Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 30 novembre 2006

France, patrie des droits de l'homme...

La presse étant trop occupée à parler de ce scoop extraordinaire qu'est la déclaration de candidature du président de l'UMP, vous n'entendrez probablement pas parler de deux affaires sans intérêt, qui n'intéresseront nullement aux yeuxdes rédac'chefs les citoyens de la république, dont la curiosité est amplement rassasiée avec des considérations sur la couleur du tailleur de la candidate du parti socialiste.

Les blogues en général et le mien en particulier se passionnant pour le sans-intérêt, je vais donc vous en causer. On ne sait jamais, il pourrait y avoir ci ou là quelques farfelus comme moi qui pourraient s'y intéresser.

La France vient d'être condamnée deux fois en trois semaines par la cour européenne des droits de l'homme, à l'unanimité des sept juges composant la section saisie, la première fois pour traitement inhumain et dégradant, la deuxième fois pour atteinte à la liberté d'expression.

Vous, je ne sais pas, mais moi, ça me fait mal.

La condamnation pour torture a été prononcée le 24 octobre dernier par la deuxième section (arrêt Vincent contre France, req. n°6253/03).

Le plaignant n'est pas sympathique, c'est vrai. Il est en prison, pour enlèvement et séquestration d'un enfant de sept mois, mais pas pour violences sur cet enfant. Il est un détenu désagréable et procédurier, qui porte plainte contre un peu tout le monde ; mais parfois à raison, comme nous allons le voir. Il est paraplégique depuis un accident de la circulation en 1989 et a perdu l'usage de ses jambes. Il est en prison depuis 2002 et purge une peine de dix années d'emprisonnement.

Depuis sa détention provisoire, il a visité plusieurs hostelleries de la république : Nanterre de novembre 2002 à février 2003, Fresnes de février à juin 2003, Osny de juin 2003 à février 2005, Meaux-Chauconin de février 2005 à mars 2006, établissement adapté aux handicapés, d'où il a été transféré à Villepinte où il résiderait encore.

C'est lors de son passage à Fresnes que Monsieur Vincent a connu une situation inhumaine et dégradante pour la cour, du fait de l'inadaptation de cet établissement, construit au XIXe siècle, pour un détenu se déplaçant en fauteuil roulant. Là, je confirme. Je dois baisser la tête et rentrer les épaules pour franchir la porte menant au parloir des avocats, et je mesure 1m80. Monsieur Vincent ne pouvant franchir seul les portes (ce qui nécessitait qu'il fût porté pendant qu'une roue de son fauteuil était démontée), il est resté confiné dans sa cellule pendant quatre mois sauf à l'occasion de rares sorties, principalement pour les nécessités de l'instruction. Cette situation a été constatée dès son arrivée, et aucune raison impérieuse n'imposait de le laisser dans cette maison d'arrêt ; pourtant il y est resté quatre mois, sans sport, sans promenade, sans sans accès à la bibliothèque. Faute de chaise adaptée, il n'a pu prendre de douche pendant deux mois. Enfin, les soins que nécessitaient son état, sondages urinaires et touchers rectaux pour l’évacuation des urines et des selles, étaient faits en cellule, au vu de ses codétenus.

Le récit du plaignant sur ses autres conditions de détention fait frémir, même si la cour les écarte faute de preuve (un détenu ne peut avoir d'appareil photo dans sa cellule ni faire venir un huissier...) : à Nanterre, il ne pouvait atteindre les placards, ni utiliser le miroir ou le lavabo, placés trop haut pour un homme en fauteuil ; il aurait même été contraint durant quatre jour d'aller aux toilettes en rampant, son fauteuil étant cassé. A Osny, Dans sa cellule, la douche n’était pas adaptée à une personne paraplégique puisqu’il devait actionner le bouton poussoir avec l’arrière de sa tête pour obtenir de l’eau. Il faudra neuf mois pour que ce problème soit réglé.

Sans commentaires.

Dans la deuxième affaire (Mamère contre France, req. n°12697/03), le camouflet est double car il dépasse la seule affaire judiciaire. Il s'agit de la condamnation de Noël Mamère et Marc Tessier (président de France Télévision) pour diffamation envers le professeur Pierre Pellerin, ancien directeur du service central de protection contre les rayons ionisants (SCPRI) qui en 1986 était responsable des informations officielles sur le nuage de Tchernobyl. A l'occasion d'un passage à l'émission « Tout le monde en parle », le député maire de Bègles, après avoir rappelé qu'à l'époque, il présentait le journal de treize heures, avait parlé du professeur Pellerin en ces termes :

il y avait un sinistre personnage au SCPRI qui s’appelait Monsieur Pellerin, qui n’arrêtait pas de nous raconter que la France était tellement forte – complexe d’Astérix – que le nuage de Tchernobyl n’avait pas franchi nos frontières

Noël Mamère a été condamné pour ces propos, en raison de leur manque de mesure, qui exclurait la bonne foi de leur auteur, et de leur inexactitude factuelle : le professeur Pellerin avait bien dit que la radioactivité avait augmenté en France, ce qui suppose un survol, mais que cette augmentation n'aurait pas de conséquence sur la santé publique, propos qui, d'après la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 3 octobre 2001, « ce qui n’a toujours pas été réfuté avec certitude ». Qu'en termes choisis ces choses là sont dites, n'est ce pas ?

La cour de cassation a validé cette condamnation le 22 octobre 2002 en rejetant le pourvoi de Messieurs Mamère et Tessier.

La cour des droits de l'homme estime qu'en statuant ainsi, la justice française a violé l'article 10 de la convention qui garantit la liberté d'expression, en soulignant que le débat en question portait sur un sujet d'intérêt général, qui impose une plus grande souplesse, et que dès lors l'interdiction que fait la loi française d'apporter la preuve de la véracité des faits diffamatoires quand ils remontent à plus de dix ans n'est pas une limitation acceptable, car « lorsqu’il s’agit d’événements qui s’inscrivent dans l’Histoire ou relèvent de la science, il peut au contraire sembler qu’au fil du temps, le débat se nourrit de nouvelles données susceptibles de permettre une meilleure compréhension de la réalité des choses. ».

De même, la cour n'accepte pas que la bonne foi du requérant ait été écartée au seul motif qu'il a tenu des propos exagérément vifs, encore une fois, il s'agit d'un débat d'intérêt général, et, flèche du Parthe, « dans le cadre d’une émission qui tient moins de l’information que du spectacle et qui a construit sa notoriété sur l’exagération et la provocation ». La carte de presse de Thierry Ardisson appréciera.

L'animateur n'est pas le seul à se prendre un coup de règle sur les doigts par la cour : savourez cette appréciation obiter dictum sur l'attitude des autorités françaises en 1986, qualifiée « d'attitude particulièrement confiante, au détriment d’ailleurs du bon sens géographique ». Et paf. Le premier ministre de l'époque appréciera. Heureusement pour lui que les Français ne sont pas rancuniers, puisqu'il est à l'Elysée actuellement.

Bref, la cour trouve que condamner un homme qui a dit la vérité sur un sujet d'intérêt général, certes en des termes outranciers, mais dans une émission outrancière par sa nature, sous prétexte qu'il n'a plus le droit de prouver qu'il disait la vérité et qu'il l'a dit en termes exagérés, ça ne s'appelle pas de la liberté d'expression, mais de la police politique (cette dernière interprétation est de moi, elle est outrancière mais d'intérêt général alors j'ai le droit). Dire qu'il aura fallu aller jusqu'à Strasbourg pour que cette évidence soit dite.

Et pour finir sur une envolée lyrique qui plaira à mon ami Jules,

Ha, France, terre des droits de l'homme, qu'as-tu fait de ces fruits ? Alors qu'ils étaient un meuble pour ton blason, tu en as fait une nature morte !

mercredi 29 novembre 2006

De quelques quiproquos

Dans la foulée mon billet d'hier, Gascogne et d'autres lecteurs narraient quelques répliques involontairement amusantes, qui font beaucoup rire les juristes mais pas les justiciables.

Les voici, et, afin de réparer cet injuste partage du rire, avec quelques explications. J'en rajouterai une de mon cru qui m'a collé un formidable fou rire.

Un justiciable à qui il expliquait qu'il était incompétent a essayé de le rassurer du mieux qu'il pouvait "Mais non, ne dites pas ça, je suis sûr que non...".

La première chose que doit faire un juge quand on lui présente une affaire (on dit qu'on le "saisit") est de vérifier qu'il est bien le juge qui a le pouvoir de trancher cette affaire. Ce pouvoir s'appelle la compétence. C'est un principe fondamental, puisque c'est la principale limite au pouvoir des juges. La compétence est double : territoriale d'abord ; un juge n'est compétent que sur un territoire géographique délimité, qu'on appelle un ressort (un juge de Bordeaux ne peut juger une affaire qui a eu lieu à Marseille entre marseillais). Matérielle ensuite : le juge des affaires familiales de Marseille, qui est bien compétent territorialement, ne peut juger cette affaire qui relève du juge répressif. Gascogne, qui est juge d'instruction, se disait incompétent soit parce que les faits n'ont pas eu lieu dans son ressort, soit parce qu'ils ne constituent manifestement pas une infraction. Le justiciable a cru qu'il s'agissait d'une confession d'un magistrat en plein doute sur ses qualités professionnelles et a voulu gentiment le consoler.

Un autre auquel il demandait quelles étaient ses charges m'a répondu : "ben, ma femme...".

Une charge désigne les dépenses mensuelles auxquelles on est tenu de faire face sans pouvoir y échapper : loyer, électricité, eau, remboursement de crédit, pension alimentaire, etc. Un juge doit connaître les ressources et les charges d'un justiciable dans plusieurs circonstances : pour fixer le montant d'une amende, d'une pension alimentaire en les comparant aux ressources et charges de l'autre parent, ou d'une consignation lors du dépôt d'une plainte ou d'un placement sous contrôle judiciaire, ce qu'on appelle abusivement la "caution" dans les séries américaines. Ici, notre justiciable a cru qu'on lui demandait ce qui lui pesait dans sa vie...

Enfin, un juge aux affaires matrimoniales demandant au divorçant :
- Quel est votre régime matrimonial ?
- Euh...Deux fois par semaine, M'sieur l'juge...

Le régime matrimonial désigne les règles qui s'appliquent aux patrimoine des époux à la suite de leur mariage. Il y a la communauté réduite aux acquêts, qui est le plus courant puisqu'il s'applique à défaut de contrat signé devant un notaire préalablement au mariage, qui signifie que tous les biens acquis par les époux du jour du mariage à sa dissolution leur appartiennent à chacun par moitié, peu importe qui les a payé, sauf ce qu'ils reçoivent par héritage ou donation ; la communauté universelle, où tous leurs biens leur appartiennent par moitié, la séparation de bien, où aucun patrimoine commun (qu'on appelle communauté) n'existe, et enfin la participation aux acquêts, qui est une séparation de bien pendant le mariage, et se dissout comme une communauté réduite aux acquêts. C'est le régime des avocats et des notaires, qui seuls peuvent le comprendre.

Je ne pense pas avoir besoin d'expliquer quel sens avait donné le justiciable à cette question.

J'ajoute mon anecdote, entendue dans un greffe de juge aux affaires familiales.

Un époux se présente, après que son divorce a été prononcé. Il souhaite savoir ce qu'il faut faire ensuite.
Question de la greffière : « Vous avez reçu la grosse ? »
Réponse : « Non, ma femme et moi ne nous voyons plus depuis un an. »

Quand un jugement est rendu, il en est fait un exemplaire original qui est revêtu de la formule exécutoire et qui est adressé aux parties. C'est une formule[1] qui ordonne à la force publique d'exécuter ce jugement, et qui permet notamment à un huissier de pratiquer des saisies, et à l'avocat de faire mentionner le divorce en marge de l'acte de mariage. On appelle ce jugement une grosse, car du temps où la justice était manuscrite, il était rédigé en grosses lettres aisément lisibles, tandis que la copie conservée dans le registre du tribunal était écrite en petites lettres pour gagner de la place. On l'appelait la minute, du latin minus, petit. Ainsi, aujourd'hui encore, quand nous recevons une copie certifiée conforme, elle porte la mention "Extrait des minutes du tribunal de grande instance de Paris".

La greffière voulait donc savoir s'il avait reçu l'original du jugement qui seul permet de mentionner la dissolution du mariage sur les registres de l'état civil. Visiblement, l'épouse de ce monsieur souffrait d'embonpoint...

Vous voyez, rien que pour ça, je suis attaché à notre langage abscons.

Notes

[1] « En conséquence, la République Française, mande et ordonne à tous Huissiers de Justice sur ce requis de mettre la dite décision à exécution, aux Procureurs Généraux et aux Procureurs de la République près les Tribunaux de Grande Instance d'y tenir la main, à tous Commandants et Officiers de la Force Publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis. En foi de quoi, la présente décision a été signée par le Président et le Greffier.»

mardi 28 novembre 2006

Pourquoi parlons-nous chinois ?

Le reproche sans doute le plus entendu à l'encontre des juristes est celui de l'emploi d'un vocabulaire abscons, obscur, rempli de latin et de termes de vieux françoué, ce qui, ajouté à l'usage de la robe, prête le flanc à l'accusation de complot obscurantiste contre l'intelligence. Bref, si nous parlons un français incompréhensible, c'est pour ne pas être compris, afin que nos services soient indispensables, non comme juristes mais comme simple truchement.

C'est un reproche que je lis régulièrement dans les commentaires, parfois a contrario quand un lecteur a la gentillesse de me dire que moi, au moins, je parle dans un français compréhensible par tous, y compris par les défaillants de la communication que sont les informaticiens.

Quoiqu'il m'en coûte de rejeter un compliment, je me dois de réfuter l'affirmation car elle repose sur une mineure erronée : celui que le langage du droit serait volontairement obscur.

Au contraire, il est diaphane. Pour les juristes.

A titre préalable toutefois, je précise que je parle bien du français juridique, pas du jargon : celui-là, comme tous les jargons techniques et administratifs, est effectivement incompréhensible à cause de l'emploi de sigles, d'abréviations et de tournures françaises impropres, et doit être fustigé, mais en tenant compte d'une circonstance atténuante : il n'est généralement destiné qu'à un public restreint qui lui le saisira sans difficulté.

Ainsi quand un confrère me dit : « Je vous laisse, j'ai un JLD », il me dit en fait qu'il doit assister un mis en examen dans un débat contradictoire devant le Juge des Libertés et de la Détention. Vous comprenez donc à quoi sert le jargon : à faire court entre gens qui se comprennent. C'est pardonnable, mais seulement entre adultes consentants, et je proscris ce genre de choses ici (même si j'avoue que de temps en temps un sigle m'échappe, mais je prends soin de l'expliciter la première fois qu'il apparaît).

Je souhaite parler ici du vrai français juridique, celui du Code civil, qui est plus fourbe. Foin de sigles ou de tournures bancales. Tout y est écrit avec un sujet, un verbe, un complément, certes souvent des propositions subordonnées relatives ou conjonctives, mais pas de doute c'est du français. Or quand on le lit, si les mots ont un sens, leur juxtaposition n'en a plus aucun.

J'ai connu ça. Je me souviens de l'attaque de panique que j'ai ressentie lorsque, béjaune du droit, tout fier de ma collante du bac et de mon duvet sous le nez, j'étais entré, arrogant, à la bibliothèque de la faculté, et m'étais saisi d'un Code civil que j'avais ouvert au hasard afin de voir si ce qui m'attendait était si terrible.

Et là, j'ai lu ceci.

La représentation a lieu à l'infini dans la ligne directe descendante.
Elle est admise dans tous les cas, soit que les enfants du défunt concourent avec les descendants d'un enfant prédécédé, soit que tous les enfants du défunt étant morts avant lui, les descendants desdits enfants se trouvent entre eux en degrés égaux ou inégaux.

Et là je me suis dit : au secours.

C'est ce sentiment d'incompréhension qui est ressenti par le lecteur qui tente de s'intéresser au droit, et qui est reproché à faute aux juristes, puisque, par définition, le droit concernant tout le monde, il faudrait qu'il fût compréhensible par tous.

C'est tout à fait exact, et le Conseil constitutionnel n'hésite pas à censurer des textes qu'il juge trop obscur, comme contraire à la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui précise que la loi est l'expression de la volonté générale, ce qui suppose que cette volonté soit compréhensible par tous en général.

Cependant, il y a loin de la coupe aux lèvres. Le droit est une science, qui suppose nécessairement un langage technique. Ce langage doit être précis, afin de permettre au juge devant trancher un litige de comprendre parfaitement les demandes des parties et sur quoi elles reposent, et d'exposer les raisons de sa décision. Et quand la liberté est en jeu, ou même des sommes d'argent parfois considérables, l'exigence de pédagogie s'efface derrière celle de la rigueur technique. Qui accepterait d'être condamné à payer une somme qu'il ne doit pas parce qu'il serait trop compliqué d'expliquer pourquoi il ne la doit pas ?

En fait, la difficulté d'aborder le droit est dû au fait que, comme pour tout langage technique, chaque mot a un sens et un seul. Ne venez pas reprocher au juriste de parler d'antichrèse si vous ne reprochez pas à votre garagiste de parler de carburateur au lieu de "truc sous le bitoniau, là, non pas là, là, juste à côté".

Et quand le français est impuissant à donner un mot adéquat, on va le chercher là où on le trouve. Ce qu'aujourd'hui, les informaticiens vont chercher dans l'anglais, les médecins dans le grec, les juristes vont le puiser dans le latin, la langue du droit puisque le droit est une invention romaine.

Le droit est une science de qualification : on donne à une situation de fait ou une manifestation de volonté une qualification juridique, puis on applique à cette situation les conséquences que le droit lui attache. Dès lors, chaque mot a son importance. Tout étudiant en droit vous dira que l'on remplit des traités et des encyclopédies sur les conséquences juridiques attachées à cette simple phrase : « Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »[1], ou que cette phrase mystérieuse : « En fait de meuble, possession vaut titre »[2] est la pierre angulaire de nos rapports patrimoniaux.

Le juriste commence ses années d'étude à apprendre le sens de ces mots (c'est surtout l'objet de la première année de droit), puis étudie ces conséquences (c'est l'étude des matières juridiques : droit des biens, des obligations, des personnes, de la famille, pénal, commercial, administratif...).

Voilà pourquoi les textes semblent de prime abord incompréhensibles : le sens des mots n'est pas celui que le langage courant, en perpétuelle évolution en fonction des usages et des modes, lui a donné. Ce n'est pas le français juridique qui est compliqué, c'est le français courant qui l'est devenu.

Ainsi, des mots comme "objet", "chose", "exception", "souche", "fente", "degré", "branche" et "interne" ont des sens juridiques précis qui sont fort loin du sens courant. Par exemple, couper en deux une branche en droit des successions vous conduira devant la cour d'assises pour de multiples assassinats.

Reprenons ainsi ma géhenne de première année.

La représentation a lieu à l'infini dans la ligne directe descendante.

Il eût fallu, pour que j'évitasse la migraine, lire les articles du Code dans l'ordre, puisque les définitions sont données plus haut. Je me trouvais ainsi en droit des successions.

La représentation est une règle successorale, qui veut que quand un enfant est mort avant son père, ses enfants héritent de sa part de la succession, mais pas plus. Ainsi, A a trois fils, B, C et D. B a deux enfants, E et F, et meurt. Par la suite, A décède à son tour. Son patrimoine est divisé en parts égales entre ses trois fils. B est mort, mais ses enfants viennent en représentation de leur père. C, D, E et F sont donc tous quatre héritiers, mais l'héritage ne sera pas divisé en quatre parts égales : si C et D ont chacun un tiers de la succession, E et F ont chacun la moitié de la part de leur père, soit un sixième, comme si leur père était vivant pour recueillir la succession. Cette règle vise à garantir l'égalité entre enfants.

Dire qu'elle a lieu à l'infini dans la ligne directe descendante signifie que peu importe combien de générations séparent A des descendants venant en représentation, que ce soit ses enfants, petits enfants, arrière petits enfants, ou arrière arrière petits enfants, la représentation n'est jamais écartée. On ne cesse pas d'être héritier par l'éloignement des générations.

Elle est admise dans tous les cas, soit que les enfants du défunt concourent avec les descendants d'un enfant prédécédé, soit que tous les enfants du défunt étant morts avant lui, les descendants desdits enfants se trouvent entre eux en degrés égaux ou inégaux signifie que peu importe qu'un enfant soit décédé avant ses frères s'il laisse des enfants : la part qui lui serait revenu passe à ses enfants, ses frères ne peuvent dire que puisqu'il est mort avant son père, aucune part de cet héritage ne lui revient. Et il en va de même si le frère mort ne laisse que des petits enfants. Tant qu'il a au moins un descendant vivant, sa part d'héritage est maintenue.

Allez, un exemple : dans notre hypothèse précédente, A meurt très vieux. Tellement vieux que E est lui même mort avant lui, de même que son fils G, qui laisse deux enfants, H et I. Viennent à la succession : B et C (qui ne doivent plus être très frais), chacun pour un tiers ; F en représentation de B, pour la moitié de la part de B, car B a laissé deux héritiers, ce qui lui fait un sixième. Le sixième de E passe à son fils G, qui est mort, mais viennent en représentation H et I, arrières petits fils de A. Ils se partagent le sixième qui revenait à G, soit un douzième chacun. Faisons les comptes : (1/3 pour C) + (1/3 pour D) + (1/6 pour F) + (1/12 pour H) + (1/12 pour I) font bien trois tiers.

Vous voyez, ce n'est pas bien compliqué, mais il m'a fallu 458 mots pour l'expliquer. Le droit en utilise 55. Imaginez que les jugements fissent cela pour chaque terme juridique employé.

Dans la plupart des audiences, nous sommes entre juristes : des juges, des avocats, le cas échéant un procureur. Nous pouvons nous embarquer dans des controverses juridiques passionnantes, mais incompréhensibles pour qui n'a pas la formation adéquate. Peu importe en l'occurence.

Là où le bat blesse, c'est quand un particulier est présent.

Devant une juridiction civile, c'est bien souvent le goûter des requins. Le particulier ayant voulu économiser des frais d'avocat servira d'amuse gueule aux hommes de robe. J'ai vécu ça devant un tribunal d'instance où une personne qui avait voulu faire transporter une voiture par bateau en Afrique, voiture qu'il avait préalablement remplie d'électro-ménager, avait retrouvé sa voiture consciencieusement pillée une fois à destination. Il avait assigné la société de transport, qui avait assigné en garantie l'armateur du navire, qui avait assigné en garantie le port d'arrivée, qui était responsable du déchargement (on dit aconier). Le pauvre homme s'était retrouvé devant son tribunal de banlieue face à trois avocats spécialistes du droit maritime, dont deux venus du barreau du Havre, très réputé en la matière. Vous imaginez sa tête quand ils ont invoqué une loi de 1966, le Code de commerce, une convention internationale pour soutenir un déclinatoire de compétence, une fin de non recevoir tirée de la forclusion, et une clause d'irresponsabilité tirée du contrat d'affrètement. Mais ce qu'il a payé n'est pas tant son ignorance du vocabulaire que son ignorance du droit. Quand on va à la bataille avec un lance pierre, on se prend quand même des obus.

Devant une juridiction pénale, c'est différent. Par définition, le prévenu ou l'accusé sont présents, les victimes aussi. Il est important qu'elles comprennent ce qui se passe, mais il est tout aussi important que la procédure soit respectée et qu'une défense efficace soit présentée. Ces deux derniers points ne peuvent se faire qu'en recourant au langage juridique et en citant les textes. Voilà tout l'art du président : arbitrer entre les explications au prévenu et à la victime, et le nécessaire débat juridique. A l'avocat d'expliquer à son client, ce que parfois nous oublions de faire.

Mais pour conclure, je tiens à pointer du doigt le responsable de l'aggravation récente de la profondeur de ce fossé d'incompréhension. Si le droit est une langue d'une finesse translucide digne du cristal de bohème, il est un éléphant dans notre magasin, c'est le législateur, toujours lui, qui préfère voter dix lois plutôt qu'une augmentation de l'AJ.

Car s'il fait la loi, il est loin de la comprendre. Soucieux de compréhension, mais formé lui même au jargon technocratique plus qu'au vocabulaire juridique, il croit souvent remplir sa mission de clarté en substituant trois mots là ou un seul suffisait, et pense que rien ne vaut une loi pour simplifier une situation.

Ainsi, le législateur a-t-il occis en 1993 le mot inculpé pour lui substituer "mis en examen". Le mot inculpé avait pris un tour ignominieux contraire à la présomption d'innocence. Voyez comme treize ans plus tard, l'expression "mis en examen" n'implique aucune idée de soupçon. Et encore le projet initial prévoyait-il de remplacer l'inculpation par une procédure en deux temps : la "mise en cause" puis la "mise en examen". Tout va bien, puisque finalement, le mis en cause est devenu témoin assisté. C'est plus clair, sauf que le témoin assisté n'est pas un témoin mais bien un suspect. De même que le délit d'ingérence, défini en un mot jugé incompréhensible, est devenu le délit pas plus clair de "prise illégale d'intérêt", en quatre mots, avec cette intéressante précision que ce délit serait donc illégal, merci de l'avoir indiqué.

De même, dans le projet de loi sur la réforme des tutelles, actuellement pendant devant le Sénat, on lit dans l'exposé des motifs cette phrase confondante de sottise (je graisse) :

L'article premier consiste à supprimer du code civil la notion désuète et, avouons-le, assez humiliante d'« incapable majeur » en la remplaçant par celle de « majeur protégé ».

Le terme incapable, en droit, a un sens précis : est incapable celui à qui la loi ne permet pas d'accomplir valablement seul un acte juridique, comme s'engager par contrat. Le mineur est incapable par le seul effet de la loi. Le sénile est incapable par décision du juge.

Ici, le législateur prend le terme d'incapable dans son sens courant, portant jugement de valeur désobligeant : Par exemple, Jacques Chirac est politiquement un incapable ; cela n'empêche qu'il est juridiquement capable.

Il y a des traités de droit sur les incapacités. Il s'agit d'une notion claire, connue, et qui existe depuis des siècles. Et voilà qu'un beau jour de 2006, Monsieur Nicolas About, sénateur génial, s'avise que ce mot, est, « avouons-le », désuet et assez humiliant, que les hommes sont décidément bien bêtes de l'employer depuis 3000 ans, et qu'il faut le remplacer par « majeur protégé », deux mots au lieu d'un, et qui laisse supposer qu'il existe à l'inverse des majeurs exposés au danger avec la bénédiction du code civil.

Heureusement, nous pouvons nous gausser en lisant ce formidable exercice de déni : « Cette modification n'est pas seulement terminologique. Elle permet d'éviter de pointer une incapacité, qui stigmatise la personne, faisant de la mise sous tutelle comme une sanction. Elle recentre la mesure du juge sur la notion de protection de la personne. » Mais si, bien sûr, elle n'est que terminologique, cette modification, puisqu'un majeur protégé reste un incapable, et que « éviter de pointer une incapacité qui stigmatise » et « recentrer une mesure sur une notion », ce n'est pas du droit, mais de la gesticulation législative.

Ou : comment le politiquement correct parlementaire saccage la rigueur du vocabulaire juridique, en rendant le droit encore plus complexe.

Conclusion : ce n'est pas demain que le droit sera plus compréhensible, sauf sur mon blogue.

Notes

[1] Article 1382 du Code civil.

[2] Article 2279 alinéa 1 du Code civil

vendredi 24 novembre 2006

Le législateur est notre ami

Quand on est avocat, une grande partie de notre travail consiste à se tenir à jour de l'évolution législative. Je précise à l'égard de certains commentateurs effrayés du taux horaire des avocats que le temps que nous consacrons à cette passionnante activité n'est pas rémunéré par nos clients, et que les formations que nous suivons et la documentation que nous devons acquérir n'est pas gratuite.

Heureusement, de temps en temps, le législateur nous glisse ce que les anglophones appellent un easter egg, un oeuf de pâques, c'est à dire une petite friandise cachée, afin que le plaisir de la croquer soit doublé du plaisir de l'avoir trouvée. Ainsi, la loi Perben II avait modifié un article de loi depuis longtemps abrogé, et qui après cette modification restait tout aussi abrogé.

Cette fois, c'est la très haïssable loi n°2006-1376 du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages, qui m'a quand même arraché un sourire, grâce à son article 1er, qui modifiera au 1er mars 2007 la rédaction de l'article 63 du Code civil.

Cet article prévoit depuis la loi Sarkozy du 26 novembre 2003 sur la maîtrise de l'immigration[1] que l'officier d'état civil qui va célébrer le mariage doit convoquer les époux pour les entendre afin de s'assurer de la sincérité de leur mariage ; s'il a des doutes sur ce point, il peut en avertir le procureur de la République qui pourra alors former opposition au mariage (article 175-2 du Code civil, issu de la loi du 26 novembre 2003).

Prévoyant, le législateur ajoute à l'article 63 du Code civil que :

L'audition du futur conjoint mineur se fait hors la présence de ses père et mère ou de son représentant légal et de son futur conjoint.

Amnésique, le législateur a oublié qu'il a lui-même voté une loi le 4 avril dernier qui dans son article 1er prévoyait que désormais :

L'homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus.

C'est à dire quand ils sont majeurs. L'audition d'un futur conjoint mineur serait donc illégale puisque le futur conjoint ne doit pas être mineur.

Des esprits soucieux de voler au secours de législateur me diront qu'une dispense d'âge est possible pour motifs graves (article 145 du Code civil).

Il est vrai, mais cette dispense est accordée par le procureur de la République. Qu'il me soit permis de me demander où serait la logique du système qui voudrait que l'officier d'état civil pût demander au procureur de s'opposer au mariage qu'il vient d'autoriser.

Je crains fort qu'une fois de plus, le législateur montre qu'à force de voter texte sur texte au pas de charge, il ne se souvient même plus de ce qu'il a voté sept mois plus tôt et continue à légiférer sur des situations qu'il a rendu impossibles par une loi précédente.

Vous comprenez dès lors que chaque annonce d'une nouvelle réforme de la procédure pénale me plonge dans des abîmes d'angoisse.

Notes

[1] Immigration tellement maîtrisée que le même ministre a cru devoir faire voter une nouvelle loi sur le même thème, cette fois baptisée sur l'immigration et l'intégration...

jeudi 23 novembre 2006

Quelques considérations sur l'actuelle crise de l'aide juridictionnelle

► Merci à tous mes confrères de province qui m'informent du mouvement dans leurs barreaux respectifs. Beaucoup de barreaux de province ont interrompu toute activité liée à l'aide juridictionnelle, à l'exception des audiences où la liberté est en cause : juge des libertés et de la détention, reconduites à la frontière. La manifestation du 18 décembre promet d'être un succès. Je serai à vos côtés dans la foule.

► Un confrère d'un barreau du sud-est m'indiquait des chiffres intéressants, relevés par son ordre dans un communiqué.

Les seuils d'aide juridictionnelle sont revalorisés chaque année, et plutôt généreusement, d'ailleurs : le seuil d'admission à l'aide juridictionnelle partielle est quasiment équivalent au SMIC. Et son barreau s'est livré à un petit calcul.

De 2000 à 2006, la rémunération de l'aide juridictionnelle a augmenté de 0,02%.

Sur la même période, le nombre de dossiers admis à l'aide juridictionnelle a augmenté de... 130%.

Là, c'est clair, l'Etat vient en aide aux plus démunis aux frais des avocats. Vous comprenez que cette charge devient dramatique dans un barreau de taille très modeste.

► Deux dossiers que j'ai eu récemment à traiter mettent en lumière le mauvais fonctionnement du système.

Dans un dossier, j'ai été commis d'office pour assister un prévenu qui avait des revenus confortables le mettant largement au-dessus des seuils de l'aide juridictionnelle. Il ne s'agit pas d'une fraude : n'étant pas habitué des prétoires, il ne connaissait pas d'avocat pénaliste. Il a donc demandé au bâtonnier de lui en désigner un. L'audience étant prévu à très bref délai, il était impossible de lui faire remplir une demande d'AJ. Un avocat a donc été commis d'office et sera rémunéré à l'AJ, soit 175 euros (ce dossier m'a pris 10 heures, rendez vous avec le client, consultation du dossier au greffe, recherches et rédaction de conclusions, outre l'audience où je reste jusqu'au délibéré). Le bureau d'aide juridictionnelle constatant que ses revenus ne lui ouvrent pas l'aide juridictionnelle demandera le remboursement de la somme qu'il m'a versée, soit 175 euros. Opération neutre pour lui. J'en suis de ma poche pour moi, un tel dossier aurait dû être facturé au moins dix fois plus. Pendant ces dix heures, mon loyer a couru, le salaire de mon assistante aussi.

Dans le second, je suis commis d'office pour assister un indigent. Le parquet général a fait appel d'une condamnation à une amende de 100 euros. Mon client étant indigeant, 100 euros ou 1000 euros, c'est kif-kif : il ne paiera pas. Ma consolation est que j'ai plus à gagner (175 euros là aussi) que le trésor public sur ce coup là. Ha, non, même pas, il a droit en plus de l'amende à 90 euros de droit de procédure. Et je sais que je vais devoir me fendre de conclusions solides puisque je pense que cet appel est irrecevable en vertu d'une jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l'homme, donc longues à rédiger.

Ces deux dossiers s'étant suivis à quinze jours, c'est une catastrophe économique pour mon cabinet. 20 heures de boulot pour 350 euros. Ou alors je ne fais rien, je vais agiter les bras à l'audience où je découvrirai le dossier, et mon client verra sa peine aggravée. Vu qu'il est indigent, de toutes façons, il ne paiera pas. Alors ? Je suis consciencieux ou pas ?

► Le mécontentement des avocats est tel qu'une simple augmentation de 15 ou 20% de l'AJ ne suffira pas. C'est tout le système qu'il faut remettre à plat. Un récent rapport dont je ne retrouve pas les références (je modifierai le billet dès que je les aurai retrouvé, je ne doute pas que mes commentateurs y pourvoiront) de la Commission Européenne Pour l'Efficacité de la Justice (CEPEJ) soulignait que la France, de tous les pays d'Europe (je ne sais si des 25 ou du Conseil de l'Europe, soit 46 pays, incluant la Turquie) ouvrait le plus l'admission à l'aide juridictionnelle, et rémunérait le moins bien les avocats commis d'office. Voilà l'inacceptable contradiction.

► Certains pourraient penser que cette grève n'est qu'une affaire de nantis qui essayent d'arrondir leur fins de mois dorées en ponctionnant l'Etat, espérant ainsi récupérer leur ISF. Et de suggérer que plutôt que faire la grève de l'aide juridictionnelle, nous devrions cesser de défendre les riches et nous consacrer aux pauvres. Ce serait très populaire, sans nul doute. Mais faire cela rien qu'une semaine, c'est le dépôt de bilan assuré. Nous sommes chefs d'entreprise. Nous avons des charges fixes à payer, des salariés dépendent de nous. Devons nous les mettre eux aussi en danger ? Il y a des mois où des avocats ne se payent pas, et en prime négocient un prêt ou un découvert pour payer leur salarié. Et beaucoup gagnent chaque mois moins que le SMIC, et sont dépendants des revenus de leur conjoint. Ca donne envie de rejoindre la profession, n'est ce pas ?

Sachez que s'il y a des avocats très riches, il y en a aussi des très pauvres. Ce sont ces derniers qui font le plus d'AJ, à cause de leur secteur géographique (quand on est avocat dans le Val de Marne ou en Seine Saint Denis, pour parler des départements que je connais le mieux, on n'a pas le choix) ou de leur domaine d'activité (le droit pénal, le droit des étrangers, c'est beaucoup d'AJ). Les très riches ne font pas d'aide juridictionnelle. Par goût quand ils sont sur Paris, puisque ce n'est pas obligatoire ici, mais aussi du fait de leur domaine d'activité. Quand on fait du droit social pour une clientèle d'employeurs, on n'est jamais à l'aide juridictionnelle. Pas plus que quand on fait de l'arbitrage international. Donc il n'y a pas de transfert possible au sein du cabinet : la multinationale qui a un dossier d'arbitrage international payerait pour le client indigent, les honoraires de la première étant ajusté pour compenser la modestie de ceux demandés au second. Quant au transfert "que les avocats riches payent pour les clients pauvres", ça existe : ça s'appelle l'impôt, que l'Etat prélève au nom de la solidarité nationale, mais néglige de restituer quand cette même solidarité l'exigerait. Alors la solution est-elle : cessons de faire du droit pénal, consacrons nous à la défense des employeurs, au droit maritime et à l'arbitrage international ? C'est ce que vous souhaitez pour notre société ?

A titre d'information, depuis cette année, les avocats peuvent faire l'objet de redressement et de liquidations judiciaires, selon un système spécifique distinct de celui des entreprises commerciales mais très inspiré. Depuis l'entrée en vigueur de cette loi, 85 avocats ont "déposé le bilan", et entre 1500 et 2000 confrères parisiens seraient menacés d'une telle procédure, qui emporte interdiction d'exercer la profession à titre libéral, seule la forme salariée étant admise. Et les avocats salariés sont rares. Une telle décision entraîne de facto le retrait de la profession. Et ces avocats ne sont pas mauvais avocats, ce serait si commode ; mais ils sont mauvais gestionnaires, ou dépendent d'un ou deux gros clients (Banque, office HLM, institutionnel) qui leur fournit des dossiers en quantité qui assurent la trésorerie du cabinet, et qui peuvent partir du jour au lendemain sans qu'on ait quoique ce soit à dire. L'exercice individuel ou en petite structure est très casse gueule. C'est une angoisse que nous connaissons au quotidien, comme tout patron de PME.

Alors ne prenez pas à la légère la colère qui monte. Elle est légitime, elle est juste, et l'enjeu vous concerne tous au premier chef, chers lecteurs justiciables.

lundi 20 novembre 2006

Grève de l'aide juridictionnelle : le Barreau de Bobigny rejoint le mouvement

Le Barreau de Bobigny annonce sur son site (très web 1.0) qu'il s'est réuni en "assemblée générale extraordinaire", formation qui à ma connaissance n'a aucune existence légale, et a voté aujourd'hui la suspension totale de toute activité au titre de l'aide juridictionnelle de demain jusqu'au 8 décembre prochain. Cela semble indiquer que les permanences pénales ne seront plus assurées à la 17e chambre (les comparutions immédiates), aux juges d'instruction et au JLD ; à moins que le renvoi ne soit systématiquement demandé, à moins encore que l'épithète "totale" ne soit que symbolique. Si un confrère d'outre-Ourcq me lit, des précisions sont bienvenues.

Bobigny sans AJ, je peux vous dire que ça va se sentir...

Aux confrères de province qui me lisent, merci de me faire savoir, en commentaire par exemple, si votre Barreau a également décidé de telles cessations d'activités, selon quelles modalités, et comment ça se passe. L'info passe mal d'un barreau à l'autre, et le mouvement manque de visibilité. Alors, c'est avec plaisir que je mets ce blogue à la disposition de ce mouvement pour faire parler de lui.

Les avocats du Val de Marne ne font pas la grève du blogue...

... ils font le blogue de la grève.

C'est ici que ça se passe.

Les commentaires sont ouverts. Vous pouvez y dire du mal des avocats parisiens, ils adorent nous taper dessus (témoin ce billet), mais comme ce n'est pas toujours immérité, je ne saurais leur en vouloir.

Mais comme je ne saurais recevoir d'outrage sans réagir, à mon tour de leur donner le coup de pied de l'âne sur leur dernier billet indiquant que le mouvement a été reconduit ce jour :

Ce jour, vers 13 heures, l'assemblée générale du Barreau du Val-de-Marne a décidé de poursuivre la grève selon les mêmes modalités, savoir absence de toute désignations civiles et pénales, absence de tout avocat dans le cadre de la permanence, et poursuite de l'arrêt des dossiers en cours.

Poursuite de l'arrêt ? Je connaissais l'arrêt des poursuites, mais là...

Bon, blague dans le coin, « absence de tout avocat dans le cadre de la permanence », comme je l'ai déjà indiqué, je n'approuve pas ; mais j'assure ces confrères de tout mon soutien pour leur mouvement de protestation qui est légitime, et plus encore : il est juste.

L'arrêt de la première Chambre civile de la cour de cassation du 14 novembre 2006

Voici en intégralité le texte de l'arrêt rendu par la Cour de cassation dans l'affaire Marithé et François Girbaud (Société GIP) contre Association Croyances et Libertés. Les gras et italiques sont ceux de la Cour, les italiques indiquant la thèse du pourvoi et non la décision de la cour de cassation.

Ce billet intéressera surtout les juristes, je le crains.

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vendredi 17 novembre 2006

Pédagogie judiciaire

Le tribunal juge une affaire de violences en réunion : un groupe d'une quinzaine de jeunes, certains mineurs et déférés au juge des enfants, d'autres majeurs dont nos deux prévenus, a roué de coup un jeune homme pour une sordide histoire de règlement de compte entre amoureux éconduits, le tout doublé d'une rivalité de bandes. Coups de poing, coups de pied, coups de bâton, coups de marteau. La lecture de l'expertise médicale des Urgences Médico Judiciaire fait froid dans le dos : pneumo-encéphalée, traumatisme crânien, hémorragie méningée, hématome sous-dural. C'est un miracle que ce jeune homme soit encore en vie, et ait survécu sans séquelles. On est passé à deux doigts de la cour d'assises.

Les prévenus, majeurs, sont les seuls à avoir été identifiés avec deux mineurs jugés par la juridiction des mineurs, le tribunal pour enfants. Conformément à la loi, le nom des mineurs n'est jamais cité, pas plus que la peine qui a été prononcée à leur encontre. Ils sont été placés en détention provisoire par le juge d'instruction qui les a remis en liberté sous contrôle judiciaire au bout de cinq mois.

Comme cela arrive parfois, l'instruction a permis une réconciliation avant l'audience. Les parents des prévenus et des victimes, originaires de la même région d'Afrique, effarés de ce qui s'était passé, eux qui étaient persuadés que leurs enfants étaient des anges sans histoire, se sont rapprochés, ont fait la leçon à leurs enfants, à tel point que la victime renonce à toute réparation autre que symbolique.

Le président en a pris acte et l'audience va tenter d'être pédagogique.

Tenter.

Rapidement, le président se rend compte que le prévenu écoute distraitement. Il jette de nombreux coups d'oeil par la fenêtre, sourit à l'évocation de la scène de violence. Son comportement fait penser à un élève envoyé dans le bureau du directeur. Il laisse passer l'orage en attendant de pouvoir retourner en récréation et en espérant ne pas avoir d'heures de colle. Le président rappelle l'importance de la paix publique, dont nous profitons tous, car quand règne la loi du plus fort, il y a toujours un plus fort que soi. Ce président ayant, au cours de sa carrière, eu l'occasion d'effectuer des missions de coopération dans des pays africains en guerre, ce discours n'a rien d'artificiel. Il a vu des pays où les institutions se sont effondrées, le chaos qui en est sorti, la violence qui en a résulté. Mais ce discours glisse sur ce jeune homme de 20 ans, qui, lui, n'a jamais connu l'Afrique autrement que par les récits de ses parents, pour qui la paix est une évidence telle que le rôle de la police et de la justice dans son maintien lui paraît être une supercherie.

Les débats étant clos, le procureur prend la parole. Elle aussi veut faire acte de pédagogie. S'adressant aux prévenus, qui sont assis sur leur banc les yeux baissés, dans une position qui ressemble à de la pénitence, elle raconte qu'elle vient de régler une affaire, c'est à dire de rédiger le réquisitoire définitif quand une instruction judiciaire est terminée par lequel le parquet, reprenant les faits mis en lumière par l'instruction, les articulant, leur donne une qualification pénale et demande au juge d'instruction de rendre la décision qui lui semble en découler : renvoi devant la cour d'assises, devant le tribunal correctionnel, le tribunal de police ou un non lieu. Ce dossier a eu lieu dans le même quartier. Une rivalité de bandes, encore. Un regard de travers, et un couteau est sorti et planté dans la poitrine. Les radios ont montré que la lame est passée à moins d'un centimètre du coeur. La vie d'un jeune homme de dix neuf ans, en plein Paris, a tenu à un demi centimètre à cause d'un regard.

L'émotion du magistrat du parquet est perceptible. Loin de la caricature du procureur qui invoque la Loi et l'Ordre pour exiger des têtes, on comprend que l'idée que la vie humaine, de jeunes gens ayant la vie devant eux, puisse tenir à si peu lui est insupportable et que c'est cette révulsion à cette idée qu'elle souhaite faire passer aux prévenus avant qu'un drame ne se réalise. Sur les bancs des avocats, nous buvons ses paroles en approuvant, tant la sincérité qui l'habite est touchante, sans pour autant qu'elle perde son aura d'autorité. Il y a des procureurs qui sont de vrais orateurs, et nous apprécions en connaisseurs.

Enfin, elle conclut ce récit : « Ce jeune homme, qui s'appelait Stéphane a failli être tué pour une bêtise comme la votre ; je ne voudrais pas que cela arrive ».

Le prévenu sursaute : « Stéphane ? Vous parlez de Stéphane Machin ? ».

Le procureur : « Oui. Vous le connaissez ? »

Le prévenu : « Ouais, c'est un pote. Mais c'est pas moi, je n'ai rien à voir avec cette histoire ! Me collez pas ça sur le dos, c'est pas moi ! »

L'accablement saisit le procureur, et le président du tribunal est exaspéré. Le prévenu n'écoutait pas, les paroles du procureur s'envolaient par la fenêtre en vain. On lui expliquait l'absurdité de la violence en citant une autre affaire, il croit qu'on lui impute les faits.

Le procureur, furieux, se rassoit en requérant une peine mixte, sursis et ferme, sans qu'un retour effectif en détention ne soit nécessaire, et s'enfonce dans un silence boudeur.

Dommage. C'était un beau réquisitoire.

jeudi 16 novembre 2006

Journal d'un avocat toujours en colère

Aujourd'hui est une nouvelle journée d'action des avocats de France pour protester contre la violation par le gouvernement de sa promesse faite en décembre 2000 de revaloriser l'indemnisation des avocats intervenant au titre de l'aide juridictionnelle de 15% sur trois ans.

Par solidarité avec ce mouvement que je soutiens pleinement, ce blogue sera hors ligne aujourd'hui encore.

mercredi 15 novembre 2006

Corrigeons Le Monde...

Le Monde publie un bref article sur l'arrêt rendu hier par la cour de cassation. Si le factuel est correct, dès que la journaliste s'aventure sur le terrain juridique, on assiste à une succession d'approximations, due à une méconnaissance de la matière juridique hâtivement dissimulée derrière un vocabulaire technique inadapté. Heureusement, je veille.

(…) En France, des évêques s'étaient dits blessés que soit ainsi utilisé "un évènement fondateur de la foi chrétienne". En leur nom, l'association Croyances et libertés avait alors saisi en référé le tribunal de grande instance de Paris et demandé le retrait de l'affiche.

En France, nul ne plaide par procureur. L'association Croyances et Libertés ne représente qu'elle-même et ne peut agir au nom des évêques ou de quelques uns. Cette association agissait ainsi en son nom propre.

Le 10 mars, les magistrats lui donnaient raison et prononçaient une interdiction d'affichage de cette campagne constituant "un acte d'intrusion agressive et gratuite dans le tréfonds des croyances intimes". (…)

Il s'agissait d'une ordonnance de référé, rendue par le président du tribunal de grande instance statuant seul.

Susciter la controverse permet à une marque dont les investissements publicitaires sont limités de bénéficier de retombées médiatiques avantageuses. L'agence Air s'appuyait également sur le triomphe du livre de Dan Brown, le Da Vinci Code, et poussait plus loin la féminisation de La Cène : Jésus et onze de ses disciples devenaient des femmes et l'homme dénudé représentait le double masculin de Marie-Madeleine. Toutefois, Marithé et François Girbaud ne pensaient pas que l'interdiction de l'affichage serait prononcée. La société décida de faire appel. La cour d'appel confirma le jugement. La cour de cassation vient de le casser considérant que cette interdiction allait à l'encontre du principe de la liberté d'expression.

Non, non et non. L'interdiction de l'affichage reposait sur l'injure supposée faite à certaines personnes (les catholiques). La cour casse en soulignant que parodier un événement religieux fût-il fondateur n'est pas une injure, qui suppose une attaque directe et non un froissement des susceptibilités. En encore plus clair, ce que Le Monde aurait pu utilement dire est que la Cour de cassation confirme que le blasphème n'est pas illicite en France.

La cour de cassation ressuscite la liberté d'expression

Alléluia ! La cour de cassation a montré une fois de plus qu'elle était une lectrice attentive de mon blogue et après la rebelle cour d'appel de Montpellier, a retoqué une autre cour d'appel qui avait cru bon de confirmer un tribunal qui avait rendu une décision que je désapprouvais. Et quand en plus, il s'agit du tribunal de grande instance de Paris, d'une décision rendue par son président en personne, confirmée par la cour d'appel de la même ville, comprenez que mon ego en est tout émoustillé.

  • Pour faire bref :

la cour de cassation vient pas plus tard qu'hier de casser la décision qui avait crucifié la campagne de publicité Marithé François Girbaud ayant comme support une photo reconstituant clairement la Cène, où les modèles, tous féminins sauf un, portaient des vêtements de cette marque.

Cette décision est une excellente nouvelle pour la liberté d'expression quand elle touche à la religion, et Dieu sait (s'Il existe) que c'est un sujet sensible en ces temps de caricatures et de menaces sur des enseignants.

D'autant que la cassation est cinglante : c'est pour une violation de la loi, il n'y a pas plus grave dans la hiérarchie des cassations.

  • Pour faire plus long :

Le chemin de croix a commencé ici.

La Passion s'est achevé là.

La résurrection a eu lieu hier (la liberté d'expression ressuscitée a eu la présence d'esprit, une fois sortie du sépulcre, d'apparaître à une de mes taupes), et je m'en fais l'apôtre pour aller annoncer la Bonne Nouvelle.

Voici ce que dit la cour de cassation, avec mes commentaires. Je graisse les passages importants.

Je saute le rappel des faits, mes deux billets y pourvoient amplement.

L'arrêt portait sur trois moyens (c'est à dire trois arguments juridiques soutenant l'illégalité de la décision attaquée). Les deux premiers, sans liens directs avec la liberté d'expression mais portant sur des points de procédure civile, sont rejetés. Je me porte directement au troisième moyen.

Mais sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi de la société GIP et sur le moyen unique du pourvoi de la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen :

Tous les étudiants en droit savent que quand un arrêt commence l'examen d'un moyen par le mot "MAIS", c'est que la cour de cassation va casser : l'oreille du juriste se dresse, et son goût du droit est émoustillé. Ici, l'allusion à plusieurs moyens est due au fait que les deux demandeurs à la cassation, la société italienne GIP, propriétaire de la marque de vêtements, et la Ligue des Droits de l'Homme, ont organisé différemment leurs recours, mais soulevait des arguments similaires auxquels la cour répond en même temps.

Vu les articles 29, alinéa 2 , 33, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l’article 809 du nouveau code de procédure civile, ainsi que 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

Ceci est le visa. La cour indique les textes qu'elle va appliquer. La loi du 29 juillet 1881, que mes lecteurs connaissent bien, est la loi sur la liberté de la presse, qui comme son nom l'indique contient toutes les limitations à la liberté de la presse. Le législateur est facétieux. L'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme garantit la liberté d'expression. La cassation, d'ores et déjà annoncée, va donc être faite au nom des grands principes. Le goût du droit du juriste est à présent en pleine excitation, et désormais il y a plus que son oreille qui se dresse.

La cour va d'abord rappeler comment la cour d'appel a motivé sa décision. C'est donc la cour d'appel qui parle pour la partie que j'ai mis en italique :

Attendu que pour interdire d’afficher la photographie litigieuse en tous lieux publics et sur tous supports et faire injonction de l’interrompre, la cour d’appel a énoncé que cette affiche, dont la recherche esthétique n’était pas contestée, reproduisait à l’évidence la Cène de Jésus-Christ..., que cet événement fondateur du christianisme, lors duquel Jésus-Christ institua le sacrement de l’Eucharistie, faisait incontestablement partie des éléments essentiels de la foi catholique ; que dès lors l’installation de l’affiche litigieuse sous la forme d’une bâche géante sur le passage d’un très grand nombre de personnes, constituait l’utilisation dévoyée, à grande échelle, d’un des principaux symboles de la religion catholique, à des fins publicitaires et commerciales en sorte que l’association Croyances et libertés était bien fondée à soutenir qu’il était fait gravement injure, au sens des articles 29, alinéa 2, et 33, alinéa 3, de la loi susvisée aux sentiments religieux et à la foi des catholiques et que cette représentation outrageante d’un thème sacré détourné par une publicité commerciale leur causait ainsi un trouble manifestement illicite qu’il importait de faire cesser par la mesure sollicitée ; que ladite composition n’avait d’évidence pour objet que de choquer celui qui la découvrait afin de retenir son attention sur la représentation saugrenue de la Cène ainsi travestie, en y ajoutant ostensiblement une attitude équivoque de certains personnages, et ce, au profit de la marque commerciale inscrite au-dessus de ce tableau délibérément provoquant ; que le caractère artistique et l’esthétisme recherchés dans ce visuel publicitaire n’empêchait pas celui-ci de constituer, même si l’institution de l’Eucharistie n’y était pas traitée, un dévoiement caractérisé d’un acte fondateur de la religion chrétienne avec un élément de nudité racoleur, au mépris du caractère sacré de l’instant saisi ....

Fin de la reprise de ce qu'a dit la cour d'appel. La cour de cassation reprend la parole et prononce l'excommunication de cette décision :

Qu’en retenant ainsi l’existence d’un trouble manifestement illicite, quand la seule parodie de la forme donnée à la représentation de la Cène qui n’avait pas pour objectif d’outrager les fidèles de confession catholique, ni de les atteindre dans leur considération en raison de leur obédience, ne constitue pas l’injure, attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Ca a l'air poli comme ça mais en réalité, c'est cinglant. La cour d'appel, dit la cour de cassation, a violé la loi en qualifiant d'injure ce qui ne l'était pas. En effet, rappelle la cour, l'injure est une attaque personnelle et directe dirigée contre une groupe de personne en raison de leur appartenance religieuse. Afficher en grand : « les pastafariens sont des idiots » est une injure. Mais PAS la reprise parodique d'un symbole religieux ou d'un moment fondateur de la religion dès lors qu'il n'avait pas pour objectif d'outrager les catholiques, ce qui était le cas ici puisque l'objectif de cette représentation parodique était de faire connaître la collection printemps 2005 de la marque MFG.

Et attendu que la Cour de cassation est en mesure de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée ;

La cour de cassation qui casse une décision est en principe tenue de renvoyer l'affaire devant une autre cour d'appel pour qu'elle satue à nouveau. Mais dans certains cas, ce renvoi n'est pas nécessaire. C'est le cas ici puisque la simple annulation de la décision revient juridiquement exactement au même que si le tribunal avait débouté l'association "Croyance et Liberté" en mars 2005. Reste le fait que cette publicité a dû être enlevée, et que la collection printemps 2005 est maintenant passée, mais ce préjudice découlant d'une action en justice qui n'était pas abusive mais seulement mal fondée n'est pas indemnisable. C'est donc une cassation sans renvoi, l'affaire est close, cette décision est le Jugement Dernier.

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a déclaré recevable l’intervention volontaire de la Ligue des droit de l’homme et du citoyen ainsi que rejeté l’exception de nullité de la procédure présentée par la société GIP, l'arrêt rendu le 8 avril 2005, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Vu l’article 627, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile ; DIT n’y avoir lieu à renvoi ; Déboute l’association Croyances et libertés de sa demande ; Condamne l’association Croyances et libertés aux dépens ; Vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes (…)

Ouille. Donc les frais d'avocat restent à la charge de la société GIP. C'est un peu dur pour deux procédures où il s'est avéré qu'elle avait raison. La cour de cassation marque ici à mon avis une désapprobation sur le principe du détournement de l'imagerie religieuse. Vous voulez faire de la pub par de la provocation, c'est votre droit, et je le protège. Mais ne venez pas vous plaindre d'avoir des procès : considérez que ça fait partie du budget publicitaire.

Bah, après tout, avoir trois billets sur mon blogue sur cette campagne de pub, c'est un buzz qui n'a pas de prix, non ?

mercredi 8 novembre 2006

Journal d'un avocat en colère

Reprise des travaux. Je mets en billet ci-dessous le contenu de mon message d'accueil, avec cette fois les commentaires ouverts. Merci à Laurent et à l'Observatoire des blogs francophones d'avoir relayé le message. Mise à jour : les commentaires sont ouverts.

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Elections américaines

Les mid-term elections, élections qui marquent la moitié du mandat du président américain (45% en réalité, comme le relève Phersu, puisque le mandat du Président se termine en janvier) ont eu lieu hier. La presse s'en fait largement écho, et mes camarades de Lieu-Commun devraient abondamment traiter le sujet.

Juste un petit détail.

Une vidéo très émouvante a fait parler d'elle dans le Missouri. Michael J. Fox, le célèbre comédien canadien (qui a obtenu la nationalité américaine en 2000), atteint de la maladie de Parkinson, est apparu dans une publicité soutenant la candidate démocrate Claire McCaskill pour le poste de sénateur du Missouri contre le républicain Talent. Celui-ci s'oppose à la recherche sur les cellules souches, qui sont le meilleur espoir en l'état de la science pour les malades de pathologies neuro-dégénératives comme la maladie d'Alzheimer, ou celle de Parkinson, entre autres.

Cette vidéo est visible ci-dessous.

Les républicains ont répliqué avec élégance en accusant Michael J. Fox de feindre ou à tout le moins d'exagérer ses symptômes, ou de ne pas avoir pris ses médicaments exprès pour ce tournage.

Toujours est-il que, pour ceux qui avaient vu cette vidéo et qui se poseraient la question, Claire McCaskill a été élue sénateur du Missouri avec 50% des voix contre 47% à Talent.

Michael J. Fox a également soutenu Cardin, dans le Maryland.

Il a également été élu (54/44).

Je serais candidat socialiste, je sais ce qu'il me resterait à faire...

Encore un blogueur licencié

J'ai retiré le billet que j'avais écris sur ce thème, car une de mes nombreuses taupes (ça commence à me coûter cher en litière, cet élevage) dans le monde de l'édition celle-ci[1] m'informe que j'avais particulièrement raison de dire que la personne dont je parlais n'était pas à lire au premier degré. Je n'ai rien contre la fiction, mais quand elle avance à visage découvert.

Et n'étant pas journaliste de télévision tournant un documentaire politiquement engagé sous couvert d'information, je n'ai pas à être instrumentalisé au service de la promotion d'un roman, ni à induire mes lecteurs en erreur en croyant les éclairer.

Désolé pour ce billet sybillin, qui sera compris par ceux qui avaient lu le premier billet.

Notes

[1] Oui, je suis pire qu'Echelon.

mardi 7 novembre 2006

Les avocats en grève

Non, ce n'est pas là, l'explication de mon silence de ces derniers jours, qui est plutôt à rechercher du côté de ce billet.

Mon confrère Z'advocate reprend sur son blog (mis à jour encore plus épisodiquement que le mien...) l'historique de la grogne qui gagne le barreau.

Je soutiens ce mouvement, mais sans participation, et vais vous expliquer pourquoi.

Je soutiens, car les indemnités versées au titre de l'aide juridictionnelle sont misérables, et mettent l'avocat face au dilemme de bien défendre à fonds perdus ou de bâcler son travail pour se consacrer aux dossiers solvables. La Chancellerie sait bien que nous opterons toujours pour la première solution, d'où sa faible volonté d'augmenter le montant de ces indemnités.

Là où cela devient insultant, c'est qu'après la grande manifestation de décembre 2000, la Chancellerie s'était engagée à augmenter le montant de l'Unité de Valeur[1] de 5% par an sur 3 ans. Les promesses de l'Etat n'engagent que ceux qui y croient, et rien n'a été fait.

Il faut savoir que dans certains barreaux, comme celui de Bobigny, l'aide juridictionnelle représente l'essentiel des revenus de certains cabinets. Cette stagnation aboutit en fait à une perte de chiffre d'affaire pour des cabinets sur la corde raide. Il ne s'agit pas de payer les traites de la Jaguar, mais du loyer du cabinet.

Aujourd'hui, alors que la grogne monte, que les organisations professionnelles protestent depuis 6 ans et multiplient les interpellations solennelles, la Chancellerie vient d'accorder royalement une augmentation de 6%, soit grosso modo l'inflation sur la période 2000-2006.

Et après ça, nos élus viendront geindre sur l'absence de culture du dialogue social en France.

Donc, nos organisations professionnelles, barreau de Pontoise en tête (en 2000, la grogne était partie de Bobigny et de Lille, si je ne m'abuse), suivi par les organisations nationales (Conseil National du Barreau et Conférence des Bâtonniers) ont donc averti le Garde des Sceaux que si l'Etat ne tenait pas sa parole, les avocats entreprendraient une action collective.

Et voilà qui est fait : la Conférence des Bâtonniers appelle à une grève des activité juridictionnelle les 9 novembre[2] et 16 novembre prochains[3], certains Barreaux comme Créteil ayant déjà commencé une grève des commissions d'office.

Le 18 décembre 2006[4], une manifestation aura lieu à Paris.

Evidemment, ce mouvement a tout mon soutien. J'ai la chance de ne pas dépendre de l'AJ pour vivre, tous mes confrères n'ont pas ce privilège.

Mais je ne ferai pas la grève des activités juridictionnelles, et avec tout le respect que j'éprouve pour mes confrères voisins du Barreau de Créteil, je désapprouve leur grève des commissions d'office.

Le terme grève est d'ailleurs impropre. Nous ne sommes pas salariés de l'Etat, même quand nous travaillons à l'aide juridictionnelle. Refuser de prêter notre concours à la justice est incompatible avec notre devoir d'auxiliaire de justice, mais surtout et pire que tout, elle nuit à nos clients.

Les magistrats soutiennent ce mouvement, dans leur quasi-unanimité. Mais la grève des 9 et 16 novembre, qui se traduira par des demandes de renvoi systématiques, qui seront probablement acceptés, aggraveront l'engorgement des tribunaux qui mettront des mois à résorber le retard pris. Cela retardera l'obtention d'une décision parfois longtemps attendue par nos clients.

Et il existe des contentieux qui ne souffrent pas d'attendre et qui seront jugés en notre absence.

Quelle que soit la légitimité de ce combat, qui ici est indéniable, je ne puis passer par perte et profit, comme dommage collatéral, la salle d'audience du JLD de Créteil d'il y a quelques jours, vide de tout avocat alors qu'une dizaine d'étrangers, certains parlant à peine le Français, allaient voir leur maintien en centre de rétention renouvelé pour quinze jours. Il s'agit de la liberté de personnes : cette cause vaut plus que toutes les disputes sur la revalorisation de l'UV. La loi impose des délais très stricts qui ne permettent aucun renvoi, aucun retard dans la prise de décision. Bien sûr, nous savons tous que ces audiences, particulièrement à Créteil, sont parfois purement symboliques, et que maintien en rétention n'est pas toujours synonyme de privation de liberté (les avocats de Créteil comprendront cette phrase sybilline...). Il n'empêche : le refus d'assister aboutira nécessairement, malgré la meilleure volonté du juge, à ce que l'audience ait lieu, sans avocat. Pour ma part, je m'y refuse, quitte à passer pour un jaune.

Vous l'aurez compris, je ne risque pas d'être élu bâtonnier cette année .

Mais d'un côté nous avons un intérêt professionnel, qui rejaillit certes sur le service public de la justice auquel nous concourrons. De l'autre, nous avons l'intérêt de nos client, et parfois sa liberté, que nous avons juré de défendre. Il n'y a pas photo.

Alors, les 9 et 16 novembre, je plaiderai. Je prie mes confrères de me pardonner. J'espère toutefois que ce billet contribuera à l'information de l'opinion publique, et je pense qu'il le fera plus efficacement que si je restais coi ces deux jours là.

D'ailleurs, chers lecteurs, si vous avez des idées de formes que pourrait prendre une protestation des avocats pour être à la fois visible, voire spectaculaire (nous vivons dans une société médiatique...), sans pour autant faire obstacle à l'exercice de notre ministère, idéalement en pourrissant la vie du Garde des Sceaux, j'ai toute foi dans votre imagination. Vos suggestions sont attendues en commentaire, je les glisserai dans la boîte à idées du bâtonnier.

Notes

[1] L'indemnité est calculée par la multiplication de l'unité de valeur fixée annuellement par la loi de finance à un coefficient associé à chaque type de procédure. Histoire de rendre ça encore plus simple, une légère variation est appliquée en fonction de la taille du barreau. L'UV est d'aujourd'hui d'un peu moins de 20,84 euros HT.

[2] Date à laquelle la revalorisation de l'Aide Juridictionnelle sera examinée en commission à l'assemblée

[3] Date du vote du budget de la Justice

[4] Date anniversaire de la signature du protocole avec la Chancellerie prévoyant 15% d'augmentation sur trois ans

jeudi 2 novembre 2006

L'avis du Conseil d'Etat du 19 octobre 2006

Comme annoncé précédemment, voici le texte de l'avis secret du Conseil d'Etat portant sur la création d'une nouvelle faute disciplinaire pour les magistrats. Merci, eu égard à la confidentialité de ce document, de vous auto-détruire dans les cinq secondes...


N° 373.704
Mme DENIS-LINTON ,
Rapporteur

CONSEIL D'ETAT

    Section de l'intérieur

EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS DE L'ASSEMBLEE GENERALE

                Séance du jeudi 19 octobre 2006



NOR : JUSX0600155L

NOTE




Le Conseil d'Etat, saisi d'un projet de loi organique relatif à la formation et à la responsabilité des magistrats modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature, lui a donné un avis favorable sous réserve de la disjonction de son article 4 qui tend à compléter l'article 43 de ce statut.

Cet article 43 énonce en termes généraux les devoirs professionnels des magistrats dont la violation constitue pour ces derniers une faute disciplinaire. Rien ne s'oppose à ce qu'il soit complété pour en préciser les termes, notamment pour faire mieux apparaître l'étendue de ces devoirs.

En revanche, en qualifiant de faute disciplinaire la « violation délibérée des principes directeurs de la procédure civile ou pénale », le projet de loi organique, loin de clarifier la définition de cette faute, introduit un risque de confusion entre l'office des juges d'appel et de cassation et celui du juge disciplinaire. L'appréciation du comportement professionnel ne serait en effet pas dissociable de celle du bien-fondé des recours portés, dans la même affaire, devant le juge d'appel ou de cassation. En l'absence de précisions appropriées sur les conditions dans lesquelles l'activité juridictionnelle d'un magistrat pourrait donner lieu à la constatation d'une faute disciplinaire, la disposition en cause est de nature à porter atteinte aux principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire.

Le Conseil d'Etat relève que si le Conseil supérieur de la magistrature statuant en matière disciplinaire et le Conseil d'Etat statuant au contentieux ont déjà admis que pouvaient être de nature à justifier une sanction disciplinaire les manquements graves et réitérés aux devoirs de son état que constituaient les violations par un magistrat des règles de compétence et de saisine de sa juridiction, c'est après avoir constaté que les faits ainsi reprochés avaient été établis dans des décisions juridictionnelles devenues définitives.


Cette note a été délibérée et adoptée par le Conseil d'Etat dans sa séance du jeudi 19 octobre 2006.

Le Vice-Président du Conseil d'Etat, signé : J.M. SAUVÉ

Le Conseiller d'Etat, Rapporteur,signé : M. DENIS-LINTON

Le Secrétaire Général du Conseil d'Etat, signé : P. FRYDMAN

La Taupe de Maître Eolas Planquée Sous La Table : Signé [mention retirée pour des raisons de sécurité].


Quelques explications : la Constitution prévoit que les projets de projet de lois sont soumis pour avis au Conseil d'Etat (d'où son nom de CONSEIL : il est le conseil juridique du gouvernement, qui en a bien besoin). Le gouvernement lui a donc soumis le projet de loi organique modifiant la responsabilité des magistrats en lui demandant : « J'y vais, ou je vais faire une connerie, là ?». Le Conseil d'Etat lui répond en termes diplomatiques : « Heu, c'est plutôt le deux, chef... ».

Le gouvernement avait en effet eu l'idée de créer une nouvelle faute disciplinaire s'appliquant aux magistrats. Sur le principe, le Conseil d'Etat dit : pas de problème, on peut préciser les devoirs et obligations des magistrats.

Mais la faute en question serait la « violation délibérée des principes directeurs de la procédure civile ou pénale ». Le Conseil d'Etat lui fait remarquer que quand un magistrat commet une telle faute, le justiciable a déjà un recours : l'appel ou le pourvoi en cassation. Encore faut-il que la juridiction saisie du recours constate bien qu'il y a eu une telle violation.

Et précisément, quand un magistrat a délibérément violé ces principes directeurs du procès civil ou pénal, et que cela a été constaté par une décision définitive, c'est à dire que l'affaire elle même est tranchée et terminée, le CSM, approuvé par le Conseil d'Etat siégeant cette fois dans sa formation de juridiction administrative, prononce d'ores et déjà des sanctions disciplinaires contre le magistrat fautif. La nouvelle faute n'est donc pas une nouvelle faute.

Bref, tout ce qu'apporterait cette loi serait de permettre d'engager des poursuites disciplinaires contre un magistrat avant que l'affaire où la faute a été commise ait été tranchée définitivement, ce qui, manque de chance, serait une violation de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance de la justice, puisque l'exécutif, en déclenchant des poursuites, prendrait clairement partie dans une affaire pendante et ferait pression sur l'autorité judiciaire, ce qui, en République, ne se fait pas.

En conclusion, annonce le Conseil d'Etat, voter une telle disposition serait courir à l'annulation par le Conseil constitutionnel.

D'où la retraite en rase campagne du gouvernement : cette disposition est retirée, et, pour sauver la face, il annonce qu'elle sera réintroduite par voie d'amendement parlementaire, dès que quelqu'un aura trouvé comment la formuler de façon à ce que personne ne se rende compte qu'elle ne changera rien à l'état du droit.

mardi 31 octobre 2006

Réformons la justice avant la fin du monde...

Qui rappelons le aura lieu le 22 avril 2007 pour le premier tour et le 6 mai pour le deuxième tour, c'est officiel depuis mercredi dernier (la fin du monde législative aura lieu les 10 et 17 juin 2007).

Ainsi le gouvernement a annoncé sa grande réforme de la justice. Je vais la présenter plutôt succinctement, pour une raison simple : elle ne verra pas le jour.

Elle comporte en effet trois volets : deux lois ordinaires (une, deux) et une loi organique. Le projet de réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui supposait une révision de la Constitution, est tombé aux oubliettes, du fait de l'impossibilité de réunir le Congrès d'ici la fin de la législature. C'est plutôt heureux, tant ladite loi renforçait le contrôle du pouvoir politique sur l'instance qui sanctionne les magistrats.

Mais le calendrier parlementaire est de toutes façons tellement rempli qu'il est impossible de faire passer deux lois ordinaires supplémentaires, sans compter une loi organique, d'ici le 19 juin 2007, date à laquelle la 12e législature prendra fin. Je ne pense pas que l'urgence soit déclarée pour éviter deux lectures avant une commission mixte paritaire. Comme il est de coutume que tous les textes non adoptés soient balancés à la poubelle pour faire table rase du passé, ce projet de loi est donc un hochet médiatique. Il suscite donc chez moi un intérêt proportionnel.

Mais bon, voyons donc les enseignements que le législateur aura retiré de l'affaire d'Outreau.

Il propose les mesures suivantes :

  • La saisine du Médiateur de la République.

Alors que pour le moment, le Médiateur de la République ne peut être saisi que par l'intermédiaire d'un parlementaire ou d'un de ses délégués départementaux, en cas de dysfonctionnement de la justice, le Médiateur pourra être saisi directement par un particulier, le Médiateur transmettant le cas échéant au Garde des Sceaux.

Sur le principe, rien à redire. Un citoyen doit pouvoir se plaindre de sa justice. C'est donc un mécanisme de filtrage qui mettrait le magistrat à l'abri des pressions directes. Le Médiateur présente l'avantage d'être extérieur au monde judiciaire, donc ne sera pas soupçonné de corporatisme.

Mais je prédis au Médiateur une avalanche de plaintes parfois farfelues. Nous connaissons tous dans notre profession des plaideurs qui, quand ils sont déboutés, mettent ça sur le compte d'un incroyable complot international plutôt que sur leur mauvaise compréhension de la loi ou sur une défaillance de leur "bon sens". Les parlementaires et les délégués locaux servaient à filtrer les affaires du Médiateur. Le Médiateur devient désormais lui-même un filtre. Ce n'est pas très cohérent, mais bon.

  • Le contrôle des compétences des magistrats recrutés autrement que par l'ENM.

Les auditeurs de justice (élèves-magistrats, si vous préférez) qui passent par la voie normale pour devenir magistrat ont un contrôle des compétences qui peut aboutir à ce qu'ils ne soient pas admis à prêter serment. Ce n'est pas le cas des magistrats recrutés sur titre (sur dossier), des juges de proximité, des juges temporaires et de ceux recrutés par concours exceptionnels. Ce sera désormais le cas.

Là encore, rien à redire, mais plus par incompétence : je ne connais pas le mécanisme de contrôle en question.

Bon, le nombre de juges de proximité va sûrement baisser. Notons au passage que dans l'affaire d'Outreau, aucun magistrat recrutés par ces voies parallèle n'est en cause : tous sortaient de l'ENM, à commencer par le plus célèbre d'entre eux.

  • La création d'une nouvelle faute disciplinaire et d'une nouvelle sanction.

La nouvelle faute serait : « la violation des principes directeurs de la procédure civile et pénale », et la nouvelle sanction serait l'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d'exercer des fonctions de juge unique.

Là, premier pataquès. Le Conseil d'Etat a signalé au gouvernement, dans un avis secret et confidentiel réservé au seul gouvernement, que vous trouverez donc reproduit dans un billet ci-après[1], que cette idée « loin de clarifier la définition de cette faute, introduit un risque de confusion entre l'office des juges d'appel et de cassation et celui du juge disciplinaire », ce qui, en dehors des murs du Palais-Royal se résume plus sobrement par « C'est super débile comme idée ». Je développerai mes commentaires dans le billet consacré à cet avis.

Le gouvernement a donc retiré cet aspect et le réintroduira par voie d'amendement en cours de discussion, c'est à dire dès que les poules auront des dents.

Reste la sanction d'interdiction temporaire des fonctions de juge unique. Là encore, je reste réservé. Cela révèle une méconnaissance de l'organisation du siège. Les fonctions de juge unique n'ont rien d'honorifique. Elles ne reflètent pas la valeur supposée du magistrat qui occupe ces fonctions, mais la pingrerie de l'Etat qui préfère n'en payer qu'un pour faire le travail de trois. Si cela s'expliquait pour des fonctions portant sur des affaires simples ou plus techniques que difficiles (Baux commerciaux, petites affaires civiles, exécution des jugements), ou pour la fonction de juge d'instruction, Je ne vois pas en quoi quelqu'un qui se verrait interdire d'être juge aux affaires familiales, juge de l'exécution, juge de l'expropriation ou juge de la taxe se sentirait sanctionné. J'en connais même qui prendraient cela pour une récompense. Surtout, cela semble indiquer que les juridictions collégiales sont des sortes de garderies pour juges incompétents ou des centre de rééducations par le travail. Dans une juridiction collégiale, le travail est réparti. Tel juge traite tel dossier seul, il suggère une décision qui est discutée collégialement puis rédige seul le jugement. Son autonomie reste donc grande. Enfin, cette mesure jette l'opprobre sur les assesseurs, qui seront regardés par des avocats goguenards d'un air de dire "tu es donc trop mauvais pour être juge unique ?". Pour ma part, je préfère avoir un mauvais juge de l'exécution qu'un mauvais assesseur aux assises, juridiction collégiale s'il en est.

Si le but du jeu est de mettre un magistrat en liberté surveillée, je suggérerais plutôt une interdiction d'exercer des fonctions au siège. L'organisation hiérarchisée du parquet permet d'encadrer plus efficacement un élément posant problème, qui peut être substitué sans aucune difficulté en cas de besoin (on les appelle d'ailleurs des substituts pour cela) et ne peut se réfugier derrière son indépendance pour cacher son incompétence. C'est une suggestion, en rien une attaque contre le parquet, et suis intéressé par les objections que des magistrats pourraient m'apporter.

  • La suspension provisoire des cas pathologiques.

Là encore, rien à voir avec l'affaire d'Outreau, puisque tous les magistrats qui sont intervenus dansce dossier étaient sains d'esprit. Mais la magistrature a connu quelques cas de juges, en mi-temps thérapeutique pour la plupart, ce que le Canard Enchaîné définit joliment par : juge le matin, fou l'après midi. L'affaire d'Angoulême, dite de la main courante, reste dans toutes les mémoires. Au passage, cela a permis à Pascal Clément, invité un matin sur Canal +, de citer nommément un magistrat qui avait cité à comparaître tous les parlementaires, dont un certain Pascal Clément, il y a vingt ans de cela, devant le tribunal correctionnel de Pontoise. L'idée de citer un parlementaire en justice révélant à l'évidence une pathologie, le magistrat en question avait été révoqué. Ce qui n'empêche pas Pascal Clément de lâcher son nom vingt ans après. La mule du pape a gardé son coup de pied sept ans, l'âne du président fait trois fois mieux.

La mesure prévue permet au Garde des Sceaux, après avis conforme du CSM, de suspendre un magistrat six mois pour raisons médicales, le temps que le comité médical statue sur sa capacité à exercer ces fonctions, le magistrat restant rémunéré pendant cette période.

Rien à redire là dessus. Magistrat est une fonction difficile et exigeante, une dépression nerveuse peut être invalidante vu le poids des responsabilités, et les incidents qui ont eu lieu, aussi cocasses soient-ils, font un tort considérable à l'institution. La justice n'est pas une maison de repos, elle est même plutôt le contraire.

  • L'enregistrement des Gardes à vue et des interrogatoires.

Uniquement en matière criminelle, soit 2% des affaires, auxquelles il faut ôter celles de terrorisme et de bande organisée, car rien n'est plus timide qu'un terroriste ou un mafieux : ils sont donc exclus de la mesure. Mesure gadget tout droit issue de l'affaire d'Outreau, dont j'ai déjà parlé par le passé. Je doute de son efficacité, mais ne la pense pas nuisible. Il faudra juste désormais que je m'assure que je suis bien coiffé et que je présente mon meilleur profil à la caméra.

  • La création de pôles d'instruction et la co-saisine.

Les affaires les plus complexes et les plus graves seront envoyés à des pôles d'instruction situés dans les gros tribunaux, pour éviter que des tribunaux à un ou deux juges d'instruction ne se trouvent chargées d'affaires médiatiques dépassant leurs moyens. Les parties pourront demander à la chambre de l'instruction que deux juges traitent le dossier ensemble (c'est la co-saisine), un juge d'instruction pouvant solliciter cette co-saisine s'il pense que le dossier le nécessite.

La co-saisine existe déjà depuis 1993 : la loi facilite d'y avoir recours. L'affaire Clearstream, et l'affaire des frégates de Taiwan, par exemple, sont suivies par deux juges d'instruction co-saisis.

Là encore, pourquoi pas, si les moyens suivent. La solitude du juge d'instruction a souvent été invoquée lors de l'affaire d'Outreau. Cela sera plus problématique en province, où les avocats des petits barreaux seront du coup éloignés des pôles en question (j'ai l'intuition que Paris disposera d'un tel pôle) avec à terme le risque de voir les grosses affaires leur échapper, les juges d'instruction locaux restant saisis des plaintes avec constitution de partie civile pour des vols de poule et des petits trafics de stupéfiant. Les avis des juges d'instruction (ou ex juges d'instruction) qui me lisent m'intéressent.

  • Le droit de demander des confrontations individuelles.

L'expression est maladroite. Une confrontation ne peut être individuelle, sauf dans le cas d'un schizophrène. En fait, il s'agit du droit de s'opposer aux confrontations collectives avec des accusateurs multiples.

Là encore, c'est une résultante directe de l'affaire d'Outreau, tant les acquittés ont parlé avec angoisse de ces confrontations. Mais je n'imagine pas un instant une chambre de l'instruction faire droit au refus d'un mis en examen d'être mis face à tous ses accusateurs en même temps si le juge de l'instruction l'estime utile à la manifestation de la vérité.

  • Le droit de contester sa mise en examen tous les six mois.

Actuellement, la loi prévoit qu'une personne contre laquelle il existe des indices graves ou concordants de culpabilité doit être mise en examen, mais seulement si le recours à la procédure du témoin assisté ne paraît pas possible ; c'est à dire que le juge d'instruction pense qu'un contrôle judiciaire ou une détention provisoire est nécessaire, puisque ces mesures ne peuvent être ordonnées contre un témoin assisté. Le mis en examen peut contester sa condition en soulevant devant la chambre de l'instruction que les indices ne sont pas graves ou concordants (mais pour une chambre de l'instruction, tout indice est nécessairement grave ou concordant...). Hormis ce recours, le mis en examen reste mis en examen jusqu'à ce qu'il soit renvoyé devant le tribunal correctionnel (auquel cas il devient prévenu), mis en accusation devant la cour d'assises (auquel cas il devient accusé) ou bénéficie d'un non lieu (auquel cas il est invité chez Julien Courbet).

Le mis en examen pourra demander tous les six mois de passer au statut de témoin assisté.

L'intérêt de cette réforme m'échappe quelque peu. Le témoin assisté a les mêmes droit que le mis en examen, la différence étant qu'il est ainsi à l'abri du contrôle judiciaire et de la mise en examen. C'est d'ailleurs le seul intérêt de contester la mise en examen, qui quand elle est annulée, entraîne de plein droit le statut de témoin assisté. Mais sachant que le mis en examen peut de toutes façons à tout moment demander la mainlevée du contrôle judiciaire ou sa mise en liberté, on voit que cette réforme ne sera que symbolique, le terme de mis en examen étant devenu aussi infamant que celui qu'il remplace depuis treize ans : inculpé.

  • La réforme des expertises pénales.

Dans un souci d'économie, les expertises seront désormais confiées aux femmes de ménage du palais.

Bon, ça va, je plaisante.

Jusqu'à présent, les expertises sont des actes d'instructions, ordonnées par le juge de son propre chef, selon les termes de la mission qu'il décide. Les parties peuvent demander une expertise ou une contre-expertise, ou demander que l'expert entende telle ou telle personne, mais ne peuvent influer sur sa mission. L'expert travaille en principe seul, sauf s'il décide de convoquer les parties. Une fois l'expertise rendue, seules ses conclusions sont notifiées aux parties, avec un délai fixé par le juge pour demander une contre-expertise ou déposer des observations. L'avocat doit donc se rendre rapidement au greffe du juge pour consulter l'expertise. Concrètement, il ne pourra pas en obtenir copie avant l'expiration du délai de demande de contre expertise, et on voit régulièrement des avocats lire l'expertise à vois haute dans leur dictaphone pour que leur secrétaire la retranscrive afin qu'elle puisse être soumise au client ou à un expert-conseil sollicité par la partie au procès. Certains expertises, fondées sur des sciences exactes, ne posent guère de problèmes : l'expertise balistique indique quelle arme a tiré, à quelle hauteur, selon quel angle, et la force avec laquelle il fallait presser la queue de détente pour que le coup parte ; l'expertise ADN indique si c'est le mis en examen ou un éventuel jumeau homozygote qui a commis le viol. Par contre, les expertises psychologiques sont plus délicates, surtout quand on demande à un expert de déterminer la crédibilité du récit de la victime quand les faits sont trop anciens pour que des indices soient rassemblés. Ces expertises sont des machines à erreur judiciaire.

La loi prévoit que la mission sera notifiée aux parties qui pourront demander que la mission soit modifiée, ou qu'un co-expert choisi par elles soit désigné. Le juge reste libre de refuser(avec appel devant la chambre de l'instruction). Là, je trouve l'idée plutôt bonne, quitte à mettre en péril ma réputation de râleur patenté. Je crois que là, on a tiré une vraie leçon de l'affaire d'Outreau, mais je me demande si les juges d'instructions qui me lisent vont partager mon approbation ?

  • Le règlement contradictoire de l'instruction.

Aujourd'hui, quand le juge d'instruction estime avoir fini son travail, il l'indique aux parties (c'est ce qu'on appelle « un article 175 » pour être sûr que les mis en examen ne comprennent rien). Celles-ci ont un délai de 20 jours pour demander des actes, auquel elles peuvent renoncer. C'est ce qu'on fait quand notre client est le seul mis en examen et est incarcéré. Si on n'a pas d'acte à demander, on indique qu'on renonce au délai pour gagner trois semaines que notre client passerait en détention. Le dossier est alors transmis au parquet pour ce qu'on appelle le « règlement ». Le procureur étudie le dossier (et ce n'est pas un examen superficiel, il le décortique) et prend un réquisitoire définitif, demandant au juge d'instruction de renvoyer le mis en examen devant le tribunal correctionnel s'il a commis un délit, de le mettre en accusation devant la cour d'assises s'il a commis un crime, ou de dire n'y avoir lieu à suivre (ce qu'on appelle un non lieu) si le mis en examen est mon client. Le juge reste libre de sa décision (c'est un juge, après tout), mais dans la quasi totalité des cas, il se contente d'adopter les motifs du réquisitoire, ou en fait un copier/coller, violant ainsi les droits de propriété intellectuelle du parquet sous les yeux des avocats impuissants. Les avocats peuvent se tourner les pouces pendant cette phase, et c'est généralement ce qu'ils font. Quelques hurluberlus, dont votre serviteur, déposent des conclusions s'ils estiment avoir quelque chose d'intéressant à dire pour guider la réflexion du parquet puis du juge. Encore faut-il avoir quelque chose d'intéressant à dire, bien sûr.

La loi prévoit que les réquisitions du parquet seront communiquées aux parties qui pourront y répliquer. Enfin, l'ordonnance rendue par le juge (de renvoi, de mise en accusation ou de non lieu) devra préciser les éléments à charge et à décharge. Si la première partie est une bonne idée (je sais que les juges d'instructions sont demandeurs de ce contradictoire à la fin de l'instruction), la deuxième est une fausse bonne idée. C'est une mécompréhension très répandue chez certains confrères du sens de l'article 81 (alinéa 1) du code de procédure pénale (je graisse) :

Le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge.

Instruire à charge et à décharge ne veut pas dire que le juge doit rechercher à tous prix des indices de l'innocence de quelqu'un dont tout indique la culpabilité, à commencer par ses aveux circonstanciés. La première place du hit-parade des clichés des avocats est occupée depuis des décennies par « C'est une instruction uniquement à charge ! ». Ca ne mange pas de pain, ça passe à tous les coups, et c'est suffisamment bref pour passer à la télé si le ton est suffisamment indigné. Instruire à charge et à décharge, cela signifie que le juge n'est pas guidé par la recherche des seules preuves de la culpabilité : il recherche la vérité, et peut ordonner des actes visant uniquement à établir l'innocence (vérifier un alibi à la demande de la défense, par exemple). Il est des instructions qui ne posent aucun problème quant à la culpabilité : l'assassin a été vu par dix personnes, qui font partie de l'Association française des physionomistes, il a été interpellé avec l'arme encore fumante à la main, a été filmé par les caméras de surveillance, a laissé ses empreintes partout, a craché sur la victime en laissant ainsi son ADN, et depuis le début de l'instruction, ne cesse de répéter « Je suis content de lui avoir fait la peau à ce salaud, ça fait un an que je préparais mon coup » malgré les coups de coude répétés de son avocat. Question : quels éléments à décharge le juge d'instruction devra-t-il mentionner dans son ordonnance de mise en accusation ?

Le but de l'ordonnance de règlement est de justifier la décision du juge de renvoyer ou non. Pas de déclarer la culpabilité. Ainsi, une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel n'est pas susceptible d'appel devant la chambre de l'instruction si l'avocat estime que son client aurait dû bénéficier d'un non lieu. Cette contestation sera tranchée par le tribunal correctionnel, qui prononcera le cas échéant une relaxe. Le juge d'instruction estime qu'il existe charge suffisante contre X d'avoir commis tel délit, le tribunal peut décider que si la charge était suffisante, les preuves, elles, ne l'étaient pas. Le juge d'instruction n'aura pas été fautif (juste un peu frileux).

Et puis chacun son métier. Et celui de souligner les éléments à décharge, c'est celui de l'avocat. Laissons faire les professionnels.

  • La limitation de la règle « le pénal tient le civil en l'état ».

Afin d'éviter des décisions divergentes, la loi prévoit que quand une juridiction pénale est saisie de faits, une juridiction civile qui aurait à connaître des mêmes faits doit attendre que la juridiction pénale ait statué, et est alors tenue par sa décision. Je reprends l'exemple invoqué par le projet de loi : Platon est licencié par la société Socrate qui l'accuse d'avoir commis un vol. Platon porte l'affaire aux prud'hommes. La société Socrate porte plainte avec constitution de partie civile contre Platon pour des faits de vol. Le Conseil de Prud'hommes devra surseoir à statuer jusqu'à ce que l'affaire de vol soit jugée. Si Platon est condamné, il perdra aux prud'hommes, les faits étant acquis. S'il est relaxé, la société Socrate sera condamnée pour licenciement abusif. Problème : le conseil de prud'homme aura sursis à statuer pendant deux ans au moins.

La loi propose de limiter cet effet à l'action civile portée devant une juridiction civile[2] et de permettre au conseil de prud'homme de statuer. Cela découragera les plaintes abusives, dit le législateur plein de sagesse. J'entends bien. Mais si Platon gagne aux prud'hommes avant d'être condamné au pénal ? La victime du vol devra-t-elle verser des dommages-intérêts à son voleur ? Et bien oui, sauf si la société Socrate a eu la présence d'esprit de demander à ce qu'il soit sursis à statuer et que le Conseil ait refusé. Alors, la société Socrate aura le bonheur de se voir ouvrir le droit à demander la révision de son procès (article 11 du projet).

Là, honnêtement, on choisit un remède pire que le mal : contraindre la victime à une procédure en révision en matière civile, lourde et très coûteuse, pour accélérer les procédures. Typique de la politique de la rustine des divers gouvernements.

  • La limitation des plaintes avec constitution de partie civile.

Toute victime prétendue de faits constituant une infraction peut elle même saisir le juge d'instruction qui sera obligé d'instruire. Ces plaintes sont pour une certaines des plaies pour les juges d'instruction, mal ficelées, mal préparées, en ne reposant sur aucun fait réel, voire ne constituant pas une infraction, qui relèvent plus de la psychiatrie ou de la basse vengeance, et se terminent pour nombre d'entre elles par un non lieu.

La loi prévoit que ces plaintes ne pourront être reçue qu'après un refus d'agir du parquet ou une inaction de sa part pendant trois mois.

Attendu que le parquet a la curieuse tendance à ne pas donner suite aux plainte fantaisistes, je redoute que la condition des trois mois d'inaction ne soit aisée à remplir. Le filtre me paraît d'une efficacité douteuse.

Meilleure me semble de prime abord l'idée de permettre au parquet, lors du dépôt de la plainte, d'orienter celle-ci vers une enquête préliminaire menée sous sa direction avant que le juge n'ouvre une instruction, pendant un mois au maximum, enquête à l'issue de laquelle le procureur pourra requérir un non lieu, ou renvoyer directement devant le tribunal correctionnel.

Cela demande une réactivité du parquet, donc qu'il ait les moyens de faire procéder à ces enquêtes. Voilà où le bât blesse, évidemment.

  • Réforme de la détention provisoire

Pour la première fois depuis le 15 juin 2000, une loi vise clairement à diminuer le recours à cette mesure. Voilà une bonne nouvelle, mais le gouvernement donne dans la schizophrénie, après avoir fait voter deux lois Perben, trois lois Sarkozy et une loi Clément visant clairement à envoyer le taux de suroccupation des prisons à un niveau stratosphérique.

Rappelons que les critères de la détention provisoire sont à l'article 144 du Code de procédure pénale :

La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle constitue l'unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes et leur famille, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ; de protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement ; de mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé.

C'est ce dernier critère, le trouble à l'ordre public, qui est concerné. Il ne pourra plus être utilisé que pour le placement en détention en matière délictuelle, soit pour une détention de quatre mois, durée du mandat de dépôt. Le mandat de dépôt ne pourra être renouvelé que sur la base des autres critères : pression sur les témoins ou les victimes, risque de réitération, etc. La loi précisera que le trouble à l'ordre public ne peut résulter de la seule médiatisation de l'affaire.

Les esprits chagrins, qui pour qu'on les reconnaissent portent la même robe que moi diront que la gravité de l'infraction ET sa médiatisation suffiront aisément à constituer ce critère. La commission parlementaire sur l'affaire d'Outreau préconisait la suppression pure et simple de ce critère. Le gouvernement est nettement plus frileux. Impact prévisible sur la détention provisoire : quasi nul.

  • La publicité des audiences du juge des libertés et de la détention.

La détention provisoire est décidée par le juge des libertés et de la détention (JLD) au cours d'un débat contradictoire dans son cabinet. Initialement, ce débat était secret. La loi prévoit aujourd'hui que les avocats peuvent demander la publicité qui ne peut être refusée que sur décision motivée du JLD. Il en ira de même devant la chambre de l'instruction.

La publicité deviendra donc la règle, sauf opposition du parquet ou du mis en examen lui même pour les nécessités de l'instruction, la sérénité des débats, la dignité de la personne ou l'intérêt d'un tiers.

Sur le principe, très bien. La publicité contribue à la qualité du débat. Mais comment rendre cette publicité compatible avec le secret de l'instruction ? Pour les affaires médiatiques, le public sera essentiellement constitué de journalistes. Les faits seront nécessairement débattus, les éléments de preuve seront exposés, les déclarations contradictoires des uns et des autres examinées. Du pain blanc pour les journalistes, certes, mais de quoi saboter le travail du juge d'instruction, qui a besoin du secret pour être efficace (c'est à mon sens la seule justification au secret de l'instruction, la présomption d'innocence n'étant plus qu'un mythe).

  • L'examen public de l'instruction par la chambre de l'instruction.

Chaque dossier ou une détention provisoire a été prononcée et est en cours pourra être examiné par la chambre de l'instruction tous les six mois, à l'initiative du président de celle-ci, du parquet ou des parties (mis en examen, témoins assistés ou parties civiles), au cours d'une audience publique. C'est une véritable révision du dossier puisque la chambre, saisie par son président, pourra ordonner des remises en liberté, annuler des actes, évoquer le dossier, c'est à dire décider de mener l'instruction elle même, prescrire au juge d'effectuer certains actes, désigner un autre juge d'instruction en plus du premier voire dessaisir le juge. Cette audience sera en principe publique.

Là, c'est une révolution dans l'instruction. Que la chambre puisse faire tout cela de son propre chef, cela donne au président de la chambre de l'instruction un pouvoir, et donc une certaine responsabilité de contrôler ce qui se passe dans son ressort. Le spectre d'Outreau a indiscutablement inspiré cette mesure.

Et bien l'idée me plaît, même si sa mise ne pratique va être difficile, vu la masse de dossiers à suivre. Cela peut redonner un intérêt aux fonctions de conseiller à la chambre de l'instruction, qui souvent est une corvée pour les magistrats qui y sont nommés, qui sont saisis essentiellement de demandes de remises en liberté à l'occasion desquelles la défense essaye de glisser sur le fond du dossier, ou d'appel de refus d'actes, bref de débats au domaine limité par la demande qui la saisit. Là, la cour peut tout faire dans le dossier, et sans avoir à être saisie. Cela lui donne des pouvoirs de chapeauter tous les juges d'instruction de son ressort. Il est dommage que cette possibilité soit limitée aux seules affaires où une détention est en cours. Il suffirait à un juge de remettre en liberté sous contrôle judiciaire les mis en examen pour s'affranchir de cette curatelle.

  • L'enregistrement obligatoire des auditions d'un mineur victime et son assistance obligatoire par un avocat.

Ces mesures existent mais ne sont que facultatives : le mineur peut s'opposer à l'enregistrement, ainsi que le juge. Ce ne sera plus le cas.

Rien à dire là dessus. Cette mesure n'était pas réclamée, mais elle ne gênera pas, à condition que les cabinets soient rapidement équipées en caméra vidéo.

Ouf ! Nous en avons terminé !

Bon, le côté décousu de cette réforme étant analogue à celui des précédentes, vous aurez compris que cela fait bien longtemps qu'en matière pénale, aucune recherche de cohérence n'est plus faite depuis longtemps. Le législateur se comporte comme un mécanicien face à une usine à gaz qui en déviant un tuyau par ci et en bouchant un robinet par là croit faire un travail d'ingénieur.

Je maintiens mon pessimisme sur l'adoption effective de cette loi. On verra si je me suis trompé.

Je vous laisse digérer et vais faire le tour des cabinets d'instruction du palais pour demander des bonbons.

Joyeux Halloween, et bonne fête des morts.

Notes

[1] Mes taupes se portent très bien, merci pour elles.

[2] Il s'agit de la victime qui assigne l'auteur du délit devant le tribunal d'instance ou de grande instance plutôt que de mettre en route l'action publique ou de s'y joindre par constitution de partie civile. L'hypothèse est rare, sauf en matière de presse.

mercredi 25 octobre 2006

« Profession : avocat » sur France 5 version hertzienne.

On me signale gentiment que la série documentaire profession : avocat sera diffusée par voie hertzienne sur France 5 les 9, 16 et 23 novembre prochain à 15h45.

mardi 24 octobre 2006

De la responsabilité comparée des avocats et des magistrats

L'annonce de l'examen en Conseil des ministre de ce jour d'un projet de loi de réforme de la justice, outre qu'elle me fait retenir mon souffle, tétanisé par la peur, me rappelle à mes devoirs. Un des volets de cette loi réformera la responsabilité des magistrats, ce qui me rappelle que j'avais commencé à parler de ce thème et que j'avais laissé ce sujet orphelin.

Je rectifie cet oubli et pour éviter un trop grand éclatement, vais traiter le sujet de manière synthétique en comparant directement les deux systèmes en un seul billet. Cela vous permettra de vous faire une opinion mieux étayée quant à ce projet de loi, dont je présenterai bientôt les grandes lignes.

La responsabilité professionnelle des avocats et des magistrats dans l'exercice de leurs fonctions peut revêtir trois aspects, étant d'ores et déjà posé ici qu'en dehors de leurs fonctions, avocats et magistrats sont des citoyens ordinaires.

Ces aspects, que je traiterai en commençant pas les plus similaires pour finir par les plus différents, sont : la responsabilité pénale (l'avocat ou le magistrat commet un délit dans l'exercice de ses fonctions), la responsabilité déontologique ou disciplinaire (l'avocat ou le magistrat commet un manquement aux principes essentiels de sa profession sans que cela soit forcément un délit réprimé par le code pénal), et la responsabilité civile (l'avocat ou le magistrat commet une faute qui cause à autrui un préjudice qu'il y a lieu de réparer).

La responsabilité pénale des avocats et des magistrats.

Le régime est ici très similaire : tous deux sont pleinement responsables des délits qu'ils commettent dans l'exercice de leurs fonctions. Ils peuvent être mis en examen, renvoyés devant le tribunal correctionnel ou la cour d'assises (encore que l'hypothèse d'un crime commis dans l'exercice des fonctions est rare et concerne plus le magistrat, qui peut commettre un faux en écriture publique aggravé, article 441-4 du code pénal, puni de quinze ans de réclusion criminelle), et même être placé en détention provisoire. Et ça arrive.

Objectivement, l'avocat est mieux loti. Je ne connais pas de qualification criminelle qui puisse être liée à l'exercice de ses fonctions (abattre un confrère en plein prétoire n'est pas lié aux fonctions d'auxiliaire de justice, encore que dans le cas d'un avocat intarissable et ennuyeux, cela se plaide...), et il jouit même d'une immunité, dite « immunité de la robe ». En effet, l'avocat est protégé, dans ses écritures judiciaires (assignation, conclusions, citation...) et dans ses plaidoyers contre les délits d'injure, de diffamation et d'outrage. C'est l'article 41 al. 3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui pose cette immunité (que nous partageons avec les parlementaires). La cour de cassation a récemment jugé que cette immunité s'appliquait même quand les écritures mettent gravement en cause la probité du magistrat qui a rendu la décision attaquée en des termes particulièrement outrageants : Crim. 11 oct 2005. La liberté de parole de la défense d'une valeur supérieure à la répression des abus de la liberté d'expression.

Hormis cette immunité, tout délit commis par un avocat ou un magistrat dans l'exercice de ses fonctions est passible des tribunaux répressifs selon le droit commun.

Léger avantage à l'avocat donc en cette matière.

La responsabilité disciplinaire des magistrats et des avocats.

L'un et l'autre sont tenus de par leurs fonctions au respect d'un certain nombre de principes dont la transgression donne lieu à une action disciplinaire pouvant aboutir à des sanctions.

Le droit disciplinaire se distingue du droit pénal par le fait que le premier peut reposer sur des textes posant des principes vagues et généraux laissant un grand pouvoir d'appréciation à l'autorité disciplinaire, tandis que le droit pénal doit s'interpréter strictement et que tout doute profite au prévenu.

Les valeurs essentielles des magistrats sont à l'article 43 al. 1 de l'ordonnance 58-1270 du 23 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire.

Quand je parle de principes vagues...

Les poursuites sont engagées par le Garde des Sceaux, qui saisit le CSM[1] pour qu'il prononce une sanction si le magistrat est du siège (c'est à dire est un juge), afin de préserver l'indépendance des juges du pouvoir exécutif, ou pour un avis s'il est du parquet (c'est à dire est un procureur), la sanction restant du ressort du ministre en vertu de la subordination hiérarchique de celui-ci.

Les sanctions qui peuvent être prononcées sont, par ordre de gravité : 1° La réprimande avec inscription au dossier ;
2° Le déplacement d'office ;
3° Le retrait de certaines fonctions ;
4° L'abaissement d'échelon ;
4° bis L'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximum d'un an, avec privation totale ou partielle du traitement ;
5° La rétrogradation ;
6° La mise à la retraite d'office ou l'admission à cesser ses fonctions lorsque le magistrat n'a pas le droit à une pension de retraite ;
7° La révocation avec ou sans suspension des droits à pension.

Notons pour ceux qui ne manquent pas de souligner qu'Untel, juge de son état, aurait été immanquablement viré s'il avait été salarié et avait commis une faute, que le droit du travail interdit toute sanction aboutissant à une perte ou une diminution de salaire (hormis le licenciement, qui donen droit à l'assurance chômage et n'interdit pas de chercher un autre emploi), et qu'en aucun cas un salarié ne peut perdre son droit à toucher sa retraite, quand bien même eût-il assassiné son employeur. Un magistrat peut se retrouver révoqué sans droit à pension, c'est à dire condamné au RMI puis au minimum vieillesse, la fonction publique lui étant définitivement fermée.

Pour l'avocat, ce n'est pas très différent. La loi est plus claire en apparence sur les principes essentiels, qui l'emportent en nombre sur ceux des magistrats.

Ils se trouvent actuellement dans le décret du 12 juillet 2005, article 3 :

L'avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.

Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d'honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.

Il fait preuve, à l'égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.

Le décret ajoute plus loin l'obligation de respecter le secret professionnel, et plusieurs obligations spécifiques, toutes passibles de sanctions disciplinaires : loyauté avec la partie adverse, respect du contradictoire, déférer aux commissions d'office, etc.

L'autorité de poursuite est le bâtonnier de l'ordre qui reçoit les plaintes, les instruit (il mène une enquête pour recueillir les éléments de preuve sur les faits imputés) et transmet le dossier au Conseil de discipline, qui en province a une compétence régionale, tandis qu'à Paris l'Ordre a des formations de jugement spécifiques (rappelons que la moitié des avocats de France sont au Barreau de Paris, ce qui justifie qu'il ait des règles adaptées à sa taille pantagruélique). Les décisions du Conseil de discipline sont susceptibles d'appel devant la première chambre de la cour d'appel. Le procureur général de la cour d'appel peut mettre en mouvement l'action disciplinaire en saisissant directement le conseil de discipline qui doit statuer sous quinze jours. Si l'instance n'a pas statué dans ce délai, le conseil de discipline est réputé avoir rejeté la demande de sanction et le procureur général peut saisir la cour d'appel d'un recours contre ce refus. Cela arrive. Nous sommes donc sous le contrôle des juges, et c'est normal. Notons que les audiences où sont jugés les recours disciplinaires sont tenues en la forme solennelle : magistrats en robe rouge, toutes lumières allumées, et ce sont cinq (ou sept ?) magistrats qui composent la cour et non trois.

Les sanctions pouvant frapper un avocat sont, en ordre de gravité (article 184 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991) :

1° L'avertissement ;
2° Le blâme ;
3° L'interdiction temporaire, qui ne peut excéder trois années ;
4° La radiation du tableau des avocats, ou le retrait de l'honorariat.

L'avertissement, le blâme et l'interdiction temporaire peuvent comporter la privation, par la décision qui prononce la peine disciplinaire, du droit de faire partie du conseil de l'ordre, du Conseil national des barreaux, des autres organismes ou conseils professionnels ainsi que des fonctions de bâtonnier, pendant une durée n'excédant pas dix ans .

L’instance disciplinaire peut en outre, à titre de sanction accessoire, ordonner la publicité de toute peine disciplinaire.

La radiation interdit définitivement l'exercice de la profession, mais n'interdit pas de percevoir la retraite pour peu que l'avocat ait cotisé la durée légale minimale (qui est, tenez vous bien, de quinze années), puisqu'il est soumis au droit commun des professions libérales : ce sont ses cotisations et non sa qualité qui lui ouvre droit à pension.

Terminons en soulignant que la commission d'une infraction pénale par un magistrat ou un juge[2] avocat, même dans le cadre de leur vie privée, est une faute disciplinaire pouvant donner lieu, OUTRE la sanction pénale, à une peine disciplinaire. Les procureurs généraux saisissent ainsi systématiquement les conseils de discipline quand un avocat est poursuivi pour conduite en état d'ivresse.

Je dirais égalité ici, encore que le nombre de décisions rendues en matière disciplinaire soit proportionnellement beaucoup plus important chez les avocats que chez les magistrats. Ces derniers mettront cela sur nos turpitudes, pour ma part, je pense que le système disciplinaire marche chez les avocats, alors que chez les magistrats, il laisse encore à désirer. Tous les magistrats connaissent un collègue qui traite ses dossiers avec une lenteur désespérante, se débrouille pour refiler le boulot aux autres quand il siège en juridiction collégiale ou est au parquet, tombe malade dès qu'on lui donne du travail et quand il est nommé ailleurs, laisse un cabinet sinistré où des dossiers sont prescrits, désordonnés, ou disparus. Je ne parle pas de ceux qui sombrent en dépression au point de devenir inapte à leurs fonctions. Ils sont rares, mais le système n'est pas fait pour éliminer ces éléments insuffisants une fois qu'ils ont prêté serment. Je ne crois pas qu'aucune organisation syndicale ne s'opposerait à un meilleur contrôle, sanctionnant les insuffisances et récompensant mieux les éléments méritants (qui se reconnaissent au fait qu'ils lisent mon blog), à condition qu'il offre des garanties pour ne pas servir de moyen de pression sur les magistrats. Mais la méthode utilisée en matière de réformes de la justice est rarement la concertation, l'opposition professionnelle étant invariablement mise sur le compte du dorporatisme. La nouvelle loi en sera une nouvelle illustration.

La responsabilité civile des avocats et magistrats.

C'est là que les régimes sont le plus différents, à l'avantage cette fois du magistrat.

J'ai déjà traité de la responsabilité civile des avocats ici.

Résumons : un avocat qui commet une faute causant un préjudice à son client est tenu de l'indemniser. Pour cela, il contracte par l'intermédiaire de son ordre une assurance obligatoire. Les cas les plus fréquents sont l'avocat qui laisse s'écouler un délai à l'issue duquel son client est privé du droit d'agir (on appelle cela être forclos) : par exemple, qui ne fait pas appel de la condamnation de son client dans le délai de dix jours malgré les instructions qu'il a reçues en ce sens.

L'avocat est dans ce cas soumis au droit commun et peut être assigné en justice. Tout au plus peut-il demander à ce que l'affaire soit jugée par un tribunal voisin du barreau où il exerce.

Par contre, un magistrat qui commet une faute qui cause un préjudice à un justiciable (j'exècre ce mot mais il est parfois bien pratique) n'est pas tenu à réparation et surtout ne peut pas être assigné en justice par la victime de cette faute.

Cette immunité, qui n'est que relative, est souvent mal interprétée.

Il ne s'agit pas de faire des juges des entités omnipotentes et irresponsables, libres d'abuser de leurs fonctions et de les remplir avec négligence sans que quiconque puisse trouver à y redire. Il faut être idiot ou candidat à la présidentielle pour affirmer de telles inepties.

Les juges remplissent une mission des plus difficiles : dire le droit (juris dictio) en interprétant la loi et en prenant des décisions qui engagent l'autorité de l'Etat puisqu'il peut recourir à la force pour les exécuter. Ils privent certains citoyens de leur liberté ou de leurs biens, fut un temps de leur vie, ou tranchent des conflits portant sur des sommes considérables. Pour que cette mission puisse être remplie, le juge doit être indépendant, c'est à dire à l'abri de toute pression. Des criminels. Des puissances financières. Des politiques. Des procéduriers. C'est à ce prix que les citoyens pourront avoir confiance dans leur justice. Quels que soient les sujets de mécontentement que nous pouvons avoir à l'égard de nos juges, en France, nous pouvons saisir un juge en ayant confiance dans le fait qu'il tranchera de manière impartiale et selon le seul droit. Il y a beaucoup d'habitants d'autres pays qui nous envient cela comme un privilège, eux pour qui un procès est décidé par qui fait le plus beau cadeau au juge ou qui peut le menacer de mort à son domicile.

Comment se traduit cette nécessaire indépendance ? Pas par l'irresponsabilité. Par le fait que l'Etat assume directement cette responsabilité. Si un juge commet une erreur fautive, c'est à dire dont on peut établir qu'il n'aurait pas dû la commettre compte ten udes éléments qu'il avait à sa disposition, l'Etat indemnisera la victime de ce dysfonctionnement (ce mécanisme fera l'objet d'un billet à part entière). Exactement comme l'Etat assume les dégats que causent les militaires au cours de manoeuvres, ou les travaux publics. Un plaideur ne peut pas se retourner au civil contre son juge. Il ne le pourra que si le juge a commis un délit dans l'exercice de ses fonctions, puisqu'il s'agit de responsabilité pénale. Je me souviens qu'il y a quelques années, Robert de Niro avait porté plainte contre un juge d'instruction qui l'avait fait interpeler sans ménagement au cours d'un tournage. Je ne me souviens pas des suites, mais je crois me souvenir que le juge avait été cité en correctionnelle.

Le juge ne s'en tire pas aussi facilement, toutefois. Si l'erreur qu'il a commise révèle une faute, le juge peut voir une action disciplinaire engagée, et l'Etat peut exercer également ce qu'on appelle l'action récursoire, c'est à dire lui demander de rembourser les sommes que l'Etat a dû verser à la victime de sa faute[3].

Concrètement, cette action est rarissime. Pour tout dire, je n'ai pas trouvé trace d'une seule action récursoire engagée contre un juge. Il demeure que cette possibilité existe : le juge n'est pas à l'abri de devoir supporter les conséquences financières d'une erreur grossière qu'il commettrait. A l'Etat d'assumer ses resposnabilités et d'utiliser les moyens que la loi lui donne, plutôt que de réformer la loi sans jamais l'appliquer comme il a tendance à le faire, préférant les effets d'annonce au journal de TF1 qu'au journal officiel.

Je concluerai en insistant sur un dernier point.

La moindre erreur n'est pas fautive pour un juge. Pour un avocat non plus d'ailleurs.

Les juges sont humains, peuvent se tromper, et sans commettre de faute. Des erreurs judiciaires, il s'en commet des centaines chaque jour : le parquet classe sans suite une plainte fondée, un juge relaxe un coupable faute de preuve. Ce sont des erreurs : le plaignant se sent abandonné, le coupable relaxé me félicite chaleureusement. Elles ne sont pas fautives : le procureur a estimé que les faits dénoncés n'étaient pas suffisamment établis ou que l'auteur ne pouvait être identifié (par exemple, une plainte d'une jeune femme qui a été pelottée dans le métro...), et le juge qui a relaxé faute de preuve a correctement fait son travail. Il arrive d'ailleurs que des juges relaxent tout en étant au fond d'eux convaincus que le prévenu était bien coupable.

Notes

[1] Le CSM tient u nrecueil des décisiosn rendues depuis 1946, accessible en ligne ici. Les décisions P concernent le parquet, S le siège, c'est à dire les juges.

[2] Erreur de plume signalée par Gascogne, merci à lui.

[3] Précision à la suite d'une remarque de Paxatagore en commentaires : cette action récursoire existe à l'égard de tous les fonctionnaires, elle n'est pas réservée aux magistrats. Il me confirme que cette action n'est jamais exercée.

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