Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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dimanche 8 juillet 2007

In memoriam : la grâce du 14 juillet

Le président de la république a annoncé la rupture d'une tradition remontant à François Mitterrand (Elles étaient systématiques depuis 1991) : l'octroi de grâces collectives le 14 juillet de chaque année.

Ces grâces s'appuyaient sur l'article 17 de la Constitution, qui prévoit que le président de la République dispose du droit de grâce. Rappelons que la grâce s'entend d'une dispense totale ou partielle d'avoir à exécuter une peine, ou de la commutation d'une peine en une autre : elle ne fait pas disparaître la condamnation, qui reste inscrite au casier judiciaire et fonde une éventuelle récidive (ce qui la distingue de l'amnistie, qui ne peut résulter que d'une loi votée par le parlement).

C'est un droit discrétionnaire. Il n'a pas à être motivé, pas plus que le refus d'en faire usage, et ne peut faire l'objet d'un recours. Il a un côté archaïque, puisqu'il nous vient de l'ancien régime, quand le roi était fontaine de justice : c'était lui seul qui avait le pouvoir de rendre la justice, et les juges n'agissaient que sur sa délégation, délégation qu'il pouvait reprendre à tout moment pour statuer lui-même.

Nicolas Sarkozy n'a pas renoncé au droit de grâce en lui-même, et c'est heureux. Le droit de grâce peut jouer un rôle d'apaisement, voire de réparation urgente d'une erreur judiciaire avérée. Mais il faut reconnaître ce qui est : depuis l'abolition de la peine de mort, le droit de grâce a perdu l'essentiel de son intérêt. François Mitterrand avait donc inauguré cette tradition des grâces collectives, car on sait combien il était attaché à l'aspect monarchique de sa fonction.

Exeunt donc les grâces du 14 juillet. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?

D'un point de vue strictement personnel, je les regrette. J'ai quelques clients qui auraient pu en profiter, et un mois de détention en moins, c'est toujours ça de pris.

D'un point de vue plus général, je dois bien dire que non. Ces grâces avaient certes pour effet de diminuer grandement la population carcérale, mais cet effet était très limité dans le temps, et surtout, c'est une solution-rustine à un problème bien plus grand : l'insuffisance du parc carcéral. Problème qui risque de s'aggraver sérieusement avec le vote prochain de la loi sur les peines plancher.

Mais autant un retour à la liberté aménagé, suivi par un juge d'application des peines, précédé de permissions de sortie permettant la recherche d'un logement et d'un emploi, qui aboutissait à une période de liberté conditionnelle avant la liberté pure et simple de la fin de peine, a d'excellents résultats en terme de récidive, autant un retour non préparé à la liberté peut être désastreux. Un voleur qui volait parce qu'il n'avait pas d'emploi se retrouvant brutalement dehors, toujours sans emploi, sans logement et sans argent, a de grandes chances de se "débrouiller" en faisant la seule chose qu'il sache faire et qui rapporte tout de suite. Les comparutions immédiates de juillet et août voyaient passer nombre de ces récents libérés qui avaient gâché cette opportunité.

Car si une incarcération est une expérience violente, un retour à la liberté peut l'être aussi, même pour un primo-délinquant. En prison, le temps passe lentement, on est oisif, mais aussi déresponsabilisé. Dormir, manger ne sont pas des soucis (si on arrive à dormir avec des cris qui résonnent et qu'on aime la soupe froide). Quand sa vie se résume pendant des mois à 9m², deux heures de promenade, et quelques ateliers quand les gardiens n'oublient pas de venir vous chercher, se retrouver à la rue, ou pour les plus chanceux revenir chez soi, pouvoir sortir à tout moment, ou tout simplement pouvoir ouvrir soi même une porte, cela peut donner un vertige, une ivresse mais pas forcément euphorique. Il y a une phase dépressive post-libération pour ceux qui n'ont pas la chance d'avoir une famille et un travail qui les attend. La République ne se rend pas compte de tout ce qu'elle doit aux enfants de détenus et aux employeurs qui acceptent d'embaucher d'anciens taulards. Il y a des médailles qui se perdent.

Et plus la peine a été longue, plus le choc est rude. Dehors, beaucoup de choses ont changé, même en quelques mois. A tel point que beaucoup de prisonniers demandent à bénéficier du droit à reporter leur sortie au lendemain matin pour éviter le souci de la première nuit dehors, alors qu'on pourrait croire qu'ils n'ont pas envie de passer une minute de plus en prison.

Donc ces grâces collectives créaient un risque accru de récidive, ce qui aurait été paradoxal pour un gouvernement qui est en train de faire voter des peines plancher pour lutter contre la récidive (quand bien même l'effet à en attendre est quasi-nul).

Je ne les regretterai donc pas, ces grâces. Mes clients, un peu plus, sans doute. Mais leur disparition rend encore plus prégnante l'obligation pour l'Etat de se doter de places de prison en nombre suffisant, et de développer les alternatives à l'incarcération.

Et las, de ce point de vue, rien à l'horizon.

lundi 25 juin 2007

La réforme de la carte judiciaire

Mes confrères de province, ceux de Metz en tête, manifestent leur mécontentement à l'annonce d'un projet de réforme de la carte judiciaire, dont les détails n'ont pas encore été révélés par le gouvernement. Cette affaire risquant d'entraîner pas mal de remue-ménage ces prochains mois, je vous propose de faire un petit point de la question.

Cette réforme n'est pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu : elle figurait au programme de Nicolas Sarkozy, que j'avais détaillé en son temps.

1. La carte judiciaire, qu'est ce que c'est ?

En un mot : c'est ça.

En plusieurs mots, il s'agit de l'organisation géographique de la justice : en gros, comment chaque parcelle du territoire est rattaché à un et un seul tribunal (en fait, il y a plusieurs types de tribunaux selon les affaires, mais chaque parcelle de territoire est rattaché à un et un seul tribunal de chaque type : il n'y a aucun chevauchement).

la carte judiciaire est différente de la carte administrative, qui divise la France en régions, département, arrondissements, cantons et communes. La France a ainsi 26 régions et 100 départements, tandis qu'elle a 35 cours d'appel et 191 tribunaux de grande instance. La différence n'est pas totale, car elle repose sur les communes (aucune commune n'est divisée entre deux tribunaux de grande instance) et fait en sorte de suivre les limites des départements. Notons au passage qu'il existe une deuxième carte judiciaire, celle des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, mais elle n'est pas concernée par la réforme, et je ne devrais même pas utiliser le terme de "judiciaire" s'agissant des tribunaux de l'ordre administratif, car il s'agit de deux ordres totalement séparés, avec leurs propres juges, leurs propres procédures, et leur propre cour suprême (cour de cassation pour le judiciaire, Conseil d'Etat pour l'administratif). Ca fait partie des exceptions françaises. Je vous en reparlerai, c'est promis.

L'unité de base de la carte judiciaire est le tribunal de grande instance. C'est la juridiction de droit commun, c'est à dire qu'elle connaît de tous les procès, sauf ceux que la loi attribue à d'autres tribunaux spécialisés, qu'on appelle juridictions d'exception (ce qui n'a aucun sens péjoratif)[1]. Le tribunal correctionnel, qui juge les délits, est une des chambres du tribunal de grande instance. C'est auprès du tribunal de grande instance qu'est organisé le ministère public, sous les ordres d'un procureur de la République.

Mais un tribunal de grande instance n'en vaut pas un autre. Il y en a des petits et des grands. Certains tribunaux de grande instance n'ont qu'une, deux ou trois chambres (on les appelle des hors-classes), tandis que celui de Créteil en a 13, Bobigny en a 17, et Paris en a 31.

Certains départements ont un seul tribunal de grande instance (Les Yvelines, TGI de Versailles), d'autres, de taille similaire en ayant trois (la Seine et Marne, TGI de Melun, Meaux et Fontainebleau), le département le mieux fourni étant le Nord, avec sept tribunaux de grande instance (Lille, Dunkerque, Hazebrouck, Douai, Cambrai, Valenciennes et Avesnes sur Helpe).

2. Pourquoi la modifier ?

L'idée de départ est d'aligner les deux cartes, administratives et judiciaire. Un département = un tribunal de grande instance, une région = une cour d'appel. L'argument est triple : la simplicité, le vieillissement de la carte judiciaire, et l'efficacité par la concentration de moyens.

Les deux premiers laissent franchement dubitatifs.

Un seul tribunal de grande instance par département, c'est plus simple sur la carte, mais pour les justiciables et les auxiliaires de justice, je doute que ce soit plus simple de s'y rendre. Après tout, l'Etat lui-même a jugé utile d'ajouter une ou deux sous préfectures par département : c'est que l'unicité de la préfecture posait des problèmes.

Mais le vieillissement de la carte, là, l'argument est inopérant. La carte judiciaire date de 1958. Comme la Ve république, ferais-je remarquer, et comme la Vieille Dame, elle a été modifiée à de nombreuses reprises, notamment avec la créations des tribunaux de grande instance de Nanterre, Bobigny, Créteil au début des années 70, et de la cour d'appel de Versailles en 1975. Dire que cette carte date de 1958 est donc faux.

Mais surtout en quoi, au nom de l'obsolescence, faudrait-il aligner une carte dessinée en 1958 sur une carte dessinée... en 1790 ?

Reste l'argument de l'efficacité. Il s'agit pour le gouvernement de regrouper les tribunaux de grande instance pour en regrouper les moyens et diminuer, voire supprimer les tribunaux de grande instance hors classe (trois chambres ou moins) au profit de tribunaux plus gros. Idem avec des cours d'appel (on parle de celles de Grenoble, Nîmes, Agen et Pau, qui seraient supprimées pour être regroupées avec Lyon, Aix en Provence Montpellier, et Bordeaux pour les deux dernières) (Mise à jour : Bourges serait aussi menacée, et serait regroupée avec Orléans). Cela s'inscrit notamment dans la logique de la réforme votée en mars dernier qui prévoit en 2010 la collégialité de l'instruction, ce qui suppose un minimum de trois juges d'instruction par tribunal, or le principe est qu'un tribunal de grande instance a autant de juges d'instructions que de chambres. Les Tribunaux de grande instance à une ou deux chambres ne pourront pas instaurer un collège de l'instruction, et pour ceux à trois chambres, il suffira qu'un poste soit vacant pour risquer de paralyser l'instruction.

Vis à vis de l'administration, c'est aussi nettement plus simple : un préfet, qui représente l'Etat au niveau du département, aura comme interlocuteur un seul procureur de la République. Mais ne pourrait-on pas obtenir le même résultat par une simple réorganisation du parquet, avec un procureur à compétence départementale, les parquets des tribunaux étant dirigés par des procureurs adjoints ou toute autre dénomination que l'on pourrait leur donner ? Mais j'anticipe un peu : voyons à présent les objections soulevées à l'encontre du principe de cette révision.

3. Les objections à la révision de la carte.

Elles sont de plusieurs natures, et de valeurs inégales. Aucune n'est à mes yeux suffisantes pour condamner cette réforme : l'Etat a le droit de s'organiser comme il le veut et de modifier son organisation, à charge pour lui que cette modification améliore les choses.

Il y aura des résistances locales, notamment de la part des élus. Paxatagore l'exprime très bien :

dans les villes de taille moyenne, un tribunal est une administration à forte visibilité. Les édiles locaux tiennent à avoir leur tribunal, signe de l'implication de l'Etat sur leur territoire. Un tribunal en soi apporte pas mal de notabilités, puisqu'à chaque tribunal correspond un barreau et donc des avocats. Le tribunal, comme d'autres administrations, ce sont des emplois. En soi, un tribunal n'apporte que peu d'emplois, mais la disparition d'un tribunal va servir à d'autres administrations de prétexte pour se concentrer d'avantage et aller dans de plus grandes villes.

Pour les barreaux locaux aussi, c'est une mauvaise nouvelle. Un barreau est rattaché à un tribunal de grande instance. La suppression du TGI imposera la fusion avec un autre barreau, et pour beaucoup un déménagement, puisque le cabinet qui était à deux pas du palais va se retrouver à plusieurs dizaines de kilomètres de celui-ci. Et pour un avocat, il vaut mieux être proche du palais que du domicile de ses clients, que l'on voit fort peu à son cabinet. La suppression d'une cour d'appel avec maintien d'un TGI n'est guère mieux, puisque cela suppose une forte diminution de l'activité judiciaire. Mais je reconnais que cet argument n'a guère de valeur comme objection, car cette réforme n'est pas faite pour le confort des avocats : nous sommes des professions libérales et nous devons nous adapter au fait du prince. Il sera aisé pour le gouvernement de le balayer en invoquant les résistances corporatistes. Le président de la république le fera très bien en invoquant sa qualité d'ancien avocat.

Se pose aussi le problème du point de vue du quotidien, et de la proximité géographique de la juridiction. Même si un citoyen se rend rarement au tribunal (il peut même désigner un avocat pour le faire à sa place), il vaut mieux qu'il puisse le faire aisément. Surtout que les bureaux d'aide juridictionnelle se trouvent au sein du tribunal de grande instance : ce sont donc les populations les plus défavorisées qui se rendent le plus souvent au tribunal. Les avocats, eux, sont de toutes façon contraints à la mobilité. On ne plaide pas que devant le tribunal de grande instance : on va aussi dans les tribunaux d'instance, aux conseils de prud'hommes et au tribunal de commerce qui sont souvent dans d'autres locaux que le tribunal de grande instance, aux maisons d'arrêt, qui sont de moins en moins en centre ville (heureuses les quelques villes qui ont une maison d'arrêt à quelques rues du Palais, comme Niort, par exemple).

Mais il serait souhaitable que les tribunaux restent en centre ville, à défaut, il sera indispensable que des transports en communs soient prévus pour bien desservir le tribunal, et on en est loin actuellement, même en région parisienne : le tribunal de grande instance de Créteil en est un exemple, situé à 500m d'une station de métro, sans aucune ligne de bus qui le desserve.

Il restera enfin les objections les plus fortes, mais qui ne seront pas contre le principe de la révision, seulement contre un aspect précis de cette révision : l'opportunité de la disparition de telle ou telle juridiction. Ici, la parole est à mes confrères et aux magistrats et greffiers concernés. Ne l'étant pas moi même, la région parisienne fonctionnant déjà depuis trente ans sur le principe un département = un tribunal de grande instance (sauf la Seine et Marne), je ne prétendrai pas avoir d'avis tranché sur la question.

4. Et ça va coûter combien ?

Alors, là, cher. Très cher. Parce que regrouper les tribunaux, c'est bien, mais encore faut-il de la place pour accueillir les greffiers, les juges, les archives, et créer les nouvelles salles d'audience nécessaires. La revente des palais désertés ne suffira pas à financer l'aspect immobilier. En plus, je me demande si une loi constitutionnelle ne va pas devoir être votée en raison de l'inamovibilité des juges du siège, ce qui va supposer la collaboration de l'opposition socialiste. Mais ne pas avoir les moyens de ses ambitions serait ici catastrophique pour le fonctionnement de la justice. Sauf à faire, comme le relève Paxatagore à la fin de son billet, une réformette, supprimer deux ou trois juridictions par ici pour les regrouper là, et présenter ça comme la plus grande réforme qu'aura connu la justice depuis cinquante ans.

Notes

[1] Citons la juridiction de proximité pour les petits litiges (moins de 4000 €), le tribunal d'instance pour les litiges moyens (entre 4000 et 10000€), les baux d'habitation, les expulsions, les tutelles, les contrats de crédit à la consommation, les saisies sur salaire, entre autres, les conseils de prud'hommes pour les litiges individuels liés à un contrat de travail ou d'apprentissage (surtout la contestation des licenciements), le tribunal des affaires de sécurité sociale pour les litiges avec les différentes caisses de sécurité sociale, et le tribunal paritaire des baux ruraux pour citer les plus importantes.

vendredi 22 juin 2007

Une formule à deux balles, un article dans la presse.

Nous sommes sauvés.

Pour Rachida Dati, Nicolas Sarkozy « a été élu sur un mandat clair » en matière judiciaire. Elle compte donc mener à bien le chantier de la fermeté, notamment envers les délinquants mineurs. Pour cela, elle annonce que, « pour la première fois depuis des années », elle adressera directement au parquet une « circulaire d’action publique », qui guidera l’action des procureurs selon le principe « une infraction, une réponse ».

Wouahou. Une infraction, une réponse. Jamais les parquetiers n'y auraient pensé tous seuls. Ils vont adorer. (Ha, et c'est pas le Figaro : Libé donne aussi dans la facilité).

vendredi 1 juin 2007

Un petit point sur les réformes des peines plancher et de l'excuse de minorité

Une interview dans Le Monde de Madame Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice, apporte des informations intéressantes sur les deux réformes en préparation et promises par le président Sarkozy dans son programme : l'instauration de peines plancher pour les récidivistes et la suppression de l'excuse de minorité pour les mineurs récidivistes de 16 à 18 ans.

Et les nouvelles sont plutôt bonnes, à mon goût.

Sur les peines plancher, on est très loin de l'ahurissant projet communiqué aux parlementaires.

Tout d'abord, il n'y aura pas d'automaticité : le juge pourra descendre en-dessous de ce plancher, en motivant spécialement son jugement.

Explication : Depuis le nouveau code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1994, le juge qui prononce une peine de prison ferme doit spécialement motiver sa décision de ne pas recourir au sursis. Il ne peut se contenter de dire : "attendu qu'il est coupable, il y a lieu de le condamner à six mois d'emprisonnement". Il faut qu'il ajoute une explication à son jugement. Les formulations les plus fréquentes sont du type "Eu égard à l'extrême gravité des faits", "au trouble à l'ordre public causé par l'infraction", ou "aux antécédents judiciaires du prévenu qui démontrent une délinquance habituelle, une peine de prison ferme paraît seule à même de sanctionner efficacement l'infraction". Depuis la loi Clément du 12 décembre 2005, le juge est dispensé de motivation spéciale pour de la prison ferme si le prévenu est en état de récidive, ce qui ne l'oblige pas pour autant à motiver spécialement une peine autre que l'emprisonnement. C'est l'article 132-19 du Code pénal.

La loi nouvelle imposera désormais au juge qui condamne une personne en état de récidive à expliquer pourquoi il ne prononce pas la peine plancher. C'est une incitation à ne pas se casser la tête et à la prononcer, mais il y a un type dans la salle qui se fera un devoir et un plaisir de fournir au juge une telle motivation clefs en main : l'avocat de la défense.

Exit donc l'effarante affirmation de l'argumentaire aux parlementaires selon laquelle les juges peuvent échapper aux peines plancher, mais seulement en ne déclarant pas coupable le prévenu...

De même, le niveau des peines plancher a été sérieusement revu à la baisse. Exeunt donc la moitié à la première récidive, ce sera un an pour un délit passible de trois ans de prison, deux ans pour un délit passible de cinq ans, trois ans pour un délit passible de sept ans et quatre ans pour un délit passible de dix ans. Quid des délits passibles de six mois, un an et deux ans ? Mystère. Sans doute seront-ils exclus du champ d'application. Pour les crimes, le minimum sera respectivement de cinq ans, sept ans, dix ans et quinze ans pour les actes encourant quinze ans, vingt ans, trente ans et la réclusion à perpétuité (voir ce billet pour des explications sur ces seuils de peine).

L'obligation de motivation spéciale ne pouvant être appliquée devant la cour d'assises, qui ne motive pas ses arrêts, je pense que ce sera remplacé par un vote spécial, ou une majorité qualifiée...

Pour les mineurs, l'excuse de minorité (qui divise par deux le maximum encouru) sera écartée pour les mineurs de 16 à 18 ans en cas de deuxième récidive (donc ils devront avoir été déjà deux fois condamnés définitivement) et seulement pour des crimes portant atteinte aux personnes et des délits graves de violences ou agressions sexuelles. Autant dire sur des cas extrêmement rares. Enfin, la juridiction pourra rétablir le bénéfice de cette excuse par une décision spécialement motivée. Alors qu'aujourd'hui, la juridiction doit prendre une décision spécialement motivée pour écarter l'excuse de minorité, dans le cas où elle souhaite dépasser la moitié de la peine.

Je l'ai déjà dit ici, et je récidive : le législateur peut voter toutes les lois répressives qu'il veut, tant qu'il laisse au juge le pouvoir d'adapter la sanction à chaque cas. Ce sera le cas ici. Tant mieux.

Je relève pour conclure ce passage, qui est une magnifique illustration de la gesticulation législative que je dénonce sans relâche.

La loi du 5 mars sur la prévention de la délinquance a étendu la possibilité d'exclure l'excuse de minorité pour les récidivistes ayant commis des faits graves. Le projet va plus loin.

La loi du 5 mars en question, c'est la loi Sarkozy sur la prévention de la délinquance, qui avait tant fait parler d'elle. Elle a été promulguée le 5 mars dernier. Le même jour qu'une réforme de la procédure pénale, la loi tendant à renforcer l'équilibre (sic : on renforce un équilibre ??) de la procédure pénale, soit dit en passant.

Et bien moins de trois mois après, le même ministre, devenu président de la République, va faire voter avant la rentrée une nouvelle loi qui va encore plus loin. On peut se demander ce qui lui a échappé au cours des débats parlementaires qui soit devenu une telle urgence quelques semaines plus tard. Surtout quand on constate que cette loi comporte déjà des dispositions aggravant le traitement de la récidive (art. 43), qui n'entreront en vigueur que le 5 mars 2008. Et qui risquent donc d'entrer en conflit avec les dispositions sur le point d'être votées.

Et pendant ce temps, juges, procureurs et avocats griffonneront rageusement les marges de leurs codes d'annotations de mise à jour...

jeudi 24 mai 2007

Sur les ministres candidats

J'ai reçu par mail pas mal de questions sur le fait que onze ministres de l'actuel gouvernement sont candidats aux élections générales (c'est le nom officiel des élections "législatives") des 10 et 17 juin prochain, se demandant si cela est bien compatible avec la séparation des pouvoirs d'une part, et l'éthique d'autre part, puisqu'il s'agit de solliciter un mandat qu'ils espèrent bien ne jamais exercer, en restant au gouvernement pendant cinq ans.

A la première question, le juriste peut répondre aisément : oui, c'est compatible, c'est même prévu par la loi. Ce qui est incompatible, c'est d'exercer le mandat de député et la fonction gouvernementale en même temps : c'est l'article 23 de la Constitution.

Les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle. Une loi organique fixe les conditions dans lesquelles il est pourvu au remplacement des titulaires de tels mandats, fonctions ou emplois. Le remplacement des membres du Parlement a lieu conformément aux dispositions de l'article 25.

Notez bien que la fonction de membre du Gouvernement est incompatible avec l'exercice de tout mandat parlementaire, mais pas avec la sollicitation de ce mandat.

La Constitution renvoie les détails à une loi organique. Il s'agit de l'ordonnance n°58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l'application de l'article 23 de la Constitution.

L'article premier de cette ordonnance prévoit que l'incompatibilité posée à l'article 23 ne prend effet qu'après un délai d'un mois (je me suis toujours interrogé sur la constitutionnalité de cette disposition qui déroge à la lettre de la constitution...). Cela marche dans les deux sens : ministre qui devient député ou député qui devient ministre.

C'est à dire qu'un ministre (au sens large : ministre d'Etat, ministre, ministre délégué, secrétaire d'Etat, Haut-commissaire) actuellement en poste qui serait élu lors des prochaines élections aura un mois à compter de la proclamation des résultats pour opter entre un fauteuil à l'assemblée (fauteuils qui viennent d'être refaits à neuf soit dit en passant) ou un siège au Conseil des ministres.

Ca tombe bien, car le gouvernement va présenter sa démission sans doute dès le 18 juin. C'est une coutume constitutionnelle, c'est à dire que ce n'est pas prévu par la Constitution, mais ça arrive à chaque fois à tel point qu'aucun premier ministre ne songerait à ne pas le faire.

En effet, le Président de la République n'a pas de par la Constitution le pouvoir de démettre le premier ministre (et par voie de conséquence, le gouvernement). Seule l'assemblée a ce pouvoir en votant la motion de censure. Mais cela n'est plus vrai qu'en théorie : dès Michel Debré, premier premier ministre, qui a déclaré qu'il démissionnerait à la première demande du président de la République, ce qu'il fera le 14 avril 1962, n'imaginant pas qu'on puisse rester à ce poste contre la volonté d'icelui, cette soumission du Gouvernement au Président est devenu la règle de la Ve république, en en bouleversant grandement l'équilibre.

La coutume de la démission post électorale existait déjà sous les IIIe et IVe république afin qu'un nouveau gouvernement soit nommé conformément à la configuration de la nouvelle assemblée. Il faut dire qu'alors, la démission d'un gouvernement n'avait rien d'exceptionnel.

Les éventuels ministres élus mais non reconduits pourront donc aller se consoler au Palais Bourbon, ceux reconduits démissionneront de leur mandat dans les trente jours suivant leur nomination.

Y aura-t-il donc des sièges vides à l'assemblée ? Nenni : la loi (article L. 155 du Code électoral) prévoit qu'un candidat à la députation se présente aux côtés d'un remplaçant destiné à exercer son mandat si le député était appelé à des fonctions incompatibles qu'il décidait d'accepter. Le remplaçant sera donc déjà élu, sans qu'il soit besoin de revoter dans la circonscription concernée.

Ainsi, les éventuels ministres élus non reconduits pourront se consoler sur les sièges refaits à neuf du Palais Bourbon, tandis que les ministres élus et reconduits, à l'instar des députés fraîchement élus et nommés au gouvernement, présenteront leur démission au président de l'assemblée nationale, qui constatera que leur suppléant devient député en titre.

Et si un ministre est remercié par la suite ? Son suppléant n'est légalement tenu à rien. Mais la loyauté exige de lui qu'il démissionne à son tour, afin de provoquer une élection partielle dans sa circonscription, au cours de laquelle l'ex ministre sera à nouveau candidat. Ne pas le faire risque fort de lui faire perdre l'investiture du parti aux élections suivantes, et de manière générale, de le placardiser définitivement s'il ne parvient pas à conserver malgré tout sa circonscription aux élections suivantes. S'il y parvient, hé bien nécessité faisant loi, il sera devenu calife à la place du calife.

Donc, pour résumer, il n'y a pas d'atteinte à la séparation des pouvoirs, puisqu'un ministre ne peut être député qu'à titre transitoire pour une durée de trente jours maximum au cours desquels il ne peut pas prendre part à un vote.

Notons que la 4e république n'était pas si regardante, car les ministres pouvaient être députés. C'est d'ailleurs la désagréable surprise de voir les ministres communistes voter contre la confiance à son gouvernement (dans lequel ils siégeaient) qui a conduit le président du Conseil (c'est ainsi qu'on appelait alors le premier ministre) Ramadier à les en renvoyer le 5 mai 1947 ; plus aucun communiste ne sera nommé ministre jusqu'en 1981.

Sur le plan de l'éthique, maintenant. Est-il correct de solliciter un mandat que l'on a pas vraiment l'intention d'exercer ?

Vaste débat. Sans que cela soit un argument déterminant, c'est pour les élections générales une vieille tradition française. Le Général de Gaulle exigeait que ses ministres "aillent au charbon", c'est à dire se frottent au suffrage universel, et en cas d'échec, ils n'étaient pas pris au gouvernement. Seule exception : André Malraux, ministre aux affaires culturelles, dispensé de charbon. Cela a du bon : les futurs ministres vont au contact des électeurs pendant trois semaines, ce qui évite le syndrome de Versailles : ne voir que les ors du pouvoir et ne plus comprendre le peuple. En plus, ils sont déjà ministres, c'est donc transparent à l'égard de leurs électeurs : si vous votez pour moi, je démissionnerai probablement. Et puis en cas de cessation des fonctions gouvernementales, qui sont précaires, il exercera finalement bien le mandat pour lequel il a été élu.

Du côté des arguments négatifs, j'en vois un rarement soulevé : c'est donner aux électeurs d'une circonscription un pouvoir exorbitant. Ainsi, songez que les habitants de Brûlon, Loué, Malicorne sur Sarthe, Sablé sur Sarthe, La Suze sur Sarthe, Le Mans Ouest, et Allonnes ont un droit de véto sur le premier ministre : qu'ils n'élisent pas François Fillon, et le Président de la république ne pourra pas le rappeler à Matignon, puisque le premier ministre a annoncé que les ministres battus ne seraient pas repris, cette règle s'appliquant à lui-même.

Bon, il est vrai qu'il ne prend pas un gros risque, puisqu'il y a été élu sans discontinuer depuis 1981, mais ses électeurs lui pardonneront-ils son infidélité, quand il leur a préféré les grands électeurs et est devenu sénateur de la Sarthe le 18 septembre 2005 ?

Le débat porte plus sur le cumul des mandats, ce qui est ici un faux débat puisqu'il n'y a pas cumul, ou sur la pratique du golden parachute appliqué à la politique : s'ils sont virés du gouvernement ou en démissionnent, ils atterriront tranquillement à l'assemblée nationale. Je ne comprends pas l'intérêt d'exiger d'eux qu'ils ne prévoient absolument rien pour après leurs fonctions, par nature précaires, de ministre. Ce d'autant que tout député a une vocation naturelle à devenir membre du gouvernement, car le gouvernement est forcément une émanation de la majorité de l'Assemblée nationale. Et cet argument me paraît enfin contradictoire avec celui disant qu'il n'est pas bien de solliciter un mandat qu'ils n'ont pas vraiment l'intention d'exercer, puisque dans cette hypothèse, ils l'exerceront bel et bien.

Plus choquante me paraît l'attitude de ceux qui briguent un mandat qu'ils n'ont absolument pas l'intention d'exercer quoi qu'il arrive. Le grand classique est celui de député européen, où la plupart des têtes de liste démissionnent à peine élues pour rester députés en France (pour les élections de 1999, les dernières par listes nationales, citons : François Hollande, Nicolas Sarkozy, Alain Madelin, François Bayrou (erreur de ma part, cf ce commentaire), et Robert Hue).

Citons également ceux qui briguent un mandat incompatible sans démissionner de leur mandat actuel, à savoir les députés européens, que fustige également Jean Quatremer, qui sont candidats aux élections générales mais qui en cas d'échec resteront au chaud à Strasbourg. Ca donne une excellente image de la délégation française, pas de doute.

Bref, les ministres candidats se mettent en danger. Danger calculé pour être réduit au minimum, mais une élection n'est jamais gagnée d'avance, comme le PS vient de le découvrir à ses dépens. Ils peuvent tout gagner (député + ministre) ou tout perdre, et n'être ni l'un ni l'autre.

vendredi 18 mai 2007

Grotesque François Hollande

Le premier secrétaire du parti socialiste vient opportunément nous rappeler pourquoi son parti vient de subir une déroute électorale et va s'en prendre une autre dans un mois.

"[Bernard Kouchner] est exclu de fait aujourd'hui, annonce François Hollande. C'est automatique, comme lorsqu'on se présente contre un candidat désigné par son parti. Bernard Kouchner va être solidaire de ce gouvernement. Il va donc soutenir la droite contre les candidats socialistes aux législatives."

Comme Jules, je tique. Le droit n'apprécie pas les exclusions "de fait" à effet "automatique."

Parce que la dernière fois que j'ai lu les statuts du parti socialiste, seule la Commission des conflits est compétente pour prononcer une exclusion (art. 11.5) et que l'article 11.9 des mêmes statuts du PS précise que "Aucune sanction ne pourra être prise sans que les parties aient été convoquées pour être entendues contradictoirement. L’ordre du jour, indiquant la liste et la nature des dossiers traités, est envoyé au moins deux semaines avant chaque réunion à tous les membres de la Commission (fédérale ou nationale) des conflits..

Bref, en annonçant publiquement l'exclusion "de fait" et "automatique" de Bernard Kouchner, François Hollande viole les statuts du parti qu'il dirige, outre le principe général des droits de la défense. Amusant pour le dirigeant d'un parti présentant le président récemment élu comme un danger pour les libertés publiques...

Qu'il me soit permis de rappeler ici que Georges Frêche, qui avait traité un harki de sous homme et tenu des propos plus que douteux sur l'équipe de France de football, a pu bénéficier de cette procédure. Drôle de façon d'afficher ses priorités pour le premier secrétaire du P.S.

Et comme le ridicule ne tue pas, François Hollande en met une deuxième couche sur Jean Pierre Jouyet, ami de trente ans, rencontré à l'ENA, ami du couple Hollande-Royal, qui est sympathisant socialiste sans jamais avoir adhéré, ce qui le met à l'abri du siège éjectable :

Oui, dit le premier secrétaire du PS, j'ai perdu un ami car il est au service d'un gouvernement que je combats." Mais, précise M. Hollande, "Jouyet ne partageait plus nos convictions depuis un moment… 2004, sans doute. C'est à ce moment qu'il a basculé pour Nicolas Sarkozy avec lequel il a travaillé" – comme directeur du trésor puis ambassadeur chargé des questions économiques internationales.

« On est ami depuis trente ans, mais tu as accepté de participer au gouvernement de la République ? Fumier ! »

Si en plus François Hollande est incapable d'avoir des amis qui ne sont pas d'accord avec lui, je comprends bien mieux la crise au PS.

Brèves considérations sur notre nouveau gouvernement

L'équipe gouvernementale a été annoncée. Pour info, c'est ici.

Le retour d'Alain Juppé me laisse réservé. Surtout en numéro 2 du gouvernement. C'est à ma connaissance le deuxième (Mise à jour : troisième. Il y avait aussi Michel Debré. Merci à mes vigilants lecteurs) ancien premier ministre qui accepte de rempiler comme simple ministre, avec Laurent Fabius (premier ministre du 17 juillet 1984 au 20 mars 1986, puis ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 27 mars 2000 au 5 mai 2002). Mais surtout, il devient ministre d'Etat deux ans et demi après sa condamnation dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, la cour d'appel de Versailles (nettement plus mesurée dans ses propos que le tribunal correctionnel de Nanterre) ayant à cette occasion relevé que « Il est regrettable qu'au moment où le législateur prenait conscience de la nécessité de mettre fin à des pratiques délictueuses qui existaient à l'occasion du financement des partis politiques, M. Juppé n'ait pas appliqué à son propre parti les règles qu'il avait votées au parlement. Il est également regrettable que M. Juppé, dont les qualités intellectuelles sont unanimement reconnues, n'ait pas cru devoir assumer devant la justice l'ensemble de ses responsabilités pénales et ait maintenu la négation de faits avérés. » Le candidat Sarkozy avait annoncé une moralisation de la vie politique. Le président Sarkozy a l'air moins pressé. A rapprocher de l'investiture de Christian Vanneste dans le nord, alors que le même candidat Sarkozy déclarait dans le Figaro le 31 janvier (Via Embruns, lui même via Guy Birenbaum) que « Il ne sera pas réinvesti aux législatives. Je condamne fermement ce qu’il a dit. Je ne veux ni de près ni de loin être associé à des propos homophobes. Depuis des années, j’accomplis un travail en profondeur sur l’ordre, le travail, la responsabilité, le respect. J’ai trop souffert d’une droite qui ne défendait pas ses idées pour prendre le risque de saboter cet effort en acceptant des propos caricaturaux ». Bref, je fais la moue.

Brice Hortefeux est donc le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement. Mon nouvel adversaire devant les juridictions administratives. Enchanté. Comptez sur moi pour vous faire toutes les misères possibles. Les premières viendront sûrement du transfert de compétence du ministre de l'intérieur au ministre de l'immigration : il y a des nullité pour incompétence dans l'air. Miam. Pour ma part, je n'appellerai jamais le ministre "ministre de l'identité nationale". L'identité nationale n'étant pas une administration, je l'amputerai de ce titre dans chacune de mes requêtes, qui seront dirigées contre le "ministre de l'immigration, de l'intégration et du codéveloppement". C'est mesquin, je sais.

Rachida Dati est notre nouveau garde des Sceaux. Une magistrate, qui a exercé trois ans, si je ne m'abuse, dont un au parquet économique et financier d'Evry. Bien. Elle a vécu de l'intérieur le fonctionnement de la justice, notamment pénale. C'est une expérience précieuse. Et en plus, elle est beaucoup plus agréable à regarder que l'ancien Garde des Sceaux (Ce doit être parce qu'ils n'ont pas le même coiffeur). Enfin, elle n'a jamais été députée, donc elle ne devrait donc pas avoir en réserve SA loi qu'elle veut faire passer toutes affaires cessantes pour avoir une loi Dati au J.O. Enfin, avoir un garde des sceaux qui s'appelle Rachida, fille d'un marocain et d'une algérienne, ça a de la gueule. N'oubliez pas la justice administrative, Madame Dati, elle est importante.

Bernard Kouchner ministre des affaires étrangères. Lui qui animait la grève de la fac de médecine de Paris en mai 1968, le voilà dans le gouvernement de celui qui veut tourner la page. Après le translucide Douste Blazy, ça va faire un choc. J'espère que ça tiendra. Bernard Kouchner a une forte personnalité, qui risque d'irriter le président de la République, il va devoir cohabiter avec le nouveau Conseil National de Sécurité, et le Quai d'Orsay n'est pas réputé pour s'adapter aisément à des changements de personnalité. Je lui souhaite bon courage, parce que si son tandem avec Jean-David Levitte marche, la France pourrait bien avoir une diplomatie diablement efficace.

Eric Besson secrétaire d'Etat à la prospective et évaluation des politiques publiques. Cela veut dire qu'il va compter ses trente deniers, je suppose, et reste affecté au chiffrage. Spectaculaire trajectoire de l'auteur de "l'inquiétant Monsieur Sarkozy". Je ne luis prédis pas un long avenir au gouvernement, quels que soient ses qualités professionnelles. En politique, on aime les Timarque mais pas les Alcibiade.

Bernard Kouchner est le doyen du gouvernement à 67 ans, la cadette est Valérie Pécresse, qui fêtera ses 40 ans le 14 juillet prochain.

Reste à voir quels ministres survivront au remaniement de juin prochain, le gouvernement en place présentant traditionnellement sa démission après l'élection d'une nouvelle assemblée nationale.

vendredi 11 mai 2007

Maljournalisme à Libération

Via Guillermo, qui prouve qu'il n'a pas tourné la page de mai 68 quand bien même il n'était pas né à cette époque, je tombe sur cet article de Libération, « un pavé anti-Sarkozy, quatre mois ferme » (Libération du 11 mai 2007, auteur : Karl Laske), qui est un monument de parti-pris et d'approximations.

Cet article relate l'audience qui s'est tenue mercredi en comparution immédiate de deux manifestants interpellés dimanche soir place de la Bastille au cours d'une manifestation spontanée de personnes déçues par l'élection de Nicolas Sarkozy et ayant dégénéré en affrontements avec les forces de l'ordre et en destructions de biens.

Les faits sont les suivants : deux manifestants ont été reconnus coupables d'avoir jeté des projectiles, dont au moins un pavé, en direction des forces de l'ordre, et ont été condamnés à quatre mois de prison, avec effet immédiat.

Notons déjà le titre : le pavé, d'arme par destination utilisée contre les forces de l'ordre, devient message politique : c'est un pavé, oui, mais anti-Sarkozy.

Côté faits, le journaliste se contente de retranscrire le discours d'un témoin impartial : la petite amie du condamné.

« A un moment donné, j'avais ce pavé dans la main. Je ne sais pas pourquoi on a pris ça... On était coincés place de la Bastille. On était perdus ».

La logique du propos semble irréfutable au journaliste qui n'a visiblement pas pris la peine de poser des questions plus avant. Ils étaient perdus, alors ils ont pris un pavé, mais sans savoir pourquoi. Passons.

Alors, que lui reprochait-on, à ce prévenu ?

Mercredi soir, son compagnon, Romain, 29 ans, a été condamné à quatre mois de prison ferme, en comparution immédiate, pour «tentative de violence volontaire».

Tentative de violence volontaire ? Je doute fortement que ce journaliste ait entendu ces mots, car la tentative de violences volontaires (toujours au pluriel) n'existe pas dans le code pénal. C'était donc des poursuites pour violences volontaires aggravées par la circonstance que la victime était fonctionnaire de police ou militaire de la gendarmerie (les journalistes confondent souvent les Compagnies Républicaines de Sécurité et la Gendarmerie Mobile : les premiers ont un écusson rouge sur la poitrine, les seconds ont un casque bleu, et les deux n'ont aucun sens de l'humour quand on leur jette des choses dessus) dans l'exercice de ses fonctions. Mais l'ajout du mot "tentative" permet de bien suggérer au lecteur que ce jeune homme, dans le fond, n'avait rien fait. Je vous avais dit : parti-pris.

On continue dans la même veine phrase suivante :

Il n'avait aucun casier judiciaire, et pas d'engagement politique.

Pas d'engagement politique, hormis sa présence à cette manifestation et son "pavé anti-Sarkozy" cité dans le titre, le lecteur aura rectifié de lui-même.

Après avoir rappelé le CV de ce jeune homme, qui est socialement inséré, le journaliste résume l'accusation :

Le 6 mai, il a été arrêté avec un pavé dans la main, à 23 h 50.

Visiblement peu satisfait de ses notes au cours de l'audience, notre journaliste revient vers son témoin impartial :

«On n'avait aucune intention de jeter ce pavé», assure Marie. Une demi-heure plus tôt, le couple était assis par terre devant les CRS, au milieu d'un sitting improvisé. «On criait aux CRS : "On veut des bisous."»

Fact checking ? Pas pour Libération. Pourtant, selon le même Libération, dans le numéro de lundi :

des échauffourées ont éclaté peu avant 22 heures entre des manifestants et les gendarmes mobiles[1] positionnés aux alentours. Tandis qu'une majeure partie de la foule se dissociait des violences, jets de canettes et d'objets en tout genre se sont abattus sur des forces de l'ordre qui ont chargé vers 22h40. Les grenades lacrymogènes ont fait refluer les manifestants, les policiers ont procédé à des arrestations. Un barricade enflammée continuait à brûler rue de Lyon, vers 23h30.

C'est à dire que notre pacifique badaud a été interpellé un pavé à la main place de la Bastille alors que depuis deux heures, des affrontements avaient lieu avec les forces de l'ordre et que celles-ci recevaient des "objets en tout genre" et avait déjà chargé une première fois une heure plus tôt.

Un conseil juridique gratuit : quand on dit à un policier anti-émeute qui se reçoit des projectiles depuis deux heures "on veut des bisous", pour avoir une chance d'en recevoir un, il faut lâcher le pavé qu'on tient à la main.

Retour à l'audience :

Le tribunal, présidé par René Grouman, n'a entendu aucun témoin et n'a vu aucune circonstance atténuante.

En comparution immédiate, on n'a pas matériellement le temps de citer des témoins. Si des témoins se présentent spontanément, le président peut décider de les entendre, mais n'y est pas obligé (art. 444 al. 3 du code de procédure pénale). Et en pratique, le refus est fréquent, surtout si les témoins ont été entendus par la police au cours de la procédure ou n'étaient pas présents lors des faits (les fameux "témoins de moralité"). Si on veut faire citer des témoins, il faut refuser d'être jugé tout de suite et demander un délai pour préparer sa défense. Donc le fait qu'aucun témoin n'ait été entendu n'est absolument pas une anomalie, et le journaliste ne précise même pas ce qu'auraient raconté lesdits témoins. Si c'est l'histoire du "on veut des bisous", j'approuve mon confrère de permanence d'avoir renoncé à citer le témoin.

Quant aux circonstances atténuantes, je n'ose faire remarquer au journaliste qu'elle n'existent plus depuis 1994, mais que le fait que ce jeune homme ait été condamné à quatre mois de prison sur trois ans encourus laisse à penser que le tribunal a bel et bien retenu des éléments favorables au prévenu dans le prononcé de la peine.

Romain est envoyé à Fleury-Mérogis. Martial, 26 ans, jongleur de rue, subit le même sort. Pour lui, le 6 mai, c'était aussi la première manif, ou presque. A 23 h 30, un groupe de CRS s'empare de lui, place de la Bastille. «On était à un mètre d'eux. On se disait "on va partir", se souvient Alexis, qui l'accompagnait. J'ai entendu crier, les CRS lui avaient mis le grappin dessus et l'ont tabassé.»

Là, déjà, c'est fort : alors que les affrontements durent depuis deux heures, où se trouve notre jongleur ? A un mètre des CRS gendarmes mobiles. Alors qu'ils ont chargé il y a déjà plus d'une heure, que se dit-il ? "On va partir". On peut déjà s'interroger sur la pertinence de sa situation géographique et de l'emploi du futur au lieu du présent (voire du passé...) au verbe partir.

Mais le plus beau reste à venir :

Martial est accusé de trois jets de projectile. Il ne nie pas, mais il n'a pas été arrêté en flagrant délit.

Là, franchement, il ne faut pas avoir honte pour écrire cette phrase. Outre le fait qu'il a bien été arrêté en flagrant délit (un indice : c'est une audience de comparution immédiate), on se demande en quoi le fait qu'il ne l'aurait pas été change quoi que ce soit puisque les faits sont établis et reconnus.

Heureusement, les amis de Martial sont là :

«Quand on connaît le lascar..., soupire Antoine, un autre ami. Il est pas violent du tout, c'est une crème ce mec.»

Pas violent du tout, sauf quand il lance par trois fois des projectiles sur les CRS, les lecteurs auront rectifié d'eux même.

Merci Libération pour ce grand moment de journalisme.

Notes

[1] Vous voyez ? C'était pas des CRS.

lundi 7 mai 2007

Parce qu'il va falloir continuer à vivre ensemble

C'est terminé. Le peuple s'est exprimé et Nicolas Sarkozy sera le prochain président de la République. Plus rien ne permet de revenir là-dessus, et il n'y a aucune raison. Cette élection, contrairement à la précédente, a été irréprochable dans son déroulement, et tant la participation massive que l'écart considérable donne au vainqueur une légitimité incontestable.

Maintenant que les braises des passions s'éteignent, il est temps de jeter un regard apaisé sur cette campagne.

Le premier bilan que j'en tire est bien sûr l'effondrement des extrêmes. Naturellement, il y a encore du chemin à faire pour que le Front national redevienne un micro-parti, mais hormis quelques soubresauts, je crois que c'en est fini de ce phénomène politique. D'une part, la chute des voix lepénistes n'est pas due à l'abstention : en nombre de voix, c'est près d'un million de suffrage qu'a perdu Jean-Marie Le Pen. Et il semblerait que seuls 3% des électeurs de Le Pen aient respecté la consigne de s'abstenir au second tour[1]. Jean-Marie Le Pen ne tient plus ses électeurs. Son apparition hier soir, où il n'a même pas pris la peine de se lever, et ses propos très acides sonnaient comme un requiem. L'extrême gauche au total ne fait guère mieux que le FN, et c'est la fin d'une supercherie : ceux qui revendiquaient au nom de l'anti-libéralisme une légitimité populaire issue du referendum de 2005 se sont tous présentés à l'élection, ce qui a permis de compter leurs voix et de voir ce qu'ils représentent vraiment. José Bové, pour qui vous savez mon affection toute particulière, a même fait au premier tour, dans sa commune, Pierrefiche (Aveyron) le score de... deux voix.

Au delà de ces satisfactions personnelles, la démocratie se porte mieux en France, et sa guérison a été extraordinairement rapide. Le manque de renouvellement du personnel politique semblait être la cause de cette langueur : songez que c'est la première fois depuis 26 ans qu'il n'y a avait pas un bulletin au nom de Jacques Chirac lors d'une élection présidentielle.

Pour le PS, le mot d'ordre va être Vae victis : malheur au vaincu. Hier soir, les caciques du PS appelaient à la rénovation et au changement. Fort bien, mais après cinq années d'opposition, n'était-ce déjà pas à eux d'opérer une rénovation pour proposer le changement ? François Hollande devrait être la première victime de cette élection. Devrait au sens de devoir, pas au sens de prédiction. Il soutenait Delors en 1995, Jospin en 2002, Royal en 2007, il serait peut être temps de passer la main. Ce d'autant qu'il a sans doute une responsabilité personnelle dans cette défaite. De manière générale, en empêchant tout aggiornaméntto au sein du PS, avec son obsession de la synthèse au nom de l'unité, il a fait du PS une structure trop étirée entre le centre (tendances DSK et Bockel) et la gauche (tendance Emmanuelli et depuis peu Fabius) et donc fragile, tel point que Ségolène Royal a ostensiblement refusé de s'appuyer dessus pour sa campagne. D'une manière particulière, par ses déclarations à l'emporte-pièce, comme la fameuse déclaration sur les augmentations d'impôt pour les plus de 4000 euros par mois de revenus en janvier 2007, qui a fait perdre 5 points à Ségolène Royal, la faisant franchir la barre des 30%, barre qu'elle ne retrouvera jamais.

L'électorat a envoyé un message clair lors de cette élection : chute des extrêmes, score élevé du centre, le tout avec une participation historique. La France veut un gouvernement modéré. Le PS refuse de tourner le dos à l'extrême gauche, qui continue à exercer un ministère moral sur lui en refusant de participer au pouvoir (Olivier Besancenot a d'emblée décliné tout poste ministériel en cas de victoire de Ségolène Royal malgré ses 4%). Ségolène Royal lui a pourtant rendu hommage en approuvant son slogan "Nos vies valent plus que leurs profits", juste avant d'aller à la pêche à l'électorat centriste. Voilà le genre de contradictions dont le PS doit faire table rase, car rien n'effarouche plus un centriste qu'un trotskyste (et réciproquement).

Enfin, tous les candidats d'extrême gauche (plus les verts, qui n'en font pas partie à mon sens) se sont ralliés immédiatement et inconditionnellement à Ségolène Royal, même Arlette Laguiller qui avait refusé d'appeler à voter contre Le Pen en 2002. Et pourtant, le PS a largement perdu. Si avec tout ça le PS ne comprend pas que l'extrême gauche est plus un boulet qu'un allié, il se condamne à une longue cure d'opposition.

La pratique de la démocratie interne au sein du PS se révèle décidément problématique. Ca fait très bien de laisser les adhérents décider mais quand on voit que les adhérents avaient voté pour le soutien au TCE en 2005 avant de tourner casaque, et ont désigné Ségolène Royal non par adhésion (sauf Hugues, bien sûr) pour son projet mais parce que les sondages lui prédisaient la victoire, la méthode parait peu productive : tout au plus permet-elle au premier secrétaire de plaider l'irresponsabilité et le respect du vote des adhérents.

Et du côté de l'UMP ? C'est, enfin, la fin de l'ère Chirac. Qui a fait, avec Mitterrand, tant de mal à la 5e république. Si je devais conserver deux souvenirs de ces mandats pour en symboliser l'inefficacité brouillonne, ce serait la dissolution de 1997, et, moins spectaculaire mais pourtant si représentatifs, la lamentable conclusion de l'affaire du CPE, avec un premier ministre qui engage la responsabilité de son gouvernement sur un texte qu'il demande ensuite au président de promulguer sans le faire appliquer le temps que le texte soit modifié. Les mécanismes institutionnels dévoyés afin d'assurer l'irresponsabilité politique des proches du chef de l'Etat. Bref : bon débarras.

L'UMP a réussi un exploit : afficher ses divisions, tant la lutte chiraquiens-sarkozistes a été visible, permettre à un autre courant que le courant majoritaire de prendre le pouvoir au sein du parti jusqu'à s'imposer à la présidentielle contre le patriarche, poussé à la retraite. La page de la droite la plus bête du monde semble tournée. Et l'UMP, héritier du RPR, parti godillot par excellence, semble plus démocratique que le PS qui a beau faire voter ses adhérents pour ses grandes orientations mais n'en garde pas moins ses éléphants (Laurent Fabius affichait dès hier ses ambitions : rappelons qu'il était ministre du premier gouvernement Mitterrand, premier ministre il y a vingt deux ans et président de l'assemblée nationale il y a dix neuf ans et à nouveau il y a dix ans, avant de succéder à DSK, autre éléphant, à Bercy).

A présent, c'est la bataille des législatives qui commence. Le PS part perdant, tant il est improbable que les Français votent une cohabitation après avoir plébiscité Sarkozy. Est-ce Ségolène Royal qui va mener la bataille, au risque de devenir le Général aux deux défaites (la seconde s'annonçant cuisante) ? Quel va être le rôle de François Bayrou, et de son Mouvement Démocrate ?

Les mois à venir s'annoncent passionnants tout en étant moins passionnés, et saignants rue de Solférino.

Un dernier mot aux électeurs déçus qui redoutaient l'élection de Nicolas Sarkozy.

Nicolas Sarkozy n'est pas le fasciste ultralibéral qu'on vous a vendu (exemple ici, en image), tout comme Ségolène Royal n'était pas la cruche incompétente dont on a dressé le portrait aux électeurs de droite. Tout comme Mitterrand en 1981 n'était pas vendu au bloc soviétique, et que Chirac n'est pas promis aux geôles de la République dans les semaines à venir. La personnalisation très forte des élections présidentielles pousse à générer des sentiments personnels violents à l'égard des candidats. Ce sera encore le cas en 2007. La victoire a parfois ce prix, mais il est élevé pour les désappointés. Il va nous falloir vivre ensemble pendant cinq ans. Les heureux comme les malheureux, les sereins comme les inquiets.

Le choix du second tour ne s'est pas opéré entre le mauvais et le pire. Les trois meilleurs candidats étaient bien ceux arrivés en tête. Je continuerai pour ma part à me moquer des bourdes du législateur, à m'indigner des pratiques douteuses de l'administration, et à vous raconter comment ça se passe sur le front judiciaire. Et je ne désespère pas d'avoir quelques coups de chapeaux à donner à nos futurs dirigeants. Dans tous les cas, vos avis m'intéresseront.

Et puis vous n'aurez qu'à m'élire en 2012, comme ça,tout le monde sera content.

Notes

[1] Source : Jean-Marc LECHE (désolé pour la faute d'orthographe sur son nom), directeur d'IPSOS, interviewé sur Canal + ce matin.

vendredi 27 avril 2007

Leçon de droit européen pour un futur président de la République

Nicolas Sarkozy appelle à l'aide. Il y a encore des choses qu'il ne comprend pas, bien que de son propre aveu elles soient beaucoup moins compliquées qu'on ne le dit aux français (c'est vrai), et ce à trois semaines de son éventuelle prise de fonctions. Evidemment, s'il demande à des journalistes, il ne risque pas d'avoir de réponse.

Heureusement, votre serviteur veille et est prêt à voler à son secours.

L'impôt sur les sociétés est une ressource propre à un pays. L'Union Européenne n'a pas son mot à dire là dessus.

La TVA, en revanche, est une des sources de financement de l'Union Européenne. Chaque pays lui en reverse une quote part. L'Union Européenne a donc son mot à dire là dessus.

Son budget provient en effet de trois recettes : les droits de douane perçues sur les importations dans l'UE, une contribution directe de chaque Etat proportionnelle à son PNB (la plus grosse recette, et de loin), et d'une quote part de la TVA perçue par ces pays. Cela a été fixé par une décision du 21 avril 1970 relative au remplacement des contributions financières des États membres par des ressources propres aux Communautés (qu'on appelle désormais Union Européenne). Il s'agit de poser des règles stables pour assurer les recettes de l'Union Européenne, afin d'éviter des négociations à répétition ou chaque pays tenterait de tirer son épingle du jeu en faisant payer les autres (les Anglais sont très forts à ce jeu).

C'est l'article 269, alinéa 2 du Traité CE (version de Nice) qui pose le principe que :

Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête les dispositions relatives au système des ressources propres de la Communauté dont il recommande l’adoption par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

Une directive de 1977 fixe les règles applicables à la TVA. Elle se répartit en trois taux, que chaque Etat fixe librement le taux sous réserve de respecter des minima et maxima. Le taux super réduit (5% maximum, il est de 2,1% en France, sur les médicaments par exemple), le taux réduit (Minimum 5%, il est en France de 5,5%, sur les produits alimentaires par exemple) et le taux normal (15% minimum, mais je crois que ce minimum n'existe plus ; il est en France de 19,6%, sur les honoraires d'avocat par exemple). Les taux sur les produits de luxe (33% en France) ont été supprimés. Vous avez ici le tableau des taux pratiqués dans les pays de l'UE.

La France peut donc librement fixer le taux de sa TVA. Elle peut baisser la TVA sur la restauration, mais à condition d'appliquer cette baisse à toutes les autres activités économiques (dont la mienne). Mais pour faire passer un secteur (la restauration) du domaine du taux normal au taux réduit, ou pour lui appliquer un mécanisme dérogatoire, il faut l'accord unanime des 27 pays membres (article 269 du Traité CE), car cela a des conséquences sur le budget de l'Union Européenne, avec à la clef une nécessité de rééquilibrer celui-ci (car le budget de l'UE ne peut pas être déficitaire, lui) en augmentant les autres ressources. Les 26 autres pays supporteront le coût de ce cadeau aux restaurateurs, il est normal qu'ils aient leur mot à dire.

C'est pas plus compliqué que ça.

Mise à jour :En fait, si. La plaie de ce blog est qu'il a de trop bons commentateurs. Des précisions et rectifications pertinentes ont été apportées ci-dessous sur les raisons de la compétence européenne sur la TVA. Pour les perfectionnistes, lisez les, surtout celui-ci.

Mais bon, on ne peut pas en vouloir à Nicolas Sarkozy. Ce n'est pas comme s'il avait été ministre des Finances de mars à novembre 2004, et ministre du budget de 1993 à 1995, non plus, hein.

Deux remarques finales, pour expliquer mon agacement face à ces propos :

Encore une fois, on retombe dans l'antienne "l'Europe, bureaucratie incompréhensible qui entrave l'essor économique de la France" qui est l'excuse préférée des gouvernements français pour justifier leurs échecs et leurs promesses non tenues. De la part de quelqu'un qui, par les fonctions qu'il a exercées, ne peut ignorer ce qu'il en est, ce mensonge conscient est de la démagogie.

De plus, le Président de la République est garant du respect des Traités (article 3 de la Constitution). Or la TVA au niveau de l'Europe, ça vient d'un traité, et pas le moindre. Que le possible futur président feigne de ne pas comprendre ce traité a de quoi laisser circonspect.

Enfin, il y a une question d'égalité de traitement. Imaginez un seul instant que Ségolène Royal ait dit cela. Que n'entendrions-nous pas ! Quelle incompétente, elle est bête comme ses pieds, ignorante, elle ne comprend rien à rien et est inapte à présider la France. Mais que Nicolas Sarkozy le dise, fasse une analogie qui ne tient pas la route, et se contente pour conclure de "On va changer les règles parce que c'est pas possible", et ça passe.

Et bien non, ça ne passe pas. Je ne peux pas accepter qu'on joue avec l'Europe comme on joue avec des allumettes. On a déjà payé très cher ce petit jeu il y a deux ans.

Ha, et comme je sais que je vais me faire traiter de Ségoléniste par les Sarkozistes, ce qui me changera un peu mais guère des Ségolénistes qui me traitaient de Sarkozistes, je modère les commentaires sous ce billet. Ne vous fatiguez pas à déblatérer vos slogans, ils partiront à la poubelle sans même que je lise jusqu'au bout.

mercredi 28 mars 2007

Harry Potter et la bave du crapaud

Désolé pour les fans de la série, le titre n'a rien à voir avec le sympathique sorcier du Surrey, mais je parle ici d'un apprenti sorcier de moindre talent.

(Je graisse)

Le ministre de l'Intérieur a indiqué que l'homme dont l'interpellation a déclenché les heurts était âgé de 32 ans et que les forces de l'ordre avaient, au total, procédé à 13 interpellations.

"Au départ, c'est un passager comme un autre, et ensuite on apprend que c'est quelqu'un qui est très défavorablement connu des services de police puisqu'il a 22 affaires signalées", a-t-il détaillé. "Il y a eu 13 interpellations", a-t-il ajouté, rendant "un hommage appuyé à toutes les forces de l'ordre" qui ont fait preuve d'un "grand sang-froid" et "accompli hier soir un travail tout à fait remarquable".

Plus tard, à la sortie du Conseil des ministres, il a précisé que "la personne qui a été à l'origine de ce contrôle qui a provoqué ces actes de violences inacceptables est un récidiviste défavorablement connu des services de police et de surcroît entré illégalement sur le territoire".

Ha, le départ de Nicolas Sarkozy m'avait laissé orphelin tel un Dumbledore après la disparition de Voldemort : j'avais perdu mon meilleur ennemi[1]. Je croyais qu'on m'avait mis un vulgaire Pettigrew pour assurer l'intérim, mais en fait, c'est plutôt un Lucius Malfoy[2]. Il ne vaut pas le maître, mais annonce un intérim distrayant.

Pourquoi cette charge ? Parce que cette méthode d'insinuation est absolument écoeurante, et indigne d'un ministre de la République (je peux le dire, j'ai deux drapeaux tricolores chez moi, et deux bicolores).

Hier, des incidents très graves ont eu lieu gare du nord. Pas graves en raison des dégâts matériels qu'ils ont provoqués, mais en raison de la présence de la télévision et de la proximité de l'élection, bien sûr. Comment désamorcer la bombe ? Mais en pointant du doigt. En l'occurrence, le voyageur resquilleur dont l'interpellation a été l'élément déclencheur de l'émeute : un "sans papier récidiviste". Immigration clandestine, récidive, bref, c'est la Némésis, l'incarnation, la prosopopée de l'Ennemi de Nicolas Sarkozy. Voyez, voyez comme il a raison, comme il a identifié l'ennemi, comme seul lui sait qui il faut combattre (bon, lui aussi, mais il compte pas).

Mais l'homme de raison, lui, que lit-il ?

Que le ministre déclare à la sortie du conseil des ministres que cette personne est un « récidiviste ».

Un récidiviste de quoi ? Un récidiviste. L'information se suffit à elle même, un récidiviste n'a par définition que ce qu'il mérite. S'agit-il d'un récidiviste du voyage sans payer ? Rappelons que la peine est de 45 euros d'amende, et que la récidive n'existe pas en la matière.

Le début de l'article apporte une précision : il a "22 affaires signalées". Tiens ? Je croyais qu'un récidiviste était une personne condamnée définitivement pour des faits et qui commettait à nouveau des faits identiques ou analogues dans un délai de 5 ans ? Pour le ministre de l'intérieur, non. C'est un délinquant signalé.

Mais signalé où ?

Au STIC, Système de Traitement des Infractions Constatées, que les magistrats du siège affectionnent tout particulièrement, quand ils ont un casier judiciaire (on dit un B1, pour bulletin numéro 1) néant, mais que la police leur joint leur listing du STIC pour montrer que c'est peut être un primo-délinquant, mais s'il pouvait avoir un prix de gros, ça leur ferait plaisir. Je dis "affectionnent" ironiquement, bien sûr : la plupart ne le lisent même pas, et sont agacés de le voir figurer au dossier.

Le STIC est un fichier tenu par la police où sont entrées toutes les personnes entendues dans une affaire de police. Victimes comprises. Peu importe qu'aucune suite judiciaire ne soit donnée aux faits (parce que, par exemple, heu... ils ne sont pas vrais), vous êtes fiché. Pendant 20 ans. Et jusqu'en 2001, ce fichier fonctionnait en toute illégalité (mais on apprend vite qu'une illégalité commise par l'Etat est moins grave que celle commise par un séjour irrégulier qui fait trembler la République sur ses fondations). Ce fichier contient aujourd'hui 5 millions de mis en cause, dont la majorité n'a pas fait l'objet de poursuites.

Mais 22 signalements, quand même, il a bien dû y avoir une ou deux affaires qui l'ont amené devant la justice ?

Ce n'est même pas sûr, puisque la dépêche nous apprend qu'il fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière, qui est une simple mesure administrative, résultant soit d'un refus de carte de séjour (antérieur au 29 décembre 2006, la loi a changé depuis) ou d'une interpellation dans la rue ou devant une école maternelle. Or s'il avait été condamné par un tribunal, il ferait l'objet d'une interdiction du territoire, qui est une sanction pénale.

Bref, le récidiviste pointé du doigt par le ministre a peut être bien un casier judiciaire vierge (si on exclut l'APRF qui y est mentionné, mais qui n'est pas une peine, j'insiste sur ce point, c'est uniquement pour que la justice sache que cette personne commet un délit de maintien sur le territoire malgré une décision d'éloignement).

N'empêche, m'objectera-t-on, il a commis au moins deux infractions. J'en conviens, l'une passible de 45 euros d'amende, l'autre d'un an de prison maximum. On est loin du récidiviste suggéré par le ministre. Et je doute fortement que ce soit lui qui ait causé les dégâts dans la galerie marchande, puisqu'il était en garde à vue dans le commissariat de la gare du Nord qui se trouve précisément dans cette galerie pendant les faits. Rien ne me laisse penser que les auteurs de ces destructions connaissaient seulement notre voyageur radin, tant les clandestins savent que pour rester en France, il faut par dessus tout éviter les ennuis, et que cela s'applique à des amis.

Je ne sais pas ce qui s'est passé au juste hier soir. J'ai tendance à être du côté des services de police plutôt que de ceux qui ont causé le désordre qui a permis à des casseurs de se livrer à leurs déprédations. Je m'interroge simplement sur le fait que le banal contrôle d'un voyageur sans ticket, qui, s'il s'était échappé, aurait fait perdre 45 euros à la RATP, dégénère à ce point en sept heures d'émeute en plein Paris.

Mais tenter de justifier l'action des forces de l'ordre en insinuant que ce serait la faute d'un sans papier récidiviste, c'est à vomir.

Bienvenue à votre poste, Monsieur Baroin. Je vous aime déjà.

Notes

[1] Dans tous les dossiers de droit des étrangers allant au contentieux, mon adversaire est un préfet, soumis hiérarchiquement au ministre de l'intérieur, et parfois le ministre de l'intérieur lui-même.

[2] Que l'on traduit en français par Mauvaisefoi.

mardi 20 mars 2007

C'est un fou, il repeint sa peine plancher...

Une de mes taupes m'a transmis un argumentaire de l'UMP destiné à ses élus sur différents points du projet du candidat de ce parti. L'un d'entre eux a immanquablement attiré mon attention, puisqu'il porte sur une nouveauté ne figurant pas dans le programme que j'ai commenté, celui de l'instauration de peines plancher pour les multirécidivistes.

L'argumentaire fait une page, et a de quoi laisser le juriste perplexe, et le pénaliste proche de l'apoplexie.

Comme d'habitude sur ce blog, un peu d'explications et de vocabulaire pour comprendre de quoi il s'agit, ce paragraphe ayant d'ailleurs tout lieu d'intéresser les rédacteurs de ce... truc.

Le Code pénal fixe pour chaque infraction une ou plusieurs peines. On les appelle peines principales. Il s'agit de peines d'amende et d'emprisonnement.

Chaque infraction se voit ainsi affecter une peine, mais il s'agit d'une peine maximum.

Ainsi, l'article 311-3 du Code pénal dispose-t-il que :

Le vol est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende.

Cela ne signifie pas que tout voleur sera puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros. Cela signifie que tout voleur peut être puni d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à trois ans ainsi que d'une peine d'amende pouvant aller jusqu'à 45000 euros, les deux cumulativement ou l'une de ces deux peines seulement.

C'est le rôle du juge de fixer la peine la plus adéquate. C'est un principe fondamental, qu'on appelle individualisation des peines. Le principe est posé à l'article 132-24 du Code pénal, mais le Conseil constitutionnel en a fait un principe à valeur constitutionnelle. C'est là l'un des aspects essentiels de l'audience pénale, et dans mes plaidoiries, je ne néglige jamais la question de la peine, qui est trop souvent traitée sous forme d'une invocation de l'indulgence du tribunal.

La récidive, enfin, s'entend d'une personne condamnée définitivement, c'est à dire qui n'a pas fait appel ou a épuisé les voies de recours, qui commet à nouveau des faits similaires. J'insiste sur le similaire. Le voleur qui à la sortie de prison bat sa femme n'est pas récidiviste. La loi assimile certaines infractions au regard de la récidive (l'escroquerie et l'abus de confiance, par exemple). Elle assimile également entre elles les infractions les plus graves, c'est à dire les crimes, et les délits punis de 10 années d'emprisonnement. Un meurtrier qui commet un viol à sa sortie de prison (ou en prison...) est un récidiviste. L'effet de la récidive est de doubler la peine encourue (le vol en récidive est ainsi passible de six années d'emprisonnement et de 90.000 euros d'amende).

Voilà le décor posé.

Maintenant, voici le magnifique argumentaire proposé par l'UMP (les gras sont tous de moi).


L’INSTAURATION DE PEINES PLANCHER POUR LES MULTIRECIDIVISTES POURQUOI, COMMENT ?

1. Pourquoi ? Même si le taux de récidive globale n’est que de 14,5% (personnes condamnées successivement pour deux délits de même nature), parmi les 357 440 personnes condamnées en 2004 pour un délit, 111 156 avaient déjà été condamnées au moins une fois depuis 2000, soit un taux de recondamnation de 31%.

Les analystes oublient de dire que le taux de récidive chute encore plus bas (environ 5%) quand le condamné a bénéficié de mesures d'aménagements de peine ou d'une libération conditionnelle. La bataille contre la récidive se mène très discrètement dans les cabinets des juges d'application des peines. Ce n'est clairement pas le but de ce projet, la phrase suivante le démontrant de manière fort comique.

Ces taux sont beaucoup plus élevés lorsqu’ils sont analysés précisément :

En clair : sans rien changer à la réalité des faits, nous allons élever ces taux par une analyse précise. Magie des chiffres...

o 71% des personnes condamnées à de la prison ferme avaient déjà été « averties » par une décision judiciaire au moins une fois ;

Superbe exemple de manipulation des chiffres. Pour qu'un juge prononce de la prison ferme, il faut soit que les faits soient extraordinairement graves au point de faire de la prison la seule peine adéquate (c'est rare : ce sont les crimes ou des délits très graves), soit que la personne ait déjà été condamnée. Les premières condamnations sont souvent d'avertissement, c'est à dire assorties du sursis. Une condamnation avec sursis interdit d'ailleurs de bénéficier d'un nouveau sursis simple, et les sursis avec mise à l'épreuve ne peuvent se cumuler qu'à concurrence de deux. Donc en évacuant les affaires d'une extrême gravité, il ne reste comme candidats à l'hospitalité de la république que les personnes ayant du sursis au casier. D'où un taux forcément très élevé de personnes déjà "averties". Cela ne révèle aucune information criminologique, c'est la conséquence naturelle de la politique pénale qui vise à privilégier l'avertissement à la neutralisation à la première sanction, politique dont on sait qu'elle entraîne fort peu de récidive.

o plus d’un condamné à de la prison ferme sur deux réitère dans les cinq ans suivant sa libération. Ce taux atteint 70% pour les personnes condamnées pour violences volontaires avec outrage, et même 72% dans le cas des personnes condamnées pour vol avec violence ;

Le réitérant n'est pas le récidiviste. Le réitérant est celui qui commet une nouvelle infraction après avoir été définitivement condamné, mais de nature différente de la première. Ce chiffre porte donc sur des personnes déjà enfoncées dans une délinquance habituelle et antisociale. Elles ne bénéficient d'ores et déjà d'aucune clémence de la part des tribunaux. Mais en tout état de cause, ce ne sont des multirécidivistes concernés par les peines plancher. Bref, un hors sujet pour le plaisir de citer des chiffres qui vont bien : un sur deux, 70%, 72%... Ca passe bien au vingt heure.

o près du tiers des agresseurs sexuels sur un mineur réitère dans les cinq ans qui suivent leur sortie de prison ;

Ca me parait beaucoup, mais je n'ai aucune source pour contester ces chiffres. Toujours est-il que les pulsions sexuelles sur mineur relèvent d'une pathologie mentale. Pas assez profonde pour en faire des déments au sens pénal (donc irresponsables) mais des soins sont indispensables en plus de la sanction. En prison, non seulement ces soins ne sont pas ou mal assurés mais les délinquants sexuels sont sans cesses agressés verbalement et physiquement par les autres prisonniers (ils sont appelés les "pointeurs"). On a donc des déséquilibrés, traités comme des chiens en prison, qui ont perdu leur emploi, et généralement leur famille et leurs amis à la sortie. Ca alors, leurs pulsions réapparaissent vite. La solution proposée est : les laisser plus longtemps en prison...

Enfin, pour relativiser : les agressions sexuelles sur mineurs recouvrent en grande partie les exhibitionnistes, ceux qui téléchargent des photographies pédophiles, les agressions plus graves étant souvent commises dans un cercle familial, qui suppose donc pour le passage à l'acte une facilité d'accès à la victime et une emprise exercée sur elle. On est loin du fantasme du prédateur sexuel à la Dutroux, qui écume les rues à la recherche d'enfants sans surveillance.

o près de six condamnés à un sursis avec mise à l’épreuve assorti d’un travail d’intérêt général sur dix réitèrent dans les cinq ans, et quatre sur dix sont condamnés à une peine de prison ferme.

...Donc, prononçons directement une peine de prison, et tant pis pour les 40% qui ne réitéraient pas. Une réflexion sur les TIG pour les réformer ? Pourquoi faire. La prison, y'a que ça qui plaît à l'électorat.

La moitié des crimes et délits connus en France sont commis en réalité par une infime minorité de délinquants (5%).

J'ai déjà dit ce que je pensais de ces chiffres, issus d'un rapport dont l'auteur lui même a contesté les conclusions qui en étaient tirées par le candidat de l'UMP. Si le reste des chiffres cités dans cet argumentaire sont aussi fiables, on est déjà dans le domaine du fantasme.

Ces niveaux de réitération traduisent l’impuissance de la justice à offrir des sanctions dissuasives.

L'impuissance de la justice et le fantasme de la dissuasion absolue, du délinquant terrorisé qui devient honnête mû par la peur. A se demander pourquoi il y a encore de la délinquance en Iran ou en Chine, où la justice est loin d'être impuissante.

2. Comment ?

Les délinquants ne doivent pas tous être traités de la même façon par la justice. Quelqu’un qui commet pour la première fois une infraction ne peut être traité comme un délinquant d’habitude.

Peut être parce que ce n'est PAS un délinquant d'habitude ?

La société doit protéger ses citoyens et se montrer intraitable vis-à-vis de ceux qui ne respectent rien, ni personne en réitérant des infractions en dépit d’avertissements judiciaires. Elle doit, pour cela, instituer des peines plancher pour les multirécidivistes.

Multirécidiviste... Voyons : récidiviste, qui commet un deuxième délit. Multirécidiviste, cela s'appliquerait donc à trois infractions, minimum, non ? Et bien non, comme on va le voir. C'est juste pour ajouter un multi- en préfixe, pour accentuer la menace. Comme ultra- devant libéral, néo- devant conservateur, crypto- devant communiste. On n'est jamais trop anxiogène.

Le niveau des peines plancher serait de plus en plus important en fonction du niveau de la récidive. Les peines seraient ainsi comprises entre une peine minimale et une peine maximale, le juge ne pouvant se soustraire à cette fourchette qu’en ne sanctionnant pas la personne prévenue. Les peines infligées resteront donc évidemment proportionnelles au type d’infractions commises et à la personnalité de leur auteur.

Les peines plancher ne s'appliqueront donc pas aux personnes innocentes, voilà qui est une bonne nouvelle.

J'avoue que pour ma part, le caractère "évidemment" proportionné à la personnalité de l'auteur d'une peine en dessous de laquelle le juge ne peut aller ne m'apparaît pas évident, ce caractère automatique étant bien au contraire antinomique avec la personnalisation. Si un juge estimait devoir descendre assez bas dans l'échelle de la peine, c'est en vertu de la personnalisation. Le lui interdire contrevient à cette personnalisation. Dire le contraire, c'est mentir. Le barème cité en exemple le démontre d'ailleurs :

Un article du code pénal pourrait établir l’échelle des peines plancher de la manière suivante :

- à la première réitération, la peine plancher serait fixée à moins de la moitié de la peine encourue ;
- à la deuxième réitération, la peine plancher serait fixée à 75% de la peine encourue ;
- à la troisième réitération, la peine plancher serait fixée au maximum de la peine encourue.

Où est la personnalisation quand le plancher est égal au plafond ? Notons le terme de réitération, définie à l'article 132-16-7 du Code pénal : le réitérant n'est pas le récidiviste. On est donc dans l'hypothèse où le juge n'a plus le choix, ce n'est pas entre le maximum encouru pour le délit simple et le double de ce chiffre du fait de la récidive, c'est bien le max automatiquement, sans discussion possible sauf sur un point de détail : la culpabilité.

Quand le plancher touche le plafond, la maison devient inhabitable, ses habitants meurent étouffés...

Reste à justifier de la légalité de cette aberration. C'est indiscutablement le meilleur morceau.

Ce système de peines plancher est parfaitement conforme à nos principes juridiques :

Ha. Ha. Je ris déjà. Avec Guy Canivet au Conseil constitutionnel, je doute que la chose paraisse aussi évidente rue Montpensier.

- il est conforme au principe de l’individualisation des peines. Les peines plancher ne portent en aucune manière atteinte à la marge d’appréciation reconnue au juge quant à la culpabilité du prévenu. Le juge pourra toujours faire varier la peine au sein d’un intervalle. Une peine plancher n’est en aucun cas une peine automatique ;

Trois lignes après avoir écrit "à la troisième réitération, la peine plancher serait fixée au maximum de la peine encourue"... Il faut se relire, parfois.

- des peines minimales obligatoires existent déjà en matière criminelle (même si elles sont très basses). L’article 132-18 du code pénal dispose ainsi que, lorsqu’une infraction est punie de la réclusion criminelle, la cour d’assises peut prononcer une peine de réclusion criminelle pour la durée encourue (ou inférieure), mais aussi une peine d’emprisonnement qui ne peut alors être inférieure à deux ans ou un an (suivant la peine encourue). Il s’agit donc bien de peines minimales, qui peuvent certes être assorties du sursis ;

Savez vous dans quel type d'affaire les cours d'assises se heurtent à ce plancher qu'elles ne peuvent pas perforer ? Les affaires d'euthanasie, comme celle jugée il y a peu par la cour d'assises de Périgueux. C'est d'ailleurs la peine qui a été prononcée à l'encontre du médecin, l'infirmière ayant été acquittée. Ce sont les seules. On voit bien que ce système de peine plancher ne fait qu'entraver une juridiction qui aurait sans doute voulu aller plus bas pour montrer sa compréhension du geste en même temps que le nécessaire respect de la loi.

Car si le Dr Tramois recommençait à aider un patient à mourir, cette fois, ce serait une peine plancher de quinze ans qui s'appliquerait à elle. Elle vous paraît toujours aussi belle, cette idée de peine plancher ?

- le système des peines plancher existait sous le régime de l’ancien code pénal en vigueur jusqu’en 1994. L’ancien code pénal exprimait les peines sous forme d’intervalles, avec un minimum et un maximum. Ce n’est que depuis le nouveau code pénal, entré en application en 1994, qu’il n’est prévu, pour chaque infraction, qu’une peine maximale ;

J'adore la référence à un texte abrogé. Si on l'a abrogé, c'est qu'il y avait peut être une raison, non ? Surtout, c'est faire montre d'une ignorance crasse.

L'ancien code pénal prévoyait en effet un intervalle de peines. Le vol était ainsi puni selon l'ancien article 381 de trois mois à trois ans de prison. MAIS ce que les rédacteurs ignorent (je ne veux pas croire qu'ils l'aient tu sciemment...) c'est qu'un article 463 dans ce même code permettait au juge de reconnaître des "circonstances atténuantes" permettant alors de prononcer une peine moindre à ce plancher. Ainsi, le vote par la cour d'assises des circonstances atténuantes à un assassin lui faisait échapper à la guillotine. De fait, les planchers de l'ancien Code pénal n'étaient plus que symboliques, les juges ayant depuis longtemps pris l'habitude de fixer la peine qui leur semblait convenir, et de préciser le cas échéant qu'ils accordaient les circonstances atténuantes. C'est cette pratique que le législateur a consacré en juillet 1992 en votant le nouveau code pénal et son système de peines maximum sans minimum, abrogeant au passage le système des circonstances atténuantes.

J'ajoute pour conclure que le Code pénal est entré en vigueur le 1er mars 1994. Nicolas Sarkozy était donc ministre (du Budget) dans le dernier gouvernement à avoir appliqué l'ancien Code pénal et le premier à avoir appliqué le nouveau. Pour son ignorance, je ne lui trouve pas de circonstances atténuantes.

- le système des peines plancher existe dans presque tous les pays étrangers, la France étant un des seuls Etats à reconnaître une totale liberté dans la détermination de la peine.

Il n'y a pas de liberté totale, contrairement à l'ancien régime. Le juge ne peut prononcer que des peines prévues par la loi, dans la limite de leur maximum légal. Il jouit d'une liberté dans l'indulgence. Parce que lui, contrairement au législateur, est dans le prétoire, il voit et entend le prévenu, il entend les témoins, il entend la victime, et il a des éléments soutenus par un avocat justifiant une éventuelle clémence.

Quant aux "pays étrangers", l'Angleterre reconnaît une aussi grande liberté au juge, de même que l'Espagne, l'Allemagne, le Portugal, l'Italie, pour parler des pays dont je connais un peu le système répressif... En fait, le seul exemple de pays démocratique avec un système de peine plancher que je connaisse, ce sont les Etats-Unis. Avec les résultats que mes lecteurs connaissent.

Par ailleurs, afin de limiter davantage la récidive, il faut trouver des solutions pour les personnes arrivées en fin de peine, mais toujours dangereuses pour la société car refusant de se soigner (notamment les délinquants sexuels) : soit ces personnes acceptent de se faire soigner et la société doit pouvoir contrôler que tel est le cas, soit il faut prévoir leur maintien en milieu fermé avec un contrôle judiciaire, comme cela existe dans de nombreux Etats démocratiques.

Le meilleur pour la fin. Le rétablissement de l'embastillement. La privation de liberté au delà de la peine, par décision administrative, juste au cas où, pour ne pas prendre de risque. J'aimerais bien connaître la liste de ces "nombreux Etats démocratiques". J'aurais tendance à penser qu'un pays qui a ce genre de politique cesse de pouvoir porter ce titre.

Je n'ose soulever le fait que si un condamné refuse tout soin avec obstination, ça peut être aussi parce qu'il est innocent, et que par l'effet de cette loi, il ne recouvrerait jamais la liberté. En France, on ne poursuit pas d'innocents pour des accusations de crimes sexuels. Ca se saurait, non ?

mardi 13 mars 2007

Ca, c'est de l'investigation...

Tiens ? Elle m'avait échappé, celle là.

Nicolas Sarkozy a affirmé, jeudi 8 mars, sur France 2 que "5 % des délinquants font 50 % des délits". Une affirmation contestée, car elle n'est pas confirmée par les statistiques sur la délinquance. Le ministre s'appuie sur une étude sociologique menée, en 2001, par Sebastian Roché sur la délinquance autodéclarée par les jeunes, première recherche de ce genre en France. Ses résultats avaient été popularisés par la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs du Sénat, en 2002. Ils ont, depuis lors, nourri la thèse de l'existence d'un "noyau dur" de la délinquance.

M. Roché avait questionné 2 300 jeunes de 13 à 19 ans des agglomérations de Saint-Etienne et de Grenoble. Auditionné au Sénat, en mars 2002, le sociologue avait livré sa conclusion : "On trouve une très forte concentration de la délinquance sur un petit ensemble de personnes." M. Roché faisait alors référence à "la théorie des 5 %". Il précisait : "D'après les jeunes auteurs de délits eux-mêmes, il y a bien 5 % qui pèsent 60 % à 85 % du total des actes."

Voyons voyons. Un sociologue demande à de jeunes délinquants de leur parler de leur délinquance. Ceux-ci se présentent comme des petits Al Capone, les terreurs des terreurs, les Tony Montana du Dauphiné et du Stéphanois. Vu leur petit nombre, il en déduit qu'ils doivent à eux seuls commettre la moitié des délits de France.

Et un candidat reprend cette affirmation à son compte sans sourciller.

Ha, ils doivent bien rire, dans les cités de Saint Etienne et de Grenoble. Et évidemment, les magistrats et les avocats, qui sont fort bien placés pour observer les délinquants, n'ont pas paru des témoins pertinents pour le sociologue. Demandons leur avis à des petites frappes, ce sont des sources crédibles, et extrapolons à l'infini.

Je me range naturellement aux observations de bon sens de Serge Portelli, rapportés dans le même article (Serge Portelli a été doyen des juges d'instructions à Créteil, il préside maintenant la 12e chambre correctionnelle à Paris, qui juge la délinquance économique).

On en a dit des énormités dans cette campagne, mais je vois que ce n'est que le début.

jeudi 8 mars 2007

Parlons programme : François Bayrou sur la justice

Au tour de François Bayrou de passer par la machine à décortiquer.

Photo : Assemblée Nationale

Le document qui m'a servi de base de travail est la page "Justice" et Sécurité de son site.

« La confusion entre Etat, justice, gouvernement, majorité ne peut pas durer. Il faut que l’État trouve sa justice, lui aussi. Le Conseil d’État, qui n’est pas composé de magistrats, ne saurait être juge et partie, associer les fonctions de juge et de conseil du gouvernement. C'est un grand sujet pour le sommet de l'État en France - cela va de pair avec la volonté d'indépendance de la société française.

Le Conseil d'Etat, créé par Napoléon et imité dans plusieurs autres pays européens, a en effet une double casquette, et est organiquement divisé en deux grandes sections : la section administrative et la section du contentieux.

La section administrative examine les textes préparés par le gouvernement, que ce soit des projets de loi destinés à être soumis au parlement ou des décrets qui entreront en vigueur dès leur signature par le premier ministre. C'est un examen qui est loin d'être une formalité. Les conseillers d'Etat sont d'impitoyables correcteurs et pointent du doigt, au cours d'un éprouvant oral subi par les représentants du gouvernements (qu'on nomme commissaires du gouvernement, à ne pas confondre avec ceux de la section du contentieux) les risques d'illégalité et d'inconstitutionnalité du texte. L'avis rendu à cet occasion est en principe confidentiel, mais est gardé précieusement par le Conseil pour le jour où ce texte ou un acte de l'administration pris en application de ce texte serait soumis au juge administratif.

Vous avez dans ce billet un exemple d'avis de la section administrative. Certains "grands avis" sont rendus publics, comme le célèbre (si, si, il est célèbre, je vous jure) avis du 27 novembre 1989 sur le foulard islamique.

Le Conseil d'Etat n'est là que pour donner un avis. Le gouvernement n'est jamais tenu de le suivre. Parfois, d'ailleurs, il ne le suit pas, et se fait retoquer par le Conseil constitutionnel.

La section du contentieux est quant à elle la juridiction suprême pour le droit administratif, qui échappe aux juges ordinaires (on dit juges judiciaires par opposition aux juges administratifs) depuis la Révolution. Cette section ne donne pas un avis : elle juge en droit, et peut annuler jusqu'aux décrets du gouvernement (mais PAS les lois, personne ne le peut encore en France).

Pour résumer, la section du contentieux est là pour que l'Etat ne fasse pas n'importe quoi, tandis que la section administrative est là pour que l'Etat n'ait pas d'excuses pour avoir fait n'importe quoi.

Voilà la double casquette que le candidat de l'UDF rejette : juge du droit et conseiller du gouvernement, juge et partie.

A cela, je répondrai : Ca fait deux siècles que ça marche, et ça marche plutôt bien. Le Conseil d'Etat a depuis longtemps fait la preuve de son impartialité, et JAMAIS un conseiller qui a participé au travail de conseil dans la section administrative ne siège dans la formation contentieuse qui va examiner la légalité de l'acte (mais cette formation a accès à l'avis qui a été donné au gouvernement, et si la section administrative qui a examiné le texte n'a pas vu le risque d'annulation par la section du contentieux, ses membres doivent, à titre de gage, repeindre les colonne de Buren. Vu l'état actuel de ces colonnes, vous pourrez constater de visu l'efficacité du travail de la section administrative du Conseil[1]. Le fonctionnement du Conseil d'Etat n'est pas sans heurts du fait de cette dualité, comme l'explique Passant Anonyme dans ce commentaire fort éclairant (des fois, je me dis que je ne mérite pas mes lecteurs).

Surtout, François Bayrou n'explique pas ce qu'il veut mettre à la place. Qui serait le juge suprême en matière de droit administratif ? Bien sûr, cela supposera un débat à l'assemblée et non un oukase présidentiel, mais j'eusse aimé en savoir un peu plus quand on lache un tel ballon d'essai.



Je veux un Garde des Sceaux indépendant du gouvernement (c’était une proposition de Raymond Barre en 1988). Il sera investi, sur proposition du président de la République, par le Parlement, à la majorité des trois quarts par exemple, de manière qu’il échappe aux préférences partisanes. Il devra animer un débat annuel de politique pénale devant le Parlement.

Cela rappelle l'idée de procureur de la nation du candidat Sarkozy, mais cette fois, les détails sont donnés. Cette proposition nécessiterait une réforme de la Constitution, ce qui va compliquer les choses.

Ce Garde des Sceaux indépendant appartiendrait-il toujours à l'exécutif ? Le fait qu'il anime un débat de politique pénale devant le parlement semble indiquer que oui. Mais dans ce cas, cela signifie que la politique pénale échapperait au gouvernement pour être confiée au parlement. La logique de la chose m'échappe. Le parlement vote la loi, l'exécutif la fait appliquer. Il est naturel que le gouvernement dirige la politique pénale, en donnant des instructions aux parquets, qui sont son bras séculier. Les parquets n'étant que parties aux procès, et non juges, cette intervention n'a rien d'anormal. Ma crainte est que ce Garde des Sceaux indépendant aura bien du mal à pourvoir défendre le budget de la justice, déjà fort mal traitée avec un Garde des Sceaux membre du gouvernement, puisqu'il ne participera ni à son élaboration (ou alors il n'est plus indépendant du gouvernement) ni à sa discussion (puisqu'il ne fait pas partie du gouvernement).

Enfin, la majorité qualifiée des trois quart est totalement irréaliste : songez qu'il serait plus difficile de nomemr le Garde des Sceaux que de réviser la Constitution ! Cela posera des problèmes pour trouver une personnalité entraînant un tel consensus. Je crois que François Bayrou pense à Robert Badinter à ce poste ; fort bien, il pourrait obtenir l'aval de l'assemblée. Mais après ? Qui obtiendrait les trois quart des voix ? Et si personne ne les trouve, la France n'a plus de Garde des Sceaux ? François Bayrou précise bien qu'il s'agit d'un exemple. le réalisme imposera une majorité qualifiée bien moindre.

Le même résultat, ou approchant, pourrait être obtenu en nommant un Garde des Sceaux, membre du gouvernement, mais à l'autorité morale incontestable. C'est à dire non pas un politique, souvent même pas juriste, récompensé pour sa servilité, mais un haut magistrat, judiciaire ou administratif, ou un professeur de droit, ça s'est déjà vu après tout.

Deux questions d’indépendance se posent à l’intérieur du corps judiciaire. D’abord, la gestion des carrières : le Conseil [Supérieur]de la Magistrature doit avoir une composition équilibrée de magistrats et non-magistrats, et ses membres être investis par le Parlement à une majorité qualifiée. Ensuite, l’indépendance du parquet, sous l’angle des nominations ; les procureurs généraux doivent être nommés par le Garde des Sceaux indépendant, après avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature.

Point commun avec le programme de Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy allant plus loin en les mettant en minorité.

J'ai déjà parlé du Conseil Supérieur de la Magistrature dans le commentaire du programme de Nicolas Sarkozy, je vous y renvoie (point n°6).

Je ne vois toujours pas en quoi renforcer à ce point le nombre des membres non-magistrats est nécessaire pour la gestion des carrières, mais je ne suis pas technicien du statut des magistrats. On sent poindre l'envie de diminuer l'influence des syndicats de magistrats ; c'est la seule explication que je vois.

Les procureurs généraux sont actuellement désignés en Conseil des ministres, après avis du CSM, avis consultatif, le parquet est le bras séculier de l'Etat, le gouvernement est donc souverain. Les nominations aux postes clefs (surtout à Paris, en fait) sont de fait très politisées, disent les magistrats. Mais comme nous veillons à élire des présidents d'une probité au dessus de tout soupçon, qu'importe que le locataire de l'Elysée désigne des proches au poste de celui qui pourrait décider de ne pas poursuivre d'éventuelles frasques commises avant son élection à la présidence de la république, n'est-ce pas ?

La proposition de François Bayrou vise à rendre un avis conforme du CSM obligatoire, pour interdire les nominations trop politiques. L'idée n'est pas sans conséquence : c'est la fin d'un contrôle du politique (qui bénéficie malgré tout d'une légitimité démocratique) sur une autorité naissant d'une désignation ; comme se demande Philippe Bilger, « Les [magistrats] intelligents mais non complaisants gagneront-ils au change », à troquer l'approbation du pouvoir à celui des élus de la profession ?

En tout état de cause, quand cette proposition s'inscrit dans un bloc qui inclut de changer la composition du CSM pour diminuer l'influence des magistrats au profit de personnalités extérieures plus sensibles à l'aspect politique des nominations, on se demande si le candidat ne reprend pas d'une main ce qu'il a donné de l'autre...

Je soutiens l’idée d’un juge de l’instruction, qui soit rétabli - c'est une garantie pour le citoyen - dans un rôle d’arbitre, sollicité par l'accusation ou la défense. Deux garanties instaurées pour l’enquête seront en même temps des garanties pour le citoyen : la collégialité, avec la création de pôles d’instruction, et la transparence : audiences publiques à intervalles réguliers, enregistrements audio ou vidéo des auditions et gardes à vue.

Je ne comprends pas le rétabli. Le juge d'instruction n'a jamais été arbitre : il est acteur de l'enquête, qu'il mène de la façon qu'il décide, sous la surveillance des parties, avocats et parquet. Si arbitre il y a, c'est la chambre de l'instruction, qui peut être saisie par la voie de l'appel de nombre de décisions du juge (citons le refus de mise en liberté, ou le refus d'acte demandé par une des parties, ou encore le non-lieu à suivre) voire directement en cas d'inaction du juge d'instruction. J'interprète cette formule comme une volonté de mettre en valeur le rôle "à charge et à décharge du juge d'instruction", ce qui sous entend que le juge d'instruction privilégierait l'un ou l'autre de ces aspects (je vous laisse deviner lequel dans l'esprit du législateur...).

Donc, il s'agirait d'en faire un arbitre, sollicité par l'accusation ou la défense. Première innovation : il faudrait créer une accusation au stade de l'instruction. Bref, il s'agit, sans le dire clairement, de passer du système inquisitoire au système accusatoire.

Je rappelle le schéma actuel : le ministère public (par l'intermédiaire de la police judiciaire, qui sont ses yeux et ses oreilles, ainsi son bras armé ; en fait, le ministère public, c'est un cerveau et une bouche) découvre qu'un crime ou un délit grave a été commis, ou a des raisons de penser qu'il en a été commis un. La police a, sous sa direction, mené une enquête, qui a réuni certains éléments, mais qui sont insuffisants pour établir la réalité de ce crime, identifier son auteur, ou quand bien même ces deux premiers points ont été établis, laissent subsister trop de zones d'ombre pour que cette affaire soit en état d'être jugée. Il va donc confier l'enquête à un juge d'instruction par un réquisitoire introductif, contre personne dénommée si l'auteur des faits est connu, ou contre X... s'il est inconnu. Le juge d'instruction procède à tout acte lui paraissant nécessaire à la manifestation de la vérité dans le respect de la loi (la Question Extraordinaire est ainsi exclue), de son propre chef. Quand des indices graves et concordants laissent à penser qu'une personne est l'auteur des faits, il la met en examen, statut qui donne accès au dossier par l'intermédiaire d'un avocat, permet de demander des actes, mais qui permet aussi un placement sous contrôle judiciaire voire en détention provisoire. Le juge d'instruction peut aussi, s'il n'y a pas d'indices graves et concordants, lui donner le statut de témoin assisté, qui donne les mêmes droits, mais exclut toute mesure restrictive de liberté.

Les parties peuvent demander des actes (entendre telle personne, confronter telle et telle autre, ordonner une expertise sur tel et tel points...) que le juge peut refuser s'ils lui semblent inutile à la manifestation de la vérité, refus qui peut être soumis à la chambre de l'instruction.

L'instruction ne vise pas à prouver la culpabilité du mis en examen mais à découvrir la vérité. Le parquet a autant intérêt que la défense à ce que l'innocence d'un mis en examen soit démontrée, puisqu'il n'a pas le goût des erreurs judiciaires. Il n'y a donc pas d'accusation, quand bien même il y a une défense, mais une défense des droits et libertés de la personne faisant l'objet d'une enquête coercitive de la justice.

A la fin de l'instruction, le juge rend une ordonnance disant qu'il existe des charges suffisantes contre Untel d'avoir commis ces faits et le renvoie devant la juridiction compétente pour être jugé, ou dit n'y avoir lieu à continuer les poursuites, parce que les faits ne sont pas établis, ne constituent pas une infraction ou que l'auteur en est resté inconnu.

Le juge d'instruction n'est donc pas arbitre mais juge. Juge des actes qu'il doit accomplir, juge des mesures portant atteinte aux libertés qu'il doit prendre (renouvellement de garde à vue, perquisition surprise, contrôle judiciaire limitant les déplacements) ou solliciter du juge des libertés et de la détention (placement sous mandat de dépôt, même si le parquet ne le demande pas), ou du moment d'y mettre fin. Il y a un arbitre au stade de l'instruction : c'est la chambre de l'instruction de la cour d'appel (ex chambre d'accusation) qui peut être saisie d'un recours contre un très grand nombre d'actes du juge d'instruction.

Un système accusatoire laisserait au parquet la charge de mener l'enquête comme il l'entend, la défense pouvant s'opposer à une mesure ou au contraire en demander une, le juge tranchant en cas de refus du parquet.

C'est le système anglo-saxon. Il a des mérites et des limites.

Ce qui à mon sens le rend peu souhaitable, c'est qu'il a un coût bien plus lourd pour la personne poursuivie, car l'avocat doit consacrer bien plus de temps au dossier, avec des audiences devant ce juge-arbitre à répétition. De plus, le parquet est, au même titre que le mis en examen, partie au procès. Quand bien même je ne sombre pas dans la caricature du procureur à la Fouquier-Tinville, attaché à la condamnation à tout prix (lisez donc le blog de Philippe Bilger, avocat général, pour voir que convictions assumées et honnêteté intellectuelle ne sont pas incompatibles), et que je n'oublie pas que les procureurs sont aussi magistrats, la perspective d'avoir face à moi un procureur d'instruction ne me séduit pas, quand je sais que ce sera un de ses collègues, voire lui-même, qui à l'audience sera mon contradicteur. Il n'est pas neutre, puisqu'il est mon adversaire. Ca n'implique pas qu'il soit biaisé ou malhonnête. Mais je préfère avoir face à moi un juge, qui n'a pas pour mission de défendre la société, mais de rechercher la vérité. Que certains juges d'instruction (très rares, dieu merci, car quel mal ils peuvent faire) n'aient pas un comportement conforme à leurs fonctions est un autre problème, mais en faire des parquetiers ne règlera pas le problème ni ne diminuera leur capacité de nuisance.

Pour assurer l’indépendance du parquet, les fonctions de juge et de procureur doivent être clairement séparées. Les représentants du parquet doivent demeurer des magistrats.

Proposition commune aux trois candidats. Mais quand on sait que cette proposition figurait déjà dans l'escarcelle du candidat Chirac en 2002, on voit qu'il y a parfois loin de la coupe aux lèvres. Ségolène Royal propose une séparation au bout de dix ans, Nicolas Sarkozy tout de suite, le cas échéant en faisant des procureurs des agents de l'Etat et non des magistrats. François Bayrou se distingue en laissant leur statut de magistrat aux parquetiers, ce qui implique donc une formation commune à l'Ecole Nationale de la Magistrature, et un choix définitif de l'un ou l'autre corps à la sortie.

Je renvoie à mes observations sous le programme de Nicolas Sarkozy, point n°4, et de Ségolène Royal, point n°4 également. Mon opinion n'a pas changé.



Pour les avocats, je veux défendre l’idée d’un internat (par analogie avec les internes en médecine. Des jeunes avocats seraient payés pour ce travail, par exemple à plein temps comme les magistrats et avec une rémunération similaire), comme moyen d’une égalité des chances en matière judiciaire, pour ceux qui relèvent de l’aide juridictionnelle. Pour répondre à l’inquiétude, parmi les avocats, sur les moyens matériels d’exercer leur mission, un système d’assurance serait généralisé.

Ha, un candidat qui s'intéresse à ma chapelle. L'idée de l'internat est séduisante pour les jeunes avocats, qui auront ainsi une rémunération décente. Songez par exemple qu'il y a quelques temps, j'ai dû attendre cinq heures un dimanche au palais qu'un juge des libertés et de la détention puisse présider un débat contradictoire pour savoir s'il mettait ou non mon client en détention. Pour ces cinq heures perdues loin de ceux que j'aime[2], outre la demi-heure que durera le débat contradictoire, j'ai été payé, plusieurs semaines plus tard, la somme de 21 euros HT. Quand je parle de décence, je pèse mes mots.

Cependant, cette idée d'internat soulève des difficultés : comment sélectionner ces jeunes avocats ? Quand leur internat s'achèvera, comment feront-ils pour s'installer, sans clientèle ? Comment croire que ceux qu'ils ont défendu gratuitement accepteront de payer ensuite fort cher pour les garder alors qu'ils peuvent en avoir un autre gratuitement ? Je suis contre toute idée de fonctionnarisation de la profession d'avocat, et cette idée me semble ouvrir la boîte de Pandore, en offrant pendant quelques années un confort d'exercice avant de précipiter ces internes dans les tracas de celui qui doit tout à coup devenir chef d'entreprise. Comment enfin assurer la surveillance du travail des internes tout en respectant leur indépendance ?

Pourquoi ne pas tout simplement réviser l'aide juridictionnelle en assurant aux avocats intervenant à ce titre une vraie rémunération, ce qui permettra aux justiciables de choisir éventuellement leur avocat y compris parmi les expérimentés, assurera l'indépendance de l'avocat qui conservera son exercice en cabinet libéral, et lui permettra de consacrer le temps et l'énergie nécessaire à ces dossiers sans mettre son cabinet en danger ? Parce que ça coûte cher ? Mais puisqu'on parle d'aligner la rémunération de ces internes sur celle des magistrats, des fonds conséquents devront être mobilisés. Autant qu'il serve à l'aide juridictionnelle qu'à un internat qui tient du cadeau empoisonné.



Quant aux prisons, je propose deux axes : la réhumanisation des lieux d’emprisonnement et la recherche de toutes les alternatives à la détention et à l’emprisonnement, notamment pour les jeunes.

Qui serait contre la réhumanisation des prisons, sans même savoir ce que cela veut dire au juste, ni à quel moment les prisons françaises sont censées avoir été humaines ?

Quant aux alternatives à l'emprisonnement, notamment pour les jeunes, les juges d'application des peines seront ravis de savoir qu'ils font partie du programme de François Bayrou. Cela fait longtemps qu'ils déploient des trésors d'inventivité et d'optimisation des moyens de l'administration pénitentiaire pour éviter au maximum la mise à exécution des peines d'emprisonnement courtes, très désocialisantes, dès lors que le condamné fait preuve d'une réelle volonté de réinsertion (il cherche activement un travail, a repris des études sérieusement, indemnise la victime). Il s'agit donc que de continuer ce mouvement que personne ne conteste, tant on sait qu'une peine aménagée ou une libération anticipée diminue énormément le risque de récidive. Il ne s'agit en rien d'une proposition révolutionnaire.



Je ne résume pas les problèmes de la justice à une question de moyens, mais la question est essentielle. Je propose de doubler le budget de la Justice en 10 ans, par des lois de programmation multi-partisanes. »

Proposition commune à Ségolène Royal, qui n'indique toutefois pas de délai pour cela. Quand on sait que les objectifs financiers de la dernière loi quinquennale de programmation de la justice n'ont que très partiellement été tenus, vous me permettrez ici une moue dubitative, surtout s'agissant d'un engagement dont le terme est au-delà du mandat sollicité.

  • Sur la sécurité :

(...)



Sanctionner tôt, dès le premier délit, serait bien souvent la meilleure prévention (il est absurde de séparer prévention et sanction) : face à la délinquance juvénile, la sanction doit être ultrarapide et éducative. La prison est une impasse, un pourrissoir, on en sort caïd : je suis pour des sanctions qui remettront le jeune au contact de l'autorité : rigoureuses et éducatives. Les travaux d'intérêt général surveillés deviendront une obligation, avec l'encadrement correspondant.

Le problème est que "ultrarapide" et éducatif sont souvent difficilement conciliables. Les mesures éducatives supposent une certaine connaissance de la personnalité du mineur et de sa situation personnelle. Certes, passer trop de temps à étudier cette situation rend la sanction sans intérêt, car six mois, pour un mineur, c'est la préhistoire (un an, c'est une autre vie). Mais une décision trop vite prise sera souvent inadaptée. Il y a un point sur lequel il est possible de jouer : c'est le temps perdu dans un dossier faute du personnel suffisant pour les traiter. Où on voit revenir la question des moyens, à laquelle tout ne se résume pas mais quand même un peu. Quant à l'idée du travail d'intérêt général automatique, elle me paraît difficilement compatible avec l'article 4.2 de la convention européenne des droits de l'homme : « Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire ».



On rendra systématique un principe de réparation du tort causé à autrui ou à la collectivité.

Ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, article 12-2 issu de la loi n°93-2 du 4 janvier 1993 :

« Le procureur de la République, la juridiction chargée de l'instruction de l'affaire ou la juridiction de jugement ont la faculté de proposer au mineur une mesure ou une activité d'aide ou de réparation à l'égard de la victime ou dans l'intérêt de la collectivité. Toute mesure ou activité d'aide ou de réparation à l'égard de la victime ne peut être ordonnée qu'avec l'accord de celle-ci.»

Il n'y a pas de raison que seule Ségolène Royal propose des lois qui existent déjà, fût-ce depuis 14 ans.

Une loi sera votée pour la protection des victimes contre les représailles.

Cela fait longtemps que les violences commises « sur un témoin, une victime ou une partie civile, soit pour l'empêcher de dénoncer les faits, de porter plainte ou de déposer en justice, soit en raison de sa dénonciation, de sa plainte ou de sa déposition » sont aggravées. Qu'apportera donc cette loi de nouveau ? Mystère et boule de gomme.



Je proposerai que le maire ou le président de l’intercommunalité - seul responsable accessible et identifiable par le citoyen - ait autorité sur la police de proximité.

C'est chose faite depuis le 5 mars dernier avec le vote de la loi 2007-297 du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance.



La prévention commence par la famille : quand j'ai donné cette claque à Strasbourg, j'ai reçu des milliers de lettres, dont beaucoup de parents immigrés. Ils me disaient : ‘Vous avez bien fait, mais si nous donnons une claque, c'est l'assistante sociale’. Il y a un immense effort à conduire pour l'éducation des parents ! Quand il y a abandon de toute responsabilité, les allocations familiales doivent pouvoir être mises sous tutelle.

Ha, le fantasme des parents démissionnaires qui touchent les allocations en se désintéressant de leurs enfants. Comme quoi la lepénisation des esprits atteint même le centre. Le fait que des milliers de parents lui aient écrit pour dire "bravo, mais nous on ne peut pas sans s'attirer des ennuis" ne semble pas lui avoir mis la puce à l'oreille. C'était pourtant la phrase d'avant...



La loi doit être la même pour tous. Il faut donner l’exemple, au plus haut : je suis contre le principe d’amnistie lié à l’élection présidentielle. »

Bravo ! C'est une honte de nous tuer la clientèle ainsi tous les cinq ans.


En conclusion, là aussi, pas un mot sur la justice civile. La justice administrative est abordée, sous l'angle de la démolition du Conseil d'Etat, ce qui ferait presque regretter qu'elle ait été traitée.

Même sentiment de catalogues de mesures diverses, ou l'originalité semble avoir pris le pas sur la cohérence, pour changer des choses qui ne posent pas de problème particuliers, et rester vague sur les engagements essentiels : désignons un super Garde des sceaux, réhumanisons les prisons, réformons le CSM pour le reprendre aux juges, doublons le budget sur dix ans (ce qui, compte tenu de l'inflation, allège considérablement l'effort réel de l'Etat), supprimons le Conseil d'Etat comme juge administratif, et hop, voilà, ça fait un programme.

Sur la question de la sécurité, seul le problème de l'enfance est abordé. Sont-ce nos enfants qui sont devenus nos ennemis, dont l'Etat doit nous protéger ? Si nous en sommes là, quelle tristesse...

Prochain épisode : Jean-Marie Le Pen. Sous réserve qu'il ait ses 500 signatures, mais je n'ai guère de doutes sur le sujet. Il nous a déjà fait le coup dans le passé. Mais ça ne risque pas d'arranger ma mélancolie.

Notes

[1] L'auteur ayant un caractère facétieux, il ne garantit pas à ses lecteurs l'authenticité de cette dernière anecdote.

[2] Pour les curieux que me demanderaient pourquoi je ne suis pas rentré chez moi, on m'avait annoncé l'arrivée du JLD dans deux heures. Il n'est arrivé que cinq heures plus tard.

vendredi 23 février 2007

Parlons programme : les propositions de Nicolas Sarkozy sur la justice. (Le pavé du week end)

Chose promise, chose due. Voici mon commentaire des 16 propositions de l'UMP en matière de justice. Le prochain épisode sera sur François Bayrou.

C'est un pavé, vous avez de quoi tenir jusqu'à lundi. Bon week end.

Lire la suite...

dimanche 18 février 2007

Tizeur

Une riche semaine s'annonce sur mon blogue.

Le décryptage du programme de Nicolas Sarkozy en matière de justice sera le pavé de la semaine.

Une guest star bien connue de mes lecteurs fidèles fera son apparition et vous proposera de découvrir un délibéré de cour d'assises depuis l'intérieur, en excellent complément de mes trois billets (un, deux, trois, trois bis) sur ce thème.

Lundi soir, si les juges devant lesquels j'aurai l'honneur de plaider demain me libèrent à temps (et tant qu'à faire font de même avec mon client), je devrais retrouver quelques camarades de Lieu-Commun pour faire du live-blogging sur le grand oral de Ségolène Royal sur TF1 (hébergés par 20minutes, je ne connais pas encore l'URL).

J'espère que la perspective de ces lectures pantagruéliques vous fera me pardonner mon probable silence de demain, due à l'affaire précitée. Ondes positives bienvenues, ma tâche ne sera pas aisée.

La petite gourmandise du dimanche

Le débat presse traditionnelle versus blogosphère est devenue une tarte à la crème ces derniers temps.

Les journalistes se veulent séparés du citoyen ordinaire en faisant de la "vraie" information, professionnelle, de qualité, vérifiée, recoupée et avec l'expertise que leur apporte leurs années de métier, tandis que les blogs serait le monde du n'importe quoi, avec certes quelques îlots de qualité au milieu d'un océan de médiocrité.

La preuve récente en est la stupéfiante réaction d'Alain Duhamel, qui trouve normal d'être écarté parce qu'il s'est comporté (Horresco referens) en citoyen, en disant qu'il allait voter et pour qui, alors qu'un journaliste est censément aussi dépourvu d'opinion personnelle que l'ange l'est de sexe, et fustige par contre un internet "totalitaire" car il ose répéter ce que lui-même a dit, alors qu'il est bien connu que les propos tenus devant un amphithéâtre plein sont des confidences au même titre que les réflexions que ferait un premier ministre à des journalistes partageant le même avion que lui, par exemple.

Ce qui est amusant, c'est qu'à ma connaissance, aucun blogueur ne se prétend journaliste ou même prétend faire du journalisme. Mais ce qui est encore plus amusant, c'est de s'interroger sur le point de savoir si les journalistes mettent en pratique les règles qu'ils affirment être l'essence de leur profession et inconnues de la blogosphère.

C'est à ce petit jeu que se livre Jules vis à vis d'une récente interview dans Le Monde de Nicolas Sarkozy. Deux journalistes d'un quotidien dont la qualité n'est plus à démontrer (je le pense vraiment), face au discours électoral, donc électoraliste d'un candidat. Place à l'expertise, à la remise en perspective, et à la contradiction.

Que croyez-vous qu'il arriva ?

La suite chez Jules.

mercredi 14 février 2007

Quand la Cour de cassation renvoie Nicolas Sarkozy à ses chères études

Le 21 février 2006, les ministres de l'intérieur et de la justice ont pris conjointement une circulaire (CRIM. 06. 5/E1 du 21 février 2006, NOR : JUSD0630020), destinée aux préfets de région, de département, aux procureurs généraux et aux procureurs de la république pour les tribunaux de grande instance.

Cette circulaire visait à faire le point sur l'état du droit français, sur les conditions permettant légalement un contrôle suivi d'une interpellation d'étranger en situation irrégulière, aux fins de procéder immédiatement à leur reconduite à la frontière, au besoin par la force.

Cette circulaire, qui, outre votre serviteur, avait indigné bon nombre d'associations oeuvrant en la matière, prévoyait dans son point 1.2 que les interpellations pouvaient avoir lieu au guichet d'une préfecture quand une décision d'éloignement avait déjà été prise.Ce paragraphe concluait à la légalité et encourageait les préfets à procéder à de telles interpellations.

Concrètement, cela correspond à la situation suivante : un étranger qui souhaite voir sa situation régularisée doit se présenter une première fois spontanément et sans rendez-vous à la préfecture, au service des étrangers où il expliquera la nature de sa demande. L'agent présent au guichet n'ayant aucun pouvoir d'appréciation, doit se contenter d'analyser sa demande pour voir à quelle catégorie de titre de séjour elle se rattache, et lui remettre un dossier de demande de titre de séjour à compléter, accompagné d'une date et d'une heure de rendez-vous pour ramener l'entier dossier. A ce deuxième rendez vous, l'agent se contente de s'assurer que le dossier est complet, l'examen de la demande relevant du préfet lui-même, ou du haut fonctionnaire qu'il aura délégué à cette fin. Il est indispensable pour l'étranger de se présenter en personne, faute de quoi sa demande n'est tout simplement pas traitée.

La circulaire rappelle qu'en cas de présentation spontanée de l'intéressé au guichet de la préfecture, l'arrestation peut se faire sans difficulté particulière. En revanche, comme le dit joliment la circulaire, « des difficultés contentieuses peuvent en revanche survenir lorsque la préfecture convoque l'intéressé ». Par « difficultés contentieuses », comprendre : violation des droits de l'homme. On appréciera la litote.

Le ministre de l'intérieur invoquait à l'appui de cette position un arrêt du 12 novembre 1997 de la Cour de Cassation, relatif à une affaire dans laquelle une convocation avait été envoyée à un étranger, avec la précision qu'il devait présenter son passeport en cours de validité à cette convocation, et que l'étranger s'était présenté à 10h00 au guichet et avait été interpellé et placé en rétention administrative à 13h30.

La circulaire concluait à la légalité d'une interpellation au guichet sur convocation, à la condition que cette convocation ne soit pas un piège, et qu'elle ne mentionne pas un faux motif de convocation, comme par exemple une convocation pour délivrance du titre de séjour alors qu'il s'agit d'arrêter l'étranger. Du moment que la convocation ne mentionnait aucun motif particulier, le ministre en concluait que l'arrestation au guichet était valable.

Les associations en matière de droits des étrangers ont naturellement protesté, et ces protestations n'ont, tout aussi naturellement, soulevé absolument aucun écho auprès de l'opinion publique.

Cependant, la Cour de Cassation a rendu le 6 février dernier une décision qui est un camouflet à l'égard des ministres ayant pris cette circulaire.

En effet, cette décision, qui a été prise sur le fondement d'une arrestation qui a eu lieu antérieurement à cette circulaire, concerne un ressortissant algérien ayant fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière, qui, assisté d'un avocat, avait demandé à la préfecture de Seine-Saint-Denis[1] le réexamen de son dossier en vue de la délivrance éventuelle d'une carte de séjour.

L'intéressé a été convoqué le 27 décembre 2004 à la suite de sa demande de réexamen, et a été interpellé au guichet, et placé en centre de rétention administrative, après que le préfet de Seine-Saint-Denis ait pris un nouvel arrêté de reconduite à la frontière.

Comme la loi le prévoit, au bout de 48 heures en centre de rétention, l'intéressé a été présenté au juge des libertés et de la détention pour une prolongation de 15 jours de son placement en centre de rétention. Le juge des libertés et de la détention de Bobigny (était-ce celui-là ?) a refusé la prolongation de rétention administrative. Le préfet de Seine-Saint-Denis a aussitôt fait appel, et le premier président de la Cour d'appel de Paris a confirmé ce refus.

Le préfet de Seine-Saint-Denis, qui sait être procédurier quand ça l'arrange, a formé un pourvoi contre cette décision. Le texte de son pourvoi invoquait des arguments largement inspirés de la circulaire du 21 février 2006.

La Cour de Cassation a rejeté le pourvoi du préfet de Seine-Saint-Denis par un motif lapidaire que voici :

attendu que l’administration ne peut utiliser la convocation à la préfecture d’un étranger, faisant l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière, qui sollicite l’examen de sa situation administrative nécessitant sa présence personnelle, pour faire procéder à son interpellation en vue de son placement en rétention ; qu’ayant relevé que M. X... avait été convoqué, sur sa demande, pour l’examen de sa situation administrative, la cour d’appel a, par ce seul motif, jugé à bon droit, que les conditions de cette interpellation étaient contraires à l’article 5 de la convention européenne des droits de l’homme.

Comme je vous l'avais précédemment indiqué, quand la Cour de Cassation dit qu'une cour d'appel a jugé « à bon droit », c'est le plus haut compliment que la Cour puisse faire à une juridiction dont elle examine la décision. C'est une approbation totale et sans réserves. Dès lors, la Cour de Cassation applaudit à une décision de cour d'appel qui a estimé qu'une telle interpellation était contraire à l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui est notre writ of habeas corpus.

Messieurs les ministres de l'intérieur et de la justice ont donc co-signé une circulaire recommandant aux préfets une pratique d'arrestations illégales directement en violation de la Convention européenne des droits de l'homme... Chapeau bas.

Quand on sait que le paragraphe 1.3.1 de cette même circulaire laisse entendre qu'une interpellation d'un étranger dans un bloc opératoire (et pas dans l'hypothèse où l'étranger ferait partie du personnel soignant...) serait parfaitement légale, il est permis de penser que cette circulaire est susceptible de connaître d'autres avanies judiciaires.

J'ai une tendance assez personnelle à trouver que la Cour de Cassation est parfois bien trop frileuse en matière de protection des libertés au profit de l'autorité de l'Etat pour ne pas saluer cet arrêt comme une décision totalement à l'honneur de la Cour suprême. Les évolutions récentes du droit des étrangers, qui, je ne le répéterai jamais assez, sont de nature à faire honte à la France et aux valeurs qu'elle porte depuis si longtemps, semblent commencer à provoquer une certaine fronde chez les juges, et je m'en réjouis profondément. L'existence d'un vrai pouvoir judiciaire en France pour pallier aux les manquements du législateur ou de l'exécutif à leurs devoirs est une protection fondamentale, qui est insuffisante en France, mais qui fonctionne encore et il faut s'en réjouir.

PS : A quelques minutes près, Jules me grille la politesse. Lui aussi y voit un coup de règle sur les doigts des ministres, surtout celui des deux qui est candidat à un truc, là, bientôt.

Notes

[1] il faudra un jour que je vous reparle de la préfecture de Seine-Saint-Denis, préfecture où le droit français semble parfois ne pas s'appliquer.

Parlons programme : enfin, si on peut

Le Monde, viens-je de découvrir, signale (rubrique "Vu sur le web") que je décortique les programmes des candidats sur la justice. A ces lecteurs, salut. Le billet que vous cherchez est celui-ci, celui-là n'étant qu'un petit complément à la suite de son discours de Villepinte qui, sur ce sujet, n'a pas apporté grand'chose, d'où un examen succinct dont l'ironie n'est pas absente, mais c'est le style de la maison. Merci de m'épargner les procès d'intention, les critiques acides sur tel mot ou telle virgule, ou l'ironie sur le mot "maître". Eolas n'a que cinq lettres, or mon adresse de site devait en faire au moins six. J'ai donc accolé devant le mot maître. Mon ego est d'ores et déjà surdimensionné et n'est plus sensible au fait de me faire appeler maître, qui témoigne d'un grade universitaire, pas plus que vous ne rougissez de bonheur quand on vous appelle Monsieur ou Madame, titres initialement réservés aux frères et soeurs du roi.

Je m'attelle (ou m'attaque, comme vous voulez) au programme de Nicolas Sarkozy, mais je suis exposé à un problème, et là c'est à mes autres lecteurs, principalement soutenant la candidature du président de l'UMP que je m'adresse. Pourriez vous m'indiquer où je peux trouver le programme de Nicolas Sarkozy sur la justice ? Sa campagne est éclatée entre le site de l'UMP, le site Sarkozy.fr, les sites de la France d'après, je suis un peu perdu, et je n'ai rien trouvé.

Sinon, tant pis, je me tournerai vers Bayrou, ce qui semble être à la mode sur la blogosphère en ce moment. Cela dit, vu que la blogosphère était plutôt en faveur du oui lors du referendum, je serais inquiet à la place du président de l'UDF.

lundi 12 février 2007

Mise à jour du commentaire du programme de Ségolène Royal en matière de justice

Avant de m'attaquer au candidat de l'UMP, je reviens sur les propositions faites hier dans le cadre du "pacte présidentiel" présentée par Ségolène Royal. Je n'ai pas regardé les "Cahiers d'Espérance" présentés sur le site Désirs d'avenir, synthèse des débats participatifs, j'ai déjà assez de mal à m'y retrouver.

Le chapitre consacré à la justice s'intitule "La Présidente de la lutte contre toutes les formes de violence", page 11 et suivantes du document pdf. Comme c'était prévisible, la justice n'est abordée que sous l'angle de la justice pénale, et encore, uniquement sur les violences. Exeunt la justice civile, qui règle les litiges entre particuliers ou entre consommateurs et professionnels, et la justice administrative, qui règle les litiges entre l'Etat et ses diverses extensions (collectivités locales, établissements publics) et les administrés. Mais comme nous le verrons, de ce point de vue, les autres candidats ne font guère mieux.

Neuf propositions sont formulées, divisées en deux parties.

La première est "Lutter résolument contre les violences". Prenez vous ça dans les dents, ceux qui voulaient lutter avec pusilanimité contre les violences.

50- Rétablir la civilité :
- Apprendre la civilité aux enfants : des programmes d’éducation au respect de l’autre pour apprendre aux enfants à gérer les conflits par la parole plutôt que par la violence.
- Garantir à chacun de voyager sans crainte dans les transports en commun (RER, TER, trains de banlieue, tram et bus, spécialement la nuit) en imposant des obligations règlementaires plus grandes aux transporteurs (recours plus grand aux équipements technologiques, personnel plus importants aux horaires sensibles…).
- Mettre en place des gardiens dans tous les immeubles sociaux.

Bon, en fait, on est assez loin de la justice, là. Apprendre la civilité aux enfants, je trouve la proposition limite insultante, tout de même. Ha, mais non, on ne parle que des enfants des autres, bien sûr, pas de ses petits anges. Et quant à garantir à chacun de voyager sans crainte : s'agit-il d'un droit au voyage serein opposable ?

51- Lutter contre les violences scolaires en renforçant la présence des adultes dans les établissements :
- Recruter des surveillants des collèges.
- Doter chaque établissement d’une infirmière scolaire et d’une assistante sociale à temps plein.

De la prévention, dans la tradition du parti socialiste. Pas d'information sur le financement, dans la tradition politique française.

52- Etre ferme face aux mineurs violents :
- Mettre en place une politique de prévention précoce de la violence : encadrement éducatif renforcé, mise en place de tuteurs référents.
- Développer les brigades des mineurs dans chaque commissariat des grandes zones urbaines.
- Prendre des sanctions fermes et rapides : un plan d'urgence sera mis en place pour la justice des mineurs (recrutement de juges des enfants, d’éducateurs, de greffiers)
- Mettre en oeuvre des solutions nouvelles pour extraire les mineurs de la délinquance : suppression des peines de prison pour les mineurs en dehors des cas d’atteintes graves aux personnes ; développement des centres éducatifs renforcés, si besoin avec un encadrement militaire.

Tiens, Ségolène Royal fait du Nicolas Sarkozy, là. La justice des mineurs ne serait pas ferme (les juges seraient-ils donc démissionnaires ?), et il faut des sanctions rapides. C'est là l'objet de la loi sur le prévention de la délinquance en cours de discussion devant le parlement, qui instaure une sorte de comparution immédiate pour mineurs. Parallèlement à cette fermeté, elle parle de supprimer les peines de prison pour les mineurs hors les atteintes graves aux personnes (c'est quoi la définition de la gravité ?). C'est moi ou il y a une légère contradiction dans le message, là ?

53- Faire de la lutte contre les violences conjugales une priorité nationale :
Faire adopter une loi cadre sur les violences conjugales prenant en compte tous les aspects permettant d’éradiquer ce fléau.

Je ne reviens par sur ce que j'ai déjà dit sur l'accumulation de lois en la matière.

Sur la forme : une loi cadre serait contraire à la constitution. L'article 34 de la Constitution prévoit que c'est la loi qui seule peut fixer les règles en matière de procédure pénale et déterminer les crimes et les délits et les peines qui sont applicables. Une loi cadre fixe des objectifs généraux et renvoie au décret pour prendre les mesures d'application. Le législateur ne pourra pas se défausser sur l'exécutif, il faudra que ce soit la loi qui fixe toutes les mesures.

Sur le fond : je ne peux m'empêcher de frémir. On nous refait le coup de 1998. On érige en cause nationale une cause avec laquelle tout le monde ne peut qu'être d'accord. En 1998, c'était la protection des mineurs victimes d'atteintes sexuelles, dans la foulée de l'affaire Dutroux. La lutte contre ce "fléau national" justifie une loi très répressive, faisant bon compte de la présomption d'innocence et des droits de la défense. L'opposition en rajoute dans le répressif pour ne pas se faire doubler sur sa droite. Et les graines sont semées, qui ont permis le fichage génétique systématique des délinquants, qui retirent au juge le pouvoir d'adapter la peine, jusqu'à la faculté d'écarter l'inscription au bulletin numéro 2, qui poussent les juges à la détention systématique à cause du "trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public causé par l'infraction", et qui ont fini par éclore à Outreau. Avec la faculté d'autocritique du législateur que la commission parlementaire a démontré. Mais ça marche, que voulez vous. On nous a refait le coup avec la loi de lutte contre le terrorisme en 2005, votée par l'UDF, le parti socialiste s'étant courageusement abstenu. Chaque fois que le législateur trouve un thème pour nous faire renoncer avec enthousiasme aux protections que nous offre la loi, sous le prétexte qu'elles ne protègent que les pédophiles, les terroristes et les maris violents, on ouvre la porte à une catastrophe. Et le législateur n'apprend jamais.

54- Créer une nouvelle police de quartier pour mieux assurer la sécurité quotidienne :
- Procéder à une répartition plus juste des effectifs : donner la priorité aux renforcements quantitatifs et qualitatifs des zones sensibles.
- Affecter des policiers expérimentés, bénéficiant d'une réelle différenciation de rémunération, dans les secteurs plus difficiles (avantages de carrières, aides au logement, etc.)

Le retour de la police de proximité. Puis-je ajouter une suggestion : afin de faire bénéficier selon le même principe chaque échelon de l'Etat de la sagesse de l'expérience, si nous veillions à affecter chaque ministre et président sortant à un simple conseil municipal dans une ville à problèmes ?

55- Aider les victimes : - Faciliter et moderniser le dépôt de plainte pour briser la loi du silence : amélioration de l’accueil dans les commissariats par la mise en place de travailleurs sociaux de la police nationale, possibilité de déposer plainte via Internet. - Mettre un avocat à la disposition des victimes de violences graves dans l'heure suivant le dépôt de plainte.

Améliorer l'accueil dans les commissariats, j'abonde. Porter plainte par internet, quelle bonne idée. Voilà qui nous met à l'abri des dénonciations calomnieuses et anonymes. Mettre un avocat à disposition des victimes dans l'heure qui suit, c'est moi ou il s'agit d'une obligation qui pèsera sur NOUS, avocats, plutôt que sur l'Etat? En tout cas, cela fait longtemps qu'un service d'aide aux victimes existe dans les principaux tribunaux (Créteil a été pionnier à ce sujet) et qu'un avocat est présent pour les victimes aux audiences de comparution immédiates. Encore faut-il que les victimes viennent à l'audience, et en soit informées, information qui pour l'heure incombe au greffe du parquet qui laisse un message sur le répondeur téléphonique de la victime (et je l'ai vu faire une fois dans une affaire de vol de portable, ledit portable étant placé sous scellés ; non, la victime n'est pas venue à l'audience).

  • Deuxième partie, intitulée : Répondre au besoin de justice.

56- Doubler le budget de la justice pour la rendre plus rapide et respectueuse des droits.

Allelulia. Que cette promesse là soit tenue, et vous verrez déjà que la justice fonctionnera bien mieux. Mais quand je vois que le gouvernement précédent n'a pas tenu ses engagements pris dans une loi quinquennale sur la justice, le doute m'habite.

57- Faciliter l’accès à la justice des plus modestes : - Renforcer l’aide juridictionnelle. - Renforcer les maisons de la justice et du droit - Mettre en place un service public d’aide au recouvrement des dommages et intérêts alloués aux victimes.

Renforcer l'aide juridictionnelle n'est pas "augmenter" l'aide juridictionnelle. Je reste circonspect.

L'idée d'un service d'aide au recouvrement des dommages intérêts alloués aux victimes me semble une bonne idée ; on pourrait l'appeler "avocat", par exemple. Rappelons que le principal obstacle à ce recouvrement est l'insolvabilité de l'auteur des faits, insolvabilité souvent renforcée par son incarcération. Il existe actuellement un système d'indemnisation public, mais il est réservé aux atteintes aux personnes les plus graves (plus de trente jours d'incapacité totale de travail, ou des séquelles définitives, ou une atteinte sexuelle), et ne s'applique pas aux atteintes aux biens sauf si elles ont de graves conséquences pour la victime. Mais "l'aide au recouvrement" n'étant pas le recouvrement effectif, je doute que l'heure soit à l'extension de dispositif. On peut le regretter : obliger l'Etat à prendre en charge le coût de sa carence à sa mission d'assurer la sécurité de ses citoyens serait autrement plus efficace que les numéros verts, service ad hoc et proclamations solennelles déployées jusqu'à présent...

58- Protéger les citoyens :
- Assurer la présence d’un avocat dès la première heure de garde à vue.

Tiens ? Je croyais que c'était déjà le cas depuis la loi du 15 juin 2000. Et visiblement, les officiers de police judiciaire le croient aussi.

- Encadrer strictement le recours à la détention provisoire dont la France use beaucoup plus largement que les autres pays européens, en imposant notamment des délais butoirs.

Des délais butoirs ? Comme ceux de l'article 145-1 et 145-2 du Code de procédure pénale ? C'est une manie chez cette candidate de faire voter des textes qui existent déjà.

- Renforcer les alternatives à la prison préventive.

Ce qui implique au préalable la création du concept de prison préventive. "Vous n'avez rien fait, mais ça ne saurait tarder, je préfère prendre les devants". Le PS a trop aimé Minority Report...

- Assurer dans les prisons des conditions qui permettent la réinsertion du détenu.

Ca fait deux siècles qu'on le dit. Ca fait deux siècles qu'on oublie de dire comment. L'état du désastre actuel en la matière a de quoi préoccuper et nécessite plus que des déclarations d'intention vertueuses.

- Créer un organe indépendant de contrôle des prisons.

Comme le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, qui est venu il y a un an dresser un état des lieux qui fait honte à la France ? Et si plutôt on tenait compte de ses observations ?

Bref, rien de vraiment nouveau par rapport aux documents publiés jusqu'à présent. Peu de mesures concrètes, mais c'est l'exercice qui veut ça, visiblement, comme le révélera mon analyse des programmes des autres candidats. Et après, on se plaindra de ce que le débat ne prenne pas de la hauteur...

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