Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 11 septembre 2007

Saine audition

C'est la rentrée judiciaire, et comme prévu, ça démarre sur les chapeaux de roue. Mon ISF va encore exploser, je le sens. Du coup, mon rythme de billet risque de baisser par rapport à celui du mois dernier. Je continue donc à me défausser sans vergogne sur les autres.

Aujourd'hui, ce sera sur Antoine Garapon, et son excellente émission le Bien Commun sur France Culture. Elle a changé cette année, d'horaire pour commencer (le mercredi à 11h) et en organisation. En mieux. Plutôt qu'un long débat d'une heure d'une qualité variable selon que la mayonnaise prend ou non avec les invités, l'émission cette année se divise en plusieurs chroniques, pour commencer l'agenda d'Harold Epineuse, qui parle de l'actualité du droit, un intervenant ponctuel, universitaire, avocat ou magistrat qui définit une notion juridique et rappelle son histoire et son évolution, puis le débat entre les invités sur un format d'une demi heure, et à la fin une analyse d'une décision de jurisprudence récente par Sébastien Miller.

L'émission s'adresse plus à des non juristes, mais intéressé et un peu éclairés sur la question (bref, le lectorat type de mon blog).

Et l'émission de cette semaine aborde, dans la partie débat, la question de la place de la victime dans le procès pénal, avec comme invité mon confrère Daniel Soulez Larivière, grand avocat pénaliste s'il en est, et Didier Peyrat, magistrat.

Daniel Soulez Larivière, auteur avec Caroline Eliacheff du livre « Le temps des victimes » (Albin Michel - 11 janvier 2007), défend une position estimant qu'une dérive s'opère sur le rôle de la victime dans le procès pénal, qui est passée d'exclue jusqu'en 1906 à partie au procès, et maintenant, là serait la dérive que dénonce Daniel Soulez Larivière, le centre de gravité du procès, à l'instar d'une société devenue compassionnelle, mais au détriment de ce que doit être réellement le procès pénal : le procès de l'accusé. Il rappelle d'ailleurs que la quasi totalité des sociétés démocratiques exclut la victime du procès pénal, et que la France a ici une véritable originalité. Didier Peyrat a une position plus nuancée, estimant que cette évolution ne va pas si loin et demeure bienvenue.

Pour ma part, je rejoindrais plutôt l'opinion exprimée par Didier Peyrat, sous réserve de véritables dérives, mais très ponctuelles, que j'ai pu observer.

Le débat est en tout cas très intéressant, et de manière général toute l'émission l'est (l'agenda parle de la revue Champ Pénal, de la décision du Conseil constitutionnel du 16 août censurant la déduction des intérêts d'emprunt antérieurs à la loi, et de la difficulté en France d'accepter le principe d'un contrôle de constitutionnalité des lois, et la notion juridique définie est celle de victime).

L'émission est disponible en streaming en en podcast sur le site de l'émission, pour une durée que j'ignore.

A vos iPods ; je m'en retourne faire itératives remontrances à un préfet voulant dilapider l'argent du contribuable en offrant un bien inutile et illégal aller simple vers une destination exotique à un de mes clients.

lundi 10 septembre 2007

Un peu de saine lecture

Beaucoup de lecteurs me l'ont signalé : à lire absolument, cet entretien donné au Monde par Robert Badinter, avocat, ancien Garde des Sceaux, ancien président du Conseil constitutionnel, et sénateur (PS).

Devant la vague émotionnelle que suscite un crime odieux, les femmes et les hommes politiques se sentent interpellés. La réponse la plus simple consiste à dire : faisons une loi pour éviter que cela se reproduise. Regardons ce qui est advenu depuis 2002 en matière de récidive, notamment celle des délinquants sexuels. Alors que la loi Guigou de 1998 avait déjà instauré un suivi socio-judiciaire, on a voté successivement les lois Perben 1 et 2, la loi sur la récidive de 2005, celle sur la prévention de la délinquance en mars 2007, un nouveau texte à la session extraordinaire de juillet, et on nous annonce une nouvelle loi à la rentrée parlementaire !

La multiplication des lois, sans chercher à s'assurer de leur efficacité, engendre un désordre législatif préjudiciable. Trop de lois nuisent à la Loi. Quel bilan a-t-on fait de l'ensemble de ces textes ? Quelle a été l'effectivité de leurs dispositions ? On est entré dans un système où la loi devient un mode de communication politique. Mieux vaudrait s'assurer de sa mise en oeuvre.

Ainsi, il y a des voix qui le disent au parlement.

Malheureusement, si la justice est aveugle, le gouvernement, lui est manifestement sourd.

Une opposition modérée, intelligente, qui préfère l'objection argumentée aux formules toutes faites. Bref, une source de réflexion. Qui, ce qui ne gâche rien, est assez en adéquation avec quelques idées que j'ai exprimées ici.

Cela remplacera avantageusement le billet que je n'ai pas eu le temps de faire aujourd'hui et vous reposera de mes dessins.

Rectificatif

En fait, Rachida Dati est une grande incomprise...

PARIS (Reuters) - La ministre de la Justice Rachida Dati a réuni à Paris les procureurs généraux, a déclaré qu'elle assumait l'autorité qu'elle estime avoir sur eux et nié l'existence de problèmes relationnels avec les magistrats.

(...)

Rachida Dati assure n'avoir pas convoqué Philippe Nativel mais l'avoir "invité" pour le protéger de son supérieur qui aurait omis de publier un démenti de ses propos, a assuré Guillaume Didier.

Dans le bureau du garde des sceaux, Rachida Dati, assise, fait face à un procureur en robe noire, et un procureur général en robe rouge, juste derrière lui, tous deux debouts. D'une attitude décontractée, elle dit au procureur : « En fait, je vous ai invité pour vous protéger de l'autre malade en robe rouge, là...» avant d'ajouter  « Il n'y a vraiment pas de quoi se vexer... ».

samedi 8 septembre 2007

France Argentine...

Un jaguar, symbole de l'équipe de rugby argentine, revêtu du maillot argentin, achève de dévorer un coq dont seule la patte sort encore de sa machoire. A côté de lui, maître Eolas, en robe bleue avec l'écusson de l'équipe de France de rugby et une épitoge bleu-blanc-rouge, regarde le specatcle, effaré, en demandent : Heu... C'est légal, ça ?

Moi qui avais mis ma robe de supporter...


PS : désormais, tout commentaire sous un billet de rugby qui contiendra une allusion à Nicolas Sarkozy sera supprimé comme hors sujet. C'est lourd.


PS² : Au fait, la défaite nous l'a faite oublier, mais... il n'y a que moi qui ai trouvé la cérémonie d'ouverture ridicule ?

Si vous voulez une leçon de rugby...

...regardez Nouvelle Zélande Italie. 20 mn de jeu, 38 à 0. Ca fait mal.


Edit : Hé bien en fait, les Italiens, clairement dominés, n'ont pas démérité. Ils ont repris leurs esprits et réussi à placer des essais en contre (ils méritaient l'essai qui leur a été refusé, il y avait bien une énorme obstruction qui ne pouvait se résoudre qu'en essais de pénalité...). Cela montre le point faible des All Blacks. Dès qu'ils sortent de leurs mouvements ultra répétés à l'entraînement, ils ne savent pas improviser. Ils ont aligné les essais mais les Italiens ont réussi à leur en placer deux, voire trois. Ce genre d'erreurs, face à l'Australie ou l'Afrique du Sud, se paiera très cher.

Non, je ne les vois pas encore champions du monde.

vendredi 7 septembre 2007

Devine qui vient dîner ce soir ?

Ce soir à 21 heures, le XV de France affrontera donc l'équipe d'Argentine, appelée les Pumas.

Drapeau argentin

La drapeau argentin est composé de trois bandes de même hauteur, bleu ciel (RGB 156, 196, 226), blanc et bleu ciel.

Pièce argentine 1813La bande centrale est frappée d'un soleil à visage humain, entouré de 16 rayons droits alternés avec 16 rayons ondulés. Il s'agit du Sol de Mayo (Soleil de Mai), inspiré du dieu Inca du soleil, Inti. Il figurait sur la première pièce de monnaie argentine frappée en 1813, qui valait un dollar espagnol soit 8 escudos.

Le drapeau argentin était initialement uniquement bleu et blanc. Il est dû à un héros de la guerre d'indépendance argentine (1813-1818), le général Manuel José Joaquín del Corazón de Jesús Belgrano, ou breviatis causa Manuel Belgrano (1770-1820). Selon la légende, à la bataille de Rosario, il remarqua que les troupes espagnoles et argentines combattaient sous les mêmes couleurs : le sang et or, couleurs de l'USAP de l'Espagne. Pour éviter toute confusion, il créa alors un drapeau inspiré des couleurs que les criollos utilisèrent durant la révolution de Mai 1810. Les criollos (prononcer crioyos), qui sont des natifs d'Amérique du Sud mais de sang européen, profitèrent de la vacance du pouvoir en Espagne dû à l'invasion napoléonnienne, pour se révolter, ce qui aboutit à ce que la première Junte prenne le pouvoir à Buenos Aires (prononcer Bouénosse Aïe-rès, et non bouénozaire, par pitié), ce qui fut le point de départ de l'indépendance argentine. D'autres versions disent que Belgrano prit tout simplement les couleurs des Bourbons au pouvoir en Espagne : l'azur et le blanc, puisque des sources historiques indiquent que les criollos avaient pour drapeau le drapeau rouge.

Ce drapeau fut hissé à Buenos Aires sur l'Eglise Saint Nicolas de Bari, à l'endroit où se dresse aujourd'hui l'Obélisque de Buenos Aires, Place de la République. El Obelisco

Il fut adopté comme drapeau national à l'indépendance le 9 juillet 1816.

Le Sol de Mayo fut ajouté le 25 février 1818. En 1938 fut instauré un Jour du Drapeau, Dia de la Bandera, le 20 juin, anniversaire de la mort de Belgrano. En 1958 fut édifié un mémorial du drapeau, où ont lieu les cérémonies officielles du 20 juin.

Le drapeau argentin a inspiré le drapeau du Guatemala, du Honduras, d'El Salvador, et du Nicaragua, ces pays ayant appartenu à l'Ephémère Confédération des Provinces d'Amérique Centrale (1823-1838). Le Costa Rica en faisait également partie mais a abandonné ces couleurs.

Nicaragua El Salvador Honduras Guatemala

L'équipe argentine joue dans un maillot aux couleurs du drapeau, et s'appelle les Pumas, car l'écusson de l'UAR, l'Union Argentine de Rugby, porte comme symbole... un jaguar. C'est un journaliste qui les a ainsi baptisé par erreur, s'y connaissant peu en zoologie féline américaine, lors de leur tournée en Afrique du Sud en 1965. Le jaguar est tacheté, et pas le puma.UAR

Mais si l'UAR n'a pas changé de symbole, les argentins ont gardé ce surnom.

Enfin, attention : soyez concentré ce soir. Si on vous parle d'Augustin Pichot, c'est le capitaine argentin. Si on vous parle de Raphaël Ibañez, c'est le capitaine français.

Quand je vous dis que le rugby est un sport compliqué, parfois.

Un salut amical à Patrick, du blog Argentine au jour le jour, que je sais être un lecteur régulier de ces lignes depuis Buenos Aires.

Ha, et puis bien sûr...

ALLEZ LES BLEUS ! ! !

(Images Wikipedia)

jeudi 6 septembre 2007

Qui t'a fait roi ?

Rachida Dati me souffle une superbe idée de plaidoirie.

"La légitimité suprême, c'est celle des Français qui ont élu (Nicolas Sarkozy NDLR) pour restaurer l'autorité. Les magistrats rendent la justice au nom de cette légitimité suprême"

Dans un prétoire, un homme se tient à la barre, l'air sur de lui. Face à lui, un juge écoute, impassible, Maitre Eolas (représenté comme un avocat -le fruit- en robe) qui plaide. Dans un coin, le procureur, représenté comme un magistrat en robe, bailloné, et assis sous un portrait de Rachida Dati. L'avocat dit : « Mon client ayant voté Sarkozy, il est la légitimité suprême et vous ordonne de le relaxer. »

Vivement ma prochaine permanence aux comparutions immédiates. En plus, si le procureur me contredit sur ce point, je le dénonce à la Chancellerie.

mardi 4 septembre 2007

SOS ego

Quelqu'un aurait-il la possibilité de me faire parvenir un enregistrement de la rubrique "A la une du web" de David Abiker sur France Info ce matin, qui parlait de votre serviteur ? Le site de la radio ne propose pas de rediffusion de la rubrique, ce qui me semble un oubli plus que fait à dessein, puisque la rubrique fait partie de la microradio Multimédia.

Mes chevilles vous remercient d'avance.

lundi 3 septembre 2007

Préparons nous à être champions du monde

Non, ce billet ne parlera pas d'athlétisme, mais de rugby. La coupe du monde commence vendredi et durera jusqu'au 20 octobre.

J'ai déjà exprimé en ces lieux l'enthousiasme que provoque chez moi ce sport, et j'espère que ce sera l'occasion pour ceux d'entre vous qui ne le connaissent pas de le découvrir, car c'est un sport spectaculaire, haletant, avec parfois des fins de partie d'un suspens à la limite du soutenable. Et le tout dans un esprit de fête dans le public à des années lumières des ambiances délétères de certains matchs de football européens.

Je compte donc reprendre mes billets sur les drapeaux de nos adversaires pour leur rendre hommage et se cultiver au passage.

Mais j'ai parfaitement conscience que le principal obstacle pour que des néophytes découvrent ce sport est la complexité des règles.

Voilà où se situe le lien avec le thème habituel de ce blogue : les règles d'un sport, c'est du droit. Et ici, elles ont connu la même évolution, toutes proportions gardées, avec notre droit, à savoir une complexité par empilage de textes, car elles doivent concilier deux intérêts parfois divergents : la fluidité et le caractère spectaculaire du jeu (ou dit autrement : le plaisir des spectateurs) d'une part, et de l'autre la sécurité physique des joueurs. Car le rugby est un sport de contact, et la poussée de croissance des joueurs ces quinze dernières années (mais que mettent-ils dans les céréales, dans l'hémisphère sud, se demanderait Candide ?) a rendu encore plus nécessaire ces règles de sécurité. N'oublions jamais Max Brito, joueur de l'équipe de Côte d'Ivoire, qui lors du match ayant opposé son équipe aux Iles Tonga, a fini paralysé.

Et je vous propose un défi pour un juriste : vous expliquer l'essentiel des règles en moins de dix minutes de lectures. Les fioritures et subtilités vous seront expliquées au cours des matchs, la tradition étant que les commentaires soient toujours assurés par un journaliste sportif assisté d'un ancien international (c'est ainsi qu'on appelle les joueurs ayant revêtu le maillot de l'équipe de France) qui connaît les règles comme sa poche. Pour le reconnaître, c'est simple : c'est lui qui a le plus fort accent du sud.

C'est parti.

Le match se joue en deux mi temps de 40 minutes chacune. L'équipe qui a marqué le plus de points a gagné.

Les points se marquent au pied ou en marquant des essais. Un essai, qui est la façon reine de marquer des points, consiste pour un joueur d'une équipe à porter le ballon au-delà de la ligne de fond du terrain de jeu, appelée ligne d'essai, et de la poser dans la zone d'en-but en exerçant une pression de haut en bas (on parle d'aplatir un essai). Si l'arbitre estime que le joueur avait perdu le contrôle de la balle avant que cette pression ne soit exercée, l'essai sera refusé. L'essai vaut cinq points.

Au pied, on peut marquer des points en passant d'un coup de pied le ballon entre les poteaux en forme de H situés au centre de la ligne d'essai, au dessus de la barre transversale. Cela peut être fait à trois occasions.

Après un essai, l'équipe qui a marqué peut tirer un coup de pied au niveau du point où l'essai a été marqué. Un essai en coin est donc difficile à transformer, un essai entre les poteaux étant une formalité à transformer. Il y a donc une incitation à marquer le plus au centre possible, ce qui est plus difficile. Et c'est pourquoi vous verrez parfois des joueurs continuer à courir dans la zone d'en-but pour essayer d'obliquer vers les poteaux, afin de faciliter le travail du botteur. Symboliquement, lors d'une transformation, l'équipe qui a encaissé abandonne le terrain aux adversaires et se regroupe dans son en-but. La transformation donne deux points ; un essai transformé vaut donc en tout 7 points.

En cours de jeu, une équipe peut tenter de faire passer la balle entre les poteaux. On appelle cela un drop, car le joueur lâchera (en anglais to drop) la balle qui devra toucher le sol avant d'être frappée. C'est une façon de profiter d'une domination passagère en face des poteaux, quand l'équipe pense qu'elle n'aura pas le temps où les moyens de franchir la défense pour aller à l'essai. La finale de la coupe du monde de 1995 (Afrique du Sud 15 - Nouvelle Zélande 12) s'est réglée à coups de drops.

Enfin, une équipe qui a subi une faute volontaire bénéficie d'une pénalité, qu'elle peut jouer de différentes façons, l'une d'entre elles étant de frapper un coup de pied arrêté pour le passer entre les poteaux. Pendant longtemps, une spécialité de la France était de commettre de telles fautes face à ses poteaux, surtout quand l'Angleterre jouait. Cela s'est payé par sept années sans battre l'Angleterre, jusqu'en petite finale de coup du monde 1995 (19-9). La pénalité réussie vaut trois points. On appelle les coups de pieds à trois points (drops et pénalités) des "buts", souvenir du fait que le rugby descend du football.

Un temps de jeu se déroule ainsi : l'équipe qui a la balle progresse vers l'en-but adverse jusqu'à ce que le porteur de la balle soit plaqué (ou qu'il marque un essai, bien sûr). Il doit alors aussitôt lâcher la balle. Un regroupement se forme, ses partenaires protégeant la balle pendant qu'un autre s'en saisit et la passe aux autres membres de l'équipe pour qu'ils reprennent la progression.

Le porteur de la balle ne va pas toujours jusqu'au contact : il peut passer la balle à un partenaire (toujours en arrière) avant d'être plaqué (auquel cas il ne doit pas l'être, le plaquage à retardement est une faute punie d'une pénalité : seul le porteur de la balle peut être touché), il peut aussi s'en débarrasser d'un coup de pied, soit visant uniquement à faire reculer les adversaires quitte à leur rendre la balle, soit en tapant dans l'espoir de la récupérer lui-même, par un coup de pied rasant (un coup de pied "à suivre") ou en parabole, qui monte haut mais progresse peu (une "chandelle").

Le jeu continue jusqu'à ce qu'une faute soit sifflée ou que la balle sorte de l'aire de jeu par le côté, une "touche".

La touche se joue au niveau où la balle est sortie du terrain, sauf si elle sort directement d'un coup de pied sans toucher le terrain, auquel cas la touche est jouée de là où le coup de pied a été frappé. Exception à l'exception (je vous disais qu'on baigne en plein droit) : si le coup de pied a été tiré dans une zone située entre la ligne d'en-but de l'équipe et une ligne tracée à 22 mètres (la "ligne des 22") : c'est une zone où les règles favorisent quelque peu la défense, et il y a tout intérêt parfois à se débarrasser de la balle en l'envoyant loin en touche, ce qui permet à une équipe aux abois de se regrouper et d'éloigner le danger. Les deux équipes s'alignent à cinq mètres du bord, un joueur de l'équipe n'ayant pas envoyé le ballon en touche la lance entre les deux lignes qui vont tenter de la récupérer. L'avantage de l'équipe qui lance la balle est qu'elle sait si le lancer va être en profondeur, ou destiné aux premiers joueurs, ce que l'autre équipe découvre lors du lancer.

Une faute involontaire est sanctionnée d'une mêlée. Huit joueurs de chaque équipe (les plus gros gabarits, qui portent le numéro 1 à 8 au début du jeu) forment un dôme, et l'un des joueurs, le demi de mêlée (n°9) lance la balle dans les pieds de ses partenaires, qui vont tenter de progresser en faisant reculer la mêlée adverse, et si elle reste inamovible, feront sortir la balle par l'arrière où elle sera saisie et passée à la main comme après un regroupement. L'avantage pour l'équipe qui bénéficie de la mêlée est qu'en principe, elle va conserver la balle et relancer le jeu alors que huit des plus gros joueurs adverses seront temporairement immobilisés : cela laisse de la place pour passer. Ca ne marche pas à tous les coups, loin de là, puisque l'équipe adverse est en nombre identique : la mêlée donne un petit avantage, car elle sanctionne une faute involontaire. La faute involontaire la plus classique est "l'en avant", souvent prononcé "ininvin" par le commentateur ancien rugbyman : la balle a échappé des mains du porteur et progressé vers l'en-but adverse.

Une faute volontaire est punie d'une pénalité. La pénalité laisse un choix à l'équipe qui en bénéficie. Elle peut tenter de tirer un coup de pied à l'endroit où la faute a été commise pour le passer entre les poteaux et marquer ainsi trois points. Elle peut la jouer à la main : l'équipe pénalisée recule de dix mètres, l'équipe qui bénéficie de la pénalité se replace à sa guise, et le jeu reprend quand la balle, posée au point où la faute a été commise, est ramassée. C'est le signe d'une équipe dominatrice, ou aux abois en fin de partie quand elle est menée, qui préfère tenter l'essai, trois points ne les sauvant pas. Enfin, l'équipe bénéficiant de la pénalité, si elle est trop loin pour tenter de la placer entre les poteaux, peut envoyer d'un coup de pied la balle en touche : la touche est jouée normalement, sauf que l'équipe bénéficiant de la pénalité garde la possession de la balle. On parle de "pénaltouche".

Voilà, vous savez l'essentiel. Un mot encore sur le maul : il arrive que le porteur de la balle, saisi par un adversaire, reste debout. Auquel cas ses partenaires vont se lier à lui pour pousser et continuer la progression, tandis que d'autres joueurs adversaires vont se lier pour bloquer la progression. La balle doit être sortie du maul dès qu'il cesse de progresser ou s'effondre, sinon, l'équipe en défense bénéficie d'une mêlée.

Le reste vous sera expliqué au cours des matchs par les commentateurs.

Pourquoi ne pouvez-vous qu'aimer le rugby ?

Parce que le rugby est un sport collectif par essence. Le meilleur joueur du monde n'est rien sans ses 14 compagnons. Pas d'individualités ni d'ego dans ce sport. Il y a une beauté dans le sacrifice symbolique du jeu : quand un joueur tombe, un autre surgit et reprend le combat.

Vous noterez aussi une différence essentielle avec le football dans l'arbitrage. Dans le football, l'arbitre est silencieux, siffle et sanctionne. Il est souvent contesté, du coup, sa décision n'étant pas toujours comprise par les joueurs. Au rugby, l'arbitre ne cesse de parler aux joueurs. Il avertit sans cesse, et commente pour les joueurs qui ne voient pas. Il dira à ce joueur qu'il est mal placé, sommera tel autre de lâcher la balle, avertira que la mêlée tourne sur elle même, ce qui est interdit. Si l'incident ne se règle pas très vite, il sifflera la faute. Qui ne sera jamais contestée. De plus, il existe la règle de l'avantage : la faute n'est pas sifflée si l'équipe adverse peut tirer profit de la situation de jeu. Imaginons qu'après un en-avant, un joueur adverse ramasse la balle et court marquer un essai : faut-il siffler et donner une mêlée à la place à son équipe ? Le jeu ne s'interrompt que si c'est nécessaire.

Le suspens fréquent : il vient de ce système de points, finement calculé. Un essai non transformé est contrebalancé par deux buts à trois points, mais pas un essai transformé. Des remontées spectaculaires peuvent avoir lieu, et un match n'est jamais gagné avant le coup de sifflet final.

Enfin, dans ce sport, quand un joueur italien tombe, il se relève immédiatement et reprend le jeu. Ca repose.

Deux exemples qui sont des souvenirs inoubliables.

Le 1er mars 1997, lors du Tournoi des Cinq Nations (devenu depuis 2000 les Six Nations, tournois annuel qui oppose chaque année à la fin de l'hiver les équipes d'Angleterre, d'Ecosse, du Pays de Galles, d'Irlande, d'Italie et de France), la France affrontait l'Angleterre chez elle, à Twickenham. A la mi temps, la France était menée 20 à 6. Et soudainement, renversement de situation (la France est souvent brillante dans les 20 dernières minutes de ses matchs), la France remonte, Christophe Lamaison réalise un Full House, c'est à dire marque des points de toutes les façons possibles (1 essai, 2 transformations, une pénalité et un drop), et la France gagne 23 à 20. Pour la petite histoire, l'Ecosse recevait l'Irlande au même moment. Quand le speaker a annoncé dans les hauts parleurs que l'Angleterre avait été vaincue, le public, écossais et irlandais confondus, ont acclamé l'exploit du XV de France.

Le 31 octobre 1999 (les amateurs de rugby ont la chair de poule à la mention de cette date), en demi finale de la coupe du monde de rugby, la France affronte les All Blacks de Nouvelle Zélande. Elle était donnée archi perdante, et c'est ce qui l'a sauvée. Elle est allée jouer sans pression, crânement. Ca a mal commencé, il faut le dire. La Nouvelle Zéalnde avait un joueur exceptionnel, Jonah Lomu, dont la carrière a pris fin prématurément pour des problème rénaux. Jonah Lomu, 1m96, 120kg, une fois lancé, ne pouvait pas être arrêté. C'était impossible. Et puis, le déclic. Si les Néo Zélandais sont un mur infranchissable, il faut passer au dessus. Les joueurs ont réussi à perturber le jeu des All Blacks, à les faire douter, et à aligner les points face à des Blacks totalement perdus.

Histoire de terminer sur un frisson, et une illustration de ce que je vous ai expliqué, voici les points marqués lors de ce match, commentaires en Anglais. Les Français jouent en bleu, les néo zélandais en noir.

Dans l'ordre : Course de Dominici, plaqué à quelques mètres de la ligne d'en-but. Un regroupement, la balle ressort rapidement, et essai de Lamaison. Notez comme il oblique sa course afin d'aplatir entre les poteaux : c'est lui qui doit tirer la transformation après.

Essai de Lomu sur une charge que cinq défenseurs ont été impuissants à arrêter (l'essai part d'un regroupement, passe à un joueur qui transmet à Lomu qui avait anticipé et était déjà à pleine vitesse).

Touche de l'équipe de France, qui est dans ses 22 mètres. Elle récupère la balle, tente un mole qui ne progresse pas. Elle ressort la balle, et s'en débarrasse d'un coup de pied. L'arrière (n°15) des All Blacks commence une course avec Jonah Lomu. Jonah Lomu, qui n'est pas encore à pleine vitesse, évite le choc avec les Français en rendant la balle à son partenaire, franchit la ligne française, récupère la balle de son partenaire, et est lancé : essai.

Série de regroupements français, en face des poteaux, qui font reculer les All Blacks. Lamaison est alors en position idéale pour un drop.

Encore un regroupement français. Un joueur néo zélandais commet une faute dans le regroupement, l'arbitre signale une pénalité (bras levé en diagonale vers le camps français qui en bénéficie) mais laisse jouer l'avantage. Lamaison repasse un drop. La pénalité ne sera pas sifflée. Si Lamaison avait raté son drop, la France n'ayant pas tiré avantage de la situation, Lamaison aurait pu retirer son coup de pied quasiment du même endroit.

Regroupement français quelque peu chahuté. Galthié sort la balle, et voyant un espace vide dans la défense All Black, tape une chandelle, que Dominici suit. Le rebond de la balle (le ballon ovale rend ces rebonds imprévisibles) est providentiel et Dominici à pleine vitesse n'a qu'à tendre le bras pour l'attraper, et court marquer l'essai. La France repasse devant au score.

Maul français qui progresse (du jamais vu face aux Blacks dans cette coupe du monde), finalement arrêté à cinq mètres de la ligne d'en-but des Blacks. La balle est alors ressortie, passe à Lamaison, qui tire une chandelle d'une précision de tireur d'élite, que Richard Dourthe va aplatir dans le dos des All Blacks qui ne s'attendaient pas à ce que les Français passent au dessus.

Mêlée, introduction néo zélandaise. Ils conservent la balle, font une série de passe pour lancer une attaque de l'autre côté du terrain. Un des joueurs néo zélandais lâche la balle. Christophe Lamaison tape la balle qui file au ras du sol (coup de pied à suivre). Deux français s'élancent : le premier est Olivier Magne, qui porte un casque (merci à bertrand en commentaires de m'avoir rappelé qui c'était), et relance la balle d'un coup de pied tandis que le joueur le plus rapide de l'équipe, le "lévrier palois" Philippe Bernat Salles rattrape la balle et aplatit l'essai. Le renversement a été si rapide qu'il n'y a aucun joueur adverse dans la trajectoire. Notez quand même que Wilson, l'arrière néo zélandais était sur le point de rattraper Bernat Salles, surtout du fait que ce dernier devait ralentir pour ramasser la balle, mais quand même, quel sprint...

Série de regroupements néo-zélandais tous près de l'en-but français. La balle part vers l'autre côté du terrain, ce côté étant trop occupé. Wilson reçoit la balle et alors qu'il se prépare à la passer, voit un trou dans la défense qui le mène droit entre les poteaux. Grosse erreur défensive française.

Mais c'est trop tard et le match se termine sur le score de 43 à 31 (le résumé ne montre ni les transformations - toutes réussies pour la France, 2 sur 3 pour les néo zélandais- et les pénalités - 4 pour la Nouvelle Zélande, 3 pour la France).

La France n'a jamais gagné la coupe du monde, mais a joué deux fois la finale (1987, perdue face à la nouvelle Zélande, 1999, perdue face à l'Australie). Cette fois, c'est la bonne.

A vendredi pour le début des hostilités.

Ajout 14h30 : on me signale en commentaire la très bonne page faite par TV5 qui explique en image les règles principales. C'est très clair et bien fait.

vendredi 31 août 2007

L'enfer des audiences civiles

Un avocat plaide devant un juge. Derrière le juge, une araignée a eu le temps de tisser une toile gigantesque et pend paresseusement à son fil. L'avocat dit : « Après ces brèves observations préliminaires, j'en viens à l'affaire qui nous occupe aujourd'hui. Mais auparavant... »

Je dédie ce dessin à ce confrère qui a plaidé vingt deux minutes dans un dossier ou son client n'intervenait que pour que le jugement lui soit opposable.

jeudi 30 août 2007

Un procureur convoqué à la chancellerie

Dans le bureau du garde des sceaux, Rachida Dati, assise, fait face à un procureur, debout. D'une attitude décontractée, elle lui dit : « C'est pourtant simple : à l'audience, vous êtes libre d'approuver la politique du gouvernement... »

L'événement est assez rare et notable pour mériter plus qu'un dessin quelque peu moqueur.

Rappelons les faits : lundi dernier, à l'audience des comparutions immédiates, le procureur d'audience, Philippe Nativel, a requis qu'il ne soit pas fait application de la peine plancher de quatre années encourue par le prévenu, poursuivi pour cession de stupéfiants en récidive. Pour la petite histoire, il a requis un an ferme, le tribunal a prononcé huit mois, qui font trente deux mois avec la révocation du sursis antérieur.

Là n'est pas le problème, car la loi du 10 août 2007 prévoit expressément qu'on puisse écarter la peine plancher à certaines conditions appréciées par la juridiction.

Le problème vient de propos qu'il aurait tenu à l'audience et qui ont été rapportés par un journaliste de l'Est Républicain présent à l'audience :

Je ne requerrai pas cette peine plancher de quatre ans car les magistrats ne sont pas les instruments du pouvoir. Ce n'est pas parce qu'un texte sort qu'il doit être appliqué sans discernement.

Ces propos lui ont valu une convocation à la Chancellerie, autre nom du ministère de la justice, que l'on utilise quand seuls les services judiciaires sont concernés (le ministère de la justice gère aussi l'administration pénitentiaire). Il n'est pas venu seul, le Procureur de la République de Nancy et le Procureur Général étaient du voyage. Mon dessin est donc incomplet, il est aussi faux car ce n'est pas Rachida Dati qui l'a reçu mais le directeur des services judiciaires et le directeur adjoint de cabinet du garde des sceaux.

Pourquoi cet aréopage, et de quel droit cette convocation ?

Parce que la magistrature se divise en deux : il y a les magistrats du siège, c'est à dire les juges (ils restent assis quand ils parlent), et la magistrature debout, c'est à dire les procureurs, qui se lèvent pour parler. Les procureurs représentent la société, engagent les poursuites, et requièrent l'application de la loi à l'audience, c'est à dire forment une demande, au même titre que les avocats présents, le tribunal étant souverain dans les suites à donner. Il peut même aller au-delà des réquisitions du parquet, le seul maximum étant fixé par la loi.

Alors que les juges sont rigoureusement indépendants, les procureurs ne le sont rigoureusement pas. Le parquet est hiérarchisé, et chacun de ses membres, que j'appellerai "procureurs" pour faire simple, sont interchangeables. Le parquet est indivisible, a-t-on coutume de dire : chaque procureur le représente en entier. On appelle aussi le parquet le ministère public. Ces deux termes sont synonymes, ministère public étant plus utilisé pour désigner l'ensemble fonctionnel, le parquet désignant plutôt l'ensemble des procureurs d'un tribunal. Ainsi, tous mes dossiers pénaux sont intitulés : (nom du client) contre ministère public. Le ministère public est mon adversaire, peu importe que je sois opposé à un procureur du parquet de Thionville ou un avocat général du parquet général de Saint Denis de la Réunion.

La hiérarchie du parquet est simple : dans chaque ressort de cour d'appel, il n'y a qu'un seul grand Manitou, le procureur général, et les procureurs de la République sont ses prophètes.

Voyons plus en détail. Les parquets suivent la carte judiciaire. Pour une cour d'appel, il y a un parquet, qu'on appelle parquet général, dirigé par le procureur général. Il est composé de substituts généraux, qui ont des tâches administratives, et des avocats généraux, qui plaident aux audiences, tout particulièrement aux assises. Philippe Bilger est ainsi avocat général à la cour d'appel de Paris, dirigé par Laurent Le Mesle, qui est donc son supérieur hiérarchique. Le procureur général peut décider d'aller siéger à n'importe quelle audience de la cour d'appel et de requérir aux côtés ou à la place de n'importe quel avocat général, discrétionnairement. C'est ce qui s'est passé lors du procès en appel de l'affaire d'Outreau, ou le procureur général de l'époque, Yves Bot, a siégé en personne, et fait une conférence de presse exprimant ses regrets aux accusés alors même que la cour n'avait pas fini de délibérer. Il ne peut par contre aller siéger devant le tribunal de grande instance, mais peut donner des instructions écrites au procureur de la République pour qu'il aille requérir en personne.

Le procureur général dirige donc son parquet général, mais en plus il est le chef des procureurs de la République, qui, eux, dirigent les parquets des tribunaux de grande instance du ressort, composés de substituts et de procureurs adjoints (je vous fais cadeau des vice-procureurs et premier vice-procureurs, c'est une question d'avancement hiérarchique et non de droit judiciaire). C'est donc lui qui dirige la politique pénale dans son ressort, et qui notamment est en charge de la notation des procureurs de son secteur.

Au dessus des procureurs généraux, il y a le Très Grand Manitou : le Garde des Sceaux. C'est lui (en l'occurrence, elle) qui unifie au niveau national la politique pénale, par des circulaires distribuées aux parquets (généraux, avec copie aux procureurs de la République, et copie pour information aux juges du siège) et donnant des instruction pour appliquer telle loi, et fixant des priorités (par exemple : poursuivre systématiquement toutes les violences conjugales). Le Garde des Sceaux est enfin l'autorité de poursuite des magistrats du siège (il saisit le Conseil Supérieur de la Magistrature, CSM, qui prononcera la sanction) et l'autorité qui sanctionne les magistrats du parquet (le CSM ne donnant qu'un avis consultatif sur la sanction). C'est ainsi que le précédent Garde des Sceaux s'est sérieusement posé la question de savoir si le fait que le célèbre juge d'instruction qui a instruit l'essentiel de l'affaire d'Outreau était désormais procureur au parquet de Paris lui permettait de prononcer lui même une sanction sans passer par le CSM. La réponse est évidemment non, la faute supposée ayant été commise en qualité de juge, ce sont les règles applicables aux juges qui doivent être suivies.

Mais (car en droit, il y a toujours un mais), un procureur a beau être procureur, il n'en est pas moins magistrat. Le parquet est la magistrature debout, pas la magistrature couchée. S'il est tenu, à peine de sanction disciplinaire, d'obéir à ses chef, il en conserve néanmoins une parcelle de liberté à laquelle les procureurs sont farouchement attachés. Cette liberté est joliment résumée par une formule bien connue des étudiants en droits : « A l'audience, la plume est serve mais la parole est libre. »

C'est à dire que le procureur d'audience est tenu de suivre les instructions écrites qu'il aura reçues, mais peut parfaitement, sans que personne ne lui en fasse le reproche, s'en désolidariser oralement à l'audience et dire quelle serait, en son âme et conscience la meilleure application de la loi.

Plus prosaïquement, ce principe est consacré par la loi à l'article 33 du code de procédure pénale.

Si un procureur pense qu'Untel est innocent, mais que sa hiérarchie lui ordonne de le poursuivre, il devra rédiger et signer l'acte de poursuite (cédule de citation, réquisitoire introductif...). Mais une fois à l'audience, il pourra dire « J'ai poursuivi Untel car tels étaient les ordres que j'ai reçus ; mais je reste convaincu comme je l'étais alors qu'il n'est pas l'auteur des faits, et pour ma part, je requiers la relaxe ».

Vous voyez, ce n'est pas une question d'ego ou de susceptibilité professionnelle. Derrière, il y a une garantie des libertés.

Revenons en à notre procureur rechignant à être un instrument.

Le Garde des Sceaux, le Très Grand Manitou, a estimé qu'en tenant les propos rapportés par la presse, il a outrepassé cette liberté en critiquant ouvertement la politique pénale du gouvernement alors qu'il est en charge de faire appliquer la loi selon les directives du gouvernement. Comme chef du parquet, elle a donné l'ordre à l'intéressé de venir s'expliquer. Comme il s'agit d'un procureur, son chef direct, le procureur de la République, est du voyage. Et comme le Procureur Général est le grand chef du parquet, et est en charge de la notation des parquetiers, lui aussi aura pu tester le TGV Est. Car sans aller jusqu'aux poursuites disciplinaires, il est loisible d'apprendre à un procureur le respect dû à ses supérieurs en lui confiant un de ces postes ennuyeux à mourir administratifs le tenant éloigné des prétoires, sa liberté de parole étant ainsi réservée à son assistant de justice.

L'intéressé niant avoir tenu les propos qui lui ont été prêtés, et précisant qu'ils ne reflètent pas ceux qu'il a pu tenir à l'audience, la Chancellerie a fait savoir qu'aucune poursuite ne serait engagée. L'affaire serait close, et le procureur général de Nancy, que j'ai entendu à la radio cet après midi, semble apporter son soutien inconditionnel à son procureur, en disant en gros que d'une part, il nie avoir tenu ces propos et que lui croit la parole de ses procureurs, et qu'en tout état de cause, la liberté de parole des procureurs doit être respectée. Donc, ce procureur ne devrait pas être muté à la révision des registres d'état civil.

Que penser de cette affaire ?

Pour tout dire, elle ne me plaît pas. Il y a dans l'attitude de la Chancellerie un message adressé à tous les parquetiers : nous vous surveillons. Obéir à nos instructions ne suffit plus, si des propos tenus à l'audience nous parviennent et nous déplaisent, ce sera un voyage à Paris avec le chef et le chef du chef, qui seront ravis de perdre ainsi une journée et se souviendront de votre nom le jour des notations. A bon entendeur, silence.

La liberté de parole à l'audience est pour moi fondamentale, c'est une pierre angulaire du procès. Pouvoir tout dire n'est pas le droit de dire n'importe quoi, bien sûr, et il y a des propos qui peuvent entraîner des sanctions disciplinaires ou pénales, pour eux comme pour nous avocats. Mais là, ces propos fussent-ils établis, je ne pense pas que cette limite eût été franchie. En tant qu'avocat, je veux que le procureur puisse émettre des réserves sur les conséquences qu'aurait l'application d'une loi, que ce soit au cas d'espèce par accident, ou de manière générale parce qu'un texte lui semble pernicieux. Le respect dû à la loi suppose que la loi puisse être jugée. En France, ce n'est pas le cas, nous n'avons pas de contrôle de constitutionnalité digne de ce nom. J'apprécie l'idée que face à une loi vraiment dangereuse (ce que la loi sur les peines planchers n'est pas selon moi), le tribunal pourra entendre le tocsin résonner depuis le banc du procureur et joindre son carillon à celui de la défense. C'est un allié de poids dans cette hypothèse, je ne veux pas qu'on le baillonne, même si je sais que le plus souvent, il dira des choses qui ne me conviendront pas. J'en fais mon affaire.

Là où l'attitude du gouvernement confine à l'aveuglement, c'est qu'il ne réalise visiblement pas que pour que ses procureurs gardent une vraie autorité à l'audience, et puissent requérir avec efficacité l'application des lois voulues par le gouvernement, il faut que le tribunal sache que quand il le fait, c'est librement et en conscience. En faire les Beni oui-oui du gouvernement serait se tirer une balle dans le pied.

En somme, celui qui a perdu une bonne occasion de se taire n'est pas celui qu'on croit.

mercredi 29 août 2007

Question de principes

Un avocat reçoit son client dans son cabinet. Il est donc en civil, sa robe accrochée au mur. Il est assis à son bureau dans une position désinvolte. En face de lui, un client, assis sur sa chaise. L'avocat dit  « Rassurez-vous. Ce n'est pas parce que vous n'avez pas beaucoup d'argent que je ne vais pas le prendre...»

mardi 28 août 2007

Non lieu

Un débat s'est engagé en commentaires sous mes billets traitant de la démence sur la pertinence du terme de "non lieu", pouvant être perçu comme : "il ne s'est rien passé, c'est un non événement, ceci n'a pas eu lieu". C'est d'ailleurs ce sens que semble lui donner le président de la République dans une récente allocution.

Pourtant l'absurdité du propos est manifeste : quand un non lieu est prononcé parce que l'auteur des faits était au moment de son acte atteint d'un trouble psychique tel qu'il a aboli son discernement, personne ne dit ni ne laisse entendre que les faits n'ont pas eu lieu.

Et déjà on parle de changer le terme.

Etant de ces naïfs qui croient que quand le peuple ne comprend pas un mot, il ne faut pas le changer mais le lui expliquer, et ainsi l'élever plutôt que s'abaisser, voyons donc ce qu'est en réalité un non lieu.

Le terme vient de l'article 177 du code de procédure pénale (la version du haut, celle du bas entrera en vigueur le 1er janvier 2010).

Nous sommes dans l'hypothèse où une instruction judiciaire a été ouverte, c'est à dire que le procureur ou la personne se disant victime d'un crime ou un délit ont demandé à un juge d'instruction de mener une enquête en toute indépendance (il instruit à charge et à décharge : sa mission est la recherche de la vérité et non de fournir des arguments à celui qui l'a saisi). Il a pour cela des vastes moyens juridiques et des moyens matériels plus modestes. Il a à sa disposition la police judiciaire et la gendarmerie, qu'il peut charger d'enquêter sur le terrain, de rechercher et d'entendre des témoins ; l'acte par lequel il leur confie ces missions s'appelle une commission rogatoire (il commet les policiers pour agir à sa place, en leur priant, en latin rogare, d'accomplir telle et telle diligence qu'il décrit). Il peut interroger lui même les suspects, les victimes et les témoins. Au besoin, il peut restreindre la liberté du suspect, voire l'incarcérer afin de s'assurer qu'il ne s'enfuit pas, ne détruit pas des preuves ou ne fait pression sur les témoins ou la victime elle même. Il peut enfin solliciter des expertises : psychologiques, mais aussi balistiques pour identifier l'arme du crime, autopsie pour déterminer les causes de la mort, génétique pour identifier l'auteur d'un viol, etc...

Quand le juge estime avoir terminé son enquête, il en avise les parties, par courrier ou verbalement à l'issue d'un interrogatoire. Cet avis, qui porte le doux nom "d'article 175", comprendre du Code de procédure pénale, donne 20 jours à ces parties[1] pour demander un acte d'instruction supplémentaire : entendre telle personne pour lui poser telles questions, une contre expertise, faire une confrontation, etc. Le juge accomplit ces actes, ou rend une ordonnance refusant de les accomplir en expliquant pourquoi, ordonnance dont il peut être fait appel. Si aucun acte n'est demandé, ou que les demandes d'acte ont été traitées, l'instruction est close. Toute nouvelle demande d'acte est désormais irrecevable, et le dossier est transmis au parquet. Un procureur, le procureur régleur, va réviser tout le dossier et prendre des réquisitions, généralement très longues, qui disent, pour simplifier :

« L'instruction a établi les faits suivants (suit le récit détaillé avec le renvoi aux pages du dossier sur lesquelles s'appuient la démonstration du procureur). Elle a cerné les éléments suivants sur la personnalité des mis en examen et, éventuellement des parties civiles : (suit le résumé de la situation personnelle des parties, et des éventuelles expertises psychiatriques ou psychologiques). Le parquet en conclut qu'il y a des charges suffisantes contre Untel, Truc et Bidule d'avoir commis telle infraction. Par contre, la participation de Tartempion n'est pas établie. Il demande donc au juge d'instruction de renvoyer Untel Truc et Bidule devant le tribunal correctionnel (ou les mettre en accusation devant la cour d'assises si les faits sont un crime) et de dire n'y avoir lieu à suivre contre Tartempion. »

Ce réquisitoire s'appelle réquisitoire définitif, par opposition au réquisitoire introductif qui a saisi le juge d'instruction au début, et au réquisitoire supplétif qui a élargi sa mission en cours d'instruction si des faits nouveaux ont été découverts.

Rien n'empêche, même si l'usage est rare, aux avocats de déposer également un argumentaire du même type défendant leur point de vue. On ne parle pas de réquisitoire, terme réservé au parquet, mais de conclusions. L'avocat de Tartempion aura intérêt à expliquer pourquoi il estime que son client est hors de cause, l'avocat de la partie civile à exposer pourquoi il estime que les mis en examen doivent bien être jugés. L'idéal est de les déposer dans le délai de 20 jours, afin qu'elles soient jointes au dossier, pour que le procureur régleur en ait connaissance. Ca met un peu de contradictoire là où il n'y en a toujours que trop peu, et on ne peut pas connaître la position du parquet avant qu'il ait requis. Autant essayer de le rallier à son point de vue, car c'est alors un allié de poids.

Une fois que le réquisitoire est revenu avec le dossier, le juge prend à son tour une ordonnance, dite ordonnance de règlement, où il décide des suites à donner à son dossier. Là aussi en toute indépendance même s'il est fréquent qu'il suive purement et simplement les réquisitions du parquet, son ordonnance n'étant qu'un copier-coller des réquisitions, ou y renvoyant purement et simplement par la mention "adoptons les motifs du réquisitoire définitif".

C'est cette ordonnance de règlement qui peut être de non lieu.

Le juge d'instruction, après j'insiste sur ce point, plusieurs pages d'explications détaillées, conclut qu'il n'y a pas lieu de poursuivre une procédure au pénal contre telle personne.

Cela peut résulter de plusieurs causes différentes.

Soit les faits ne sont pas établis ou ne constituent pas une infraction. C'est là que le non lieu se rapproche le plus du mauvais sens donné par notre président. Cela arrive assez fréquemment, les juges d'instructions ayant régulièrement à connaître de plaintes que la courtoisie appelle "de fantaisie". Entre le plombier qui a mal fixé un chauffe-eau, le voisin qui empoisonne par des radiations émises par sa télévision, le concierge qui a volé son ticket gagnant du loto mais sans aller réclamer les fonds, juste pour se venger du locataire du sixième, etc. Il y a aussi des personnes qui peuvent avoir réellement été victimes, mais l'instruction ne parvient pas à établir de preuves (une subornation de témoin, par exemple, le témoin étant devenu la maîtresse de celui pour qui elle a témoigné, mais rien ne prouvant la collusion préalable). Dans ces cas, oui, c'est terriblement douloureux pour les victimes. La justice n'est pas omnipotente, et elle a trouvé ici ses limites, la présomption d'innocence pouvant protéger parfois des coupables.

Soit les faits sont établis, mais l'auteur n'a pu être identifié. C'est ainsi que s'est piteusement terminée le 3 février 2003 l'instruction de l'affaire dite "du petit Grégory".

Soit les faits sont établis, l'auteur identifié, mais les faits sont prescrits car trop anciens.

Soit enfin les faits sont établis, l'auteur identifié, les faits non prescrits mais il y a une cause d'irresponsabilité pénale, dont je vous rappelle la liste : la démence, la contrainte, l'erreur inévitable sur le droit, l'autorisation de la loi et le commandement de l'autorité légitime, la légitime défense, l'état de nécessité, et le défaut de discernement dû au très jeune âge (PAS la minorité, on parle ici d'enfants de moins de 10 ans).

Concrètement, les non lieu pour des causes extérieures à la personne que sont la contrainte (j'ai volé sous la menace d'une arme), l'erreur inévitable sur le droit (j'ai eu une autorisation administrative délivrée par erreur), le commandement de l'autorité légitime (j'ai fait feu sur l'ordre de mon supérieur), la légitime défense (j'ai tiré pour me défendre), et l'état de nécessité (j'ai grillé un feu rouge pour transporter une femme qui accouche à l'hôpital) sont rares. Il faut qu'ils soient particulièrement évidents (Ca arrive pour la légitime défense des forces de l'ordre). Sinon, s'agissant d'une appréciation des faits autant que du droit, les juges d'instruction préfèrent, et c'est compréhensible, renvoyer l'affaire à la juridiction de jugement, en principe collégiale, pour qu'il en soit débattu publiquement, toutes les parties réunies. Peut être que la mise en place des collèges de l'instruction changera cela, mais je pense que les juges d'instruction continueront à estimer que leur rôle n'est pas de trancher sur ces questions de fond, mais de fournir à la juridiction de jugement les éléments lui permettant de décider en connaissance de cause.

En revanche, l'irresponsabilité pénale et le défaut de discernement sont généralement établis lors de l'instruction, par des expertises pour la première et le dernier. Renvoyer un dément devant une juridiction de jugement, ou pire encore un jeune enfant, étant un traumatisme inutile, c'est à ce stade de l'instruction que la décision est le plus utilement prise.

Comme vous le voyez, un non lieu n'est pas un couperet qui tombe du ciel, sous forme d'une lettre sèche et brève. Il est rendu à l'issue d'une instruction qui a duré plusieurs mois, que les parties civiles ont pu suivre par l'intermédiaire de leur avocat et sur laquelle elles ont pu agir par des demandes d'actes, et prend la forme d'une ordonnance longuement motivée s'appuyant sur les éléments concrets du dossier dont chacun a pu être contesté. Enfin, ce non lieu peut être contesté par la voie de l'appel, mais si tous les experts ont conclu de la même façon, l'appel est illusoire.

Enfin, dernier point important : un non lieu n'est pas aussi définitif qu'une décision de relaxe ou d'acquittement (Rappel : il s'agit dans les deux cas d'un jugement de non culpabilité ; la relaxe est prononcée par le tribunal de proximité, de police ou correctionnel, l'acquittement par la cour d'assises) : une instruction conclue par un non lieu peut être réouverte en cas de découverte de faits nouveaux, mais seulement par le procureur de la République (à la demande de la victime, par exemple). Seule condition : que la réouverture ait lieu dans le délai de prescription (trois ans pour un délit, dix pour un crime), délai qui court à compter de la date de l'ordonnance de non lieu ou de l'arrêt de la chambre de l'instruction le confirmant.

Ainsi, dans l'hypothèse, soulevée par un commentateur, du simulateur assez brillant pour se faire passer pour un dément auprès d'experts psychiatres et qui bénéficie d'un non lieu, puis sort après quelques mois en hôpital psychiatrique, si on peut établir la simulation (soit que le faux dément s'en vante ouvertement, soit que les médecins de l'hôpital remarquent la supercherie puisque le faux dément n'a plus d'intérêt à continuer à simuler s'il veut sortir), il s'agira d'un fait nouveau pouvant fonder la réouverture de l'instruction. Mais là, on entre plus dans le domaine des fictions de TF1 (où les méchants sont aussi intelligents que méchants et que mauvais acteurs) que dans la réalité.

Notes

[1] ...qui sont les mis en examen et les témoins assistés, terme trompeur car il s'agit dans les deux cas de suspects, et les parties civiles, personne se prétendant directement victimes de l'infraction.

lundi 27 août 2007

La démence, concrètement

Une idée, déjà enterrée en 2003, vient donc de ressurgir comme un serpent de mer : juger les déments, ou pour ne pas caricaturer, organiser un procès public pour que la culpabilité soit symboliquement prononcée, mais la démence constatée et aucune peine prononcée. Pourquoi mobiliser des juges, un procureur, des avocats ? Pour les victimes, à qui le législateur pense tout le temps sous prétexte qu'on n'y penserait jamais.

J'ai repris un billet où j'expliquais ce qu'était la démence dans les textes, et comment elle était constatée. Mais rien ne vaut la pratique.

Une fois n'est pas coutume, je vais donc aller piocher dans des dossiers dans lesquels je suis intervenu, en restant assez vague sur les faits pour que les intéressés ne puissent être reconnus, d'autant qu'il s'agit d'affaires anciennes qui heureusement n'ont pas attiré l'attention de la presse.

Premier cas, une démence qui aboutit à un non lieu.

C'est la soeur de la personne concernée qui avait contacté le cabinet où je travaillais alors. Son frère, traité depuis des années pour schizophrénie, avait commis des vols à main armée, répétés dans un bref laps de temps (une matinée) qui auraient pu virer au drame, mais fort heureusement personne n'avait été blessé, et dans un contexte particulier : des faits identiques commis peu de temps auparavant dans la même ville avaient eux viré au drame et la presse ne parlait que de ça. Je précise qu'il s'était procuré son arme sans la moindre difficulté et en toute légalité dans un magasin de sport d'une chaîne bien connue.

Les faits en eux même faisaient lourdement soupçonner la bouffée délirante, terme médical indiquant les périodes où un schizophrène est en crise et agi de manière irrationnelle, et généralement sans garder le moindre souvenir -d'où l'amalgame dans le langage courant entre la schizophrénie et le dédoublement de personnalité : il n'y a pas dédoublement de personnalité mais un comportement désinhibé, potentiellement dangereux suivi d'amnésie. En effet, il avait agressé des personnes le connaissant fort bien, à visage découvert, et avait tenu des propos incohérents les accusant de comploter contre lui. Il avait été retrouvé chez lui par la police, vivant dans un tas d'immondices, tous les outils et produits de l'infraction posés en évidence à côté de son lit.

Il avait été mis en examen et placé en détention provisoire du fait de sa dangerosité, et une expertise médicopsychologique avait aussitôt été demandée. Très vite, les incidents se sont multipliés en détention, tant une maison d'arrêt n'est pas un endroit approprié pour un schizophrène. Il hurlait la nuit en appelant les gardiens, disant qu'il était menacé et frappé par ses codétenus. Il était régulièrement changé de cellule, mais les incidents se reproduisaient. Le directeur d'établissement mettait cela sous le coup de sa folie manifeste et ne voulait pas le mettre en isolement de peur d'un acte suicidaire. Au moins, les codétenus le surveillaient.

Jusqu'au jour où je suis allé consulter le dossier au greffe. Je débutais à l'époque et avais l'habitude de lire le dossier de A à Z. Y compris la cote C, celle de la détention et du contrôle judiciaire, qui ne contient que les documents administratifs relatifs à la détention provisoire, et une copie des actes judiciaires qui l'ordonnent, qui font doublon avec les pièces dites de fond.

Et là, j'ai vu avec horreur qu'une erreur de transcription avait été faite sur l'acte d'écrou. Au lieu de "vol avec violences", qualification retenue au moment de la mise en examen, la nature des faits indiquée était "viol avec violences". Un i qui faisait de notre client un "pointeur", un criminel sexuel, ce qui le désignait pour les autres détenus comme un sous homme, et en faisait un objet perpétuel de menaces et de violences. J'ai aussitôt alerté le juge d'instruction qui a pris contact avec le directeur d'établissement.

Il s'est avéré que la mention de viol avec violence avait, d'une façon ou d'une autre, filtré du greffe. Notre client disait être là pour braquage, et ses codétenus ont cru qu'il cachait la véritable raison de son incarcération pour éviter d'être un pointeur. Il était donc réellement menacé de mort par ses codétenus, et sans doute frappé la nuit, mais le directeur d'établissement mettait ses hurlements sous le compte de ses crises de schizophrénie.

Il a été aussitôt placé à l'isolement, jusqu'à ce que quelques semaines plus tard l'expertise confirme la schizophrénie évolutive et conclue à l'abolition du discernement. Aucune de ses victimes ne s'était constituée partie civile, sachant à qui elles avaient à faire, un non lieu a été rendu et une hospitalisation immédiate a eu lieu, le patient consentant à son hospitalisation.

Depuis, j'ai gardé l'habitude de lire les dossiers intégralement, même les cotes détention...

Deuxième cas, une démence qui va jusqu'au procès.

Une fois n'est pas coutume, j'étais du côté de la partie civile (ce qui m'arrive plus souvent que je ne le dis). Il s'agissait d'un viol sous la menace d'une arme. Il y avait eu expertise psychiatrique qui avait confirmé là aussi la schizophrénie, mais exclu que les faits aient été commis lors d'une bouffée délirante, le mis en examen se souvenant fort bien des faits et pouvant les raconter de manière détaillée. C'était un colosse, SDF, qui prenait son traitement quand il s'en souvenait et fumait du cannabis, ce qui a des effets dévastateurs chez un schizophrène. Mon premier contact fut lors d'une confrontation dans le cabinet du juge d'instruction.

Ma cliente, qui était en dépression depuis les faits, était terrifiée à l'idée de le revoir. Elle ne fut pas déçue.

Le mis en examen est arrivé escorté par trois gendarmes, visiblement la première ligne de l'équipe de rugby de l'escadron. Une escorte ordinaire est d'un seul gendarme, ce qui est suffisant pour ramener à la raison n'importe quel excité en le plaquant au sol avec une clef de bras irréprochable. Je l'ai vu faire sous mes yeux, c'est impressionnant de vitesse d'exécution.

Dans le cabinet du juge, il y avait trois sièges (le mis en examen avait renvoyé son avocat commis d'office). J'étais donc assis à côté de cette masse, son seul rempart entre lui et ma cliente. Du coin de l'oeil, je le voyais hocher sans cesse la tête, les yeux exorbités qui roulaient dans tous les directions, sa bouche formant régulièrement une moue suivie d'un rictus. J'ai remarqué par la suite que ce sont des symptômes de la schizophrénie, avec une voix anormalement forte ; je ne sais si c'est la maladie où les médicaments qui en sont la cause, mais ils sont toujours présents.

Chaque fois qu'il ramenait ses pieds sous sa chaise, je voyais les trois gendarmes se ramasser, prêts à bondir.

La confrontation s'est passée dans une certaine tension. Tout allait bien, puisqu'il reconnaissait tous les faits, même les plus sordides, quand, sur un détail sans importance du récit (l'ordre dans lequel deux gestes anodins avaient été faits), il est parti en vrille. Il a traité ma cliente de menteuse, l'a insulté avant de conclure "Je regrette de ne pas l'avoir tué quand j'avais mon couteau sur sa gorge". Le juge a aussitôt mis fin à la confrontation. Ma cliente était à ramasser à la serpillière après ça, et presque sans métaphore.

L'expertise concluant à l'altération du discernement sans abolition, il n'y a pas eu non lieu, et c'est allé au procès. Il a fallu que ma cliente revienne, le revoie, raconte son calvaire en public. Elle s'en est tirée formidablement, grâce entre autre à mon confrère de la défense qui a été extraordinaire d'humanité et de délicatesse sans rien céder à son devoir défendre son client, mais ce procès, qui a duré deux jours, a été un martyre pour elle. Tout son travail pour sortir de sa dépression a été réduit à néant par la confrontation, et par l'audience qui s'est tenue un an plus tard.

Voilà ce que c'est que de juger un fou, loin de mon dessin se moquant de l'absurdité de l'idée. Vouloir faire ce procès pour les victimes, parce qu'elles le réclament, c'est risquer de leur faire un cadeau empoisonné. Elles courent après une chimère, l'espoir que l'audience leur apportera un soulagement, que les mots "vous déclare coupable" auront un effet thaumaturgique sur leur souffrance. La vérité est que c'est très rare. Cela arrive seulement dans le cas où le prévenu ou l'accusé (rappel : prévenu = poursuivi pour un délit ou une contravention devant le tribunal correctionnel, le tribunal de police ou la juridiction de proximité) , accusé = poursuivi pour un crime devant la cour d'assises) manifeste à l'audience un remord sincère, et manifeste ses regrets avec l'accent de la vérité, j'ajouterais à la condition que la victime soit prête à accorder son pardon, car refuser des excuses n'est pas une façon de tourner la page.

Une telle hypothèse est rare. Et je redoute fort que cette réforme, si elle voyait le jour, ferait du mal à bien des victimes avant d'en apaiser un tant soit peu une seule.

dimanche 26 août 2007

Apprenons à les reconnaître

J'ai remarqué que mes premiers dessins n'étaient pas tous bien compris faute pour le lecteur candide de savoir distinguer si telle personne qui parle est juge, avocat, procureur ou greffier.

C'est très juste. Voici donc une petite planche qui servira de légende, et qui représente les principales robes en service, et que j'utiliserai à l'avenir pour caractériser les divers personnages, quitte à faire quelques entorses à la rigueur procédurale.

En effet, les toques (les chapeaux) ne sont plus en usage depuis longtemps, tout au plus les magistrats les tiennent-ils à la main pour les audiences les plus solennelles. Ajoutons que pour les audiences ordinaires (appels correctionnels, affaire civiles), les conseillers et avocats généraux, qui sont les juges et les procureurs d'une cour d'appel, gardent la robe noire en usage devant le tribunal de grande instance. Le rouge n'est porté que pour les audiences solennelles : audience de rentrée, réception du garde des sceaux ou du président de la République, cour d'assises, prestation de serment et renvoi après cassation. Les robes d'avocat général et de président de chambre de cour d'appel sont très souvent ornées de médailles : la légion d'honneur et l'ordre du mérite sont de rigueur.

Outre la toque (photos sur cette page), les robes des magistrats ont deux simarres, c'est à dire deux revers de soie (ou satin pour les radins pauvres) noire de chaque côté des boutons. Ainsi, les robes des magistrats sont plus brillantes, rigides... et chaudes en été, saison où les avocats chantent les louanges de la microfibre.

Vous noterez que les procureurs et juges ont rigoureusement la même robe devant le tribunal de grande instance (ils font partie du même corps de fonctionnaires), et que la différence entre un avocat général et un président de chambre de cour d'appel et un liseré doré sur la toque. Sachant qu'ils ne la portent pas, les avocats venus d'un barreau extérieur sont parfois aussi perdus que le justiciable. Il m'est ainsi arrivé d'aller me présenter à la cour (une chambre des appels correctionnels) où je devais aller plaider, comme c'est l'usage. J'entre dans la salle des délibération où les magistrats étaient réunis et discutaient en attendant l'heure de débuter l'audience. Quatre robes noires simarrées s'y trouvent. Je me présente : Maitre Eolas, du barreau de Paris. "Ha, fort bien. Merci, maître, à tout à l'heure." me fut-il répondu, par quelqu'un que je ne savais être président, conseiller ou avocat général, ceux ci n'ayant pas pris la peine de se présenter. Ce n'est qu'en les voyant entrer dans la salle d'audience quelques minutes plus tard, et en regardant où ils allaient s'asseoir, que j'ai enfin su qui était qui.

Enfin, les robes ne sont portées que dans les audiences publiques. Les audiences de cabinet (juge des enfants, juge aux affaires familiales, juges d'instruction) ont lieu le magistrat en tenue civile, seul l'avocat portant la robe car il n'est pas chez lui et exerce ses fonctions (cela nous permet de nous assurer que l'escorte ne nous confond pas avec le détenu, en fait).

samedi 25 août 2007

Jugement des déments : une expérience pilote mise en place

N'ayez crainte, mon blog ne se convertit pas en recueil de dessins. C'est juste que j'ai un peu moins de temps actuellement, la rentrée approche et ça se sent, que je m'amuse beaucoup à découvrir Inkscape, et que l'actualité m'inspire pas mal. Mes billets interminables seront bientôt de retour.

vendredi 24 août 2007

Rediffusion : l'irresponsabilité pénale pour démence

Ceci est la reprise d'un billet du 23 mars 2005, qui a repris une certaine actualité tant le débat sur le procès des déments pour faire plaisir aux victimes revient périodiquement sur le devant de la scène. C'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes.


L'acquittement récent de Michel Perroy a de nouveau mis la question délicate de l'irresponsabilité pénale sur le devant de la scène.

Un petit point sur l'irresponsabilité pénale me paraît nécessaire, tant l'acquittement de quelqu'un qui a frappé sept personnes à coups de couteau, dont un enfant de 5 ans, a de quoi causer un émoi dans l'opinion publique.

Le Code pénal prévoit des cas où une personne qui a commis une infraction prévue et réprimée par la loi n'est pas pénalement responsable, c'est à dire doit être acquittée si c'est un crime, relaxée si c'est un délit ou une contravention, ou bénéficier d'un non lieu dès l'instruction. Ces cas sont limitativement énumérés aux articles 122-1 à 122-8 du Code pénal.

Il s'agit dans l'ordre du Code : de la démence, de la contrainte, de l'erreur inévitable sur le droit, l'autorisation de la loi et le commandement de l'autorité légitime, la légitime défense, l'état de nécessité, la minorité de 10 ans.

Chacune de ces causes d'irresponsabilité fait l'objet de cours entiers en deuxième année de fac de droit, et je ne vais pas m'y substituer.

La démence a été définie ainsi par le Code pénal : il s'agit d'un trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli le discernement de la personne. En somme, la personne n'était pas consciente au moment de ses actes. Elle ne conserve généralement aucun souvenir de ce qu'elle a fait.

Comment cette démence est-elle établie ?

Si c'est le juge qui décide, il ne se fie pas au baratin à la plaidoirie de la défense. Il y a une expertise médico-psychologique (c'est à dire psychiatrique), qui est ordonnée par le juge d'instruction s'il est saisi, sinon par le président de la juridiction de jugement. Il peut décider d'une contre-expertise si une des parties le demande, voire de recourir à un collège d'experts : trois experts rencontrent la personne poursuivie séparément, puis se réunissent pour mettre en commun leurs observations et parvenir à une conclusion commune.

Les experts ne sont pas livrés à eux même et ne se voient pas déléguer la puissance de décider. Ils répondent aux questions que leur pose le juge et sont tenus par cette mission.

Ils doivent dire si le prévenu/mis en examen était, au moment des faits, atteint d'un trouble psychique ou neuro psychique ayant aboli son discernement et s'il est aujourd'hui accessible à la sanction pénale, c'est à dire comprend-il le sens de la punition qu'on se dispose à lui infliger ?

L'expert expose ses conclusions qui sont argumentées et étayées, mais rarement catégoriques. C'est un travers d'expert fréquent dans les domaines relevant de la psyché humaine d'être très prudents dans leurs conclusions, ce qui laisse toujours une place à discussion dans le prétoire.

Mais au-delà de la science psychiatrique et de ses limites inhérentes, à l'heure du choix, on en revient toujours au même mécanisme fondamental : l'intime conviction du juge. Ou des juges, dans l'affaire de Bordeaux.

Ici, les 12 juges, trois juges professionnels et neuf jurés tirés au sort, ont estimé, en leur âme et conscience, qu'au moment des faits, Michel Perroy était atteint d'un trouble ayant aboli son discernement, trouble que l'expert a qualifié de "bouffée anxiodélirante".

Dans le cas d'une cour d'assises, les délibérations ont lieu aussitôt après la clôture des débats, "sans désemparer". Magistrats et jurés s'assoient dans la salle des délibérations et discutent longuement avant de passer au vote sur la culpabilité. Un vote sur la culpabilité doit être acquis par 8 voix au moins sur les 12 (on ne dit jamais le nombre de voix : l'arrêt précise simplement qu'il a été répondu "oui" par huit voix au moins, pour préserver le secret des délibérations).

En l'espèce, au moins 5 des 12 personnes ont estimé, à l'issue des débats que Michel Perroy n'était pas conscient de ses actes, qu'il a effectivement été atteint d'un tel trouble ayant aboli son discernement, et que dès lors, une réponse pénale est inadaptée.

Cela choque souvent l'opinion publique, qui ne comprend pas qu'un individu qui s'est précipité couteau à la main sur 7 personnes du village où il exerçait la noble profession de boucher, soit finalement impune. Le soupçon de comédie apparaît toujours, d'excuse facile, de naïveté de la justice.

Cela relève du cliché ou de l'imagination romantique d'écrivains. Il faudrait être un incroyable acteur pour tromper un voire plusieurs experts psychiatres, et en outre maîtriser la science psychiatrique pour être crédible, ce qui est au-dessus des humbles moyens d'un boucher fut-il girondin. De plus, bénéficier d'une irresponsabilité pénale pour raisons psychiatriques aboutit très souvent à une hospitalisation d'office en hôpital psychiatrique, pour une durée indéterminée. Les faits révèlent en effet une dangerosité certaine et incontrôlable. Si un expert peut parfois être catégorique sur la réalité du trouble, il ne le sera JAMAIS sur l'absence de risque de réapparition de celui ci. Vol au dessus d'un nid de coucou, ça vous dit quelque chose ?

Enfin, l'irresponsabilité pénale n'entraîne pas l'irresponsabilité civile. Un fou doit réparer les conséquences de ses actes et indemniser ses victimes (article 489-2 du Code civil).

Enfin une réforme des institutions...

Et un, et deux, et trois millions !

Ca y est, je viens de franchir la barre des trois millions de visiteurs uniques, chiffre qui ne tient pas compte des abonnés aux flux RSS et Atom ni des robots (le robot Yahoo est un fan, d'ailleurs, avec 33.000 visites en 19 jours...). Soit la population de l'Arménie, quand même.

Bon, hé bien il va falloir se serrer un peu, maintenant.

jeudi 23 août 2007

Contrefaçon

Le Conseil National des Barreaux, qui est l'organe représentant notre profession au niveau national, est en train de lancer une opération de communication pour promouvoir notre profession.

Il a révélé aujourd'hui le logo de cette campagne, que voici.

Je vous assure que j'ai commencé à dessiner mes avocats-silhouette, dont je décore mon blog depuis hier, en amphi, en première année de droit. J'ai des preuves et des témoins.

Plus sérieusement, le CNB lance un site grand public, avocats.fr, et propose à tous les avocats une plate forme de blogs, qui nécessite de justifier de sa qualité et garantit donc que ce sont bien des avocats qui les anime. Chers confrères, si l'aventure vous tente, c'est gratuit et c'est ici.

La liste des blogues se trouve ici, répartie par matière (20 pénalistes à ce jour, mais seuls deux sont mis à jour-à propos, attention au pseudonyme que vous vous choisissez- et deux sont des redirections), en indiquant la localisation du cabinet concerné.

Vous admirerez mon altruisme : pas une mention de mon blog sur ce site (que j'ai pourtant contribué à financer).

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Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

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