Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 2 février 2007

Xavier Bertrand, nouveau prix Busiris

Photo : services du premier ministre.

C'est un grand honneur pour moi et avec une joie toute particulière que je remets à Xavier Bertrand le prix Busiris, mon émotion étant due au fait que j'ai eu le privilège d'être physiquement présent lorsque les propos objets de ce prix ont été tenus. Un prix Busiris en vrai, c'est impressionnant.

Ca commence par un froncement de sourcil inconscient. Une partie de votre cerveau qui vous dit "Attends... Il n'a pas dit ça ?". Aussitôt, vous sollicitez votre mémoire immédiate qui pourtant vous confirme la nouvelle tandis que le cerveau se concentre sur les propos qui continuent à être tenus et qui confirment également la nouvelle.

Un rapide coup d'oeil à votre voisin vous le montre lui aussi les sourcils froncés, l'incompréhension peinte sur son visage, tourné vers vous en espérant encore que vous allez lui dire "Non, il n'a pas dit cela". Las, quand il voit la même expression figurant sur votre visage, le doute n'est plus permis pour lui non plus. Vous regardez votre autre voisin, dont le sourire goguenard montre qu'habitué des contorsions verbales, il apprécie en connaisseur.

Vous vous tournez alors vers les journalistes présents, salivant d'impatience à l'idée de les voir se jeter sur l'énormité des propos. Las, leur visage détendus et inexpressifs montre que non, ils ne diront rien et ces propos passeront comme lettre à la poste.

Mais de quoi s'agit-il ?

Les propos peuvent être ouïs sur le site d'Europe 1, las guère pratique. Je n'ai trouvé que ce chemin là : sur cette page, cliquez sur PLAY. Un lecteur embarqué apparaîtra, il a tronçonné l'émission en tranches de quinze minutes. Cliquez sur suivant jusqu'à la tranche 19h30-19h45 (les premiers mots entendus sont "Parce que devenir propriétaire, ça apporte aussi des réponses, notamment pour la question de la retraite"). Glissez le curseur jusqu'à 3mn59, ou écoutez la discussion.

Interrogé par Alexandre Jardin venu poser la question "commentonfait.fr ?" aux candidats à la présidentielle sur le droit au logement opposable, qui voulait savoir comment un tel droit qui suppose une action en justice est une réponse à une question aussi urgente que le besoin d'un toit, Xavier Bertrand, ministre de la Santé et porte parole de Nicolas Sarkozy a tenu ces merveilleux propos :

La logique du droit opposable, c'est justement qu'on n'ait pas besoin de se tourner vers les tribunaux. Le droit au logement opposable, c'est en quelque sorte un peu cette épée de Damoclès pour montrer que l'on doit faire de ce droit non plus un droit virtuel mais un droit réel. C'est comme pour la scolarisation des enfants handicapés, c'est comme justement la garde des enfants. A partir du moment où vous savez que ce droit, vous pouvez le porter en justice, vous savez pertinemment que votre responsabilité politique et pas celle seulement de l'Etat, aussi des collectivités locales, c'est de créer ces places.

Alexandre Jardin n'étant pas sûr d'avoir compris lui demande donc :

Donc votre idée, c'est que... ?

Réponse du ministre :

C'est qu'à partir du moment où ce droit est inscrit [dans la loi], vous avez l'obligation de mettre en place le nombre de logements nécessaires.

Marine Le Pen s'exclamant "Ce n'est pas sérieux !", le ministre a jouté, d'un ton outré "Si, c'est sérieux". Et je vous assure qu'il n'a pas éclaté de rire.

Après la loi sur le CPE, le gouvernement a récidivé avec une nouvelle loi destinée à ne pas être appliquée, et Xavier Bertrand nous explique sérieusement que la loi crée un droit au logement, plutôt que des logements, afin qu'il y ait assez de logements pour que ce droit n'ait pas besoin d'être exercé. Tout en précisant qu'il s'agit là non pas d'un droit virtuel mais d'un droit réel.

Affirmation juridiquement (et logiquement) aberrante, teintée de mauvaise foi, et mue par l'opportunité politique plus que par le respect du droit. Les critères sont réunis. Félicitations donc à Monsieur le ministre de la Santé.

Parlons programme : Ségolène Royal et la justice

Je vous propose dans les semaines qui viennent d'étudier les programmes des principaux candidats en matière de justice. Ce sera sur ce thème seulement : c'est mon domaine d'expertise, je peux tenter d'expliquer certaines propositions obscures, et j'espère pouvoir faire des critiques pertinentes de fait de mon expérience pratique. Je m'assurerai que les cellules internet des candidats concernés soient informés de l'existence de ces billets, libre à eux d'en faire ce qu'ils veulent.

Pour l'ordre, j'ai décide de commencer par les trois candidats majeurs, j'entends par là ceux qui ont des intentions de vote à deux chiffres ET la certitude d'avoir les 500 parrainages nécessaires, soit François Bayrou (UDF), Ségolène Royal (PS) et Nicolas Sarkozy (UMP). J'irai également voir le projet du Front national, non que ça me réjouisse, mais je ne peux pas faire l'impasse sur un candidat qui, s'il arrive à se présenter, ce qui ne fait guère de doute dans mon esprit, arrivera aussi bien classé. Les autres candidats passeront sous mes fourches caudines si j'ai le temps.

Avertissement préalable : là encore, je vais faire le ménage. Les commentaires qui ne visent qu'à indiquer un soutien inconditionnel à tel candidat ou à conspuer tel autre seront supprimés. Pas de slogans, des arguments.

Pour l'ordre de passage, j'ai décidé de pratiquer par tirage au sort. Et c'est Ségolène Royal qui s'y colle pour le premier passage. Si vous n'êtes pas content, allez vous plaindre au hasard.


Photo Désirs d'avenir

Mes sources pour ce programme sont doubles : d'une part, le projet socialiste "Réussir ensemble le changement", Partie III, paragraphe IV, et d'autre part le "ce que je retiens" sur ce thème sur le site Désirs d'avenir. Je sais qu'un programme supplémentaire doit être présenté le 11 février prochain, mais gageons qu'il n'y aura pas de revirement spectaculaire, et s'il le faut, je compléterai mon analyse.

Le programme socialiste.

Il est antérieur à la désignation de la candidate socialiste, mais la candidature à l'investiture supposait l'adhésion à ce projet.

Voici les propositions du projet, suivi de mes commentaires.

IV La Justice rénovée

C'est le titre. J'approuve ce refus d'une justice vétuste, mais je me demande si on n'est pas dans le slogan, là.

Notre système judiciaire doit être revu dans son fonctionnement tant pour la justice civile que pour la justice pénale. - Nous augmenterons le budget de la justice : notre pays se situe au 23ème rang sur 40 en Europe, pour son budget de la justice. Nous ferons passer le budget de la justice française dans les premiers rangs.

Vous connaissez mon point de vue sur la question. C'est en effet indispensable. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres et je me méfie de ces promesses faites alors qu'elles ne coûtent rien. Mais sur ce point, j'approuve.

- Nous rendrons la justice accessible à tous en faisant en sorte que chaque justiciable puisse bénéficier des services d’un avocat, garanti par un service public de la défense. Nous renforcerons les maisons de la justice et du droit et le réseau d’information et d’aide aux victimes. Nous limiterons les coûts financiers inutiles pour élargir l’accès à la justice civile et au droit. Nous moderniserons le fonctionnement de la justice civile, de la justice prud’homale, de la justice commerciale et de la justice administrative.

Un service public de la défense ? Tiens. La dernière fois que j'ai été de permanence aux comparutions immédiates pour une indemnité ridicule, que j'ai défendu des prévenus qui n'avaient pas à me payer, et que je suis sorti d'audience à 22 heures, j'avais vraiment l'impression d'assurer le service public de la défense. J'ai dû avoir un moment d'égarement.

Le service public de la défense existe, il s'agit de l'aide juridictionnelle et des commissions d'office. Vous savez, ce truc pour lequel on s'est battu en décembre. Alors, puisqu'il ne s'agit pas de créer quelque chose qui existe, concrètement, c'est quoi, ce service public de la défense ? Créer des avocats fonctionnaires ? Débloquer un vrai budget pour que des avocats puissent se consacrer à plein temps à des dossiers d'aide juridictionnelle (je n'y crois pas une seconde) ?

Travers fréquent des candidats ici : on lance des idées plus que des projets concrets. Ca donne l'impression qu'on ne sait pas où on va mais on y va.

Renforcement des maisons de la justice et du droit : formule creuse, sauf s'il s'agit de poser des contreforts et des arcs-boutants, mais je ne pense pas qu'on parle d'architecture ici. Idem pour le réseau d'aide aux victimes. Concrètement, c'est quoi, par rapport à ce qui existe déjà ?

Limiter les coûts financiers inutiles : lesquels ? De quoi parlent-ils ? Des honoraires d'avocat ? Des émoluments d'huissiers ? Mystère. En tout cas, on parlait il y a cinq minutes d'augmenter le budget, et on en est déjà à faire des économies. Ca promet.

- Nous organiserons une justice respectueuse des libertés. Les procédures pénales d’exception seront limitées ; une réforme de la procédure pénale sera engagée pour renforcer les droits de la défense et mieux garantir la présomption d’innocence. Le juge des libertés et de la détention bénéficiera d’un véritable statut. Le juge d’instruction travaillera en collégialité. Nous interdirons les poursuites sur dénonciation anonyme.

Bon, le parti socialiste ne veut pas d'une justice liberticide, me voilà rassuré. Les procédures pénales d'exception : je pense qu'il s'agit des procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et d'ordonnance pénale en matière correctionnelle, mais ça irait mieux en le disant. La CRPC, ce serait idiot. Elle est rodée, elle soulage les comparutions immédiates et on est loin des abus potentiels dénoncés lors du vote de la loi Perben II : concrètement, à Paris, elle est appliquée surtout aux conduites en état d'ivresse hors récidive et aux étrangers en situation irrégulière poursuivis parce que la préfecture n'a plus de place en centre de rétention (il faudra que je vous en parle, de ça, mais il faut que je me calme d'abord, j'en suis encore malade).

Et, ho surprise, une réforme de la procédure pénale ! Ca au moins, c'est original. Vraiment, ça manquait : il y en a eu une grosse en 2002 (Perben I), une énorme en 2004 (Perben II), une petite en 2005 (Loi antiterroriste), et quatre grosses sont en discussion au parlement en ce moment même (loi Sarkozy sur la prévention de la délinquance et les trois lois "Outreau". A titre indicatif, le code de procédure pénale a été modifié par 37 textes différents en 2005, et par 41 textes en 2004. Je n'ai pas encore les chiffres pour 2006, qui a aussi été une bonne année. Bon, je ne vais pas résilier mon abonnement au JO...

Le juge d'instruction travaillera en collégialité. Là, matériellement, c'est impossible, et le rendre systématique n'est pas opportun. Matériellement, cela suppose de doubler les postes de juges d'instruction dans les petits tribunaux n'ayant qu'un juge d'instruction, donc augmenter le recrutement ou les prendre ailleurs, mais qui récupérera leur charge de travail ? Si cela se fait sans augmenter le nombre des magistrats, concrètement, cela aboutira à ce que les juges se répartissent les dossiers par moitié et les traitent seuls, bref retour à la situation initiale. En opportunité, il y a bien des dossiers, la majorité en fait, qui peuvent être fort bien traités par un juge d'instruction travaillant seul. En vrac, les plaintes avec constitution de partie civile pour diffamation, les dossiers techniques où tout reposera sur une expertise (délinquance informatique...). Donc, il faut limiter la collégialité aux dossiers complexes et sensibles, mais là, il y a juste un problème : ça existe déjà.

Aucune procédure sur dénonciation anonyme. Ha, voilà qui est vertueux. Mais cela me paraît entrer en conflit avec la première loi annoncée par la candidate sur les violences conjugales (première loi qui ne figure dans aucun des deux programmes que je commente ici d'ailleurs), où la candidate annonce qu'on pourra poursuivre sans plainte de la victime : ce ne sera donc pas possible sur dénonciation anonyme. Alors, comment on fait ? les RG vont-ils mettre des micros dans chaque foyer ?

- Nous rendrons la justice responsable et indépendante. Les carrières des magistrats du siège et de ceux du parquet pourront être séparées au bout de 10 ans d’exercice. Le parquet, responsable de la mise en œuvre de la politique pénale définie par le pouvoir politique, sera mis à l’abri des pressions, notamment par la suppression des instructions individuelles de nature à dévier le cours de la justice. La composition du Conseil Supérieur de la Magistrature sera modifiée pour garantir son pluralisme et un équilibre entre magistrats et non-magistrats. Ses attributions seront étendues. Il sera consulté sur les aspects essentiels du fonctionnement de la justice ainsi que sur les projets de réforme la concernant, et aucune nomination de magistrats ne pourra intervenir sans avis favorable. Nous améliorerons le système d’évaluation du service public de la justice en mettant en place un mécanisme permettant aux justiciables d’adresser au Conseil Supérieur de la Magistrature des plaintes visant le comportement d’un magistrat.

La justice responsable et indépendante. Elle ne serait donc ni l'une ni l'autre. Sur le premier point, on sait que c'est faux, sur le second, ça sonne comme un aveu de la part d'un parti qui était encore aux affaires il y a peu...

La mise à l'abri des pressions du parquet : rappelons que le parquet est hiérarchiquement soumis au Garde des sceaux. Je n'ai jamais rien trouvé à redire que l'action du parquet, qui représente les intérêts de la société, soit soumis au pouvoir politique en démocratie. Il faut un chef unique au sommet de la pyramide pour coordonner la politique pénale au niveau national, et le Garde des Sceaux, membre du gouvernement, est donc placé sous la surveillance du parlement. L'indépendance du parquet fait partie des promesses non tenues par Chirac. Ségolène Royal la reprend-elle à son compte ?

La suppression des instructions individuelles de nature à dévier le cours de la justice : cela signifie donc qu'il serait interdit au Garde des Sceaux d'ordonner au parquet de requérir la remise en liberté de mis en examen en cas de nouvel Outreau, car cela dévierait le cours de la justice ? Non, ces interventions ne sont en soi en rien condamnables, à condition qu'elles ne soient pas mues par des motifs inavouables, comme Jacques Toubon s'en était fait une spécialité mémorable. Il suffirait d'exiger que ces instructions soient écrites et figurent au dossier afin que la défense en soit informée, et le public lors du jugement de l'affaire, et que ces instructions ne puissent tendre qu'à l'ouverture de poursuite et non au classement d'une affaire.

La séparation des carrières au bout de dix ans : rappelons que les magistrats du siège (juges) et du parquet (procureurs) forment un corps unique. On peut passer au cours de sa carrière du siège au parquet, et vice versa. Un magistrat peut ainsi commencer juge d'instruction à Thionville, puis être nommé substitut du procureur à Dijon, avant d'être juge des affaires familiales à Strasbourg, puis premier substitut à Créteil, etc. (sous réserve de la compatibilité de ces exemples de promotions avec les échelons de carrière des magistrats, que je ne connais pas très bien). Je ne comprends pas le "pourront être séparées". Cela semble signifier une faculté. Je pense que le projet imposera cette séparation au bout de dix ans, c'est à dire qu'au bout de ce laps de temps, le magistrat devra choisir définitivement s'il sera assis ou debout[1]. Au début, quand j'avais trois poils au menton, cette unicité du corps me paraissait une anomalie et j'étais plutôt favorable à cette séparation. J'en suis revenu, car elle apporte vraiment quelque chose au niveau de la formation des magistrats en élargissant leur expérience (un procureur qui a été juge d'instruction évitera d'ouvrir des informations pour un oui ou pour un non, un ancien JAP fera un excellent président de correctionnelle car il pourra faire du tuning de peine), et j'ai pu constater que les magistrats du siège ne perdent généralement pas leur impartialité à l'audience en faveur du parquet. Il y a des maladresses de comportement (l'entrée simultanée par la même porte, une connivence trop affichée...), mais des procureurs se font durement remettre à leur place par des présidents quand un dossier mal ficelé arrive à l'audience, esprit de corps ou pas. De sorte que j'ai tendance à penser qu'il s'agit d'une réforme plus symbolique que réelle. Par exemple, dans l'affaire d'Outreau, l'unicité du corps des magistrats n'a joué aucun rôle dans la tragédie, puisque les deux juges d'instruction occupaient leur premier poste. Donc une loi plus inutile que nuisible, mais qui risque de provoquer une résistance des magistrats.

- Nous présenterons une nouvelle loi pénitentiaire qui donnera davantage de moyens pour lutter contre la surpopulation carcérale, pour améliorer la qualité des soins, pour favoriser l’effectivité des petites peines en milieu ouvert, pour permettre la réinsertion à la sortie de prison. La prison doit impérativement être un lieu de respect des droits et de la dignité de la personne.

Je ne puis qu'approuver le principe. Mais je ne comprends pas le "plus de moyens pour lutter contre la surpopulation carcérale" : est-ce l'annonce de la construction de nouvelles prisons ? Il le faut, eu égard à l'augmentation de la population française, mais je pense qu'il s'agit plutôt de financer des alternatives à l'emprisonnement, ce qui fait alors doublon avec la suite. Je n'aime pas l'ambiguïté des programmes électoraux.

En conclusion : le programme du parti socialiste manque de propositions concrètes, ce qui a pour effet de voir beaucoup de belles phrases qui n'engagent à rien et laissera toute latitude à la candidate élue de faire ce qu'elle veut, toute loi retouchant le code de procédure pénale pouvant aisément se réclamer de ce programme. J'en sors dubitatif.

Sur Désirs d'avenir.

Le thème dont la synthèse est proposée est "Quelle prison pour quelle justice ?". Lecture faite, mes craintes se sont révélés non fondées : il ne s'agit pas de savoir où on va incarcérer les 7000 magistrats français, mais bien de propositions de réformes de la justice tout d'abord, puis de la prison ensuite.

Sur la justice.

Les citoyens attendent une justice efficace, mais humaine. L’instruction pénale est aujourd’hui critiquée parce que le juge d’instruction est, dans les affaires les plus lourdes, mais aussi au quotidien, noyé sous la masse des dossiers, sans repères et sans recul suffisants, et qu’il doit être à la fois l’enquêteur et l’arbitre de sa propre enquête. Le juge d’instruction doit donc retrouver les moyens juridiques, matériels et humains d’être à égale distance des victimes, des mis en examen et de l’accusation, d’avoir la sérénité sans laquelle la justice est aveugle, d’agir vite, pour raccourcir les procédures, mais sans être poursuivi par l’urgence.

L'opposition efficacité et humanité et l'invocation de cette qualité tellement lumineuse aux yeux des politiques que personne ne s'est donnée la peine de la définir me laisse toujours dubitatif. La justice, c'est avant tout l'application de la loi. Une loi mauvaise sera appliquée avec zèle par les magistrats, parce qu'ils ont juré de le faire en prenant leurs fonctions. Ce n'est pas à eux de corriger les manquements du législateur, ou ses contradictions quand il incite à la détention provisoire et se scandalise que des innocents soient placé en détention. L'humanité du juge me paraît une façon de se défausser sur lui de ses obligations.

Le ton pompeux n'évite pas le piège du ridicule : "la sérénité sans laquelle la justice est aveugle". La justice EST aveugle, cela symbolise son impartialité, et ce n'est pas la sérénité qui l'aveugle, mais un bandeau.

Trois principes doivent à mes yeux contribuer à cette justice plus humaine : renforcer la collégialité, donner des moyens enfin à la hauteur des enjeux, redéfinir précisément les fonctions du juge d’instruction.

De fait, la synthèse proposée ne porte que sur l'instruction. C'est oublier que l'instruction ne concerne que 5% des affaires jugées. Certes les plus graves, mais le volume devrait aussi être pris en considération. Je suppose que cet aspect est encore en cours d'étude.

Pour mémoire : quand le procureur de la république décide d'engager des poursuites, il peut saisir directement le tribunal correctionnel sur la base du dossier réuni par la police, parfois pour une audience du jour même (les comparutions immédiates), ou saisir un juge d'instruction afin qu'il mène une enquête approfondie. L'instruction est obligatoire si les faits sont un crime (puni de peines maximales allant de 15 ans à la perpétuité) et relèvent de la cour d'assises. Elle est facultative pour les délits, et est utilisée principalement dans trois cas : si les faits sont complexes (délinquance financière), ne sont pas encore connus dans leur intégralité (trafic de stupéfiant, victime entre la vie et la mort), ou si les auteurs sont en fuite ou ne sont pas identifiés.

Le juge d'instruction est un juge unique qui peut faire appel aux services de la police, d'experts, peut interroger lui même les personnes concernées, et décide à la fin s'il faut mettre fin aux poursuites (non lieu), ou faire juger les faits par le tribunal correctionnelle ou la cour d'assises. Il peut demander au juge des libertés et de la détention de placer les mis en examens en détention provisoire.

1 - Même expérimenté, le juge d’instruction est aujourd’hui très seul. Si les fonctions de l’instruction sont par nature des fonctions indépendantes et individuelles, la gravité ou la complexité particulière de certains dossiers peuvent imposer que plusieurs magistrats soient associés pour les mener à bien. La chambre de l’instruction, qui contrôle en appel les décisions du juge d’instruction, devrait pouvoir imposer une co-saisine, la même affaire étant alors traitée par deux juges, et dans les affaires les plus lourdes, un pool de magistrats devrait pouvoir être mobilisé.

On mélange ici constats et propositions. Le président du tribunal de grande instance peut décider de saisir plusieurs juges d'instructions d'une seule affaire : il n'est limité que par le nombre de juges d'instruction de sa juridiction (article 83 du CPP). L'affaire Clearstream est ainsi instruite par deux juges. Le duo Eva Joly et Laurence Vichnievsky a fait les mauvais jours des vendeurs de bottines et de pétrole. Le juge d'instruction peut également demander au président de désigner un ou plusieurs autres juges d'instruction. C'est un constat, et cet état de fait remonte à la loi du 4 janvier 1993, votée sous le gouvernement Bérégovoy.

La chambre de l'instruction ne peut par contre décider de saisir des juges d'instructions supplémentaires. Voilà ce qui serait la nouveauté. Mais sachant qu'elle peut évoquer le dossier, c'est à dire au lieu de le renvoyer au juge d'instruction, le garder et continuer à instruire elle même, en désignant un de ses conseillers à cette fin, elle peut donc faire mieux qu'ordonner la collégialité : confier le dossier à trois conseillers de cour d'appel ayant l'expérience de l'instruction. Dès lors cette réforme ne crée ni ne renforce la collégialité, mais ajoute une nouvelle façon de la provoquer. Reste la question des moyens humains, passée sous silence, malheureusement.

2 - La chambre de l’instruction, chargée d’examiner en appel les décisions prises par les juges d’instruction, pourrait voir ses prérogatives considérablement élargies pour assurer un contrôle effectif et périodique du travail effectué dans chaque dossier par les magistrats instructeurs. En fin d’instruction, la chambre de l’instruction serait tenue d’examiner toutes les procédures. Elle aurait ainsi pour mission de s’assurer que le dossier est complet et que peut utilement s’ouvrir un procès pénal. Si ce n’est pas le cas, la procédure serait systématiquement renvoyée au juge pour complément d’enquête.

Très mauvaise idée. C'est totalement irréaliste et inutile dans la plupart des cas. Irréaliste car cela suppose une charge de travail immense, pour des cours déjà débordées et tenues par des délais très courts pour examiner les recours. Cette réforme noierait les chambres de l'instruction sous les dossiers, au détriment de la qualité du travail. Inutile car la chambre de l'instruction peut être saisie par les parties (mis en examen, partie civil et procureur) qui contesteraient l'ordonnance finale du juge (on parle d'ordonnance de règlement). Dès lors que les parties ne contestent pas sa décision, pourquoi imposer à la cour un examen systématique manifestement inutile ? Il existe une exception : une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel ne peut être soumise par la voie de l'appel à la chambre de l'instruction. Tout simplement parce que le tribunal reste compétent pour apprécier les faits : si le mis en examen aurait voulu un non lieu, qu'il plaide la relaxe. S'il voulait une requalification, qu'il la demande au tribunal. L'appel est possible contre la décision du tribunal, et l'argumentation peut être à nouveau soulevée devant la chambre des appels correctionnels : vous voyez que cette règle est même favorable aux parties, car une décision de la chambre de l'instruction, qui est une formation de la cour d'appel, ne peut être contestée que par le pourvoi en cassation.

3 - Toutes les décisions portant atteinte aux libertés individuelles devraient être prise par un collège de magistrats du siège, après un débat contradictoire où l’accusation et la défense interviendraient à armes égales. Il s’agit d’un approfondissement de la voie ouverte par la loi du 15 juin 2000, qui a retiré au juge d’instruction les décisions de placement en détention provisoire au profit du juge des libertés et de la détention.

Donc le juge des libertés et de la détention deviendrait une juridiction collégiale. Si les moyens suivent, parfait. Mais ce principe s'applique-t-il aussi au juge unique en matière correctionnelle ? Car il peut condamner à des peines de prison ferme et même décerner mandat d'arrêt et de dépôt. Ce serait donc la fin du juge unique en matière pénale, y compris devant le tribunal de police (il peut porter atteinte à la liberté d'aller et venir en suspendant le permis de conduire), et en matière d'ordonnance pénale. Je ne suis pas sûr que ce soit que ce Ségolène Royal a à l'esprit, mais face à des principes généraux si vagues, on peut se poser la question.

4 - Il est également nécessaire de mieux garantir les droits de la défense tout au long de la procédure pénale, et ce dès le stade de la garde à vue.

Qui dirait le contraire ? Mais est ce trop demander que de savoir comment, concrètement ?

5 - La formation des magistrats et leur affectation à la sortie de l’Ecole Nationale de la Magistrature doivent être adaptées aux évolutions de la justice souhaitées par nos concitoyens.

En effet, il ne manquerait plus que ce ne fût point le cas. Mais concrètement, encore une fois, ça veut dire quoi ? Que change-t-on à la formation ? Quelles seraient les nouvelles règles d'affectation ? Quelles sont les orientations de la justice souhaitées par nos concitoyens qui sont le critère de ces réformes ? Ce n'est pas un programme, là, c'est de l'incantation.

6 - Enfin, et c’est essentiel, la Justice doit avoir des moyens supplémentaires à la hauteur de ses missions. La loi d’orientation et de programmation pour la justice de 2002 (LOPJ), adoptée par le Gouvernement Raffarin, affichait cette ambition. Force est de constater que l’effort budgétaire n’a pas suivi : le retard accumulé sur quatre ans d’exécution de la loi (2003-2006) s’établit à plus de deux mille emplois.

Je ne peux qu'applaudir à cette déclaration d'intention. Mais je suis un esprit chagrin, que voulez-vous. Ce paragraphe peut se résumer ainsi : « Je veux augmenter les moyens de la justice. Le gouvernement Raffarin a fait voter une loi qui prévoyait une augmentation des moyens de la justice. Mais malgré cela les moyens de la justice n'ont pas augmenté. »

Alors, je me demande : que va faire Ségolène Royal ? Voter une loi qui prévoira une augmentation des moyens de la justice ?

Rappeler que le gouvernement précédent a voulu faire la même chose et ne l'a pas fait n'est pas de nature à me faire croire que le futur gouvernement, qui affiche sa volonté de faire la même chose, le fera effectivement. Surtout quand cette augmentation n'est pas chiffrée, mais rappelons que le programme du PS, lui, est un peu plus précis : faire passer le budget de la justice dans les premiers rangs européens. Que cette promesse là soit tenue et ce serait déjà formidable.

Je n'aborderai pas la question de la prison, je le ferai dans un futur billet. Il y a déjà beaucoup à dire sur cet aspect.

Prochain candidat désigné par le sort : Nicolas Sarkozy.

Notes

[1] On parle en effet de magistrature assise pour les juges, qu'on appelle encore magistrats du siège, et de la magistrature debout pour les procureurs, qui se lèvent au même titre que les avocats quand ils prennent la parole, encore que l'usage limite cet exercice pour les seules réquisitions, alors qu'en principe même en cas de question au prévenu, le procureur devrait se lever.

samedi 2 décembre 2006

Lieu commun, je l'aime aussi pour ça

Je suis persuadé que les blogues vont jouer un rôle non négligeable dans la campagne à venir. Et quand je vois la qualité de fond que mes camarades de Lieu Commun atteignent, j'en suis à penser que certains journalistes politiques pourraient en tirer de la graine.

Choisissez :

Vous n'aimez pas Ségolène Royal ?

Alors Versac vous fournira de quoi vous moquer d'elle, alors que tous les (nombreux) journalistes présents l'ont laissé passer : Ségolène Royal a resservi de très larges portions (36% du total) du même discours à dix jours d'intervalles, et dans des occasions qui ne sont pas mineures : le soir de sa victoire au scrutin interne au PS, et dimanche dernier à la mutualité. Le manque d'inspiration dès le début de la campagne ? En tout cas, voilà qui réjouira ceux qui se plaisent à dire que la candidate ne dit rien, même si elle le dit bien.

Vous n'aimez pas Nicolas Sarkozy ?

Alors Ceteris Paribus vous propose de le surprendre en flagrant délit de baratinage avec préméditation, lors de son passage télévisé de jeudi soir, avec à la clef les liens qui fournissent les preuves. Synthétique et percutant.

Et pour ceux qui aiment juste la réflexion critique en matière politique, la lecture des deux billets s'impose. Bravo, les amis.

Nota Bene (et note aux benêts) : le fait que je renvoie chez Versac ceux qui n'aiment pas Ségolène Royal et chez Ceteris Paribus ceux qui n'aiment pas Nicolas Sarkozy n'implique nullement une prise de position de ceux ci en faveur d'un quelconque candidat. Merci de leur faire grâce des procès d'intention.

vendredi 24 novembre 2006

Le législateur est notre ami

Quand on est avocat, une grande partie de notre travail consiste à se tenir à jour de l'évolution législative. Je précise à l'égard de certains commentateurs effrayés du taux horaire des avocats que le temps que nous consacrons à cette passionnante activité n'est pas rémunéré par nos clients, et que les formations que nous suivons et la documentation que nous devons acquérir n'est pas gratuite.

Heureusement, de temps en temps, le législateur nous glisse ce que les anglophones appellent un easter egg, un oeuf de pâques, c'est à dire une petite friandise cachée, afin que le plaisir de la croquer soit doublé du plaisir de l'avoir trouvée. Ainsi, la loi Perben II avait modifié un article de loi depuis longtemps abrogé, et qui après cette modification restait tout aussi abrogé.

Cette fois, c'est la très haïssable loi n°2006-1376 du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages, qui m'a quand même arraché un sourire, grâce à son article 1er, qui modifiera au 1er mars 2007 la rédaction de l'article 63 du Code civil.

Cet article prévoit depuis la loi Sarkozy du 26 novembre 2003 sur la maîtrise de l'immigration[1] que l'officier d'état civil qui va célébrer le mariage doit convoquer les époux pour les entendre afin de s'assurer de la sincérité de leur mariage ; s'il a des doutes sur ce point, il peut en avertir le procureur de la République qui pourra alors former opposition au mariage (article 175-2 du Code civil, issu de la loi du 26 novembre 2003).

Prévoyant, le législateur ajoute à l'article 63 du Code civil que :

L'audition du futur conjoint mineur se fait hors la présence de ses père et mère ou de son représentant légal et de son futur conjoint.

Amnésique, le législateur a oublié qu'il a lui-même voté une loi le 4 avril dernier qui dans son article 1er prévoyait que désormais :

L'homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus.

C'est à dire quand ils sont majeurs. L'audition d'un futur conjoint mineur serait donc illégale puisque le futur conjoint ne doit pas être mineur.

Des esprits soucieux de voler au secours de législateur me diront qu'une dispense d'âge est possible pour motifs graves (article 145 du Code civil).

Il est vrai, mais cette dispense est accordée par le procureur de la République. Qu'il me soit permis de me demander où serait la logique du système qui voudrait que l'officier d'état civil pût demander au procureur de s'opposer au mariage qu'il vient d'autoriser.

Je crains fort qu'une fois de plus, le législateur montre qu'à force de voter texte sur texte au pas de charge, il ne se souvient même plus de ce qu'il a voté sept mois plus tôt et continue à légiférer sur des situations qu'il a rendu impossibles par une loi précédente.

Vous comprenez dès lors que chaque annonce d'une nouvelle réforme de la procédure pénale me plonge dans des abîmes d'angoisse.

Notes

[1] Immigration tellement maîtrisée que le même ministre a cru devoir faire voter une nouvelle loi sur le même thème, cette fois baptisée sur l'immigration et l'intégration...

mardi 31 octobre 2006

Réformons la justice avant la fin du monde...

Qui rappelons le aura lieu le 22 avril 2007 pour le premier tour et le 6 mai pour le deuxième tour, c'est officiel depuis mercredi dernier (la fin du monde législative aura lieu les 10 et 17 juin 2007).

Ainsi le gouvernement a annoncé sa grande réforme de la justice. Je vais la présenter plutôt succinctement, pour une raison simple : elle ne verra pas le jour.

Elle comporte en effet trois volets : deux lois ordinaires (une, deux) et une loi organique. Le projet de réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui supposait une révision de la Constitution, est tombé aux oubliettes, du fait de l'impossibilité de réunir le Congrès d'ici la fin de la législature. C'est plutôt heureux, tant ladite loi renforçait le contrôle du pouvoir politique sur l'instance qui sanctionne les magistrats.

Mais le calendrier parlementaire est de toutes façons tellement rempli qu'il est impossible de faire passer deux lois ordinaires supplémentaires, sans compter une loi organique, d'ici le 19 juin 2007, date à laquelle la 12e législature prendra fin. Je ne pense pas que l'urgence soit déclarée pour éviter deux lectures avant une commission mixte paritaire. Comme il est de coutume que tous les textes non adoptés soient balancés à la poubelle pour faire table rase du passé, ce projet de loi est donc un hochet médiatique. Il suscite donc chez moi un intérêt proportionnel.

Mais bon, voyons donc les enseignements que le législateur aura retiré de l'affaire d'Outreau.

Il propose les mesures suivantes :

  • La saisine du Médiateur de la République.

Alors que pour le moment, le Médiateur de la République ne peut être saisi que par l'intermédiaire d'un parlementaire ou d'un de ses délégués départementaux, en cas de dysfonctionnement de la justice, le Médiateur pourra être saisi directement par un particulier, le Médiateur transmettant le cas échéant au Garde des Sceaux.

Sur le principe, rien à redire. Un citoyen doit pouvoir se plaindre de sa justice. C'est donc un mécanisme de filtrage qui mettrait le magistrat à l'abri des pressions directes. Le Médiateur présente l'avantage d'être extérieur au monde judiciaire, donc ne sera pas soupçonné de corporatisme.

Mais je prédis au Médiateur une avalanche de plaintes parfois farfelues. Nous connaissons tous dans notre profession des plaideurs qui, quand ils sont déboutés, mettent ça sur le compte d'un incroyable complot international plutôt que sur leur mauvaise compréhension de la loi ou sur une défaillance de leur "bon sens". Les parlementaires et les délégués locaux servaient à filtrer les affaires du Médiateur. Le Médiateur devient désormais lui-même un filtre. Ce n'est pas très cohérent, mais bon.

  • Le contrôle des compétences des magistrats recrutés autrement que par l'ENM.

Les auditeurs de justice (élèves-magistrats, si vous préférez) qui passent par la voie normale pour devenir magistrat ont un contrôle des compétences qui peut aboutir à ce qu'ils ne soient pas admis à prêter serment. Ce n'est pas le cas des magistrats recrutés sur titre (sur dossier), des juges de proximité, des juges temporaires et de ceux recrutés par concours exceptionnels. Ce sera désormais le cas.

Là encore, rien à redire, mais plus par incompétence : je ne connais pas le mécanisme de contrôle en question.

Bon, le nombre de juges de proximité va sûrement baisser. Notons au passage que dans l'affaire d'Outreau, aucun magistrat recrutés par ces voies parallèle n'est en cause : tous sortaient de l'ENM, à commencer par le plus célèbre d'entre eux.

  • La création d'une nouvelle faute disciplinaire et d'une nouvelle sanction.

La nouvelle faute serait : « la violation des principes directeurs de la procédure civile et pénale », et la nouvelle sanction serait l'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d'exercer des fonctions de juge unique.

Là, premier pataquès. Le Conseil d'Etat a signalé au gouvernement, dans un avis secret et confidentiel réservé au seul gouvernement, que vous trouverez donc reproduit dans un billet ci-après[1], que cette idée « loin de clarifier la définition de cette faute, introduit un risque de confusion entre l'office des juges d'appel et de cassation et celui du juge disciplinaire », ce qui, en dehors des murs du Palais-Royal se résume plus sobrement par « C'est super débile comme idée ». Je développerai mes commentaires dans le billet consacré à cet avis.

Le gouvernement a donc retiré cet aspect et le réintroduira par voie d'amendement en cours de discussion, c'est à dire dès que les poules auront des dents.

Reste la sanction d'interdiction temporaire des fonctions de juge unique. Là encore, je reste réservé. Cela révèle une méconnaissance de l'organisation du siège. Les fonctions de juge unique n'ont rien d'honorifique. Elles ne reflètent pas la valeur supposée du magistrat qui occupe ces fonctions, mais la pingrerie de l'Etat qui préfère n'en payer qu'un pour faire le travail de trois. Si cela s'expliquait pour des fonctions portant sur des affaires simples ou plus techniques que difficiles (Baux commerciaux, petites affaires civiles, exécution des jugements), ou pour la fonction de juge d'instruction, Je ne vois pas en quoi quelqu'un qui se verrait interdire d'être juge aux affaires familiales, juge de l'exécution, juge de l'expropriation ou juge de la taxe se sentirait sanctionné. J'en connais même qui prendraient cela pour une récompense. Surtout, cela semble indiquer que les juridictions collégiales sont des sortes de garderies pour juges incompétents ou des centre de rééducations par le travail. Dans une juridiction collégiale, le travail est réparti. Tel juge traite tel dossier seul, il suggère une décision qui est discutée collégialement puis rédige seul le jugement. Son autonomie reste donc grande. Enfin, cette mesure jette l'opprobre sur les assesseurs, qui seront regardés par des avocats goguenards d'un air de dire "tu es donc trop mauvais pour être juge unique ?". Pour ma part, je préfère avoir un mauvais juge de l'exécution qu'un mauvais assesseur aux assises, juridiction collégiale s'il en est.

Si le but du jeu est de mettre un magistrat en liberté surveillée, je suggérerais plutôt une interdiction d'exercer des fonctions au siège. L'organisation hiérarchisée du parquet permet d'encadrer plus efficacement un élément posant problème, qui peut être substitué sans aucune difficulté en cas de besoin (on les appelle d'ailleurs des substituts pour cela) et ne peut se réfugier derrière son indépendance pour cacher son incompétence. C'est une suggestion, en rien une attaque contre le parquet, et suis intéressé par les objections que des magistrats pourraient m'apporter.

  • La suspension provisoire des cas pathologiques.

Là encore, rien à voir avec l'affaire d'Outreau, puisque tous les magistrats qui sont intervenus dansce dossier étaient sains d'esprit. Mais la magistrature a connu quelques cas de juges, en mi-temps thérapeutique pour la plupart, ce que le Canard Enchaîné définit joliment par : juge le matin, fou l'après midi. L'affaire d'Angoulême, dite de la main courante, reste dans toutes les mémoires. Au passage, cela a permis à Pascal Clément, invité un matin sur Canal +, de citer nommément un magistrat qui avait cité à comparaître tous les parlementaires, dont un certain Pascal Clément, il y a vingt ans de cela, devant le tribunal correctionnel de Pontoise. L'idée de citer un parlementaire en justice révélant à l'évidence une pathologie, le magistrat en question avait été révoqué. Ce qui n'empêche pas Pascal Clément de lâcher son nom vingt ans après. La mule du pape a gardé son coup de pied sept ans, l'âne du président fait trois fois mieux.

La mesure prévue permet au Garde des Sceaux, après avis conforme du CSM, de suspendre un magistrat six mois pour raisons médicales, le temps que le comité médical statue sur sa capacité à exercer ces fonctions, le magistrat restant rémunéré pendant cette période.

Rien à redire là dessus. Magistrat est une fonction difficile et exigeante, une dépression nerveuse peut être invalidante vu le poids des responsabilités, et les incidents qui ont eu lieu, aussi cocasses soient-ils, font un tort considérable à l'institution. La justice n'est pas une maison de repos, elle est même plutôt le contraire.

  • L'enregistrement des Gardes à vue et des interrogatoires.

Uniquement en matière criminelle, soit 2% des affaires, auxquelles il faut ôter celles de terrorisme et de bande organisée, car rien n'est plus timide qu'un terroriste ou un mafieux : ils sont donc exclus de la mesure. Mesure gadget tout droit issue de l'affaire d'Outreau, dont j'ai déjà parlé par le passé. Je doute de son efficacité, mais ne la pense pas nuisible. Il faudra juste désormais que je m'assure que je suis bien coiffé et que je présente mon meilleur profil à la caméra.

  • La création de pôles d'instruction et la co-saisine.

Les affaires les plus complexes et les plus graves seront envoyés à des pôles d'instruction situés dans les gros tribunaux, pour éviter que des tribunaux à un ou deux juges d'instruction ne se trouvent chargées d'affaires médiatiques dépassant leurs moyens. Les parties pourront demander à la chambre de l'instruction que deux juges traitent le dossier ensemble (c'est la co-saisine), un juge d'instruction pouvant solliciter cette co-saisine s'il pense que le dossier le nécessite.

La co-saisine existe déjà depuis 1993 : la loi facilite d'y avoir recours. L'affaire Clearstream, et l'affaire des frégates de Taiwan, par exemple, sont suivies par deux juges d'instruction co-saisis.

Là encore, pourquoi pas, si les moyens suivent. La solitude du juge d'instruction a souvent été invoquée lors de l'affaire d'Outreau. Cela sera plus problématique en province, où les avocats des petits barreaux seront du coup éloignés des pôles en question (j'ai l'intuition que Paris disposera d'un tel pôle) avec à terme le risque de voir les grosses affaires leur échapper, les juges d'instruction locaux restant saisis des plaintes avec constitution de partie civile pour des vols de poule et des petits trafics de stupéfiant. Les avis des juges d'instruction (ou ex juges d'instruction) qui me lisent m'intéressent.

  • Le droit de demander des confrontations individuelles.

L'expression est maladroite. Une confrontation ne peut être individuelle, sauf dans le cas d'un schizophrène. En fait, il s'agit du droit de s'opposer aux confrontations collectives avec des accusateurs multiples.

Là encore, c'est une résultante directe de l'affaire d'Outreau, tant les acquittés ont parlé avec angoisse de ces confrontations. Mais je n'imagine pas un instant une chambre de l'instruction faire droit au refus d'un mis en examen d'être mis face à tous ses accusateurs en même temps si le juge de l'instruction l'estime utile à la manifestation de la vérité.

  • Le droit de contester sa mise en examen tous les six mois.

Actuellement, la loi prévoit qu'une personne contre laquelle il existe des indices graves ou concordants de culpabilité doit être mise en examen, mais seulement si le recours à la procédure du témoin assisté ne paraît pas possible ; c'est à dire que le juge d'instruction pense qu'un contrôle judiciaire ou une détention provisoire est nécessaire, puisque ces mesures ne peuvent être ordonnées contre un témoin assisté. Le mis en examen peut contester sa condition en soulevant devant la chambre de l'instruction que les indices ne sont pas graves ou concordants (mais pour une chambre de l'instruction, tout indice est nécessairement grave ou concordant...). Hormis ce recours, le mis en examen reste mis en examen jusqu'à ce qu'il soit renvoyé devant le tribunal correctionnel (auquel cas il devient prévenu), mis en accusation devant la cour d'assises (auquel cas il devient accusé) ou bénéficie d'un non lieu (auquel cas il est invité chez Julien Courbet).

Le mis en examen pourra demander tous les six mois de passer au statut de témoin assisté.

L'intérêt de cette réforme m'échappe quelque peu. Le témoin assisté a les mêmes droit que le mis en examen, la différence étant qu'il est ainsi à l'abri du contrôle judiciaire et de la mise en examen. C'est d'ailleurs le seul intérêt de contester la mise en examen, qui quand elle est annulée, entraîne de plein droit le statut de témoin assisté. Mais sachant que le mis en examen peut de toutes façons à tout moment demander la mainlevée du contrôle judiciaire ou sa mise en liberté, on voit que cette réforme ne sera que symbolique, le terme de mis en examen étant devenu aussi infamant que celui qu'il remplace depuis treize ans : inculpé.

  • La réforme des expertises pénales.

Dans un souci d'économie, les expertises seront désormais confiées aux femmes de ménage du palais.

Bon, ça va, je plaisante.

Jusqu'à présent, les expertises sont des actes d'instructions, ordonnées par le juge de son propre chef, selon les termes de la mission qu'il décide. Les parties peuvent demander une expertise ou une contre-expertise, ou demander que l'expert entende telle ou telle personne, mais ne peuvent influer sur sa mission. L'expert travaille en principe seul, sauf s'il décide de convoquer les parties. Une fois l'expertise rendue, seules ses conclusions sont notifiées aux parties, avec un délai fixé par le juge pour demander une contre-expertise ou déposer des observations. L'avocat doit donc se rendre rapidement au greffe du juge pour consulter l'expertise. Concrètement, il ne pourra pas en obtenir copie avant l'expiration du délai de demande de contre expertise, et on voit régulièrement des avocats lire l'expertise à vois haute dans leur dictaphone pour que leur secrétaire la retranscrive afin qu'elle puisse être soumise au client ou à un expert-conseil sollicité par la partie au procès. Certains expertises, fondées sur des sciences exactes, ne posent guère de problèmes : l'expertise balistique indique quelle arme a tiré, à quelle hauteur, selon quel angle, et la force avec laquelle il fallait presser la queue de détente pour que le coup parte ; l'expertise ADN indique si c'est le mis en examen ou un éventuel jumeau homozygote qui a commis le viol. Par contre, les expertises psychologiques sont plus délicates, surtout quand on demande à un expert de déterminer la crédibilité du récit de la victime quand les faits sont trop anciens pour que des indices soient rassemblés. Ces expertises sont des machines à erreur judiciaire.

La loi prévoit que la mission sera notifiée aux parties qui pourront demander que la mission soit modifiée, ou qu'un co-expert choisi par elles soit désigné. Le juge reste libre de refuser(avec appel devant la chambre de l'instruction). Là, je trouve l'idée plutôt bonne, quitte à mettre en péril ma réputation de râleur patenté. Je crois que là, on a tiré une vraie leçon de l'affaire d'Outreau, mais je me demande si les juges d'instructions qui me lisent vont partager mon approbation ?

  • Le règlement contradictoire de l'instruction.

Aujourd'hui, quand le juge d'instruction estime avoir fini son travail, il l'indique aux parties (c'est ce qu'on appelle « un article 175 » pour être sûr que les mis en examen ne comprennent rien). Celles-ci ont un délai de 20 jours pour demander des actes, auquel elles peuvent renoncer. C'est ce qu'on fait quand notre client est le seul mis en examen et est incarcéré. Si on n'a pas d'acte à demander, on indique qu'on renonce au délai pour gagner trois semaines que notre client passerait en détention. Le dossier est alors transmis au parquet pour ce qu'on appelle le « règlement ». Le procureur étudie le dossier (et ce n'est pas un examen superficiel, il le décortique) et prend un réquisitoire définitif, demandant au juge d'instruction de renvoyer le mis en examen devant le tribunal correctionnel s'il a commis un délit, de le mettre en accusation devant la cour d'assises s'il a commis un crime, ou de dire n'y avoir lieu à suivre (ce qu'on appelle un non lieu) si le mis en examen est mon client. Le juge reste libre de sa décision (c'est un juge, après tout), mais dans la quasi totalité des cas, il se contente d'adopter les motifs du réquisitoire, ou en fait un copier/coller, violant ainsi les droits de propriété intellectuelle du parquet sous les yeux des avocats impuissants. Les avocats peuvent se tourner les pouces pendant cette phase, et c'est généralement ce qu'ils font. Quelques hurluberlus, dont votre serviteur, déposent des conclusions s'ils estiment avoir quelque chose d'intéressant à dire pour guider la réflexion du parquet puis du juge. Encore faut-il avoir quelque chose d'intéressant à dire, bien sûr.

La loi prévoit que les réquisitions du parquet seront communiquées aux parties qui pourront y répliquer. Enfin, l'ordonnance rendue par le juge (de renvoi, de mise en accusation ou de non lieu) devra préciser les éléments à charge et à décharge. Si la première partie est une bonne idée (je sais que les juges d'instructions sont demandeurs de ce contradictoire à la fin de l'instruction), la deuxième est une fausse bonne idée. C'est une mécompréhension très répandue chez certains confrères du sens de l'article 81 (alinéa 1) du code de procédure pénale (je graisse) :

Le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge.

Instruire à charge et à décharge ne veut pas dire que le juge doit rechercher à tous prix des indices de l'innocence de quelqu'un dont tout indique la culpabilité, à commencer par ses aveux circonstanciés. La première place du hit-parade des clichés des avocats est occupée depuis des décennies par « C'est une instruction uniquement à charge ! ». Ca ne mange pas de pain, ça passe à tous les coups, et c'est suffisamment bref pour passer à la télé si le ton est suffisamment indigné. Instruire à charge et à décharge, cela signifie que le juge n'est pas guidé par la recherche des seules preuves de la culpabilité : il recherche la vérité, et peut ordonner des actes visant uniquement à établir l'innocence (vérifier un alibi à la demande de la défense, par exemple). Il est des instructions qui ne posent aucun problème quant à la culpabilité : l'assassin a été vu par dix personnes, qui font partie de l'Association française des physionomistes, il a été interpellé avec l'arme encore fumante à la main, a été filmé par les caméras de surveillance, a laissé ses empreintes partout, a craché sur la victime en laissant ainsi son ADN, et depuis le début de l'instruction, ne cesse de répéter « Je suis content de lui avoir fait la peau à ce salaud, ça fait un an que je préparais mon coup » malgré les coups de coude répétés de son avocat. Question : quels éléments à décharge le juge d'instruction devra-t-il mentionner dans son ordonnance de mise en accusation ?

Le but de l'ordonnance de règlement est de justifier la décision du juge de renvoyer ou non. Pas de déclarer la culpabilité. Ainsi, une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel n'est pas susceptible d'appel devant la chambre de l'instruction si l'avocat estime que son client aurait dû bénéficier d'un non lieu. Cette contestation sera tranchée par le tribunal correctionnel, qui prononcera le cas échéant une relaxe. Le juge d'instruction estime qu'il existe charge suffisante contre X d'avoir commis tel délit, le tribunal peut décider que si la charge était suffisante, les preuves, elles, ne l'étaient pas. Le juge d'instruction n'aura pas été fautif (juste un peu frileux).

Et puis chacun son métier. Et celui de souligner les éléments à décharge, c'est celui de l'avocat. Laissons faire les professionnels.

  • La limitation de la règle « le pénal tient le civil en l'état ».

Afin d'éviter des décisions divergentes, la loi prévoit que quand une juridiction pénale est saisie de faits, une juridiction civile qui aurait à connaître des mêmes faits doit attendre que la juridiction pénale ait statué, et est alors tenue par sa décision. Je reprends l'exemple invoqué par le projet de loi : Platon est licencié par la société Socrate qui l'accuse d'avoir commis un vol. Platon porte l'affaire aux prud'hommes. La société Socrate porte plainte avec constitution de partie civile contre Platon pour des faits de vol. Le Conseil de Prud'hommes devra surseoir à statuer jusqu'à ce que l'affaire de vol soit jugée. Si Platon est condamné, il perdra aux prud'hommes, les faits étant acquis. S'il est relaxé, la société Socrate sera condamnée pour licenciement abusif. Problème : le conseil de prud'homme aura sursis à statuer pendant deux ans au moins.

La loi propose de limiter cet effet à l'action civile portée devant une juridiction civile[2] et de permettre au conseil de prud'homme de statuer. Cela découragera les plaintes abusives, dit le législateur plein de sagesse. J'entends bien. Mais si Platon gagne aux prud'hommes avant d'être condamné au pénal ? La victime du vol devra-t-elle verser des dommages-intérêts à son voleur ? Et bien oui, sauf si la société Socrate a eu la présence d'esprit de demander à ce qu'il soit sursis à statuer et que le Conseil ait refusé. Alors, la société Socrate aura le bonheur de se voir ouvrir le droit à demander la révision de son procès (article 11 du projet).

Là, honnêtement, on choisit un remède pire que le mal : contraindre la victime à une procédure en révision en matière civile, lourde et très coûteuse, pour accélérer les procédures. Typique de la politique de la rustine des divers gouvernements.

  • La limitation des plaintes avec constitution de partie civile.

Toute victime prétendue de faits constituant une infraction peut elle même saisir le juge d'instruction qui sera obligé d'instruire. Ces plaintes sont pour une certaines des plaies pour les juges d'instruction, mal ficelées, mal préparées, en ne reposant sur aucun fait réel, voire ne constituant pas une infraction, qui relèvent plus de la psychiatrie ou de la basse vengeance, et se terminent pour nombre d'entre elles par un non lieu.

La loi prévoit que ces plaintes ne pourront être reçue qu'après un refus d'agir du parquet ou une inaction de sa part pendant trois mois.

Attendu que le parquet a la curieuse tendance à ne pas donner suite aux plainte fantaisistes, je redoute que la condition des trois mois d'inaction ne soit aisée à remplir. Le filtre me paraît d'une efficacité douteuse.

Meilleure me semble de prime abord l'idée de permettre au parquet, lors du dépôt de la plainte, d'orienter celle-ci vers une enquête préliminaire menée sous sa direction avant que le juge n'ouvre une instruction, pendant un mois au maximum, enquête à l'issue de laquelle le procureur pourra requérir un non lieu, ou renvoyer directement devant le tribunal correctionnel.

Cela demande une réactivité du parquet, donc qu'il ait les moyens de faire procéder à ces enquêtes. Voilà où le bât blesse, évidemment.

  • Réforme de la détention provisoire

Pour la première fois depuis le 15 juin 2000, une loi vise clairement à diminuer le recours à cette mesure. Voilà une bonne nouvelle, mais le gouvernement donne dans la schizophrénie, après avoir fait voter deux lois Perben, trois lois Sarkozy et une loi Clément visant clairement à envoyer le taux de suroccupation des prisons à un niveau stratosphérique.

Rappelons que les critères de la détention provisoire sont à l'article 144 du Code de procédure pénale :

La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle constitue l'unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes et leur famille, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ; de protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement ; de mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé.

C'est ce dernier critère, le trouble à l'ordre public, qui est concerné. Il ne pourra plus être utilisé que pour le placement en détention en matière délictuelle, soit pour une détention de quatre mois, durée du mandat de dépôt. Le mandat de dépôt ne pourra être renouvelé que sur la base des autres critères : pression sur les témoins ou les victimes, risque de réitération, etc. La loi précisera que le trouble à l'ordre public ne peut résulter de la seule médiatisation de l'affaire.

Les esprits chagrins, qui pour qu'on les reconnaissent portent la même robe que moi diront que la gravité de l'infraction ET sa médiatisation suffiront aisément à constituer ce critère. La commission parlementaire sur l'affaire d'Outreau préconisait la suppression pure et simple de ce critère. Le gouvernement est nettement plus frileux. Impact prévisible sur la détention provisoire : quasi nul.

  • La publicité des audiences du juge des libertés et de la détention.

La détention provisoire est décidée par le juge des libertés et de la détention (JLD) au cours d'un débat contradictoire dans son cabinet. Initialement, ce débat était secret. La loi prévoit aujourd'hui que les avocats peuvent demander la publicité qui ne peut être refusée que sur décision motivée du JLD. Il en ira de même devant la chambre de l'instruction.

La publicité deviendra donc la règle, sauf opposition du parquet ou du mis en examen lui même pour les nécessités de l'instruction, la sérénité des débats, la dignité de la personne ou l'intérêt d'un tiers.

Sur le principe, très bien. La publicité contribue à la qualité du débat. Mais comment rendre cette publicité compatible avec le secret de l'instruction ? Pour les affaires médiatiques, le public sera essentiellement constitué de journalistes. Les faits seront nécessairement débattus, les éléments de preuve seront exposés, les déclarations contradictoires des uns et des autres examinées. Du pain blanc pour les journalistes, certes, mais de quoi saboter le travail du juge d'instruction, qui a besoin du secret pour être efficace (c'est à mon sens la seule justification au secret de l'instruction, la présomption d'innocence n'étant plus qu'un mythe).

  • L'examen public de l'instruction par la chambre de l'instruction.

Chaque dossier ou une détention provisoire a été prononcée et est en cours pourra être examiné par la chambre de l'instruction tous les six mois, à l'initiative du président de celle-ci, du parquet ou des parties (mis en examen, témoins assistés ou parties civiles), au cours d'une audience publique. C'est une véritable révision du dossier puisque la chambre, saisie par son président, pourra ordonner des remises en liberté, annuler des actes, évoquer le dossier, c'est à dire décider de mener l'instruction elle même, prescrire au juge d'effectuer certains actes, désigner un autre juge d'instruction en plus du premier voire dessaisir le juge. Cette audience sera en principe publique.

Là, c'est une révolution dans l'instruction. Que la chambre puisse faire tout cela de son propre chef, cela donne au président de la chambre de l'instruction un pouvoir, et donc une certaine responsabilité de contrôler ce qui se passe dans son ressort. Le spectre d'Outreau a indiscutablement inspiré cette mesure.

Et bien l'idée me plaît, même si sa mise ne pratique va être difficile, vu la masse de dossiers à suivre. Cela peut redonner un intérêt aux fonctions de conseiller à la chambre de l'instruction, qui souvent est une corvée pour les magistrats qui y sont nommés, qui sont saisis essentiellement de demandes de remises en liberté à l'occasion desquelles la défense essaye de glisser sur le fond du dossier, ou d'appel de refus d'actes, bref de débats au domaine limité par la demande qui la saisit. Là, la cour peut tout faire dans le dossier, et sans avoir à être saisie. Cela lui donne des pouvoirs de chapeauter tous les juges d'instruction de son ressort. Il est dommage que cette possibilité soit limitée aux seules affaires où une détention est en cours. Il suffirait à un juge de remettre en liberté sous contrôle judiciaire les mis en examen pour s'affranchir de cette curatelle.

  • L'enregistrement obligatoire des auditions d'un mineur victime et son assistance obligatoire par un avocat.

Ces mesures existent mais ne sont que facultatives : le mineur peut s'opposer à l'enregistrement, ainsi que le juge. Ce ne sera plus le cas.

Rien à dire là dessus. Cette mesure n'était pas réclamée, mais elle ne gênera pas, à condition que les cabinets soient rapidement équipées en caméra vidéo.

Ouf ! Nous en avons terminé !

Bon, le côté décousu de cette réforme étant analogue à celui des précédentes, vous aurez compris que cela fait bien longtemps qu'en matière pénale, aucune recherche de cohérence n'est plus faite depuis longtemps. Le législateur se comporte comme un mécanicien face à une usine à gaz qui en déviant un tuyau par ci et en bouchant un robinet par là croit faire un travail d'ingénieur.

Je maintiens mon pessimisme sur l'adoption effective de cette loi. On verra si je me suis trompé.

Je vous laisse digérer et vais faire le tour des cabinets d'instruction du palais pour demander des bonbons.

Joyeux Halloween, et bonne fête des morts.

Notes

[1] Mes taupes se portent très bien, merci pour elles.

[2] Il s'agit de la victime qui assigne l'auteur du délit devant le tribunal d'instance ou de grande instance plutôt que de mettre en route l'action publique ou de s'y joindre par constitution de partie civile. L'hypothèse est rare, sauf en matière de presse.

jeudi 19 octobre 2006

Il suffisait d'y penser...

Je le savais. Au fond de moi, une étincelle d'optimisme refusait de se laisser éteindre par les douches froides à répétition que m'infligeait le gouvernement actuel et sa politique de réformes impulsives et dépourvues de réflexion d'ensemble, préférant les effets d'annonce et les réponses immédiates à des faits divers.

Un avocat place Beauveau et un autre place Vendôme, cela ne pouvait pas ne pas finir par tourner à l'avantage de ma profession.

Et voilà, c'est fait.

Pascal Clément et Nicolas Sarkozy ont annoncé, jeudi 19 octobre, leur décision de faire voter un texte prévoyant le renvoi devant les assises des agresseurs en "bande organisée" de policiers, gendarmes et pompiers. La création d'une "infraction spécifique de violences volontaires sur agent de la force publique commise avec arme et en bande organisée", qui rendra passibles de quinze ans de réclusion, contre dix aujourd'hui, ceux qui tendent des guet-apens contre les policiers, est en cours d'élaboration.

« De délit, nous passerons à la qualification de crime », a souligné le garde des sceaux, précisant que de telles mesures venaient sur proposition du premier ministre, Dominique de Villepin. « Tous ceux qui oseront des guet-apens aux forces de l'ordre sauront qu'ils pourront passer devant des cours d'assises, et nous espérons qu'ainsi il y ait une dissuasion par la gravité de la menace judiciaire », a-t-il encore expliqué.

Le ministre de l'intérieur a pour sa part annoncé qu'il ferait « voter un texte dans [son] projet de loi sur la prévention de la délinquance qui renverra devant les assises toute personne qui portera atteinte à l'intégrité physique des policiers, des gendarmes ou des sapeurs-pompiers », a déclaré Nicolas Sarkozy.

Il a estimé qu'il y avait plusieurs « avantages » à cette criminalisation, notamment parce qu'« aux assises, il y a des jurés et c'est donc le peuple français qui jugera ». « Il faut que ceux qui portent atteinte » aux personnes « qui portent des uniformes sachent que c'est grave, que c'est en vérité une offense à la République et que la République n'est pas décidée à l'accepter », a affirmé M. Sarkozy.[1]

Merci, les gars. Vous êtes géniaux. Grâce à vous, finies les comparutions immédiates des caillasseurs. Instruction obligatoire, certes avec détention provisoire à la clef, mais de toutes façons ils ne ressortaient pas libres de la 23e chambre. Et une détention provisoire, on peut en demander la levée, tandis que pour la libération d'un condamné, c'est une autre paire de manche. C'est possible dans certains cas, mais pas facile : les juges d'application des peines sont tatillons.

Mais surtout, grâce à vous, pour les - nombreux - agresseurs de policiers qui sont à l'aide juridictionnelle, là où je ne gagnais que 170 euros pour les défendre (420 euros dans les rares cas où il y avait une instruction, 590 au cas où il était mis en détention provisoire pendant cette instruction), je vais désormais gagner 1900 euros (instruction criminelle + un jour d'assises, je ne pense pas qu'un deuxième jour soit nécessaire) ! Champagne !

Et oui, je préfère en rire qu'en pleurer. Parce que des fois, c'est à se demander où nos dirigeants bien-aimés vont pêcher leurs idées. Et cette fois, ce n'est pas n'importe qui : le premier ministre, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et impétrant président, et le Garde des Sceaux, ministre de la justice. Une bande organisée, en somme.

En quoi est-ce n'importe quoi ?

L'idée est donc d'aggraver la répression des violences sur policiers commises en bandes organisées. La précision est importante : ce ne sont pas toutes les violences contre la maréchaussée qui seraient concernées (hélas... Mes 1900 euros !).

La bande organisée est définie à l'article 132-71 du Code pénal :

Constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions.

C'est assez large, mais il faut prouver : (1) une entente préalable établie en vue de la préparation d'une infraction, et (2) des faits matériels établissant cette préparation.

La bande organisée, ça peut venir vite. Imaginons cette saynette dans un quartier sensible de l'ouest parisien :

― Charles-Philibert, êtes vous oisif ?
― Si fait, Hubert-Jacques.
― Que diriez vous d'en découdre avec la maréchaussée ?
― Que voilà une galante idée. En vérité, je dis : fi de l'autorité ! Faille dze pot ouère, comme dit mon cousin anglois, sans que je n'ai jamais bien compris ce qu'il entendait par là. En tout cas, à son ton, sa conviction ne fait aucun doute.
― Assez parlé, Charles-Philibert : des actes ! Comment nous y prendre ?
― Rien de plus aisé, Hubert-Jacques. Boutons le feu à la Jaguar de Papa (il est assuré et voulait prendre une Aston-Martin). La police viendra constater les faits comme c'est sa mission. A ce moment, nous leur chercherons querelle.
― Charles-Philibert, les mânes de Sun Zi vous inspirent, assurément. Je m'en vais chercher des allumettes.
― Fort bien. De mon côté, je vais collecter fourches, bâtons, pierres et pavés. Allons poindre le guet, Hubert-Jacques !
― Taïault, mon cousin, il leur en cuira !

Laissons là ces dangereux délinquants. Nous avons ici une entente en vue de commettre des violences et des actes préparatoires (se procurer des allumettes, fourches, bâtons, pierres et pavés). La bande organisée est constituée.

Autant dire que seules les violences spontanées relèveront encore du tribunal correctionnel.

Dès lors qu'un crime est soupçonné, il est obligatoire de saisir le juge d'instruction, quand bien même les faits sont établis. Imaginons que nos apprentis Mandrin soient promptement maîtrisés par la maréchaussée. Ils sont arrêtés des pierres à la main, tandis que les allumettes sont dans la poche de l'un d'entre eux. Ils passent immédiatement aux aveux et expliquent en détail comment ils ont procédés, les vérifications de la police confirmant ce récit en tout point. Et bien il faudra conduire nos chenapans chez un juge d'instruction qui les mettra en examen, sera bien en peine de trouver des questions à leur poser, ordonnera une expertise médico psychologique et une enquête de personnalité obligatoires en matière criminelle qui constitueront de facto le seul acte de l'instruction. Une fois ces enquêtes déposées, le juge transmettra le dossier au parquet qui prendra des réquisisitions de mise en accusation, que le juge suivra forcément, et tout ce monde se retrouvera devant les assises. A Paris, un an aura passé, au minimum. Il est peu probable que nos galopins soeint encore incarcérés, en supposant qu'ils le furent au début. Et on va passer une journée au minimum à faire venir les experts, les policiers présents, les pompiers témoins des faits, bloquer neuf jurés tirés au sort pour prononcer une peine qui pourrait aller jusqu'à quinze ans mais concrètement se comptera en mois et sera assortie du sursis. Car les cours d'assises ne sont pas particulièrement répressives, tant les débats permettent de mettre à jour la personnalité des accusés et les humanisent. Là dessus, nos ministres qui rêvent de sévérité seront bien déçus. Je redoute plus le prétendu laxisme de la 23e que l'espérée sévérité des assises.

Et là où on croit rêver, c'est sur la justification de cette réforme sortie du chapeau.

Le premier ministre déclare : « nous espérons qu'ainsi il y ait une dissuasion par la gravité de la menace judiciaire ». Ahurissant. Il a plus de deux siècles et demi de retard sur la science pénale. Cela fait longtemps que l'on sait que la gravité de la menace pénale ne joue aucun rôle dans la prévention du crime. Comme si on n'assassinait pas quand la peine de mort était en vigueur.

Ce qui est efficace, c'est la promptitude de la sanction et la certitude de la sanction. C'est exactement ce qui fait le succès des rardars automatiques : tous les automobilistes qui sont flashés sont sanctionnés, l'amende arrive dans les jours suivants, il n'y a pas d'échappatoire. Peu importe qu'elles soient relativement modestes : tout automobiliste a les moyens de payer 90 à 135 euros. La certitude de devoir les payer suffit à faire lever le pied. Aggraver la répression ne sert à rien : c'est la rendre plus systématique qui marche. Tant que la plupart des agressions resteront impunies, les policiers préférant pour leur sécurité déguerpir, aggraver ne servira à rien, car tout agresseur aura l'espoir crédible d'échapper à la sanction.

Le ministre de l'intérieur y voit quant à lui l'avantage de faire juger ces affaires par des jurés, donc de permettre au peuple de juger. Sous entendu il pourra ainsi se faire entendre et imposer à ces magistrats laxistes de prononcer des peines très lourdes. Bon, nos deux ministres avocats n'ont visiblement jamais plaidé aux assises et n'y ont sans doute jamais mis les pieds. J'ai déjà indiqué que les jurés et la forme des débats sont plus souvent un élément de modération que de sévérité. Cette idée s'inscrit dans la continuité de sa proposition de généraliser le jury en matière pénale, proposition que même Philippe Bilger ne parvient pas à trouver intéressante. Je me demande au passage si nos ministres seraient vraiment d'accord pour être jugés par un jury populaire quand on leur demande des comptes pour des affaires de financement occultes des partis politiques... J'en connais qui ne seraient probablement jamais revenus du Canada. Mais bon, les délinquants, c'est les autres. Enfin, là encore, nous sommes dans de la gesticulation pré-électorale, la première étude du coût de cette réforme de jury correctionnel signera son arrêt de mort immédiat.

Cette réforme de criminalisation des agressions de policiers en bande organisée, serait-elle votée, ne serait pas appliquée, hormis peut être ponctuellement, à l'occasion d'une agression particulièrement spectaculaire et dangereuse.

Les cours d'assises n'ont pas une capacité de jugement infinie, et elles ont mieux à faire avec les meurtriers, les braqueurs et les violeurs qu'à juger des caillasseurs de policiers. Dès lors, les affaires seront correctionnalisées, c'est à dire que le parquet feindra de ne pas voir de bande organisée mais une simple réunion pour poursuivre en correctionnelle. Or les violences en réunion sont moins sévèrement sanctionnées que des violences en bande organisée (Cinq ans contre dix ans actuellement pour la bande organisée).

Et ainsi, paradoxe ultime, tant le droit pénal aime à se rire des apprentis sorciers de la réforme : voter cette loi répressive diminuera de fait la répression de ces violences.

Et je ne suis pas le seul à le dire, Paxatagore est également critique.

Alors, quand les organisations de magistrats vont protester contre cette réforme, ne laissez pas dire qu'elle ne font que défendre leur pré carré et sont trop politisées pour être honnêtes. Cette proposition est une vraie ânerie, certifiée et AOC. Espérons un retour à la raison.

Notes

[1] Source : Le Monde du 19 octobre 2006, auteur : Le Monde.fr avec Reuters et AFP.

mercredi 4 octobre 2006

Un peu d'humour ne fait jamais de mal

Entendu hier à l'Assemblée nationale : interrogé par le député socialiste UMP Michel Herbillon, qui lui demandait des éclaircissements sur l'action de l'Etat à Cachan, le ministre de l'intérieur lui a fait cette réponse[1] :

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire – J’ai fait évacuer le squat de Cachan parce qu’il y avait une décision de justice et que ne pas exécuter une décision de justice, c’est ne pas respecter l’indépendance de la justice, ce que je ne puis accepter…

Ha, cher confrère, vous êtes tellement meilleur dans le registre ironique que dans le registre énervé...

(Je ne commenterai pas que le fait de ne pas exécuter une décision de justice n'est pas une atteinte à son indépendance mais à son autorité, ce que le ministère de l'intérieur fait tous les jours en matière de baux locatifs depuis des années, tant certaines expulsions lui tiennent plus à coeur que d'autres).

(Via Autheuil)

Notes

[1] C'est la cinquième question, intitulée « évacuation du squat de Cachan ».

mercredi 27 septembre 2006

Maitre Eolas (encore) sur Europe 1

J'ai eu le plaisir d'être interviewé par Catherine Nivez pour le journal des blogs sur Europe 1. Le sujet était les réactions sur internet à la sortie de Nicolas Sarkozy, et mon billet "Le Pompier Pyromane" a donc retenu son attention.

La séquence est disponible en podcast sur le site d'Europe 1, la rubrique était diffusée à 6h47.

Comme le veulent les règles de l'exercice, mon entretien avec cette (charmante) journaliste a duré cinq minutes, dont elle a dû faire un montage de 30 secondes pour sa rubrique de deux minutes. Dès lors, des erreurs peuvent se glisser, et tel fût le cas ici. J'ai dû mal m'exprimer, car Catherine Nivez a cru comprendre qu'il était impossible d'incarcérer des mineurs de 16 ans, c'est à dire âgés de 15 ans ou moins. C'est inexact : ils peuvent l'être à partir de leur treizième anniversaire, mais uniquement pour des faits qualifiés de crime, ou s'ils étaient sous contrôle judiciaire et n'en ont pas respecté les obligations. Vous le voyez, c'est exceptionnel, mais c'est possible ; ce qui ne l'était pas, c'est que des mineurs de 16 ans aient été incarcérés pour les faits de novembre dernier, dont aucun n'a, Dieu merci, atteint une qualification criminelle. En tout état de cause, l'incarcération d'un mineur suite à son déferrement suppose une mise en examen et un placement sous mandat de dépôt par le juge des libertés et de la détention.

Et c'est précisément un des points que le projet de loi sur la prévention de la délinquance du ministre de l'intérieur propose de réformer : les mineurs âgés de 16 à 18 ans moins un jour pourraient désormais être jugés dans la foulée du déferrement, comme pour une comparution immédiate, mais on parlera ici de « présentation immédiate devant le juge des enfants aux fins de jugement » (Ha, la finesse et l'élégance du jargon bureaucratique).

Toutes mes excuses à Catherine Nivez pour mon imprécision.

jeudi 21 septembre 2006

Le pompier pyromane

Ainsi, notre bouillonnant ministre de l'intérieur, après s'en être pris aux étrangers et aux associations qui les défendent, tourne désormais un oeil mauvais vers notre jeunesse délinquante, et l'autre encore plus mauvais vers les magistrats du tribunal de grande instance de Bobigny. Ce strabisme ne l'empêche pas d'y voir clair : les magistrats dudit tribunal sont "démissionnaires", et au premier chef, le président du tribunal pour enfants, en charge entre autres de l'enfance délinquante (il est aussi en charge de l'enfance victime, qui est parfois la même, soit dit en passant).

Je ne m'attarderai pas sur l'aspect très opportuniste et provoqué de cette controverse. Jules de Diner's room pointe du doigt certains éléments troublant et son réquisitoire est puissant.

Je souhaite simplement souligner en quoi les affirmations du préfet de Bobigny, que je salue courtoisement puisque c'est mon adversaire le plus fréquent ces temps-ci après le procureur de la république, révèlent son ignorance de la loi, et en quoi les propos du ministre, au-delà de la simple tartufferie politique qui ne mériterait pas mon ire, relèvent de l'inconscience pure et simple.

Dans sa note, le préfet émet plusieurs doléances. Outre l'insuffisance des effectifs de police et leur trop grande mobilité (mais qui est le ministère en charge de la répartition des effectifs de police, déjà ?) la justice est pointée du doigt.

Ainsi, lors des événements de l'automne 2005, se plaint le préfet, 85 mineurs avaient été déférés et un seul écroué. Et c'est là une tradition locale : sur l'année 2005, sur 1651 mineurs déférés, seuls 132 ont connu l'hospitalité de la République, ce qui explique sans nul doute, selon le haut fonctionnaire, l'augmentation de 70% des vols avec violence dans le département (toute remise en cause de la police étant naturellement hors de question). Scandale. Laxisme. Blues des hommes en bleu.

Un homme est particulièrement visé : le président du tribunal pour enfant de Bobigny, qui figurez vous est blogueur, accusé de dogmatisme. Rendez-vous compte. Un juge des enfants qui aime les enfants, alors que tout ce qu'on lui demande c'est de les mettre en prison.

Et c'est là que le bât blesse, Monsieur le préfet. Le droit pénal des mineurs, c'est pas votre truc, je sais. Vous c'est plutôt le droit administratif et le droit des étrangers. Vous sévissez plus Boulevard de l'Hautil à Cergy qu'avenue Paul Vaillant Couturier à Bobigny, même si c'est pas loin de votre bureau. Mais quand même, avant d'écrire au Chef, renseignez vous un peu. On sait jamais, une fuite dans la presse est si vite arrivée.

Alors, en novembre 2005, un seul mineur a été écroué, et 132 sur l'année. Mais dans quels cas peut-on écrouer un mineur déféré ? Vous êtes vous posé la question, avant de mettre ça sur le compte du dogmatisme du président du TPE ?

C'est pourtant pas bien compliqué, c'est dans une ordonnance du 2 février 1945, signée par un dangereux gauchiste dogmatique.

Pour un mineur de 13 ans, ce n'est pas possible.
Pour un mineur de 16 ans, ce n'est que s'il a commis un crime.
S'il a entre 16 et 18 ans, c'est possible, mais seulement au titre de la détention provisoire après mise en examen. Mais on ne recourt pas à l'instruction pour des feux de poubelle ou de voiture.

Bref, même si le président du TPE de Bobigny était le dernier des fachos, il lui aurait été bien impossible de mettre en prison les mineurs incendiaires qu'on lui amenait. Le mieux que prévoit la loi, c'est une « comparution à délai rapproché », de quelques semaines puisque des enquêtes préalables doivent être effectuées sur la situation personnelle du mineur, mais il n'y a pas encore de comparution immédiate pour mineurs.

Et là, chers lecteurs, je me tourne vers vous : vous allez rire.

Car qui est justement en train de défendre au Sénat un projet de loi qu'il a concocté et signé, et qui prévoit dans son article 38 la suppression de la comparution à délai rapproché pour y substituer (c'est l'article 38) une nouvelle procédure de « présentation immédiate devant le juge des enfants aux fins de jugement » ? Rhôôô, mais c'est le préfet en chef ! N'est ce pas cocasse comme coïncidence ? Ce serait encore plus drôle si ce texte venait pour être adopté définitivement par le Sénat, mmh... genre aujourd'hui ?

Bref, de la bonne grosse ficelle, bien démagogique pour saucissonner l'électeur en le caressant dans le sens du poil, en disant que tout ça, c'est la faute des juges qui sont des mous, alors qu'il faudrait un homme à poigne à la tête du pays.

Parce que parler de démission de la part des magistrats de Bobigny, c'est de la vraie bêtise. Ils sont confrontés au plus fort taux de délinquance de France, et au plus grand empilement de misère de tout l'hexagone. Toutes les nationalités du monde sont représentées dans leur ressort. Et ils y font face, avec peu de moyen et un palais inadapté, qui ressemble à une usine à gaz. Démissionnaires ? Non : des missionnaires.

Mais ce n'est pas pour ça que c'est d'une profonde bêtise. Que le ministre de l'intérieur saute encore à la gorge des magistrats, si ça l'amuse.

Mais figurez-vous que dans le neuf-trois, le ministre de l'intérieur est très écouté. Chez les sauvageons de novembre, chez les plus violents des délinquants, ceux qui s'estiment en guerre avec la réublique, Sarko, c'est le chef de la bande. Il vient les défier chez eux, les keufs, c'est ses hommes. Bref, c'est l'ennemi. Qu'il parle de racaille ou de kärcher, et la tension monte.

Et là, qu'est ce qu'il vient de lâcher, à la télé ? Que les juges de bobigny ne mettent pas en prison. Qu'ils sont démissionnaires, qu'ils s'en foutent quoi, tu ressors libre à chaque fois.

Le préfet de Seine Saint Denis a totalement raison sur un point dans sa note : le premier facteur de délinquance chez les jeunes, surtout les mineurs, c'est le sentiment d'impunité. Pas l'impunité réelle : il n'y a qu'à voir comme ils sont tout surpris quand ils sont amenés menottés dans le service du juge des enfants. Pas fiers, ça non. Le sentiment d'impunité, la conviction, même erronée, que s'ils sortent pour « foutre la merde », il ne seront pas punis.

Et voilà ce que le ministre vient de leur offrir sur un plateau : la conviction que l'impunité, dans leur département, est un fait avéré, de la bouche même du chef ennemi.

Nicolas Sarkozy, sur ce coup, se conduit en pompier pyromane. C'est de l'inconscience ; si c'est calculé, c'est criminel ; et pour un candidat aux plus hautes fonction, pire qu'un crime, c'est une faute.

mardi 25 juillet 2006

La loi sur l'immigration et l'intégration est publiée au J.O.

La loi dite "Sarkozy", mal nommée car il y a déjà bien des lois Sarkozy qui ont eu les honneurs du JO [1] est donc devenue la loi n°2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration. La plupart de ses dispositions entrent en vigueur demain, le Conseil constitutionnel ayant rejeté le recours déposé par l'opposition, les neuf sages n'ayant posé qu'une réserve d'interprétation sur l'article 45 de la loi portant sur le regroupement familial. En effet, la loi nouvelle prévoit que le regroupement familial peut être refusé si le demandeur ne se conforme pas aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », notion un peu vague, ces principes étant reconnus par le préambule de la constitution de 1946 (encore en vigueur), mais aucune liste précise n'en est faite ; le conseil constitutionnel, pour respecter le principe de clarté et de prévisibilité de la loi précise donc que « le législateur a entendu se référer aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil » ; peu importe donc que le demandeur au regroupement familial exprime de profondes réticences sur des principes fondamentaux reconnus comme le droit d'association, par exemple, cela ne le privera pas de la compagnie de ses enfants.

Un mot sur ce recours, toutefois. Une des dispositions que je trouve critiquables de cette loi est la suppression de la carte de séjour de plein droit à l'étranger qui justifie par tout moyen de dix années de séjour en France (ex article L.313-11, 3° du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile - CESEDA). L'argument du législateur est qu'il n'y a pas lieu de récompenser une situation illicite sous prétexte qu'elle a duré pendant dix années. L'argument frappé au coin du "bon sens" typique. Bon, c'est donc par un oubli manifeste que le législateur a oublié d'abroger la prescription en matière criminelle de dix années elle aussi. Pourquoi diable récompenser l'assassin qui ne s'est pas dénoncé pendant dix ans ? Rendons les crimes imprescriptibles, au nom du bon sens. Après tout, les américains ne connaissent pas cette loi qui leur permet ainsi de faire de très bonnes séries policières qui font les beaux dimanches soirs de France 2. De même, abrogeons la prescription fiscale qui interdit au fisc de revenir plus de dix années en arrière en cas d'absence de déclaration. Pourquoi récompenser le fraudeur qui n'a pas payé sa redevance télé pendant dix ans ? Au nom du principe d'égalité et surtout du bon sens, j'exige l'abrogation de ces dispositions. Bien sûr, toute atteinte au droit de frauder le fisc sera sanctionné électoralement, mais je sais que nos gouvernants ne transigent pas avec le bon sens et ne sauraient faire passer leurs petits intérêts personnels avant les principes fondamentaux.

Bref, ce recours. Enfin, si on peut appeler ça un recours. Quel arguments nos bouillants députés de l'opposition, si critiques envers le futur président de la république ministre de l'intérieur ont-ils trouvé à opposer à cette abrogation lourde de conséquences pour les étrangers ?

La réponse, affligeante, est au quatrième considérant :

les requérants soutiennent que cette abrogation porte atteinte au principe de la dignité de la personne humaine ; (...)

Non, sérieux, c'est tout ce que vous avez trouvé ?

Le Conseil a beau jeu de leur répondre de manière cinglante :

la disposition critiquée se borne à modifier les catégories d'étrangers bénéficiant de plein droit d'un titre de séjour et ne saurait, de ce seul fait, porter atteinte au principe du respect de la dignité de la personne humaine consacré par le Préambule de la Constitution de 1946 ;

ajoutant, coup de pied de l'âne qui réjouira le ministre de l'intérieur si critiqué pour cette mesure :

par ailleurs (...) aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national ;

Avec une opposition pareille, la droite n'a pas grand'chose à craindre.

Faire un recours c'est bien, mais au moins il faut se creuser la tête pour opposer une argumentation qui évite le ridicule. Je ne pense pas que l'abrogation du 3° de l'article L.313-11 soit anticonstitutionnel : cette disposition n'est apparue en droit français qu'en 1997 (ou 1998 ?) quand le ministre de l'intérieur d'alors, Jean-Pierre Chevènement, a réalisé qu'il fallait une porte de sortie légale aux situations complètement bloquées d'étrangers présents en France depuis si longtemps que toute mesure coercitive à leur encontre risquait d'être illégale. Le législateur a la mémoire courte, et les ni-ni vont donc réapparaître, ces étrangers ni régularisables ni expulsables.

Mais nos députés ne pouvaient ils pas tout simplement inviter les sages à s'interroger sur l'éventuelle violation du droit à la sûreté reconnue par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (article 2) ? En effet, les étrangers passent d'une situation ou, à terme, ils avaient une garantie légale de sortir de leur situation irrégulière, sans que l'administration n'ait son mot à dire (sauf risque de trouble à l'ordre public, comprendre si l'étranger a été condamné pendant ce laps de temps) à une situation où leur statut dépendra entièrement de l'appréciation discrétionnaire des préfets. Leur situation, objectivement se dégrade. Peu importe dès lors qu'aucun principe constitutionnel n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national, le problème étant qu'une garantie légale quant à leur personne et leur liberté leur est retirée sans qu'un principe fondamental ne le justifie, il s'agit d'un pur fait du prince qui reprend ce qu'il a donné il y a huit ans.

Voilà qui aurait contraint les Sages à un peu de réflexion, qui aurait permis à la gauche de se poser en protecteur des faibles, et qui aurait souligné l'effet pervers de cette disposition frappée du coin du bon sens. Peut être le Conseil aurait-il quand même validé cette disposition. Mais ce n'est pas une raison pour se contenter d'un combat purement symbolique.

Bon, je n'ai plus qu'à annoter mon Code, et à écrire des lettres qui vont plonger des hommes et des femmes dans un profond désespoir. Je risque de ne pas être de bonne humeur ces jours ci.

Je ferai un commentaire un peu plus détaillé de cette loi dès que j'en aurai le temps.

Notes

[1] Citons entre autres la loi Loi n°2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, ayant déjà légiféré dans le même domaine, la loi Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, la loi n° 2004-804 du 9 août 2004 relative au soutien à la consommation et à l'investissement, entre autres.

mardi 4 juillet 2006

Il n'y a pas que DADVSI dans la vie

Avant de partir en vacances, les parlementaires ont également adopté définitivement le projet de loi Sarkozy II sur l'immigration et l'intégration (la dernière grande réforme de ce droit remontant au 26 novembre 2003 et était du fait du même ministre).

Il va être soumis au Conseil constitutionnel, mais je ne me fais guère d'illusions.

Après la vague d'espoir suscitée par la circulaire du 13 juin, la rentrée s'annonce déprimante pour les étrangers. Je ferai un petit topo dessus aussi. Tout n'est pas à jeter, loin de là, mais il y a des dispositions qui me désespèrent.

jeudi 29 juin 2006

Lapsus

Lu sur le site de l'UMP :

[Nicolas Sarkozy] a jugé « irresponsable » la solution qui consisterait à régulariser l’ensemble de ces familles. Cela reviendrait à « créer alors une nouvelle filière d'immigration légale que plus personne ne pourra contrôler », a-t-il affirmé.

Créer une filière d'immigration légale ? Quelle horreur. Une filière d'immigration se doit d'être illégale : il n'y a que comme ça qu'on peut la contrôler.

mardi 9 mai 2006

And the winner is...

Une petite parenthèse hors droit des étrangers pour annoncer la création d'une distinction que j'appellerai le prix Busiris[1], qui récompense une affirmation juridiquement aberrante, si possible contradictoire, teintée de mauvaise foi et mue par l'opportunité politique plus que par le respect du droit.

La premier récipiendaire est tout trouvé : il s'agit de François Fillon, conseiller politique de Nicolas Sarkozy, pour ses déclarations de ce matin sur France Inter sur l'affaire Clearstream, pour une superbe contradiction et le piétinement d'un principe fondamental du droit afin de déstabiliser un adversaire politique, avec mention très honorable puisque l'adversaire politique est de son propre camp.

En effet, l'intéressé a déclaré ce matin sur France Inter, où il était invité de Question Directe, à la question "Dominique de Villepin doit-il démissionner ?" :

"Il y a une règle qui doit s'appliquer à tout le monde, aussi bien à vous qu'à moi, qu'à Dominique de Villepin, qui est la règle de la présomption d'innocence. On ne peut pas faire fonctionner une démocratie en se basant simplement sur des articles de presse, fussent-ils parfaitement bien documentés.

Voici la première affirmation : la présomption d'innocence s'applique à Dominique de Villepin, même face à des soupçons parfaitements bien documentés, c'est une des bases de la démocratie. On ne peut qu'approuver.

Attention, tour de souplesse dorsale :

Ceci étant dit, il y a aujourd'hui un doute qui pèse sur cette affaire (…). C'est un doute considérable qui fait peser une menace sur le fonctionnement même du gouvernement, de l'Etat, et je ne pense pas qu'on puisse rester très longtemps dans cette situation.(…) Il faut lever ce doute, et malheureusement le temps de la justice est tellement long qu'on ne peut pas imaginer que la justice lève ce douter à court terme.(…). Ou bien le premier ministre est en mesure d'apporter des preuves irréfutables que cette affaire a été montée de toutes pièces et qu'il n'y est pour rien ou bien il faudra que le président de la République tire les conséquences de cette situation et change de premier ministre.

Bref, Dominique de Villepin est présumé innocent, s'il apporte des preuves de son innocence, car il y a un doute. En effet, la présomption d'innocence ne s'applique que quand il n'y a aucun doute sur l'innocence.

Félicitations à l'heureux vainqueur.

Notes

[1] Busiris est un personnage de la pièce "La Guerre de Troie n'aura pas lieu" de Jean Giraudoux : c'est un juriste sicilien, spécialiste du droit de la guerre, convoqué par Demokos pour démontrer que la manoeuvre des navires grecs est belliqueuse et insultante et ne peut être réparée que par la guerre, jusqu'à ce qu'Hector menace de le tuer s'il ne démontre pas le contraire, ce qu'il fait aussitôt avec d'aussi bons arguments (Acte II, scène 5), la scène est extraordinairement drôle.

vendredi 5 mai 2006

Acceptons les étrangers à ce blog

Je recopie ci-joint un commentaire laissé sous "Bienvenue en France" par un bénévole qui intervient en ZAPI. Un autre point de vue, de l'intérieur, par quelqu'un qui y est confronté plus souvent et bien moins superficiellement que votre serviteur, qui fréquente plus les prétoires. J'y ai inséré quelques commentaires, en gras. Merci à lui en tout cas de ce témoignage, qui complète fort bien mon billet.

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vendredi 14 avril 2006

Les dessous de France culture

Où l'auteur raconte son aventure dans la jet set médiatique.

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lundi 6 février 2006

Un magistrat sanctionné pour avoir été cité sur mon blog

Bon, d'accord, je fais un peu dans le sensationnel pour le titre.

Dans ce billet, j'avais attiré l'attention de mes lecteurs sur une tribune parue dans Le Monde du 17 novembre 2005 écrite par un magistrat, Didier Peyrat, sur les émeutes qui illuminaient nos nuits périphériques.

Le même journal m'apprend aujourd'hui que ce magistrat a été sanctionné pour cet article et un autre dans Libération publié à la même époque.

Il est vrai que ce magistrat avait des mots assez durs pour le ministre de l'intérieur :

Luttons contre les causes. Bannissons les mots vulgaires, les insultes, la démagogie de M. Sarkozy. Faisons de la prévention (…)

De même, dans Libération :

Les événements qui se déroulent dans les banlieues françaises prouvent l'échec radical de la droite dans ses politiques de sécurité depuis avril 2002, y écrivait le magistrat. Mais on aurait tort de ne voir que le bilan piteux de la majorité UMP. (...) Nous savons maintenant que la criminalité est toujours là, tenace. Elle a résisté à vingt années de politique de la ville ; (...) aux démonstrations de virilité télégénique de Nicolas Sarkozy ; comme à l'augmentation des effectifs de police.

Encore une fois, on voit que la liberté d'expression des fonctionnaires connaît des limites, ici l'obligation de réserve.

Ce que conteste l'intéressé :

Le magistrat se réfère, lui, à la liberté d'expression, reconnue à tout citoyen par la Constitution et aux magistrats par leur statut. La réserve, souligne M. Peyrat, se comprend comme l'interdiction de mêler des considérations politiques à l'activité dans la sphère professionnelle. Les discours de M. Sarkozy ont, selon lui, "provoqué l'ouverture d'un débat public" et "pouvaient avoir un effet sur le climat dans lequel la justice pouvait faire son travail". Quant à la politique menée lors des violences urbaines, il affirme qu'elle n'est pas directement en cause. Au contraire, explique-t-il, "j'ai contribué à (sa) mise en oeuvre" : "Les consignes concernant les détentions de mineurs, instructions avec lesquelles j'étais en désaccord, ont été suivies."

C'est beau, un magistrat qui plaide.

La sanction est la plus légère de l'échelle des peines : l'avertissement. On est loin de la révocation.

Il demeure. Quand on connaît une crise comme celle qui a agité la France cet automne, il me paraît plus judicieux d'écouter les avis des grognards sur le terrain que d'exiger le garde à vous. Il n'est sans doute pas agréable d'être interpellé par voie de presse, mais las, on sait bien ici que pour être entendu d'un ministre, il faut parfois prendre le monde à témoin.

Sanctionner ceux qui ne jouent pas les courtisans n'est pas une bonne gouvernance.

J'exprime toute ma solidarité et ma sympathie à Monsieur Peyrat. [Via Laurent]

mercredi 1 février 2006

Où l'on reparle enfin d'Outreau

Je reviens enfin sur cette affaire, où les auditions en cours de la commission d'enquête parlementaire donnent matière à réflexion.

J'ai été durement parfois pris à partie à la suite de mon premier billet sur cette affaire . Les commentateurs s'offusquaient de mon point de vue qu'ils interprétaient à tort comme une défense corporatiste de l'institution judiciaire. Et le même prisme est apposé un peu témérairement sur le point de vue exprimé par le président Montfort dans son discours que j'ai publié hier.

La colère engendrée par cette affaire est vive, mais les réactions qu'elle engendre n'en sont pas légitimées pour autant parce que frappées du sceau de l'indignation. Critiquer la justice est un droit absolu pour les citoyens, car la justice est rendue en leur nom : tous les jugements et arrêts, que ce soit du juge de proximité de Bourganeuf (Creuse) ou de l'Assemblée plénière de la cour de cassation (Paris) commencent par les mots "Au nom du peuple français". Mais pour que cette critique soit utile, il faut qu'elle soit pertinente. Les procès d'intention ou ceux en sorcellerie ne relèvent pas de la démocratie mais de la démagogie.

Alors évacuons d'entrée les arguments disqualifiant les plus tentants : ni le président Montfort ni votre serviteur n'ont eu à connaître de près ou de loin de ce dossier. Le président Montfort a une carrière qui le met à l'abri de devoir jouer les larbins des politiques pour s'assurer une promotion, quant à votre blogueur préféré, étant profession libérale, il jouit à leur égard d'une totale indépendance, n'étant pas partie intégrante de l'institution judiciaire. M'accuser de vouloir caresser la justice dans le sens du poil est saugrenu, mon rôle consistant plutôt à jouer les troubles fêtes dans les procédures trop lisses.

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lundi 26 décembre 2005

Un peu de nombrilisme ne fait point de mal

La fin de l'année est traditionnellement l'époque des bilans. Cet exercice narcissique me permettre en plus de garnir l'agrégateur de Laurent qui menace de nous faire une dépression de noël. Et plusieurs lecteurs m'ont demandé de lever un coin de voile sur les statistiques de mon site, et je n'ai rien contre la transparence.

Chiffres mis à jour en consultant les données de l'hébergeur et non le compteur sur ma page d'accueil

L'année 2005 a commencé par un record de fréquentation grâce à ce billet sur l'affaire Guillermito, correspondant au jugement rendu par la 3e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris contre Guillermito : 3018 visiteurs le 6 janvier, suivi de 2977 le lendemain (une journée normale était de 1200 visiteurs uniques en moyenne).

Et il se termine sur un nouveau record, qui montre bien la progression de la fréquentation moyenne de cet humble blog : 10923 visiteurs uniques le 21 décembre, jour sans billet, mais lié à mes deux premiers billets sur la loi DADVSI.

La fréquentation moyenne est passée de 1816 visiteurs uniques par jour au mois de février (pris pour ne pas tenir compte du Guillermito effect) à 5755 pour le mois de novembre (pris pour ne pas tenir compte du DADVSI effect). Le nombre de pages chargées est passé de 4300 à 12130 par jour, ce qui est cohérent. Ces chiffres viennents des logs Apache fournis par Free (merci Romuald).

A l'ouverture de ce blog seconde mouture, en décembre 2004, mon compteur de fréquentation, reprenant le dernier chiffre de mon premier blog, était de 40.000 visiteurs uniques ; un an après, il dépasse le million avec 1.168.139 visites.

Comme toute cérémonie des vœux qui se respecte, je concluerai par des remerciements :

  • Merci donc à mes parrains sur l'internet, ceux qui ont la gentillesse d'attirer l'attention sur un de mes billets, les lecteurs qu'ils m'envoient revenant souvent ; tout particulièrement Versac, Laurent, Veuve Tarquine, Paxatagore, et dernier venu, Philippe Bilger dont j'ai l'honneur d'être le seul à figurer sur sa blogroll.
  • Merci à Kozlika sans qui ce blog ne serait guère plus qu'une page 404 elle même buguée ;
  • Merci à Tegam d'avoir fait un procès à Guillermito, en s'avérant ainsi plus efficace qu'une mention par Loïc Le Meur pour booster la fréquentation d'un site ; à Nicolas Sarkozy d'avoir décidé la reconduite à la frontière des parents d'Eduardo, à Dieudonné d'avoir été relaxé et Marc-Olivier Fogiel d'avoir été condamné, et surtout à Renaud Donnedieu de Vabres d'avoir fait sa loi DADVSI : vous fûtes mes plus grands pourvoyeurs d'audience (et pour un avocat, l'audience, c'est important).

Je vous souhaite d'ores et déjà à tous une excellente année 2006, et n'oubliez pas, comme d'habitude, de faire grand cas des conseils de la presse, qui par exemple vous rappelle ces jours ci avec insistance qu'il ne vous reste plus que quelques jours pour vous inscrire sur les listes électorales : conseil civique avisé, d'autant plus qu'il n'y a pas de scrutin prévu en 2006.

A bientôt pour de nouvelles aventures.

lundi 28 novembre 2005

Où l'on reparle des banlieues

Je reviens sur ce thème qui reste d'actualité, pour faire un petit point vu du prétoire. Les hommes politiques de la majorité ou de l'opposition ont déjà tous trouvé l'origine du mal (ce serait donc les discriminations et les parents démissionnaires) et vont le résoudre en deux lois et trois décrets, comme ils ont résolu le problème du... de... heu... Zut, j'ai un trou.

Je suis assez pessimiste, et il y a lieu de l'être, tant face à cette explosion de violence difficilement contenue, les réponses restent caricaturales, entre répression accrue et expulsion d'un côté, et commisération intéressée de l'autre.

Je n'aurai pas la prétention de poser le bon diagnostic. Je vous propose simplement les réflexions d'un poilu du droit dans sa tranchée, de ce qu'on voit au front, à travers les quelques cas que j'ai vu juger ou ceux que j'ai défendus sur plusieurs années, étant clairement entendu que cet échantillon est trop réduit pour permettre la certitude scientifique.Tout point de vue différent sera le fort bienvenu.

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mercredi 31 août 2005

Propositions de réformes

Paxatagore fait état dans un billet des propositions du parti socialiste en matière de justice, relayant l'info donnée par Bloghorrée.

Même s'il y a loin de la coupe aux lèvres, le parti socialiste n'étant pas encore de retour aux affaires et étant bien parti pour mettre fin à 26 ans pendant lesquels le parti au pouvoir a systématiquement perdu les élections générales (les mauvais journalistes politiques dirons élections législatives, ce qui est absurde, on n'élit pas la loi), il est intéressant de voir quelles propositions fait le principal parti d'opposition, tenu par ce statut à des propositions originales et crédibles.

Ces propositions sont au nombre de trois .

  • la suppression du monopole des huissiers pour la signification des décisions de justice, qui seraient simplement remplacées par des lettres recommandées AR.
  • la suppression de l'avocat postulant ;
  • la suppression de la charge d’avoué à la cour d’appel. En revanche, la charge d'avocat au conseil d'Etat et à la cour de cassation serait maintenue.

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