionnelle frénésie qui la saisit dans la saison des amours où elle engendre sa descendance. À peine les échos des vivats d’hier soir se sont-ils dissipés dans les froids couloirs de pierre du Palais que nous sommes semoncés à nouveau pour garnir la cour, et cette fois-ci les mélomanes sont à l’honneur.Zygel_jean_francois.jpg

La Conférence aura l’honneur de recevoir le jeudi 20 octobre 2011 à 21 heures,en Salle des criées, Monsieur Jean-François Zygel, pianiste, improvisateur, compositeur, homme de télévision, et professeur d’écriture musicale et d’improvisation au Conservatoire National Supérieur de Paris.

Les sujets proposés aux valeureux candidats seront les suivants :

1. Est-ce qu’un mélomane transi gèle ?

2. Le pipeau mène-t-il au violon ?

Le rapport sera présenté par Monsieur Pierre Reine, 3ème Secrétaire.

Comme toujours, l’entrée est libre, sans réservation possible. Perdez tout espoir après 19 heures.

Toute personne, avocat ou non, peut assister à la Conférence Berryer.

Les candidats (et non les spectateurs) sont invités à s’inscrire auprès de M. Matthieu Hy, 4ème Secrétaire :
 
Tél : 01.77-32.13.61 / hy.avocat@gmail.com

vendredi 14 octobre 2011

Devine qui vient dîner demain matin ?

Nos amis Gallois, et ils sont en très, très grande forme actuellement.

Drapeau du Pays de Galles : divisé en deux bandes, blanche en haut et verte en bas, et frappé d'un dragon rouge vu de profil, tête vers la gaucheLe drapeau du Pays de Galles, appelé le Dragon Rouge (Y Ddraig Goch) est un des plus vieux qui soient, à tel point que son origine se perd dans la nuit des temps.

Une théorie plausible est que l’emblème aurait été apporté par la cavalerie romaine lors de la conquête de l’île au Ier siècle après JC (2000 avant l’Origine selon le calendrier UNIX, cf. hommage d’hier), cavalerie qui avait emprunté cet emblème aux Daces (peuple barbare vivant dans l’actuelle Roumanie) ou aux Parthes (dans l’actuel Iran).

Il est réputé avoir été l’emblème de bataille du roi Arthur Pendragon, mais l’usage le plus ancien attesté remonte au 9e siècle, soit trois siècles après le roi Breton insulaire.

Le drapeau Gallois est composé de ce dragon rouge sur fond blanc et vert, couleurs de la Maison des Tudor, rois d’Angleterre de 1485 à 1603, et unique dynastie galloise à avoir ceint la couronne. C’est depuis cette époque que le Pays de Galles est devenu l’apanage de l’héritier du trône, à l’instar du poste de président de l’EPAD du Dauphiné chez nous (d’où le titre de Dauphin de France pour le prince héritier), ou des Asturies en Espagne. Il est à noter que ces couleurs sont également celles de l’autre symbole du Pays de Galles : le leek, c’est-à-dire le poireau.

Ce symbole remonte au VIIe siècle, à l’époque du roi Cadwaladr ap Cadwallon, roi de Gwynedd (la langue galloise raffole des consonnes et méprise les voyelles ; témoin le nom de cette ville, que je vous mets au défi de prononcer). Ce sont les Armes de ce royaume qui sont aujourd’hui les armes du Pays de GallesArmes du Pays de Galles : écartelé : aux 1 et 4, d'or au lion rampant de gueule, armé et lampassé d'azur : aux 2 et 3, de gueule au lion d'or rampant armé et lampassé d'azur. Lors d’une bataille contre les Saxons, envahisseurs germains venus de l’est, il ordonna à ses troupes de porter sur leur casque un de ces légumes qui abondaient dans la plaine où il se tenait, pour s’identifier (la notion d’uniforme était à l’époque fort contingente). La victoire fut écrasante, et le poireau, adopté.

Le drapeau du Pays de Galles ne figure pas dans l’Union Jack. Cela est dû au fait que le Pays de Galles a été annexé par Edouard Ier (Les Longues Pattes, le méchant de Braveheart, celui-là à qui l’hymne écossais rend un vibrant hommage) en 1282 et a été intégré juridiquement à l’Angleterre au XVIe siècle. Drapeau de Saint David : une croix jaune couchée sur fond noirDepuis, des projets d’intégrer le drapeau du Pays de Galles ont vu le jour, ou à tout le moins la croix de Saint-David, Saint patron du pays (fête le 1er mars), mais avec peu d’adhésion populaire. En fait, les Gallois sont bien contents de ne pas se mélanger aux Anglais même sur un drapeau.

L’équipe de rugby galloise joue en rouge, couleur du dragon. Son symbole représente trois plumes d’autruche ceintes d’une couronne. Logo de la Wales Rugby UnionCela remonte à la terrible bataille de Crécy (1346), première des trois honteuses défaites de la Guerre de Cent Ans (avec Poitiers en 1356 et Azincourt en 1415). Les archers gallois et leur redoutable Long Bows ont fait ces trois fois des ravages dans la chevalerie française, et à Crécy, les troupes anglaises étaient dirigées par Edouard, The Black Prince Of Wales, le Noir Prince de Galles. Du côté français se trouvait Jean Ier de Luxembourg (Jang de Blannen), roi de Bohême, un chevalier old school qui nonobstant sa cécité voulut participer à la bataille. Il monta à cheval et guidé par deux écuyers, se rua au combat. Où il fut tué, étonnamment (des témoins affirmèrent que c’est le Duc lui même qui, en faisant tournoyer sa masse d’arme à l’aveugle, a occis lui-même ses deux écuyers). Le Prince de Galles, impressionné par tant de conn… bravoure, prit le cimier du casque de Jean ,composé de trois plumes d’autruche, et en fit son emblème personnel, de même que de sa devise, Ich dien, “Je sers”.

L’hymne du Pays de Galles est Hen Wlad Fy Nhadau, Vieux Pays de mes Ancêtres. Si vous voulez le chanter sportivement, en voici les paroles :

Mae hen wlad fy nhadau yn annwyl i mi,
Gwlad beirdd a chantorion, enwogion o fri;
Ei gwrol ryfelwyr, gwladgarwyr tra mâd,
Dros ryddid collasant eu gwaed.

(Refrain)

Gwlad, gwlad, pleidiol wyf i’m gwlad.
Tra môr yn fur i’r bur hoff bau,
O bydded i’r hen iaith barhau.

Le vieux pays de mes ancêtres est cher à mon cœur,
Pays de poètes et chanteurs, et d’hommes à la fameuse renommée,
Ses braves guerriers, splendides patriotes,
Ont versé leur sang pour la Liberté.

Mon pays, Mon pays, je suis fidèle à mon Pays,
Que la mer soit un rempart pour la terre pure et bien-aimée
Ô puisse le vieux langage perdurer.

Les Bretons qui me lisent et ouïront l’hymne auront la surprise de reconnaître leur propre hymne : c’est en effet la même musique qui est utilisé pour le O Breizh ma bro Bro gozh ma zadou , l’hymne breton bretonnant.

Après l’étonnante et inattendue victoire sur les Anglais, bien malin qui prédirait l’issue de cette rencontre. En temps ordinaire, on ne donnerait pas cher de la peau des Gallois, qui n’ont pas joué une demi finale de coupe du monde depuis 1987. Mais ce ne sont pas des temps ordinaires. Jusqu’à la semaine passée, la France a montré un jeu en-dessous de son niveau, avant la performance, que dis-je, la résurrection de la semaine dernière ; tandis que les Gallois ont montré un excellent niveau, éliminant les Irlandais qui avaient pourtant battu les Australiens.

Mais hélas, la France est aussi la spécialiste des exploits sans lendemain, surtout en Coupe du monde, comme en 1999 où après une victoire extraordinaire sur les All Blacks, nous avons perdu piteusement en finale face aux Asutraliens, ou en 20073 ou après avoir battu les mêmes All Blacks en quart de finale, nous avons piteusement perdu face à l’Angleterre (qui n’a même pas eu à marquer un essai pour cela) avant de nous incliner en petite finale face à l’Argentine, qui eu ainsi le privilège de nous battre par deux fois.

Ce sera donc sans doute le France - Galles que j’aborderai avec le plus d’inquiétude. Ce sera serré et le résultat est imprévisible. Un Yunnan Pointe d’Or s’impose donc.

Et naturellement,

Allez les bleus !


Crédits images : Wikipedia.

jeudi 13 octobre 2011

In Memoriam Dennis MacAlistair Ritchie

La semaine dernière, le monde, dont votre serviteur, a pleuré la mort de Steve Jobs. Tout a été dit sur cet homme, et même votre serviteur s’est fendu d’un petit mot là-dessus, en d’autres lieux puisque la nouvelle ne me paraissait pas avoir sa place ici, pour expliquer en quoi il était légitime que sa disparition puisse causer du chagrin à ceux qui ne l’avaient pas connu personnellement.

Mais le week-end dernier, une autre figure de l’informatique est morte, dans une indifférence médiatique qui confine à l’injustice, d’où le lien avec mon blog.

Modestement, moi qui n’utilise qu’un seul langage, le français (ce qui de nos jours n’est  cependant pas sans quelque mérite), et qui ne puis me targuer que d’être un amateur béotien en matière d’informatique, je voudrais lui consacrer, à lui l’inventeur de langages, un billet d’hommage, même si je ne doute pas que les informaticiens, qui sont nombreux à me faire l’honneur de me lire, expliqueront mieux que moi qui il était dans les commentaires.

Dennis_MacAlistair_Ritchie_.jpgDennis MacAlistair Ritchie (9 septembre 1941 - 8 octobre 2011)

Dennis MacAlistair Ritchie fut un pionnier de l’informatique, et principalement le co-créateur d’UNIX, un système d’exploitation créé en 1969 et qui a posé la fondation de systèmes d’exploitations comme GNU/Linux ou Mac OS X, le système d’exploitation des ordinateurs d’Apple (et indirectement donc des iPhones et iPad), et le créateur du langage de programmation C, dont la dernière version l’héritier (C++) est parmi les plus utilisés aujourd’hui (le Livre Blanc de Ritchie sur le C est le petit livre rouge de la révolution informatique que nous vivons, je ne plaisante que sur la forme).

Je sais que beaucoup diront “gné ?” en lisant cela. Disons que s’il n’a pas inventé la poésie, il a inventé l’alphabet et contribué à inventer la grammaire.

L’informatique telle qu’elle est aujourd’hui doit énormément à Ritchie. Et les logiciels qui font tourner ce blog, tout comme ceux qui font tourner le serveur qui l’héberge et vous permet de le lire, n’existeraient pas sans lui. Je lui suis redevable du succès de ce blog, et de son existence même.

Je ne prétendrai pas pouvoir expliquer son apport, et je ne vais pas recopier ici les pages Wikipédia qui lui sont consacrées. D’autres le feront mieux que moi en commentaires. Mais son œuvre, dont je ne perçois qu’une ombre, suffisante toutefois à me donner le vertige, mérite d’être saluée. Il entre au Panthéon ingrat des scientifiques qui ont changé le monde sans que le monde s’en rende vraiment compte. Puisse ce billet réparer un tout petit peu cette injustice.

Que la terre lui soit légère.

mercredi 12 octobre 2011

Avis de Berryer : Nicolas Bedos

Peuple de Berryer !

320px-Nicolas_Bedos_20100330_Salon_du_livre_de_Paris_1.jpgLa Conférence, qui, telle une Première Dame, est dans les douleurs de l’enfantement, ne cesse pas ses travaux durant son travail. C’est ainsi que le lundi 17 octobre 2011 à 21 heures, en Salle des criées, elle recevra comme il se doit Monsieur Nicolas Bedos, dramaturge, metteur en scène et acteur.

Sur le rapport de M. Fabrice Epstein, 2ème Secrétaire, elle traitera les sujets suivants, confiés à de valeureux et masochistes candidats :

1. Faut-il faire tourner les bedos ?

2. Un mythomane est-il un âne à chroniques ?

Comme toujours, l’entrée est libre, sans réservation possible, dans la limite des places disponibles, hélas limitées. Vous qui entrez après 19 heures, abandonnez tout espoir.

Toute personne, avocat ou non, peut assister à la Conférence Berryer.

Les candidats (et non les spectateurs) sont invités à s’inscrire auprès de M. Matthieu Hy, 4ème Secrétaire : Tél : 01-77-32-13-61 / hy.avocat[arobase]gmail.com

Bonne Berryer à tous.


Crédit photo : CC Georges Seguin - BY-SA.

vendredi 7 octobre 2011

Devine qui vient bruncher demain ?

Gare mes amis : les Anglais vont débarquer.
Un parfum de crunch en quart de finale avec ce France - Angleterre.

Ce sont nos pires amis, ou nos meilleurs ennemis, comme vous préférez, qui viennent nous voir à l’heure du Breakfast Tea : les abominables et formidables Anglais, aussi beaux joueurs que tricheurs sans vergogne, adeptes du fair play et de la baffe dans la mêlée. Quelle joie de les retrouver.

Drapeau de l'Angleterre

Voici donc le drapeau  anglais, dit drapeau de Saint-George. Il vous dira sans doute quelque chose : il rappelle en effet celui de la Géorgie, que nous affrontâmes lors de la dernière coupe du monde.

La croix rouge sur fond blanc est un emblème très répandu dans la chrétienté, Saint Georges étant le Saint Patron, outre de l’Angleterre et de la Géorgie, de l’Aragon, de la Catalogne, du Canada, de l’Éthiopie, de la Grèce, de la Serbie, du Montenegro, du Portugal, de la Russie et même de la Palestine, ainsi que des villes de Beyrouth, Barcelone ou Moscou. C’est ainsi que le symbole du club de football de Barcelone, le fameux Barça, comporte la croix de Saint George.FC Barcelone

Ce symbole remonte aux Croisades, où il était le symbole des chevaliers et soldats français, le pape ayant décidé que les anglais porteraient une croix blanche sur fond rouge, les germains ayant une croix bleue et jaune, devenue le drapeau suédois. Les Anglais, qui ne font JAMAIS ce qu’on leur dit de faire, ont néanmoins adopté la croix rouge sur fond blanc, et la croix de St George est ainsi devenue le symbole des croisés dans leur ensemble, étant à son tour adoptée par les Templiers. Lors de la Réforme, tous les drapeauxs représentant des saints ont été abandonnés en Angleterre à l’exception de celui de St George. Dans la Navy, le drapeau de Saint Georges indique un navire amiral.

Le drapeau du Royaume Uni s’appelle le drapeau de l’Union, ou Union Jack dans la marine (“Jack” indiquant un pavillon de marine), car il est composé de la réunion des drapeaux des trois couronnes réunies sur la tête des rois d’Angleterre, chacun représenté par une croix liée à un saint : la croix de Saint George pour l’Angleterre, la croix de Saint André pour l’Écosse, et la croix de Saint Patrick pour l’Irlande. Cette union s’est faite en deux temps : en 1606, quand James VI d’Ecosse devient roi d’Angleterre sous le nom de James Ier, les croix de Saint George et Saint André sont réuniesNaissance du drapeau d'Union pour faire le premier drapeau d’Union. Puis en 1801, la croix de Saint Patrick est ajoutée quand l’Acte d’Union fusionne les royaumes d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande pour former le Royaume-Uni, dénomination encore officielle de nos voisins d’Outre Manche. Le pays de Galles n’est pas représenté dans ce drapeau car il ne s’agit pas d’un royaume mais d’une principauté, apanage de l’héritier du trône d’Angleterre, actuellement le Prince Charles, Prince de Galles, le titre de princesse étant vacant nonobstant le second mariage du prince. À la mort de Charles ou d’Élisabeth, selon celui de ces événements qui arrivera en premier, Harry sera Prince de Galles, et en attendant, il est Duc de Cambridge.

L’équipe d’Angleterre joue isolément car le Royaume-Uni n’a pas de fédération de rugby. L’Acte d’Union a ses limites. À la place, chaque royaume a sa propre fédération, reconnue par l’International Rugby Board, et sa propre équipe (l’Irlande du Nord est intégrée à l’équipe d’Irlande). Il en va de même au football, d’où le match d’ouverture Brésil Écosse lors de la coupe du monde 1998.

Le symbole du XV d’Angleterre est la rose rouge. RFUIl s’agit d’une allusion à la rose rouge des Lancastre, famille opposée à celle d’York au cours de la guerre des Rose (1455-1485), qui aboutit à la chute de la maison des Plantagenêts, dont Lancastre et York étaient deux branches, au profit de la maison des Tudor (qui n’étaient pas des meuniers contrairement à la chanson). Je ne crois pas que la fédération anglaise prête allégance à la maison des Lancastre cinq cent ans après la fin du conflit, mais le maillot de l’équipe d’Angleterre étant blanc (couleur royale, comme le maillot du Real Madrid, que je me devais de citer ayant mentionné le Barça afin d’éviter une autre guerre civile), une rose blanche ou la rose des Tudor (rouge et blanche pour marquer la réconcilation du royaume) serait peu visible sur le maillot.

L’Angleterre n’ayant pas d’hymne officiel propre, c’est bien le God Save The Queen qu’entonne le XV d’Angleterre, qui est pourtant l’hymne du Royaume-Uni. Une scène fort cocasse a lieu quand l’Angleterre joue contre l’Ecosse à Murrayfield, quand l’hymne (lui aussi non officiel) écossais, Flower Of Scotland, est entonné, car on voit la Princesse Anne, fille de la reine Elisabeth et Duchesse d’Edimbourg, chanter de bon cœur cet hymne nationaliste célébrant la victoire des Ecossais contre les Anglais à Bannockburn en 1314 (la bataille qui clôt le film Braveheart). Au  Royaume Uni, le pragmatisme est la vraie religion d’Etat.

Mais en réalité, le XV à la rose a un hymne non officiel, qui galvanise autant les Anglais qu’une Marseillaise fait oublier la fatigue aux Français. 
Le Swing Low, Sweet Chariot, la kryptonite universelle. 
Fichier audio intégré


Swing low, sweet chariot
Coming for to carry me home
Swing low, sweet chariot
Coming for to carry me home


L’histoire de cette chanson se confond avec l’histoire de notre vieille rivalité rugbystique qui nous oppose à nos cousins d’Outre-Manche. En fait, une vieille rivalité oppose l’Angleterre à un peu tout le monde, et c’est une des équipes les plus cordialement détestées, chacune de ses (trop rares) défaites étant savourée d’un hémisphère à l’autre, mais la France jouit d’une position de détestation cordiale privilégiée. Un adage écossais dit ainsi “I support two teams : Scotland and whoever is playing England” : je soutiens deux équipes : l’Écosse, et celle qui joue contre l’Angleterre.

Tout d’abord, l’Angleterre n’a accueilli la France dans le concert des nations rugbystiques qu’avec réticence en 1910. Le sport de l’aristocratie anglaise était en France pratiquée par les paysans rugueux du sud, et l’Anglais n’aimait guère se mélanger. Il faut dire qu’au début, la France a tout fait pour lui donner raison. En 1913, la foule envahit le terrain pour assommer l’arbitre de France-Ecosse. La France est exclue du tournoi, mais sauvée si j’ose dire par la première guerre mondiale qui suspend le tournoi, qui reprend en 1918 toutes rancoeurs oubliées au nom de la fraternité d’armes. En 1927, c’est la première victoire contre les Anglais (le pays de Galles résistera jusqu’en 1948). En 1931, la France est à nouveau exclue pour son comportement violent jusqu’en 1939. En fait, deuxième guerre mondiale oblige, la suspension durera jusqu’à la reprise du tournoi en 1947. En 1952, l’Angleterre accuse la France de professionnalisme des joueurs (ironie de l’histoire, l’Angleterre sera la première à passer au professionnalisme dans les années 90 : en Angleterre, le pragmatisme est religion d’Etat) et des joueurs français sont définitivement exclus de la sélection pour apaiser les Anglais. Voilà donc le terreau de la rivalité. La fleur éclora à la fin des années 80.

En 1988, le XV d’Angleterre était en train de traverser une des plus mauvaises passes de son histoire, battu notamment par la France plusieurs années de suite, y compris sur son sol sacré, à Twickenham. L’Angleterre jouait face à l’Irlande, et avait perdu 15 de ses 23 derniers matchs du Tournoi des Cinq Nations, tournoi qu’elle n’avait plus gagné depuis 1980. En deux ans et demi, les supporters de Twickenham n’avaient vu qu’un seul misérable essai marqué par les Anglais. A la mi temps, l’Irlande menait 3 à 0. Et puis comme cela arrive parfois au rugby, l’espoir changea de camp, le combat changea d’âme, et tout à coup, rien ne semblait plus pouvoir arrêter les Anglais, qui gagnèrent 35 à 3, dont trois essais marqués par Chris Oti, qui faisait ses débuts de jour là. Les collégiens d’une école bénédictine de Woolhampton qui assistaient au match entonnèrent alors un gospel en l’honneur d’Oti, Swing Low, Sweet Chariot, que la foule reprit en choeur.

Ce fut le signal d’une résurrection, et d’un nouvel âge d’or pour le XV à la rose, l’époque de Will Carling et Brian Moore, époque qui se construisit sur le dos de l’équipe de France. Pendant sept ans, nous ne gagnerons jamais, et toujours pour la même raison : être poussé à la faute par les Anglais, de préférence à 20 mètres en face de nos poteaux, ce qui donnait trois points aux Anglais, et faisait résonner le Swing Low. Le clou était enfoncé par Will Carling qui félicitait les Français vaincus d’un “Good game” dont l’évocation fait encore monter les larmes aux yeux des joueurs de l’époque. Il faudra des années pour que le XV de France vole aux Anglais leur sang froid, et il est encore fragile : la propension des Français à garder le ballon au sol, à le talonner à la main, quand ce n’est pas distribuer des baffes sous les yeux de l’arbitre est pudiquement appelée “le jeu latin” des Français. C’est la défaite assurée quand il pointe son vilain nez. 

Cette rivalité prendra fin brutalement, du jour au lendemain, lors de notre inoubliable victoire en petite finale de la coupe du Monde en 1995 (19 à 9), où enfin, la série noire prendra fin, et au plus beau moment, la Coupe du Monde. Les joueurs Français sont tous allés serrer la main de Will Carling abattu en lui disant un “Good game !” chantant avec l’accent du sud ouest. La partie s’est en réalité terminée le lendemain à l’aube, les joueurs des deux équipes s’étant donné rendez vous pour faire une fête de tous les diables jusqu’à l’aube, enterrant définitivement la hache de guerre. Cela sera aidé par le virage vers le professionnalisme, des Anglais venant jouer en France et des Français allant jouer en Angleterre (Sébastien Chabal a joué cinq ans dans le club de Sale, près de Manchester), ce qui comblera un peu le fossé d’incompréhension, les Anglais allant jusqu’à recruter un entraîneur français, Pierre Villepreux en 1995. Il fut naturellement tondu à son retour, rassurez-vous.

Cette époque a laissé une tradition, une rivalité qui fait que vaincre l’autre équipe est un plaisir sans nul pareil, mais la terrible tension 1988-1993 a disparu. On la rejoue pour s’amuser. Il n’empêche : piétiner les Anglais est toujours une coupe d’ambroisie. 

Et cette coupe du monde, alors ?

Malgré la joie d’affronter les Anglais, ce match promet peu. L’Angleterre s’est qualifiée aux forceps, tout comme la France. En outre un scandale touche plusieurs de ses joueurs qui sont accusés d’avoir voulu jouer au Directeur du FMI avec une femme de chambre. L’équipe de France ne va guère mieux, qui n’a d’équipe que le nom, car force es tde le constater : l’alchimie n’a pas pris. On a un groupe, pas une équipe, des joueurs talentueux individuellement mais qui ne se parlent pas sur le terrain, qui semblent n’avoir aucune vision du jeu, aucune stratégie de jeu servie par une tactique adéquate sur le terrain. C’est triste à dire, mais celle de ces deux équipes qui ira en demi finale aura volé sa place. Espérons quand même que ce sera la notre.

Nonobstant l’amertume qui m’étreint, je ne jetterai la pierre à personne. Marc Lièvremont a échoué, et sera remplacé après la coupe du monde par Philippe Saint-André, ce qui n’est pas le meilleur moyen de le motiver. On critique beaucoup le professionnalisme, mais les trois grandes équipes du Sud baignent dedans depuis 20 ans et savent jouer au rugby. Le moment le plus douloureux pour moi a été de voir Vincent Clerc intervenir en direct après France-Tonga pour débiter sans conviction un texte convenu selon lequel tout allait bien entre les joueurs et le staff. Je revoyais Ribéry en chaussettes et tongs sur la même chaine il y a un an (vision déjà douloureuse en soi) et ce déni de l’évidence n’est pas le signe d’une prise de conscience du problème.

Mais, comme je vous l’ai raconté, le XV de France a connu des longs hivers, mais toujours suivis de printemps. Je lui pardonnerai toujours tout.
Ceux d’entre vous qui le souhaitent pourront suivre mes commentaires éclairés (hum…) en direct sur Twitter, sur le compte spécial @EolasRugby.

Alors, plus que jamais…

ALLEZ LES BLEUS ! ! !

Mise à jour :
Je n’en reviens toujours pas. Non seulement on a battu les Anglais, mais avec l’art et la manière ; surtout en première mi-temps. L’alchimie a pris semble-t-il, en une semaine. Que c’est bon de se tromper.

Bon, le Pays de Galles est sacrément en forme, donc méfiance. Mais on est en demi-finale, avec deux défaites et 96 points encaissés en phase de poule, et quoiqu’il arrive, on a deux matchs à jouer. Ne boudons pas notre plaisir. Bravo les gars, et merci.

mardi 4 octobre 2011

La lutte contre la délinquance, en (soustr)action

Ci-dessous, une circulaire à diffusion restreinte (oups…) de la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale sur les orientations en matière de lutte contre la délinquance du 15 septembre 2011, révélée par le député Jean-jacques Urvoas. Outre son aspect involontairement comique quand on voit un général de gendarmerie parler comme un énarque, quelques commentaires s’imposent.

CIRC-GEND-MPP-93086

§2 Que diable vient faire dans ce paragraphe, mettant l’accent sur la nécessité de la lutte contre le trafic de stupéfiant, cause de beaucoup de délinquance satellite (notamment des vols et agressions pour financer une consommation coûteuse) l’instruction de lutter contre… l’immigration illégale ? D’où diable vient ce lien entre ces deux délinquances, qui sur le terrain n’est pas avérée : une activité de trafic nécessite une visibilité et une mobilité que n’ont pas les sans-papiers, qui craignent le moindre contrôle d’identité ; quant à la simple consommation, elle est très coûteuse alors que leur premier souci est généralement de financer leur famille, souvent restée au pays.

Je ne vois qu’une explication : il faut motiver les troupes. Les policiers et gendarmes ne cachent plus leur malaise voire leur ras le bol à faire la chasse aux clandestins, qui sont pour la plupart des pères de famille qui veulent offrir un avenir à leurs enfants, bref pas vraiment la définition du voyou. Débarquer dans des maisons à l’heure du petit déjeuner, ramasser des enfants en pyjama qui hurlent de terreur, leur laisser 5 minutes pour choisir les jouets qu’ils peuvent emporter, ben figurez-vous que ça les laisse mélancoliques. Alors on assimile les clandestins aux dealers, et hop, le tour est joué, on en a fait des méchants. Du moins on essaie d’y croire là-haut dans les étoiles.

§3 : Comment faire baisser les chiffres de la délinquance ? Thème récurent de cette circulaire. La méthode trouvée est géniale : refuser d’enregistrer les plaintes (ce qui est pourtant illégal). Plaintes pour violences ? Houlala, mais certains inventent pour être mieux remboursés d’un téléphone volé. Vérifiez les faits AVANT d’enregistrer la plainte, et dans le doute, n’enregistrez pas. C’est vrai qu’en n’enregistrant que les affaires déjà élucidées, on fait péter les stats. Les femmes battues apprécieront.

§4 : Là on bascule dans l’hallucinant. Même en présence de victimes avérées d’escroqueries sur internet, il faut dissuader le dépôt de plainte car les victimes peuvent se faire rembourser par leur banque. On ne va pas non plus s’embarrasser à rechercher les auteurs de l’escroquerie, ça pourrit les chiffres de la délinquance, et à l’approche d’une campagne électorale, ça relève de la Haute Trahison. Quand la politique sécuritaire aboutit à laisser les escrocs agir en toute impunité. Fabuleux, non ?

§5 : Encore une conséquence malheureuse de 10 ans de politique hystérico-judiciaire. Plus de peines, moins de moyens, et on se retrouve avec un stock de 80.000 peines de prison à faire exécuter, sans autre alternatives que l’incarcération. Sachant que le parc carcéral français a 56.150 places occupées par 64.584 personnes (non, il n’y a pas d’erreur de typo sur les chiffres), vous voyez dans quelle quadrature du cercle on se trouve. Mais pas de problème, la solution a été trouvée : le ministre de l’intérieur a écrit au Garde des Sceaux. On est sauvé.

§6 : Là, on touche à la poésie sur l’insuffisance des moyens : “Vous disposez, de manière insuffisante mais régulière, du renfort de forces mobiles”. L’insuffisance est régulière, et ça, c’est une bonne nouvelle.

§7 : Bon, on vous demande de faire tout et son contraire, mais on ne va pas s’arrêter là : en plus, il faut que vous soyez sur le terrain, “visibles” pour dissuader, mais, en vocabulaire technique de statistique, occupés à rien foutre. En échange, une contrepartie : “la suppression des charges indues”. Comme tenir les stats pour le ministère ? Ah ! Ah ! Je plaisante. Non, ce sera plutôt l’escorte des détenus pour être jugés, tiens, une tâche bien moins utile.

Enfin, la dernière phrase de la circulaire sonne curieusement à mes oreilles comme un appel à l’aide.

Cette circulaire m’a éclairé sur un comportement étrange auquel j’ai assisté récemment dans les commissariats parisiens, et qui semble révéler que la Police nationale a reçu des instructions similaires : à deux reprises, j’ai constaté la présence derrière le bureau d’accueil d’un commissariat (bureau occupé par un personnel civil) d’un gardien de la paix, dont la seule mission semblait être de dissuader des particuliers venus porter plainte, y compris quand l’objet de la plainte était une infraction avérée. Je l’ai vu ainsi pour une femme disant que son ex-époux n’avait pas ramené les enfants chez elle la veille (“allez voir le juge aux affaires familiales pour faire supprimer son droit de visite”) alors que c’est un délit de non représentation d’enfant (art. 227-5 du Code pénal), ou un homme venu se plaindre que l’acquéreur de sa voiture n’avait pas fait changer la carte grise, ce qui faisait qu’il recevait les avis de contravention à son nom (“écrivez à la préfecture pour qu’il annulent la contravention”), alors que c’est une contravention de 4e classe (art. R.322-5 du Code de la route).

En tout cas, voilà une bonne nouvelle : dans les mois qui viennent, les chiffres de la délinquance vont baisser.

Attention, hein. J’ai bien dit les chiffres, pas la délinquance.

vendredi 30 septembre 2011

Devine qui vient dîner demain matin très tôt

L’amour du rugby ne connaît pas de limite, même pas celle de la décence : il nous faudra donc ouvrir l’œil aux aurores pour ce dernier match de poule qui opposera la France au Royaume des Tonga (sans S, merci).

800px-Flag_of_Tonga.svg.png

Le drapeau des Tonga était initialement blanc avec une croix rouge. Afin d’éviter une confusion avec la Croix Rouge Internationale, le royaume des Tonga a modifié son drapeau en renvoyant la croix rouge en canton (dans le coin du mat, en haut) sur un drapeau rouge, qui fait allusion à la Red Enseign, le drapeau de la marine marchande du Royaume-Uni. 

Les Tonga sont un archipel de 176 îles dont 52 habitées. La population totale est d’environ 104.000 habitants, soit l’équivalent de la ville de Nancy (dont l’équipe ne joue pourtant qu’en Fédérale 3, je ne vous félicite pas les Lorrains). 

Le rugby est le sport national aux Tonga, ainsi que dans ces microscopiques États polynésiens qui ne manquent jamais à l’appel de la Coupe du Monde : la République des Fidji (850.000 habitants) et l’État indépendant des Samoa (179.000 habitants). 130px-Logo_Tonga_Rugby.svg.png

Les Tonga jouent en rouge et short blanc, comme le Pays de Galles. leur équipe s’appelle les ʻIkale Tahi (Les Aigles de mer, à ne pas confondre avec la colombe de la paix qui est leur emblème) et ouvrent, comme les Nations du Pacifique, leurs matchs par une danse traditionnelle, le Sipi Tau, ou Kailao, qui est d’origine Walissienne. Ne manquez donc pas le début du match, ça nous consolera du honteux et lamentable Kapa O Pango que les All Blacks nous ont infligé à la place du traditionnel Haka.

Le rugby est arrivé aux Tonga dans les années 1920, apporté par des marins et missionnaires, et a correspondu parfaitement à l’esprit guerrier du Pacifique. Très vite, des rencontres annuelles ont été organisées avec les autres nations du Pacifique, les Samoa et les Fidji, permettant à ces trois équipes de rester parmi les meilleurs du monde. Beaucoup de joueurs de ces équipes jouent dans des championnats étrangers, australiens, néo-zélandais, anglais et Français notamment. Le jeu du Pacifique porte mal son nom, les joueurs de ces pays sont réputés rugueux et durs, et ils ne doivent pas être pris à la légère.

Ce sera le 4e match France-Tonga de l’histoire du rugby. Nous en avons gagné 3, et perdu 1.

Ce dernier match de poule impose de jeter un œil sur les classements en vue des quarts de finale (à élimination directe) qui commencent dès la semaine prochaine.

La Nouvelle Zélande est promise à la 1e place du groupe A (je ne vois pas le Canada lui poser un problème). Elle affrontera le second du groupe B, l’Argentine ou l’Écosse, l’Angleterre nous étant promis pour les Quarts sauf grosse surprise ce week-end si les Écossais battent les Anglais avec 82 points d’écart. Hum… Comment dire….

Ce n’est pas une mauvaise affaire, l’Angleterre n’étant pas au mieux de sa forme, le problème étant que le XV de France ne l’est pas non plus, loin de là, surtout qu’une mauvaise ambiance semble régner entre les joueurs et l’entraîneur sur le départ, et ça, au rugby, ça ne pardonne pas.

Les autres Quarts devraient voir l’Irlande, vainqueur surprise de l’Australie, opposé au Pays de Galles, et une magnifique affiche, Afrique du Sud-Australie, digne d’une finale. Miam.

En demi-finale, si nous sommes encore là, nous affronterons soit l’Irlande soit le Pays de Galles. Autant dire que nous avons une voie royale vers la finale, si, si, si, la peste soit de ces “si”. Essentiellement, si une équipe naît d’ici là, avec la volonté et le plaisir de jouer ensemble, de la discipline dans le jeu au sol, et de l’habileté le ballon à la main. Dit Maitre Eolas en pyjama sur son canapé.

Bon, assez rêvé, couchons-nous tôt, et rendez-vous demain à l’aube (sur Twitter, @EolasRugby). Je recommande un solide Assam en feuilles brisée, sans lait. La première tournée est pour moi.

Allez les Bleus !!!

Crédit des images : CC Wikipédia

- page 9 de 90 -

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.