Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mardi 3 avril 2007

La machine à fabriquer des délinquants

J'ai déjà exprimé mon hostilité farouche à l'égard des peines planchers, et toute forme de sanction automatique, même revêtue du masque de mesure de sûreté. Ces lois, votées avec les meilleures intentions du monde, pour protéger les gentils et punir les méchants, deviennent parfois d'inhumaines machines à fabriquer des délinquants, sous les yeux impuissants des juges qui ne peuvent qu'appliquer la loi, tout pouvoir de tempérament leur ayant été retiré par le législateur.

J'en ai vu récemment une tragique illustration.

Un jour que j'étais de permanence aux comparutions immédiates, en train d'étudier le dossier de celui que j'allais défendre, un jeune confrère passe la tête par la porte du petit bureau au parois de verre mis à notre disposition pour préparer nos dossiers et nous entretenir avec nos clients.

- Excusez moi, vous avez un Code de procédure pénale ?

- Bien sûr, lui réponds-je en souriant.

Autre avantage du vélo : le porte bagage me permet de venir avec une mini bibliothèque sans me vriller le dos.

- Vous avez décelé une nullité de procédure, lui demandè-je, prêt à mettre ma science au service de la justice.

- Non, c'est que le délit qu'a commis mon client est dans le CPP...

Et il m'explique son dossier.

Son client a 33 ans. Quand il était mineur, il a été condamné par la cour d'assises des mineurs pour un viol en réunion. Je parle d'un temps où Bérégovoy était premier ministre. Il a fait quelques années de prison, puis a connu un épisode de délinquance de quelques années, ayant commis deux vols simples, et une affaire de violences volontaires, l'ayant reconduit quelques mois en prison. Depuis cinq ans, plus rien. Rangé des voitures. Il a rencontré une femme, s'est marié, a deux enfants, et travaille comme un fou pour leur offrir ce qu'il n'a pas eu : une famille, et les empêcher de sombrer dans la spirale qu'il a connue, et dont il parle comme étant un tunnel de malheur. Il a tourné la page.

Lui, oui. Mais le législateur, non. Un jour de 2004, il a voté la fameuse loi Perben II, qui a créé le FIJAIS, le Fichier Judiciaire National Automatisé des Auteurs d'Infractions Sexuelles ou Violentes (articles 706-53-1 et suivants du CPP). Mû par les meilleures intentions du monde : protéger le public des criminels les plus dangereux. Et il a décidé que toutes les personnes condamnées pour des faits de meurtre ou de viol sur mineur, ou d'agression sexuelle sur mineur y seraient inscrites pour une durée de trente ans, et pendant vingt ans si les faits ne sont que délictuels. Y compris les personnes condamnées avant l'entrée en vigueur de la loi et ayant purgé leur peine.

Qui peut être contre un tel fichier, visant à répertorier et à suivre des personnes pouvant avoir une dangerosité certaine ? Pas moi, en tout cas.

Mais l'enfer est pavé de bonnes intentions.

Une personne inscrite sur ce fichier a l'obligation de notifier une fois par an par lettre recommandée son domicile, avec justificatifs à l'appui (quittances EDf, contrat de bail ou attestation d'hébergement) et pour ceux qui ont commis un crime, de se présenter en personne tous les six mois à un service désigné par la préfecture.

Or notre prévenu du jour avait violé une fille de son âge. Il était mineur, donc elle aussi. Il entre dans le champ d'application de la loi.

Le prévenu a été convoqué lors de l'entrée en vigueur de la loi. On lui a fait signer un formulaire incompréhensible lui notifiant ses obligations (vous verrez pourquoi je dis incompréhensible). Croyant en avoir fini avec ces formalités liées à une condamnation remontant à presque vingt ans, il est retourné chez lui et a oublié cette affaire.

Jusqu'au jour où il a reçu une convocation au commissariat de police, lui enjoignant de venir avec ses justificatifs de domicile. Ha, zut, ça doit être encore cette histoire, s'est-il dit. Je n'ai pourtant pas déménagé. Bah, qu'importe, il prend ses justificatifs et va au commissariat. Où le place en garde à vue, on lui retire montre, lacets, ceinture, et on le met en cellule toute la journée, avant de le déférer pour une comparution immédiate.

Car ne pas se présenter spontanément au commissariat est puni de deux ans de prison et de 30.000 euros d'amende : article 706-53-5 du CPP. Le déferrement a été décidé par la section de l'application des peines, au grand dam de la section du traitement en temps réel (la section P12), qui a déjà le plus grand mal à gérer son flux tendu de dossier pour avoir en plus à ajouter ce dossier qui, m'a-t-il semblé, aurait selon eux mérité un classement sans suite.

Le prévenu est anéanti. Il ne veut pas prévenir son employeur, qui n'est pas au courant de cet aspect de son passé. Il a une absence injustifiée et n'est pas sûr de garder son emploi. Pourtant, il gagne près de 2.000 euros par mois, pour quelqu'un qui n'a aucun diplôme. Il est la source de revenus principale de sa famille, son épouse faisant des ménages pour 500 euros par mois.

Comment peut-il s'en sortir ? La loi prévoit gentiment que le condamné peut demander à être retiré du FIJAIS (article 706-53-10 du CPP). La demande est présentée au procureur de la République, s'il refuse, l'intéressé peut saisir le juge des libertés et de la détention, et en cas de refus, le Président de la chambre de l'instruction. Ajoutons à cela qu'en cas de crime, une expertise psychiatrique doit obligatoirement avoir lieu avant la décision. On ne peut pas dire que ce sera une décision prise à la légère, même pour ceux qui croient qu'il suffit de demander quelque chose à un juge pour qu'il l'accorde.

Mais le législateur s'est avisé qu'un juge pourrait bien malgré tout accepter une telle demande ! Vous savez comment ils sont : inhumains ou dégoulinants de compassion, quand ce n'est pas les deux à la fois, les fourbes. Donc il a mis une barrière supplémentaire : la demande de retrait du FIJAIS est irrecevable tant que la condamnation figure au bulletin numéro 1 du casier judiciaire. Ouf, nous voilà à l'abri des juges et de leur saleté de pouvoir de décision.

Or pour une peine d'emprisonnement comme a eu le prévenu, il faut, pour que la peine soit effacée, que s'écoulent dix années sans la moindre condamnation (art. 133-12 du code pénal). Les petits délits commis par le prévenu avaient repoussé d'autant son retrait du FIJAIS.

Tout au plus peut-il solliciter, dans la grande mansuétude du législateur, de ne plus avoir à se présenter tous les six mois mais seulement une fois par an (art. 706-53-10, al.5 du CPP).

Histoire d'ajouter encore une couche, la condamnation que le prévenu va recevoir immanquablement ce jour remet le compteur à zéro, et il devra à nouveau attendre dix ans pour pouvoir demander son retrait du FIJAIS, sinon, il continuera à pointer jusqu'au début des années 2020. Pour des faits commis quand il était mineur...

A l'audience, le président ne peut effectivement que constater que la violation de l'obligation de pointage est caractérisée. Le procureur, à la grande surprise de l'avocat, croit devoir demander une peine de prison ferme sans mandat de dépôt, histoire qu'en plus le prévenu aille rendre visite aux services du juge de l'application des peines. Pour une histoire vieille de plus de 15 ans...

Seul moment qui pourrait prêter à sourire, s'il ne rajoutait pas encore à l'aspect kafkaïen du dossier.

Le président, expliquant les faits reprochés au prévenu, et désireux de compenser leur faible gravité objective en insistant sur la négligence coupable de ce dernier, agite la copie du formulaire de notification des obligations de pointage et lui dit : « Enfin, vous avez pourtant signé le formulaire qui vous disait que vous deviez envoyer vos justificatifs une fois par an ! ». L'avocat de la défense l'interrompt : « Non, Monsieur le président. Vous avez mal lu. Il devait se présenter en personne tous les six mois. C'est la deuxième partie du paragraphe. Moi aussi, je me suis fait avoir en le lisant. ».

Le président s'interrompt, fronce les sourcils en relisant longuement le formulaire aux formulations tortueuses et redondantes avant de hausser les sourcils : « Ha, oui, tiens, en effet... ».

Il range le formulaire au dossier et passe rapidement à l'examen de la personnalité.

Le prévenu a été condamné à un mois de prison avec sursis, qui repousse de dix ans sa possibilité de demander à être retiré de ce fichier.

Voilà comment quelqu'un qui s'est rangé, vit une vie honnête, n'a aucune dangerosité établie ni aucune pulsion perverse, a vu son passé vieux de plus de 15 ans lui rejaillir à la figure, lui faisant risquer de perdre son travail, sur la base d'une loi limitant volontairement au minimum les pouvoirs du juge, au nom de la protection de la société.

Voilà comment cette loi a fabriqué un délinquant, a pris un père de famille, au passé turbulent mais révolu, parfaitement réinséré, et a décidé de le stigmatiser trente années durant, sans qu'il ait quoi que ce soit à dire, sauf supplier qu'on lui permette de devoir se présenter à la police tous les ans plutôt que tous les six mois.

Mais voyons, plaidera le législateur, nous n'avions pas prévu cette éventualité dans l'hémicycle. Nous n'avions à l'esprit que le prédateur sexuel qui fait les belles deuxièmes parties de soirées de TF1. C'est lui que nous voulions frapper.

Et oui : la réalité a toujours plus d'imagination que le législateur (et des scénaristes de TF1, mais là c'est pas dur).

C'est pourquoi on peut voter toutes les lois répressives et sécuritaires que l'on veut, mais il ne faut pas toucher au pouvoir du juge d'adapter sanctions, peines et mesures de sûreté aux nécessités réelles du dossier. Lui ôter ce pouvoir, en imposant des irrecevabilités arbitraires et insensées, en lui imposant des peines planchers ou en lui prohibant la clémence, c'est inévitablement aboutir un jour à une injustice imposée par la loi.

Quand on en est là, la République est vraiment malade.

dimanche 1 avril 2007

Le temps des choix est venu

A trois semaines du premier tour des présidentielles, il n'est plus temps de tergiverser, mais de faire des choix. Et puisqu'après tout, j'ai abordé le thème de la politique sur ce blog, et que mon titre de blogueur parmi les plus influents me donne des responsabilités et des obligations de transparence, et puisque, aussi j'ai la possibilité de peser notablement sur le résultat de ces élections, j'ai décidé d'annoncer officiellement quel candidat j'avais finalement décidé de soutenir.

Le choix n'a pas été facile, d'où le fait d'avoir attendu cette date pour l'annoncer. Mais après une réflexion poussée, j'ai trouvé le candidat qui fait la synthèse de ce que j'attends de l'avenir.

Il connaît le monde des affaires, puisqu'il est lui-même chef d'entreprise, et a toujours montré qu'il avait foi en la liberté d'entreprendre et l'initiative individuelle pour aboutir à ses fins.

Il connaît également fort bien la justice, et on peut attendre de lui LA réforme de l'administration pénitentiaire tant attendue.

Sur l'Europe, qui est un point qui me tient à coeur, c'est un des plus fins connaisseurs de la PAC, peut être encore plus que Chirac.

Comme moi, il a déjà démontré qu'il ne cédait pas à la psychose environnementaliste, et notamment sur les OGM, dont il favorise activement la dispersion.

Ajoutons à cela qu'en plus, il connaît l'existence de mon blogue, dont il a assuré la promotion sur une radio nationale de premier plan.

Bref, mon choix est fait : Mon candidat, c'est José Bové.

vendredi 30 mars 2007

Un point sur les comparutions immédiates

Je profite du fait que la 23e chambre du tribunal de Paris, qui juge les comparutions immédiates, soit devenue hier la chambre star pour expliquer un peu comment ça marche et ce qui s'est passé.

Les comparutions immédiates sont ce qu'on appelait autrefois les flagrants délits, et font partie de ce qu'on appelle le traitement en temps réel (TTR en jargon).

Quand une personne est interpelée pour des faits venant d'être commis, voire commis sous les yeux des policiers, la personne est d'abord placée en garde à vue pour que la police puisse réunir les preuves de l'infraction. Dans bien des cas, en quelques heures, toutes les preuves sont réunies, les témoins et la victime entendus, et les faits sont même souvent reconnus par le gardé à vue. La garde à vue dure 24 heures maximum, et peut être renouvelée une fois avec l'autorisation écrite du parquet.

Le parquet est tenu informé de l'état de la procédure, dès le placement en garde à vue, puis dès que les policiers ont besoin d'instructions ("On a entendu tout le monde, voilà ce qu'on a, on fait quoi ?"). C'est un procureur de permanence (il y en a au moins un joignable 24h/24 dans chaque tribunal de France ; l'invention du portable a changé leur vie) qui décide des suites.

La suite peut être :

- La remise en liberté du gardé à vue et le classement sans suite de l'affaire. Tel est le cas de la directrice de l'école maternelle Rampal, qui était intervenue lors de l'interpellation d'un grand-père chinois la semaine dernière.

- La remise en liberté avec une mesure alternative aux poursuites. Cela va du simple rappel à la loi à des mesures plus contraignantes (comme obliger le mari violent à quitter le domicile conjugal...) dont le non respect entraînera l'exercice de poursuites judiciaires. Il y a aussi la composition pénale, mais elle est rarement employée.

- La remise en liberté du gardé à vue avec une convocation en justice (on appelle ça une Convocation par Officier de Police Judiciaire, COPJ) pour être jugé : le gardé à vue devient prévenu[1]. Cela indique que les faits méritent sanction mais que la privation de liberté n'apparaît pas indispensable : les faits sont d'une gravité limitée, le prévenu a commis sa première infraction, il a un travail ou suit des études. Le prévenu a tout le temps de solliciter l'aide d'un avocat, le procureur n'est pas remonté contre le prévenu, bref, ce sont de très bonnes conditions pour être jugé.

Ensuite, on passe aux mesures excluant la remise en liberté immédiate du gardé à vue : les faits sont graves, le gardé à vue a déjà des antécédents judiciaires (ce qui ne signifie pas récidiviste, pour les ministres qui me liraient), bref, une réponse immédiate s'impose.

On parle ici de déferrement (car autrefois on ôtait les fers au prisonnier, qui était dé-ferré) : le déféré n'est plus gardé à vue, et il doit être présenté au procureur dans un délai de 20 heures. Les palais sont munis d'une mini-prison, qu'on appelle "le dépôt", où sont gardés les déférés dans l'attente de leur présentation. Un procureur reçoit les déférés, et peut décider :

- soit de les convoquer pour une audience ultérieure mais avant de les remettre en liberté, de les présenter au juge des libertés et de la détention pour un placement sous contrôle judiciaire. C'est surtout utilisé en matière de violences conjugales.

- soit de saisir un juge d'instruction si les faits nécessitent des investigations plus poussées ou constituent un crime ;

- soit enfin, nous y voilà, de faire passer le prévenu en comparution immédiate, le jour même.

Une fois le déféré devenu prévenu, sa situation change du tout au tout. Certes, on lui remet les menottes qu'il avait en entrant, et on le ramène dans sa même cellule : le changement peut lui échapper. Mais il a droit à un avocat, qui a accès au dossier, et peut contacter la famille du prévenu pour se faire amener des documents utiles. Le prévenu est également conduit devant un enquêteur de personnalité qui va faire son CV en tâchant de vérifier les déclarations du prévenu sur son domicile, son travail, etc.

L'avocat consulte le dossier le plus vite possible (c'est une gymnastique intellectuelle épuisante, et en plus vous êtes sous pression : "Maître, vous êtes bientôt prêt ? Le tribunal attend... »), s'entretient brièvement avec le prévenu, appelle la famille... Il faut prendre des notes car il faut rendre le dossier en arrivant au prétoire, on n'a pas de copie du dossier sous les yeux. C'est en arrivant dans le tribunal que l'huissier lui remet la dernière pièce du dossier : l'enquête de personnalité.

Quand vient le tour de l'affaire du prévenu, le président commence par constater son identité complète, lui rappelle les faits qui lui sont reprochés, sous la forme "...d'avoir, à Paris, le 27 mars 2007, en tout cas sur le territoire nationale depuis temps n'emportant pas prescription, volontairement commis des violences sur la personne de Monsieur Lecontroleur, personne chargée d'une mission de service public, faits prévus et réprimés par les articles...".

Puis il lui demande s'il accepte d'être jugé tout de suite, ou demande un délai pour préparer sa défense. Ce délai est de droit, le tribunal ne peut pas le refuser. Le tribunal peut aussi décider d'office de renvoyer cette affaire s'il lui apparaît que le dossier n'est pas en état d'être jugé.

Dans ces deux cas, le tribunal ne statuera que sur le sort du prévenu en attendant cette audience : remise en liberté, contrôle judiciaire, ou détention provisoire ? Un débat a lieu, parole à l'avocat de la partie civile s'il y a lieu, au procureur et à la défense en dernier. Le tribunal fixe la date d'audience de renvoi, qui doit avoir lieu entre deux et six semaines[2], sauf si le prévenu accepte d'être jugé à plus bref délai, et statue sur le sort du prévenu.

C'est ce qui s'est passé hier pour notre resquilleur et un des casseurs. Tous deux ont été placés en détention provisoire et ils seront jugés respectivement le 2 mai et le 25 avril.

Si le prévenu accepte d'être jugé tout de suite, les faits sont abordés, puis la personnalité du prévenu est examinée. La parole est ensuite donnée à la partie civile s'il y en a une présente, qui demande une réparation pécuniaire, au procureur, qui demande une peine, et enfin à l'avocat, qui essaye d'être intéressant et de dire le moins de fois possible "effectivement" (c'est très dur). Ca va très vite : rares sont les dossiers jugés en plus de quinze minutes (plaidoirie de l'avocat non comprise, c'est l'élément incontrôlable).

Le tribunal rend ses décisions à la suite, en fin d'audience.

La particularité de la comparution immédiate, je veux dire à part toutes ces particularités déjà citées, est que le tribunal peut décider du maintien en détention du prévenu quelle que soit la peine prononcée. L'article 723-15 du CPP ne s'applique pas, on va directement à la case prison sans passer par la case juge d'application des peines, et je vous rassure, l'avocat ne touche pas 20.000 francs. L'idée de la comparution immédiate est de prononcer immédiatement une sanction sévère sans être forcément longue. Pour les audiences ordinaires, le tribunal ne peut prononcer un mandat de dépôt que si la peine ferme dépasse un an.

C'est ce qui est arrivé à deux prévenus qui ont commis des actes de violence contre les policiers, et qui ont été condamnés à quatre mois de prison ferme et trois ans d'interdiction du territoire pour l'un d'entre eux qui était en situation irrégulière (lui), et qui ont été conduits immédiatement en prison pour purger leur peine ; un troisième qui a cru que c'était les soldes chez Foot Locker a été condamné à quatre mois avec sursis et a été remis en liberté après l'audience.

Les appels sont rares pour les petites peines, car par un malicieux tour du code de procédure pénale, le fait de faire appel ne fait pas bénéficier des réductions de peine, et un appelant risque de sortir de prison après un condamné n'ayant pas fait appel de sa condamnation, si la peine est courte (c'est certain pour une peine n'excédant pas deux mois, et probable jusqu'à six mois).

Le droit pénal est très taquin, parfois.

Notes

[1] Et comme un homme prévenu en vaut deux, il y aura association de malfaiteurs selon le ministre de l'intérieur.

[2] Entre deux et quatre mois si la peine encourue est supérieure à sept ans d'emprisonnement.

jeudi 29 mars 2007

Les couvertures anglaises du dernier Harry Potter révélées.

Voici la couverture de l'édition pour adultes, celle que j'ai commandée (elle permet de moins se payer la honte quand on le lit discrètement dans une salle d'audience.

Ce médaillon est bien évidemment l'un des Horcruxes, le serpent identifiant son propriétaire initial.

La couverture de l'édition américaine (désolé, ça bave sur les colonnes, mais je ne peux la réduire plus sans en faire un timbre poste.

LE face à face. Quelqu'un identifie cette sorte d'arène ?

Enfin, la couverture anglaise :

Notez l'épée dans la main de Ron. L'épée de Gryffindor ?

21 juillet... Que c'est loin. Heureusement qu'il y a les présidentielles et les législatives pour passer le temps.

Affaire Petite Anglaise : la victoire de la blogueuse.

Petite Anglaise a gagné son procès aux prud'hommes. Le Conseil vient de rendre son délibéré, et a condamné l'employeur de Petite Anglaise à lui payer presque 44.000 euros de dommages intérêts[1], outre 500 euros d'article 700, c'est à dire de frais d'avocat, et le remboursement aux ASSEDIC de six mois d'indemnité de chômage de Petite Anglaise.

Je n'ai malheureusement pas encore accès aux motifs du jugement, il faudra attendre quelques jours, probablement une quinzaine pour cela. Commentaire à venir.

Champagne, Petite ! And Champomy for Tadpole.

Notes

[1] 43.981,32 € précisément.

mercredi 28 mars 2007

Rions un peu sur le dos du Monde et des peoples

Le producteur et animateur Jean-Luc Delarue a connu aujourd'hui les joies de la CRPC, la Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité (qui ne s'est jamais appelée le « plaider-coupable »), au tribunal de grande instance de Bobigny.

- Et pourquoi le tribunal de Bobigny, mon cher maître ?

- Ma chère lectrice ! Quelle joie de vous revoir !

- Vous me faites rougir. Vous savez que la curiosité m'attire inlassablement vers votre blog telle l'abeille vers la fleur.

- Gageons que l'aspect people est aussi le nectar qui vous attire. Le tribunal de grande instance de Bobigny est territorialement compétent pour l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle, là où s'est posé l'avion qui transportait notre exubérant passager.

- Et qu'a donné cette audience ?

- Le Monde nous l'apprend : une condamnation à un stage de citoyenneté de trois jours, sous peine de deux mois de prison.

- Un stage de citoyenneté ? Et qu'est-cela, je vous prie ?

- L'article R.131-35 du Code pénal vous répond : le stage « a pour objet de rappeler au condamné les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité de la personne humaine et de lui faire prendre conscience de sa responsabilité pénale et civile ainsi que des devoirs qu'implique la vie en société. Il vise également à favoriser son insertion sociale.»

- Jean-Luc Delarue avait-il donc besoin qu'on lui enseigne ces valeurs et que l'on favorise son insertion sociale ?

- Il est permis d'en douter, les faits ayant eu lieu sous l'empire combiné de Bacchus et la pharmacopée. Ce d'autant que dans l'esprit du législateur, ce texte se destinait surtout aux sauvageons issus de nos exotiques banlieues vivant d'expédiants connus sous le vocable générique de "bizness". AJoutons que la menace de deux mois de prison s'il faillit à... trois jours de présence peut prêter à sourire.

- Voilà donc le rire sur le dos de Jean-Luc Delarue ?

- Plus largement, en bon français, je ris du ridicule des puissants, fût-ce d'une puissance seulement médiatique.

- Et pour le Monde ?

- C'est dans l'article que je viens de citer. J'aime quand les journalistes emploient du vocabulaire juridique qu'ils ne maîtrisent pas et boivent la tasse.

- Et où la tasse fut-elle bue ?

- Voyez vous même. L'article commence par ces mots : « L'animateur de télévision, Jean-Luc Delarue, a été condamné, mercredi 28 mars, à un stage de citoyenneté de trois jours ». L'article précise même que cette mesure sera inscrite à son casier judiciaire.

- Je vous suis.

- Suivez moi un peu plus loin, jusqu'à la fin de l'article.

- J'y lis : « Le stage de citoyenneté est une mesure alternative aux poursuites pénales. Mis en place en 2004, il est destiné à rappeler aux personnes poursuivies les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité humaine ».

- Et oui. Le journaliste dit donc que l'animateur a été condamné... à une mesure alternative aux poursuites pénales !

- Spectaculaire contradiction !

- Bon, à la décharge du journaliste (en fait une agence de presse) : le stage de citoyenneté peut être ordonné à titre de mesure alternative aux poursuites, par le parquet, dans la cas d'un classement sous conditions (article 41-1, 2° du Code de procédure pénale). Mais la simple relecture aurait dû attirer l'attention de l'auteur sur cette contradiction dans le propos.

- Je reconnais bien là votre mansuétude, et m'étonnais que vous n'en usassiez point à l'égard du nouveau ministre de l'intérieur.

- Madame, je suis ainsi fait que je ne me mets en colère qu'une fois par jour, et qu'un imparfait du subjonctif comme celui dont vous venez de me gratifier fait de moi le plus doux des hommes.

- Vous allez encore me faire rougir : je me sauve afin de cacher mon trouble.

- Vous me dispensez donc de cacher le mien. Serviteur, Madame.

Harry Potter et la bave du crapaud

Désolé pour les fans de la série, le titre n'a rien à voir avec le sympathique sorcier du Surrey, mais je parle ici d'un apprenti sorcier de moindre talent.

(Je graisse)

Le ministre de l'Intérieur a indiqué que l'homme dont l'interpellation a déclenché les heurts était âgé de 32 ans et que les forces de l'ordre avaient, au total, procédé à 13 interpellations.

"Au départ, c'est un passager comme un autre, et ensuite on apprend que c'est quelqu'un qui est très défavorablement connu des services de police puisqu'il a 22 affaires signalées", a-t-il détaillé. "Il y a eu 13 interpellations", a-t-il ajouté, rendant "un hommage appuyé à toutes les forces de l'ordre" qui ont fait preuve d'un "grand sang-froid" et "accompli hier soir un travail tout à fait remarquable".

Plus tard, à la sortie du Conseil des ministres, il a précisé que "la personne qui a été à l'origine de ce contrôle qui a provoqué ces actes de violences inacceptables est un récidiviste défavorablement connu des services de police et de surcroît entré illégalement sur le territoire".

Ha, le départ de Nicolas Sarkozy m'avait laissé orphelin tel un Dumbledore après la disparition de Voldemort : j'avais perdu mon meilleur ennemi[1]. Je croyais qu'on m'avait mis un vulgaire Pettigrew pour assurer l'intérim, mais en fait, c'est plutôt un Lucius Malfoy[2]. Il ne vaut pas le maître, mais annonce un intérim distrayant.

Pourquoi cette charge ? Parce que cette méthode d'insinuation est absolument écoeurante, et indigne d'un ministre de la République (je peux le dire, j'ai deux drapeaux tricolores chez moi, et deux bicolores).

Hier, des incidents très graves ont eu lieu gare du nord. Pas graves en raison des dégâts matériels qu'ils ont provoqués, mais en raison de la présence de la télévision et de la proximité de l'élection, bien sûr. Comment désamorcer la bombe ? Mais en pointant du doigt. En l'occurrence, le voyageur resquilleur dont l'interpellation a été l'élément déclencheur de l'émeute : un "sans papier récidiviste". Immigration clandestine, récidive, bref, c'est la Némésis, l'incarnation, la prosopopée de l'Ennemi de Nicolas Sarkozy. Voyez, voyez comme il a raison, comme il a identifié l'ennemi, comme seul lui sait qui il faut combattre (bon, lui aussi, mais il compte pas).

Mais l'homme de raison, lui, que lit-il ?

Que le ministre déclare à la sortie du conseil des ministres que cette personne est un « récidiviste ».

Un récidiviste de quoi ? Un récidiviste. L'information se suffit à elle même, un récidiviste n'a par définition que ce qu'il mérite. S'agit-il d'un récidiviste du voyage sans payer ? Rappelons que la peine est de 45 euros d'amende, et que la récidive n'existe pas en la matière.

Le début de l'article apporte une précision : il a "22 affaires signalées". Tiens ? Je croyais qu'un récidiviste était une personne condamnée définitivement pour des faits et qui commettait à nouveau des faits identiques ou analogues dans un délai de 5 ans ? Pour le ministre de l'intérieur, non. C'est un délinquant signalé.

Mais signalé où ?

Au STIC, Système de Traitement des Infractions Constatées, que les magistrats du siège affectionnent tout particulièrement, quand ils ont un casier judiciaire (on dit un B1, pour bulletin numéro 1) néant, mais que la police leur joint leur listing du STIC pour montrer que c'est peut être un primo-délinquant, mais s'il pouvait avoir un prix de gros, ça leur ferait plaisir. Je dis "affectionnent" ironiquement, bien sûr : la plupart ne le lisent même pas, et sont agacés de le voir figurer au dossier.

Le STIC est un fichier tenu par la police où sont entrées toutes les personnes entendues dans une affaire de police. Victimes comprises. Peu importe qu'aucune suite judiciaire ne soit donnée aux faits (parce que, par exemple, heu... ils ne sont pas vrais), vous êtes fiché. Pendant 20 ans. Et jusqu'en 2001, ce fichier fonctionnait en toute illégalité (mais on apprend vite qu'une illégalité commise par l'Etat est moins grave que celle commise par un séjour irrégulier qui fait trembler la République sur ses fondations). Ce fichier contient aujourd'hui 5 millions de mis en cause, dont la majorité n'a pas fait l'objet de poursuites.

Mais 22 signalements, quand même, il a bien dû y avoir une ou deux affaires qui l'ont amené devant la justice ?

Ce n'est même pas sûr, puisque la dépêche nous apprend qu'il fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière, qui est une simple mesure administrative, résultant soit d'un refus de carte de séjour (antérieur au 29 décembre 2006, la loi a changé depuis) ou d'une interpellation dans la rue ou devant une école maternelle. Or s'il avait été condamné par un tribunal, il ferait l'objet d'une interdiction du territoire, qui est une sanction pénale.

Bref, le récidiviste pointé du doigt par le ministre a peut être bien un casier judiciaire vierge (si on exclut l'APRF qui y est mentionné, mais qui n'est pas une peine, j'insiste sur ce point, c'est uniquement pour que la justice sache que cette personne commet un délit de maintien sur le territoire malgré une décision d'éloignement).

N'empêche, m'objectera-t-on, il a commis au moins deux infractions. J'en conviens, l'une passible de 45 euros d'amende, l'autre d'un an de prison maximum. On est loin du récidiviste suggéré par le ministre. Et je doute fortement que ce soit lui qui ait causé les dégâts dans la galerie marchande, puisqu'il était en garde à vue dans le commissariat de la gare du Nord qui se trouve précisément dans cette galerie pendant les faits. Rien ne me laisse penser que les auteurs de ces destructions connaissaient seulement notre voyageur radin, tant les clandestins savent que pour rester en France, il faut par dessus tout éviter les ennuis, et que cela s'applique à des amis.

Je ne sais pas ce qui s'est passé au juste hier soir. J'ai tendance à être du côté des services de police plutôt que de ceux qui ont causé le désordre qui a permis à des casseurs de se livrer à leurs déprédations. Je m'interroge simplement sur le fait que le banal contrôle d'un voyageur sans ticket, qui, s'il s'était échappé, aurait fait perdre 45 euros à la RATP, dégénère à ce point en sept heures d'émeute en plein Paris.

Mais tenter de justifier l'action des forces de l'ordre en insinuant que ce serait la faute d'un sans papier récidiviste, c'est à vomir.

Bienvenue à votre poste, Monsieur Baroin. Je vous aime déjà.

Notes

[1] Dans tous les dossiers de droit des étrangers allant au contentieux, mon adversaire est un préfet, soumis hiérarchiquement au ministre de l'intérieur, et parfois le ministre de l'intérieur lui-même.

[2] Que l'on traduit en français par Mauvaisefoi.

lundi 26 mars 2007

SNCF, LCEN, et responsabilité de l'hébergeur

Des lecteurs ont attiré mon attention sur une affaire qui présente un intérêt certain en matière de blogs, où se pose un intéressant conflit entre le droit des marques et la liberté d'expression, avec un zeste de LCEN, la fameuse loi sur la confiance dans l'économie numérique.

Les faits sont les suivants.

Des usagers de la ligne SNCF Paris-Rouen-Le Havre, mécontents de la qualité du service et tout particulièrement des retards selon eux fréquents sur cette ligne, ont ouvert un blogue, intitulé "train train quotidien", dans lequel ils relatent leurs déboires.

Le 16 mars dernier, ils publient une note dans lequel se trouvent trois images, reprenant le logo de la SNCF, rebaptisée SNTR, "Société nationale des trains en retard".

Le 20 mars, l'hébergeur du blogue met cette note hors ligne, après avoir reçu une réclamation de la SNCF sur l'usage selon elle illicite de sa marque déposée.

Le 21 mars, le responsable du blogue, qui signe Xmo, fait état de ce qu'il qualifie de censure.

Rebondissement le 23 mars : l'hébergeur du site écrit à son éditeur pour l'informer de ce qu'il avait indiqué à la SNCF qu'il allait d'ici huit jours remettre en ligne la note litigieuse si la société ferrovière ne lui faisait pas parvenir une décision judiciaire constatant l'illicéité de ce détournement de marques, indiquant :

(...)outre le fait que je n’ai pas les qualités juridiques pour le faire, il ne m’appartient certainement pas d’arbitrer cette querelle.

Je ne suis pas juge et ne tiens pas à être partie à un conflit auquel je suis totalement étranger et dans lequel je refuse, en ma qualité de Prestataire internet, d’être instrumentalisé.

Ca s'appelle botter en touche.

Nous en sommes là pour le moment, mais cette affaire a déjà un certain écho dans la blogosphère : Padawan dégaine le premier et rappelle qu'il avait prédit que cela arriverait il y a un peu moins de trois ans, ce qui pourrait aussi se dire "il a fallu attendre quasiment trois ans après l'entrée en vigueur de cette loi pour que cela arrive une première fois"...

Embruns signale également l'incident, estimant être à l'abri du fait de l'extranéité de son hébergement, situé aux Etats-Unis. Christophe Grébert prend fait et causes pour nos voyageurs, et publie une des images litigieuses sur son blogue.

Que dit la loi en la matière ?

C'est en effet la LCEN qui s'applique ici. Rappelons qu'elle distingue trois types d'acteurs : les fournisseurs d'accès à l'internet, les hébergeurs (ceux qui stockent les données sur leurs serveurs) et les éditeurs de site. Dans cette affaire, le fournisseur d'accès est sans importance, l'hébergeur est la société SixApart, qui exploite le service Typepad, et l'éditeur est Xmo.

L'article 6, I, 2° de la LCEN pose le principe suivant :

Les [hébegreurs] ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible.

Comment prouve-t-on que l'hébergeur a la connaissance de ce caractère ? Par tout moyen, mais la loi prévoit un moyen de créer une présomption de connaissance, c'est à dire que si vous prouvez que vous avez accompli cette démarche, vous avez établi que l'hébergeur connaissait ce caractère illicite. (Je graisse)

La connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes désignées au 2 lorsqu'il leur est notifié les éléments suivants :

- la date de la notification[1] ;

- la désignation complète du notifiant ;

- les nom et domicile du destinataire ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social ;

- la description des faits litigieux et leur localisation précise ;

- les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;

- la copie de la correspondance adressée à l'auteur ou à l'éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l'auteur ou l'éditeur n'a pu être contacté.

Si cette notification est faite, l'hébergeur engage sa responsabilité s'il laisse en ligne le contenu illicite à condition qu'il soit bien illicite. Si un petit plaisantin s'amuse à effectuer une telle notification pour des faits qu'il sait ne pas être illicite, la LCEN prévoit un délit spécifique, sorte de dénonciation calomnieuse atténuée.

Et dans cette affaire, alors ?

La SNCF invoque comme trouble illicite une contrefaçon de marque. Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) protège en effet des attributs du droit de propriété celui qui a déposé auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) une marque ou un dessin (ce qu'on appelle le logo), qui interdit de manière en principe absolu à quiconque d'en faire un usage non autorisé par le propriétaire de la marque (articles L.713-2 et L.713-3 du CPI)

Pour pouvoir bénéficier de la mise en cause de la responsabilité de l'hébergeur, la SNCF devait donc :

- Ecrire au responsable du blog pour lui demander de retirer ces images ;
- Ecrire à SixAPart en joignant copie de la correspondance adressée à l'éditeur, ou de justifier qu'elle n'avait pu le joindre ;
- Préciser l'URL du billet litigieux ;
- Expliquer en quoi ce billet était illicite, en citant les textes de lois idoines.

Il semble que la SNCF se soit abstenue de contacter l'éditeur, qui n'a jamais fait mention d'un tel courrier. Si pour ma part, le lien "écrivez moi" ne fonctionne pas, il demeure que le formulaire de commentaire en dessous de la note permettait à la SNCF de laisser un tel message.

Si cette formalité n'a pas été respectée, SixApart ne pouvait voir sa responsabilité engagée du fait de cette note, car elle n'était pas censée avoir connaissance de son caractère éventuellement illicite.

Reste une question cruciale : l'usage de la marque SNCF et du logo était-il ou non illicite ?

Voilà le problème. C'est difficile à dire. La loi, prise au pied de la lettre, le prohibe. Mais la jurisprudence récente tend à admettre, au nom du principe constitutionnel de la liberté d'expression, des usages non autorisés par le propriétaire de la marque et parfois critiques, s'ils sont mus par un motif légitime. Ce qui s'apprécie au cas par cas.

Ainsi, Greenpeace a obtenu gain de cause pour un détournement de la marque ESSO écrite «E$$O», afin de dénoncer les atteintes à l'environnement attribuées à cet industriel ; le site jeboycottedanone a également gagné le procès en contrefaçon de marque intenté par Danone, mais dans cette affaire, le boycott n'était pas dû à un dénigrement des produits alimentaires de la marque (qui aurait été illicite), le site proclamant au contraire son amour des produits Danone, mais à une critique de la politique sociale de la société en question, qui était en plein plan social[2]. Mais ces décisions restent isolées, et a contrario, en 1995, la cour de cassation a approuvé la condamnation d'une campagne anti-tabac reprenant sur ses affiches des marques de cigarette, car selon la cour, « si [les associations se proposant de diffuser les affiches litigieuses] n'exercent pas une activité commerciale concurrente de celles des sociétés titulaires des marques en cause, elles poursuivent un objet social tendant à freiner la vente de leurs produits qui dès lors ne peut s'exercer que dans le cadre des dispositions légales régissant l'activité économique ».

Ici, le blog Train-Train n'appelle certes pas à boycotter la SNCF, mais critique la qualité de ses services en des termes parfois très durs. La critique de la SNCF est tout à fait licite, mais utiliser le logo de la SNCF que celle ci a payé fort cher afin de proclamer qu'elle assure un service de mauvaise qualité, en l'occurrence ne respecte pas une obligation essentielle du contrat de transport, l'est-il ? Pas sûr.

Voilà le dilemme de SixApart, qui, comme dit son représentant, "n'est pas un juge".

Pour autant, sa position actuelle, indiquant une remise en ligne faute de décision judiciaire, est-elle la bonne ?

Je crains que non.

Ce que fait SixApart, c'est se référer au droit en vigueur AVANT la LCEN, qui exigeait pour toute mise hors ligne une décision judiciaire. Cet état du droit avait des avantages (la nécessité de saisir la justice est, hélas à mon avis, un frein pour beaucoup) et des inconvénients : la décision de justice nécessitait la mise en cause de l'hébergeur, et cela avait un coût pour lui, Ouvaton l'a appris à ses dépens en son temps. Toujours est-il qu'il n'est plus, la LCEN permettant de s'adresser directement à l'hébergeur.

Car la décision de justice que demande SixApart, outre qu'elle n'a aucune base légale, suppose que SixApart soit assignée en justice.

Alors, doit elle remettre le billet en ligne ?

Las, elle ne le peut plus. N'oubliez pas que sa responsabilité n'est en cause que s'il est démontré qu'elle a eu connaissance du caractère illicite du billet. La notification de l'article 6 n'est pas une formalité ad validitatem mais ad probationem : elle n'est pas exigée à peine de nullité, mais constitue simplement une preuve. Or le retrait de la note par SixApart établit que cette société a connaissance du caractère illicite de cette note : elle l'a admis elle même. Peu importe la controverse sur la jurisprudence admettant un tel usage de temps en temps, le CPI est clair sur la protection de la marque, et SixApart n'est pas juge, elle le dit elle-même.

En conclusion, je ne suis pas d'accord avec ceux qui voient dans cette affaire l'illustration de l'inadéquation de la LCEN. Dans cette affaire personne n'a respecté la LCEN. D'où l'embrouillamini actuel. SixApart engagerait sa responsabilité à remettre le billet en ligne. La SNCF a commis une bévue en termes de communication. Xmo ne s'en sort pas trop mal, pour le moment : il bénéficie d'un excellent buzz pour son blog.

L'arroseur arrosé, en somme.

Notes

[1] Comprendre que la notification doit être datée.

[2] Je me demande encore comment, en diminuant les ventes de Danone, on allait convaincre cette société de ne plus licencier, mais je suis nul en économie...

dimanche 25 mars 2007

Joyeux anniversaire

C'est aujourd'hui.

C'était il y a cinquante ans.

Photo Commission Européenne.

25 mars 1957, signature du Traité de Rome. De gauche à droite : Paul-Henri Spaak, ministre belge des Affaires étrangères; Jean-Charles Snoy et d'Oppuers, chef de la délégation belge à la Conférence intergouvernementale; Christian Pineau, ministre français des Affaires étrangères; Maurice Faure, secrétaire d'Etat français aux Affaires étrangères; Konrad Adenauer, chancelier fédéral allemand; Walter Hallstein, secrétaire d'Etat au ministère fédérral allemand des Affaires étrangères; Antonio Segni, président du Conseil des ministres italien; Gaetano Martino, ministre italien des Affaires étrangères; Joseph Bech, président du gouvernement luxembourgeois et ministre des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Viticulture; Joseph Luns, ministre néerlandais des Affaires étrangères; Johannes Linthorst Homan, chef de la délégation néerlandaise à la Conférence intergouvernementale.

Tillykke med fodselsdagen ! Drents Fellisiteert! Happy Birthday! Hyvaa syntymapaivaa! Joyeux anniversaire ! Alles Gute zum Geburtstag! Buon Compleanno! Feliz Aniversario! Χρόνια πολλά ! Feliz cumpleaños ! Grattis pa fodelsedagen! Wszystkiego najlepszego! Daudz laimes dzimsanas diena! Sveikinu su gimtadieniu! Palju onne sunnipaevaks! Vsechno nejlepsi k Tvym narozeninam ! Vsetko najlepsie k narodeninam! Boldog szuletesnapot! Vse najboljse za rojstni dan! Nifrahlek ghal gheluq snienek! La Multi Ani! Честит рожден ден !

Et puis, il n'y a pas de raison, il procède de la même démarche : Felichan Naskightagon!

BBC Philarmonic Orchestra, direction : Gianandrea Noseda.

vendredi 23 mars 2007

Le prophète, oui, les policiers, non ? (Ou : l'affaire Placid)

Au lendemain de la relaxe de Charlie Hebdo dans l'affaire des caricatures, je voudrais aborder une autre affaire qui circule sur internet, et que plusieurs lecteurs m'ont signalée : l'affaire Placid, ou de la caricature porcine de la police.

Le 18 janvier dernier, la 11e chambre de la cour d'appel de Paris (celle-là même qui examinera un éventuel appel dans l'affaire Charlie Hebdo) a condamné l'auteur, l'éditeur et l'illustrateur d'un livre, à des peines d'amendes pour diffamation envers une administration publique, en l'espèce notre police nationale bien-aimée, au comportement toujours irréprochable.

C'est du dessinateur, Placid, que l'on parle surtout, puisqu'il a été également condamné pour la couverture de cet ouvrage, qui pourtant semble d'un premier abord verser dans l'art de la caricature pour qui la justice a d'habitude les yeux de Chimène, et dont la condamnation entraîne une chaîne de solidarité chez de nombreux dessinateurs.

Quelques explications s'imposent sur cette affaire, dont vous vous ferez ainsi votre opinion de manière éclairée.

Clément S., magistrat (quel joli prénom pour un magistrat...), membre du syndicat de la magistrature, plutôt marqué à gauche, a écrit un livre se voulant un guide du citoyen face à un contrôle d'identité. Cédant sans doute à certaines sirènes de la mercatique, le livre adopte un ton provocateur, puisqu'il est intitulé "VOS PAPIERS !", sous titré : "Que faire face à la police ?". Le dessin de couverture est dans cet esprit, puisqu'il représente un policier guère sympathique. Enfin, à l'intérieur, l'auteur impute expressément à la police dans son ensemble et de manière systématique la pratique de contrôles "au faciès", pratique au demeurant totalement illégale.

Le ministère public, saisi d'une plainte déposé par le ministre de l'intérieur, engage des poursuites contre l'éditeur, ès qualité de directeur de la publication, et l'auteur, en tant que complice de diffamation pour l'imputation des contrôles au faciès.

Je précise d'emblée que les faits remontant à 2001, c'est Daniel Vaillant, ministre socialiste, qui a déposé plainte, pas le futur ex ministre futur président (ou pas)[1].

Le ministère public poursuit également l'éditeur, toujours ès qualité de directeur de la publication, et le dessinateur en tant que complice, pour injure envers une administration publique pour le dessin de couverture.

Voici le corps du délit (notez la bave aux lèvres, elle jouera son rôle) :

En 2005, la 17e chambre du tribunal de Paris relaxe tout le monde en retenant la bonne foi pour la diffamation, et, pour l'injure, avait estimé que ce dessin, certes peu sympathique envers la police,

donnant à un représentant de la loi un visage à la frontière de l'homme et de l'animal, dénué de toute prétention au réalisme anatomique, mais suggérant une certaine faiblesse intellectuelle derrière l'affirmation agressive d'une autorité sure d'elle-même, relève du genre de la caricature. Il illustre la couverture d'un ouvrage militant qui entend dénoncer les conditions dans lesquelles les forces de l'ordre procéderaient, contre l'esprit de la loi, à des contrôles d'identité abusifs. Il participe donc, non pas de la stigmatisation de l'administration elle-même, mais des pratiques imputées à ses membres, ou à certains d'entre eux, par la caricature d'un fonctionnaire de police représenté non pas en tant que tel, mais en tant qu'il fait usage sans discernement ni humanité, des prérogatives que lui donne la loi en matière de contrôles d'identité. stigmatisait . Le parquet fait appel. Le 18 janvier, l'arrêt est rendu et, infirmant le jugement, condamne tout le monde.

Le dessin ne portaient donc, selon le tribunal, pas atteinte à la dignité des policiers et ne révélaient aucune intention de nuire.

Le parquet a fait appel, et le 18 janvier dernier, la cour d'appel de Paris a infirmé ce jugement et au contraire condamné les prévenus.

Et voici le résumé de la décision en question. Les gras sont de moi.

Sur la diffamation :

Les prévenus, respectivement directeur de publication et magistrat, sont poursuivis pour diffamation publique et complicité de diffamation publique envers une administration publique à la suite de la publication d'un livre, écrit par le magistrat, sous l'égide d'un syndicat de magistrats, relatif aux pratiques des contrôles d'identité effectués par la police. Les propos poursuivis imputent à l'ensemble des services de police des pratiques arbitraires et discriminatoires par la mise en oeuvre de contrôles d'identité "au faciès", c'est-à-dire fondés sur l'origine ethnique supposée des personnes contrôlées. Imputer à la police, non pas des dysfonctionnements ponctuels, mais la commission délibérée et à grande échelle d'infractions pénales de discrimination porte atteinte à l'honneur et à la considération de la police nationale. Les propos sont donc diffamatoires.

Voilà ce qui est reproché à l'auteur : avoir imputé ces pratiques, clairement illégales puisque discriminatoires, à l'ensemble de la police. La cour ne nie pas que de tels contrôles existent. Ce serait absurde. Mais dire que certains policiers font de tels contrôles n'a rien de répréhensible. D'ailleurs, démonstration : je l'affirme ici. Voyez si je vais être poursuivi. Mais les propos de l'auteur ne visait pas une catégorie restreinte de policiers, mais la police dans son ensemble. Dès lors, c'est la police qui était diffamée.

Mes lecteurs qui ont lu mon commentaire du jugement dans l'affaire Monputeaux savent que celui qui tient des propos diffamatoires, comme l'étaient ceux du blogueur prévenu dans ladite affaire, peut échapper à toute condamnation s'il démontre qu'il a agi de bonne foi. C'est précisément ce qu'ont tenté de faire l'auteur et l'éditeur, en vain.

Les prévenus ne peuvent bénéficier de la bonne foi. Le but de l'ouvrage apparaît légitime puisqu'il consiste à informer les lecteurs de l'état de la législation sur les contrôles d'identité et de leurs droits. Il n'existe pas d'animosité personnelle du rédacteur du livre envers la police nationale. En revanche, le fondement sérieux de l'allégation n'est pas établi. S'il existe un débat sur la pratique des contrôles d'identité, il n'est pas démontré qu'il existerait des pratiques illégales de grande ampleur de la police en la matière. L'ouvrage qui se présente comme un guide juridique, exigeait un effort particulier de rigueur. Le propos réducteur est d'autant moins légitime que l'auteur du livre est un magistrat judiciaire qui connaît la réalité des compétences des services de police. De plus, le livre a été publié au nom d'un syndicat de magistrats, et cette référence accréditait l'exactitude des propos y figurant. Enfin, l'auteur n'a pas fait preuve de prudence dans l'expression en affirmant sans réserve et de manière péremptoire l'existence d'une pratique reprochée à l'ensemble de la police nationale. L'usage d'un ton polémique est en totale contradiction avec le but affiché de l'ouvrage.

Les prévenus sont donc condamnés. Notez au passage que la qualité de magistrat (du parquet, à l'époque de la publication...) de l'auteur de l'ouvrage est retenu à charge contre le prévenu, pour écarter la bonne foi. Voilà pour les rumeurs de corporatisme judiciaire (bon, il y en aura toujours pour dire que les magistrats de la cour étaient à l'Union Syndicale des Magistrats...).

Maintenant, sur le dessin. Les prévenus sont cette fois l'éditeur et le dessinateur.

Un dessin, qui figurait en première et dernière page de couverture du livre, représente un policier affligé d'un groin et coiffé d'une casquette de gardien de la paix, prononçant les mots "vos papiers". Le dessin comporte la légende "Que faire face à la police ?". Ce dessin constitue une caricature et le genre de la caricature n'autorise pas les représentations dégradantes.

Le policier est représenté comme un être à la limite entre l'homme et l'animal par sa figure porcine, ayant la bave aux lèvres, montrant les dents et ayant les yeux exorbités. Le personnage exprime ainsi l'agressivité voire la haine et la représentation du policier est dégradante. La volonté délibérée de donner une image humiliante et terrifiante de la police est donc établie et le dessin vise l'institution de la police nationale dans son ensemble. Il était totalement dépourvu de légitimité dès lors qu'il se trouve en contradiction avec le style du livre, qui est dépourvu de vocation humoristique ou pamphlétaire. En outre, ce livre a été publié sous l'égide d'un syndicat de magistrats, qui n'ignorait pas le caractère extrêmement provocateur du dessin. Ce syndicat aurait dû faire preuve d'une plus grande retenue dans l'illustration du sujet traité et dans la représentation de la police. Le dessinateur avait reçu du syndicat la commande du dessin et il savait que celui-ci servirait à illustrer l'ouvrage en question. Les faits ont donc été commis en connaissance de cause. Les délits (injure et complicité d'injure) sont ainsi caractérisés.

L'éditeur est condamné pour les deux délits à une amende de 800 euros ; l'auteur à une amende de 1000 euros (outre le fait qu'il peut faire l'objet d'une procédure disciplinaire) et le dessinateur à une amende de 500 euros.

L'auteur a formé un pourvoi en cassation, l'éditeur, je ne sais pas, le dessinateur, je sais que non.

Evidemment, le mot "censure" est abondamment invoqué dans cette affaire. A tort. Le retrait du livre n'a pas été ordonné (mais en cas de réédition en l'état, les délits seraient à nouveau commis). Les deux décisions, même celle condamnant, reconnaissent implicitement la réalité du comportement dénoncé et estiment légitime la démarche de l'auteur. C'est l'analyse du texte et du dessin qui diverge.

On peut regretter cette décision de la cour d'appel ; j'avoue en être, aimant la liberté d'expression jusque dans ses excès. Mais je ne dis pas le droit, j'en propose juste une interprétation plus ou moins imaginative selon la détresse de mon client.

S'en indigner est en revanche injustifié. La même dénonciation et la même information auraient pu être données avec un ton plus modéré, sans perdre de leur pertinence, au contraire même. Gardons nous en tout cas d'invoquer des mots trop forts, il n'y en a eu que trop dans cette affaire. Dans les pays où la censure existe vraiment, dénoncer publiquement les méfaits de la police fait encourir bien pire que mille euros d'amende.

POUR EN SAVOIR PLUS :
- Le Syndicat de la magistrature propose les copies intégrales de ces décisions sur cette page (ce sont les PDF à la fin du communiqué).

-Le dessinateur a écrit cette lettre ouverte où il exprime son désarroi.

Notes

[1] Quelque chose me dit que ma formule est un peu confuse...

jeudi 22 mars 2007

Le jugement de l'affaire Charlie Hebdo

Tout beau, tout chaud, voici le texte quasi intégral du jugement rendu ce jour par la 17e chambre.

LE RAPPEL DES FAITS

Le 30 septembre 2005, le quotidien danois JYLLANDS-POSTEN a publié un article intitulé “Les visages de Mahomet “, accompagné de douze dessins.

Flemming ROSE, responsable des pages culturelles de ce journal, a expliqué avoir souhaité opposer une réaction éditoriale à ce qui lui était apparu relever d’une autocensure concernant l’islam à la suite de l’assassinat du cinéaste Théo VAN GOGH ; il a plus spécialement évoqué la difficulté pour l’écrivain danois Käre BLUITGEN de trouver un dessinateur acceptant d’illustrer un livre pour enfants consacré à la vie du prophète MAHOMET - un seul ayant consenti à le faire mais en conservant l’anonymat ; ce qui l’a conduit à s’adresser aux membres du syndicat danois des dessinateurs de presse en les invitant à dessiner MAHOMET tel qu’ils se le représentaient.

À la suite de cette diffusion initiale, plusieurs manifestations et autres publications ont eu lieu dans le monde. Ainsi, une première manifestation de protestation a rassemblé 3 000 personnes au Danemark le 14octobre 2005 ; un journal égyptien a ensuite publié certains de ces dessins sans réaction des autorités de ce pays. A la fin de l’année 2005 et au début de l’année 2006, des organisations islamiques ont dénoncé la diffusion des caricatures du prophète MAHOMET et de nombreuses manifestations violentes se sont déroulées, notamment au Pakistan, en Iran, en Indonésie, en Libye ou au Nigéria, au cours desquelles des manifestants ont brûlé le drapeau danois ou s’en sont pris aux représentations diplomatiques, certains d’entre eux ayant trouvé la mort à l’occasion de ces rassemblements de rues.

Il convient de relever, à cet égard, que plusieurs personnes ont mis en doute la spontanéité de certaines de ces manifestations, en faisant notamment valoir que des “imams autoproclamés” avaient délibérément ajouté aux douze dessins d’origine des représentations outrageantes du prophète, versées aux débats par la défense, qui le montraient avec une tête de cochon ou comme un pédophile.

Le 1er février 2006, le quotidien FRANCE SOIR a publié à son tour les caricatures danoises, ce qui a entraîné le licenciement de son directeur de la publication, Jacques LEFRANC.

Par assignations en référé à heure indiquée en date du 7 février 2006, cinq associations, dont les deux parties civiles à présent poursuivantes, ont notamment demandé au président du tribunal de grande instance de Paris de faire interdiction à la société éditrice de CHARLIE HEBDO de mettre en vente l’hebdomadaire dont la parution était prévue pour le lendemain. Par ordonnance du 7 février 2006, ces assignations ont été déclarées nulles pour violation des prescriptions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 invoqué tant en défense que par le ministère public.

C’est dans ces circonstances que le mercredi 8 février 2006, le journal CHARLIE HEBDO a publié un “NUMERO SPECIAL” (n° 712) presqu’intégralement consacré aux “caricatures de MAHOMET A la une de ce numéro, sous le titre: “MAHOMET DEBORDE PAR LES INTEGRISTES”, figure un dessin de CABU montrant un homme barbu se tenant la tête dans les mains en disant: “C'est dur d’être aimé par des cons... ".

En pages 2 et 3 de cette publication, les douze caricatures parues au Danemark, de styles et de portées extrêmement différents, sont reproduites en petit format en haut et en bas d’un encadré, avec pour titre : "CACHEZ CES DESSINS QUE JE NE SAURAIS VOIR", sous lequel figurent, d’une part, un texte émanant de L’ASSOCIATION DU MANIFESTE DES LIBERTES (AML) intitulé “Pour la liberté d’expression ! ” et, d’autre part, un dessin de WOLINSKI qui présente un homme barbu hilare ayant en mains un document titré “CARICATURES”, avec cette légende : “Mahomet nous déclare c'est bien la premièrefois que les Danois me font rire !” . A droite, sur deux colonnes, “L'EDITO par Philippe Val intitulé : "Petit glossaire d’une semaine caricaturale", rassemble les réflexions du directeur de la publication de l’hebdomadaire sous diverses rubriques : Prophète Mahomet, Le droit à la représentation, Rappel historique, Troisième Guerre mondiale, La bombe dans le turban, Liberté d’expression, Amalgame, Tabou, Racisme, Victimes, Immobilité.

Les pages suivantes présentent, sur le même thème central, de nombreux autres dessins (notamment de TIGNOUS, CHARB, RISS, HONORE, LUZ, WOLINSKI, SINE) et articles (intitulés par exemple "2005, bon cru pour le blasphème", "Des points communs entre une pipe et un prophète", "Chasse Dieu à coups de pied, il revient enturbanné ", "Spinoza, reviens ! ").

Ainsi, en page 4 du journal, un article de Caroline FOUREST, sous le titre « TOUT CE FOIN POUR DOUZE DESSINS ! », est annoncé de la manière suivante : « Les journaux qui ont 'osé' publier les caricatures de Mahomet se voient menacés de représailles, tout comme les Etats ou leurs ressortissants considérés comme complices du blasphème. Face à cette déferlante de violence, Charlie tente d’analyser la polémique et ses conséquences. Histoire de montrer que la liberté d’expression doit être plus forte que l’intimidation ».

La journaliste y explique pourquoi, selon elle, Charlie, « comme d'autresjournaux français et européens, a décidé de publier ces dessins. Par solidarité. Pour montrer que l'Europe n'est pas un espace où le respect des religions prime sur la liberté d’expression. Parce que la provocation et l’irrévérence sont des armes pour faire reculer l'intimidation de l'esprit critique dont se nourrit l'obscurantisme ».

En France, plusieurs autres organes de la presse écrite ou audiovisuelle ont diffusé les dessins danois, dont le magazine L’EXPRESS.

Au Danemark, le procureur de VIBORG a pris la décision, confirmée par le procureur général, de ne pas engager de poursuites pénales à l’encontre du quotidien JYLLANDS-POSTEN. Sept associations locales ont alors saisi le tribunal d’AARHUS qui, le 26 octobre 2006, a rejeté les demandes formées à l’encontre de Carsten JUSTE, rédacteur en chef, et Flemining ROSE, responsable des pages culturelles du journal, en relevant notamment que si on ne pouvait « évidemment pas exclure » que trois des dessins - dont un est poursuivi dans le cadre de la présente procédure « aient été perçus comme calomnieux par certains musulmans », il n’était pas établi que « l'intention ayant conduit à leur publication ait été d’offenser les lecteurs ou d’exprimer des opinions de nature à discréditer (...) les musulmans aux yeux de leurs concitoyens ».

SUR CE, LE TRIBUNAL:

SUR LA PROCÉDURE: (...)

Mes lecteurs me pardonneront de sauter ce passage, qui répond à des moyens peu pertinents sur le déroulement de la procédure, qui seront tous écartés par le tribunal.

SUR L’ACTION PUBLIQUE:

Les parties civiles soutiennent principalement que malgré les nombreuses caricatures qui, selon elles, heurtent délibérément les musulmans dans leur foi, elles limitent les poursuites à trois d’entre elles, à savoir à celle de CABU publiée en couverture de l’hebdomadaire CHARLIE HEBDO et à deux des dessins danois reproduits en page 3. Ces trois dessins caractériseraient le délit d’injures publiques à l’égard d’un groupe de personnes, en l’occurrence les musulmans, à raison de leur religion, dès lors que la publication litigieuse s’inscrirait dans un plan mûrement réfléchi de provocation visant à heurter la communauté musulmane dans ses croyances les plus profondes, pour des raisons tenant à la fois à une islamophobie caractérisée et à des considérations purement commerciales.

Le prévenu fait, pour sa part, essentiellement valoir que l’illustration de couverture, propre à la tradition satirique du journal, ne vise que les intégristes musulmans, tandis que les deux autres caricatures, initialement publiées au Danemark, se sont trouvées au centre de l’actualité mondiale durant plusieurs semaines et ne visent qu’à dénoncer les mouvements terroristes commettant des attentats au nom du prophète MAHOMET et de l’islam, et non la communauté musulmane dans son ensemble. Philippe VAL soutient en outre qu’un nombre considérable de musulmans a défendu avec force la publication de ces caricatures, protestant contre l’instrumentalisation politique de ceux qui prétendaient parler en leur nom et réduire au silence tous ceux qui étaient davantage attachés à la liberté d’expression et à la laïcité qu’à un dogmatisme étroit.

- En droit:

Le tribunal va indiquer les règles de droit qui s'appliquent en l'espèce, et comment il les interprète.

Attendu que les présentes poursuites pénales sont fondées sur l’article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 qui définit l’injure comme “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’ aucun fait”, et sur l’article 33, alinéa 3, de la même loi qui punit « de six mois d’emprisonnement et de 22 500 € d’amende l’injure commise (...) envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » ;

Qu’il convient de rappeler que les dessins sont visés par l’article 23 de la loi sur la liberté de la presse, au même titre que tous les supports de l’écrit, de la parole ou de l’image, et que l’intention de nuire est présumée en matière d’injures ;

Attendu que les règles servant de fondement aux présentes poursuites doivent être appliquées à la lumière du principe à valeur constitutionnelle et conventionnelle de la liberté, d’expression ;

Attendu que celle-ci vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes dans une société déterminée, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent, ainsi que l’exigent les principes de pluralisme et de tolérance qui s’imposent particulièrement à une époque caractérisée par la coexistence de nombreuses croyances et confessions au sein de la nation ;

Attendu que l’exercice de cette liberté fondamentale comporte, aux termes mêmes de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des devoirs et des responsabilités et peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique et qui doivent être proportionnées au but légitime poursuivi; que le droit à une jouissance paisible de la liberté de religion fait également l’objet d’une consécration par les textes supranationaux ;

Attendu qu’en France, société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions quelles qu’elles soient et avec celle de représenter des sujets ou objets de vénération religieuse ; que le blasphème qui outrage la divinité ou la religion, n’y est pas réprimé à la différence de l’injure, dès lors qu’elle constitue une attaque personnelle et directe dirigée contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse ;

Attendu qu’il résulte de ces considérations que des restrictions peuvent être apportées à la liberté d’expression si celle-ci se manifeste de façon gratuitement offensante pour autrui, sans contribuer à une quelconque forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain ;

J'aime beaucoup l'expression "favoriser le progrès dans les affaires du genre humain".

Les règles du jeu sont ainsi posées. Maintenant, le tribunal va les appliquer au cas qui lui est soumis.

- En fait:

Attendu qu'eu égard au droit applicable, il y a lieu d’examiner, pour chacun des trois dessins poursuivis, s’il revêt un caractère injurieux au sens de la loi sur la presse et quelles personnes il vise, puis de déterminer si le prononcé d’une sanction constituerait une restriction excessive à la liberté d’expression ou au contraire serait proportionné à un besoin social impérieux ; qu’il importe, pour ce faire, d’analyser tant les dessins eux-mêmes que le contexte dans lequel ils ont été publiés par le journal ;

Attendu que CHARLIE HEBDO est un journal satirique, contenant de nombreuses caricatures, que nul n’est obligé d’acheter ou de lire, à la différence d’autres supports tels que des affiches exposées sur la voie publique;

Attendu que toute caricature s’analyse en un portrait qui s’affranchit du bon goût pour remplir une fonction parodique, que ce soit sur le mode burlesque ou grotesque ; que l’exagération fonctionne alors à la manière du mot d’esprit qui permet de contourner la censure, d’utiliser l’ironie comme instrument de critique sociale et politique, en faisant appel au jugement et au débat ;

Attendu que le genre littéraire de la caricature, bien que délibérément provocant, participe à ce titre de là liberté d’expression et de communication des pensées et des opinions ; que, du fait de l’excès même de son contenu volontairement irrévérencieux, il doit être tenu compte de l’exagération et de la subjectivité inhérentes à ce mode d’expression pour analyser le sens et la portée des dessins litigieux, le droit à la critique et à l’humour n’étant cependant pas dépourvu de limites ;

Le tribunal examine ensuite chacune des trois caricatures.

Attendu que la première caricature publiée en couverture du journal est un dessin de CABU montrant un homme barbu, qui représente à l’évidence le prophète MAHOMET, se tenant la tête dans les mains, en disant “C’est dur d’être aimé par des cons...” ;

Attendu cependant que ce dernier terme, s’il constitue bien une expression outrageante, ne vise que, les “intégristes” expressément désignés dans le titre :

“MAHOMET DEBORDE PAR LES INTEGRISTES” ;

Attendu que c’est à tort que les parties civiles poursuivantes prétendent que ce dernier mot ferait seulement référence à un degré plus ou moins élevé de respect des dogmes, renvoyant à l’obscurantisme supposé des nombreux musulmans blessés par la publication renouvelée des caricatures danoises ; qu’en effet, les intégristes ne peuvent se confondre avec l’ensemble des musulmans, la Une de l’hebdomadaire ne se comprenant que si ce terme désigne les plus fondamentalistes d'entre eux qui, par leur extrémisme, amènent le prophète au désespoir en constatant le dévoiement de son message ;

Attendu que ce dessin ne saurait, dans ces conditions, être considéré comme répréhensible au regard de la prévention ;

Prévenu : 1 ; Parties civiles : 0.

Attendu que les deux autres caricatures poursuivies font partie de celles initialement, publiées par le journal danois JYLLANDS-POSTEN et reproduites en pages 2 et 3 de CHARLIE HEBDO ;

Que l’une est censée représenter le prophète MAHOMET accueillant des terroristes sur un nuage et s’exprimant dans les termes suivants : « Stop stop we ran out of virgins! », ce qui, d’après les parties civiles, peut être traduit par: « Arrêtez, arrêtez, nous n'avons plus de vierges » et se réfère au Coran selon lequel celui qui accomplit certains actes de foi sera promis, au paradis, à la compagnie de jeunes femmes vierges ;

Attendu que ce dessin évoque clairement les attentats-suicides perpétrés par certains musulmans et montre le prophète leur demandant d’y mettre fin ; que, néanmoins, il n’assimile pas islam et commission d’actes de terrorisme et ne vise donc pas davantage que le précédent l’ensemble des musulmans en raison de leur religion ;

Prévenu : 2 ; Parties civiles : 0.

Attendu que le dernier dessin incriminé montre le visage d’un homme barbu, à l’air sévère, coiffé d'un turban en forme de de bombe à la mèche allumée, sur lequel est inscrite en arabe la profession de foi de l’islam : « Allah est grand, Mahomet est son prophète » ; qu’il apparaît d’une facture très différente et beaucoup plus sombre que les onze autres caricatures danoises, elles-mêmes pourtant très diversifiées tant dans leur style qu’en ce qui concerne le sujet précisément traité ; qu’il ne porte nullement à rire ou à sourire mais inspire plutôt l’inquiétude et la peur ;

Attendu que, dans l’éditorial jouxtant ce dessin, Philippe VAL a notamment écrit :

« Quant au dessin représentant Mahomet avec une bombe dans le turban, il est suffisamment faible pour être interprété n'importe comment par n'importe qui, et le crime est dans l’oeil de celui qui regarde le dessin. Ce qu'il représente, ce n'est pas l’islam, mais la vision de l’islam et du prophète que s'en font les groupes terroristes musulmans » ;

Que le prévenu a maintenu à l’audience que ce dessin n’était, à ses yeux, que la dénonciation de la récupération de l’islam par des terroristes et qu’il ne se moquait que des extrémistes ;

Attendu que cette interprétation réductrice ne saurait être retenue en l’espèce ;

Attendu qu’en effet, dans son article publié en page 4 du même numéro de CHARLIE HEBDO, Caroline FOUREST admet volontiers que, parmi les dessinateurs danois, « ""un seul fait le lien entre le terrorisme et Mahomet, dont se revendiquent bel et bien des poseurs de bombes..."" » et que « ""ce dessin-là soulève particulièrement l’émoi"" »;

Attendu que l’un des témoins de la défense entendus par le tribunal, Abdelwabab MEDDEB, écrivain et universitaire, a insisté sur le caractère problématique de cette caricature en lien avec une longue tradition islamophobe montrant le prophète "belliqueux et concupiscent" ; qu’il a en outre déclaré que ce dessin pouvait être outrageant et constituer une manifestation d’islamophobie, dès lors que son interprétation est univoque en ce qu’il réduit un personnage multidimensionnel à un seul aspect ;

Qu’un autre témoin, Antoine SFEIR, politologue et rédacteur en chef des Cahiers de l’Orient, s’est dit ému à la vision de ce dessin, comprenant que l’on puisse en être choqué ;

Voilà l'explication tant attendue par des commentateurs sur pourquoi ce dessin est quant à lui susceptible de constituer une injure.

Attendu que la représentation d’une bombe formant le turban même du prophète symbolise manifestement la violence terroriste dans nos sociétés contemporaines; que l’inscription de la profession de foi musulmane sur la bombe, dont la mèche est allumée et prête à exploser, laisse clairement entendre que cette violence terroriste serait inhérente à la religion musulmane ;

But des parties civiles.

Ha, mais le juge de touche a levé son drapeau ?

Attendu que si, que par sa portée, ce dessin apparaît, en soi et pris isolément, de nature à outrager l’ensemble des adeptes de cette foi et à les atteindre dans leur considération en raison de leur obédience, en ce qu’il les assimile - sans distinction ni nuance - à des fidèles d’un enseignement de la teneur, il ne saurait être apprécié, au regard de la loi pénale, indépendamment du contexte de sa publication ;

Qu’il convient, en effet, de le considérer dans ce cadre factuel, en tenant compte des manifestations violentes et de la polémique suscitées à l’époque, mais aussi de sa place dans le journal ;

Ha, on demande l'arbitrage vidéo.

Attendu que, relativement à la publication des caricatures de Mahomet, CHARLIE HEBDO ne s’est pas prévalu d’un objectif d’information du public sur un sujet d’actualité, mais a clairement revendiqué un acte de résistance à l’intimidation et de solidarité envers les journalistes menacés ou sanctionnés, en prônant « la provocation et l'irrévérence » et en se proposant ainsi de tester les limites de la liberte d’expression, que cette situation rend CHARLIE HEBDO peu suspect d' avoir, comme le prétendent les parties civiles, été déterminé à publier ces caricatures dans une perspective mercantile au motif qu’il s’agissait d’un numéro spécial ayant fait l’objet d’un tirage plus important et d’une durée de publication plus longue qu’à l’ordinaire ;

Attendu que la représentation du prophète avec un turban en forme de bombe à la mèche allumée a été reproduite en très petit format parmi les onze autres caricatures danoises, au sein d’une double page où figuraient également, outre l’éditorial de Philippe VAL, un texte en faveur de la liberté d’expression adressé à CHARLIE HEBDO par l’ASSOCIATION DU MANIFESTE DES LIBERTES (AML) rassemblant « des hommes et des femmes de culture musulmane qui portent des valeurs de laïcité et de partage », ainsi qu’un dessin de WOLINSKI montrant MAHOMET hilare à la vue des caricatures danoises ;

Attendu, surtout, que le dessin en cause, qui n’est que la reproduction d’une caricature publiée par un journal danois, est inclus dans un numéro spécial dont la couverture éditorialise l’ensemble du contenu et sert de présentation générale a la position de CHARLIE HEBDO, qu’en une telle occurrence il ne peut qu’être regardé comme participant à la réflexion dans le cadre d’un débat d'idées sur les dérives de certains tenants d’un islam intégriste ayant donne lieu a des débordements violents ;

Attendu qu’ainsi, en dépit du caractère choquant, voire blessant, de cette caricature pour la sensibilité des musulmans, le contexte et les circonstances de sa publication dans le journal CHARLIE HEBDO apparaissent exclusifs de toute volonté délibérée d’offenser directement et gratuitement l’ensemble des musulmans, que les limites admissibles de la liberté d’expression n’ont donc pas été dépassées, le dessin litigieux participant du débat public d'intérêt général né au sujet des dérives des musulmans qui commettent des agissements criminels en se revendiquant de cette religion et en prétendant qu’elle pourrait régir la sphère politique ;

Que le dernier dessin critiqué ne constitue dès lors pas une injure justifiant, dans une société démocratique une limitation du libre exercice du droit d'expression ;

Et le but est finalement refusé pour hors jeu.

La conclusion est donc la relaxe, et le débouté des parties civiles de l'ensemble de leurs demandes.

Parties civiles dont voici la liste exacte, hormis le nom des particuliers :

Association DÉFENSE DES CITOYENS ;
SOCIÉTÉ DES HABOUS ET DES LIEUX SAINTS DE L’ISLAM (la Mosquée de Paris) ;
UNION DES ORGANISATIONS ISLAMIQUES DE FRANCE (UOIF) ;
LA LIGUE ISLAMIQUE MONDIALE ;
ASSOCIATION PROMOTION SÉCURITÉ NATIONALE (APSN) ;
Association Politique HALTE A LA CENSURE, LA CORRUPTION, LE DESPOTISME, L’ARBITRAIRE.

Vous noterez parfois un curieux décalage entre l'intitulé de l'organisation et le sens de la démarche.

L'audience est levée.

Impressions d'audiences par Petite Anglaise

Petite Anglaise raconte sur son blog ses impressions après l'audience d'hier. C'est en anglais, bien sûr. Extrait :

Comment me suis-je sentie après l'audience ? Frustrée.

Parce qu'après toute cette attente[1], quand est venu le moment, on a demandé à nos avocats d'être brefs. Ca s'est fini en un clin d'oeil. Je n'ai pas pris la parole, sauf pour confirmer quelques détails mineurs. On parlait en mon nom, on me critiquait, mais je ne pouvais guère faire plus que tiquer ou grimacer quand je n'étais pas d'accord avec ce qui se disait. Et le plus important, j'ai réalisé que cette affaire est basée sur des mots, pas des actes. Mes mots. Les mots des commentateurs.

Et comment on pouvait les déformer.

Personne ne dit que je faisais du mauvais travail. Personne ne dit que j'étais coupable d'absentéisme, ni ne faisait rien au travail, ni n'avais fait montre d'un quelconque comportement déloyal au bureau. La qualité de mon travail de secrétaire d'un associé semblait être une considération oiseuse. J'ai été licenciée car quand mon blogue a été découvert (ou plus exactement quand son existence a été révélée à mon patron par quelqu'un qui travaillait avec moi), mon employeur a lu que quelquefois je blogais du travail, quand je n'avais rien de mieux à faire. Qu'un passage sur un rendez vous avec mon amant dans un hôtel impliquait que j'avais pu mentir sur l'endroit où je me trouvais durant deux demi-journées, un an plus tôt. Que tout simplement en blogant sur mon travail (peu important que je l'ai fait rarement, et sans égard pour le fait que je le faisais sous le voile de l'anonymat, j'étais déloyale envers mon employeur et mettait en péril la réputation de l'entreprise.

(…)

Comme c'était prévisible, ce sont les arguments déployés par l'avocat de mon ancien employeur que j'ai trouvés les plus critiquables. De fait, ils n'avaient rien pour soutenir leurs allégations que j'avais nui à la réputation de l'entreprise, ou même seulement dérangé un membre du personnel avant mon licenciement. Les deux ou trois collègues qui ont signé une courte attestation confirmaient simplement qu'ils connaissaient l'existence de mon blogue et qu'ils m'avaient vu le consulter au travail. Alors, en l'absence de faits concrets, mes mots ont été utilisés contre moi. Traduits en français, sortis de leur contexte, quelques lignes d'un billet, d'un commentaire écrit par moi, d'un commentaire écrit par un lecteur. Pas d'explication sur qui a écrit quoi, ou quand. Vous pouvez faire dire à des mots ainsi isolés à peu près ce que vous voulez.

Alors, j'ai dû rester assise là, bouillonnante, pendant qu'on faisait mentir mes propres mots. (…)

(traduction par votre serviteur)

A lire, pour mes lecteurs bilingues.

Notes

[1] L'affaire, appelée à 13 heures, n'a été examinée qu'à 17 heures.

Affaire des caricatures : Charlie Hebdo relaxé

... Ou plus exactement Philippe Val, son directeur de la publication.

D'après Reuters :

Les juges ont estimé que les caricatures relevaient de la liberté d'expression et ne s'en prenaient pas à l'islam mais aux intégristes.

Sur les trois dessins concernés, les juges ont estimé que celui qui représentait Mahomet portant une bombe dans son turban était, "pris isolément, de nature à outrager les adeptes de cette religion (l'islam)", mais qu'il devait être re-situé dans le contexte plus général du magazine qui traitait de l'intégrisme religieux.

En conséquence, même si ce seul dessin est en lui-même "choquant ou blessant pour les Musulmans, il n'y a pas de volonté délibérée de les offenser", a ajouté le tribunal.

L'ensemble du magazine a participé au débat public sur le sujet, concluent les juges.

Dès que j'aurai le texte du jugement, je le publierai en intégralité, avec mes quelques commentaires.

Mise à jour 15h06 : Sur le blogue de Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire au Monde, de larges extraits du jugement (Admirez au passage l'élégance du style de la 17e chambre, ses jugements sont toujours des bijoux de langue française) :

Attendu que Charlie Hebdo est un journal satirique, contenant de nombreuses caricatures que nul n’est obligé d’acheter ou de lire, à la différence d’autres supports tels que des affiches exposées sur la voie publique[1] ;

Attendu que toute caricature s’analyse en un portrait qui s’affranchit du bon goût pour remplir une fonction parodique (…)

Attendu que le genre littéraire de la caricature, bien que délibérément provocant, participe à ce titre à la liberté d’expression et de communication des pensées et des opinions (…)

Le tribunal écarte ensuite deux des trois dessins poursuivis : celui-ci

et celui-là :

comme ne visant manifestement pas les musulmans dans leur ensemble en raison de leur religion.

Par contre, estime le tribunal, celui-ci, le plus célèbre :

laisse clairement entendre que cette violence terroriste serait inhérente à la religion musulmane.

Toutefois,

Attendu que, si par sa portée, ce dessin apparaît en soi et pris isolément, de nature à outrager l’ensemble des adeptes de cette foi et à les atteindre dans leur considération en raison de leur obédience (…) il ne saurait être apprécié au regard de la loi pénale, indépendamment du contexte de sa publication (…)

Attendu que le dessin en cause est inclus dans un numéro spécial dont la couverture "éditorialise" l’ensemble du contenu et sert de présentation générale à la position de Charlie-Hebdo (…)

Attendu qu’ainsi, en dépit du caractère choquant, voire blessant, de cette caricature pour la sensibilité des musulmans, le contexte et les circonstances de sa publication dans le journal Charlie-Hebdo, apparaissent exclusifs de toute volonté délibérée d’offenser directement et gratuitement l’ensemble des musulmans; que les limites admissibles de la liberté d’expression n’ont donc pas été dépassées (…)

L'UOIF a indiqué son intention de faire appel. La Mosquée de Paris ne lui emboîterait pas le pas. Le parquet non plus, ayant requis la relaxe lors de l'audience.

Donc faute d'appel du parquet, Charlie Hebdo ne risque plus d'être pénalement condamné, mais peut seulement être éventuellement condamné à des dommages-intérêts en appel, si la 11e de la cour estimait que l'infraction était en fait constituée.

Ce qui est peu probable.

Avis de Petite Conférence

Désolé pour cette annonce à caractère corporatiste.

Avis aux élèves avocats de Paris : après le succès de la première séance de la Petite Conférence, succès auquel on me prête bien injustement une quelconque part, Madame Aurélie Cerceau vous invite à la 2ème séance, qui se tiendra le 5 avril 2007 à 19 heures 30 dans l’Amphi Rheims de l’EFB.

Son invité sera Monsieur Eric MORAIN, avocat au barreau de Paris et excellent neuvième secrétaire de la promotion 2000.

Les trois sujets sont :

  • Faut-il briser le silence ?
  • Plaider est-il un acte de foi ?
  • Les peuples sans légende sont-ils condamnés à mourir de froid ?

Les élèves avocats qui veulent faire un discours peuvent téléphoner à Aurélie Cerceau au 01.53.43.15.39 .

Ne tergiversez pas trop longtemps : seuls dix candidats sur vingt et un volontaires (du jamais vu de mémoire de Petite Conférence) ont pu présenter leur discours la dernière fois.

Le succès de la Petite Conférence entraîne la réactivation d'une ancienne tradition qui ce me semble avait connu un temps de désuétude, celle de la Nuit de l'Eloquence. Les meilleurs candidats à la Petite Conférence seront invités à la fin de l'année à représenter leur discours en public, les meilleurs se voyant décerner des prix. Si l'envie d'être secrétaire vous taraude, c'est la meilleure préparation que vous puissiez avoir.

La Petite Conférence est naturellement publique, mais il s'agit d'un exercice d'entraînement pour les élèves avocats. La Nuit de l'Eloquence, par contre, ayant opéré une première sélection et ayant un aspect de compétition amicale, peut être une manifestation intéressante. Je vous tiendrai informés.

Pour ceux qui ne savent pas ce que c'est que cette mystérieuse Conférence...

mercredi 21 mars 2007

Petite Anglaise : délibéré au 29 mars 2007

Coup de chapeau aux conseillers prud'hommes qui rendront leur jugement une semaine après l'audience. Quand on connaît leur charge de travail, on admire.

Du coup, j'attendrai d'avoir le jugement pour commenter les arguments des parties et le sens de la décision.

Peau neuve

Ce blogue change d'habits, à titre provisoire.

Ce mois de mars, et tout particulièrement le 25 mars prochain, c'est le 50e anniversaire de la signature du Traité de Rome, qui a donné naissance à la Communauté Economique Européenne, ancêtre de l'Union européenne.

Européen convaincu et enthousiaste, je tiens à marquer ainsi cet anniversaire, tant la construction européenne est à mon sens ce qu'il y a eu de meilleur au XXe siècle, siècle pourtant riche en horreurs et en malheurs.

En haut à gauche, vous voyez le logo officiel de ce 50e anniversaire, création de Szymon Skrzypczak, qui apparaîtra à chaque rechargement de la page dans une des langues de l'Union. Le texte est tout simplement "Ensemble depuis 1957". Ce logo appartient à la Communauté européenne et à son auteur.

Merci à Kozlika, ange de ce blogue qui lui doit tant, et qui m'a fait cet habillage en mode Code Rouge.

Pourquoi mon enthousiasme pour l'Europe ?

Pour des raisons objectives et subjectives.

Objectives : la construction européenne, nous l'oublions, nous qui n'avons pas connu cette époque, est née sur les ruines du plus dévastateur conflit qu'ait connu notre continent. Conflit lui même né d'un conflit que l'on croyait déjà avoir été le pire de tous, et qui a été mal réglé par le choix d'une humiliation du vaincu plutôt que d'une réconciliation. Conflit qui lui même était né de l'humiliation française de 1870. Elle même issue du rêve de reconstruire l'Empire de Napoléon, lui même né du désir d'exporter la Révolution par la force, etc etc ad nauseam.

La première pierre a été posée le 9 mai 1950 par le ministre français des Affaires étrangères, Robert Schuman, qui par sa célèbre déclaration, a défini le socle de la construction à venir :

L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l'opposition séculaire de la France et de l'Allemagne soit éliminée. L'action entreprise doit toucher au premier chef la France et l'Allemagne.

Depuis, le 9 mai est la fête officielle de l'Union européenne.

Le saviez-vous ? Cette phrase figure sur tous vos chèques. Les lignes sur lesquelles sous écrivez la somme et le bénéficiaire, ainsi que les deux barres parallèles, ne sont pas des traits continus mais cette phrase imprimée en caractères minuscules (regardez bien, prenez une loupe). Il s'agit d'une sécurité anti-copie, aucune photocopieuse même laser ne pouvant recopier des caractères aussi petits.

Songez aussi que le jour où cette main à été tendue, il s'était écoulé autant de temps depuis la capitulation de l'Allemagne nazie qu'entre le vote des pleins pouvoirs à Pétain et cette même capitulation. En autant de temps qu'il a fallu à l'Europe pour s'entretuer, l'Europe a su fraterniser.

Le 18 avril 1951, c'est la création de la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier. Soit les deux matériaux indispensables à la reconstruction. La volonté de contrôler les réserves de charbon et les hauts fourneaux (la Lorraine en France, la Rhur en Allemagne) a été une cause déterminante de la guerre. La solution : mettre ces ressources en commun. Un traité pose le principe de liberté de circulation de ces matières, sans droits de douane. Ce principe nécessitant de prendre de nombreuses mesures d'application et de trancher les difficultés, le traité crée une nouveauté en droit international : le droit dérivé. Le traité CECA crée des institutions permanentes ayant un pouvoir normatif, et une juridiction pour trancher les litiges entre Etats membres et entre ces institutions permanentes et les Etats membres. C'est encore sur ce schéma que fonctionne l'UE, avec en plus la mise en place d'un parlement en 1979.

En 1954, c'est l'échec de la Communauté Européenne de Défense (c'est la France qui vote non, déjà...). Aussitôt, une initiative est relancée sur le plan économique, pour transposer le fonctionnement de la CECA à l'ensemble de l'économie. Pourquoi ? PArce que ça marche, tout simplement.

Et en 1957, c'est la création de la CEE, entre six pays : la France, l'Allemagne, l'Italie, et le Bénélux (Belgique, Hollande, Luxembourg). Cinq mois plus tôt, les chars russes écrasaient dans le sang l'espoir de liberté des Hongrois.

Aujourd'hui, l'Union s'étend jusqu'à une partie de l'ancienne URSS, et aux portes du Moyen Orient (Chypre est à 100 km de la Syrie et du Liban). Alors que j'ai deux arrières-grand oncles qui, après avoir été élevés dans la haine de l'Allemagne, sont morts à Verdun, aujourd'hui, je ris avec des amis allemands, anglais, italiens, j'ai fait mes études aux côtés d'Anglais, de Suédois, de Belges, d'Espagnols, d'Autrichiens, de Portugais... La guerre entre ces pays est devenue tellement impossible que l'idée même paraît absurde et fait sourire. Pourtant, le dernier soldat Français tué par un soldat Allemand est tombé il y a à peine soixante ans. Dire qu'on s'est tués alors qu'on pouvait s'enrichir ensemble...

C'est sans doute l'héritage que je transmettrai avec le plus de fierté à mes enfants.

Subjectivement maintenant. Je dois beaucoup à l'Europe, et notamment je lui dois l'amour de ma vie. C'est grâce au programme Erasmus que j'ai rencontré celle qui allait illuminer le reste mon existence (et je l'ai rencontrée à Londres...), grâce au programme Leonardo Da Vinci que j'ai pu la revoir rapidement, et c'est grâce à l'Europe qu'elle peut être à mes côtés sans plus avoir à aller faire la queue à l'aube aux portes d'une préfecture quémander une carte qu'on ne peut lui refuser. Car elle a connu cela. Et les non européens mariés à un Français le connaissent encore.

A l'heure où la France grelotte de frilosité et de peur face à l'avenir, et morigène Bruxelles pour ne pas blâmer Paris, où l'économie européenne est florissante là où celle de la France végète, et où on se réjouit d'un non qui condamne à l'immobilisme, il faut regarder lucidement ce qu'est l'Europe, ce qu'elle nous a apporté, ce qu'elle nous apportera encore. Et plus fort que tous les clichés éculés de l'hydre bureaucrate source de tous nos maux, c'est un cri de joie qu'il faut faire entendre.

Vive l'Europe, longue vie à l'Union européenne. Européens : vous êtes mes frères.

Et joyeux anniversaire à tous.

mardi 20 mars 2007

Agenda

Quelques dates susceptibles d'intéresser mes lecteurs, et qui entraîneront des billets idoines en leur temps :

  • 21 mars 2007 : Conseil de prud'hommes de Paris.

Procès de Petite Anglaise contre son ancien employeur. Données du litige ici.

27 rue Louis Blanc, PAris 10e, M° Louis Blanc, section Activités Diverses, premier étage, je crois (vérifiez sur les panneaux près des ascenseurs, puis cherchez sur les listes d'affaires affichées aux portes des salles d'audience le cabinet Dixon Wilson comme défendeur).

  • 22 mars 2007 : 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris.

Délibéré dans l'affaire Charlie Hebdo et des caricatures.

6 Boulevard du Palais, Paris 1er ; Métro Cité ou Chatelet ; escalier B, premier étage, porte à gauche en haut de l'escalier : suivez les nombreuses caméras de télévision.

  • 17 avril 2007 : Tribunal correctionnel de Saint Nazaire.

Délibéré dans l'affaire "Radiateur".

77 rue Albert de Mun, demandez à l'accueil.

Le printemps s'annonce chaud. Les nouvelles fraîches seront ici.

C'est un fou, il repeint sa peine plancher...

Une de mes taupes m'a transmis un argumentaire de l'UMP destiné à ses élus sur différents points du projet du candidat de ce parti. L'un d'entre eux a immanquablement attiré mon attention, puisqu'il porte sur une nouveauté ne figurant pas dans le programme que j'ai commenté, celui de l'instauration de peines plancher pour les multirécidivistes.

L'argumentaire fait une page, et a de quoi laisser le juriste perplexe, et le pénaliste proche de l'apoplexie.

Comme d'habitude sur ce blog, un peu d'explications et de vocabulaire pour comprendre de quoi il s'agit, ce paragraphe ayant d'ailleurs tout lieu d'intéresser les rédacteurs de ce... truc.

Le Code pénal fixe pour chaque infraction une ou plusieurs peines. On les appelle peines principales. Il s'agit de peines d'amende et d'emprisonnement.

Chaque infraction se voit ainsi affecter une peine, mais il s'agit d'une peine maximum.

Ainsi, l'article 311-3 du Code pénal dispose-t-il que :

Le vol est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende.

Cela ne signifie pas que tout voleur sera puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros. Cela signifie que tout voleur peut être puni d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à trois ans ainsi que d'une peine d'amende pouvant aller jusqu'à 45000 euros, les deux cumulativement ou l'une de ces deux peines seulement.

C'est le rôle du juge de fixer la peine la plus adéquate. C'est un principe fondamental, qu'on appelle individualisation des peines. Le principe est posé à l'article 132-24 du Code pénal, mais le Conseil constitutionnel en a fait un principe à valeur constitutionnelle. C'est là l'un des aspects essentiels de l'audience pénale, et dans mes plaidoiries, je ne néglige jamais la question de la peine, qui est trop souvent traitée sous forme d'une invocation de l'indulgence du tribunal.

La récidive, enfin, s'entend d'une personne condamnée définitivement, c'est à dire qui n'a pas fait appel ou a épuisé les voies de recours, qui commet à nouveau des faits similaires. J'insiste sur le similaire. Le voleur qui à la sortie de prison bat sa femme n'est pas récidiviste. La loi assimile certaines infractions au regard de la récidive (l'escroquerie et l'abus de confiance, par exemple). Elle assimile également entre elles les infractions les plus graves, c'est à dire les crimes, et les délits punis de 10 années d'emprisonnement. Un meurtrier qui commet un viol à sa sortie de prison (ou en prison...) est un récidiviste. L'effet de la récidive est de doubler la peine encourue (le vol en récidive est ainsi passible de six années d'emprisonnement et de 90.000 euros d'amende).

Voilà le décor posé.

Maintenant, voici le magnifique argumentaire proposé par l'UMP (les gras sont tous de moi).


L’INSTAURATION DE PEINES PLANCHER POUR LES MULTIRECIDIVISTES POURQUOI, COMMENT ?

1. Pourquoi ? Même si le taux de récidive globale n’est que de 14,5% (personnes condamnées successivement pour deux délits de même nature), parmi les 357 440 personnes condamnées en 2004 pour un délit, 111 156 avaient déjà été condamnées au moins une fois depuis 2000, soit un taux de recondamnation de 31%.

Les analystes oublient de dire que le taux de récidive chute encore plus bas (environ 5%) quand le condamné a bénéficié de mesures d'aménagements de peine ou d'une libération conditionnelle. La bataille contre la récidive se mène très discrètement dans les cabinets des juges d'application des peines. Ce n'est clairement pas le but de ce projet, la phrase suivante le démontrant de manière fort comique.

Ces taux sont beaucoup plus élevés lorsqu’ils sont analysés précisément :

En clair : sans rien changer à la réalité des faits, nous allons élever ces taux par une analyse précise. Magie des chiffres...

o 71% des personnes condamnées à de la prison ferme avaient déjà été « averties » par une décision judiciaire au moins une fois ;

Superbe exemple de manipulation des chiffres. Pour qu'un juge prononce de la prison ferme, il faut soit que les faits soient extraordinairement graves au point de faire de la prison la seule peine adéquate (c'est rare : ce sont les crimes ou des délits très graves), soit que la personne ait déjà été condamnée. Les premières condamnations sont souvent d'avertissement, c'est à dire assorties du sursis. Une condamnation avec sursis interdit d'ailleurs de bénéficier d'un nouveau sursis simple, et les sursis avec mise à l'épreuve ne peuvent se cumuler qu'à concurrence de deux. Donc en évacuant les affaires d'une extrême gravité, il ne reste comme candidats à l'hospitalité de la république que les personnes ayant du sursis au casier. D'où un taux forcément très élevé de personnes déjà "averties". Cela ne révèle aucune information criminologique, c'est la conséquence naturelle de la politique pénale qui vise à privilégier l'avertissement à la neutralisation à la première sanction, politique dont on sait qu'elle entraîne fort peu de récidive.

o plus d’un condamné à de la prison ferme sur deux réitère dans les cinq ans suivant sa libération. Ce taux atteint 70% pour les personnes condamnées pour violences volontaires avec outrage, et même 72% dans le cas des personnes condamnées pour vol avec violence ;

Le réitérant n'est pas le récidiviste. Le réitérant est celui qui commet une nouvelle infraction après avoir été définitivement condamné, mais de nature différente de la première. Ce chiffre porte donc sur des personnes déjà enfoncées dans une délinquance habituelle et antisociale. Elles ne bénéficient d'ores et déjà d'aucune clémence de la part des tribunaux. Mais en tout état de cause, ce ne sont des multirécidivistes concernés par les peines plancher. Bref, un hors sujet pour le plaisir de citer des chiffres qui vont bien : un sur deux, 70%, 72%... Ca passe bien au vingt heure.

o près du tiers des agresseurs sexuels sur un mineur réitère dans les cinq ans qui suivent leur sortie de prison ;

Ca me parait beaucoup, mais je n'ai aucune source pour contester ces chiffres. Toujours est-il que les pulsions sexuelles sur mineur relèvent d'une pathologie mentale. Pas assez profonde pour en faire des déments au sens pénal (donc irresponsables) mais des soins sont indispensables en plus de la sanction. En prison, non seulement ces soins ne sont pas ou mal assurés mais les délinquants sexuels sont sans cesses agressés verbalement et physiquement par les autres prisonniers (ils sont appelés les "pointeurs"). On a donc des déséquilibrés, traités comme des chiens en prison, qui ont perdu leur emploi, et généralement leur famille et leurs amis à la sortie. Ca alors, leurs pulsions réapparaissent vite. La solution proposée est : les laisser plus longtemps en prison...

Enfin, pour relativiser : les agressions sexuelles sur mineurs recouvrent en grande partie les exhibitionnistes, ceux qui téléchargent des photographies pédophiles, les agressions plus graves étant souvent commises dans un cercle familial, qui suppose donc pour le passage à l'acte une facilité d'accès à la victime et une emprise exercée sur elle. On est loin du fantasme du prédateur sexuel à la Dutroux, qui écume les rues à la recherche d'enfants sans surveillance.

o près de six condamnés à un sursis avec mise à l’épreuve assorti d’un travail d’intérêt général sur dix réitèrent dans les cinq ans, et quatre sur dix sont condamnés à une peine de prison ferme.

...Donc, prononçons directement une peine de prison, et tant pis pour les 40% qui ne réitéraient pas. Une réflexion sur les TIG pour les réformer ? Pourquoi faire. La prison, y'a que ça qui plaît à l'électorat.

La moitié des crimes et délits connus en France sont commis en réalité par une infime minorité de délinquants (5%).

J'ai déjà dit ce que je pensais de ces chiffres, issus d'un rapport dont l'auteur lui même a contesté les conclusions qui en étaient tirées par le candidat de l'UMP. Si le reste des chiffres cités dans cet argumentaire sont aussi fiables, on est déjà dans le domaine du fantasme.

Ces niveaux de réitération traduisent l’impuissance de la justice à offrir des sanctions dissuasives.

L'impuissance de la justice et le fantasme de la dissuasion absolue, du délinquant terrorisé qui devient honnête mû par la peur. A se demander pourquoi il y a encore de la délinquance en Iran ou en Chine, où la justice est loin d'être impuissante.

2. Comment ?

Les délinquants ne doivent pas tous être traités de la même façon par la justice. Quelqu’un qui commet pour la première fois une infraction ne peut être traité comme un délinquant d’habitude.

Peut être parce que ce n'est PAS un délinquant d'habitude ?

La société doit protéger ses citoyens et se montrer intraitable vis-à-vis de ceux qui ne respectent rien, ni personne en réitérant des infractions en dépit d’avertissements judiciaires. Elle doit, pour cela, instituer des peines plancher pour les multirécidivistes.

Multirécidiviste... Voyons : récidiviste, qui commet un deuxième délit. Multirécidiviste, cela s'appliquerait donc à trois infractions, minimum, non ? Et bien non, comme on va le voir. C'est juste pour ajouter un multi- en préfixe, pour accentuer la menace. Comme ultra- devant libéral, néo- devant conservateur, crypto- devant communiste. On n'est jamais trop anxiogène.

Le niveau des peines plancher serait de plus en plus important en fonction du niveau de la récidive. Les peines seraient ainsi comprises entre une peine minimale et une peine maximale, le juge ne pouvant se soustraire à cette fourchette qu’en ne sanctionnant pas la personne prévenue. Les peines infligées resteront donc évidemment proportionnelles au type d’infractions commises et à la personnalité de leur auteur.

Les peines plancher ne s'appliqueront donc pas aux personnes innocentes, voilà qui est une bonne nouvelle.

J'avoue que pour ma part, le caractère "évidemment" proportionné à la personnalité de l'auteur d'une peine en dessous de laquelle le juge ne peut aller ne m'apparaît pas évident, ce caractère automatique étant bien au contraire antinomique avec la personnalisation. Si un juge estimait devoir descendre assez bas dans l'échelle de la peine, c'est en vertu de la personnalisation. Le lui interdire contrevient à cette personnalisation. Dire le contraire, c'est mentir. Le barème cité en exemple le démontre d'ailleurs :

Un article du code pénal pourrait établir l’échelle des peines plancher de la manière suivante :

- à la première réitération, la peine plancher serait fixée à moins de la moitié de la peine encourue ;
- à la deuxième réitération, la peine plancher serait fixée à 75% de la peine encourue ;
- à la troisième réitération, la peine plancher serait fixée au maximum de la peine encourue.

Où est la personnalisation quand le plancher est égal au plafond ? Notons le terme de réitération, définie à l'article 132-16-7 du Code pénal : le réitérant n'est pas le récidiviste. On est donc dans l'hypothèse où le juge n'a plus le choix, ce n'est pas entre le maximum encouru pour le délit simple et le double de ce chiffre du fait de la récidive, c'est bien le max automatiquement, sans discussion possible sauf sur un point de détail : la culpabilité.

Quand le plancher touche le plafond, la maison devient inhabitable, ses habitants meurent étouffés...

Reste à justifier de la légalité de cette aberration. C'est indiscutablement le meilleur morceau.

Ce système de peines plancher est parfaitement conforme à nos principes juridiques :

Ha. Ha. Je ris déjà. Avec Guy Canivet au Conseil constitutionnel, je doute que la chose paraisse aussi évidente rue Montpensier.

- il est conforme au principe de l’individualisation des peines. Les peines plancher ne portent en aucune manière atteinte à la marge d’appréciation reconnue au juge quant à la culpabilité du prévenu. Le juge pourra toujours faire varier la peine au sein d’un intervalle. Une peine plancher n’est en aucun cas une peine automatique ;

Trois lignes après avoir écrit "à la troisième réitération, la peine plancher serait fixée au maximum de la peine encourue"... Il faut se relire, parfois.

- des peines minimales obligatoires existent déjà en matière criminelle (même si elles sont très basses). L’article 132-18 du code pénal dispose ainsi que, lorsqu’une infraction est punie de la réclusion criminelle, la cour d’assises peut prononcer une peine de réclusion criminelle pour la durée encourue (ou inférieure), mais aussi une peine d’emprisonnement qui ne peut alors être inférieure à deux ans ou un an (suivant la peine encourue). Il s’agit donc bien de peines minimales, qui peuvent certes être assorties du sursis ;

Savez vous dans quel type d'affaire les cours d'assises se heurtent à ce plancher qu'elles ne peuvent pas perforer ? Les affaires d'euthanasie, comme celle jugée il y a peu par la cour d'assises de Périgueux. C'est d'ailleurs la peine qui a été prononcée à l'encontre du médecin, l'infirmière ayant été acquittée. Ce sont les seules. On voit bien que ce système de peine plancher ne fait qu'entraver une juridiction qui aurait sans doute voulu aller plus bas pour montrer sa compréhension du geste en même temps que le nécessaire respect de la loi.

Car si le Dr Tramois recommençait à aider un patient à mourir, cette fois, ce serait une peine plancher de quinze ans qui s'appliquerait à elle. Elle vous paraît toujours aussi belle, cette idée de peine plancher ?

- le système des peines plancher existait sous le régime de l’ancien code pénal en vigueur jusqu’en 1994. L’ancien code pénal exprimait les peines sous forme d’intervalles, avec un minimum et un maximum. Ce n’est que depuis le nouveau code pénal, entré en application en 1994, qu’il n’est prévu, pour chaque infraction, qu’une peine maximale ;

J'adore la référence à un texte abrogé. Si on l'a abrogé, c'est qu'il y avait peut être une raison, non ? Surtout, c'est faire montre d'une ignorance crasse.

L'ancien code pénal prévoyait en effet un intervalle de peines. Le vol était ainsi puni selon l'ancien article 381 de trois mois à trois ans de prison. MAIS ce que les rédacteurs ignorent (je ne veux pas croire qu'ils l'aient tu sciemment...) c'est qu'un article 463 dans ce même code permettait au juge de reconnaître des "circonstances atténuantes" permettant alors de prononcer une peine moindre à ce plancher. Ainsi, le vote par la cour d'assises des circonstances atténuantes à un assassin lui faisait échapper à la guillotine. De fait, les planchers de l'ancien Code pénal n'étaient plus que symboliques, les juges ayant depuis longtemps pris l'habitude de fixer la peine qui leur semblait convenir, et de préciser le cas échéant qu'ils accordaient les circonstances atténuantes. C'est cette pratique que le législateur a consacré en juillet 1992 en votant le nouveau code pénal et son système de peines maximum sans minimum, abrogeant au passage le système des circonstances atténuantes.

J'ajoute pour conclure que le Code pénal est entré en vigueur le 1er mars 1994. Nicolas Sarkozy était donc ministre (du Budget) dans le dernier gouvernement à avoir appliqué l'ancien Code pénal et le premier à avoir appliqué le nouveau. Pour son ignorance, je ne lui trouve pas de circonstances atténuantes.

- le système des peines plancher existe dans presque tous les pays étrangers, la France étant un des seuls Etats à reconnaître une totale liberté dans la détermination de la peine.

Il n'y a pas de liberté totale, contrairement à l'ancien régime. Le juge ne peut prononcer que des peines prévues par la loi, dans la limite de leur maximum légal. Il jouit d'une liberté dans l'indulgence. Parce que lui, contrairement au législateur, est dans le prétoire, il voit et entend le prévenu, il entend les témoins, il entend la victime, et il a des éléments soutenus par un avocat justifiant une éventuelle clémence.

Quant aux "pays étrangers", l'Angleterre reconnaît une aussi grande liberté au juge, de même que l'Espagne, l'Allemagne, le Portugal, l'Italie, pour parler des pays dont je connais un peu le système répressif... En fait, le seul exemple de pays démocratique avec un système de peine plancher que je connaisse, ce sont les Etats-Unis. Avec les résultats que mes lecteurs connaissent.

Par ailleurs, afin de limiter davantage la récidive, il faut trouver des solutions pour les personnes arrivées en fin de peine, mais toujours dangereuses pour la société car refusant de se soigner (notamment les délinquants sexuels) : soit ces personnes acceptent de se faire soigner et la société doit pouvoir contrôler que tel est le cas, soit il faut prévoir leur maintien en milieu fermé avec un contrôle judiciaire, comme cela existe dans de nombreux Etats démocratiques.

Le meilleur pour la fin. Le rétablissement de l'embastillement. La privation de liberté au delà de la peine, par décision administrative, juste au cas où, pour ne pas prendre de risque. J'aimerais bien connaître la liste de ces "nombreux Etats démocratiques". J'aurais tendance à penser qu'un pays qui a ce genre de politique cesse de pouvoir porter ce titre.

Je n'ose soulever le fait que si un condamné refuse tout soin avec obstination, ça peut être aussi parce qu'il est innocent, et que par l'effet de cette loi, il ne recouvrerait jamais la liberté. En France, on ne poursuit pas d'innocents pour des accusations de crimes sexuels. Ca se saurait, non ?

Procès Charlie Hebdo : délibéré reporté

Le délibéré de l'affaire Charlie Hebdo et des caricatures a été reporté au 22 mars, soit après demain.

jeudi 15 mars 2007

Et c'est reparti...

Code jaune. Pas de billets jusqu'à lundi. Bon week end.

- page 65 de 90 -

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.