Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 25 mars 2009

Avocats commis d'office : le grand n'importe quoi du Figaro

Mon amie Laurence de Charette, qui s'était déjà illustrée dans l'art de la divination statistique récidive dans la maltraitance des faits avec cet article publié dans l'édition papier du Figaro : Avocats commis d'office : le grand gâchis.

À noter qu'il y a un premier problème indépendant de la volonté de l'auteur : l'article semble avoir été publié deux fois à la suite, le début de l'article étant une version tronquée et de travail, d'où une curieuse répétition. L'article semble commencer réellement à la deuxième occurrence des mots « Dans le boxe de la 14èeme chambre au tribunal de Paris, le jeune homme aux cheveux bouclés ébènes tente de faire entendre sa cause aux trois magistrats de la chambre correctionnelle. »

L'article se veut très critique sur le système actuel de l'aide juridictionnelle et de la commission d'office. Ce n'est pas moi qui dirai qu'il est à l'abri de toute critique, mais vous vous doutez bien que mes critiques ne seront pas les mêmes. Je ne pense pas trahir la pensée de l'auteur en disant que l'aide juridictionnelle, partant d'une idée noble, devient une coûteuse gabegie, puisque des avocats incompétents font main-basse sur le pactole en défendant des personnes qui ne devraient pas bénéficier de cette prise en charge (ce n'est que sur ce dernier point que je suis d'accord, voir plus bas sur le plancher de l'aide juridictionnelle).

Et pour démontrer cela, une méthode qui faisait rougir de honte même les journalistes de la Pravda : prendre un cas particulier pour illustrer un cas général.

Ouverture de l'article : nous voici à la 14e chambre correctionnelle (qui juge essentiellement des affaires de proxénétisme, stupéfiants, et infractions relatives aux moyens de crédit de paiement), qui juge une affaire de faux documents administratifs. Dans quel cadre ? Ce n'est pas indiqué et je ne puis le deviner. Il y a trois magistrats, mais s'agissant d'une affaire de faux, il n'y a pas de juge unique possible. Le prévenu est détenu, ça c'est un indice : on peut être en présence d'un jugement après instruction (détenu placé sous mandat de dépôt par le juge des libertés et de la détention), un “DPAC” (Détenu pour Autre Cause) : il est libre dans cetet affaire, mais est détenu dans le cadre d'une autre affaire, ou une comparution immédiate : en principe, c'est la 23e chambre qui les juge mais en cas d'affluence, le parquet reverse des dossiers dans les chambres siégeant en collégiale (trois juges, obligatoire pour les comparutions immédiates, quel que soit le délit). Ce n'est pas du chipotage, car cela révèle si l'avocat est saisi du dossier depuis un an, un mois, ou une heure.

Un avocat “asiatique” qui ne sera pas nommé par charité chrétienne défend un client dont le nom arabe sera cité par manque de charité chrétienne (un reportage doit être équilibré). On apprend donc qu'il est « complètement inaudible » ce qui n'empêche pas notre journaliste d'entendre ce qu'il dit et de constater “qu'il ne parle qu'à peine le Français”, avant de citer son exorde et sa péroraison en français dans le texte, à moins que notre journaliste ne parle couramment l'asiatique, bien sûr. Quant à ce qu'il y a entre les deux, comment ça s'appelle, déjà ? Ah, oui, l'argumentation. Le lecteur ne sera pas dérangé avec ces détails : on va lui dire quoi en penser.

Pour démontrer que la défense est mauvaise, plutôt que d'expliquer en quoi elle l'est, deux arguments forts : “Sur le banc d'à côté, deux de ses confrères gardent la tête baissée, légèrement mal à l'aise”. Je précise aux journalistes qui pourraient me voir un jour à l'audience que j'ai souvent la tête baissée lors du jugement des autres affaires : je relis mes notes. Merci de ne rien en déduire sur mon éventuel malaise. Et le clou dans le cercueil de ce pauvre confrère : “Les magistrats, eux, n'affichent aucune émotion.” Ça alors, un tribunal impartial ? Ça ne peut être que la preuve de la nullité de l'avocat.

Je n'étais pas à cette audience, je ne connais pas ce dossier, et je ne travaille pas au Figaro. Je me garderai donc de porter une opinion définitive là dessus, mais je précise que tous les confrères que j'ai rencontrés ont un point commun : ils parlent français. Ça vaut mieux pour passer les épreuves. Les barreaux de Paris et de la périphérie accueillent certes beaucoup de confrères étrangers ou d'origine étrangère, et leurs accents embellissent nos prétoires, mais insinuer qu'ils ne parlent pas français est insultant à leur égard.

Enfin, voilà le premier argument démontré : les avocats commis d'office sont nuls. Et cher, c'est la Chancellerie qui le dit (et on n'a jamais vu le Gouvernement mentir). Et mauvais, c'est reconnu par « les avocats », comprendre ceux qui ne font pas des commissions d'office et qui n'ont pas intérêt à ce que leurs clients fassent appel à leur confrères gratuits. Parce que si on en est aux arguments d'autorité, je suis sur les listes des commissions d'office depuis des années, je n'ai pas demandé ma radiation depuis mon installation à mon compte, et je défends mes clients commis exactement comme je défends mes clients qui me choisissent. La seule différence est que j'utilise un papier à en-tête moins cher (vélin 100g/m² quand même) et des timbres au tarif écopli, sauf pour les détenus qui ont tous droit au tarif prioritaire. Voilà la ségrégation que j'opère. J'y perds de l'argent, au temps passé. Mais c'est pour moi une question de conception du métier. Ce n'est pas parce qu'une personne n'a pas les moyens qu'elle ne doit pas avoir une chance de tomber sur un avocat expérimenté.

Sur l'argument du coût : le budget a augmenté de 72% en 10 ans, dit la Chancellerie. Je vous rassure, nos indemnités n'ont pas suivi cette courbe. C'est surtout le plancher de l'aide juridictionnelle qui a été régulièrement relevé, outre la multiplication des cas où un avocat gratuit est un droit sans condition de ressources (notamment pour les victimes). Aujourd'hui, une personne seule a droit à l'aide juridictionnelle partielle à partir de 1367 euros de revenus mensuels. Autant dire tous les bas salaires, et ceux un peu moins bas. L'État aime être généreux, mais pas qu'on lui présente la note.

Mais puisqu'on vous dit que l'AJ, c'est le Pérou pour les avocats : ainsi, un des trois avocats de permanence aux Comparutions immédiates (en fait, il y en a six par jour, ils arrivent par fournées de trois) ne peut venir :

Mais il sera remplacé dans la journée sans trop de difficulté : A Paris, les permanences pénales sont recherchées par les jeunes avocats : même modestement rémunérées (en moyenne 192 euros pour un dossier correctionnel), elle assurent un minimum d'activité, et permettent de draguer au passage d'autres clients à venir... Par temps de crise, même les professionnels installés s'inscrivent -discrètement- au tableau des volontaires.

Là, c'est du grand n'importe quoi. Les jeunes avocats ne comptent pas les brins de leur épitoge en attendant que le téléphone sonne. Ils sont collaborateurs d'un cabinet, qui s'assure qu'ils rentabilisent chaque seconde de chaque minute de chaque heure facturable. Et la rétrocession qu'ils touchent pour cela est au minimum de 2500 euros HT mensuels pour la première année, et 2800 pour la deuxième année. Autant dire qu'ils ont intérêt à facturer plus que ça pour garder leur poste, et expliquer à son patron qu'on doit laisser là le dossier d'arbitrage Machin facturé à 350 euros de l'heure pour aller gagner 192 euros en une après-midi aux comparutions immédiates ne déchaîne pas un enthousiasme avide. Mais on trouve tout de même des volontaires avec des patrons assez compréhensifs pour décharger leur collaborateur afin qu'il puisse aller défendre un démuni menacé de dormir en prison. J'ajoute que lesdits jeunes ont dû suivre 24 heures de formations réparties sur 6 samedi matin avant de pouvoir s'inscrire sur ces listes. Ils sont donc motivés et méritent un hommage et non des sarcasmes sur leur âpreté au gain. Quant à draguer les clients… Laissez-moi rire. Les clients nous trouvent super sympas et super bons quand on leur évite la prison. Tous me demandent ma carte… et mes tarifs. Ils ne me rappellent presque jamais (deux seulement cette année).

Relevons au passage le perfide “par temps de crise même les professionnels installés s'inscrivent -discrètement- au tableau des volontaires.” Des chiffres ? Des sources ? Des noms ? Allez vous faire voir, on est au Figaro ici. Pour ma part, je ne me suis pas désinscrit lors de mon installation (mon comptable m'engueule chaque année à ce sujet) et j'ajoute que l'inscription se faisant par courrier, il est difficile de s'inscrire de manière ostentatoire, même si envoyer un messager accompagné d'une fanfare n'est évidemment pas interdit.

Et ça continue.

«Certains jours, les jeunes avocats traînent dans les couloirs, devant les salles de correctionnelle, où les familles guettent le passage des leurs, dans l'espoir d'assurer la défense de l'un ou de l'autre.», raconte un habitué du palais.

Et au Figaro, on a remplacé l'eau du robinet par de la Vodka et les journalistes par des chimpanzés, raconte un habitué de la rédaction (peut être ce même habitué ?).

Cette image de l'avocat tapinant comme une prostituée est très flatteuse, mais tous les avocats (et les journalistes qui leur posent des questions) le savent : quand on déambule dans le palais, la seule chose qu'on vous demande, c'est son chemin. La famille angoissée a déjà été contactée par l'avocat de permanence en charge du dossier quand elle n'a pas appelé l'avocat habituel du rejeton et elle ne va pas prendre le premier qui passe dans le couloir au hasard. C'est grotesque.

Reprenons la méthode du cas particulier : la commission Darrois aurait relevé UN cas d'un avocat ayant défendu 10 clients en une permanence et donc ainsi perçu 1936 euros pour ce faire. Félicitations à cet heureux confrère. je viens de recevoir mon relevé annuel. J'ai pour ma part touché, en cumulant les gardes à vue, permanences pénales et commissions d'office 4500 euros pour 2008. La commission s'interroge sur la qualité de la défense. Bien. Je ferai remarquer qu'à une audience ou six avocats se succèdent pour assurer la défense, il n'y a qu'un seul parquetier du début à la fin. Personne ne s'interroge sur la qualité de l'accusation ? De même pour les trois magistrats qui vont juger tous les dossiers. J'ajoute que 10 clients, c'est rare mais parfaitement possible : il suffit de deux affaires où il y a 5 prévenus à chaque fois, sans conflit d'intérêt (violences et dégradations en réunion, par exemple : en novembre 2005, ça pleuvait) : l'avocat défendra les 5 à chaque fois. Ça lui fait 2 dossiers, mais 10 commissions. Et ce n'est pas prêt de s'arrêter.

Je passe sur le “marché ” de l'aide juridictionnelle. À 192 euros du dossier, ce marché, je le laisse à qui le veut.

Suit un paragraphe sur le manque de rigueur (au Figaro, on a le sens de l'humour) des bureaux d'aide juridictionnelle qui ne vérifient pas les resssources. J'invite madame de Charette à aller au bureau d'aide juridictionnelle de Paris (4 quai de corse, dans l'atrium du tribunal de commerce) et de faire une demande. Elle va voir la quantité de justificatifs demandés (et en photocopies payantes, bien sûr). Le dossier sera refusé tant qu'il en manquera un. Ce que l'article ne mentionne pas, c'est que pour les commissions d'office au pénal, aucune vérification n'est faite puisque le prévenu a droit à un avocat gratuit : c'est l'article 6, 3, c de la Convention européenne des droits de l'homme qui l'exige. Même si c'est Bill Gates. La loi prévoit qu'une vérification peut être effectuée a posteriori pour demander le remboursement des 192 euros versés à l'avocat. Sachant que la plupart des clients sont insolvables ou le sont devenus à cause d'une incarcération, le coût des vérifications systématique pour gratter 192 euros de temps en temps serait disproportionné, et les vérifications ne sont que très rarement faites.

Par ailleurs, le montant en jeu dans certains litiges est parfois moins élevé que la somme dépensée par l'Etat pour rémunérer les avocats...

C'est exact. Pour un RMIste, une affaire de 150 euros, c'est énorme.

Et la magnifique conclusion :

Depuis peu de temps, les fonctionnaires de la Justice ont reçu la consigne de demander au justiciable s'il ne bénéficie pas d'une assurance juridique -souvent vendue en même temps qu'un autre contrat d'assurance- qui pourrait prendre en charge les frais de justice. Mais le justiciable reste libre de sa réponse, car il est parfois plus simple de solliciter l'Etat que l'assureur.

Depuis peu de temps. Comprendre : depuis la loi n° 2007-210 du 19 février 2007 portant réforme de l’assurance de protection juridique, dont le décret d'application (décret n°2008-1324 du 15 déc. 2008) a été pris presque deux ans plus tard, décret qui n'instaure cette obligation de déclaration d'une assurance de protection juridique qu'à compter… du 1er mars 2009 (art. 13 du décret). Laurence de Charette nous a déjà montré qu'elle n'avait pas besoin d'attendre qu'une réforme soit appliquée pour en connaître les résultats. Ravi de voir qu'elle a su garder la forme.

jeudi 19 mars 2009

Vade mecum de la comparution immédiate (2)

(Lien vers la première partie)

Deuxième partie de mon vademecum.

À ce stade, vous êtes censé avoir devant vous :

Le dossier de la procédure, dûment stabilobossé et signetté (mais PAS désagrafé, pitié pour le greffe) ; deux pages de notes : faits/procédure et personnalité ; et un paquet de gâteau entamé. Vous avez une première opinion du dossier, et une idée sur l'option du délai.

Vous pouvez faire venir le client.

Vous serez confronté à tous les cas imaginables, et même un ou deux inimaginables. Du délinquant chevronné, routard des compas, qui va vous regarder de haut car si vous êtes jeunes et commis d'office, vous êtes forcément nul, au type sans histoire embarqué dans une affaire qui le dépasse et qui fondra en larmes toutes les cinq minutes ; du SDF qui pue et qui parle à peine français au lunatique qui tient des propos à peine cohérent.

Il n'y a pas un code de conduite unique, à vous de vous adapter à la personnalité du prévenu. Quelques grands principes toutefois.

1 - Allez-y mollo.

Le client est forcément un peu paumé, même s'il a de l'expérience. Il sort surtout de deux voire trois jours pénibles, a très peu dormi, peu et mal mangé. Et il est probablement en manque de nicotine, ou d'autres substances moins licites. Et durant tout ce laps de temps, il n'a vu que des gens pas très amicaux. Vous êtes le premier visage ami qu'il va voir. Alors, présentez-vous (qu'il connaisse votre nom), assurez-vous qu'on lui retire les menottes (je ne m'entretiens JAMAIS avec un client menotté, même exalté, et violent), un sourire, surtout si vous avez la chance d'être une femme et lui le malheur d'être un homme, une poignée de main (personne ne lui a serré la main durant toute son arrestation — on vous préviendra s'il a la gale), quelques mots gentils. Demandez-lui comment ça va (la réponse est : mal), comment s'est passé la garde à vue (c'est la même réponse). Et réservez les mauvaises nouvelles pour la seconde partie de l'entretien.

2 - C'est vous le chef.

Vous êtes l'avocat, vous connaissez le droit, vous avez lu le dossier. Lui, non. Faites-vous respecter. De toutes façons, il ne vous paye pas (mais c'est encore plus valable s'il vous paye). N'acceptez aucune remarque désobligeante sur votre âge, le fait que vous êtes commis d'office, ou qu'il voulait maître Eolas, mais comme il a piscine il n'a pas pu venir. N'hésitez pas à lui demander s'il préfère se débrouiller tout seul. Signalez-lui que vous avez un vrai cabinet avec des vrais clients et que c'est grâce à ça que vous vivez, et que vous êtes ici parce que vous êtes volontaire, pour ne pas dire bénévole vu ce qu'on vous paye, et que c'est lui qui a besoin de vous et pas l'inverse. Vous verrez, il ne vous en respectera que plus (un conseil : l'habit fait le moine. Recevez-le en robe, même au mois d'août).

3 - C'est vous le chef.

Oui, il faut le répéter. C'est vous aussi qui dirigez l'entretien. Vous n'avez pas le temps de l'écouter raconter son histoire et celle de son grand-père depuis le Déluge. Rappelez-lui ses déclarations, résumez-lui celles de la victime et des témoins s'il y en a, demandez-lui s'il compte changer quelque chose et posez-lui les questions que vous avez notées lors de la lecture du dossier.

Là arrive la partie la plus difficile de toutes. Vous faire votre opinion. Dit-il la vérité ? Ment-il ? Soyons clairs : jamais il ne vous dira dans le creux de l'oreille : « Bon, voilà maître, entre nous, c'est bien moi, mais je ne pense pas qu'ils aient de preuves, je veux plaider la relaxe ». Il vous mentira comme il a menti aux policiers et mentira aux juges tout à l'heure. Il testera son baratin sur vous, convaincu que si vous le croyez, alors ça devrait passer auprès des juges.

Et même s'il a avoué, il peut n'avoir avoué que partiellement, ou avoué car il a commis des choses plus graves que ce que la police lui reprochait et est ravi de passer sur une qualification moindre.

Attention toutefois. Parfois, il dira la vérité. Parfois, vous tomberez sur un vrai, vous en aurez un, alors que vous pensiez que c'était comme les licornes, une légende : un innocent. Et un innocent n'est pas forcément plus crédible. Je n'ai hélas aucun truc à vous donner pour les reconnaître. C'est l'instinct. Un accent de sincérité dans la voix, une trouille qui ne peut être feinte, et des explications qui collent avec tous les détails du dossier.

Et là, vous serez terrifié. Vous avez un innocent happé par la machine à condamner, vous avez peu de temps pour présenter une défense, et seul vous pouvez empêcher la catastrophe (un proc s'y est trompé, c'est mal parti).

4 - C'est lui le co-pilote.

Essayez d'impliquer le client dans la mise en place de sa défense. Les choix importants, c'est à lui de les faire, après vos explications.

Et rappelez-vous que c'est lui qui ira en prison.

Premier point à éclaircir, et d'urgence : la question du délai. Expliquez-lui qu'il a le doit de demander ce délai, les risques que ça implique. Ne lui dites pas encore votre idée sur la chose, demandez-lui s'il peut contacter quelqu'un pour amener d'urgence des justificatifs de domicile. Vous avez le droit de téléphoner à ses proches, il n'est plus en garde à vue depuis longtemps, l'article 63-4 al. 5 du CPP ne s'applique plus. Évitez toutefois de lui passer directement le téléphone, vous ne savez pas ce qu'il va dire exactement, ce n'est pas la peine de vous retrouver mêlé par imprudence à des destructions de preuves. Mais téléphonez en sa présence, comme ça, votre interlocuteur aura confirmation que vous êtes bien l'avocat de l'intéressé. S'il a besoin d'un numéro de téléphone dans son portable ou des clefs de chez lui qui sont à sa fouille, allez voir le parquet qui fera extraire de sa fouille ce dont vous avez besoin.

Comme garantie de représentation, vous aurez besoin de tout papier prouvant son domicile : facture EDG/GDF/France Telecom récente, taxe d'habitation, contrat de bail et dernière quittance de loyer. Si ces documents ne sont pas à son nom, une attestation d'hébergement du titulaire (avec copie de la carte d'identité de l'auteur ; s'il est présent à l'audience, présentez aussi l'original à la barre). S'il a un travail, ses trois derniers bulletins de paie, son contrat de travail s'il y en a un écrit. S'il étudie, un certificat de scolarité, sa carte d'étudiant, et un relevé de notes récent prouvant son assiduité. Sinon, tout justificatif de sa situation (lettre du Pôle Emploi, dernier bulletin de paie). S'il a un CV récent, c'est parfait, sinon faites-en un simplifié. C'est un document utile aussi pour le parquet et le tribunal. Sachant que le tribunal aura horreur des longues périodes d'oisiveté, tâchez de les expliquer.

Une fois que vous êtes fixé sur la possibilité de les obtenir, faites le choix en accord avec le client. Comme je vous l'ai dit, c'est votre avis qui sera suivi. Mais expliquez-lui bien que vous ne pouvez garantir qu'il ressortira libre. Avec l'expérience, vous évaluerez de mieux en mieux les risques.

Si le choix est sur un délai, c'est terminé. Rendez-vous à l'audience.

Sinon, ou si vous n'êtes pas sûr d'avoir les pièces, préparez le dossier au fond avec lui.

Rappelez-lui ses déclarations. Ne lisez pas les PV in extenso. Il est crevé, il n'écoutera pas. Juste les passages clés (ceux que vous avez surlignés). Ah, un mot là-dessus. On s'est étonné sous le premier billet que je déflore ainsi les dossiers. Parce que les juges se gênent, peut-être ? La seule différence est que leurs Post-It™ sont coupés en deux et que leurs stabilos seront utilisés jusqu'à l'extrême usure. Mais n'oubliez pas que quelqu'un d'autre lira ce dossier. Ne stabilobossez que ce qui est utile à la défense.

Faites de même avec les déclarations des témoins et victimes. Demandez-lui ses explications en cas de divergence, s'il maintient en cas de convergence. Posez-lui les questions que vous aurez notées lors de l'analyse du dossier.

Et surtout ne le laissez pas s'embarquer dans des divagations interminables.

Autre écueil, celui du répétiteur. Vous n'avez pas à dire à votre client ce qu'il devra dire au tribunal. Surtout s'il vous le demande.

Si vous lui faites apprendre ce qu'il doit dire et faire, il aura tout oublié à l'audience, et si ça tourne au vinaigre, il n'hésitera pas à dire « c'est mon avocat qui m'a dit de dire ça ». Effet garanti. Et de toutes façons, ça ne passera pas. Ils ne sont pas les bons acteurs qu'ils imaginent. Vous voulez une preuve ? S'ils l'étaient, ils ne seraient pas ici.

S'il a bâti un baratin qui est une insulte à l'intelligence, démontez-le. Faites-lui comprendre que ça ne passera pas à l'audience. Les magistrats sont des professionnels, et on leur ment du matin au soir (et pas que pendant les plaidoiries). Ils développent un sixième sens. La fatigue de votre client peut lui provoquer un état d'euphorie le laissant penser que son histoire est irréfutable. Montrez-lui que ça ne tient pas. Là encore, il va vous falloir être diplomate. Il s'en faut de peu qu'il ne perde confiance en vous, croie que vous êtes contre lui, justice pourrie tout ça. Si vous voyez qu'il se vexe, expliquez-lui que vous vous mettez dans la peau du président pour le préparer, que ce que vous dites, c'est exactement ce que lui dira le président tout à l'heure, sauf que là, ça se passe entre vous et ça ne compte pas. Mais ne le laissez pas aller au casse-pipe avec une histoire qui ne tient pas sans avoir tout fait pour le convaincre de dire la vérité.

Oui, la vérité. En CI, comme ailleurs, et en CI plus qu'ailleurs, la vérité est souvent la meilleure défense.

Quand on dit la vérité, on ne se contredit pas, toute l'histoire est cohérente, ça donne le sentiment qu'on assume la responsabilité de ses gestes et si on est condamné, on l'est pour ce qu'on a fait. Parfois, le travail de l'avocat de la défense, c'est tout simplement ça : préparer son client à dire la vérité.

Une autre stratégie est celle dite du dossier vide, pour viser la relaxe. Si vous estimez que le dossier ne contient pas la preuve des faits, contentez-vous des dénégations du client. Présomption d'innocence : ce n'est pas à votre client de prouver son innocence, c'est au parquet de prouver sa culpabilité. Votre plaidoirie consistera à réfuter les indices et arguments du parquet, et invoquer le doute. Dites à votre client d'en dire le moins possible à l'audience : ce n'est pas moi, point. Des réponses courtes aux questions du tribunal.

Notez que les stratégies de la vérité et du dossier vide reviennent pour vous exactement au même lorsque le client est innocent.

À ce propos, attention à la présomption d'innocence. Ce terme a deux sens : le sens de règle de preuve, et le sens de “ on n'a pas le droit de présenter comme coupable quelqu'un qui n'a pas été condamné, il faut le traiter comme un innocent ”. Ce dernier sens, celui de l'article 9-1 du code civil, n'existe pas dans le prétoire. Votre client va entrer menotté, il sera surveillé par un gendarme, et trois jours de cellule lui auront donné une tête de tueur pervers. Considérez que votre client sera présumé coupable. Je sais que je fais bondir les magistrats qui me lisent. Mais c'est la vérité. Il faudrait un effort surhumain aux trois juges pour oublier où ils sont, oublier les 20 autres prévenus de la journée, la plupart coupables voire récidivistes, pour se remettre l'esprit comme une page blanche et se demander "Bon, celui-là, me prouve-t-on qu'il est coupable ?". Une bonne plaidoirie de relaxe doit viser à prouver l'innocence, ou du moins à saccager les preuves de la culpabilité de façon à ce qu'il n'en reste rien. Votre plaidoirie sera des coups de boutoir sur chacune des preuves invoquées par le parquet. De toutes façons, elles auront suffit à détruire ce qui restait de la présomption d'innocence - règle de preuve. La plaidoirie doit être offensive. Une plaidoirie défensive qui se contente de dire “ Je ne suis pas convaincu par les preuves et vous ne le serez pas non plus ” serait suicidaire.

Mais je m'avance, on n'en est pas encore là.

Dernière hypothèse : la plaidoirie de la peine.

Les faits sont établis et reconnus, pas de discussion là-dessus (hypothèse assez fréquente, en fait). Il faut préparer une plaidoirie sur la peine. SURTOUT s'il y a récidive. On peut écarter une peine plancher par une motivation spéciale. À vous de la fournir clés en main au tribunal. Brieffez votre client sur l'attitude à avoir. Assumer sa responsabilité n'est pas une attitude naturelle. L'attitude naturelle est le déni, l'atténuation. Ça passe mal, car dans la tête d'un juge, ça allume la loupiote « risque de réitération ». Et les avocats détestent cette loupiote. Elle est connectée à la loupiote « détention ». Expliquez à votre client que si quelqu'un doit dire que ce n'est pas grave, que la victime l'a cherché, que c'est la faute à la société, c'est vous, son avocat. Le code de procédure pénale ne prévoit pas encore qu'on puisse décerner mandat de dépôt à l'encontre de l'avocat (même si des syndicats de parquetiers lillois font pression en ce sens auprès de la chancellerie).

Le reste, c'est du droit pénal pur.

Voyez d'abord la liste des peines disponible (merci le Crocq). Voyez ce que les antécédents au B1 excluent. Profitez-en pour demander à votre client s'il n'a pas été jugé depuis sa dernière condamnation. ne lui demandez pas s'il a été condamné depuis, il risque fort de vous répondre non même si c'est oui (quand je vous dis qu'ils mentent même à leur avocat). Demandez-lui s'il est passé devant un tribunal. S'il répond oui, considérez qu'il y a encore une condamnation qui n'est pas inscrite. Et méfiez-vous, le parquet peut établir l'antécédent en produisant le jugement, c'est facile pour lui s'il a été rendu par le tribunal où vous vous trouvez (maudite Chaîne Pénale informatisée). Il m'a déjà fait le coup à l'audience. Assurez-vous dans ce cas que le jugement est contradictoire. S'il est contradictoire à signifier, demandez la preuve de la signification. S'il est par défaut, idem. Le jugement doit être définitif. Sinon, il ne constitue pas un antécédent au sens des lois Récidive I[1] et Récidive II[2]. Ça change beaucoup de choses. Révisez les règles sur les sursis(attention, billet antérieur à la loi Récidive II) et leur cumul (Bref rappel : pas de sursis simple d'emprisonnement s'il y en a déjà au casier ; deux SME max, un seul pour des violences volontaires) et de détention (rappel : le tribunal peut ordonner le maintien en détention —on ne parle pas de mandat de dépôt en CI sauf en cas de demande de délai— quelle que soit la peine ; il DOIT le faire sauf motivation spéciale en cas de récidive de violences volontaires).

Pensez aux peines alternatives, et complémentaires prononcées à titre principal : c'est possible : art. 131-11 du code pénal. Évitez de demander, pour un étranger sans papiers, une interdiction du territoire à titre principal. Ça implique placement en rétention, donc jusqu'à un mois de détention en centre, et ça fait obstacle à la régularisation. Au contraire, plaidez contre l'ITF, relevez les éléments qui peuvent permettre d'envisager une régularisation. Oui, il faut connaître un peu son CESEDA (je vous aide : c'est l'article L.313-11). L'avantage des peines alternatives et complémentaires est qu'elles échappent en grande parties aux règles sur les cumuls des sursis, puisqu'elles ne peuvent être assorties du sursis. Pensez au jour-amende, notamment.

Mettez au point avec le client une proposition de peine raisonnable (pas d'ajournement pour 5 kg de cannabis) qu'il accepterait, plutôt qu'une simple appel à la clémence qui n'aide pas le tribunal. Une proposition de peine originale et adaptée peut séduire le tribunal et éviter une peine de détention. Il faut impérativement connaître ce pan méconnu et méprisé du droit pénal (qui n'est généralement pas enseigné à la fac), et pourtant essentiel à la défense : le droit des peines.

Si vous plaidez la relaxe, évitez le subsidiaire sur la peine, par cohérence, sauf si c'est important (par exemple votre client est sans papier mais va se marier avec une française : faites un subsidiaire pour en cas de condamnation exclure l'ITF, en invoquant l'article L.313-11, 4° du CESEDA, ensemble l'article 8 et 12 de la CSDH).

Enfin, il existe encore des possibilités à exploiter pour la défense : faire citer un témoin (vous verrez que rien n'est plus facile en CI), demander des mesures d'instruction… Mais comme elles sont présentées à l'audience, je les laisse pour la saison 3.

Et pour finir, prenez encore une minute pour lui expliquer le déroulement de l'audience. Qui est qui, à qui s'adresser et comment (TOUJOURS au président, JAMAIS à la victime quoi qu'il arrive ; pas Votre Honneur, mais monsieur le président SAUF si c'est une femme auquel cas madame le président). Précisez-lui le schéma : constat d'identité - rappel de la prévention - demande si accepte d'être jugé tout de suite - discussion des nullités - interrogatoire sur les faits - victime - témoins - plaidoirie partie civile - réquisition - plaidoirie de la défense - dernier mot au prévenu, le tout en vingt à trente minutes. Préparez avec lui ce dernier mot qui peut être très opportunément qu'il n'a rien à rajouter.

Mais le temps passe, le temps passe, il est temps de filer à l'audience, pour le troisième épisode (qui ne sera pas le dernier, il y aura un quatrième, pour les victimes et leur avocat).

À suivre…

Notes

[1] Loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales.

[2] Loi n°2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

jeudi 12 mars 2009

Plus belle l'assises (4)

N'étant pas un adepte de la défense de rupture, je n'ai pu claquer la porte de mes audiences et remercie Gascogne de me suppléer. Néanmoins, allons-y pour notre feuilleton quotidien, visible ici, début à 17:24 (temps en minutes et secondes affiché au compteur).

(17:24) : Ça tombe bien, première image, premier commentaire. QUEU-WAH ? Qu'est ce que c'est que ces jurés qui, alors même que les débats ne sont pas clos, consultent des pièces du dossier et d'autres remises par une partie hors du prétoire et hors la présence des avocats ? Et l'oralité des débats ? Surtout que l'album des photos d'enfance n'apporte RIEN au débat sur les faits. Il montre que la victime a été un enfant, et laisse suggérer que c'est cet enfant qu'on a assassiné. J'espère qu'il me manque un élément pour tout comprendre. M. le greffier d'assises ? Vos lumières ?

(18:03) : Grosse erreur du commentateur. Si les familles vont être entendues, c'est que les débats ne sont pas clos. C'est la partie sur les faits qui est terminée, on est passé à la personnalité de la victime, qui fait partie des débats. C'est un moment qui relève plus du sacré que du processus judiciaire. Tuer un salaud est aussi illégal que tuer un saint. Mais en effet, c'est toujours un très mauvais moment pour la défense : outre que toutes les victimes ont tendance à devenir des saints à cette occasion, les jurés réalisent toute la douleur qu'entraîne cette perte. Une vie détruite, une vie qui avait un sens, une histoire, et encore un avenir ; mais aussi la douleur inconsolable de la famille, réveillée au cœur de la nuit par un coup de fil qu'elles n'oublieront jamais. Cela crée forcément une empathie avec les jurés, qui n'est jamais un gage de clémence.

(18:35) : En principe, les témoins et parties ne doivent pas s'adresser directement la parole (le risque de dérapage est trop grand). Tout le monde est censé s'adresser au président. Même en répondant à une question d'un avocat ou de l'avocat général, on doit répondre au président. C'est un mécanisme qui désamorce les réactions agressives (on ne va pas injurier ce pauvre président qui n'a pas posé la question, après tout).

(18:40) : Voilà une autre forme de dérapage. Le sacrifice. L'accusé est accablé par sa culpabilité. Il est sonné, il est à terre, il est K.O. Il est impuissant. Il a reconnu les faits. Il est incapable d'expliquer son geste, il n'a pas les capacités d'analyse, tout simplement les mots pour ça, et ce n'est pas en prison qu'il aura pu bénéficier de l'aide que cela nécessite. Alors, il baisse la tête, terrassé par la honte et l'embarras, par l'incapacité à pouvoir trouver les mots pour répondre. Il est livré en sacrifice à la famille, qui peut lui cracher son mépris à la figure. Cela n'apporte rien à la recherche de la vérité. Cela apporte juste un substrat de vengeance à la famille. Au prix de la dignité des débats et de la justice qui laisse faire. C'est typique du phénomène actuel du tout victimaire. On leur passe tout espérant en vain les satisfaire, car la seule chose qui pourrait le faire, c'est rendre la vie à un mort, et ça, la justice ne sait pas faire. Croyez-vous que cette jeune fille va sortir apaisée du prétoire ? J'en doute. Et alors ce navrant spectacle aura été vain.

Finalement, je pense que l'erreur du commentateur est très révélatrice : le journaliste lui-même ne peut associer cet étrange spectacle aux débats qu'il a suivis jusqu'à présent. Il interprète ce qu'il ne connaît pas et y voit un passage obligé du procès : avant les plaidoiries, on laisse les victimes se défouler.

À la question qu'aurais-je fait, je répondrai que j'aurais demandé au président de prier les parties civiles de ne pas s'adresser à l'accusé mais à la cour, comme il est d'usage.

(19:30) : La justice reprend ses droits. Voici les plaidoiries. Elles ont lieu dans l'ordre suivant : partie civile (victime ou famille de la victime si elle est décédée), ministère public, défense. Un droit de réplique existe, mais est rarement utilisé. La défense doit dans tous les cas avoir la parole en dernier. En avant dernier, puisque c'est l'accusé qui se voit offrir la possibilité de s'exprimer juste avant la clôture des débats. Moment redouté par la défense, j'y reviendrai le moment venu.

(19:37) : Mon excellent[1] confrère Yves Sauvayre à l'œuvre.

(20:00) : Ouch. Excellente et terrible image que celle de l'abattoir. C'est le genre d'image qui fait mouche — Si j'ose dire.

(20:12) : Ou les avocats se sont entendus pour qu'un seul plaide (douteux, surtout si la télé est là), ou on nous a zappé le reste de la défense. C'est dommage. Je cite donc le reste du casting de la partie civile : mon excellent (quoique etc.) confrère François Saint-Pierre, et mon tout aussi excellent (et tout aussi etc.) confrère Gaël Candela. EDIT : le quatrième larron est mon cher (car parisien) confrère Patrick Klugman, avocat entre autres de SOS Racisme.

(20:24) : Effectivement, le procureur général Jean-Olivier Viout est un habitué des assises. Un vrai orateur, comme il y en a peu du côté du parquet. Cela lui permet de faire passer avec conviction des messages absurdes. Un meurtre simple serait pire qu'un meurtre aggravé par mobile raciste ? Donc, si le mobile raciste avait été reconnu par l'acusé, vos réquisitions eussent été plus modérées ? Allons, monsieur le procureur général… Pourrais-je me permettre d'ajouter que le mépris de la vie de l'autre est un élément relativement fréquent dans les affaires d'homicide volontaire ?

(21:08) : Présenter des réquisitions très sévères (25 années sur 30 maximum) comme un minimum à la sagesse, c'est habile. Et redoutable avec un tel parquetier. Je salue le talent.

(21:35) : Intéressantes considérations sur la fixation de la peine par un parquetier. C'est un des aspects les plus difficiles de la fonction, que la plupart des avocats esquivent lâchement en se contentant d'en appeler “à la clémence” de la juridiction, ce qui ne veut pas dire grand'chose et n'aide guère le juge. C'est l'expression de la liberté du parquetier à l'audience, qui doit être totale. Ce qui pour moi exclut que je reproche à un parquetier le contenu de ses réquisitions, sur ce point du moins (qu'il présente une interprétation erronée des faits ou de la loi, et c'est autre chose).

(21:36) : ALLEZ LA DÉFENSE ! ALLEZ LA DÉFENSE ! Quoi, je suis de parti pris ? (À la manœuvre et dans l'ordre d'apparition à l'écran : mes excellents (oui, quoique vous savez quoi) confrères Hervé Banbanaste et Frédéric Lalliard).

(21:59) : Les jurés votent d'abord sur la culpabilité sous forme de questions. Quand il y a des circonstances aggravantes, elle font l'objet de questions spéciales. Il peut aussi y avoir des questions subsidiaires, qui deviennent sans objet si on a répondu oui à une question précédente. Par exemple, si l'intention homicide était contestée (ce qui n'est pas le cas ici) :

1° Monsieur Jean-Marie Garcia est-il coupable d'avoir volontairement ôté la vie à Chaïb Zehaf ?

2° Subsidiairement, monsieur Garcia est-il coupable d'avoir exercé sur Chaïb Zehaf des violences volontaires ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner ?

3° Ces faits ont-ils été commis en raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ?

Si la cour et le jury répondent oui (par huit voix au moins) à la première question, la seconde est sans objet. Si la cour et le jury répondent (par cinq voix au moins) non aux questions 1 et 2, la 3 est sans objet et c'est l'acquittement.

Ici, la défense se bat sur le terrain de la circonstance aggravante de racisme. Mais il me semble que le parquet ne la soutient pas, et que BHL a beaucoup fait pour l'écarter. Mais le parquet a fait comprendre à la cour et au jury qu'ils peuvent aller très haut dans la sévérité sans s'embarrasser de la question douteuse du racisme…

(22:08) : Invoquer l'alcoolisme n'est pas un super argument de défense, même pour écarter une circonstance aggravante. Cela révèle une dangerosité tenant à un état où la volonté de l'accusé joue un rôle : il sait qu'il est dangereux quand il a bu, et boit quand même, en étant armé. Ça ne va pas plaire aux jurés qui fréquentent des débits de boisson…

(22:16) : Là encore, il manque un bout. Le président a lu la liste des questions auxquelles la cour et le jury vont répondre (qui à l'époque où il n'y avait pas d'appel a donné lieu à un très abondant contentieux). Puis il a lu l'adresse aux jurés, un magnifique texte, superbement écrit à l'époque napoléonienne. Ce texte est également affiché dans la salle des délibérations.

La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs :“ Avez-vous une intime conviction ?”.

Ensuite, le président fait retirer l'accusé (qui, même libre, ne peut plus quitter les lieux) et invite le chef du service d'ordre à faire garder les issues de la chambre des délibérations, dans laquelle nul ne pourra pénétrer, pour quelque cause que ce soit, sans autorisation du président.

Il conclut par ces mots : « L'audience est suspendue ».

Commence alors une longue et terrible attente.

Et ici commence aussi la vôtre, jusqu'à demain pour la suite et la fin.

Notes

[1] Quoique provincial.

mardi 10 mars 2009

Service commandé

Le comité de réflexion sur la justice pénale, dit comité Léger, vient de déposer entre les mains du Garde des Sceaux un rapport d'étape, dont le Monde propose la lecture en son intégralité. Lecture qui s'avère extrêmement instructive. Pas de coup de théâtre, certes: si le comité propose la suppression du juge d'instruction, rappelons que dans son désormais célèbre discours du 7 janvier dernier, le Président de la République avait montré aux éminents membres de ce comité la direction à suivre, si jamais ils ne l'avaient pas trouvée tout seuls. L'intérêt de ce rapport d'étape est d'énoncer quelques propositions pour mettre en musique cette possible réforme, propositions qui seront sans nul doute vivement débattues. Quelques commentaires à chaud.

A titre liminaire, qu'il me soit permis de regretter le pieux silence observé dans ce rapport quant à la démission de deux des membres de ce comité, suite justement au discours du Président de la République, ces deux personnalités ayant considéré qu'elles n'étaient pas là pour inaugurer les chrysanthèmes. En clair, que ce n'était la peine de mettre en place une commission chargée de discuter des orientations fondamentales de notre système pénal si celles-ci étaient déjà décidées en haut lieu.

Je ne sais pas ce que les autres praticiens du droit en penseront, mais l'entrée en matière de ce rapport d'étape témoigne d'une méconnaissance pour le moins inquiétante de la matière: j'apprends ainsi, un peu coite, que l'instruction "n'améliore ni l'efficacité de l'enquête ni la protection des droits fondamentaux des mis en cause et des victimes".

Merci, ça fait toujours plaisir d'apprendre que l'on ne sert à rien.

Je suggère vivement aux membres du comité Léger une petite visite dans les services d'audiencement des juridictions, pour consulter à la fois des dossiers d'instruction et des dossiers faisant suite à des enquêtes de flagrance et de préliminaire. Et pour comprendre pour quelles raisons, dans ce dernier cas, il arrive que des avocats, lors de l'audience, expriment le regret que l'affaire n'ait pas fait l'objet d'une information judiciaire.

Par ailleurs, énoncer que l'instruction n'assure pas la protection des droits fondamentaux des victimes et des mis en cause n'est pas seulement une inexactitude, mais une contre-vérité.

Lors des interrogatoires chez le juge d'instruction, le mis en examen peut être assisté par un avocat. Lequel a accès à la procédure. Lequel peut formuler des demandes d'acte. Lors de ses auditions par le juge d'instruction, la partie civile peut être assistée par un avocat. Lequel a accès à la procédure. Lequel peut formuler des demandes d'actes.

Dans le cadre des enquêtes de flagrance et de préliminaire, les victimes et les mis en cause ont le droit... et bien, pas à grand chose en fait. Le gardé à vue peut s'entretenir avec un avocat dès le début de la mesure de garde à vue et en cas de prolongation. Cet avocat n'a pas accès à la procédure. Si l'officier de police judiciaire décide d'organiser une confrontation entre le mis en cause et la victime ce qui est fréquent, y compris dans des affaires graves comme les agressions sexuelles, il n'y a pas d'avocats présents. Les avocats ont accès à la procédure quand leurs clients sont convoqués devant le tribunal correctionnel et pas avant.

Bref, les droits des parties sont considérablement plus étendus dans le cadre d'une procédure d'instruction que dans le cadre d'une enquête de flagrance ou préliminaire.

Ceci étant dit, comment le comité Léger envisage-t-il le système procédural français, une fois le juge d'instruction passé par pertes et profits?

Et bien, avec un Parquet menant des investigations "à charge et à décharge".

Là, j'avoue que la subtilité du raisonnement suivi par le comité Léger m'échappe un peu: selon lui, ce que le juge d'instruction, magistrat du siège indépendant et inamovible, ne peut pas faire, à savoir instruire à charge et à décharge, le magistrat du parquet, qui s'inscrit pourtant dans une hiérarchie au sommet de laquelle se trouve le Garde des Sceaux, laquelle s'est benoîtement définie en "chef des procureurs", peut le faire. Enfin, passons.

A ceux qui espéraient négocier une refonte du statut des magistrats du parquet contre la suppression du juge d'instruction, le comité Léger oppose une fin de non-recevoir. Pas question non plus de modifier le statut de la police judiciaire, alors que les affaires sensibles ont pourtant démontré que la position des officiers de police judiciaire pouvait être intenable, du fait d'injonctions contradictoires des magistrats et de leur hiérarchie.

Point de salut, selon le comité Léger, sans l'instauration d'un juge de l'enquête et des libertés, qui sera chargé de contrôler les mesures attentatoires aux libertés pouvant être prises lors de l'enquête (écoutes téléphoniques ou placement en détention provisoire par exemple) et pour s'assurer du respect des droits des parties durant cette phase préparatoire au procès pénal.

Une sorte de super-JLD en somme. D'ailleurs, la fonction de Juge des Libertés et de la Détention va disparaître, ce qui va faire beaucoup d'heureux: tous les collègues qui exercent cette fonction à contrecoeur et croyez-moi, ils sont nombreux.

Pour ma part, je ne suis pas convaincue que la disparition du juge d'instruction au profit du juge de l'enquête et des libertés constituera une avancée et une garantie d'un meilleur contrôle du travail des officiers de police judiciaire. C'est même tout le contraire. Il suffit pour s'en convaincre, de discuter avec les collègues JLD: souvent, il s'agit de magistrats qui exercent cette responsabilité à titre de "tâche annexe" et beaucoup avouent, s'agissant de leur intervention en matière d'enquête préliminaire (autorisation d'écoutes téléphoniques), qu'elle ne leur paraît pas satisfaisante, parce que ponctuelle. La principale force du juge d'instruction est sa qualité de directeur d'enquête. Il dirige l'enquête donc il connaît le dossier. Et c'est ce qui lui permet de contrôler efficacement le travail des officiers de police judiciaire.

Voyons la suite. La garde à vue par exemple.

Avec une proposition notable: la présence de l'avocat lors de la garde à vue et son accès au dossier.

Attention, amis avocats, ne sabrez pas tout de suite le champagne. L'avocat sera présent uniquement si la garde à vue est prolongée. Soit après 24 heures. Et il n'aura pas accès à tout le dossier mais uniquement aux auditions de son client, à partir de la douzième heure de garde à vue. Nuance. Donc pas d'accès aux auditions de la victime et aux PV de perquisition. Le gardé à vue aura d'avantage de droits certes, mais point trop n'en faut.

Où l'on voit que le comité Léger tente de ménager la chèvre et le chou, les avocats et les officiers de police judiciaire, au risque de mécontenter tout le monde.

Autre manifestation de cette prudence toute diplomatique: la création, à côté de la garde à vue qui devrait être réservée aux infractions pour lesquelles une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à un an est encourue, d'une mesure de retenue judiciaire, mesure qui ne pourrait excéder six heures et au cours de laquelle la personne mise en cause aurait le droit de s'entretenir avec un avocat.

Là, je suis perplexe: si la garde à vue est parfois vécue comme une mesure infamante, rappelons que c'est une mesure protectrice de la personne mise en cause car elle lui offre un certain nombre de droits. Dans le système actuel, on considère que l'audition d'une personne mise en cause, lorsqu'elle se déroule hors garde à vue, ne doit pas excéder quatre heures, suivant le délai indiqué pour les vérifications d'identité. J'ai donc beaucoup de mal à considérer comme un progrès pour les droits de la défense une audition hors garde à vue d'un délai maximal de six heures.

Le comité Léger souhaite également la réduction des délais de la détention provisoire, objectif on ne peut plus louable, dont on peut néanmoins déplorer qu'il s'accompagne de considérations sur la nécessaire promotion de "la culture de la liberté dans la phase préparatoire au procès pénal". La liberté est le principe et la détention l'exception, c'est sympa de nous le rappeler mais nous le savions déjà. Ce serait bien si enfin, on arrêtait de considérer les magistrats comme de vilains embastilleurs dont l'unique obsession serait d'envoyer les justiciables derrière les barreaux. Cliché, quand tu nous tiens...

Sur ce point, les propositions du comité Léger ont au moins le mérite de la simplicité et de la clarté. Il s'agirait d'instituer une durée maximale de la détention provisoire entre le début de l'incarcération et la comparution devant la juridiction de jugement, dans les conditions suivantes: six mois si la peine encourue est comprise entre trois et cinq ans d'emprisonnement, un an si la peine encourue est comprise entre cinq et dix ans d'emprisonnement, deux ans en matière criminelle et trois ans pour les faits de terrorisme ou de criminalité organisée.

Silence en revanche sur la question des moyens accordés aux magistrats et aux services d'enquête. Moyens qui influent directement sur la durée des enquêtes et donc, sur la durée des mesures de détention provisoire. Silence également sur la question de l'engorgement des services d'audiencement. Actuellement, le délai de comparution d'un accusé détenu devant la Cour d'Assises dont je dépends est approximativement de 10 ou 11 mois à partir de l'ordonnance de mise en accusation. Si le législateur doit adopter cette proposition de la commission Léger, il y aura bien peu d'accusés qui comparaîtront détenus. C'est un choix de société qui peut avoir des conséquences importantes, y compris en terme de réitération des faits. Conséquences dont il conviendrait, pour une fois, de ne pas faire peser la responsabilité sur les magistrats.

A noter un point intéressant: la possibilité pour le mis en cause de demander que la décision de placement en détention provisoire soit prise par une juridiction collégiale comprenant le juge de l'enquête et des libertés. Mais là encore, silence pudique sur la composition exacte de cette collégialité, magistrats professionnels ou juges de proximité comme on a pu l'entendre ici ou là.

Enfin, le comité Léger propose de maintenir le principe du secret de l'instruction mais de dépénaliser sa violation. En clair, plus de poursuites pour recel du secret de l'instruction, à l'encontre notamment des journalistes. Les atteintes à la présomption d'innocence pourraient toujours faire l'objet de poursuites civiles sur le fondement de l'article 9-1 du Code civil.

A mon sens, cette dépénalisation est susceptible de menacer l'efficacité des investigations. Essayez de faire aboutir une enquête et d'arrêter l'auteur des faits si celui-ci est informé en temps et en heure des investigations des enquêteurs.

Voilà pour les grandes lignes du pré-rapport du comité Léger, qui soulève beaucoup plus d'interrogations qu'il n'apporte de réponses. Le comité reprend sans sourciller la proposition présidentielle de suppression du juge d'instruction, mais élabore un système bancal, et passe sous silence beaucoup de questions fondamentales, notamment la nécessité d'augmenter considérablement le budget de l'aide juridictionnelle. On dira que je prêche pour ma paroisse, mais après lecture de ce rapport, je n'ai toujours pas compris l'intérêt de supprimer la procédure d'instruction. Procédure d'enquête qui, rappelons-le une nouvelle fois, est actuellement la plus respectueuse des droits des parties.

A vos claviers.

lundi 9 mars 2009

Plus belle l'assises

Mes colocs ayant visiblement boudé mon appel à la mobilisation, pour des raisons que je devine excellentes, je vous propose un feuilleton judiciaire pour la semaine, offert par France 2.

France 2 a pu filmer un procès d'assises, y compris les coulisses, hormis ce qui n'est pas légalement filmable (les délibérations et je l'espère les entretiens des avocats avec leur client). Il va être diffusé en feuilleton dans le 13 heures?

Le premier épisode a été diffusé aujourd'hui, il est visible à cette adresse (valable toute la semaine), cliquez dans le sommaire à droite de la vidéo sur “Notre feuilleton : au cœur des assises” (c'est à 22'34", sinon). Ça se passe dans la très belle (quoique provinciale…) cour d'appel de Lyon, avec sa monumentale et insolente colonnade qui nous rappelle à nous, pauvres parisiens, que notre palais, lui, en est dépourvu.

Quelques explications et commentaires :

L'accusé est poursuivi pour meurtre et tentative de meurtre. Ces deux crimes sont punis d'un maximum de trente ans de réclusion criminelle (la tentative est punie comme le crime lui-même). La loi exige qu'il soit condamné à une peine unique pour ces deux crimes (la cour ne peut pas dire 20 ans pour le meurtre plus 10 ans pour la tentative, elle doit dire trente ans, point), dans la limite du maximum encouru pour le plus grave (ici, c'est trente ans dans les deux cas).

Première formalité filmée (23:30) : la notification de la liste (rectifiée) des jurés. Cette liste rectifiée est la liste définitive, après radiation de certains jurés lors de l'ouverture de la session d'assises et au besoin l'ajout de jurés de la liste complémentaire (voyez ce billet pour plus d'explications). Elle contient les nom, prénoms, date et lieu de naissance et profession des jurés. Elle permet aux avocats de repérer certains jurés à récuser, et de s'assurer avec leur client qu'il ne connaît personne. Notez la courtoisie du greffier. Elle reflète un élément essentiel : la justice juge sans haine. Il a (semble-t-il, je ne connais pas encore l'affaire) tué et tenté de tuer. Une famille inconsolable va venir s'asseoir dans le prétoire. La victime était sûrement un homme de bien. Peu importe. On n'a pas à le maltraiter, à l'injurier, à l'humilier. L'impartialité de la justice commence là, et est incompatible avec la commisération à l'égard des victimes, ce qui est trop souvent et à tort pris pour de la froideur, de l'indifférence ou du mépris.

(25:14) Notez le juré qui lit la presse sur l'affaire qu'il va juger. La loi ne l'interdit pas (contrairement à la loi américaine) mais c'est un problème pour moi. Le juré a déjà une idée préconcue de l'affaire, et la fiabilité de la presse (qui peut être engagée dans un point de vue sécuritaire par exemple) est ce qu'elle est. Point de vue d'avocat de la défense. La salle où sont entassés les jurés est la salle des délibérations.

(25:40) Le procureur général en personne ? Wouhaou. C'est rare, rarissime, même. Mais tout à fait légal. C'est lui le chef de sa crèmerie. Mais le procureur général a des responsabilités qui font en principe obstacle à sa présence continue à un procès, surtout sur plusieurs jours : il est le chef du parquet de toute la cour d'appel, soit pour Lyon les parquets de Roanne, Montbrison, Saint-Étienne, Villefranche-Sur-Saône, Bourg-en-Bresse et Belley, outre bien sûr celui de la capitale des Gaules, et leur intermédiaire avec Sa Très Précieuse Grâcitude (que mille diamants illuminent son bureau au parlement européen). Comme quoi, on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre, mais avec une caméra de télévision. Rien à redire sur son laius liminaire : très beau résumé de ce que doit être un avocat général (titre du parquetier qui officie normalement aux assises).

(26:10) : YES ! François Saint-Pierre ! J'aime beaucoup cet avocat, excellent pénaliste, adversaire de l'outrance, préférant la défense technique. C'est mon école. Notez la calvitie précoce, marque de la race des meilleurs avocats, si vous voulez mon avis. Bon, il est pour la partie civile, il ne peut être parfait tout le temps.

(26:11) : Cette causerie légère avant l'audience est un usage constant aux assises : les avocats vont se présenter au président et à l'avocat général. Moment de courtoisie, qui permet aussi de régler les derniers problèmes pratiques qui ne relèvent pas strictement de la procédure (ordre des plaidoiries…), et permet au président d'indiquer l'emploi du temps qu'il a prévu en fonction des disponibilités des témoins. C'est un peu la poignée de main des boxeurs avant le combat.

(26:31) : Notez la terreur qui s'abat sur les avocats provinciaux qui apprennent qu'un avocat parisien débarque. On a l'habitude. Qu'ils se rassurent : ce n'était pas moi. Mais l'inquiétude est ici une coquetterie : il est courant que les avocats de la défense soient en infériorité numérique. C'est encore plus beau comme ça. Reste à savoir si ce sera Bir Hakeim ou Fort Alamo (deux hypothèses de défense en infériorité numérique avec des résultats fort divergents).

(26:36) : Le greffier sort les pièces à conviction. Elles doivent être présentées aux jurés. C'est toujours un moment difficile pour la famille que de voir l'objet qui a tué leur fils, leur frère, leur père. Surtout quand l'objet n'est pas une arme à feu, mais par exemple une pierre (pas toujours très bien lavée), ou une hache. Je garde des souvenirs de moments très durs, même pour la défense. Conseil aux familles : sortez de la salle à ce moment là. C'est vous faire bien du mal pour rien. Seul le greffier peut le faire car il est garant de l'authenticité de toute la procédure. Il doit donc s'assurer de l'intégrité des scellés, qu'il aura pour charge de reconstituer.

(27:04) : Ce menottage est une honte. Il va se défendre, il est présumé innocent et pour le mettre en condition, on l'entrave. Article 803 du code quoi ? Nous fêterons bientôt les neuf ans de non application de cette loi par la police et la gendarmerie. Et summum de l'hypocrisie : diffuser des images d'un individu menotté sans son accord est un délit (d'où la précision du journaliste). La police viole la loi 9 fois sur 10 en mettant des menottes, mais si vous filmez et diffuser cela, vous risquez 15.000 euros d'amende. Tartuffe aurait fait un excellent député.

(28:23) : J'ai toujours le cœur qui accélère en entendant ces sonneries. J'ose penser que c'est plutôt bon signe. Notez que seule la cour proprement dite entre : les trois magistrats. Le jury n'est pas encore constitué, c'est ce à quoi nous allons assister… la prochaine fois. Notez aussi que l'accusé entre sans les menottes. C'est la loi, et depuis deux siècles. Toujours cette hypocrisie : tant que le public ne le voit pas, qu'on l'enchaîne, qu'on l'entrave, mais en public, maximum respect des libertés.

À suivre…

mercredi 4 mars 2009

HADOPI, mon amie, qui es-tu ?

Alors, cette fameuse loi «HADOPI», qu'est-ce qu'elle raconte au juste ?

Chipotons un brin

Pour le moment, rien, car ce n'est qu'un projet de loi, adopté par le Sénat mais pas encore examiné par l'Assemblée. L'exposé que je vais vous faire concerne donc le projet tel qu'adopté par le Sénat. Il va très probablement être modifié par les députés, mais c'est le seul document de travail dont je dispose, par la force des choses.

Et de fait, je ne m'attarderai qu'au seul article 2, qui contient l'essentiel du projet de loi, le reste des dispositions de la loi étant à ce jour essentiellement de la rénumérotation de textes et des transferts de compétence pour tenir compte de la création de la fameuse HADŒPI.

Pour cet exposé, j'appellerai le projet de loi HADOPI, pour éviter d'utiliser le nom officiel un peu long (Projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet), et utiliserai la graphie HADŒPI quand je parlerai de la future Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet.

Soulevons le capot

Comme je l'avais dit lors de la promulgation de la loi DADVSI :

Que serait une nouveauté législative sans une nouvelle autorité administrative indépendante qui lui est consacrée, et qui permet ainsi au ministre concerné de se défausser de ses responsabilités ? Réponse : ce que vous voulez sauf une réforme française.

La loi HADOPI sera une réforme française, puisqu'elle crée une nouvelle Autorité Administrative Indépendante, la HADŒPI.

Son organisation est un pur copier/coller de l'organisation habituelle de ces Autorités Indépendantes : un collège de neuf membres, nommés pour six ans non renouvelables et non révocables ; un Conseiller d'État, un Conseiller à la cour de cassation, un conseiller à la cour des comptes, le président de l'HADOPI, élu par les Neufs, devant être un de ces trois là, un membre désigné par le président de l'Académie des Technologies, un membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique désigné par son président et quatre personnalités qualifiées, désignées sur proposition conjointe des ministres chargés des communications électroniques, de la consommation et de la culture.

Son rôle serait défini à un futur article L.331-13 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) et se divise en trois missions :

« 1° Une mission d’encouragement au développement de l’offre commerciale légale et d’observation de l’utilisation illicite ou licite des œuvres et des objets auxquels est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne ;

« 2° Une mission de protection de ces œuvres et objets à l’égard des atteintes à ces droits commises sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne ;

« 3° Une mission de régulation et de veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d’identification des œuvres et des objets protégés par le droit d’auteur ou par les droits voisins.

Et concrètement, ça marche comment ?

« Au titre de ces missions, la Haute Autorité peut recommander toute modification législative ou réglementaire. Elle est consultée par le Gouvernement sur tout projet de loi ou de décret intéressant la protection des droits de propriété littéraire et artistique. Elle peut également être consultée par le Gouvernement ou par les commissions parlementaires sur toute question relative à ses domaines de compétence.

« Elle contribue, à la demande du Premier ministre, à la préparation et à la définition de la position française dans les négociations internationales dans le domaine de la protection des droits de propriété littéraire et artistique sur les réseaux numériques. Elle peut participer, à la demande du Premier ministre, à la représentation française dans les organisations internationales et européennes compétentes en ce domaine.

Voilà, c'est tout.

Je vous sens surpris. La HADŒPI ne devait-elle pas vous priver d'internet ?

Non. Tout le monde se focalise sur la HADŒPI alors que c'est une autre formation, la Commission de Protection des Droits (CPD), qui porte fort mal son nom, qui maniera la pince coupe-cable éthernet. Certes, la CPD est rattachée administrativement à la HADŒPI, pour le budget et les locaux, mais les fonctions de membre de la HADŒPI et de la CPD sont incompatibles (futur art. L.331-16 du CPI) : c'est bien une formation distincte.

La vraie méchante : la Commission de Protection des Droits

La CPD est composée d'un Conseiller d'État, un conseiller à la cour de cassation et un conseiller à la cour des comptes, désignés par le président de ces juridictions, sauf pour le Conseil d'État où c'est le vice-président[1]. Trois magistrats, donc, un administratif pur, un judiciaire et un administratif spécialisé. Rien à redire sur la composition, les magistrats à la cour des comptes sont très compétents sur toutes les questions économiques. Elle dispose d'agents publics assermentés qui travaillent sous son autorité.

Question garantie d'indépendance, outre l'irrévocabilité et la non-reconductibilité, les membres du Collège comme de la CPD ne peuvent avoir exercé, au cours des trois dernières années, les fonctions de dirigeant, de salarié ou de conseiller d’une société de perception et répartition des droits (SACEM, SPEDIDAM…) ou d'une société commerciale ayant un intérêt dans l'exploitation d'œuvres de l'esprit (production, édition de livres, films, musique, etc).

Donc, la CPD, puisque c'est elle la méchante, comment marche-t-elle au juste ?

Trouvez moi un responsable pas coupable !

Le législateur a été rusé. La difficulté est, comme l'ont relevé beaucoup d'internautes, que l'on ne peut pas savoir qui effectue des opérations de téléchargement ou de visionnage portant atteinte aux droits d'auteur. On a au mieux une adresse IP, qui n'indique que le fournisseur d'accès à internet (FAI). Le FAI sait à quel abonné était attribué cette adresse IP tel jour à tel heure. Mais cela ne révèle que le titulaire de l'abonnement. Le contrefacteur peut être son fils (mineur), son voisin qui profite d'un réseau wifi non protégé, un ami de passage… Et si l'adresse IP correspond à une entreprise, une université et un cybercafé, vous comprenez le casse-tête.

Or le législateur n'aime pas se casser la tête.

On ne peut pas savoir qui a téléchargé, seulement le titulaire de l'abonnement ? Alors, ce sera lui le responsable, en vertu de la jurisprudence Loup v. Agneau : « si ce n'est toi c'est donc ton frère ».

La loi va insérer dans le Code de la propriété intellectuelle un nouvel article L. 336-3 ainsi rédigé :

La personne titulaire de l’accès à des services de communication au public en ligne a l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise.

Or le simple constat qu'une atteinte à une œuvre protégée a eu lieu depuis son abonnement démontre que cette obligation n'a pas été respectée, ce qui constitue la faute. CQFD.

Peu importe que le titulaire de l'abonnement ne soit pas le contrefacteur. On ne l'accuse pas de contrefaçon. Il est juste fautif de non surveillance de son accès internet. Présomption d'innocence, prohibition de la responsabilité pénale du fait d'autrui, dites-vous ? Mais les seules sanctions (que j'examinerai plus loin avec la procédure) seront purement civiles, les règles (protectrices) du droit pénal ne s'appliquent pas.

Je peste souvent contre le législateur, mais je dois rendre hommage à son génie dès lors qu'il s'agit de porter atteinte aux libertés de ceux qui l'ont élu.

Comment échappe-t-on à sa responsabilité ?

La loi vise trois cas.

1° Si le titulaire de l’accès a mis en œuvre l’un des moyens de sécurisation agréés par l'HADŒPI selon une procédure à fixer par décret ;

2° En cas d'utilisation frauduleuse de l’accès au service de communication au public en ligne (bonne chance pour le prouver), à moins que cette personne ne soit placée sous l’autorité ou la surveillance du titulaire de l’accès ;

3° En cas de force majeure, ce qui est une mention superfétatoire, puisque la force majeure exonère de toute responsabilité. la force majeure s'entend d'une force extérieure à la personne dont on recherche la responsabilité éventuelle, irrésistible et imprévisible. J'avoue avoir du mal à imaginer dans quelle cas on télécharge illégalement un film par force majeure.

Moteur !

► Premier temps : la saisine.

La CPD est saisie de faits de contrefaçons, qui lui sont dénoncés par les agents assermentés désignés par les organismes de défense professionnelle régulièrement constitués ; les sociétés de perception et de répartition des droits ; le Centre national de la cinématographie, ou le parquet.

La loi institue toutefois une prescription de 6 mois, au bout desquels la CPD ne peut plus être saisie (art. L. 331-22 futur).

► Deuxième temps : You've got mail.

La CPD saisie de tels faits peut envoyer à l'abonné concerné un courriel via son FAI « une recommandation lui rappelant les prescriptions de l’article L. 336-3, lui enjoignant de respecter cette obligation et l’avertissant des sanctions encourues en cas de renouvellement du manquement. La recommandation doit également contenir des informations portant sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites pour la création artistique ».

De ce genre peut-être ?

Oui, c'est une parodie, tirée du désopilant feuilleton anglais The IT Crowd, sur Channel Four. Et oui, c'est la télévision publique britannique qui a fait ça.

Pourquoi cet e-mail doit-il être envoyé par l'intermédiaire du FAI ? Entre autre parce que, d'après le ministre de la culture entendue par la Commission des lois, l'objectif est d'envoyer 10.000 courriels par jour. Plus qu'il n'en faut pour que la CDP soit fichée partout dans le monde comme spammeur, et que ses messages soient interceptés par des logiciels anti-spam.

Détail amusant (si on a comme moi un sens de l'humour pervers) : cette recommandation par voie électronique ne divulgue pas les contenus des éléments téléchargés ou mis à disposition. Ce qui donne à peu près ça :

— (voix d'outre-tombe) : JE SUIS LA HADŒPI ET JE SAIS CE QUE TU AS FAIT ! Enfin, toi ou quelqu'un d'autre, ça je sais pas. Mais ce que quelqu'un a fait, je le sais.
— Et c'est quoi ?
— TU LE SAIS.
— Heu, non, d'où ma question.
— JE NE TE LE DIRAI PAS MAIS SACHE QUE JE SAIS CE QUE QUELQU'UN A FAIT. NE REFAIS PAS CE QUE TU NE SAIS PAS QUE QUELQU'UN A FAIT, SINON JE FERAI EN SORTE QUE CE SOIT BIEN FAIT POUR TOI.

Je sens qu'on va bien rigoler avec cette loi.

► Troisième temps : Bis repetita…

Une personne ayant déjà été rendue destinataire d'un courriel (la loi ne pose aucune obligation de s'assurer que le courriel a effectivement été reçu, et puis quoi encore ?) et dont l'adresse IP se retrouve dans les six mois à se ballader dans des Criques aux Pirates, dont manquant une nouvelle fois à son obligation de veiller à sa TrucBox comme à la prunelle de ses yeux, recevra un deuxième courrier électronique.

En effet, le premier ayant été inefficace, on va utiliser à nouveau la même méthode inefficace pour voir si cette fois, par hasard, elle ne serait pas devenue efficace. C'est directement inspiré de la technique utilisée pour réduire le chômage en France ces trente dernières années.

Je suis mauvaise langue, car la loi prévoit que ce deuxième courriel peut (peut, pas doit, les critères de ce choix étant laissés à la discrétion de la CPD) être doublé d'une lettre remise contre signature ou tout autre moyen permettant de prouver la réception effective de la lettre (recommandé AR). Cette lettre physique est importante car seule elle permettra d'enclencher la procédure de sanction. Conclusion d'avocat : surtout, n'acceptez pas de signer le récépissé (rien ne vous y oblige dans la loi), et si vous recevez une lettre recommandée de la CPD, ne l'acceptez pas. Vous serez à l'abri des sanctions de la CPD.

► Quatrième temps : Fear the ripper

Si dans l'année suivant la réception de la lettre physique, l'abonné a méconnu son obligation de veiller à ce que sa connexion soit utilisée à des fins portant atteinte à des œuvres protégées, la commission peut lancer un procédure contradictoire (c'est-à-dire que l'abonné est mis en mesure de présenter ses observations, fichus droits de l'homme qui passent avant les droits des victimes) pouvant aboutir à une de ces trois sanctions :

1° La suspension de l’accès au service pour une durée de d’un mois à un an assortie de l’impossibilité, pour l’abonné, de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur l’accès à un service de communication au public en ligne auprès de tout opérateur (NB : le paiement de l'abonnement n'est quant à lui pas suspendu, futur article L.331-28 du CPI) ;

2° En fonction de l’état de l’art, la limitation des services ou de l’accès à ces services, à condition que soit garantie la protection des œuvres et objets auxquels est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin (sans qu'une limitation de durée soit prévue, grosse inconstitutionnalité à mon avis ;la formulation, issue d'un amendement du Sénat, révèle que les sénateurs ne savent pas si c'est possible, mais souhaitent que ce soit juridiquement faisable si c'est techniquement possible) ;

3° Une injonction de prendre des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement constaté et à en rendre compte à la HADŒPI, le cas échéant sous astreinte, cette injonction pouvant faire l'objet d'une publication dans la presse aux frais du condamné.

► On peut négocier ?

La CPD peut proposer à l'abonné une transaction, c'est à dire un accord portant sur une suspension de l'abonnement pour trois mois maxi, une limitation du service (toujours sans limitation de durée), ou une obligation de prendre des mesures pour prévenir le renouvellement du manquement, dont il sera rendu compte à l'HADŒPI. Une telle transaction, qui suppose l'accord de l'abonné, exclut tout recours judiciaire, à mon sens, même si la loi est muette là dessus : c'est une solution classique.

► Objection votre honneur !

Un recours peut être exercé contre ces décisions devant les juridictions judiciaires. Lesquelles, selon quelles modalités ? Ce sera fixé par décret. La loi ne précise pas si le recours sera suspensif de la décision, mais en principe ça devrait être le cas.

Je suis pas content mais je n'ai plus de peinture noire : que faire ?

Repérez les députés intéressés par ce projet de loi, et qui y sont hostiles ou à tout le moins critique. Le rapport de la commission des lois est riche en information là dessus.

Patrick Bloche, Martine Billard et Didier Mathus sont trois députés très hostiles au projet. De l'opposition, me direz-vous. Mais l'opposition, sur la loi DADVSI, avait réussi à infliger un camouflet au ministre de la culture de l'époque dont la carrière politique ne s'est jamais remise.

La lecture des amendements est aussi une source d'informations précieuses.

Côté majorité, Lionel Tardy, Marc Le Fur et Alain Suguenot ont cosigné 24 amendements montrant un désaccord avec le projet actuel : ils proposent notamment de substituer une amende à la suspension de l'abonnement, d'imposer l'intervention du juge pour l'accès aux données personnelles, et d'imposer à la CPD d'engager des sanctions pour tous les cas dont elle sera saisie (soit 10.000 par jour selon les projections de la ministre !) ce qui est logique mais impossible à mettre en œuvre : ça s'appelle mettre le gouvernement face à ses contradictions.

J'aurais des propositions intelligentes d'amendements à faire que je me tournerai vers ces personnes-là.

Notes

[1] C'est en effet le premier ministre qui est président du Conseil d'État, titre purement honorifique ; c'est le vice-président qui est le vrai chef.

jeudi 26 février 2009

Encore un prix Busiris pour Rachida Dati

Je vous assure, j'essaie de me retenir. Mais c'est elle qu'il faut retenir. Rachida Dati lançant au maître des lieux un regard de défi disant : “Alors, tu croyais pas que j'allais y arriver, hein, mon cochon ?” - Photo ministère de la justice

Je commence à la soupçonner de faire comme ces maires battus aux élections qui emportent avec eux les ordinateurs, la photocopieuse et les interrupteurs de la mairie, et de faire le plein de prix Busiris avant son exil à Strasbourg (symbolique, son lieu de détention sera en réalité au 116 rue de Grenelle).

Mais là, je ne peux faire autrement.

Revenant ensuite devant la presse sur la mise en place de bureaux d'aide aux victimes (BAV[1]) au début de l'année, Mme Dati a jugé que ceux-ci permettaient "d'expliquer la procédure, comment se constituer partie civile, comment on demande un avocat".

“On accompagne les victimes jusqu'à ce que la décision soit rendue. Une fois qu'elle est rendue, on continue à les prendre en charge jusqu'à ce que la décision soit réellement exécutée. C'est ça, être respectueux des victimes, parce que je considère que le premier des droits de l'homme, c'est le droit des victimes”, a-t-elle jugé.

Affirmation juridiquement aberrante, car elle confond non pas deux mais trois sens du mot droit : le droit objectif (droit de propriété, droit d'auteur), la discipline juridique (droit civil, droit pénal) et le droit subjectif (qui est la mise en application application pratique d'un droit objectif : le droit pour la victime d'un fait précis de demander réparation à l'auteur de ces faits par exemple). Dans l'expression “droit de l'homme”, droit a le sens de droit objectif.

Le “droit des victimes” tout court s'entend comme discipline juridique. Il regroupe des aspects de procédure pénale (comment se constituer partie civile, répliquer à une exception de nullité), de procédure civile (le renvoi sur intérêts civil, la procédure devant la Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infraction), de droit de la responsabilité civile et du droit de la réparation du préjudice corporel (car chiffrer un préjudice est une science).

Mais en analysant les propos du Garde des Sceaux (ce qui n'est pas facile, c'est un peu comme skier sur un lac gelé, on sent vite que ça manque de pente), on réalise vite qu'elle voulait parler du droit des victimes à obtenir réparation, ce qui est confirmé par un passage antérieur :

Revenant ensuite devant la presse sur la mise en place de bureaux d'aide aux victimes (BAV) au début de l'année, Mme Dati a jugé que ceux-ci permettaient "d'expliquer la procédure, comment se constituer partie civile, comment on demande un avocat".

Manifestement, il s'agit d'aider les victimes à exercer leurs droits (ce qui en soit est une excellente idée). Mais c'est dans ce cas leur droits subjectifs.

Ça peut paraître du pinaillage, mais le sens du mot “droit”, c'est le premier cours qu'on a en fac de droit, juste avant “droit et morale”. La phrase récompensée ce jour ne veut absolument rien dire. Et Mme Dati est magistrate (désolé de le rappeler aux magistrats qui me lisent, mais nous, on a bien eu Clément, hein, chacun sa croix).

Car qu'est-ce qu'un droit de l'homme ? On pourrait faire des thèses sur cette question, mais pour faire simple, disons que c'est un droit supérieur à tout, intangible. On l'a mis hors de portée du législateur, et idéalement, on a désigné un juge pour le protéger (ce n'est pas encore tout à fait le cas en France). Le noyau dur, c'est la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 :

Art. 2.

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.

Vous constaterez que le droit des victimes n'y figure pas, et que l'ajouter à la liste n'aurait aucun sens, ou plutôt serait un contresens. Et en droit, un contresens, c'est un sens interdit (c'est dans le code de la route).

La déclaration de 1789 en contient d'autres, mais ce ne sont pas vraiment des droits, plutôt des libertés ou des principes juridiques (Égalité, art. 1er et 6 face à la loi ; tout ce qui n'est pas interdit est autorisé, art. 5 ; non rétroactivité de la loi pénale, art. 8 ; présomption d'innocence, art. 9 ; liberté de conscience, article 10, d'expression, art. 11 ; …). On les appelle néanmoins droits de l'homme par synecdoque.

Par la suite, quelques expériences postérieures malheureuses ayant montré l'insuffisance de cette liste, d'autres droits ont été reconnus et proclamés, dans le préambule de la Constitution de 1946 (préambule encore en vigueur) et par la Convention européenne des droits de l'homme en 1950. Tous ces droits forment l'ensemble des droits de l'homme, la discipline juridique les étudiant et surtout étudiant les moyens de les faire respecter s'appelant droits de l'homme et libertés fondamentales, ou parfois libertés publiques, programme de troisième année de droit en principe (et c'est une matière beaucoup plus ennuyeuse qu'il n'y paraît).

Le droit des victimes n'y figure pas. Ce n'est pas un oubli, c'est juste que, et on a tendance à l'oublier, les victimes sont des hommes et des femmes comme les autres. Ça s'appelle l'égalité, et ça, c'est un droit de l'homme.

Voilà pourquoi l'affirmation « le premier des droits de l'homme, c'est le droit des victimes » est juridiquement aberrante.

Il n'y a pas de contradiction, mais ce n'est pas un critère obligatoire pour un Busiris, quand le caractère aberrant atteint une certaine amplitude, et là, on est proche du volume d'Antarès (pour vous faire une idée, voyez ici).

L'affirmation est teintée de mauvaise foi car elle a été proférée en réponse à cette interpellation :

"Ce que je regrette, c'est de vous entendre toujours sur le droit des victimes et (de vous voir) apparaître de temps en temps dans les médias quand un détenu se suicide", lui a lancé une avocate, dénonçant son "silence et (ses) carences s'agissant des prévenus et des mis en cause".

Invoquer les victimes pour se défendre de ne pas respecter les droits de l'homme des personnes poursuivies, cela ne peut qu'être dit de mauvaise foi. J'ai une trop haute opinion de l'intelligence du Garde des Sceaux pour penser un seul instant qu'elle soit sincère en disant cela.

Enfin, le mobile d'opportunité politique est caractérisé par le fait que ces propos s'inscrivent dans son interminable tournée d'adieux aux frais de la République, où elle va dans le moindre recoin relevant de son ministère faire un discours à base de "je, je, je, je" et de chiffres pour expliquer en quoi elle a été formidable et tentant de nous convaincre qu'elle va nous manquer (démonstration avec son discours du jour). Pour ma part, j'en suis convaincu, elle va laisser un grand vide. Un très grand vide, même. Si le comptable de la Chancellerie me lit, il me comprendra.

Bref, et de six. L'exploit est sans précédent, et il lui reste 4 mois pour améliorer le record.

Je ne doute pas qu'elle saura les mettre à profit.

Notes

[1] Non, ce n'est pas une plaisanterie. On accueille les victimes dans des BAV.

HU-MA-NI-TE !

Par Gascogne


Les débats devant la commission parlementaire d’enquête suite à l’affaire dite d’Outreau nous avaient appris, au moins pour ceux qui n’étaient pas encore au courant (c’est à dire pour les habitants de Mars qui ne lisent ni le Figaro ni le blog de Jean-Michel APHATIE), que la Justice était particulièrement inhumaine, et que sa figure emblématique, le juge d’instruction, présentait autant d’humanité qu’un bulot mal cuit.

Diverses réformes sont donc intervenues pour remédier à tout cela. La scolarité des auditeurs de justice a été profondément remaniée, le stage avocat est passé de deux mois à six mois, afin d’apprendre aux pioupioux la vraie vie. Malheureusement, et pour ne pas alourdir une scolarité de 31 mois, le stage extérieur, en administration, ou dans une entreprise, qui devait aérer un peu les futurs magistrats dont la majorité sort à peine de faculté, en leur montrant autre chose que du judiciaire, a été supprimé (n'hésitez pas à demander le programme).

On demande dés lors aujourd’hui au juge d’être tout à la fois à l’écoute des victimes, pour lesquelles on n’en fait jamais assez (et je rejoins à 300 % la réponse faite par le Maître de Céans à un commentaire sous un précédent billet), mais également de se présenter sous son meilleur jour aux personnes poursuivies. Tout en conservant bien entendu la neutralité qui fait l’essence de son métier. Cela peut paraître certes quelque peu complexe, voire schizophrénique (sauf pour les juges d'instruction, qui ont l'habitude), mais des cours de psychologie ont été rajoutés à la formation initiale des auditeurs pour les aider, non à supporter la scolarité, mais à comprendre leur prochain.

Et la Chancellerie, à l’écoute de cette humanisation nécessaire des machines à juger que sont les magistrats, vient de diffuser une circulaire[1] concernant la visioconférence (à lire en intégralité sur le site du Syndicat de la Magistrature qui vient de communiquer sur le sujet).

C’est que tous ces juges qui exigent d’avoir face à eux les détenus pour procéder à des interrogatoires et autres débats contradictoires coûtent du temps et de l’argent aux services du Ministère de l’Intérieur en charge des extractions judiciaires. 155 000 extractions[2] pour l’année 2008, afin qu’une personne incarcérée puisse s’expliquer, c’est trop. Elles doivent diminuer de 5 % pour l’année 2009.

Et si cet objectif n’était pas atteint, le Ministère de la Justice paierait au Ministère de l’Intérieur la différence “au prorata des extractions non évitées et donc des ETPT (pour un peu plus d'explications technocratiques, voir ici) engagés pour les réaliser”. Par contre, si les Cours d’Appel dépassent l’objectif, il y aura certes une “compensation”, mais dont on ne connaît pas encore les modalités. Pile je gagne, face tu perds.

Je n’ai rien de particulier contre la visionconférence pour l’avoir moi même pratiquée lorsque j’étais à l’instruction. Lorsque j’ai dû notifier une mise en examen supplétive pour un chèque falsifié à un détenu se trouvant à 800 km, je ne voyais pas l’intérêt de lui faire faire ce voyage pour quelques minutes d’entretien, et d’imposer une journée complète de déplacement à deux gendarmes pour cela. J’ai pu également faire une confrontation par ce moyen, la victime résidant fort loin et ne pouvant se déplacer. Mais ces cas restent à la marge.

Le Secrétariat Général de la Chancellerie veut pourtant imposer cette "virtualisation" du rapport humain sous contrainte financière :

La performance des cours d’appel sera appréciée au regard du nombre de visioconférences qui auront été réalisées dans le cadre de l’activité juridictionnelle en lien avec des détenus, ayant ainsi permis d’éviter des extractions, et leur responsabilité sera engagée, en début d’année 2010, sur leur crédits vacataires

C’est visioconférence ou pas de personnels supplémentaires...

J’ai déjà eu connaissance de Chambres de l’instruction qui dans le cadre d’appels concernant des demandes de mise en liberté procédaient par visioconférence pour des mis en examen détenus pourtant à la maison d’arrêt du siège de la Cour d’Appel[3]. Le détenu argumentait sa demande de mise en liberté devant trois juges apparaissant sur un écran (grand format, je vous rassure). Et on nous demande de multiplier, pour des raisons d’économies à faire faire au Ministère de l’Intérieur, ce genre de procédures.

M. Vallini avait eu la délicatesse lors d’un déjeuner à l’ENM avec les auditeurs de justice de dire à une demoiselle qui, certes partageait sa table mais qu’il ne connaissait pourtant absolument pas, qu’elle manquait visiblement d’épaisseur humaine pour exercer à son âge les fonctions de juge.

L’épaisseur humaine web 2.0 va améliorer le système, n’en doutons pas.

Notes

[1] circulaire SG-09-005 / SG / 03.02.09 du 5 février 2009

[2] devant un chiffre aussi énorme, je suppute que la Chancellerie a comptabilisé pour la bonne bouche TOUTES les extractions, tant médicales qui judiciaires. Mais la visioconférence médicale est techniquement plus délicate à mettre en place...

[3] c'est à dire pour être plus précis à quelques centaines de mètres

mardi 24 février 2009

Quand je vous dis que le droit et la morale…

…c'est deux choses différentes : démonstration par l'exemple.

Que s'est-il passé au juste ? Je n'en sais rien, je ne connais pas le dossier. Je vais donc faire des déductions, que j'accompagne en conséquence des plus vives réserves.

En principe, il n'y a pas de débat sur la procédure devant la cour d'assises. En matière de crime, il y a obligatoirement une instruction préalable, et c'est au cours de cette instruction que doivent être soulevées toutes les nullités, à peine de forclusion. Il y a deux délais couperets : le premier est de six mois à compter de l'acte frappé de nullité OU de la mise en examen si celle-ci est postérieure. Le second est l'ordonnance de mise en accusation, qui clôture l'instruction et saisit la cour d'assises, ou le cas échéant l'arrêt de la chambre de l'instruction qui la confirme. Elle purge toutes les nullités de l'instruction (art. 181 du CPP).

La raison avancée est que la cour d'assises est une juridiction lourde, qui suppose la réunion d'un jury populaire. Or déranger plusieurs dizaines de citoyens pour finalement constater qu'il n'y a rien à juger, c'est une perte de temps. Et qu'est-ce que les droits de la défense face à une perte de temps, je vous le demande ? Bref, les chicaneries de procédure n'ont pas leur place ici.

Il y a bien sûr des exceptions à ce principe.

Tout d'abord, il y a les actes postérieurs à la fin de l'instruction et antérieurs à la session d'assises. Ces actes doivent être soumis à la cour (composée seulement des trois magistrats professionnels pour les questions de procédure, dits incidents contentieux) dès que le jury de jugement est constitué, à peine là aussi de forclusion (article 305-1 du CPP). Enfin, il y a les propres actes de la cour d'assises. Curieusement, seule la cour est compétente pour juger de la nullité de ses propres actes (Crim. 26 mars 2003, bull. crim. n°79). Attendons une condamnation par la cour européenne des droits de l'homme pour qu'enfin le législateur s'avise de mettre fin à ce juge qui se juge lui-même, mais en attendant, c'est comme ça. Enfin, et c'est ce qui s'est passé ici, il y a les causes de nullité qui apparaissent au cours des débats. Dans ce cas, on ne peut opposer la forclusion, en vertu du principe qu'un délai ne peut courir contre qui ne peut agir (contra non valentem agere non currit præscriptio).

Et dans cette affaire, semble-t-il, les débats ont révélé que des actes d'enquête avaient été accomplis par un policier français alors même que la justice française n'était pas encore saisie et lui même étant territorialement incompétent pour ce faire, les faits s'étant produits à l'étranger, à Madagascar, et les actes d'enquête ayant eu lieu sur place. Accessoirement, le policier en question était l'amant d'une des parties civiles… Même dans une fiction de TF1, ils n'oseraient pas.

Or ces actes se situent au tout début de l'instruction. On peut supposer que toute la suite de l'instruction s'est appuyée sur ces constatations, et en découlait nécessairement, donc était également viciée par cette nullité initiale.

Dès que la défense, composée entre autres du redoutable Éric Dupond-Moretti, a découvert cela, elle a aussitôt soulevé la nullité qui venait de se révéler (concrètement : par le dépôt de conclusions écrites, même à la main, au besoin en demandant une suspension d'audience pour les rédiger). La nullité était criante et invincible, semble-t-il, puisque le parquet n'a pu que s'y ranger, d'après la dépêche.

Résultat : tout le dossier part à la poubelle. Les accusés sont immédiatement remis en liberté (alors que l'un d'entre eux avait avoué). Sous les yeux de la famille des cinq victimes.

Et maintenant ?

Difficile à dire, mais les choses se présentent fort bien pour les accusés libérés. S'agissant du procès en première instance, seul un appel est possible. Mais le parquet ne s'est pas opposé à la nullité, pourquoi ferait-il appel ? Bon, ça, ça peut s'arranger. Il suffit d'aller chanter sa complainte place Vendôme, et notre future députée européenne se fera un plaisir d'ordonner au parquet de se déjuger, en vertu de la jurisprudence “virginité lilloise”. Mais il faut le faire dans le délai de dix jours. En cas d'appel, les mêmes causes produisant les mêmes effets, je ne vois pas comment la cour pourrait estimer cette procédure valable, sauf à faire une application rigoureuse de la purge des nullités en l'appliquant même aux nullités inconnues. Dans ce cas, c'est une condamnation assurée par la cour européenne des droits de l'homme pour violation du droit au procès équitable.

Ah, et oui, les accusés peuvent demander à être indemnisés pour leur détention provisoire. À mon avis, la commission ne sera pas très généreuse, mais ils le peuvent.

Quand je vous dis que le droit et la morale…

Et pour ceux qui se posent la question, j'approuve totalement ce qu'a fait la défense, et je l'aurais fait moi-même sans hésiter. Laisser un de mes clients être condamné illégalement serait une trahison et une forfaiture. Bravo à ces confrères.

mercredi 18 février 2009

Tout le monde n'a pas le talent de Luc Besson

À moins que ce ne soit son audience. Mais il y en a qui font de tels efforts qu'ils méritent néanmoins qu'on leur présente nos compliments.

Et je dois reconnaître que Frédéric Lefèbvre s'est surpassé avec cette interview dans 20 minutes. L'académie Busiris n'a pas été convoquée faute de propos juridiquement aberrant : ils sont simplement atterrants.

Pourquoi êtes-vous venu en aide à Luc Besson?
Les propos de Luc Besson ne sont qu’un élément déclencheur, mais cela fait longtemps que les sites de vidéos en streaming se développent sur le Net, faisant fi des droits d’auteur. C’est pourquoi je demande une commission d'enquête parlementaire.

Ah, il n'aura pas attendu longtemps pour la première bêtise.

Les commissions d'enquête sont prévues par l'article 6 de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires (cette ordonnance a valeur de loi organique). Cet article précise que les commissions d'enquête « sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées. »

Des faits déterminés. Une commission d'enquête ne peut donc se réunir sur le thème général du streaming et des droits d'auteur. Il peut s'en réunir une sur l'affaire Beemotion.fr, par exemple. Mais "les sites de vidéo en streaming" n'est pas un sujet de commission d'enquête. Il y a les rapports d'information pour ça, et ça ne prend qu'un seul parlementaire (mais ça ne donnera pas lieu à l'audition télévisée de gens célèbres, c'est vrai…).



Dans quel but?
Je veux que l’on trouve une façon de rendre le Net plus responsable.

La prochaine fois que je déjeune avec le Net, promis, je lui demande d'être plus responsable. Le Net, ou l'internet, est un réseau d'ordinateurs pouvant se transmettre des fichiers informatiques grâce à des protocoles normalisés (le HTTP étant le plus répandu). C'est comme demander à un téléphone d'être responsable.

Or certains sites, comme beeMotion, sont des dealers.

Là, on a un parlementaire qui fait fi des droits d'auteur de Luc Besson : c'est lui qui a inventé cette analogie. Je demande une commission d'enquête.

beeMotion a profité du système et gagné de l’argent pendant six mois en mettant des pubs sur son site, grâce à des films dont il n’a pas les droits. C’est illégal! beeMotion a fait un bras d’honneur au groupe Iliad, qui a hébergé ce site sans en vérifier le contenu.

D'une part, personne ne sait combien BeeMotion a gagné grâce à la pub. Rappelons que la société Wizzgo, avec son “magnétoscope numérique”, affichait 1294 euros de recettes publicitaires en une année d'existence. Je crois qu'il y a une vraie illusion d'une criminalité extrêmement lucrative, entretenue par les chiffres fantaisistes de l'industrie (rappelons que Luc Besson parle d'un milliard d'euros par an pour la France), donc d'argent à confisquer ou taxer, qui va faire des malheureux. D'autre part, si quelqu'un comprend cette histoire de bras d'honneur, merci de me l'expliquer.

Là, excellente question de la journaliste, qui a bien préparé son sujet :



Sauf qu’Iliad n’a pas vocation à vérifier le contenu a priori, puisqu’il n’est pas éditeur, donc pas responsable pénalement. C’est ce que dit la LCEN (loi de confiance en l’économie numérique)...

Article 6, I, 2. Pwned. Réponse immédiate qui laisse pantois :

Je veux changer la loi.

Il y a un député qui n'a pas préparé son sujet. La LCEN est la transposition (avec retard) d'une directive européenne, la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique. Donc pour changer le régime actuel de responsabilité de l'hébergeur, il faudrait un consensus au niveau des 27 pays de l'UE[1] puisqu'il faudrait que tous changent leur législation pour calmer les humeurs de M. Lefèbvre. Mais bon, hein, si les politiques tenaient compte de la faisabilité de leurs caprices, où irait-on ?



Légiférer le Net: mission impossible?
Non, pas impossible. Il faut légiférer, car les dealers vont justement se nicher dans les endroits sans règle.

Laisser entendre que l'internet est un “endroit sans règle” — Passons sur le fait que ce serait un “endroit” ce qui est déjà aberrant— juste après qu'on lui a cité la loi qui a légiféré sur l'internet, ça demande quand même une certaine audace grâce à laquelle on reconnaît facilement M. Lefèbvre à l'assemblée.

Si vous faites fermer les sites de streaming, ils délocaliseront leurs serveurs à l’étranger...
C’est pour cela que je demande un G20 du Net. De la même façon qu’on fait la chasse aux paradis fiscaux à l’échelle mondiale, il faut faire la chasse aux dealers du Net. Il y a une dimension nationale et internationale à cette affaire.

Je vous la refais en abrégé, en shorter comme on dit sur le Net sans foi ni loi :

—Que voulez-vous ?
— Une commission d'enquête.
— Mais il y a déjà une loi.
— Alors je veux changer la loi.
— Mais il y a une dimension internationale.
— Alors je veux un G20 du Net.

Débranchez-le, encore deux questions, et il demande l'usage de l'arme nucléaire.

La journaliste ne lâche pas l'affaire : un G20 du Net, rien que ça. Voilà un scoop. Question logique, pour voir si le député a bien préparé son dossier.

Qui sont vos interlocuteurs européens et américains sur cette question?

Vous avez déjà vu une baudruche se dégonfler ?

C’est à déterminer. Pour l’instant, je demande aux autorités publiques l’organisation de ce G20 du Net.

Le député Lefèbvre, qui il y a quelques lignes voulait une commission d'enquête, changer la loi, que dis-je, le droit européen, refile piteusement le bébé aux autorités publiques, ce qui n'inclut pas les membres du parlement visiblement, réalisant que houlala, c'est bien compliqué cette affaire, pourtant, en lisant Besson, ça avait l'air simple.

Las, le chemin de croix de Frédéric Lefèbvre n'est pas encore terminé, la journaliste a encore des questions dans son sac.



Le visionnage en streaming n’est-il pas un frein au piratage de peer-to-peer?
Si, car il offre souvent une meilleure qualité et évite aux consommateurs de perdre de la mémoire en stockant des fichiers téléchargés. Mais justement, le streaming est plus dangereux et plus puissant quand il se fait sans respecter les droits d’auteur...

Mes bras étant tombés, j'écris la suite de ce billet en tapant sur mon clavier avec mon front. Le streaming, de meilleure qualité que le téléchargement d'un fichier DivX ? Donc les téléchargeurs sont des imbéciles d'utiliser une technologie obsolète ? Ah mais non, ils ont dû oublier que ça existe, puisque le streaming “fait perdre de la mémoire aux consommateurs”, un peu comme le shit, en fait (puiqu'on vous dit que ce sont des dealers !). Quant au final : “le streaming est plus dangereux et plus puissant quand il se fait sans respecter les droits d’auteur”, on sent que le député souhaiterait déjà être ailleurs. Le streaming n'est pas un Pokémon : il n'est ni puissant ni dangereux ; et s'il se fait dans le respect des droits d'auteur, il est légal, point.

Heureusement arrive une question facile.

Pourquoi n’aurait-on pas le droit de regarder une série gratuitement sur le Net si on peut la voir à la télévision?
La télé paie l’auteur de cette série, le téléspectateur paie une redevance. Il n’y a pas de raison que le Net y échappe. C’est comme si vous me disiez «les oranges sont trop chères au supermarché, alors quelqu’un va les distribuer gratuitement dans la rue». Il faut développer une offre légale et alléchante sur le Net pour les consommateurs.

Bon, une bonne fois pour toute, il faut arrêter les analogies. Ça suffit. Je fonde ce jour l'ACAF, l'Association Contre les Analogies Foireuses. Après les voleurs, les dealers, les distributeurs d'orange. Non mais je crois rêver. En plus ça gâche la première phrase intelligente : le constat de l'absence d'offre légale intéressante, qui est la source du problème à mon sens. Sur la question sur la série, rappelons que les chaînes de la TNT et du câble, qui diffusent la majorité des séries, ne touchent pas un centime de la redevance audiovisuelle. C'est par la publicité et le cas échéant les abonnements qu'elles gagnent de l'argent. Précisément, regarder une série sur le net leur porte préjudice puisque leurs tarifs publicitaires dépendent directement de leur audience, et l'internet peut détourner une partie de cette audience.



Une offre de quel type?

Las, M. Lefèbvre n'a vraiment pas préparé son dossier.

Il faut qu’on organise des concertations. Notamment avec des sites comme Dailymotion, d’ailleurs victimes des sites de streaming pirates, qui leur piquent des annonceurs. Les régies publicitaires n’ont pas à proposer à leurs clients de faire de la pub sur des sites illégaux. Je plaide notamment pour le raccourcissement du délai entre la sortie d’un film au cinéma et sa sortie en DVD. On pourrait le réduire à trois mois, voire à quelques semaines, et autoriser la vente du DVD dès que le film n’est plus exploité en salles.

Contre le piratage sur internet, le DVD. Frédéric a tout compris.



Pourquoi vous intéressez-vous au Net depuis quelques mois?

Quelques mois, pas plus, visiblement. Mais Frédéric Lefèbvre ne voit pas la vacherie.

Je suis porte-parole de l’UMP, tous les sujets m’intéressent, mais ma spécialité, ce sont les médias et l’audiovisuel. Or le Net est un nouveau média.

Un nouveau média, comme M. Lefèbvre est un nouveau député.

(Propos recueillis par Alice Antheaume.)

Notes

[1] C'est une procédure dite de codécision : il faut que le parlement européen soit d'accord et que 55 % des membres du Conseil représentant les États membres participants, réunissant au moins 65 % de la population de ces États le soient aussi. Articles 238 et 294 du TCE.

jeudi 12 février 2009

Debriefing sur du Grain à moudre

Revenons, tant que mes forces me le permettent, sur l'émission d'hier.

J'ai le sentiment d'avoir été un peu coi, l'explication étant mon état d'épuisement (j'avais eu une audience très lourde juste avant pour ne rien arranger), à la pléthore d'invités (deux journalistes et quatre intervenants pour trois quarts d'heure, c'est beaucoup) et au fait que le débat s'est vite retrouvé sur le terrain de la morale, qui n'est pas le mien. Et puis, j'ai toujours eu du mal avec le discours militant. Il ne cherche pas à convaincre mais à asséner, non à démontrer mais à disqualifier l'adversaire. La sortie sur les « bourgeoises blanches » était à ce titre pas très glorieuse, d'autant plus qu'étant assis non loin de mesdames Mécary et Dégremont, elles ne m'ont paru ni mélanordermes, ni habillées en prolétaires.

Alors du droit nous ferons.

Juridiquement, inoculer à autrui une maladie, quelle qu'elle soit, est une administration de substances nuisibles (article 222-15 du code pénal), sauf si s'y ajoute l'intention homicide, auquel cas on tombe dans l'empoisonnement.

Contrairement à ce que l'emploi d'expression comme « La transmission du sida mérite-t-elle une sanction pénale ? », retenue comme titre de l'émission, pourrait laisser entendre, ce n'est pas une extension récente de la loi par des juges audacieux qui aboutit à ce résultat. La loi du 26 avril 1832 qui a créé ce délit prévoyait déjà expressément que l'administration de ces substances devait, pour tomber sous le coup de la loi, entraîner une maladie ou une incapacité totale de travail.

Le délit suppose que l'auteur agisse en connaissance de cause, c'est-à-dire sache que ce qu'il fait est susceptible de contaminer sa victime. Il n'est pas besoin d'établir qu'il souhaite obtenir ce résultat, il suffit qu'il ait conscience que ce résultat est possible. Ce qui dans le cas du VIH implique que l'auteur se sache contaminé par le virus et bien sûr sache qu'un rapport sexuel peut transmettre la maladie.

La preuve est en pratique très difficile à rapporter. D'où le caractère d'épiphénomène de ces affaires : il s'agit d'un comportement rare (la plupart des personnes contaminées adoptant aussitôt un comportement responsable) qui peut rarement être prouvé. Autant dire que ce n'est pas de ce côté qu'on risque la surpopulation carcérale.

Le régime de l'administration de substances nuisibles s'aligne sur celui, un peu bizarre, des violences volontaires. En effet, pour des éléments constitutifs identiques (une administration, un acte de violence), la répression va varier uniquement en considération du résultat.

Prenons l'exemple d'un coup de poing porté au visage d'une personne qui ne fait pas partie par miracle de l'interminable liste des victimes protégées qui aggravant la répression (voir cette liste ici).

Cas a : le coup manque sa cible. La violence a néanmoins été commise (elle a à tout le moins provoqué la peur chez sa cible, ce qui est suffisant, les violences volontaires ne supposant pas nécessairement un contact physique), mais il n'y a pas d'incapacité de travail. Contravention de la 4e classe : 750 euros d'amende max. R.624-1 du code pénal.

Cas b : Touché. 2 jours d'incapacité totale de travail. Contravention de la 5e classe : 1500 euros d'amende max, 3000 en cas de récidive. R.625-1 du code pénal.

Cas c : La machoire est cassée. 20 jours d'incapacité totale de travail. C'est un délit passible de 3 ans de prison et 45.000 euros d'amende.

Cas d : L'œil est touché et la victime perd définitivement de l'acuité visuelle. Violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente : 10 ans de prison encourus et 150.000 euros d'amende.

Cas e : La victime en s'effondrant s'est heurté le crâne et décède d'une hémorragie interne : violences volontaires ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner, c'est les assises, 15 ans de réclusion criminelle. Art. 222-7 du code pénal.

Vous voyez, le même geste porté avec la même volonté maligne peut traverser toute l'échelle des peines uniquement en fonction de son résultat. Je n'ai jamais trouvé cette solution satisfaisante, mais c'est la loi. Conséquence logique : puisque des violences sans résultats constituent quand même l'infraction, la tentative de violences volontaires n'existe pas. Ce qui laisse des trous dans la répression (le premier qui dit “vide juridique” sort : si la loi ne réprime pas, ce n'est pas une infraction, point). Par exemple, un procureur que j'ai malmené veut se venger de moi ne profitant de mon état de faiblesse. Il se glisse dans ma chambre et bourre ma couette de coups de batte de base-ball, croyant que je me trouve en dessous. Pas de chance, j'étais à France Culture. Il ne peut être puni pénalement, car ce ne serait qu'une tentative de violences volontaires.

S'agissant de la contamination par le VIH, la cour de cassation a tranché la question le 2 juillet 1998 : la connaissance du caractère mortifère de la maladie n'implique pas l'intention homicide. Ce n'est pas un empoisonnement. J'approuve la solution, qui est encore meilleure aujourd'hui qu'en 1998. SI quelqu'un voulait tuer autrui en le contaminant au VIH, il lui faudrait être très patient, et encore sa victime pourrait-elle finalement décéder d'autre chose, voire de vieillesse si elle se soigne bien.

Néanmoins l'infection au VIH étant incurable, il s'agit d'une infirmité permanente : on est dans le cas d. L'infraction suppose, pour être constituée, que contamination il y ait eu. Pas de tentative, souvenez-vous.

Notons qu'un rapport sexuel non protégé mais n'aboutissant pas à une contamination, ce qui est l'hypothèse la plus fréquente, tombe sous le coup du cas a, mais c'est une hypothèse d'école, tant le problème de la preuve de chaque relation devient impossible à rapporter, sauf à tenir une sorte de carnet de vol de mauvais goût.

L'application de l'article 222-15 du code pénal ne correspond donc à aucun revirement, aucune évolution de la loi ou de la jurisprudence. Tout au plus y a-t-il eu quelques hésitations sur la qualification à retenir : l'empoisonnement à cause du caractère mortifère de la maladie ? Non, a répondu la cour de cassation en 1998 : point d'intention homicide. Viol, car le consentement au rapport sexuel a été emporté par tromperie ? Non, car ce n'est qu'à une pénétration sexuelle non protégée que le consentement a été donné par tromperie.

Les choses sont parfaitement claires et le débat est clos depuis, non pas l'arrêt de Colmar, comme on l'appelle encore à tort, mais par l'arrêt de la cour de cassation le confirmant, rendu le 10 janvier 2006, qui déclare sans la moindre ambigüité que la cour d'appel de Colmar « a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit prévu et réprimé par les articles 222-15 et 222-9 du Code pénal ». Je laisse donc Lévinas à mes contradictrices, j'ai la cour de cassation avec moi.

Faisons maintenant un sort — juridique— à la notion de “co-responsabilité” promue par Caroline Mécary et Marjolaine Dégremont. En substance, la personne qui accepterait d'avoir un rapport sexuel non protégé devrait en assumer la responsabilité, et donc accepter le risque d'être éventuellement contaminée. Elle ne devrait donc pouvoir se retourner contre son partenaire, quand bien même il lui aurait menti sur sa séronégativité. J'ai été très mauvais en philo au lycée, je renonce donc à comprendre comment au nom de la “co-responsabilité”, partagée donc, on en vient à exonérer celui qui a commis une faute (il a menti et a exposé son partenaire à un risque) et à dire à celui qui n'en a pas commis : “Bien fait pour tes pieds”. Outre le fait que si on veut un enfant, ça ne veut pas dire qu'on accepte de jouer à la roulette russe, ça revient à faire assumer toute la responsabilité à la victime. Comme je vous l'ai déjà dit, la morale, c'est pas mon truc : la preuve, là, je suis largué. Revenons-en au droit.

Juridiquement, l'argument ne tient pas. L'infraction est constituée dès lors que l'auteur se sait porteur du virus, et a un rapport non protégé avec un partenaire qu'il sait ne pas être infecté. Point. Même si le partenaire, dans un absurde pacte morbide, désirait être contaminé, cela n'exonérerait pas l'auteur : le consentement de la victime est indifférent.

Toute la difficulté consiste donc à rapporter cette triple preuve (1 : le contaminant se savait porteur ; 2 : il savait que son partenaire n'est pas porteur ; 3 : il contaminé son partenaire). S'agissant d'éléments relevant de la sphère la plus intime, c'est très difficile à rapporter, d'autant que la loi non seulement n'impose jamais de se faire dépister (sauf pour certaines professions à risque) et protège rigoureusement le secret de ces tests. Chacun fait ce que commande sa conscience, mais en assume les conséquences. C'est ma vision de la responsabilité.

Ces affaires sont une épreuve à traverser pour les victimes, qui vont donc toutes se voir imputer des relations extraconjugales non protégées, voire se retrouver en position d'accusées, leur partenaire les accusant à leur tour de les avoir contaminé. Les affaires aboutissant à une condamnation sont celles où la victime avait par exemple fait un test négatif peu de temps avant la contamination et a découvert sa séropositivité peu de temps après : plus le laps de temps est réduit, plus la certitude se renforce. L'auteur ne peut non plus se prétendre victime quand il est traité depuis des années. Mais les non-lieux sont fréquents.

Les quelques affaires ayant donné lieu à condamnation sont donc particulièrement frappantes. Il y avait, non pas déni de séropositivité comme prétendent avec un aveuglement admirable mesdames Mécary et Dégremont, mais dissimulation de séropositivité, puisque dans les deux cas que je connais (Colmar et Orléans), les condamnés se soignaient depuis des années mais en cachette de leur partenaire (l'épouse condamnée à Orléans cachait son traitement chez sa mère). Le déni exclut que l'on s'astreigne à la discipline qu'impose une tri-thérapie. Ou alors, pour mon prochain braqueur, je plaide l'acquittement en disant que mon client est en déni de pauvreté. J'en profite pour apporter ici un éclaircissement : pourquoi l'affaire d'Orléans est-elle passée aux assises ? Parce que comme les violences volontaires, l'administration de substance nuisible est aggravée quand la victime est l'épouse, le partenaire d'un PaCS, ou le concubin de l'auteur, ce qui fait passer à 15 années de réclusion la peine encourue. Généralement, les affaires sont correctionnalisées (ce fut le cas à Colmar) en “oubliant” la circonstance aggravante, mais dans ce dossier se posait un problème de prescription que seule la qualification criminelle (qui se prescrit par dix ans au lieu de trois) permettait de résoudre.

J'écarte rapidement l'argument de santé publique, qui ne tient pas : selon lui, une telle politique pousserait les gens à ne pas se tester, pour être pénalement à l'abri. Je ne vois pas en quoi laisser des porteurs du virus contaminer en toute impunité serait meilleur du point de vue de la santé publique, ni en quoi dire aux victimes qu'elles n'ont qu'à s'en prendre qu'à elle même les encouragerait à prendre à l'avenir des précautions, puisque ceux qui accepteront des rapports non protégés n'auront qu'à s'en prendre qu'à eux-même.

Enfin, un dernier point, qui me paraît important. Marjolaine Dégremont a laissé entendre que ces poursuites étaient le faits d'hétérosexuels qui n'assumaient pas la maladie, par opposition aux homosexuels qui, eux, ont depuis longtemps intégré cette maladie dans leur mode de vie et ont bien compris que des poursuites pénales n'apportent rien.

Sans pouvoir en dire beaucoup, à cause du secret professionnel, j'ai connaissance de cas d'homosexuels contaminés par des partenaires ayant le même profil que les condamnés de Colmar et d'Orléans (avec une réserve pour Orléans : cette décision est frappée d'appel) : assurances sur la séronégativité, insistance pour arrêter le préservatif. Avec plusieurs victimes à la clef. Mais ces personnes, quand elles ont fait part à leur entourage de leur volonté de porter plainte, se sont vues menacées d'un véritable ostracisme par la communauté qu'elles fréquentent si elles passaient à l'acte. Au point qu'elles ont renoncé à porter plainte.

Je crains donc que l'unanimité de la communauté homosexuelle ne soit qu'apparente, et qu'on ne soit pas à l'abri un jour d'un procès entre partenaires de même sexe.

En conclusion, je dirais que loin d'être préoccupante, ces affaires devraient réjouir les associations qui ont à cœur les droits des séropositifs. Les séropositifs ne constituent pas une communauté à part, un monde où on entre pour ne plus ressortir, où il y a les “séropos” et les autres. Les séropositifs sont susceptibles d'être des délinquants comme les autres.

C'est ça aussi, l'égalité des droits.

vendredi 6 février 2009

Au moins, les choses sont claires...

Par Gascogne


Pour ceux qui avaient encore quelques doutes, non pas sur le statut des magistrats du parquet, pour lesquels Rachida Dati est clairement la "chef", mais pour ceux du siège, l'indépendance n'est pas un dû en soi, elle se mérite.

Ainsi donc, et contrairement aux textes en vigueur, nos politiciens sont clairs : les juges ne sont pas indépendants par nature, ils ne le sont que par leur comportement.

Mais qui va définir quel doit être ce comportement ? Un juge qui déplairait au pouvoir en place, parce qu'il ne condamne pas dans le sens voulu, par exemple celui de la récidive avec application automatique des peines "plancher", ou parce qu'il renvoie des amis politiques devant la juridiction de jugement, aurait donc un mauvais comportement, contraire à l'indépendance que l'on peut attendre de lui ? Au contraire, celui qui va dans le sens des victimes, même si les preuves sont faibles, serait un bon juge indépendant, parce que plaisant à l'opinion ? Je ne doute dés lors pas que mon collègue Burgaud, que je soutiens bien évidemment par corporatisme mal placé, était à l'époque des mises en examen prononcées un excellent juge indépendant.

Un juge indépendant, fut-il juge disciplinaire, irait donc dans le sens de ce que souhaite l'opinion publique, le dossier qui lui est soumis serait-il parfaitement creux ?

Et puis franchement : comment définit-on la "légitimité d'une décision" ? Est-elle légitime par rapport à la loi, ou par rapport à ce que les français attendent, notamment dans le cadre des sondages dont les journaux nous abreuvent grâce à internet ? De quel "légitimité" parle-t-on ? Politique ou purement légaliste ?

Mais que Madame la Ministre, qui fut un temps magistrat, se rassure : l'indépendance n'a rien d'un dogme que les magistrats, éventuellement par le biais de leurs syndicats, ânonneraient par monts et par vaux : il s'agit avant tout d'un texte de valeur constitutionnelle qui le dit. L'ordonnance du 22 décembre 1958, qui n'a finalement valeur constitutionnelle que par un tour de passe-passe que seule notre démocratie semble connaître, le déclare, particulièrement dans son article 4 sans toutefois le dire directement, tant le législateur de l'époque semble s'être fait peur en disant que les juges étaient inamovibles. Figurez-vous qu'un juge ne peut faire bien son office que s'il est libéré de toutes pressions extérieures. Faire bien son office dans les limites humaines que nous connaissons, et que nous tentons de corriger, par exemple par la voie de l'appel, puis de la cassation.

Eh bien non. Cela ne suffit pas. Encore faut-il rappeler aux piou-pious de Bordeaux que l'indépendance, on ne l'acquiert pas comme cela : "c'est parce que l'on est au-delà de tout reproche et de toute suspicion que l'on est indépendant".

Bien entendu, le pouvoir politique saura nous protéger de toute suspicion de pression, d'intervention, de mise en cause médiatique, pour nous permettre d'être au-delà de tout reproche.

Et bien évidemment, Madame le Ministre, vous me permettrez respectueusement, à la lecture de votre approche de ce que doit-être la magistrature de vos vœux, ou de ceux de celui qui vous a fait politiquement, d'avoir quelques divergences sur ce que doit être l'indépendance de la magistrature. Vous en fûtes quelques temps, vous n'en êtes visiblement plus, au vu du nombre record de prix Busiris qui ont pu vous être octroyés.

Un juge ne rend pas de décision en toute indépendance pour son propre confort, mais pour ne pas rendre de décision sous la pression du plus fort, qu'il pourrait dés lors craindre, ou par lequel il pourrait se trouver corrompu. Un juge n'est pas soumis à la pression d'une quelconque autorité, fut-elle membre de son propre corps, et magistrat chargé de son évaluation, il ne se soumet qu'à la loi. Un juge n'a ainsi que faire du statut social des parties qui sont face à lui, pauvre ou riche, faible ou puissant : c'est cela qui fait sa noblesse. Que vous soyez puissant ou misérable, les arrêts de la cour ne vous rendrons pas blanc ou noir. Il vous diront simplement ce qu'est le droit.

jeudi 5 février 2009

Cinquième Prix Busiris pour Rachida Dati

Désolé, je m'étais promis d'arrêter, mais elle est trop forte. Rachida Dati, le regard gourmand, se demande ce qu'elle va pouvoir inventer pour le sixième prix Busiris ; c'est que la barre commence à être relevée - Photo ministère de la justice

Madame Rachida Dati se voit attribuer un cinquième prix Busiris, en référé du fait de l'absence de contestation sérieuse.

Voici les propos qui lui ont valu ce prix, tenus devant les auditeurs de justice (élèves-magistrats) de l'École Nationale de la Magistrature (ENM). Le discours est truffé de perles, mais il y a un Busiris extraordinaire.

C'est un Busiris en deux temps.

Premier temps :

Les Français attendaient davantage de sécurité et de fermeté vis-à-vis des récidivistes et des délinquants dangereux : nous avons mis en place un régime juridique clair, gradué et adapté contre la récidive. Plus de 20 000 décisions ont été prises par les tribunaux sur le fondement de cette loi. Une fois sur deux, les juges ont prononcé une peine plancher.

Bon, je croyais que c'était un progrès des droits de la défense, au temps pour moi, c'était une réponse à l'attente des Français pour lutter contre la récidive. Dont acte.

Bla bla bla, puis vient le deuxième temps.

Nous avons aussi développé les aménagements de peines (+ 32 % depuis mai 2007). C'est le meilleur moyen de faciliter la réinsertion et de lutter contre la récidive.

Tombez, mes bras, bée, ma bouche, dessillez, mes yeux.

Le Garde des Sceaux affirme, ce qui est tout à fait exact et on le sait depuis longtemps, que les aménagements de peine sont le meilleur moyen de faciliter la réinsertion et de lutter contre la récidive, après avoir affirmé quelques lignes plus haut que pour lutter contre la récidive, on avait institué les peines plancher, et qu'on en avait même prononcé 10.000.

Superbe contradiction.

J'entends des voix s'élever : l'affirmation est-elle vraiment juridiquement aberrante ? Après tout, on peut aménager une peine plancher : une peine plancher reste une peine. Et le ministre dit elle-même que la loi est claire, graduée et adaptée.

À cela je répliquerai deux arguments.

Premier argument : un aménagement de peine suppose la mise en place de mesures alternatives à l'emprisonnement, s'y substituant. Plus la peine est longue, et c'est l'objet des peines plancher d'imposer une durée minimale, plus il est difficile de l'aménager rapidement (voir plus bas). Il y a quand même une absurdité à dire que la solution est des peines de prison plus lourdes, avant de rappeler la nécessité d'éviter tant que faire se peut qu'elles soient exécutées… en prison.

Deuxième argument : un autre Garde des Sceaux facétieux et primé, un confrère dont le plus grand fait d'arme de sa carrière restera sans doute d'avoir soutenu la question préalable (visant à rejeter un texte sans même le discuter) sur l'abolition de la peine de mort (pdf, page 9), a fait voter le 12 décembre 2005 une loi qui, déjà, visait à lutter contre la récidive en aménageant les peines satisfaire son électorat en durcissant la répression.

Cette loi limite les possibilités de recourir au sursis avec mise à l'épreuve (deux maximum, un seul en cas d'infraction de violences, art. 132-41 du code pénal), permet au juge de décerner un mandat de dépôt immédiat, donc de faire emprisonner le condamné immédiatement même s'il fait appel, quelle que soit la durée de prison prononcée, et oblige le juge à le faire en cas de récidive de violences, sauf à motiver spécialement les motifs exceptionnels qui lui font écarter le mandat de dépôt (art. 465-1 du Code pénal). Qu'importe, me direz-vous, on peut aménager une peine de prison mise à exécution. Précisément, cela n'avait pas échappé à notre excité des cachots, qui du coup a limité les réductions de peine (art. 721 du code de procédure pénale) sachant que la loi ne permet l'aménagement de peine des récidivistes qu'une fois les deux tiers de la peine effectuée (au lieu de la moitié pour un non récidiviste), et mieux encore, écartant la possibilité pour les parents d'enfants de moins de dix ans vivant avec eux d'obtenir immédiatement une libération conditionnelle (art. 729-3 du code de procédure pénale).

Magie des combinaisons des lois votées sans vision globale : soit une personne, père de deux enfants de 9 mois et 2 ans, qui n'a pas de travail (son épouse, oui, il s'occupe donc des enfants), qui a été condamné à du sursis simple pour des violences il y a 4 ans, et à un sursis avec mise à l'épreuve il y a 3 ans, donc avant la naissance de ses enfants, qui est mêlé à une bagarre de rue au cours de laquelle il a utilisé une chaise contre un adversaire, touché à la tête (10 jours d'incapacité totale de travail). Le juge qui le voit passer devant lui est obligé par la loi de l'envoyer deux ans en prison au minimum, et avec un mandat de dépôt à la barre par dessus le marché, sauf motivation spéciale, dont le parquet pourra faire appel. Et il devra effectuer au moins un an de détention effective avant de pouvoir espérer bénéficier d'une libération conditionnelle. Son épouse devra se débrouiller pendant ce laps de temps seule avec les deux enfants et son travail. J'ajoute que l'administration pénitentiaire refuse de délivrer des permis de visite aux enfants en bas âge, pour ne pas les traumatiser. Donc ils ne verront pas leur père pendant un an. Et oui, ce cas est réel.

Que certains d'entre vous puissent applaudir en disant : “ quand on est père avec un casier, on se tient à carreau ”, admettons un instant. Mais qu'on ne vienne pas me dire que ce genre de décision vise à lutter contre la récidive : comme le dit l'actuel Garde des Sceaux : les aménagements de peine, c'est ça, le meilleur moyen de lutter contre la récidive. Pas la séparation d'un père d'avec ses enfants et réciproquement, pas la désocialisation par un an d'emprisonnement, pas l'enfer imposé à son épouse qui n'a rien fait de mal, elle. Or la récidive, dans notre droit, entrave l'aménagement de peine. Cherchez l'erreur, et vous aurez trouvé le prix Busiris.

ACCESSITS

Le Garde des Sceaux a orné son Busiris de perles qui, si elles ne sont pas éligibles au titre suprême, méritent malgré tout d'être relevées et copieusement raillées.

Un scoop

Il faut regarder la vérité en face : la justice n'a pas toujours été comprise de nos concitoyens.

La Chancellerie n'y est naturellement pour rien, ce n'est pas comme si c'était son rôle.
Oh.
J'ai rien dit.

De l'écoute des Français.

Les Français attendaient que notre justice soit mieux organisée, plus lisible, plus simple : nous avons réformé la carte judiciaire.

Depuis qu'il y a moins de tribunaux d'instance, les Français comprennent bien mieux la répartition des contentieux entre les tribunaux d'instance et les juridictions de proximité, n'en doutons pas.

Avec des phrases dadaïstes :

« A ce jour, 114 condamnés sont concernés et nous avons ouvert en octobre dernier le premier centre fermé à Fresnes. »

Les 114 condamnés se sont donc aussitôt évadés.

Avec du vol de mérite :

« Nous avons créé (…) le service d'aide au recouvrement des victimes d'infractions.»

La proposition de loi venait des députés Jean-Luc Warsmann et Étienne Blanc. Merci pour eux.

Avec de la science-fiction :

« L'honneur de notre République, c'est aussi d'avoir des prisons dignes d'un Etat de droit moderne.»

À quoi bon les mettre aux normes, il suffit d'affirmer qu'elles le sont.

Avec des mises au point :

« Ce n'est pas parce que l'on est privé de sa liberté que l'on est privé de sa dignité et de ses droits fondamentaux. »

C'est juste parce qu'on n'a pas les moyens de les laisser aux condamnés.

Avec de l'économie pour les nuls, par des nuls :

Toutes ces réformes ont été possibles grâce à l'effort budgétaire accompli depuis 2007. Cette année encore, le budget du ministère de la justice augmente de 2,6 %.

Alors que l'inflation a été de 2,81% sur la même période, ce qui équivaut donc à une diminution de 0,2% en euros constants (soit environ 13 millions d'euros par rapport à l'année précédente). Et on arrive à le faire passer pour une augmentation et même un effort budgétaire.

Avec des vraies réformes, à commencer par la suppression du principe d'indépendance des magistrats (je crois que Gascogne nous concocte un billet là dessus) qui doit désormais se mériter préalablement :

L'indépendance n'est pas un dogme. Il ne suffit pas de la proclamer. Elle se mérite par la qualité de son travail. Elle se mérite par la légitimité de ses décisions. C'est parce que l'on est au-delà de tout reproche et de toute suspicion que l'on est indépendant.

Bref, soyez irréprochables et nous ne vous ferons aucun reproche.

Avec de l'informatique pour les nuls :

Soyez modernes : les nouvelles technologies sont désormais dans nos tribunaux, utilisez les !

Vous voyez, l'espèce de télé sur votre bureau ? C'est un ordinateur. Il est temps de l'allumer.

Avec de la campagne électorale aux frais de la Chancellerie :

La présidence [Française] de l'Union européenne (…) a montré la nécessité de travailler tous ensemble à la construction d'une Europe plus juste, plus sûre et plus protectrice. Je vais m'y engager avec conviction, passion et détermination.

Pas le choix, il faut dire.

Madame le Garde des Sceaux, il ne vous reste que quatre mois pour compléter votre collection. Je ne doute pas un instant que vous y parveniez.

Va-t-on enfin parler des vraies causes d'Outreau ?

Par Dadouche


Depuis quelques jours, Fabrice Burgaud comparaît devant le CSM.

Le billet d'Eolas sur ce sujet a déjà soulevé des points intéressants et Didier Specq, dans plusieurs commentaires, a notamment rappelé le poids du contexte de l'époque dans le traitement des affaires d'agressions sexuelles sur les mineurs.

J'ai déjà pour ma part exposé au fil de différents billets et commentaires ce que je percevais, du haut de ma modeste expérience de 5 ans d'exercice des fonctions de juge d'instruction et d'assesseur aux assises, des raisons profondes d'un "plantage" comme celui du dossier-dont-on-ose-encore-à-peine-prononcer-le nom.

Au moment où les audiences devant le CSM commencent à faire apparaître une réalité plus nuancée sur la façon dont a été menée l'instruction que celle qui a été servie à longueur d'articles, de commission parlementaire et de débats compassionnels, je voudrais reproduire ici une partie d'une réponse que j'avais faite aux commentaires sur l'un de mes billets.
Car il me semble que les débats actuels devant le CSM, focalisés sur l'éventuelle responsabilité disciplinaire de Fabrice Burgaud, est, malgré les nuances apportées, une nouvelle occasion manquée, après la commission parlementaire, de se pencher sérieusement sur les écueils que rencontre la justice pénale dans le traitement de ce type d'affaires.
La réflexion qui suit n'est donc pas une analyse du dossier d'Outreau (dont je ne connais que ce qui en a été dit dans la presse et lors des multiples auditions devant la commission parlementaire, y compris celles qui n'ont pas été diffusées), mais une tentative d'explication des difficultés rencontrées dans ce type de dossier, qui mettent régulièrement l'institution judiciaire en difficulté.


Sur "la pédophilie" : Je voudrais revenir sur ce point dans l'analyse des causes d'Outreau. Je soutiens depuis le début que les deux problèmes véritablement posés dans cette affaire sont la détention provisoire (et notamment sa durée) et le traitement judiciaire des affaires de moeurs et notamment celles impliquant des mineurs.
Pendant des années, ces affaires ont été insuffisamment prises en compte par l'institution judiciaire, qui leur appliquait rigidement sa grille de lecture pénale en matière de preuve (importance de l'aveu, recherche de preuves matérielles non équivoques).
Or, les affaire de ce type présentent des particularités que la justice pénale a tatonné à prendre en compte.

- l'absence de preuves matérielles évidentes : dans la majorité des cas, les actes commis laissent peu de traces. Des attouchements, une fellation, tout cela est sans conséquence physique pour les victimes. On résume souvent ces affaires à "c'est parole contre parole". Ce sont en réalité, sur la base des paroles des protagonistes, des faisceaux de faits qui sont recherchés (confidences faites à un proche à l'époque des faits, concomitance avec une dégradation de l'état psychologique de la victime, possibilité matérielle). Et il est plus difficile de se forger une conviction.

- le temps écoulé : dans ce type de dossier, les faits sont souvent révélés longtemps après leur commission. Parfois quelques mois, parfois des années. Et le législateur a renforcé cette tendance en augmentant petit à petit les délais de prescription. La recherche d'éléments matériels devient encore plus difficile, les témoignages sont fragilisés.

- l'exploitation de la parole des uns et des autres : le témoignage humain est fragile, ce n'est pas nouveau. La perception d'une même scène peut être différente pour chacun et des divergences apparaissent souvent. Il est particulièrement difficile d'avoir une grille de lecture raisonnée des témoignages. On a tendance à penser que si un élément est faux, tout le reste l'est nécessairement. Et pourtant, particulièrement s'agissant d'enfants, et encore plus quand les faits sont anciens et ont été répétés, la non réalité d'un élément n'invalide pas pour autant le reste. J'ai le souvenir notamment d'un dossier, où les faits étaient reconnus, et où les récits de la victime et de ses deux agresseurs divergeaient notablement sur les lieux (elle situait la plupart des agressions dans une chambre, ses deux frères dans une autre pièce) et les dates (à l'âge qu'elle pensait avoir au moment de certaines agressions ses frères ne résidaient plus au domicile). Chacun d'eux était pourtant sincère dans son récit.

- la réprobation sociale qui s'attache à ce genre de faits : les agresseurs sexuels, particulièrement ceux qui s'en prennent à des enfants, sont fortement réprouvés. Un homme qui tue sa femme pourra espérer garder le soutien de sa famille et de ses proches. Un agresseur d'enfant qui le reconnaît perd tout. Ce sont des faits extrêmement difficiles à admettre, parce qu'il leur est même souvent difficile de l'admettre en leur for intérieur. Les dénégations des coupables sont aussi fortes que celles des innocents. Il n'est pas rare qu'un agresseur qui reconnait les faits dans le cabinet du juge d'instruction continue à protester de son innocence devant ses proches.

Toutes ces particularités bousculent les repères judiciaires. Faut-il les prendre en compte et traiter différemment les affaires de moeurs, avec des exigences différentes en matière de preuve ? Faut-il au contraire leur appliquer la même grille de lecture et les mêmes standards qu'aux autres infractions ?
La justice pénale a oscillé (et oscille sans doute encore) entre ces deux positionnements, qui portent chacun en germe des risques d'erreur judiciaire, dans des sens opposés. Une lecture non spécifique conduit à innocenter des coupables, une lecture sur-adaptée amène le contraire. Le choix devrait être facile à faire : celui de la présomption d'innocence.

Les repères se sont pourtant progressivement brouillés en la matière. Le législateur a délibérément fait le choix de privilégier de plus en plus les victimes, pour des raisons au fond tout à fait louables.
Par exemple, l'allongement des délais de prescription, s'il a pu être une avancée quand on a retardé leur point de départ à la majorité de la victime, devient délirant. En faisant croire que l'on peut établir des faits de ce type (s'ils ne sont pas reconnus) parfois vingt ou trente ans après les faits, on fait porter sur la justice pénale un poids qui pousse insensiblement à baisser un peu le curseur en matière d'exigences de preuves. Et on favorise la religion de l'aveu, on se raccroche au moindre point reconnu par les mis en examen.
De même, les dispositions de la loi de 1998 sur l'enregistrement des auditions des mineurs victimes pour éviter d'avoir à les multiplier durant la procédure ne sont évidemment pas mauvaises en soi. Mais en "vendant" l'idée qu'il n'y aurait qu'une seule audition, on pousse là encore la justice pénale à la faute. Faut-il, parce que la victime est un enfant, dénier au mis en examen le droit à une confrontation ? Faut-il, alors que des incohérences apparaissent, s'empêcher de poser de nouvelles questions ? C'est pourtant à cela qu'ont parfois abouti ces dispositions. Et on a baissé un peu plus le curseur.

Et puis il y a l'accroissement de la place des expertises psychologiques dans les procédures de ce type. En l'absence de preuves matérielles, en présence de deux versions contradictoires, il est facile et tentant de chercher ailleurs des éléments que l'on espère solides.
Parce qu'on lui demande parfois l'impossible, la justice pénale a essayé de trouver des réponses auprès des experts. Qui n'ont pas refusé. Et le législateur a aussi poussé à la roue, en encourageant ce type d'expertises.
Le développement d'une certaine idéologie sur la parole de l'enfant n'a pas aidé. Rappelons que, pendant l'instruction d'Outreau, des parlementaires (parmi lesquels certains membres de la Commission parlementaire qui s'est penchée sur cette affaire, et qui n'ont pas eu de mots assez durs pour stigmatiser ces benêts de magistrats qui avaient aveuglément "suivi" les enfants), ont proposé une loi visant à créer une présomption de crédibilité de la parole de l'enfant.

La compassion pour les victimes, surtout celles-là, a favorisé un activisme qui a poussé à brouiller les principes. Ainsi, on note de plus en plus d'exceptions au principe selon lequel seule la victime directe de l'infraction peut se constituer partie civile. La place prise par certaines associations dans quelques procédures a contribué un peu plus à faire de la lutte contre les atteintes aux mineurs une espèce de grande cause sacrée qui pouvait justifier qu'on abaisse un peu plus le curseur. Et qui a aussi contribué à ce que l'on recoure à des détentions provisoires longues fondées en réalité uniquement sur la gravité des faits reprochés.

Et les magistrats au milieu de tout ça ? N'est-ce pas aussi leur rôle de garder un peu de raison au milieu de tout cela ? Ils essayent de le faire. Contrairement à l'idée répandue par certains au moment d'Outreau, toutes les dénonciations ne sont pas suivies de poursuites, d'instructions et de détentions provisoires quasi arbitraires. Beaucoup de faits signalés sont classés sans suite, faute d'élément suffisants.

Mais les magistrats ne sont pas imperméables à la compassion pour les victimes, et peuvent être ponctuellement aveuglés. Et puis il y a une certaine expérience de ce genre de dossier, qui conduit à ne pas refuser de croire ce qui peut paraître improbable ou impossible au plus grand nombre. Anatole Turnaround écrivait : "Le soupçon de pédophilie ne devrait guère impressionner un magistrat pénaliste moyennement expérimenté, pour qui le récit de viols d'enfants commis de façon variée et répétée et par des personnes différentes fait hélas partie du quotidien." pour en tirer la conclusion que (si j'ai bien compris) cette habitude lui permettait de garder son sang froid et procéder, malgré la charge émotionnelle qui s'attache à ce genre de chose, à une analyse rigoureuse du dossier.
Je suis d'accord, mais je pense que cette expérience en la matière conduit aussi le magistrat pénaliste moyen à savoir que l'Homme est capable de tout. Quand on a vu certaines photos pédophiles, on peut, je trouve, plus difficilement rejeter d'emblée certains récits qui pourraient paraître délirants. On essaye de vérifier. Cette mithridatisation à l'horreur, particulièrement dans les juridictions du Nord, fausse également la perception.

Après ce très long développement, j'en viens (enfin) au coeur de ce que je voulais dire : Outreau est le paroxysme des tâtonnements (peut être des errements) de la justice pénale en matière d'affaires d'atteintes sexuelles sur mineurs.
Tout y est, pêle mêle : la difficulté à faire le tri dans la parole des uns et des autres, les fragilités des expertises, la peur de prendre le risque de laisser s'en tirer des monstres supposés, le refus des confrontations avec les enfants, la pression exercée par l'idéologie de la parole de l'enfant, des détentions d'une longueur à mon sens injustifiable compte tenu des garanties de représentation de certains, le poids phénoménal des aveux de certains pour retenir des charges contre les autres, tout cela dans un certain émoi médiatique.
Ce cocktail explosif (ajouté encore une fois au manque de moyens qui, comme le rappelait Anatole, favorise les plantages), on ne peut en faire porter la responsabilité à ceux qui, individuellement, ont traité cette affaire hors-normes suivant les mêmes standards que ceux auxquels tous nous ont poussés. C'est une responsabilité collective de l'institution judiciaire d'abord, de ne pas avoir su y résister, mais aussi dans une certaine mesure des politiques et notamment du législateur, qui en a semé les germes .
Et c'est ensuite la responsabilité des politiques d'avoir attisé le feu et focalisé le débat sur cette affaire particulière au lieu d'en examiner les ressorts plus profonds, ce qui n'a abouti qu'à bloquer l'institution judiciaire dans une positions défensive peu propice à l'analyse de ses propres dysfonctionnements.
Je crois que c'est aussi à la société dans son ensemble, par la voix du législateur et de l'exécutif, de faire un choix clair : faut-il faire passer en priorité les intérêts des victimes ou ceux de ceux qu'elles accusent ? Une position intermédiaire peut sans doute être trouvée, et je pense que les pratiques sont désormais à des standards plus proches de ceux des affaires traditionnelles, mais on en revient à la spécificité de ces affaires : il y aura toujours des erreurs dans un sens ou dans l'autre. La réforme du CSM, l'élargissement de la responsabilité disciplinaire ou l'enregistrement des interrogatoires d'instruction n'y changeront rien. Du tout.

mardi 3 février 2009

Quelques observations sur la comparution de Fabrice Burgaud devant le CSM

Depuis hier et pour toute la semaine, le procureur Burgaud comparaît devant le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) dans le cadre de poursuites disciplinaires liées à son instruction de l'affaire dite d'Outreau.

Sans préjuger de la décision du Conseil, et sans vouloir offrir un terrain aux habituels excités d'Outreau, ceux qui demandent la tête de Fabrice Burgaud avec la même véhémence qu'ils demandaient la tête de ces pédophiles en 2002, voici quelques observations pour que vous compreniez bien de quoi il s'agit, quels sont les enjeux et pourquoi le résultat le plus probable est que Fabrice Burgaud s'en sorte indemne.

De quoi s'agit-il ?

D'une audience disciplinaire. Le CSM est, entre autres, le conseil de discipline des magistrats. Selon que le magistrat est un juge (ou magistrat du Siège) ou procureur (ou magistrat du Parquet), la formation est différente et surtout son rôle est différent.

Les procureurs étant hiérarchiquement soumis au garde des Sceaux, le CSM n'émet qu'un avis. Le Garde des Sceaux décide de la sanction, sous le contrôle du Conseil d'État qui s'assure qu'il n'excède pas ses pouvoirs. Sachant que le Conseil d'État a facilement tendance à considérer que le Garde des Sceaux excède ses pouvoirs quand il va à l'encontre d'un avis du CSM.

Les juges étant par nature indépendants, le CSM devient juridiction et prononce lui-même la sanction, qui peut aller jusqu'à la révocation : le magistrat révoqué est viré, il ne peut plus être fonctionnaire, et peut même se voir retirer ses droits à une pension de retraite.

C'est dans ce deuxième cas que nous nous situons. La formation du siège se compose d'un magistrat du siège de la Cour de cassation élu par les magistrats de la Cour de cassation, d'un premier président de cour d'appel, d'un président de tribunal élus par les présidents et premiers présidents, ainsi que de deux magistrats du siège et un magistrat du parquet, élus par l'ensemble des autres magistrats dans le cadre d'un scrutin à deux degrés. S'y ajoutent quatre personnalités extérieures au monde judiciaire, désignés par le président de la République, le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale (qui ne peuvent être des parlementaires, séparation des pouvoirs oblige) et un Conseiller d'État élu par l'assemblée générale du Conseil.

Qui a décidé des poursuites ?

L'ancien Garde des Sceaux, Pascal Clément, le 18 juillet 2006, malgré un rapport de l'Inspection Générale des Services Judiciaires excluant que les manquements relevés à l'encontre du juge constituassent des fautes disciplinaires. Ajoutons à cela qu'à l'époque, le Garde des Sceaux s'était ingénument demandé si du fait que Fabrice Burgaud était désormais au parquet, il n'avait pas le pouvoir de le sanctionner lui-même, et vous constaterez que Fabrice Burgaud n'a pas le monopole de l'obstination dans la conviction de la culpabilité.

Le procureur de la République de Boulogne en poste à l'époque, Gérald Lesigne, a également fait l'objet de poursuites, qui se sont terminées en eau de boudin.

Que reproche-t-on à Fabrice Burgaud ?

Cinq griefs ont été retenus par le ministère de la justice[1] (je rappelle que les termes de Chancellerie et de ministère de la justice sont à peu près synonymes).

Le premier grief porte sur « le crédit accordé aux déclarations des enfants, recueillies et analysées sans garanties suffisantes », notamment par un manque d'attention « aux conditions matérielles dans lesquelles se déroulaient les auditions des enfants auditions qui « seraient toutes intervenues tardivement » et « furent pour la plupart très peu critiques ».

Le deuxième grief porte sur « le caractère insuffisant des vérifications effectuées à la suite des déclarations recueillies et l'absence de confrontations organisées entre les adultes et les mineurs ». Le refus de mener ces confrontations a toujours été validé par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, sur la base de l'avis des experts psychologues, dans le souci de ne pas traumatiser les enfants. Or, selon la Chancellerie, « cette position a présenté l'inconvénient de porter ces contradictions devant la cour d'assises dans des conditions qui se sont révélées bien plus traumatisantes pour les enfants ». Qu'on reproche à Fabrice Burgaud comment s'est déroulée l'instruction, je le comprends. Qu'on lui reproche comment s'est déroulé le procès d'assises, un peu moins.

Le troisième grief met en exergue « les insuffisances relevées dans la maîtrise de l'information et la prise en compte des éléments à décharge ». La Chancellerie souligne « le manque de méthode, de prudence et de logique du magistrat dans le traitement des dénonciations et dans la conduite des investigations, interrogatoires et confrontations ». Des affirmations de mis en examen sur l'existence d'un réseau pédophile s'étendant en Belgique, avancées par la justice pour maintenir en détention les suspects, n'auraient ainsi été vérifiées qu'après plusieurs mois. Lorsque des doutes sérieux ont été exprimés par la police sur ces supposés liens avec la Belgique, le juge n'en aurait pas tenu compte. À titre personnel, je ne considérerai jamais comme une faute le fait pour un juge d'instruction de ne pas tenir compte des doutes et intuitions de la police.

D'autres accusations, formulées par Myriam Badaoui, personnage central du dossier d'Outreau, n'auraient pas non plus été « vérifiées ». L'examen des procès-verbaux ferait apparaître la non-prise en compte par le juge d'éléments contredisant son analyse et montrerait sa volonté « de suggérer ou d'orienter les réponses dans le sens de l'accusation ». C'est là sans doute le sujet de conflit le plus fréquent entre avocats et magistrats instructeurs la formulation des questions. Et aussi entre avocats et présidents de cours d'assises. Dans les deux cas, il existe des moyens légaux pour l'avocat de réagir (conclusions en donner acte pendant l'instruction, conclusions d'incident en cour d'assises). Ils ne sont pas satisfaisants, j'en suis convaincu ; mais ils n'ont pas été utilisés à ma connaissance dans le dossier.

Le quatrième grief pointe « l'adoption de méthodes d'investigation peu propices à l'émergence d'éléments à décharge ». Il vise, notamment, le recours « abusif » aux confrontations collectives.

Le dernier grief insiste sur « la mise en œuvre de pratiques de nature à affecter les droits de la défense ». Certains accusés ont été interrogés une seule fois en treize ou dix-sept mois et les expertises psychologiques n'ont pu être exploitées par les parties, à cause « du manque de rigueur du juge ». J'invite la chancellerie à regarder le nombre de fois que des détenus provisoires sont effectivement interrogés par le juge d'instruction. On est ici dans la norme. Le CSM ne va pas chômer, dans ce cas.

Pourquoi dis-je qu'il est probable que Fabrice Burgaud s'en sorte indemne ?

Pour deux raisons, une de fait, et une de droit.

Une de fait : les griefs dont je viens de faire la liste peuvent caractériser des manquements, des insuffisances du juge d'instruction. Sont-ce pour autant des fautes disciplinaires ? Ça me paraît tout sauf évident. Surtout si on se replace dans le contexte de l'époque et de l'endroit. Sans vouloir faire mon supporter du PSG, le Nord Pas de Calais est réputé pour avoir énormément d'affaires de mœurs intrafamiliales. Déjà en 1980, Yves Boisset en avait le thème de son film La Femme Flic, avec Miou-Miou. Où déjà on retrouve le mythe du réseau dirigé par des notables, apparu dans l'affaire Dutroux et dans l'affaire d'Outreau. Qu'en 2001, un juge d'instruction du Pas de Calais soit saisi d'une affaire de viol sur mineurs n'a rien en soi qui puisse faire naître des soupçons. Le juge a accordé trop de foi aux déclarations des enfants ? Mais c'est oublier que parmi ces déclarations, certaines ont été avérées. L'affaire d'Outreau n'est pas bâtie sur rien : il y a eu quatre condamnés dans cette affaire, à 20, 15, 6 et 4 ans de prison, condamnés qui n'ont pas fait appel. Il y a eu des enfants réellement victimes de sévices sexuels. Qu'on reproche à faute au juge d'instruction des actes validés par la cour d'appel de Douai, sauf à établir qu'il a falsifié son dossier pour induire les magistrats en erreur, me paraît là encore téméraire. Le recours aux confrontations collectives fut sans doute une erreur, mais ces confrontations sont légales, et appliquer la loi ne peut être une faute disciplinaire.

Une de droit, et colossale.

En 2002 a été votée une loi d'amnistie qui couvre les fautes disciplinaires antérieures au 17 mai 2002 (article 11). Or le juge Burgaud a été déchargé de son dossier le 28 juin 2002, muté au parquet de Paris. Bref, on ne peut lui reprocher de faute disciplinaire que dans cet intervalle de 20 42 jours, week-ends compris.

D'où la ruse de sioux de la Chancellerie, qui, dans une note du 20 janvier 2009 (pdf), essaie de contourner la loi d'amnistie en disant que non seulement ces manquements et insuffisances sont en fait des fautes, mais qu'en plus ces fautes sont contraires à l'honneur, ce qui exclut du bénéfice de l'amnistie en vertu de l'article 11 de la loi d'amnistie. L'argument repose sur une jurisprudence du CSM (Décision S96 du 12 mars 1997) disant que des faits ayant donné du magistrat et de l'institution judiciaire une image dégradée et qui ne pouvaient qu'affaiblir la confiance des justiciables dans l'impartialité qu'ils sont en droit d'exiger de leurs juges constituaient des faits contraires à l'honneur et dès lors étaient exclus du bénéfice de l'amnistie. En oubliant de préciser que dans cette jurisprudence, le juge sanctionné avait reçu un cadeau de l'ordre de 10.000 euros et s'était vu mettre à disposition une voiture pendant deux ans de la part d'un garagiste dont il a jugé des affaires et qu'il a nommé comme expert à sept reprises, qu'il avait confié seize enquêtes sociales à sa propre épouse dont il a fixé lui même les honoraires à cette occasion, et qu'il a statué sur une demande résiliation du bail d'une parcelle de vigne dont il était saisi et qui a été acheté en cours d'instance par un de ses amis, qu'il avait accompagné chez le notaire le jour de la vente. Lisez donc la décision.

Le traquenard

C'est donc une affaire fort mal engagée pour la Chancellerie.

Quoi que.

Car si, comme c'est probable, Fabrice Burgaud n'est pas sanctionné, ou frappé que d'une sanction symbolique, qui va pouvoir se tourner, les yeux embués de larmes, vers l'opinion publique, en disant : « Vois, mon bon peuple, j'ai fait ce que j'ai pu, mais le corporatisme des magistrats, leur refus d'admettre qu'ils peuvent se tromper est plus fort que tout : la justice s'exonère elle-même. Non, M'ame Chazal, cela n'est pas acceptable. Il faut donc réformer la responsabilité des magistrats, et l'aligner sur celle du PDG de France Télévision ».

Je ne suis pas sûr que la Chancellerie sorte perdante de cette affaire.

Par contre, je suis certain que la magistrature n'en sortira pas gagnante.

Notes

[1] Source : Le Monde, 26 août 2006, sous la signature de Jacques Follorou.

mardi 20 janvier 2009

In memoriam Stanislav Markelov

Stanislav Markelov était un confrère russe, grand défenseur des droits de l'homme, membre du Rule Of Law Institute. Stanislav Markelov, photo Rule Of Law InstituteIl a défendu des journalistes, comme Anna Politovskaia, les familles des victimes de la prise d'otage du théâtre de Moscou, et s'était illustré au début de sa carrière en défendant la famille d'une jeune fille Tchétchène, Elza Koungaïeva, morte à 18 ans, étranglée par un colonel de l'armée russe, Iouri Boudanov, après qu'il l'ait enlevée, battue et violée.

Cette enflure de Boudanov, photo AP

La famille Koungaïev, ayant subi des menaces de représailles si elle ne retirait pas sa plainte, vit réfugiée en Norvège.

Le colonel Boudanov a été condamné à 10 ans de prison pour des crimes de guerre en Tchétchénie, dont le viol et l'assassinat d'Elza.

Il devait être remis en liberté le 12 janvier mais Markelov avait fait appel.

Appel rejeté, l'ex colonel Boudanov a été remis en liberté le 15 janvier dernier.

Il y en a qui ne perdent pas de temps. Le 19 janvier, en sortant d'une conférence de presse dénonçant cette libération, Stanislav Markelov a été abattu en pleine rue, à Moscou. Il avait 34 ans.

Une jeune journaliste de 25 ans, Anastasia Baburova, journaliste à la Novaya Gazeta, qui avait accompagné l'avocat à la conférence de presse et s'était portée à son secours, a été elle aussi abattue.

Je vous proposerai bientôt la traduction d'un de ses derniers articles, publié le 2 décembre dernier. Elle y dénonce l'amalgame fait trop souvent depuis le 11 septembre entre anarchistes et terroristes, en s'appuyant sur l'affaire Coupat en France.

Je crois qu'on peut lui concéder que le terrorisme, elle sait ce que c'est.

Sale jour pour les droits de l'homme.

dimanche 18 janvier 2009

Billet d'humeur

Par Gascogne


Michel DENISOT a l'art de faire venir dans son émission des invités particulièrement intéressants, et de s'entourer de chroniqueurs qui le sont tout autant, au moins pour la majorité d'entre eux.

Jeudi 15 janvier était invité Gilles LATAPIE, magistrat présidant la Cour d'Assises des Ardennes, et ayant eu le "plaisir" de présider le procès "Fourniret". Ses explications sur la préparation et l'intérêt d'un tel procès sont particulièrement intéressantes (à voir ici : Le grand journal, 15/01/2009, partie 2).

Ma soirée aurait pu être agréable devant cette émission si Jean-Michel APHATIE n'avait pas une fois de plus fait remonter de manière particulièrement significative mon taux d'acidité gastrique.

J'avais déjà cru comprendre par le passé qu'il avait quelques problèmes, peut-être personnels, à régler avec les magistrats, qu'il qualifie copieusement de tous les vices, le corporatisme n'en étant pas un des moindres, puisque, comme chacun le sait, les journalistes sont épargnés par ce fléau (attention : appeau à Aliocha).

L'affaire s'est mal engagée lorsque notre chroniqueur national a demandé au président LATAPIE si son livre sur l'intérieur du procès Fourniret, et ses explications sur sa manière de présider l'audience, n'étaient finalement pas une critique du comportement "des magistrats" qui montrent si peu d'humanité (je n'invente rien, c'est à la minute 4:26). C'est ce qui s'appelle surinterpréter dans le sens que l'on souhaite des propos qui n'évoquaient absolument pas la question.

Sa chronique a fini de me convaincre que la colère n'est jamais bonne conseillère lorsque l'on se targue d'analyser la société dans laquelle on vit.

Revenant (7:30) sur la perquisition dont a été l'objet l'appartement de Julien DRAY il y a quelques semaines, Jean-Michel APHATIE, dans son souci de démontrer tout le mal qu'il pense des magistrats français, a fait montre d'un mélange d'approximation et de mauvaise foi comme j'en ai rarement vu, si ce n'est dans des discours politiques.

Il parle en effet de parfum de scandale concernant l'intervention de la Brigade Financière au domicile de Julien DRAY , car cette intervention s'est faite sur la simple base d'une dénonciation de TRACFIN. Et notre journaliste analyseur chroniqueur blogueur de s'emporter sur cette procédure où personne n'a porté plainte. Sans doute ne sait-il pas que dans notre système judiciaire, la plainte n'est en rien un préalable à l'enquête dont le monopole, pour des raisons tendant notamment à éviter les pressions sur les victimes, et à ne pas privatiser la justice, appartient au procureur de la République.

Il s'emporte ensuite et trouve "dégueulasse" que dans le cadre de cet "archaïsme" que constitue l'enquête préliminaire en France, il n'y ait pas d'instruction, et que par dessus tout la Justice ne dise pas ce qu'elle reproche à la personne chez qui elle se présente...Là, les bras m'en tombent. C'est soit de l'incompétence, soit de la mauvaise foi, soit un mélange des deux. Toute enquête, débutée par la saisine d'un service par le procureur, démarre sur la base d'une infraction supposée, en l'espèce, d'un abus de confiance (a priori, je ne connais pas le dossier). Et une perquisition débute en indiquant à la personne les faits reprochés, liés à ce que l'on recherche. A plus forte raison dans le cadre d'une enquête aussi archaïque que l'enquête préliminaire, où l'accord de la personne perquisitionnée (et non pas "fouillée" comme le dit M. APHATIE qui devrait demander à son confrère de Libération où se trouve la différence) est obligatoire (art. 76 du CPP). En matière d'atteinte aux droits des personnes, on fait quand même pire...

Mieux, et sans peur du paradoxe, le chroniqueur politique indique que les fonds objets de l'enquête, sont peut être, ou peut être pas, d'origine malhonnête, et qu'en conséquence il ne comprend pas cette enquête. Faut-il en déduire qu'une enquête pénale ne pourrait intervenir que lorsque l'on est sûr de l'origine malhonnête des choses, ce qui rendrait dés lors impossible les investigations suivant de simples plaintes des citoyens ordinaires ?

Enfin, concernant la violation du secret de l'enquête qui dérange tant notre choqué national, et sans crainte de se contredire puisqu'il estime qu'il est normal au vu de l'hypocrisie du secret de l'instruction que tout se sache, Jean-Michel APHATIE part du principe que les magistrats ont en urgence téléphoné aux gazettes quotidiennes (et même selon lui dans le quart d'heure qui a suivi le début de la perquisition...) pour transmettre toutes les pièces compromettantes possibles. Outre le fait que je vois difficilement ce que cela apporterait au parquetier suivant l'affaire, il n'est pas venu une seule seconde à l'esprit de notre si impartial analyste que les fuites pouvaient certes venir des magistrats, mais également des policiers, voire, mais c'est bien évidemment hautement improbable, de la Chancellerie, qui est tenue au courant à la minute près du déroulement de ce genre d'affaire. Chancellerie qui n'y a bien entendu aucun intérêt puisqu'elle est du même bord politique que le mis en cause.

Et de conclure "vraiment, les magistrats ne sont pas aimables" (avec cet accent qui me le rendait jusqu'alors fort sympathique).

Alors non, effectivement, le magistrat que je suis ne peux pas être aimable avec ce semblant de journaliste lorsqu'il entend de telles analyses. Lorsque l'on compare la finesse des questions et des interventions d'un Ali BADOU avec l'agressivité et les approximations d'un Jean-Michel APHATIE, visiblement dans le seul but de servir une conclusion déjà toute faite dans son esprit, on se dit qu'il vaut mieux pour ses neurones et son temps de cerveau disponible écouter France Culture plutôt que RTL. Mais ça doit être mon côté tant peu aimable que corporatiste qui me fait dire ce genre de choses...

mardi 13 janvier 2009

Quelques bonnes raisons de supprimer le juge d'instruction (3) - Mettre fin à la dualité des poursuites

Par Paxatagore


Troisième argument, à mes yeux le plus important ce ceux que j'ai évoqué jusqu'à présent : la nécessité de supprimer la dualité des poursuites.

Aujourd'hui, quel est notre système ?

95% des affaires présentées à un tribunal ont fait l'objet d'une enquête par la police ou la gendarmerie. Celle-ci a fait son enquête tranquillement dans son coin, en en rendant plus ou moins compte au procureur de la République. Il n'y a pas eu de phase contradictoire : pendant la garde à vue, on a demandé au suspect s'il avouait, on a éventuellement vérifié ses déclarations, ses alibis. Mais on ne lui a pas donné accès au dossier. Et s'il a vu un avocat, c'est d'avantage pour se rassurer que pour se défendre, l'avocat non plus n'ayant pas accès au dossier. Du reste, ce dossier n'est matériellement pas réellement constitué et ordonné de façon à être consultable par un avocat ou un magistrat. Souvent, il n'est pas encore ordonné, les pièces pas encore numérotées, les copies, les originaux, les doubles pour les archives n'ont pas été séparés... Le procureur prend la décision de poursuivre, on se retrouve au tribunal et là, et seulement là, les avocats ont accès au dossier. Le tribunal, réuni pour juger de l'affaire, peut cependant ordonner des investigations supplémentaires si cela lui apparaît nécessaire.

Parfois - de plus en plus souvent -, l'enquête est soumise au tribunal dès la fin de la garde à vue. Le suspect est conduit menotté au tribunal, devant lequel il comparaît dans la journée. Le tribunal, sauf exception, statue aussitôt sur la peine et délivre, le cas échéant, un mandat de dépôt. C'est la procédure de comparution immédiate, très brutale et peu propice à l'exercice serein de la justice et de la défense, mais qui présente l'intérêt de l'immédiateté de la répression.

Dans les 5% restants, l'affaire a été instruite par un juge d'instruction. Après une phase policière identique à celle que je viens de décrire, le juge d'instruction est saisi. Il va généralement faire des investigations supplémentaires (on l'a d'ailleurs saisi parce qu'il y a des investigations supplémentaires à faire). Il va notamment étoffer le dossier de personnalité du suspect (qu'on appelle, à ce stade, la personne mise en examen). Il va l'interroger plus complètement, dans des conditions plus agréable (non menotté, en présence d'un avocat) qu'en garde à vue.

Cette différence ne doit pas laisser à penser que les 95% des affaires qui ne passent pas par l'instruction sont bâclées. La police fait bien son travail. Quand on lui sort un alibi, elle le vérifie. Mais bon, dans l'ensemble, chacun s'accorde à dire que les dossiers d'instruction comprennent plus de renseignements. Pas forcément plus de preuves, ni plus de certitudes. Mais plus d'informations. Plus de détails. Notamment des détails que la police ne cherche pas toujours (même si je soutiens qu'on pourrait certainement lui indiquer que ces détails sont importants. Travailler par exemple sur l'élément intentionnel, faire une enquête de personnalité, faire des environnements).

L'instruction a donc l'avantage de nous apporter un dossier plus intéressant, plus étoffé. Forcément, c'est plus long, ça coûte plus cher à la justice et il n'y a pas forcément lieu de mettre en œuvre de tels moyens pour toutes les affaires, bien au contraire.

La tendance actuelle de nos réformes législatives, depuis disons 1993, c'est de renforcer les garanties et les droits procéduraux des parties dans la phase d'instruction. La défense y a sans cesse plus de droits (qu'elle n'utilise du reste que façon très limitée). L'enquête ordinaire (les 95%), elle, ne suit pas cette tendance : tout est entre les mains de la police et du parquet, il n'y a pas de "partie" à ce stade, et donc pas de droit.

C'est l'existence d'une institution (le juge d'instruction) qui est une "option" entre les mains du procureur, qui introduit cette dissymétrie.

Je crois que l'un des intérêts de la suppression du juge d'instruction serait justement d'unifier le régime de l'enquête, de donner à chacun les mêmes droits.

Un juge de l'enquête préliminaire, dont la désignation devrait apporter des garanties d'indépendance comme celles qu'offre aujourd'hui le juge d'instruction, pourrait être saisi par les parties, à tout moment. Qui est une partie ?

  • le procureur de la République, dès lors que s'ouvre une enquête. Il pourrait demander au juge les mesures coercitives qu'il ne pourrait autoriser seul, comme la prolongation de la garde à vue, le contrôle judiciaire, la détention provisoire, les mandats, mais aussi les écoutes téléphoniques, etc.
  • la partie civile, dès lors qu'une personne dépose plainte (la reconnaissance automatique du statut de partie civile à tout plaignant ne me paraît pas problématique en soit). Elle pourrait demander au juge, au moins à certains stades de la procédure, d'ordonner certaines investigations, et, pourquoi pas, lui demander également une provision sur ses dommages et intérêts (imaginons le cas où les faits sont reconnus, rien n'interdit de restreindre le rôle de ce juge à la seule matière pénale), ou l'éloignement du conjoint violent (pour les victimes de violences conjugales).
  • le suspect. A l'issue au moins de sa garde à vue ou d'une audition sous un statut de suspect (qu'il conviendrait impérativement de créer), le suspect pourrait également demander au juge des investigations pour sa défense.

Le juge pourrait en outre statuer sur toutes sortes d'incidents d'enquête (désignation contradictoire d'un expert, délimitation de sa mission, restitution des scellés, nullités des actes de procédure,...). A l'issue d'une garde à vue, ou postérieurement, le procureur de la République pourrait faire conduire ou citer le prévenu devant le juge de l'enquête préliminaire. Les incidents préalables à l'audience seraient évoqués, les nullités purgées. Des mesures coercitives provisoires pourraient être prises (on supprimerait ainsi les comparutions immédiates devant le tribunal, au profit d'une comparution immédiate devant le juge de l'enquête préliminaire).

A ce stade, il interviendra peut être déjà un accord sur la culpabilité et la peine entre le procureur de la République et le suspect. Cet accord pourrait être homologué par le juge de l'enquête préliminaire. D'autres affaires, relevant du juge unique, pourraient être évoquées immédiatement. Pour les autres, le juge de l'enquête préliminaire renverrait l'affaire devant la formation compétente (tribunal correctionnel collégial, cour d'assises).

Pour les débats contradictoires, l'audience serait publique et contradictoire, sauf exception.

Ce système présente les intérêts suivants :

  • toutes les procédures suivront le même cheminement, sans faire de différenciation entre les plus complexes et les moins complexes, à la discrétion du procureur de la République (ou presque). Les droits de chaque prévenu sont donc les mêmes, ce qui est logique dans un système de présomption d'innocence.
  • A un stade raisonnable, l'enquête pourra devenir contradictoire. Le cas échéant, si cela nuit aux investigations, on pourrait imaginer que certaines pièces soient maintenues au secret quelques temps (cela existe en droit Suisse), par la décision d'un juge, pour ne pas compromettre l'efficacité de l'enquête : le système est souple.
  • La plupart des affaires peuvent être évoquées publiquement assez rapidement, au moins sur certains aspects du dossier, ce qui permet de donner des informations aux journalistes et satisfaire le goût de l'insatiable curiosité malsaine de nos concitoyens pour le sang et le sexe (ok, le mien aussi). Cette publicité n'est pas forcément une mauvaise chose : je fais le pari qu'on peut "éduquer" l'opinion publique sur les difficultés des affaires pénales. Les effets de manche des avocats sur les marches du palais sur la justice sourde et aveugle ne dureront pas !
  • on peut envisager plusieurs équilibres entre nécessités de l'enquête et libertés individuelles : le nôtre, ou quelque chose de beaucoup plus exigeant du point de vue des libertés. On peut aussi envisager de rester avec le rôle actuel des juge à l'audience (instruction par le juge), dans la tradition française, ou imaginer un système où les parties ont d'avantage la maîtrise du débat (le parquet présente le dossier à un juge qui ne le connaît pas). Il permet enfin de conserver un système actuel avec des obligations fortes pour la police (instruire à charge et à décharge) ou aller - ce que je ne souhaite pas - vers un système plus anglo-saxon.

Souplesse, évolutivité, égalité.

vendredi 2 janvier 2009

Brouir ou conduire, il faut choisir

Notre président ne connaît pas le repos. Il ne lui aura pas fallu longtemps pour lancer sa première fusée intellectuelle, pour reprendre cette si exacte expression de Philippe Bilger, de l'année 2009.

Comme ce fut le cas il y a un an avec la disparition de la pub sur le service public, on sent que plus de soin a été apporté à la précipitation de l'annonce qu'à la réflexion sur la faisabilité. Il suffit que la mesure réponde immédiatement à un fait divers, satisfasse un public frustré par une colère impuissante, aggravée par les dérangements digestifs d'un lendemain de Réveillon, et que le Bon Sens y appose son sceau pour que la mise en orbite ait lieu.

Voyons le cru 2009 :

PARIS (AFP) — Le président Nicolas Sarkozy souhaite empêcher les incendiaires de voitures de passer le permis de conduire "aussi longtemps que la victime des faits ou le fonds de garantie n'a pas été indemnisé en totalité".

Jeudi, en recevant à l'Elysée les personnels de services publics ayant travaillé durant la nuit de la Saint-Sylvestre, le chef de l'Etat a affirmé que "tant que (les incendiaires) n'auront pas réglé les conséquences de leur forfait, ils ne passeront pas le permis de conduire".

Le chef de l'Etat a affirmé vouloir "que l'on réfléchisse à la possibilité pour les juridictions pénales d'interdire à un mineur condamné pour des faits d'incendie de véhicule de passer un permis de conduire pour des véhicules deux ou quatre roues aussi longtemps que la victime des faits ou le fonds de garantie n'a pas été indemnisé en totalité".

« On » étant toute autre personne que le président, trop occupé à avoir des idées pour s'occuper de détails comme la faisabilité, ou l'efficacité. Je prédis une commission et un rapport.

Et comme d'habitude, pour soutenir la mesure : l'argumentation négative. Je ne vais pas dire pourquoi je le fais, je vais dire qu'il n'y a pas de raison pour ne pas le faire.

"Il n'y a aucune raison que ce soit les honnêtes gens qui aient à payer les conséquences des comportements de délinquants", a-t-il ajouté.

Comme le faisait observer une (é)lectrice au sujet de la rétention de sûreté : peu importe que ça ne serve à rien ; rien ne serait pire que de ne rien faire. La gesticulation plutôt que l'inaction. D'un point de vue rationnel, ça se discute (l'inutile et l'inefficace ont un coût supérieur à l'inaction pour un résultat similaire) ; du point de vue politique, il n'y a pas photo : ça marche.

En ces lieux, on préfère le rationnel à la politique. Assumons donc le rôle du « on » présidentiel et voyons en quoi il y a loin de la coupe de champagne aux lèvres.

L'idée est de faire pression sur les auteurs mineurs des incendies de voiture pour qu'ils indemnisent leur victime. La sanction serait de leur interdire de passer le permis jusque là. On pouvait aussi les priver de dessert ou de télé, mais non, ce sera le permis.

Voyons les objections de principe avant de voir les difficultés pratiques.

Objections de principe.

D'abord, pourquoi les mineurs seulement ?

Bien sûr, on est certain qu'un mineur n'a pas le permis. Mais pourquoi un majeur condamné pourrait-il aussitôt sorti du tribunal aller passer l'examen de conduite, tandis qu'un mineur verra cette échéance suspendue jusqu'au complet paiement des dommages-intérêts ? Premier reproche : l'incohérence.
Deuxième reproche : l'injustice. En principe, les mineurs sont mieux traités que les majeurs, car ils sont immatures, influençables (notamment par des majeurs non concernés par la mesure), et le passage à l'acte révèle souvent un problème plus profond. Ici, on vote une mesure qui les traitera plus durement que des majeurs. C'est une première. À rapprocher des propos qui accompagnent l'annonce de la réforme de l'ordonnance de 1945 sur les mineurs et qui fait de nos enfants des êtres sans foi ni loi dont il faut avoir peur. À croire que pour le Gouvernement, il n'y a que deux types de mineurs : les délinquants et les victimes de pédophiles.

Ensuite, pourquoi les véhicules seulement ?

Tout incendie est grave en soi, et un feu de boîte aux lettres peut se propager à l'édifice. Ou alors, il faut compléter le dispositif. Une cabine téléphonique détruite ? Interdiction d'avoir un portable jusqu'à ce qu'il ait remboursé. Un feu de poubelle ? Défense de sortir ses poubelles, il vivra avec ses détritus jusqu'à ce qu'il ait remboursé les services de la voirie. Vous voyez l'absurde.

Ensuite, pourquoi le permis de conduire ?

Là, on est en présence de réflexes issus du droit archaïque. “ Il a fâché le dieu des automobilistes, il doit faire un sacrifice pour apaiser sa colère ”.
Car si l'interdiction de passer le permis de conduire existe dans l'arsenal pénal, c'est pour des infractions commises lors de la conduite d'un véhicule. Si l'article 131-6, 3° du code pénal prévoit la faculté pour le juge de prononcer à titre de peine principale l'annulation du permis avec interdiction de le repasser pendant une période pouvant aller jusqu'à 5 ans, ce pour tout délit passible d'emprisonnement, un juge n'aura recours à une telle peine que pour des infractions au cours desquelles l'usage d'une automobile a été un facteur essentiel, de sorte que cette interdiction empêche le renouvellement de l'infraction. Mais en quoi une interdiction de passer le permis prévient-elle le renouvellement d'une infraction de destruction volontaire par incendie ?

Il faut tout de même rappeler que le permis de conduire n'est pas une faveur faite par l'État à des citoyens méritants. C'est une mesure de police, une restriction à la liberté d'aller et venir de chaque citoyen justifiée par des raisons de sécurité publique, que je ne conteste pas en soi : conduire un véhicule suppose des compétences, des réflexes qui s'acquièrent et des connaissances juridiques minimales[1], et le permis de conduire sanctionne, après un examen, la connaissance de ces éléments. Refuser la simple possibilité de solliciter cette autorisation pour soutenir des intérêts privés (un particulier n'est qu'un particulier, et le Fonds de Garantie n'est pas l'État, c'est une structure de droit privé financée par les assurances), à savoir le paiement de dettes, ne repose sur aucune légitimité et relève de l'abus de pouvoir par l'État.

Difficultés pratiques

La réforme supposerait d'abord que l'auteur ait été identifié. Or sur les 1147 autodafés de la Saint-Sylvestre officiellement recensés, combien d'auteurs ont-ils été arrêtés ? Sur les 288 interpellations officielles de la nuit, combien concernent des auteurs d'incendie ? Et sur ces auteurs arrêtés, combien de mineurs ? Silence radio. Et pour cause. Je ne sais pas s'il y en a un seul.

Tout simplement parce que les incendiaires sont déjà loin quand l'incendie est détecté, et encore plus loin quand la police arrive sur place. Pas de témoins (il fait nuit et les gens réveillonnent chez eux), pas de traces récupérables : les flammes détruisent les empreintes digitales ou l'éventuel ADN.

Autant dire que l'argument de la dissuasion fait long feu : tous les auteurs de ces incendies sont convaincus d'échapper à la justice pour ces faits, et la plupart du temps, ils ont raison.

D'autant plus que toutes les voitures brûlées la nuit de la saint-Sylvestre ne sont pas victimes de sauvageons pyromanes. Les assurances remboursent les incendies du Nouvel An sans trop y regarder : tradition des incendies, nombre de dossiers, pression des autorités. C'est le jour idéal pour se débarrasser d'un vieux tacot en panne mais encore coté à l'argus.

Ensuite, cette réforme impliquerait que la victime ait obtenu un jugement de condamnation ou que le Fonds de Garantie des Victimes d'Infraction ait indemnisé. Cela exclut donc les affaires où le propriétaire, découragé ou résigné, ne donnera pas de suite et fera jouer son assurance. Pas de condamnation, pas d'indemnisation, pas d'interdiction de permis.
Si le mineur auteur des faits a été identifié, pas de problème. Le tribunal pour enfants prononcera la condamnation, et la victime pourra utiliser le nouveau dispositif d'aide au recouvrement pour se faire avancer les sommes par le Fonds de Garantie (dans la limite de 3000 euros). Le remboursement intégral suppose le paiement du solde à la victime, le remboursement au Fonds des sommes avancées, outre le pourcentage supplémentaire au titre des frais de recouvrement.

S'il n'a pas été identifié ou si la victime n'a pas envie de se constituer partie civile, l'article 706-14-1 du CPP prévoit un mécanisme autonome d'indemnisation, si le propriétaire du véhicule a des revenus mensuels inférieurs à 1966,50 euros[2], dans la limite de 4000 euros. Mais rappelons que l'auteur des faits n'est généralement pas identifié. Il pourra donc aller passer le permis à 18 ans sans avoir à rembourser quoi que ce soit.

Autre problème : les parents sont civilement responsables de leur enfant mineur : art. 1384 du Code civil. C'est à dire qu'ils doivent indemniser les victimes de faits dommageables commis par leur rejeton. Quel que soit son âge. Même sans faute pénale. Donc si un mineur est condamné pour destruction volontaire par incendie, ses parents seront cités devant le tribunal en tant que civilement responsables (c'est la terminologie officielle), par opposition au mineur, prévenu, pénalement responsable (la peine ne peut frapper que l'enfant : on ne peut aller en prison pour un délit commis par son enfant). Pour peu que les parents soient un tant soit peu solvables, la victime ou le Fonds de Garantie auront été indemnisés… par les parents. Victime indemnisée, Fonds de Garantie remboursé ? Le galopin pourra aller passer le permis avec la bénédicition du président, sans avoir sorti un centime de sa poche.
Bref, la mesure n'est susceptible de faire pression que sur des mineurs issus de familles pauvres, qui ne pourront payer les dettes de leur chérubin. Si quelqu'un comprend où se trouve la justice là-dedans, je lui saurai gré de me l'expliquer.

Et concrètement, au fait, on fait comment, pour savoir si l'impétrant conducteur est venu à l'auto-école adorer ce qu'il a brûlé ?

La condamnation pour destruction volontaire est certes inscrite au casier judiciaire. Mais à partir de là, ça se complique.

En fait, il y a trois casiers judiciaires, plus exactement trois bulletins reflétant de manière plus ou moins complète le contenu du casier. Le bulletin n°1 (dit le « B1 »), réservé à la justice, est le relevé intégral des condamnations. Le n°2 est accessible aux administrations et à certains établissements publics lors du recrutement, et est un peu moins complet (notamment n'y figurent pas les condamnations avec sursis une fois que le délai d'épreuve est terminé) ; et le n°3, qui ne peut être demandé que par la personne concernée, est encore moins complet. Disons qu'il vous donne la garantie que vous ne devriez pas être en prison.

Or les condamnations des mineurs ne figurent pas au bulletin n°2 du casier judiciaire : art. 775, 1° du CPP. Donc une préfecture, ne peut, en demandant le bulletin n°2 d'un impétrant conducteur, s'il a ou non été condamné pour une jeunesse un peu trop flamboyante.

Qu'importe, rétorquerez-vous : qu'il demande au procureur de mirer le bulletin n°1 pour lui. Outre le fait que les procureurs ont mieux à faire que commander un B1 pour chaque candidat au permis, les condamnations des mineurs pour des faits délictuels sont également effacées du B1 dans un délai de trois ans à compter de la majorité s'il n'est pas condamné pour un crime ou un délit dans ce délai (art. 769, 7° du CPP). Donc un incendiaire à 17 ans peut se présenter à l'auto-école le lendemain de ses 21 ans avec un casier virginal et une dette en souffrance.

Cela suppose donc la création, fort coûteuse, d'un nouveau fichier qui répertorierait uniquement les rares condamnations de mineur pour incendie et serait, je ne sais comment, mis à jour des paiements effectués, deuxième condition de l'interdiction envisagée.

Car saurait-on qu'il a été condamné pour incendie de voiture qu'il faudrait ensuite s'assurer qu'il n'a pas indemnisé la victime ou le Fonds. S'agissant d'une dette purement privée, ça risque d'être délicat. Si le Fonds a payé, ce sera facile : un courrier suffira. Mais si c'est la victime, encore faudra-t-il la retrouver, et qu'elle réponde. Alors, dans le doute ? Il peut ou il ne peut pas passer le permis ? Et si la victime a renoncé à être indemnisée ? Faut-il considérer que la dette est payée (pour le Code civil, c'est oui) ? Ou faut-il qu'il paye néanmoins, mais à qui ?

Et au fait, si le mineur a un besoin ardent du permis pour pouvoir travailler et ainsi indemniser la victime ?

Encore une fois, nous sommes en présence d'une politique d'annonce, et fort efficace du point de vue médiatique : les journaux en parlent tous. Elle donne l'impression d'un président qui agit, sans que personne ne se dise que tiens, vu que ça fait 6 ans qu'il est aux premières loges pour voir flamber les voitures au Nouvel An, il aurait peut-être pu y penser avant, ni ne s'interroge sur la faisabilité ou l'efficacité réelle du projet. Un fait divers = une annonce.

Avec à la clef, un (vague) projet, à l'effet dissuasif nul, dont la réalisation promet d'être difficile et coûteuse, pour un résultat qui sera forcément inefficace car ne frappant qu'une toute petite partie des personnes concernées. Mais une opinion publique bien contente.

De ce point de vue, 2009 s'inscrit pleinement dans la continuité.

Notes

[1] Et oui, ce qu'on appelle le Code, c'est un examen de droit…

[2] Il s'agit d'1,5 fois le pafond de l'aide juridictionnelle partielle. Le revenu est calculé par foyer, avec une majoration par personnes à charge. Soit 1966,50 euros pour une personne seule ou un couple sans enfants, 2147,05 euros avec un enfant, 2382,55 avec deux enfants, et 148,50 euros par personne à charge supplémentaire.

mardi 30 décembre 2008

Maître Eolas vous cause(ra) dans le poste

Demain à 18h20 sur France Culture, dans le cadre de l'émission « en toute franchise », au titre fort mal choisi pour recevoir un avocat, votre serviteur sera interviewé par Hubert Huertas dans le cadre des programmes de fin d'année, ou un invité écrivain (ou en l'espèce, rédacteur de blog) est interrogé sur le bilan de l'année écoulée dans son domaine de prédilection.

Pour la dernière de l'année[1], et pris dans un moment d'ivresse, nous nous sommes affranchis de toutes les règles : non seulement je n'ai pas (encore) publié de livre, mais en plus, nous avons repoussé le terme du bilan au 16 mai 2007, pour faire à grand traits un bilan de ce début de présidence.

Dix minutes, cela passe très vite, et le bilan est loin d'être exhaustif.

De fait, sur la question : avancées et reculs du droit pénal, du point de vue de la défense, depuis l'arrivée en fonction du président Sarkozy, j'avais rapidement relevé ces éléments-ci. Je ne déflore rien puisque nous avons à peine abordé ces thèmes : c'est plus une conversation qu'une interview, et ça me va très bien.

► Les avancées :

Pour les victimes :

— création du Service d'Aide au Recouvrement des Victimes d'Infraction. C'est une avancée, objectivement.

Pour les prévenus :

— Abrogation de la loi de 1947 et ses incapacités automatiques à exercer la profession de commerçant (loi de modernisationde l'économie d'août 2008). Bon, c'est plus une avancée pour les prévenus qui ont voté pour le président que pour l'électorat du facteur joufflu, mais ça reste une bonne mesure, qui rend au juge le rôle de prononcer l'intégralité des peines. Continuons le mouvement et abrogeons la perte automatique du grade pour les militaires, l'inéligibilité de plein droit pour certaines condamnations ; pour la révocation automatique des fonctionnaires, le Conseil d'État s'en est déjà chargé.

Ajoutons des fausses avancées, relevant plus de la com' :

La procédure de déclaration d'irresponsabilité pénale pour trouble mental. C'est une nouveauté profonde, présenté comme une avancée pour les victimes, ce dont je ne suis pas encore convaincu. Disons qu'en tout cas, ça ne devrait pas leur nuire. Encore que même cela n'est pas certain.

— La création du JUDÉVI, le juge délégué aux victimes. Une drôle d'usine à gaz, un juge qui ne juge rien mais vise à servir d'intermédiaire aux victimes dans le cadre de l'exécution des peines.

Tout ça alors que la loi du 5 mars 2007 a jouté un obstacle aux victimes voulant déposer plainte avec constitution de partie civile. Ne cherchez pas la cohérence.

Pour la politique pénale au sens large :

— La suppression de la loi d'amnistie ou des grâces collectives, encore que ce dernier point a pris du plomb dans l'aile récemment.

— La création d'un Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté, à condition qu'il remplisse pleinement son rôle, comme la HALDE a réussi à le faire.

► Les reculs :

— La loi sur les peines planchers, qui restreint la liberté du juge et tend vers une sévérité automatique, dont la combinaison avec la loi Clément sur la récidive du 12 décembre 2005 peut être dramatique. L'illusion de la sévérité comme facteur dissuasif. Plus d'un siècle après la désastreuse loi Waldeck-Rousseau (non, pas celle-là ; non, celle-là non plus, celle-là), quand on sait depuis longtemps que ce sont les lois Béranger de 1884 et 1891 qui ont réussi à faire diminuer la délinquance à cette époque, et de manière spectaculaire, en instituant la libération conditionnelle et le sursis.

— La rétention de sûreté, on enferme désormais des gens sans limitation de durée pour ce qu'ils pourraient faire et non ce qu'ils ont fait. L'application au droit pénal des mathématiques actuarielles chères aux assurances (et qui rend les assurances si chères).

La réforme de la carte judiciaire, réforme voulue par les acteurs de la justice, qui a réussi le tour de force de fâcher tout le monde ; en droit pénal, elle s'applique surtout avec la mise en place des pôles de l'instruction, qui va grandement contribuer à éloigner les détenus provisoires de leurs familles.

Et vous, qu'auriez-vous dit, de positif ou de négatif, dans la politique pénale menée depuis le 16 mai 2007, date un peu arbitraire car il n'y a pas vraiment eu de rupture depuis le sinistre printemps 2002 ?


L'émission diffusée :

Notes

[1] L'émission sera diffusée demain mais a été enregistrée aujourd'hui.

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