Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 17 novembre 2005

Des fois on se demande à quoi on sert

Un jour de permanence à la 23e chambre (qui juges les comparutions immédiates), je mets à profit quelques instants de battement pour discuter avec un autre avocat de permanence nos dossiers respectifs, histoire d'échanger des idées.

Il m'explique qu'un des ses clients du jour est poursuivi pour des faits de violences avec arme de 6e catégorie (armes blanches), en l'occurence une barre de fer de 30 cm. Le dossiers est mauvais : le mobile de l'agression sent le racisme à plein nez, le prévenu était ivre mort et en garde à vue a raconté une version délirante selon laquelle il défendait en réalité un ami (dont il ne connaît ni le nom de famille ni le numéro de téléphone, numéro qui ne figure pas dans le répertoire de son téléphone mobile), et qu'il n'a sorti sa barre de fer que lorsque trois copains de sa victime qui passaient par là par hasard sont venus lui prêter main forte. Or la victime est un provincial qui était venu avec sa fiancée passer le week end en amoureux à Paris. Quant à la barre de fer, il explique que c'est la première fois qu'il est sorti avec, parce qu'il a lui même été agressé il y a peu. Ajoutons qu'il a été interpellé immédiatement par une patrouille de police qui passait derrière lui à ce moment là, patrouille qui dément totalement l'agression préalable. Bref, un roi du baratin, qui nie l'évidence et fait le procès de la victime. Tout ce qui met un juge de bonne humeur.

Les points positifs du dossier sont l'absence de casier du condamné, son profil d'étudiant bien inséré et le fait que les blessures sont très légères (deux jours d'incapacité totale de travail, s'il n'y avait pas la barre de fer, il ne serait pas en correctionnelle).

Il m'indique qu'il a montré à son client les invraisemblances du récit, et lui a conseillé de dire la vérité, qui est facile à deviner : l'agressivité exacerbée par l'alcool, le mensonge inventé sous le coup de l'angoisse de la garde à vue. Qu'il présente ses excuses et s'engage à indemniser la victime, qui présente une demande très raisonnable, et ça devrait bien se passer.

En effet, assumer sa responsabilité quand on est en faute n'est pas un réflexe naturel, mais c'est ce qu'attend le tribunal et pour peu qu'il y ait des accents de sincérité dans cette attitude, la décision s'en ressent. Je conviens pour ma part que c'est en effet ce qu'il y a de mieux à faire.

Quelques heures après, ce jeune homme est introduit dans le box. La présidente constate son identité, rappelle la prévention et constate son consentement à être jugé aujourd'hui. Puis elle rappelle brièvement les faits, qui sont simples, et se tourne vers lui en disant : « Alors, aujourd'hui, qu'est ce que vous avez à dire sur ce qui s'est passé ? ».

Et aussitôt, le prévenu se lance dans son histoire de légitime défense de son ami-dont-il-ne-connaît-que-le-prénom, des amis qui passaient par là, sans changer un iota. Du coin de l'oeil, j'observe mon confrère, qui regarde ses notes sans broncher. D'un air détaché, il prend son stylo et semble prendre des notes. En fait, il écrit rageusement « Putain mais quel c... ! »

Seul hommage au travail en amont de son défenseur, il conclut son récit épique en précisant qu'il regrette profondément ce qui s'est passé et présente ses excuses à la victime.

Le procureur est à la fête. Un provincial vient à Paris avec sa fiancée pour agresser des gens dans la rue, c'est certain. Le monde est petit puisqu'à ce moment viennent à passer non pas un, non pas deux, mais trois de ses amis, venus eux aussi, quel hasard, agresser des passants à Paris. Et vaillament, il prend la défense de quelqu'un que visiblement il connaît à peine puisqu'il ne peut que donner son prénom, et encore, c'est peut être bien un surnom. Et cette barre de fer, quelle prévoyance louable. Mais voyons, s'il a défendu son ami, il n'a pas à exprimer de regrets ni d'excuses à présenter ! Au contraire, il devrait exiger les acclamations du tribunal ! Il demande pour le repos du guerrier un séjour, aux frais de la République reconnaissante, de huit mois ferme avec maintien en détention.

Son avocat ne peut que se dissocier de cette version des faits, invoquer la peur du tribunal qui paralyse la raison, insister sur le caractère léger des blessures, sur l'absence totale d'antécédents judiciaires.

Et contenir sa rage contre son client sous un masque d'impassibilité quand le tribunal colle six mois fermes à celui-ci, sans maintien en détention toutefois.

Si vous saviez combien de fois cela m'est arrivé à moi aussi. Et combien de fois cela m'arrivera encore ?

Prévenus, n'écoutez jamais votre avocat. Vous êtes plus malin que lui et plus malin que tout le monde. Baratinez les juges, ce sont des sots crédules qui ne connaissent rien à la vie. Et tout se passera bien.

La crise des banlieues : paroles d'un magistrat

(Via Commentaire et vaticination) : Didier Peyrat, magistrat à Pontoise, publie une tribune dans Le Monde du 17 novembre 2005. Un point de vue lucide, qui rejoint bien des réflexions que je m'étais faites ces derniers temps.

Ceux qui accusent "la jeunesse des banlieues" d'être responsable de ce qui est arrivé sont des falsificateurs. Ceux qui, à mots couverts ou pas, félicitent "les jeunes" de protester sont aussi dans le faux. Il y a amalgame d'un côté, contre-amalgame de l'autre. Et dans ce face-à-face de deux analyses délirantes, la raison disparaît. Mais ce à quoi on cloue le bec aussi, c'est la majorité des jeunes, la majorité des immigrés, la majorité des Français.

Les motivations réelles des "émeutiers", on peut spéculer dessus. On ne les connaît pas vraiment. On ne saurait s'en tenir, sur ce sujet, à leurs déclarations. Personne ne doit être cru sur parole. En plus, pour la plupart, ils se taisent, ne disent rien, ne sont pas "sondés".

(...)

Bien sûr, ce n'est pas "le" mal qui surgit dans l'histoire. Il ne s'agit pas d'une catastrophe ontologique. Bien sûr, il y a du contexte, mais dans le contexte il y a de tout. Pour brûler une école, un théâtre, un centre de PMI... il faut bien que ces équipements existent. Après le passage des saccageurs, le contexte est dégradé. Dans le contexte, il y a des gens, des voisins, des habitants. Après le passage des incendiaires et des cogneurs, les voisins, les habitants, les personnes sont un peu plus abîmés. Des individus font du mal à d'autres individus, beaucoup plus nombreux. Par quelle inversion de sens peut-on décider qu'en réalité les coupables et les victimes sont associés, les uns parlant au nom des autres, alors qu'ils leur tapent dessus, qu'ils détruisent leurs biens, privés ou publics ?

A lire.

mardi 15 novembre 2005

Il est de ces lieux au Palais...

Je voue une affection profonde au Palais de Justice de Paris. Le futur déménagement du tribunal de grande instance vers des lieux encore indéterminés mais hélas probablement pas en face me déchire le cœur, tant le fait de plus y aller presque tous les jours me manquera.

C'est avant tout un lieu d'histoire, j'ai envie de mettre une majuscule à ce mot. Premier palais royal, c'est en ces murs que se déroule l'essentiel de la trame des Rois Maudits (ce que les décors de Druillet dans l'adaptation actuelle ne laissent pas deviner), puisque les rois de France ne le quitteront que sous Charles V.

Ainsi, un des plus beaux monuments de Paris y trône, dans un écrin hélas indigne : la Sainte Chapelle, chef d'œuvre du gothique flamboyant, construite par Saint Louis pour héberger la couronne d'épine du Christ. Les jours de permanence à la 23e chambre (comparutions immédiates), je fais des slaloms entre les touristes japonais, américains, allemands, chinois et d'où sais-je encore, dont la plupart ne remarquent même pas ma robe virevoltante au milieu d'eux tant ils ont le nez en l'air, admiratif devant sa haute flèche dans le ciel de Paris.

La première chambre du tribunal entend chaque jour des avocats ronronner leurs plaidoiries dans une ambiance paisible, qui tranche avec les cris qui y ont résonné quand y siégeait le tribunal révolutionnaire, où l'abominable Fouquier Tinville y officiait avec une redoutable efficacité.

Mais l'endroit que j'affectionne tout particulièrement n'est pas là. Il est juste en dessous, dans ce qui fut l'ancienne cellule des condamnés à mort.

Là, Marie Antoinette, Malesherbes, Danton, Desmoulins ont attendu la charette qui allait les mener en place de Grève, aujourd'hui Place de l'Hotel de Ville.

Aujourd'hui, c'est un lieu de vie et de convivialité.

C'est la Buvette du Palais.

Ce n'est pas que j'en sois un des piliers, ni que la gourmandise m'y attire, quoi que la nourriture y est fort honnête sans mériter d'attirer l'attention de Gault ou de Millau. Mais c'est un endroit unique, surtout entre midi et deux heures, lors du coup de feu.

C'est un endroit où vous pouvez entrer en robe sans que personne ne le remarque. Le personnel y est aimable même quand il est pressé, ce qui est rare à Paris.

On y voit déjeûner non loin l'un de l'autre un avocat général et un accusé de meurtre, un procureur impitoyable quand il requiert en train de fumer une cigarette en parfaite violation de la loi Evin, un ténor du barreau qui avant de manger son plat du jour qui refroidit devra faire le tour des tables parce qu'il connaît tout le monde...

Quand vous désirez vous asseoir, la serveuse demande à un président de cour d'assises de bien vouloir dégager la chaise face à lui, et celui-ci s'exécute sans rouspéter (voire avec le sourire).

Quand vous attendez au bar qu'on vous amène votre sandwich, l'heure pressant, Jacques Vergès boit son café à côté de vous tandis et quand une jeune femme vous demande avec un sourire renversant de vous tasser contre le comptoir pour la laisser passer, elle s'appelle Florence Aubenas.

Avocats, magistrats, journalistes et justiciables semblent avoir un instant enterré la hache de guerre autour de ce qui réunira toujours les Français : leur palais.

jeudi 10 novembre 2005

Double peine

Plusieurs blogueurs (citons Ceteris Paribus) et commentateurs s'étonnent des déclarations fracassantes du ministre de l'intérieur (qui a dit "pléonasme" ?), annonçant hier à l'Assemblée qu'il allait demander aux préfets d'expulser systématiquement les étrangers condamnés pour des faits liés aux émeutes de ces derniers jours.

En effet, l'actuel ministre de l'intérieur avait fait savoir à cors et à cris qu'il avait courageusement abrogé "la double peine", qui consiste à sanctionner un étranger délinquant par une peine de prison ET une interdiction du territoire, tandis qu'un délinquant français n'aura que la peine de prison. Rupture de l'égalité scandaleuse.

Ledit ministre ayant d'ailleurs écrit dans son livre "La République, les religions, l'espérance" (Éditions du Cerf, 2004, 172 pages, 23 euros) :

La réforme de la double peine a procédé de la même conviction : à chaque délit, à chaque crime, il doit y avoir une réponse pénale ferme. Mais celle-ci ne peut varier selon que l’on est, sur sa carte d’identité, français ou non. Lorsqu’il a passé toute son enfance en France ou qu’il y a fondé une famille, le second n’a pas à subir une seconde sanction en étant expulsé dans on pays de nationalité et coupé de sa famille.

(via Koztoujours)

Le ministre aurait menti ?

Non, le ministre a fait de la com', qui maintenant que les circonstances ont changé lui revient dans la figure comme un boomerang, et cela me réjouit, abstraction faite de la personne du dit ministre : L'arroseur arrosé reste pour moi un chef d'œuvre du comique.

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mardi 8 novembre 2005

La banlieue dans le prétoire

Audience de comparution immédiate d'un tribunal correctionnel de la périphérie parisienne. L'audience du jour est très chargée, et l'audience de comparution immédiate a été doublée : deux chambres siègent simultanément. Au menu du jour : destructions volontaires de bien privé par incendie (ça alors...)

L'ambiance est électrique : famille et amis des divers prévenus sont là pour les soutenir, la présence policière est renforcée.

Cinq prévenus arrivent menottés, rapidement interpellés par des amis dans la salle "Ho, Manu !" ; "Courage mon frère !"...

Le tribunal menace de faire évacuer la salle, ce qui ramène péniblement l'ordre. L'huissier est collé au bureau du procureur, très mal à l'aise. Le tribunal constate l'identité des prévenus, rappelle la prévention retenue (qui leur fait encourir 10 années d'emprisonnement) et demandent s'ils acceptent d'être jugés tout de suite.

Leurs avocats leur ont dit d'accepter, puisqu'en cas de refus, le tribunal statuerait sur leur éventuelle détention d'ici le procès sur le fond, et que vu les circonstances actuelles (le code de procédure pénale dit "trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public"), la détention serait certaine : il n'y a rien à perdre à plaider tout de suite.

Les cinq prévenus, dont quatre travaillent, le cinquième, à peine majeur, étant encore scolarisé, étaient réunis vendredi soir dans un terrain vague de la commune où ils ont l'habitude de se réunir pour boire de la bière, écouter du rap à fond sur un autoradio et faire des démarrage en trombe sur leur scooter. Un voisin, lassé du bruit, a appelé la police, à l'arrivée de celle-ci, les jeunes étaient partis, mais une fourgonnette brûlait non loin. Grâce au signalement des véhicules, les prévenus ont été rapidement appréhendés par la BAC qui n'a pas hésité à faire chuter le prévenu en scooter pour l'arrêter.

L'enquête a été bâclée, c'est le moins qu'on puisse dire, et les avocats de la défense ne se privent pas de relever les faiblesses de l'enquête : personne n'a vu qui a bouté le feu à la fourgonnette, ni qui a éteint l'incendie, le véhicule n'étant qu'à moitié calciné : les constatations sur place tiennent sur une demi page. Ça sent les services de police débordés.

Les versions des cinq prévenus, recueillies isolément, concordent parfaitement sur leur emploi du temps de la soirée, où ils sont allés après leur réunion sur le terrain vague, qui ils ont vu, etc. L'un d'entre eux, celui au scooter, a un casier judiciaire, quatre mois avec sursis pour violences volontaires. Il essaye maladroitement d'en tirer un argument : « Avec ces quatre mois au dessus de la tête, la dernière chose que j'ai envie, c'est de chercher les ennuis ! ». Il explique qu'il a tenté d'échapper à la police parce que son phare avant ne marchait pas (les PV relèvent en effet qu'il roulait sans lumière avant). Pour le procureur, l'argument n'est pas pertinent : « Ce tribunal voit assez de délinquants réitérants pour savoir qu'un sursis n'est pas suffisant pour arrêter un délinquant ; quand en plus il y a l'émulation du groupe et une volonté de compétition par médias interposés... Quant au phare avant, pour ça, on risque une peine d'amende ; en ne s'arrêtant pas, c'est un refus d'obtempérer, et on risque la prison ! Si vraiment c'est que vous redoutez par dessus tout, faites en sorte de ne pas avoir un comportement qui vous y expose ! ».

Il demande huit mois ferme pour tout le monde, avec mandat de dépôt, et révocation du sursis pour le jeune homme au scooter. Les avocats demandent en cœur la relaxe, la preuve de la culpabilité des prévenus dans l'incendie n'étant absolument pas rapportée.

Le tribunal se retire pour délibérer. Dans la salle des pas perdus, l'ambiance est lourde, des policiers en tenue anti-émeute sont arrivés en renfort.

Après trois quart d'heure, le tribunal revient.

Les prévenus sont tous déclarés coupables, et se prennent trois mois ferme, quatre pour le jeune homme au scooter, mais sans révocation du sursis, mandat de dépôt pour tout le monde.

Et là, c'est l'explosion.

« Enculés ! C'est ça la justice ? Fils de pute ! Va niquer ta mère ! » fusent de la salle. Deux des prévenus fondent en larme. Les familles et amis se lèvent et avancent ver le tribunal, qui doit battre en retraite précipitamment. Les avocats s'interposent et tentent de ramener le calme (et vu l'âge de certaines, et le gabarit d'autres, il faut leur rendre hommage. La police fait évacuer le tribunal, les injures volent, on est à deux doigt de l'explosion de violence, mais le sang froid des policiers permet d'éviter l'étincelle. Les avocats discutent longuement avec les familles des prévenus sur les marches du palais.

En fait, l'explosion de colère vient du fait que des amis des prévenus ont vu le procureur discuter avec les juges, avant qu'ils ne viennent rendre leur délibéré. C'est fréquent, rappelons que juges et procureurs sont collègues, ils font partie du même corps de fonctionnaires et que leurs bureaux sont dans les même locaux. Je suis prêt à parier que le procureur n'a pas abordé avec les juges les faits examinés parle tribunal, il est de plus presque certain que le tribunal avait déjà délibéré, avait signalé au procureur par téléphone que les décisions allaient être rendues (la présence du procureur est indispensable au prononcé des jugements), et qu'ils échangeaient quelques amabilités et des commentaires anodins sur l'audience. C'est ce qui arrive tous les jours. Cela nous déplaît fortement : nous sommes partie au procès au même titre que le procureur, et nous verrions envoyer sur les roses si nousallions deviser avec le tribunal dans les couloirs. L'égalité des armes suppose une égalité de traitement (Pour ma part, je préconisue que les procureurs se voient envoyer sur les roses, le temps des magistrats est précieux). Mais ce n'est pas une pression exercée par le parquet sur le tribunal.

Il demeure que la femme de César ne doit pas être soupçonnée. Donner une apparence de connivence et de volonté d'influencer, un jour pareil, avec une ambiance aussi électrique, c'est une terrible maladresse.

Les esprits mettent du temps à se calmer, mais finalement, la foule se disperse. Jamais ce tribunal n'a autant ressemblé à une forteresse assiégée.

En m'éloignant du palais, j'aperçois une de mes jeunes consœurs dans sa voiture, stationnée.

Elle a la tête appuyée contre le volant. Elle est secouée de violents sanglots.

Elle défendait le jeune homme au scooter.

samedi 5 novembre 2005

Avis de Berryer : Florent Pagny

Les affaires reprennent ! La promotion 2005, sentant sa fin venir alors qu'elle a encore tant à donner multiplie les Berryers. Voivi encore un billet-invitation de la part de mon confrère Benoît Boussier, Quatrième secrétaire de la Conférence.

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jeudi 3 novembre 2005

Prudence et modestie

Mes lecteurs habitués savent désormais que je peste régulièrement contre les avocats qui touchent à la matière pénale sans la connaître, souvent pour se faire plaisir ou rendre service à un client.

Le danger est bien évidemment la morgue du pénaliste, et une anecdote récente m'a montré combien il faut être vigilant de ne pas tomber dans ce piège.

J'ai été commis d'office pour assister, une fois n'est pas coutume, une partie civile devant la chambre des appels correctionnels (j'exagère, un petit tiers de mes dossiers pénaux sont du côté de la partie civile).

Comme il est d'usage, je cherche mon contradicteur, qui est une contradictrice contradicteuse femme pour me présenter à lui et lui remettre copie des pièces que j'entends produire devant la cour.

Je la trouve accoudée à la barre en pleine discussion avec une amie. Elle est jeune, moins de trente ans, et son amie est visiblement une copine de fac. J'attends une pause dans le papotage pour me glisser dans son champ de vision, mon dossier bien en évidence où figure en gros caractère le nom de mon client, et du sien précédé de la mention "contre".

Présentation, échange d'amabilités, puis je lui remets mes pièces.

Je m'enquiers alors :

« Avez-vous des pièces ou des conclusions que vous versez aux débats ? »

Et je me prends en retour, certes agrémenté d'un fort joli sourire :

— « Vous savez, nous, les pénalistes, nous ne prenons jamais de conclusions. »

Son amie me regarde avec une certaine commisération.

J'avoue avoir été pris de cours. Je me suis contenté de répondre « Ha, j'en apprendrai tous les jours », et ai regagné ma place.

Il est exact qu'en défense au pénal, les conclusions sont rares, puisqu'il est difficile de savoir comment va se passer l'audience. Il est délicat de déposer des conclusions de relaxe et d'entendre son client avouer les faits dès qu'on lui pose une question. La plaidoirie finit de se préparer au cours de l'audience. Néanmoins, certaines situations rendent les conclusions nécessaires : soutenir une nullité de procédure (ça ne pouvait pas être le cas, nous étions en appel et aucune nullité n'avait été soulevé devant le tribunal) ou quand on présente une argumentation juridique complexe, pour contraindre la juridiction à y répondre de manière précise.

Ma question n'était donc pas incongrue et ne révélait pas le béotien.

Dans sa précipitation, elle a oublié que le doute doit bénéficier à l'accusé.

Post scriptum : son client a vu sa peine aggravée. Je ne suis pas sûr de ne pas porter une part de responsabilité.

lundi 31 octobre 2005

Une brève sur Leonor de Borbon

Bienvenue au XXIe siècle, Leonor.

A peine née, tu as déjà un blog, très drôle au demeurant (merci à Jé du tuyau), qui s'offre un scoop au bout d'à peine 24 heures.

En effet, le sexe de l'enfant était censé être un secret : les parents l'ont voulu ainsi. Le seul homme en Espagne qui savait la vérité était le Docteur Luis Ignacio Recasens, gynécologue obstétricien de la Princesse d'Asturies.

Sauf que.

Sauf que les noms de domaine Leonordeborbon.com, Leonordeborbon.net et Leonordeborbon.org ont été enregistrés hier à 21h12 par le Colonel Isaias Peral, chef du centre de communication et d'informatique de la Maison Royale d'Espagne.

Ergo il connaissait non seulement le sexe mais aussi le prénom, puisqu'aucun autre nom de domaine n'a été enregistré par le Colonel avec un autre prénom masculin.

C'est pour des trucs comme ça que j'adore internet.

Avis de Berryer

Ci joint un e-mail reçu de mon confrère Benoît Boussier, héroïque quatrième secrétaire de la Conférence qui, à force d'opiniatreté et d'arguments rhétoriques imparables, a obtenu de main de maître qu'une Berryer se tienne en notre beau palais, mais à certaines conditions. D'un coup de maguette magique, j'ai transformé son e mail en billet, puisqu'il y a quelques instructions à suivre :


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Vive l'infante !

Où votre serviteur fait encore dans le people, au risque d'encourir l'opprobre de ses lecteurs jansénistes, et vient encore une fois compléter les informations parcellaires fournies par la presse française.

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dimanche 30 octobre 2005

Les mains dans le cambouis

Je profite d'un peu de répit ce week end de la Toussaint pour retoucher un peu mon blog. Dans la colonne de gauche, j'ai ajouté une liste de liens vers des billets notables, c'est à dire des billets qui quoi qu'anciens méritent d'être retrouvés facilement et qui pourraient intéresser tout nouveau lecteur. N'hésitez pas à me signaler en commentaire ceux qui selon vous mériteraient d'y figurer.

Par ailleurs, plutôt que rajouter une mention "© Maître Eolas 2005, Reproduction interdite." à la fin de tous mes billets, j'aimerais faire comme le Capitaine et rajouter cette mention sur mon fil RSS avec un lien hypertexte vers mon site. Un geek pourrait-il m'indiquer si c'est possible et comment faire ?

Happy Hallowe'en.

vendredi 28 octobre 2005

tentative de squattage judiciaire

Dernier billet sur l'affaire Fogiel, c'est promis.

La lecture du jugement apprend un détail intéressant, amusant ou agaçant, à vous de vous faire votre opinion.

Initialement, c'est l'humoriste Dieudonné qui a mis en mouvement l'action pénale.

Comme on l'a vu dans ce billet, afin de valider sa citation, il a dû effectuer une consignation (de 2000 euros).

Il demandait, outre l'application de la loi pénale (il n'est pas d'usage que la partie civile, même si elle met en mouvement l'action publique, réclame une peine précise, c'est le domaine du ministère public), un euro symbolique de dommages intérêt pour le préjudice moral d'avoir été ainsi injurié, la publication sous astreinte de la condamnation et la prise en charge de ses frais d'avocat à hauteur de 3000 euros.

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jeudi 27 octobre 2005

Affaire Dieudonné - Fogiel : le jugement

Merci à Cédric de m'avoir signalé la publication in extenso du jugement du tribunal correctionnel de Montpellier dans l'affaire opposant l'humoriste Dieudonné à, entre autres, l'animateur Marc-Olivier Fogiel sur le site Juritel.

Voici les motifs par lesquels le tribunal a décidé que les propos constituaient bien une injure raciale (je grasse) :

Le 1er décembre 2003, Monsieur M. a été invité à l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde », animée par Monsieur Marc-Olivier F. et produite par la Société PAF PRODUCTION, dont ce dernier est le représentant légal, diffusée en direct sur la chaîne de télévision France 3.

Le principe de cette émission consiste en une série d’interviews de personnalités ayant trait à l’actualité, qui sont accompagnés de réactions des téléspectateurs exprimées par voies de messages SMS, diffusés en bandeau sur l’écran.

Au cours de cette émission intitulée « Spéciale Comiques », Monsieur Dieudonné M. a effectué un sketch dans lequel il a caricaturé un juif fondamentaliste extrémiste.

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mercredi 26 octobre 2005

Du style des présidents

Mon billet sur le chômeur stressé recourant à une thérapie manuelle pour se détendre a lancé en commentaires un intéressant débat sur le respect dû par les magistrats aux prévenus.

Certains lecteurs, Palpatine en tête s'étaient offusqués de ce que la présidente se soit permis de moquer le prévenu :

je trouve ça vraiment cruel de faire une audience publique, alors même que cet homme doit être dans un intense état de souffrance psychologique, étant donnés les actes auxquels il s'est livré, ce qui est apparemment confirmé par sa situation effective. D'ailleurs, le "bon mot" de la présidente peut bien entendu prêter à rire, mais dans le fond, il s'agit d'un être humain que l'on moque, et ce dans le lieu même qui est censé rendre des jugements justes, et faire régner la vertu...

Ce à quoi Josse Delage opposait le contre argument suivant, fondé sur le libre arbitre :

C'est la reponse évasive et dénuée de toute admission de responsabilité personnelle qui a laissé la porte ouverte a la répartie du juge. Il a fait le choix de ses actions et il doit en accepter les conséquences. Se chercher des excuses foireuses pour se déresponsabiliser légitimiserait n'importe quel commentaire.

Pour ma part, je suis assez partagé. J'aime bien l'argument certes rigoureux de Josse Delage : les prévenus qui sortent des excuses bidons, les juges en voient tous les jours, et la lâcheté de certains à la barre alors qu'ils étaient très courageux face à leur victime a de quoi provoquer la colère. Mais il demeure que Palpatine a raison sur un point : il y a de la cruauté chez le juge qui profite de sa situation dominante pour écraser un prévenu.

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mardi 25 octobre 2005

Bug de la loi Perben 2.0 : le patch juge 1.0 règle le problème

J'avais abordé précédemment la question du "bug" de la loi Perben II. Enfin, du bug... Si cette loi n'en avait qu'un... C'est plutôt le Windows de la procédure pénale cette loi : exemple ici, et je croyais avoir fait un billet sur un des articles de cette loi qui modifiait un article d'un texte antérieur déjà abrogé, mais je ne le retrouve pas.

A cette occasion, je disais :

Les juges n'ont pas d'hésitation à rendre à la loi le sens qu'a voulu lui donner le législateur, même quand il dit le contraire de ce qu'il a voulu exprimer. Là, je parle d'expérience.

Il est parfaitement loisible à un JAP de lire [ce texte] comme signifiant "sept jours par mois pour les durées d'incarcération moindre". (…)

Le Canard a tout à fait raison de pointer du doigt les incuries du législateur. Mais il se méprend sur la soumission des juges au sens littéral de la loi.

L'avenir dira si je me trompe.

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vendredi 21 octobre 2005

De la procédure et de la presse

Le Figaro du jour fournit une nouvelle démonstration de la maîtrise de la procédure par les journalistes :

CITÉ à comparaître hier au tribunal de Bobigny par le Mrap pour «incitation à la haine raciale», Philippe de Villiers ne «regrette en rien» ses déclarations sur «l'islamisation progressive de la société française». L'audience, à laquelle il ne s'est pas rendu, portait sur la forme, une audience sur le fond devant intervenir le 19 janvier.

(Le Figaro du 21 octobre 2005, auteur : Guillaume Perrault).

C'est quand même curieux, la justice, avec des audiences sur la forme où les prévenus ne se rendent pas.

Il est en fait assez facile de deviner à quoi correspond cette audience.

Le MRAP est une association de lutte contre le racisme, régulièrement déclarée depuis plus de cinq ans. L'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, lui donne le droit d'exercer les drotis reconnus à la partie civile dans le cadre des délits d'incitation à la haine raciale, diffamation raciale et injure raciale.

Le MRAP a donc cité directement Philippe de Villiers devant le tribunal correctionnel de Bobigny pour incitation à la haine raciale, délit prévu et réprimé par l'article 24 de la loi de 1881, qui punit jusqu'à un an d'emprisonnement et 45000 euros d'amende :

Ceux qui, [publiquement], auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

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lundi 17 octobre 2005

« Je suis un peu stressé, Madame le Président… »

Audience du tribunal correctionnel, siégeant à juge unique.

Le prévenu à la barre s'appelle Michel, il est plutôt petit, rondouillard, chauve, et rouge comme un code Dalloz.

La présidente, une femme à poigne très pince sans rire, rappelle la prévention.

« Vous êtes prévenu d'avoir, à Paris, dans un lieu accessible au public, à savoir votre voiture stationnée non loin de la sortie du Collège Sainte-Trolle, commis un acte d'exhibition sexuelle, en l'espèce en vous masturbant en regardant les jeunes filles. »

Elle lève les yeux vers le prévenu d'un air impassible : « Reconnaissez-vous les faits ? »

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jeudi 13 octobre 2005

Le concours de la Conférence

Voilà un thème que je m'étais promis d'aborder il y a longtemps. La proximité du troisième tour me fournit la circonstance idéale.

Il est dans notre Barreau une tradition, reprise dans beaucoup de barreaux de province, celle de la Conférence du Stage.

L'intitulé est assez abscon, et quand vous saurez qu'en plus les lauréats portent tous le titre de secrétaire (même le trésorier), vous commencerez à comprendre qu'il y a dans ce vocabulaire pompeux qui ne veut rien dire un hommage à l'art que cette conférence a pour vocation de promouvoir et entretenir : la rhétorique verbale.

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mardi 11 octobre 2005

Dieudonné et al. vs Fogiel et al

L'affaire Dieudonné a rebondi récemment et son caractère ultra-médiatisé a estompé son aspect purement juridique.

C'est à celui-ci et à celui-ci seulement que je l'intéresserai, puisque les mésaventures judiciaires de nos deux comiques sont tout à fait transposables aux blogs.

J'avertis d'ores et déjà les ogres trolls que Google pourrait amener ici que tout message visant à invectiver l'un des deux protagonistes sera implacablement effacé. Ici on parle droit, c'est pas le café du commerce.

Les faits sont simples. L'émission "On ne peut pas plaire à tout le monde", qui n'a jamais mieux porté son nom qu'à cette occasion, du 1er décembre 2003, l'humoriste Dieudonné a fait un sketch dans lequel il était vétu d'un treillis, portait une cagoule, symbole des terroristes, un fedora, le chapeau porté par les juifs religieux, d'où sortaient des peyos, ce qui combiné avec le fedora montrait clairement qu'il incarnait un juif ultra-orthodoxe. Lors de ce sketch, ce personnage invitait les jeunes des cités à rejoindre "L'axe du bien, l'axe américano-sioniste, BUSH-SHARON" et terminait son discours par le salut fasciste ponctué du calembour suivant "Isra-heil".

Le MRAP a porté plainte peu après, et le parquet a ouvert une enquête préliminaire pour diffamation raciale.

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jeudi 6 octobre 2005

La Berryer en danger !

Je transcris ci-dessous un courrier de Monsieur Benoît Boussier, 4e secrétaire de la Conférence, en charge donc de l'organisation de la Conférence Berryer. J'adhère totalement au propos. Si l'événement n'a pas de quoi justifier une manifestation en robe ou le détournement d'un navire, ce serait une terrible perte pour le palais, qui doit rester un lieu de vie, ce qu'il est depuis plus de 1000 ans.

Chers amis, Cher Peuple de Berryer,

Chaque année, la Conférence Berryer rythme la vie du Palais et de la Conférence du Stage du Barreau de Paris.

Tradition plus que centenaire, elle a évolué avec son temps mais a toujours conservé cette force que lui accorde l'impertinence !

Aujourd'hui, elle est menacée de disparition, d'extinction.

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