Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 10 décembre 2007

Les magistrats et la faute (1e partie : la justice civile)

Gascogne a tendu les verges pour se faire battre avec son billet Vol Au Dessus D'Un Nid De Magistrats. Les commentaires ont donné lieu à un renouveau de l'éternel débat sur la responsabilité des juges. Et les mêmes malentendus refont surface. Alors je vous propose de faire un point sur la question, du point de vue d'un avocat : votre serviteur.

Tout d'abord, afin d'avoir un débat serein, écartons un premier argument qui n'en est pas un : celui du corporatisme. Les juges ne revendiquent nullement une impunité absolue et une irresponsabilité totale. Ils ne sont pas irresponsables, et que l'on facilite encore leur mise en cause ne leur fait pas peur. Je l'ai constaté lors de nombreuses discussions avec des magistrats, syndiqués ou non, de grandes juridictions ou de tribunaux modestes.

Mais ce qui les préoccupe est l'incompréhension de ce qu'est la faute d'un magistrat, à entendre des élus et parfois même l'opinion publique exiger d'eux rien moins que l'infaillibilité, pourtant monopole papal.

Car un magistrat qui « se trompe », c'est à dire juge ceci alors que la vérité est cela ne commet pas nécessairement une faute, loin de là, quand bien même sa décision cause un préjudice à celui qui en est victime.

Pour illustrer ceci, qui est une évidence pour les gens de justice mais ne l'est pas pour les autres citoyens, voyons les deux grands domaines dans laquelle les juges judiciaires statuent : le civil et le pénal. Je ne traiterai dans ce billet que du civil, le pénal fera l'objet d'une deuxième partie, j'espère dès demain.

Je laisse de côté la justice administrative car elle ne se heurte pas aux mêmes difficultés, notamment probatoires. L'administration est une gigantesque machine à produire du papier, et elle ne bouge pas un orteil sans que cela soit dûment constaté par un document précieusement archivé et aisé à retrouver. Ce culte du papier permet aux débats des juridictions administratives de rester essentiellement juridiques, ce qui réjouit les publicistes (ceux qui pratiquent le droit public dont le droit administratif fait partie) et en fait d'excellents juristes facilement perdus hors de cette matière, et rend la justice administrative parfois difficile à saisir pour le grand public. Voyez par exemple l'affaire de la soupe de cochon.

La justice civile est celle qui oppose des personnes privées entre elles, que ce soit des personnes physiques comme vous et moi, ou des personnes morales comme des sociétés commerciales, ou des associations. Le juge est ici arbitre : il tranche le litige qui lui est soumis. Et que ce qui lui est soumis. Il est prisonnier des demandes des parties et ne peut en sortir, ce qu'on appelle en droit statuer ultra petita, au-delà de la demande. De même, chaque partie produit aux débat les pièces, c'est à dire les preuves sur lesquelles elle fonde sa demande. Le juge n'est pas tenu de rechercher lui-même la preuve des prétentions des parties. Il statue au vu de ce qu'on lui présente. Cette appréciation peut être contestée, bien sûr, mais d'une seule façon : par l'exercice d'une voie de recours (l'appel, la plupart du temps).

Cependant, la loi permet à une partie de demander au juge d'ordonner une mesure visant à établir cette preuve car elle serait incapable de la fournir elle-même. Ces mesures s'appelle des mesures d'instruction (nous retrouverons ce terme, dans un sens voisin mais différent, au pénal), et sont soit ordonnées en référé avant même qu'un procès soit engagé, soit par le juge saisi du procès, par un jugement dit « avant dire droit », c'est à dire qui ne tranche pas le fond du litige. La mesure d'instruction par excellence est l'expertise : le juge désigne un expert dans le domaine sur lequel porte le litige qui va, en présence des parties, rédiger un rapport répondant de manière détaillée aux questions du tribunal et aux observations des parties (ces observations faites en cours d'expertise s'appelant des « dires ».

Les expertises sont indispensables dans des contentieux techniques où le demandeur est incompétent : par exemple, le particulier qui a commandé des travaux sur sa maison et qui constate que des fissures apparaissent peu de temps après est incapable de dire si les travaux ont été effectué selon les règles de l'art ; la victime d'un accident de la route ne peut expliquer clairement l'étendue et la gravité de ses blessures ; le chef d'entreprise qui vient de mettre sa boîte en réseau intranet ne peut expliquer pourquoi ses serveurs ont tous planté et ne redémarrent pas. Le juge n'est pas tenu par les conclusions de l'expertise, et les parties peuvent demander une contre expertise, qui peut même le cas échéant être confiée à un collège d'experts, généralement trois. Bien évidemment, ce rapport aura un poids considérable dans la décision du juge.

Mais une expertise à un coût, qui est supporté par la partie qui la demande (sauf si elle bénéficie de l'aide juridictionnelle), et mis à la charge de la partie qui perd le procès (on dit « qui succombe » par opposition à « qui triomphe ») au titre des dépens. Et dans bien des affaires, une expertise est inadéquate et ne servirait à rien. Dans ces cas, qui forment la majorité des contentieux, le juge statue uniquement sur les arguments des parties et au vu des pièces qu'elles produisent. C'est à cette aune qu'il faut juger de leur travail.

Prenons encore un exemple, une affaire très simple.

Primus prête à son ami Secundus la somme 5000 euros. L'amitié n'empêche pas les précautions, et Primus fait signer à Secundus une reconnaissance de dette qu'il a la gentillesse de lui envoyer déjà imprimé sur son beau traitement de texte Open Office : « Je soussigné Secundus reconnaît devoir à Primus la somme de 5000 euros ». Las, le temps passe, et Secundus ne le rembourse pas. Il ne répond pas à ses coups de fil, et quand Primus finit par lui envoyer un recommandé, i lreçoit une réponse sèche : « Que racontes-tu ? Je ne te dois rien ».

La mort dans l'âme, Primus saisit donc le juge d'instance pour qu'il condamne Secundus à lui payer ce qu'il doit. A cette fin, il produit la reconnaissance de dette. A l'audience, Secundus est représenté par Maître Roublard, qui s'exclame : « Mais enfin, Monsieur le juge : voyez vous-même ! Ce document est sans valeur : il émane de Primus et non de Secundus, et ne porte que la mention d'une somme en chiffres ! Il ne vaut pas reconnaissance de dette, et je vous demande de constater que Primus n'apporte pas la preuve de sa créance, et donc de le débouter. »

Le juge, connaissant Maître Roublard de réputation et pressentant que la reconnaissance de dette qui lui est présentée repose sur un fond de vérité, tentera de voler au secours du demandeur :

« Preuve insuffisante, certes, mais j'y vois pour ma part un commencement de preuve par écrit. Primus, avez-vous une autre preuve de ce que vous avez effectivement prêté cette somme à Secundus ?

— Comment, une autre preuve, s'exclame le pauvre Primus ?

— Des témoins ? Une copie du chèque ?

— Non, mais puisque j'ai un document signé de Secundus ?

— Il n'est pas conforme à la loi, et je ne puis me fonder sur ce seul document pour prononcer une condamnation. Puisque vous n'avez aucun autre élément à produire à l'appui de ce commencement de preuve par écrit, je vous déboute de votre demande. »

Nous avons un juge qui déboute le créancier d'une demande qui en vérité est fondée. Cela, Primus le sait, et Secundus aussi (et le juge n'en pense probablement pas moins). Alors que Secundus doit 5000 euros à Primus, le juge dit que Secundus ne doit rien. Ce jugement apparaît erroné, et Primus pourra croire être victime d'un incompétent, ou d'un malhonnête, car l'imagination est fertile pour trouver ailleurs que chez soi les causes de son malheur.

Pourtant le juge a parfaitement appliqué la loi. Rassurez-vous, la morale est sauve, car Maître Roublard demandera 6000 euros d'honoraires à Secundus.

Souvent, une partie succombe car elle ne peut apporter la preuve de ses prétentions, et ce même si elle est convaincue du contraire : ma boîte e-mail regorge de justiciables ayant perdu un procès malgré des preuves "irréfutables" et "accablantes", seule la collusion de gens malhonnêtes ayant pu aboutir à leur défaite, affirmation généralement suivie d'une sommation de faire quelque chose, si possible gratuitement.

Si un juge n'est pas convaincu par la preuve qu'on lui apporte, sa décision peut être contestée par la voie de l'appel, sauf pour les petites affaires (4000 euros ou moins). Les règles de preuve en matière civile sont désormais assez connues et encadrées pour être prévisibles, et les erreurs d'appréciation des éléments de preuve conduisant à un jugement erroné sont rares. Présenter les mêmes preuves en espérant que cette fois, les conseillers[1] seront convaincus est de la folie. Il faut au contraire apporter des éléments de preuve supplémentaires venant renforcer ceux qui manifestement n'étaient pas suffisants en première instance. Le jugement est motivé, c'est à dire que le juge explique pourquoi il statue comme il le fait. L'appel doit viser à répondre aux objections du juge en produisant les éléments qui ont fait défaut en première instance. L'appel n'est pas un deuxième procès : c'est la suite d'un premier procès. C'est également valable en matière pénale, j'y reviendrai.

L'appréciation d'un juge des éléments de fait d'un litige relève de la nature même de sa fonction. Il doit en avoir une. Il serait donc absurde de le lui reprocher à faute. Que cette appréciation ne soit pas conforme à la vérité des faits ne révèle pas nécessairement une faute, loin de là. L'exemple de Primus le démontre : le juge pensait probablement que sa créance était réelle. Mais la loi pose des règles de preuves en matière contractuelle, ce n'est pas l'intime conviction du juge qui compte. Quand un juge se trompe, c'est souvent que la partie qui succombe injustement n'a pas pu apporter la preuve, soit qu'elle n'existe pas, soit qu'elle ait mal présenté sa cause. Combien de documents déterminants restent bien rangés chez le client car il estime qu'ils n'ont aucun intérêt ? Et l'intervention d'un avocat n'est pas la panacée : nous avons beau dire à nos client de TOUT nous amener, combien d'entre eux effectuent un pré-tri, ne voyant dans notre exigence d'abondance qu'une façon de facturer plus au temps passé ?

Reste la question initiale : quand est-ce qu'un juge civil commet non plus une erreur, mais une faute engageant sa responsabilité personnelle ?

Tout d'abord, quand il commet une faute pénale. S'il a reçu une somme d'argent pour statuer contre l'évidence des faits, il a commis le délit de corruption passive, et est pénalement responsable comme n'importe quel citoyen. Un magistrat ne bénéficie de ce point de vue d'aucune protection particulière, nulle autorisation préalable pour l'interpeller ou perquisitionner chez lui. Et le jour où il sera jugé, il n'aura aucune mansuétude à attendre de ses collègues. Ai-je besoin de préciser que les cas de corruption de magistrats sont extrêmement rares en France ?

Ensuite quand il a un comportement professionnel qui ne respecte pas les devoirs de sa profession. Que ce soit une insuffisance professionnelle caractérisée : des jugements rendus systématiquement en retard sans que la complexité du dossier le justifie, ou qui révèlent qu'aucune attention n'a été apportée au dossier, des retards ou absences répétées aux audiences qui désorganise le service, ou un comportement personnel inacceptable : ivresse à l'audience, remarques déplacées ou irrespectueuses, par exemple.

Notez que notre premier juge, s'il cumulait tous ces défauts, mais avait donné raison à Primus, donc pris une décision « juste », il n'en serait pas moins susceptible d'être sanctionné disciplinairement.

C'est le Garde des Sceaux qui seul peut déclencher des poursuites disciplinaires. C'est donc à lui qu'il faut de plaindre du comportement de tel ou tel magistrat. Au pénal, par contre, c'est une plainte ordinaire auprès du procureur de la République, avec en cas d'inaction du parquet la possibilité de la plainte avec constitution de partie civile.

Pour conclure pour aujourd'hui, il faut garder à l'esprit que cette impossibilité pour le justiciable mécontent de se retourner contre son juge est une protection donnée non au juge, mais à tous les justiciables. Car quand j'affronte un adversaire qui est aussi riche que procédurier, j'aime pouvoir penser que le juge est à l'abri de ses pressions et n'aura pas à craindre pour sa tranquillité quand il le condamnera ainsi que je le lui demande.

Suite au prochain numéro : la faute du magistrat au pénal, avec l'entrée en piste de nos amis les procureurs.

Notes

[1] Les juges qui siègent dans une cour portent le titre de conseillers.

samedi 8 décembre 2007

Le sourire du week end

Rien à voir avec le droit, mais voici une vidéo qui fera rire les trente ans et plus (et tout particulièrement Zythom).

Voici un pastiche de la série 24 heures : et si 24 heures se passait en 1994 ? Ca vous rappellera de bons souvenirs... J'ai adoré.

vendredi 7 décembre 2007

Assassine-t-on le Code du travail ?

J'ai été invité par plusieurs lecteurs à me pencher sur l'accusation que porte l'opposition contre le gouvernement de vouloir profiter de la recodification du Code du travail pour faire passer subrepticement des atteintes majeures aux droits de salariés.

Ces accusations étant relayées par des inspecteurs du travail, elles sont revêtues du sceau de l'autorité. Et si elles étaient avérées, ce serait fort grave, car il y aurait une véritable forfaiture du gouvernement.

Tout d'abord, qu'est ce que la recodification du code du travail ?

Désolé pour le barbarisme, mais il s'impose. Dans une louable volonté de clarifier le droit, les gouvernements successifs (et cela remonte à la IVe république, avec une nette reprise depuis la fin des années 80, et une nouvelle accélération depuis 1999) ont décidé de compiler des lois et décrets épars traitant d'un même sujet sous forme de codes. Le droit est inchangé, c'est simplement la loi n°tant de telle date qui devient le Code du Truc et du Bidule. On parle de Codification « à droit constant ».

Ne prenez pas cet air là. Je vous assure que le législateur est persuadé que changer un numéro d'article, et de substituer une date par un nom sans rien changer d'autre, ça simplifie. Et vous voulez voir jusqu'où il pousse sa volonté de simplifier jusqu'à l'incompréhensible ? Désormais, les codes ne commencent plus par un banal article premier, suivi d'un affligeant article 2[1]. Non. Un Code étant divisé en livres, titres et chapitres, chaque article commence par un numéro à trois chiffres, les centaines indiquant le numéro du livre, les dizaines celui du titre, et les unités celui du chapitre; suit un tiret et le numéro d'ordre dans la section. Par exemple, le mouvement insurrectionnel est défini à l'article 412-3 du Code pénal : il s'agit du 3e article du chapitre 2 ("Des autres atteintes aux institutions de la République ou à l'intégrité du territoire national") du titre premier (" Des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation") du livre 4 (" Des crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique") du Code pénal. Alors qu'avant, c'était l'article 97 du code pénal. Ce n'était vraiment pas clair.

Ainsi, les nouveaux codes commencent tous au numéro 111-1. Car c'est plus clair comme ça. Ha, et pour simplifier encore plus, on ajoute devant le numéro une ou deux lettres qui indiquent si les dispositions relèvent du domaine de la loi organique (LO) loi (L), du décret en conseil d'Etat (R., pour règlement au sens de l'article 37 de la Constitution), du décret en Conseil des ministres (D), de l'arrêté ministériel (A) ou de la circulaire (C). Sauf dans le code pénal, car il n'y a pas de simplification digne de ce nom sans exceptions arbitraires.

Et c'est ainsi que la loi du 11 mars 1957 est devenue le code de la propriété intellectuelle par la loi du 1er juillet 1992 (ce qui n'empêche de nombreux éditeurs de promettre les dix enfers du Feng Du à ceux qui copieraient cette œuvre en violation de la loi de 1957), et que l'ordonnance du 2 novembre 1945 est devenue le Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) par l'ordonnance du 24 novembre 2004. Ordonnance, car une loi de 1999 permet au gouvernement, pour faciliter ce mouvement de codification, de procéder par ordonnances pour opérer ces codifications, à condition qu'elles soient à droit constant, c'est à dire qu'elles ne changent rien à l'état du droit. Une loi postérieure doit ratifier cette ordonnance, ce qui permet au parlement d'exercer un contrôle sur cette action du gouvernement.

Ce mouvement de "simplification" ne s'arrête pas là. Dans sa furie simplificatrice, des codes déjà existants sont recodifiés, c'est à dire qu'on réécrit les articles, on les découpe ou les recoupe, et on y inclut des lois autonomes que le législateur d'alors n'avait pas pris la peine d'intégrer dans un code. Ce fut le cas du Code de commerce en 2000, et c'est le cas du code du travail aujourd'hui. Attention : le code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 n'est pas une recodification, c'était bien un nouveau code pénal, réécrit depuis le début (et une vraie réussite de simplification, hormis cette stupide numérotation à rallonge). Cette "simplification" consiste à réécrire le plan du code, à remplacer la numérotation par une numérotation à 4 chiffres (avec une division en partie au dessus du livre) et à couper les articles trop longs, ce qui fera passer le code de 1800 à 3500 articles. Ce travail de simplification, pour être parfaitement compris, s'accompagne d'un mode d'emploi... de 33 pages réalisé par le ministère du travail. Je vous jure que je n'invente rien.

Alors, ces prolégomènes étant enfin achevés, y a-t-il réforme sous couvert de codification à droit constant ?

Voyons les arguments présentés à l'appui de cette accusation.

Le blog "Un strapontin à l'Assemblée Nationale", tenu par un journaliste permanent auprès de la chambre basse, fait un très utile compte-rendu de la séance mouvementée (et qui a agacé Authueil) où le fer a été porté. Alain Vidalies, député du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche, dit "ratissons large", député de la 1e circonscription des Landes, et avocat ce qui ne gâche rien, donne trois exemples, repris d'un argumentaire du syndicat FSU.

Il y en a deux qui, je le dis tout de gob, sont à la limite du ridicule.

La première : les dispositions sur le temps de travail passeraient de la partie consacrée à la santé du salarié à celle consacrée à la rémunération. C'est débattre de quelle étagère doit recevoir un bibelot. Le bibelot lui même reste inchangé.

La deuxième : dans la définition des compétences des inspecteurs du travail, on aurait remplacé les mots "inspecteurs du travail" par "autorité administrative compétente", ce qui désigne le directeur départemental du travail, qui ne bénéficie pas des garanties des inspecteurs du travail. Cette affirmation est erronée : il n'est que de lire les articles L.8112-1 et suivants du nouveau code du travail.

La troisième, qui est la seule vraiment juridique : le nouveau code distinguerait désormais entre les licenciements de moins de dix salariés et de plus de dix salariés pour faire bénéficier de la priorité au rembauchage. En effet, dans le cas d'un licenciement pour motifs économiques, le salarié licencié bénéficie s'il en fait la demande d'une priorité de rembauchage pendant un an : tout nouveau poste créé dans l'entreprise et compatible avec sa qualification doit lui être proposé en premier. Or dans le nouveau code du travail, les règles applicables aux licenciements pour motifs économiques de moins de dix salariés en l'espace de trente jours, et à ceux de dix salariés ou plus en trente jours ont été séparés en deux sections distinctes. Et la priorité de rembauchage est prévue à l'article L.1233-45 nouveau, qui figure dans la section consacrée aux licenciements "10+". Conclusion de l'honorable parlementaire : cette priorité ne s'applique plus aux licenciements de moins de 10 salariés, ce qui est un changement du droit.

Et là encore, ça ne tient pas. Car la section consacrée aux licenciements de moins de dix salariés contient un article L.1233-16 qui renvoie expressément à l'article L.1233-45 sur la priorité de rembauchage, qui s'y applique donc bel et bien.

L'opposition s'émeut encore de la transhumance d'environ 500 dispositions de la partie législative à la partie réglementaire, partie qui peut être modifiée par un décret du gouvernement. Là encore, il n'y a rien de scandaleux ni d'anormal. La constitution définit précisément le domaine de la loi (art. 34) et prévoit que tout ce qui ne rentre pas dans ce domaine relève du pouvoir réglementaire, c'est à dire du décret. Si une loi contient des dispositions qui relèvent en fait du décret, la disposition reste valable (alors qu'un décret qui empiète sur la loi est nul) mais sera traitée comme si elle avait été prise par un décret et pourra être modifiée par un acte réglementaire. C'est ainsi que le gouvernement Villepin avait escamoté à la va-vite la disposition traitant du rôle positif de la colonisation votée par un député qui aime son prochain s'il aime les femmes : il avait demandé au Conseil constitutionnel de constater que cette disposition était en fait réglementaire et non législative, puis l'avait abrogé par décret. Cette requalification est donc conforme à la Constitution ; ajoutons que l'accusation de vouloir les modifier discrètement par décret relève du pur procès d'intention, et qu'en outre cette requalification permettra à toute personne concernée, à commencer par les syndicats, de contester la légalité de ces modifications devant le Conseil d'Etat, ce qui est tout de même une meilleure protection que l'impuissance de l'opposition au parlement.

Bref, pour le moment, mais le débat reste ouvert, je n'ai pas découvert une modification du code du travail entre les deux textes.

Et, in cauda venenum, cette stratégie qui consiste à profiter de la complexité d'une réforme impossible à appréhender pour le grand public pour lui faire dire ce qu'elle ne dit pas et tenter d'effrayer l'opinion publique en affirmant que c'est la Géhenne, me rappelle de douloureux souvenirs référendaires. Et ça marche : les Don Quichotte habituels qui voient un géant dès lors qu'ils ne comprennent pas un texte ont déjà enfourché Rosinante...

Notes

[1] Seuls rescapés à ce jour : le Code civil, le code de procédure pénale et le code général des impôts.

Des fois, il ne faudrait pas que ça grandisse

Chalon Sur Saône, 1982

A l'hebdomadaire Jeune Afrique, courrier des lecteurs.

« C’est avec un grand plaisir que j’écris à J.A. car il est devenu une source d’exposés en classe et c’est pour cela que je vous serais bien obligée de publier ma lettre.

Si je parle ainsi, c’est en connaissance de cause, en étrangère malgré ma naissance et toute ma vie passée en France. Dans J.A. n° 1144, un article a particulièrement attiré mon attention, celui des travailleurs “clandestins”. Le problème s’accentue sous toutes ses formes. Avec ces régularisations des “sans-papiers”, avec ceux qui font la grève de la faim pour être enfin assimilés à leurs compatriotes étrangers en règle. Le résultat est hausse de tension, racisme et même xénophobie envers ces étrangers dont la plupart ne le méritent pas, quelle que soit leur situation. Ces réactions sont fortement ressenties à tous les niveaux et particulièrement dans les endroits publics (écoles, bureaux). Est-ce la faute de ces étrangers, qui sont venus pendant la prospérité et qui, dorénavant, sont remis en cause quotidiennement ? Alors, je tiens à dire aux Français qui disent aux étrangers : « Si tu n’es pas content, retourne dans ton pays où on crève de faim » qu’ils sont ridicules.

Ils ne s’imaginent pas la crise qui pourrait atteindre “leur” pays avec le départ de “ces bougnoules”. Quant au slogan des employeurs, c’est : « Tais-toi ou pars ! » Excusez-moi pour l’écriture, mais je vous ai écrit en étude. »

Signé : Rachida Dati, 17 ans.

Via @rrêt sur image.

jeudi 6 décembre 2007

Vol au-dessus d'un nid d'avocats

Billet en écho à celui de Gascogne. Les avocats aussi sont responsables disciplinairement, et pour nous édifier, l'Ordre publie, dans son bulletin hebdomadaire qui nous est destiné, les décisions prises par le Conseil de discipline. Oui, nous sommes jugés nous aussi par nos pairs.

Tout à fait arbitrairement, voici la dernière livraison, les décisions rendues au mois de novembre. Cela concerne exclusivement des avocats parisiens.

[Le conseil de discipline] a statué sur le cas d’un confrère à qui une cliente avait remis des fonds dans le but de désintéresser un organisme bancaire.
Or, ces fonds n’ont pas été déposés sur le compte CARPA de l’avocat mais sur son compte personnel professionnel pendant une durée de 4 ans avant d’être remis au contradicteur dans le cadre d’un règlement transactionnel.
Dans une autre affaire, l’avocat concerné s’était vu confier une mission de rédacteur d’acte de cession de fonds de commerce et de séquestre amiable du prix de vente du fonds. Il est cependant apparu qu’en dépit de multiples demandes provenant du vendeur et de son conseil, l’intéressé n’a jamais justifié avoir déposé les fonds à la CARPA et n’a pas remis de comptes des fonds dont il était séquestre.
Il a refusé de rendre compte de sa mission et a été condamné à remettre sous astreinte à un administrateur judiciaire les sommes dont il était dépositaire.
Il ne s’est finalement exécuté que partiellement et avec un grand retard.
L’avocat a soutenu que les sommes manquantes correspondaient à des acomptes d’honoraires qui lui étaient dus mais le Bâtonnier puis le Président de la cour d’appel de Paris, appelés à statuer sur cette question, ont estimé que les honoraires prétendument dus devaient être restitués.
Dans une autre affaire, concernant une action en comblement de passif, l’avocat avait assuré son client que le mandataire liquidateur accepterait une contribution volontaire de sa part et que dès lors le tribunal ne mettrait pas à sa charge une somme supplémentaire.
Le client a versé les fonds sur le compte CARPA de son avocat mais ce dernier n’a pas pris de conclusions à l’audience, ne s’est pas personnellement présenté et n’a pas transmis au mandataire liquidateur la participation volontaire du client.
C’est dans ces conditions, que ce dernier a été condamné à une contribution au passif plus importante que le montant qu’il avait volontairement réglé.
De multiples relances ont été nécessaires pour que l’avocat verse, un an plus tard, les fonds qu’il avait reçus. Dans le cadre d’une autre acquisition de fonds de commerce et d’une négociation, l’avocat, qui avait reçu diverses sommes à consigner, n’a pas justifié du dépôt de ces sommes à la CARPA ni répondu aux multiples demandes de sa cliente.
L’intéressé a, par ailleurs, vendu un véhicule qu’il avait loué en leasing et dont il avait cessé de payer les loyers, ce qui a donné lieu à une citation devant le Tribunal Correctionnel.
Ce dernier a établi un calendrier de paiement des sommes dues par l’avocat mais ce calendrier n’a pas été respecté.
Il a également été poursuivi pour non-paiement d’un arriéré de loyers professionnels et de cotisations dues à la CREPA.
L’ensemble de ces faits constituent des infractions répétées aux dispositions du règlement intérieur concernant les maniements de fonds ainsi que des violations des principes essentiels de la profession.
Décision : interdiction temporaire d’exercice de la profession pour une durée de trois ans et privation de faire partie du conseil de l’Ordre, du CNB et d’autres organismes professionnels pendant une durée de 10 ans

Cette formation de jugement a également été saisie à la requête du Procureur Général près la cour d’appel de Paris, du cas d’un confrère qui a fait l’objet d’une condamnation pénale du chef de tentative de chantage.
L’avocat concerné a indiqué à un confrère, dans le cadre d’un contentieux opposant leurs clients respectifs, qu’à défaut de conclure une transaction, il révèlerait le passé pénal de l’autre partie.
Ces faits constituent des manquements graves aux principes d’honneur, de probité, et de loyauté régissant la profession d’avocat aux termes de l’article 1er du règlement intérieur national repris par le règlement intérieur du Barreau de Paris.
Décision : interdiction temporaire d’exercice de la profession d’avocat pendant une durée de 6 mois assortie du sursis. Privation du droit de faire partie du Conseil de l’Ordre pendant 10 ans

Le Conseil a évoqué le dossier d’un avocat à qui il était reproché d’avoir laissé se poursuivre l’exploitation de deux sites internet comportant des informations publicitaires à son bénéfice.
En dépit d’engagement pris devant le Conseil de l’Ordre, il est apparu que l’avocat concerné n’était pas intervenu auprès de la société qui exploitait ces sites, et dont il était le conseil, pour faire retirer la publicité litigieuse.
Par ailleurs, l’intéressé avait déclaré dans la presse qu’il garantissait à ses clients le succès de procédures concernant la restitution de points de permis de conduire perdus, fait constituant une publicité de nature à induire en erreur les clients ainsi qu’un démarchage au sens de l’article 15 du décret du 12/07/05 et de l’article 10 du règlement intérieur national. Outre ce démarchage, il était fait grief à l’avocat d’avoir manqué à la prudence, ses clients, forts des assurances qui leur avait été données, s’étant souvent trouvés en garde à vue avec immobilisation de leur véhicule et notification d’amendes délictueuses.
A un confrère qui lui reprochait ses conseils mal avisés, il a adressé un courrier comportant des termes blessants ce qui constitue un manquement à la confraternité mais aussi au secret professionnel, l’intéressé ayant communiqué à des tiers des correspondances entre avocats.
Ces faits constituent un manquement aux principes d’honneur, de probité et de loyauté rappelés à l’article 1 du RIN et repris par le RIBP.
Décision : interdiction temporaire d’exercice de la profession d’avocat pendant une durée de 9 mois

Solidarité et émotion

Juste un mot, avant un silence respectueux, pour le Cabinet Gouet-Jenselme, victime d'un colis piégé aujourd'hui, qui a coûté la vie à une personne et blessé plusieurs autres. Je suis choqué, ému, et de tout cœur avec eux.

NB : Les commentaires seront fermés au premier débordement.

Vol au dessus d'un nid de Magistrats

Par Gascogne.


Le Conseil Supérieur de la Magistrature vient de rendre son rapport pour l'année 2006, dans lequel se trouvent notamment les décisions disciplinaires rendues concernant les magistrats du siège ainsi que les avis au Garde des Sceaux concernant les magistrats du parquet, le ministre de la Justice étant la seule autorité habilitée à sanctionner ces derniers.

On y trouve pour l'année 2006 huit décisions concernant les magistrats du siège, et deux avis pour les parquetiers. Petit tour d'horizon.

- Retrait des fonctions de président d'un tribunal de grande instance pour "attitude autoritaire et cassante, propos humiliants et décisions brutales (...), questions et commentaires choquants sur le physique et la vie privée de candidates à l'embauche, (...) familiarité déplacée, réflexions grossièrement impudiques (on notera la délicatesse du vocabulaire) et gestes équivoques à l'égard de sa propre secrétaire."

- Révocation sans suspension des droits à pension pour un juge des enfants ayant procédé à des attouchements sur des mineurs, tant dans le cadre de ses fonctions que dans celui de directeur d'un centre de vacances.

- Retrait des fonctions de président de TGI et déplacement d'office pour "négligences récurrentes dans le traitement des affaires soumises à sa décision" et "désintérêt dans le gestion administrative et budgétaire du tribunal".

- Déplacement d'office pour "retards importants et permanents dans le prononcé des jugements et affaires soumises à son examen".

- Réprimande avec inscription au dossier pour une juge d'instruction s'étant abstenue de communiquer régulièrement à son président de chambre d'instruction les notices trimestrielles puis semestrielles (on notera dans cette affaire avec un certain intérêt que les excès de langage, réactions imprévisibles et propos déplacés à l'égard des avocats, qui lui étaient reprochés, n'ont pas été retenus par le CSM comme une faute disciplinaire, "pour regrettables que ces vives réactions soient"...).

- Abaissement d'échelon et déplacement d'office pour "appétence à l'alcool" (Compris, ED ?).

- Retrait des fonctions de juge d'instruction (décidément...) et déplacement d'office pour "retards significatifs" dans le traitement des dossiers, enquêtes hors de tout cadre procédural (pour qu'il n'y ait pas de confusion possible, il ne s'agit pas de RVR), communications inconsidérées à un journaliste, ou encore gestion de biens d'une personne ayant gagné au loto dans l'intérêt assez personnel d'un ami (je n'invente rien...).

- Fin des fonctions de juge de proximité pour avoir omis de signaler une précédente révocation de ses fonctions dans la police nationale suite à une condamnation pour violences avec arme.

Les deux avis concernant les parquetiers portent sur un déplacement d'office pour propos racistes à l'audience et mise à la retraite d'office pour une substitut dépressive ne venant que rarement aux audiences et même à son travail.

Pour ceux qui se poseraient la question, ces procédures disciplinaires ne sont évidemment pas exclusives de poursuites pénales.

Et pour ceux qui se demanderaient pourquoi cette petite synthèse concernant des collègues que je ne connais pas mais qui me semblent parfaitement charmants, c'est simplement que je ne supporte plus de lire ça et là que les magistrats sont de grands irresponsables.

Pour une lecture plus exhaustive de l'ensemble des décisions disciplinaires du conseil.

mercredi 5 décembre 2007

Message personnel aux candidats au Conseil de l'Ordre

Arrêtez de m'envoyer des fax électoraux, j'ai déjà voté ! ! !

mardi 4 décembre 2007

Informatisation du parquet : cette fois, ça va trop loin

Maitre Eolas est dans un prétoire, à côté du bureau du procureur. Celui-ci est un Terminator en robe avec la toque de magistrat sur la tête. Une photo de Rachida Dati, l'air sévère, semble regarder la scène. Maitre Eolas regarde le procureur en disant : "je crois que je préférais le modèle petit pois..."

I robot

Arrêtons de pleurer sur la carte judiciaire. Les tribunaux, c'est has-been, c'est trop XIXe siècle. La justice du XXIe siècle sera online.

[Orange] va débuter, pour une durée de trois mois, un test en grandeur nature d'une borne d'accès qui permettra de réaliser des procédures judiciaires en téléadministration. Baptisé « Point visio-public », cet équipement est « un accueil administratif virtuel bénéficiant d'un accès internet, installé dans un espace public permettant aux citoyens un accès de proximité à la justice ».

Je vous jure que ce n'est pas une blague.

Concrètement, il se présente sous la forme d'une borne intégrant un écran, un scanner (pour les documents juridiques), une caméra et une imprimante. Le citoyen est censé pouvoir effectuer ses démarches judiciaires, consulter des informations directement à l'écran, recevoir des documents, les signer et dialoguer avec un correspondant à distance en visioconférence.

Il y a même une photo. L'argument marketing donne le vertige (je graisse) :

« Via cet échange en temps réel, fondé sur la relation humaine, les démarches administratives sont simplifiées et les déplacements inutiles et fastidieux évités », souligne Orange.

La « relation humaine » qui fonde cet échange étant, rappelons-le, un écran, un scanner, une caméra et une imprimante. A ce rythme là, bientôt, quand on utilisera un Sex Toy, on nous dira que c'est une relation sexuelle.

Alors, une initiative audacieuse d'une entreprise innovante ? Et non, c'était prévu depuis longtemps :

Développé par les Orange Labs, le Point visio-public est destiné à être généralisé si la phase expérimentale se révèle positive. La convention d'expérimentation a été signée par Rachida Dati, ministre de la Justice, et Didier Lombard, P-DG du groupe France Télécom. Cette convention s'inscrit dans le programme de modernisation de la Justice lancé par la ministre, qui prévoit notamment l'informatisation de toutes les juridictions au 1er janvier 2008.

Cool. Je pourrai plaider par SMS ?

[Via Paxatagore, lui même goguenard.]

dimanche 2 décembre 2007

La main à la poche

Par Dadouche


C'est la saison des sous.

Dans les juridictions, les greffiers en chef auxquels il reste quelques deniers font le tour des bureaux pour voir qui a besoin d'une lampe ou d'un petit meuble pour poser ses piles de dossier.

Dans les palais de la République, on examine le budget de la justice.

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vendredi 30 novembre 2007

La cour d'appel de Paris a-t-elle validé une gestation pour autrui ?

Le 25 octobre 2007, la 1e chambre C de la cour d'appel de Paris a rendu un arrêt qui a eu un certain retentissement, et qui, comme il va de soi, a été fort mal compris par la presse.

L'Express.fr titre « La justice fait un pas vers la reconnaissance de la gestation pour autrui », et sous titre « C'est une première. Un tribunal français a reconnu la qualité de parents à un couple qui avait eu recours à une mère porteuse américaine ». Libération titre « Mères porteuses : ça vient ! », ajoutant «Libération révèle que, pour la première fois, un tribunal français a reconnu la qualité de parents de jumelles à un couple qui a pratiqué la gestation pour autrui (GPA) aux Etats-Unis ».

D'accord, l'arrêt est subtil. Mais le simplifier n'imposait pas de lui faire dire ce qu'il ne dit pas.

Car présenté ainsi, on a l'impression d'assister à une rébellion des juges : la loi prohibe très clairement la gestation pour autrui. L'article 16-7 du Code civil déclare nulle une telle convention, et pour nos amis mal-comprenants, le Code pénal les punit de 6 mois d'emprisonnement et 7500 euros d'amende.

Comment diable une cour d'appel aussi respectable que celle de Paris, déclarerait-elle valide ce que tant le code civil que le code pénal punissent à l'unisson ? Ce serait une forfaiture, si ce n'est une haute trahison.

Et évidemment, il n'en est rien. La cour n'a pas validé cette gestation pour autrui, parce qu'on ne le lui a pas demandé de le faire, auquel cas elle aurait sans nul doute dit non.

Les faits étaient les suivants.

En 2000, les époux M. se sont rendus en Californie pour conclure avec Mme F., citoyenne américaine et résidente californienne, un contrat de gestation pour autrui. Elle portera l'enfant des époux M., conçu in vitro avec les gamètes du père et de Mme F., et ceux-ci seront déclarés parents par un jugement californien, conformément à la loi en vigueur dans cet Etat (California Family Code, Sections 7630 et 7650), jugement définitif rendu le 14 juillet 2000 par la cour suprême de l'Etat de Californie.

Deux filles naîtront de cette grossesse, qui seront enregistrées à l'état civil californiens comme les enfants des époux M. Ceux-ci déclareront la naissance de leurs enfants au consulat général de France, et ces actes de naissance seront transcrits au Service Central d'Etat Civil à Nantes, qui héberge tous les actes de l'état civil reçus à l'étranger concernant des Français.

Par la suite, le ministère public va demander au tribunal de grande instance de Créteil (dans le ressort duquel résident les époux M.) d'annuler cette transcription, comme contraire aux articles 16-7 et 16-9[1] du Code civil. Le tribunal de grande instance a en effet une compétence exclusive en matière d'état civil, et seul un jugement peut modifier les mentions d'un acte.

Et le ministère public va se casser les dents à deux reprises, la cour d'appel approuvant le tribunal de ne pas avoir fait droit à sa demande. Pourquoi ? Voilà où commence la subtilité.

La cour ne va pas dire au ministère public qu'il est mal fondé en sa demande. Le contrat de gestation pour autrui est certain, les pièces produites au procès le prouvent et les parents ne le contestent pas. La cour va dire que le ministère public est irrecevable en sa demande, ce qui est très différent. Une irrecevabilité est un refus d'examiner la demande, et non un rejet de la demande, parce que cette demande ne réunit pas les conditions légales pour que le juge soit régulièrement saisi. En cas d'irrecevabilité, le juge rejette la demande sans avoir à statuer sur les prétentions des parties. La demande n'est pas "reçue" par la juridiction.

Un exemple d'irrecevabilité courante est l'écoulement du délai pour agir : un appel présenté plus d'un mois après la signification du jugement (c'est à dire sa remise au destinataire par un huissier de justice) est irrecevable, quand bien même l'appelant était dans son bon droit.

Ici, d'où venait l'irrecevabilité de l'action du ministère public ? Du fait que la loi, en l'espèce l'instruction générale relative à l'état civil, permet au parquet de demander l'annulation d'un acte de l'état civil à deux conditions : que les mentions qu'il contient soient fausses ou sans objet, et que l'ordre public soit en jeu. Ici, si la deuxième ne fait pas de difficulté (l'article 16-9 du Code civil dit expressément qu'il s'agit d'une question d'ordre public), c'est la première qui fait défaut. Les mentions de l'acte ne sont pas fausses : elles résultent d'un arrêt de la Cour suprême de l'Etat de Californie (SCOC).

Ce qui est nul en droit français, c'est le contrat de gestation pour autrui passé entre les époux M. et Mme F. Mais ce que conteste le ministère public, ce sont les mentions de l'acte de naissance dressé en Californie, conformément à l'arrêt du 14 juillet 2000 de la SCOC, lui même conforme au Code de la Famille Californien, section 7630 et 7650. Or l'article 47 du Code civil dispose que « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Or ici, ce n'est pas le cas.

Le ministère public demande au juge d'annuler la retranscription d'un acte d'état civil établi selon les formes usité dans le pays, acte qui n'est ni irrégulier, ni falsifié, ni mensonger (le ministère public ne conteste pas cet état de fait). Qui plus est, s'il était fait droit à cette demande, le résultat serait que deux fillettes n'auraient plus d'acte de naissance établissant leur filiation, notamment avec leur père qui lui est bien leur père biologique, et du coup perdraient également leur nationalité française, étant nées à l'étranger et ne pouvant établir leur filiation avec un Français ! Une telle conséquence serait manifestement contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant, qui est une considération primordiale en vertu de l'article 3.1 de la Convention Internationale sur les Droits de l'Enfant, qui est aussi d'ordre public, et s'agissant d'un traité international, l'emporte sur la loi française (article 55 de la Constitution).

Pour être parfaitement clair, voici la décision de la cour sous forme d'un dialogue :

LE JUGE : Que me demandez-vous ?
LE MINISTERE PUBLIC : D'annuler la retranscription dans l'état civil français de l'acte de naissance de ces deux enfants.
LE JUGE : Et pourquoi, je vous prie ?
LE MINISTERE PUBLIC : Parce que la loi me permet d'agir pour le respect de l'ordre public et que ces enfants ont été conçus en application d'une convention de gestation pour autrui, ce que la loi française prohibe, et que cette prohibition est d'ordre public.
LE JUGE : Quel acte de naissance a été transcrit ?
LE MINISTERE PUBLIC : Un acte de naissance dressé à San Diego, Californie, Etats-Unis d'Amérique.
LE JUGE : Et qui a demandé sa retranscription ?
LE MINISTERE PUBLIC : Heu... Moi.
LE JUGE : Ha. Et cet acte est-il frauduleux ? Mensonger ? Falsifié ?
LE MINISTERE PUBLIC : Non : il a été dressé conformément au dispositif d'un arrêt de la Cour suprême de cet Etat.
LE JUGE : Cette cour pouvait-elle ordonner une telle chose ?
LE MINISTERE PUBLIC : Oui, c'est prévu par le Code des familles de Californie.
LE JUGE : Vous ne contestez pas la légalité de ce jugement ?
LE MINISTERE PUBLIC : Non, elle est d'airain.
LE JUGE : Dans ce cas, l'acte d'état civil retranscrit fait foi. Ses mentions sont conformes à un jugement, lui même conforme à la loi de ce pays. Vous n'avez pas le droit de le contester.
LE MINISTERE PUBLIC : Mais... Il y a eu convention de gestation pour autrui !
LE JUGE : Je ne veux pas le savoir. L'acte de naissance n'est pas un effet de cette convention, mais un effet de l'arrêt de la cour suprême de Californie. Or cet arrêt est conforme à la loi de Californie et vous ne contestez pas les mentions qu'il contient. 
LE MINISTERE PUBLIC : Mais l'article 16-7...
LE JUGE : Mais l'article 16-7 rien du tout. Si j'acceptais de vous écouter, et faisais ce que vous me demandiez, j'abolirais l'acte de filiation de ces enfants sans en substituer une autre. Ils n'auraient plus de parent, alors même que le père indiqué dans l'acte est sans nul doute le véritable père de ces enfants. Nous avons deux petites filles qui grandissent heureuses dans mon ressort, font la joie de leurs parents, et vous voudriez qu'à deux mois de Noël, j'en fasse des orphelines étrangères, alors même que leurs parents sont vivants et qu'elles les connaissent ? Et vous dites que cela serait conforme à l'ordre public ? Et l'intérêt supérieur de l'enfant, il n'est pas d'ordre public, peut être ? Je ne donnerai pas de médaille à ces parents, qui sont en connaissance de cause allés à l'étranger pour contourner la loi française. Mais si je ne leur donnerai rien, à commencer par de l'article 700, je ne leur prendrai rien non plus. Hors de mon prétoire céans, vous n'avez rien à y faire, dans cette affaire du moins.

Accompagnons vers la sortie ce procureur tout penaud ; et constatons que la justice n'a pas fait un pas vers la reconnaissance de la gestation pour autrui, ni reconnu la qualité de parent aux époux M. Elle a refusé d'examiner une demande d'annulation de transcription d'un acte de naissance dont la régularité n'était pas contestée, alors que c'était le seul argument qui permettait de le contester.
Cette décision est soumise à la Cour de cassation. Je doute que notre cour suprême à nous casse cette décision, qui est solidement fondée en droit. Les partisans des la gestation pour autrui verront midi à leur porte, ses adversaires y verront la Géhenne. Et vous, mes chers lecteurs, saurez qu'il n'y a rien à y voir.

Notes

[1] Qui dispose que la nullité posée par l'article 16-7 est d'ordre public : elle peut être soulevée pendant trente années, et n'est pas susceptible d'être couverte par quelque démarche postérieure.

jeudi 29 novembre 2007

Le blues du p'tit pois

Billet de Gascogne, magistrat, et invité permanent de ce blog


Y'a des jours comme ça...

Me voilà dans les rues de ma ville, enrobé comme jamais, traînant mes guêtres de serviteur de la République au milieu d'une nuée d'avocats tout autant enrobés que moi, à aller déverser notre fumier...Euh, non, notre mécontentement, devant la préfecture de mon si riant département. Il fait gris, la fumée sort plus de nos bouches que les slogans, et j'ai froid aux pieds. Bref, tout va bien.

Un copain m'aperçoit de la fenêtre de son bureau et se rue sur son téléphone portable : "Mais qu'est-ce que tu fous là, à faire le trottoir habillé en robe ?".

"Ben, ch'crois que je suis en grêve...En fait, non, je pense que je me mobilise contre la réforme de la carte judiciaire. Enfin, non...Pas contre...Je suis pour...Enfin, pas comme ça, quoi..."

Le copain a déjà raccroché, plaignant mon surmenage. En même temps, il n'y connaît rien, à la justice (il travaille avec le troisième âge). Et puis lui expliquer que m'est interdite toute action concertée visant à entraver le fonctionnement des juridictions, ça demanderait un temps que la faiblesse de ma batterie de téléphone ne me permet pas d'envisager.

Je soutiens le mouvement des avocats. Contre le mépris des politiques, contre une réforme bâclée et rédigée d'avance, sans aucune logique ni moyens. C'est vrai qu'on se répète un peu, sur les moyens. Mais les 900 millions d'Euros pour mettre en place la réforme, ils vont les trouver où ? Une bonne partie des fonds est déjà engagée dans le nouveau traitement du président de la République...Il va encore falloir que nous économisions les post-its (un greffier en chef m'avait déjà dit de les couper en trois, je crois qu'il va falloir que je passe à six).

Et pour les regroupements dans les juridictions, on les met où, les collègues et les greffiers, sur nos genoux ? Pour certains, je veux bien, mais je veux avoir le droit de choisir...

Nous voilà devant l'antre de la République. Un gentil secrétaire général accepte de nous recevoir, avocats, élus, fonctionnaires, magistrats. Il nous écoute bien gentiment, prend des notes, oscille de la tête comme le premier de la classe qu'il a nécessairement dû être. On se sent utile, écouté, sous les dorures de la République.

Quand tout le monde s'est exprimé, il nous dit qu'il nous remercie vraiment beaucoup, que c'est très gentil d'être passé, qu'il va faire remonter toutes les informations au plus haut niveau.

Et il ajoute qu'en tout état de cause, les arguments développés ainsi que la motion présentée par les avocats ont déjà été communiqués précédemment au ministère. J'ai enfin compris ce que voulait dire "pisser dans un violon".

Voilà comment vous casser le moral pour le reste de la journée.

Moi qui me disais que ce genre de manifestations (très peu fréquentes, est-il besoin de le préciser) rapprochait deux corps de métiers qui parfois se regardent en chiens de faïence, avocats et magistrats ayant par moment des points de vue difficilement conciliables. Je me disais que s'il y avait parfois divergence, c'était de cette opposition nécessaire des points de vue que naissait l'équilibre. Mais voilà que j'ai entendu par la rumeur publique parler de collègues qui se faisaient héberger par des avocats, et qui en profitaient pour refaire la déco de leur chambre.

De quoi perturber ma vision des choses. Où va la justice de mon pays...Ca m'déprime, tiens...

Vive le partage en ligne

Le Barreau de Paris est un barreau à part, de bien des points de vue. D'abord, c'est le mien.

Mais surtout il regroupe à lui seul la moitié de la profession. Il a donc une "force de frappe" que ne peuvent avoir les autres, notamment des services permanents variés et compétents. Ainsi, le barreau nous a distribué gratuitement à la rentrée un Code de déontologie des avocats, fait en collaboration avec les éditions Litec Lamy, qui reprend tous les textes applicables à la profession, plus les textes spécifiques à notre barreau, avec des annotations de jurisprudence.

Couverture des dossiers du Barreau - les honoraires d'avocat Et régulièrement, nous avons des publications professionnelles à notre toque qui contiennent des éléments précieux pour l'exercice de la profession.

Et merveille d'internet, la dernière de ces livraisons est disponible au format numérique, gratuitement, n'en déplaise à Denis Ollivennes, et est susceptible d'intéresser tous mes confrères de France, ainsi que les élèves avocats, et que mes confrères qui viennent de prêter serment et débutent leur activité professionnelle doivent absolument lire attentivement : c'est une bible pour eux. Ce document, c'est le Dossier du Barreau sur les honoraires d'avocat (74 p, 20€ version papier). Comment rédiger une facture conforme la réglementation, la différence entre une provision et un honoraire, les erreurs à éviter dans la facturation, comment prévenir les litiges, et comment les évaluer raisonnablement, et un état de la jurisprudence en matière de contentieux d'honoraires. Certes, il s'agit principalement de décisions du Premier président de la cour d'appel de Paris, mais outre que cela intéresse au premier chef mes confrères balbynniens, cristoliens, évryens, meldois, melunois, bellifontains, et pour un certain temps encore les senonais et auxerrois, la juridiction parisienne connaît d'une telle masse de contentieux qu'elle a une autorité particulière en la matière (c'est je crois la seule cour d'appel qui a une chambre permanente pour traiter ce contentieux : la 1e chambre, section K).

Bref, c'est un document précieux pour tous les avocats de France, et qui demeure accessible pour l'essentiel aux non avocats.

Je ne crois pas que mon bâtonnier bien-aimé m'en voudra de vous inviter à en profiter.

Voici ce document, un fichier PDF de 4,12 Mo. Bonne lecture.

[Mise à jour] : le site du barreau semble être confronté à une surcharge, peut être à cause de mon lien. J'ai créé un miroir sur Free : voici un deuxième lien pour télécharger le document. Il deviendra automatiquement mort si aucun téléchargement n'a lieu pendant trente jours.

Home sweet home

Cher Eolas,

Merci de m'avoir laissé les clefs. Tu m'as dit de prendre mes aises, j'ai donc un peu refait la décoration. J'espère que ça te plaira. Je n'ai pas eu le temps de tout ranger avant de partir, j'ai des signalements aux fins de placement provisoire qui sont arrivés et des mineurs à juger. J'ai gardé ma copie des clefs, au cas où. A bientôt.
Amitiés,

Dadouche.


Maitre Eolas, porteur d'une valise portant des étiquettes "Cour d'appel de Rion", "TGI de Niort", "TGI de la Roche Sur Yon" rentre manifestement de voyage ; il est médusé à l'entrée d'une pièce entièrement redécorée de nuances de rose et de mauve. Au mur, un poster de Britney Spears, une cible de fléchettes à l'effigie de Rachida Dati, et un poster de Chuck Norris arme au poing, où on peut lire "greffier powaa !" ; par terre, un ours en peluche rose avec un coeur dessiné sur le ventre, et un pot de Nutella.

mardi 27 novembre 2007

Liste de Noël

Par Dadouche.


Les services municipaux commencent à accrocher les décorations en travers des rues. Des monceaux de foie gras dégoulinent des rayons de mon supermarché.

Comme beaucoup de mes "clients", je commence à préparer ma lettre à qui de droit.

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lundi 26 novembre 2007

Chambre avec vue

Par Dadouche


Le maître des lieux m’ayant filé un double des clés pour arroser les plantes en son absence en échange d’une chambre d’ami, je débarque avec mes petites affaires.

Si vous lisez ce billet, c’est que j’ai bien compris les instructions et que je ne suis pas restée coincée à la porte. C’est déjà ça.

Le plus dur reste à venir : trouver un sujet...

La carte judiciaire, ça, c’est bon, c’est fait, même si on en reparlera forcément.
Les moyens de la justice, c’est un peu comme la pub dans la boîte au lettres : on en parle tellement, à chaque détour de billet, que personne n’y fait plus attention.
Le droit des étrangers, j’y connais rien, le traité constitutionnel européen, pas beaucoup plus. Et puis j’aurais l’impression de squatter la chambre à coucher.

Qu’est ce que je connais mieux qu’Eolas ? Au fur et à mesure que je lis ses billets, ça se réduit comme peau de chagrin.

Si, il y a quand même un truc : l’envers du décor judiciaire, celui dont les avocats n’ont qu’un aperçu.
Voilà, c’est avec ça que je vais décorer la chambre d’ami : les coulisses de la justice en province.

J’ai déjà quelques bibelots, posés ça et là dans ce blog au fil des commentaires : les affres du JLD, la journée d’un substitut, le délibéré d’assises ou encore les joies de l’assistance éducative et de l’audience Muscadet (n’ayant pas encore trouvé le placard des produits d’entretien, je suis bien incapable de mettre les liens qui vont bien ça y est j'ai trouvé, j'espère que je n'ai pas laissé de miettes partout).
Il n'y a plus qu'à meubler autour...

Mon armoire normande, ça pourrait être le point commun à tout ça : le greffier.

Parce qu'un magistrat sans greffier, c’est Actarus sans Goldorak, Harry sans Ron et Hermione, Philémon sans Baucis, le yin sans le yang ou l’Auvergne sans Saint Nectaire : rien du tout.

Le greffe d’un tribunal comprend des greffiers (catégorie B) et des agents (catégorie C), sous l’autorité du greffier en chef (catégorie A). Le Livre huitième de la partie réglementaire du Code de l’Organisation Judiciaire leur est consacrée.
Leur rôle est ainsi défini : les greffiers en chef et les greffiers “assistent les magistrats à l’audience et dans tous les cas prévus par la loi”. Les agents peuvent également tenir ce rôle en “faisant fonction” de greffier en prêtant serment (mais pour pas un rond de plus...).

Au delà de cette fiche de poste un peu sèche, le personnel de greffe est l’âme d’un tribunal.

N’importe quel avocat vous le dira : entre le juge et le greffier, choisissez toujours le greffier. Les juges passent mais les greffiers restent et ils peuvent singulièrement faciliter ou compliquer la vie d’un auxiliaire de justice selon son attitude avec le personnel de greffe.
Les avocats les plus malins sont ceux qui se ruinent en ballotins de chocolat au moment des fêtes pour les distribuer dans les services du tribunal.

L'accueil des justiciables est réalisé par le personnel de greffe, au standard téléphonique ou au Guichet Universel de Greffe (GUG).

Au Parquet, le secrétariat-greffe enregistre toutes les procédures qui arrivent au bureau d’ordre et les font parvenir aux magistrats, puis assurent l’intendance des décisions prises.
Un classement sans suite ? On sort le courrier d’avis à la victime.
Une citation devant le tribunal correctionnel ? On audience le dossier en faisant parvenir la citation à l’huissier et on met le dossier en état (demande de casier judiciaire, avis à la victime etc...)
Une audience correctionnelle ? On assiste à l’audience où l’on prend les notes qui feront foi sur son déroulement, on met en forme le jugement et on le fait signifier si besoin est, avant d’assurer la transmission au casier judiciaire, à la maison d’arrêt, au JAP, au Trésor Public, bref, à tous ceux qui concourent à l’exécution de la décision ou doivent en être informés.
Une session d’Assises ? Il faut convoquer les jurés, les chouchouter, convoquer les experts et les témoins, prendre en charge les mémoires de frais de tout ce petit monde, veiller à éviter la moindre nullité de procédure.

Dans les procédures civiles, le secrétariat-greffe tient le répertoire général des affaires dont la juridiction est saisie et verse au dossier tous les documents relatifs à l’affaire.
Un certain nombre d’avis sont également délivrés, ainsi que les convocations des parties dans certaines matières.
Le greffier assiste à l’audience puis assure la mise en forme du jugement tel qu’il a été motivé par le juge ainsi que la délivrance des copies des décisions et la transmission des dossiers d’appel.

Dans les fonctions de cabinet (juge des enfants, juge d’instruction, juge d’application des peines, juge des tutelles) où on “gère” des stocks de dossiers plutôt que des flux, le couple juge/greffier est la pierre angulaire du système. Contrairement au service pénal ou civil, le juge et le greffier ont souvent des bureaux mitoyens (et généralement communicants) et travaillent main dans la main toute la journée.
Le greffier adresse toutes les convocations, assiste à l’audience (enfin en principe, parce que chez le juge des enfants, ce n’est pas toujours le cas), met en forme les jugements et ordonnances, délivre les copies de dossier aux avocats.
Le greffier d’instruction est le garant de la fidélité du procès verbal, le greffier du juge des enfants est la courroie de transmission indispensable avec les familles et les services éducatifs, le greffier du JAP est en relation fréquente avec l’établissement pénitentiaire et le service pénitentiaire d’insertion et de probation, le greffier des tutelles reçoit souvent la visite impromptue de majeurs protégés qui viennent râler contre leur tuteur ou curateur.
Si le courant ne passe pas entre les deux membres du couple, la cohabitation est douloureuse et le fonctionnement du cabinet peut être altéré.

Les greffiers sont en première ligne, souvent le rempart du juge contre les justiciables qui veulent débarquer dans le bureau, les avocats extérieurs qui veulent “dire un mot au juge” pour le sonder avant l’interrogatoire, les officiers de police judiciaires qui attendent la prolongation de commission rogatoire qui est restée sous la pile.

Il faut rappeler que c’est une greffière du TGI de Rouen qui a été brûlée par une justiciable furieuse d’un refus de modification du contrôle judiciaire et qu’ils sont plus généralement les victimes immédiates du mécontentement des justiciables.
On comprend qu'une formation de gestion des "publics difficiles" leur soit fréquemment proposée...

Et quel soulagement, après un interrogatoire tendu, une audience de placement difficile, une reconstitution sous la pluie toute une journée, un procès d’Assises sur plusieurs jours, un débat devant le juge des libertés et de la détention qui se termine à 23 heures, de pouvoir échanger avec quelqu’un qui l’a vécu à côté de vous.

Pour avoir travaillé pendant 5 ans avec une greffière d’instruction exceptionnelle dotée d’un sens de l’humour à toute épreuve et avoir la chance encore aujourd’hui d’avoir à mes côtés une greffière de juge des enfants expérimentée qui materne “sa” juge et a l'art d'apaiser les familles les plus vindicatives, je mesure tout ce que le personnel du greffe peut apporter à l’oeuvre de justice.

Pourtant, les délais de traitement des procédures et les conditions d’accueil du public se dégradent, notamment parce que les secrétariat-greffes souffrent d’un sous-effectif chronique (revoilà la pub dans la boîte aux lettres).

Selon l’annuaire statistique de la Justice 2006, il y avait en 2005 environ 22000 fonctionnaires et contractuels des services judiciaires (ce qui comprend aussi les agents de service techniques, les concierges, les chauffeurs etc...), dont 10000 greffiers et greffiers en chef, pour 7500 magistrats. Enfin, ce sont les effectifs budgétaires, qui ne sont pas tous pourvus.
De nombreuses juridictions ne “tournent” que grâce au dévouement des fonctionnaires, qui assument, comme les magistrats, de plus en plus de tâches.
Exemple : la loi Perben (je ne sais plus le numéro, j'ai perdu le fil) prévoit la délivrance d’un avis à victime pour toutes les procédures classées sans suite au motif “auteur inconnu”. Compte tenu du taux d’élucidation des procédures, cela a représente en 2004 3.300.000 procédures sur les 5.400.000 enregistrées dans les parquets français. Le même nombre de greffiers est donc censé envoyer plus de 3 millions de courriers-type en plus. Etant donné que certains greffes ne parviennent même pas à enregistrer les procédures dont l’auteur reste inconnu, je vous laisse imaginer comment la nouvelle loi va être appliquée.

Et encore, les magistrats font de plus en plus eux-mêmes des tâches en principe dévolues aux greffiers, qui eux mêmes sont contraint d’abandonner souvent leur rôle de garant de la procédure pour un travail de secrétariat auquel les agents ne suffisent plus depuis longtemps.

Je profite donc de l'emménagement dans ma chambre d’ami pour ce coup de chapeau à ceux qu’on entend assez peu, et qui seront les plus gravement touchés par la réforme de la carte judiciaire (et on a pas fini d’en parler de celle-là).
A Moulins, ce sont des avocats et une greffière qui se sont mis en grève de la faim...

Spéciale dédicace à mon Goldorak de l’instruction et ma Baucis du tribunal pour enfants.

Service minimum

Mon agenda judiciaire de cette semaine étant fort chargé, mon blog risque de connaître quelques jours de calme. Soyez sages.

vendredi 23 novembre 2007

Avis de Berryer

Mon confrère Antonin Lévy vous parle :


Peuple de Berryer !

Parce que la Conférence ne connaît pas le repos, [Eolas : "Tousse ! Tousse !"]

Parce que la Conférence ne connaît pas la grève,

Parce que la Conférence ne veut que des lundis au soleil, [Eolas : c'est quelque chose qu'on n'aura jamais !]

Parce que l'année n'est pas encore finie,

La Conférence Berryer, pour sa huitième séance, recevra, ce lundi 26 novembre à 21h, dans la Chambre des Criées, Monsieur Jean-Laurent Cochet (ou si vous préférez plus collaboratif).

1er sujet : La culture est-elle en jachère ? 2ème sujet : Les femmes jouent-elles mieux la comédie ?

Le rapporteur de cette séance sera Madame Karine Bourdié, Cinquième Secrétaire de la Conférence.

Il est nécessaire de se munir d'une invitation par personne et d'une pièce d'identité pour entrer au Palais le soir de la Berryer.

Les invitations sont disponibles EN CLIQUANT ICI.

Il est rappelé que les invitations ne valent pas réservation de place assise et que l'accès à la Chambre des Criées sera limité au nombre de places disponibles.

Les candidats peuvent s'inscrire directement auprès du Quatrième Secrétaire à l'adresse suivante : alevychezdarroisvilley.com

Le Nouveau Centre a enfin touché au grisbi

Vous vous souvenez que le Nouveau Centre avait été pris la main dans le pot de confiture ? Le récit est dans ce billet : une tentative de changer la loi sur le financement des partis politiques car ce parti (2,75% des voix au niveau national) ne remplissait pas la condition des 50 candidats ayant obtenu 1% des voix dans leur circonscription. Ca s'était vu, et François Bayrou, qui ne leur pardonne pas leur trahison, allié aux députés socialistes plus mobilisés que les députés UMP, avait réussi à faire capoter la discussion, qui a été renvoyée sine die.

La morale est sauve, Hervé Morin a compris la leçon ?

Non. Hervé Morin a compris la leçon, tout court.

Son problème était le suivant : les faits ne lui permettent pas de bénéficier du financement légal. La première solution possible était de changer la loi. Échec.

Il ne restait donc plus qu'à changer les faits.

Et c'est chose faite, grâce aux règles spécifiques applicables... aux DOM TOM.

(Tahitipresse) - Le Nouveau Centre a annoncé, lundi, avoir conclu avec le Fetia Api "une 'convention de financement', qui permettra au parti fondé par des anciens de l'UDF ralliés à Nicolas Sarkozy de bénéficier du financement public", rapporte le quotidien "Le Monde". Le leader de la formation polynésienne, Philip Schyle, confirme cette signature qui, pour lui, présente de multiples avantages.

"Convention de financement". On dirait du Chirac.

Et au fait, c'est quoi ces "multiples avantages" ?

"Le récent parti centriste n'a obtenu aucun subside de l'État, faute d'avoir atteint aux législatives le seuil des cinquante candidats ayant obtenu 1% des voix. En s'alliant au Fetia Api, qui bénéficie des règles moins contraignantes de l'Outre-mer, le Nouveau Centre devrait toucher 'entre 880 000 et 1,3 million d'euros' (...)", rapporte "Le Monde" qui ajoute qu'en échange de son concours, le Fetia Api devrait obtenir une enveloppe de 20 000 euros.

Rappelons que le Fetia Api (Qui veut dire "Etoile Nouvelle", à moins que ce ne soit "Nouvelle Star"?) n'est pas un parti centriste, mais indépendantiste autonomiste de la Polynésie française (ce qui est en soi une cause parfaitement respectable).

Pour résumer, le ministre de la Défense fait cause commune avec un parti promouvant la partition du territoire de la République le relâchement des liens avec une partie du territoire de la République [Partie mise à jour suite à une mise au point d'un résident de tout là bas.], pour toucher entre 800.000 et 1,3 millions d'euros, et en reverse 20.000 à ce parti.

Tout va bien, c'est légal.

Mais alors pourquoi ai-je envie de vomir ?

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