Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 11 juillet 2008

Les PV de stationnement seraient-ils illégaux ?

Question que se pose la presse (Libération, Le Parisien, Le Figaro…) à la suite d'un jugement de la juridiction de proximité de Versailles (que je n'ai pas pu me procurer) qui estimerait que la contravention de défaut d'affichage du ticket de l'horodateur n'étant prévu par aucun texte, il ne saurait constituer une contravention.

Le lecteur méfiant flairera l'emballement médiatique et, je le crains pour les automobilistes radins qui me lisent, il aura raison.

D'une part, il est téméraire de prendre une décision isolée d'une juridiction de proximité (donc un juge non professionnel) et d'en faire une jurisprudence générale. C'est là plutôt le rôle de la cour de cassation.

D'autre part, il est prudent d'ouvrir son Code de la route avant d'écrire (même si, chère Aliocha, je connais les contraintes d'horaires de bouclage et d'angle…). Certes, la réponse tient du jeu de piste, mais je crains fort qu'elle ne soit néanmoins bien solide.

Car il est vrai que nulle part le Code de la route ne parle de l'affichage du ticket horodateur. De fait, le seul horodateur que connaît la législation routière est celui des taxis, qui indique à l'arrière l'heure à laquelle ils doivent cesser leur service (décret n°95-935 du 17 août 1995, art. 1er, 4°).

C'est en arrêtant là ses recherches que le juge de proximité de Versailles s'est trompé.

Car le Code de la route fixe les règles relatives au stationnement des véhicules sur la voie publique aux articles R. 417-1 et suivants.

L'article R.417-1 précise les règles générales de stationnement en agglomération. Le R.417-2 prévoit la possibilité pour le maire d'imposer sur certaines voies de sa commune un stationnement alterné côté pair/ côté impair. Le R.417-3 prévoit la possibilité pour le maire de créer les zones “bleues” à stationnement gratuit et limité, avec le bon vieux disque, qui a quasiment disparu (essentiellement à cause du concept désormais saugrenu de gratuité). Le R.417-4 prévoit les règles générales de stationnement hors agglomération. Le R.417-5 interdit de se garer sur les passages piétons. Contrairement à une croyance très répandue dans la capitale, il s'applique aussi à Paris. L'article . R.417-7 interdit d'ouvrir sa portière si cette ouverture met autrui en danger ; contrairement à une croyance là aussi très répandue, autrui inclut maître Eolas à vélo dans Paris. L'article R.417-8 interdit le stationnement dangereux. Vous me direz que j'ai oublié le R.417-6. Non point, je l'ai mis de côté, car c'est lui qui nous intéresse.

Que dit-il ?

Tout arrêt ou stationnement gratuit ou payant contraire à une disposition réglementaire autre que celles prévues au présent chapitre est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la première classe.

Soit 38 euros d'amende au maximum.

Ce qu'on appelle disposition réglementaire est une règle générale prise par l'autorité administrative. Le pouvoir réglementaire appartient essentiellement au premier ministre, qui signe les décrets. Mais la loi peut habiliter d'autres autorités administratives à prendre de telles dispositions, par délégation, cette délégation devant être limitée dans son objet.

La question qui se pose donc à présent est : la loi permet-elle au maire d'imposer un stationnement payant sur sa commune ?

Réponse : oui, c'est l'article L.2213-6 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) :

Le maire peut, moyennant le paiement de droits fixés par un tarif dûment établi, donner des permis de stationnement ou de dépôt temporaire sur la voie publique et autres lieux publics, sous réserve que cette autorisation n'entraîne aucune gêne pour la circulation et la liberté du commerce.

Les modalités de délivrance de ce permis (et le tarif) sont fixés par l'arrêté municipal en question. Notamment, le maire peut prévoir que ces permis seront délivrés par un automate et imposer au conducteur de laisser ce permis apparent sur le pare-brise afin de permettre aux agents municipaux de vérifier le paiement de l'écot.

Supposons que nonobstant les dispositions très claires de l'arrêté municipal que le conducteur aura immanquablement lu avec attention, il s'abstient d'exposer visiblement son ticket, que se passera-t-il ?

Peu importe qu'il ait bien payé l'octroi, la question n'est pas là. Il n'a pas affiché le permis de stationnement, appelé “ticket horodateur” par les mortels. Or l'arrêté municipal exige que ce ticket soit affiché.

Vous avez deviné. En n'affichant point ce permis de stationnement, le conducteur a effectué un stationnement payant contraire à une disposition réglementaire (un arrêté municipal) autre que le chapitre 7 du titre Ier du Chapitre IV de la partie réglementaire du Code de la route (ne soyez pas modestes, je sais que vous aviez deviné), donc puni d'une contravention de la 1e classe.

Ergo, de deux choses l'une. Soit l'automobiliste versaillais a produit l'arrêté municipal en vigueur concernant la voie où il stationnait et a établi que cet arrêté n'exige nullement l'affichage du permis de stationnement MAIS qu'il avait bien payé un tel permis pour les infractions qu'on lui reprochait et a été relaxé à bon droit, sans qu'aucune règle générale applicable hors le chef lieu de canton des Yvelines ne puisse en être tirée. Soit il a plaidé qu'aucun texte dans le code de la route ne prévoit un tel affichage, et le juge l'a suivi sans consulter les arrêtés municipaux en vigueur auquel cas il a commis une erreur de droit.

Dans les deux cas, annoncer à cor et à cris l'illégalité des PV de stationnement me paraît un peu téméraire.

Sans compter qu'il ne s'agit pas de PV mais d'avis de contravention accompagné d'une carte de paiement. Ha, ces journalistes…

jeudi 10 juillet 2008

De grâce...

Par Gascogne


Moi qui adore passer mon temps libre à critiquer le gouvernement et ses lois pénales, à tel point que d'aucuns ont pu voir dans ce blog le faux-nez d'un journal d'opposition, je m'en vais vous conter aujourd'hui pourquoi je suis entièrement d'accord avec une mesure déjà prise l'année dernière et qui devrait être reconduite cette année : la disparition de la grâce du 14 juillet.

Un petit mot technique tout d'abord : la confusion est souvent faite entre grâce et amnistie. Les deux mesures sont pourtant bien distinctes.

L'amnistie est prévue à l'article 133-9 du Code Pénal. Elle efface les condamnations, et en conséquence leurs effets, à savoir la peine prononcée. Il est interdit d'y faire référence. C'est une loi qui prévoit les infractions ou quanta de peine amnistiés. La loi, traditionnellement votée après une élection présidentielle, peut également prévoir que les mesures d'amnistie s'appliqueront par mesures individuelles. C'est ainsi que la loi du 3 août 1995 a pu prévoir dans son article 13 que les personnes qui se sont distinguées de manière exceptionnelle dans les domaines humanitaires, culturels, scientifiques ou économiques pouvaient en bénéficier. Le domaine sportif a été rajouté dans la loi d'amnistie du 6 août 2002. Certains journaux satiriques de la famille des anatinae ont pu en déduire que cet ajout avait été fait dans le seul intérêt d'un célèbre sportif ceinture rouge et blanche et quadruple champion du monde de son état, très proche du Président de la République, et en indélicatesse à cette époque avec la justice.

La grâce quant à elle est une résurgence de l'Ancien Régime et du droit de grâce royale. C'est l'article 17 de la constitution du 4 octobre 1958 qui octroie ce droit au Président de la République. L'article 133-7 du Code Pénal dispose que "la grâce emporte seulement dispense d'exécuter la peine". La condamnation subsiste donc, et peut par exemple servir de premier terme à la récidive, mais le condamné n'exécutera pas la totalité de la peine.

Habituellement, le décret de grâce signé par le Président de la République pour le 14 juillet permettait à chaque condamné à une peine d'emprisonnement ferme en cours d'exécution de bénéficier de 15 jours de remises par mois dans la limite maximum de quatre mois. Si la personne était déjà incarcérée, elle pouvait donc voir sa date de fin de peine se rapprocher, et même sortir immédiatement de détention. Si la personne n'était pas encore incarcérée, elle pouvait voir sa peine purement et simplement ne pas être exécutée.

Le but de la grâce est essentiellement de désengorger les prisons.

Outre la violation manifeste de la séparation des pouvoirs, l'exécutif pouvant revenir sur une décision judiciaire, je n'ai jamais vu que des aspects négatifs à cette mesure.

Le condamné en attente d'exécution pouvait connaître un certain sentiment d'impunité, les tribunaux passant pour des tigres de papiers.

De plus, pour les détenus, les sorties de détention peuvent par ce biais se faire sans aménagement, alors que ces derniers sont les meilleurs moyens de lutte contre la récidive. Et une question essentielle se pose alors : si un condamné sortant avant sa fin de peine grâce à une décision du Président de la République récidive durant la période où il aurait dû être incarcéré, le Président doit-il payer pour sa faute ?

Enfin, la pratique du décret de grâce pouvait aboutir dans la période pré-estivale à des calculs d'apothicaires peu recommandables de la part des tribunaux : je veux qu'il fasse deux mois, je vais dont lui en mettre quatre...

Si les aménagements de peine doivent être multipliés pour faciliter la réinsertion des condamnés, et éviter la récidive, la grâce en tant que mode de gestion de la population pénale est à l'antipode de cette politique pénale.

Pour cette raison, je ne peux que rendre grâce au Président Sarkozy d'avoir rompu avec cette tradition.

mardi 8 juillet 2008

les mystères de l'OPP

Par Dadouche



J'ai déjà évoqué à plusieurs reprises (par exemple ici) l'OPP, l'Ordonnance de Placement Provisoire, qui peut être la hantise du juge des enfants ou du substitut des mineurs quand on lui demande de la prendre un vendredi soir à 18 heures.
Un récent article de Libération évoque une OPP prise par le parquet de Nanterre. Je n'entrerai pas dans le détail de cette situation, que je ne connais pas, et au sujet de laquelle l'article donne essentiellement le point de vue des parents. Mais c'est l'occasion de rappeler le fonctionnement de cette procédure, humainement jamais facile à mettre en oeuvre, qui entraîne le placement en quelques heures d'un mineur.

D'abord le principe : le juge des enfants ne prend aucune décision sans audience préalable, avec convocation de la famille.

C'est le premier alinéa de l'article 1184 du Code de Procédure Civile : Les mesures provisoires prévues au premier alinéa de l'article 375-5 du code civil, ainsi que les mesures d'information prévues à l'article 1183 du présent code, ne peuvent être prises, hors le cas d'urgence spécialement motivée, que s'il a été procédé à l'audition, prescrite par l'article 1182, du père, de la mère, du tuteur, de la personne ou du représentant du service à qui l'enfant a été confié et du mineur capable de discernement.
Les convocations pour cette audience doivent être adressées 8 jours au moins avant la date de celle-ci (article 1188 CPC)
La décision prise par le juge des enfants à l'issue de cette audience est alors en principe un jugement.

Si cette procédure permet d'agir relativement vite, il est cependant des cas où une intervention immédiate peut être nécessaire.
Rappelons qu'en tout état de cause le juge des enfants intervient lorsque la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises (article 375 du Code Civil)et que chaque fois qu'il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel (article 375-2).
Les situations où une Ordonnance de Placement Provisoire peut être nécessaire supposent donc quelque chose de plus que l'existence d'un danger.

Deux hypothèses :

- le juge des enfants est déjà saisi de la situation du mineur
Une mesure d'action éducative en milieu ouvert ou une mesure d'investigation est déjà en cours et des éléments apparaissent brusquement, qui rendent indispensables un placement le jour même. Exemples parmi de nombreux autres : le mineur est hospitalisé à la suite de violences subies au domicile, les parents ont mis à la porte leur ado dont ils ne supportent plus les provocations, ...
Les dispositions de l'alinéa 1er de l'article 375-5 du Code Civil permettent alors au juge des enfants d'intervenir en urgence et de confier provisoirement, par ordonnance, le mineur à une structure habilitée. Il doit dans sa décision caractériser, outre les motifs qui rendent le placement nécessaire, l'urgence qui empêche de respecter la procédure habituelle de convocation préalable.
L'alinéa 2 de l'article 1184 du CPC dispose alors que : Lorsque le placement a été ordonné en urgence par le juge sans audition des parties, le juge les convoque à une date qui ne peut être fixée au-delà d'un délai de quinze jours à compter de la décision, faute de quoi le mineur est remis, sur leur demande, à ses père, mère ou tuteur, ou à la personne ou au service à qui il était confié.
A l'issue de cette audience, un jugement est rendu qui peut soit maintenir la décision de placement soit y mettre un terme.

- le juge des enfants n'est pas encore saisi de la situation
C'est le Procureur de la République qui est destinataire d'un signalement urgent, qui peut émaner de l'Aide Sociale à l'Enfance, d'un service hospitalier, de l'Education Nationale, des services de police. Il peut s'agir d'un mineur en fugue trouvé sur le ressort, d'un mineur victime de mauvais traitement, d'un mineur étranger isolé (sans doute la majorité des situations dans les plus grosses juridictions), d'un mineur dont les deux parents sont en garde à vue et pour lequel il n'y a pas de solution familiale... Les situations sont multiples.
Les dispositions de l'article 375-5 du Code Civil permettent alors au Procureur de confier le mineur provisoirement à une structure, à charge pour lui de saisir le juge des enfants dans un délai de 8 jours par requête.
L'alinéa 3 de l'article 1184 du CPC dispose alors que :Lorsque le juge est saisi, conformément aux dispositions du second alinéa de l'article 375-5 du code civil, par le procureur de la République ayant ordonné en urgence une mesure de placement provisoire, il convoque les parties et statue dans un délai qui ne peut excéder quinze jours à compter de sa saisine, faute de quoi le mineur est remis, sur leur demande, à ses père, mère ou tuteur, ou à la personne ou au service à qui il était confié.
C'est le cas décrit dans l'article de Libération : l'OPP a été prise par le Parquet le 26 juin, on peut raisonnablement penser que la requête a été faite le même jour, et l'audience est prévue le 10 juillet, dans le délai de 15 jours.

Ce délai de 15 jours prévu dans les deux hypothèses, qui paraît toujours trop long aux premiers intéressés, permet non seulement au juge d'organiser matériellement l'audience (libérer un créneau dans son emploi du temps, faire adresser les convocations en temps utile) mais également de rassembler davantage de renseignements que ceux qui ont conduit à la prise de décision en urgence.
Comment en effet éclairer la prise de décision finale si on ne dispose pas d'autres éléments que ceux que l'on avait lorsqu'on a pris la décision en urgence ? Les observations réalisées durant le placement peuvent être précieuses, des dispositions peuvent être prises par la famille durant ce délai (par exemple hospitalisation d'un parent, reprise d'un traitement, départ d'un conjoint violent).
Une OPP n'est pas nécessairement suivie d'un placement à plus long terme. Elle peut permettre de procéder à des investigations complémentaires, de calmer une situation de crise. Elle peut aussi, même si elle n'est pas utilisée dans ce but, être un électrochoc qui permet des changements dans une situation complexe.
Elle peut également avoir des conséquences désastreuses, en braquant durablement les parents qui se sentent stigmatisés.

Vous l'aurez compris : ce qui caractérise l'OPP c'est l'urgence, la nécessité d'agir sans délai.
Je ne connais aucun magistrat qui aime statuer par OPP : agir en urgence, c'est presque toujours le signe qu'on a pas su repérer une situation de crise qui couvait. Par ailleurs, une décision sans audience préalable est toujours insuffisamment éclairée et mal comprise par les premiers concernés.
La réflexion est permanente sur le sujet de l'urgence : faut-il intervenir ? faut-il faire jouer un soi-disant principe de précaution ? est il préférable que le Parquet prenne l'OPP ou qu'il saisisse le juge des enfants immédiatement et lui laisse le soin d'en apprécier l'opportunité ? comment agir dans l'urgence et non dans la précipitation ?
Les réponses sont différentes selon chaque situation. Elles peuvent dépendre par exemple de l'âge des mineurs concernés : un bébé est plus vulnérable qu'un enfant plus âgé, qui peut alerter sur sa situation. La protection de la sécurité physique immédiate peut plus fréquemment nécessiter d'agir sans délai que les hypothèses de carences éducatives, même graves. L'intention affichée des parents de s'éloigner au plus vite pour éviter une intervention des services de protection de l'enfance peut également justifier une intervention en urgence, de même que l'existence de précédents de violence au sein de la famille.

Je ne tenterai pas de faire croire que toutes les OPP apparaissent justifiées a posteriori. Mais il est facile de refaire le match une fois qu'il est terminé.

Par ailleurs, aux grands principes qui guident l'action des magistrats viennent se mêler des réalités matérielles et humaines. Quand un enfant qu'on n'a pas placé assez vite s'est retrouvé à l'hôpital, on a tendance ensuite à faire jouer un principe de précaution dans des situations tangentes. Quand on entend, après un dramatique fait-divers, que "le juge doit payer", on est tenté d'ouvrir le parapluie un peu plus vite. Quand on a déjà vingt-cinq audiences prévues dans la semaine, on est secrètement soulagé que le Parquet prenne l'OPP et rédige sa requête quelques jours plus tard pour laisser le temps de caser cette audience imprévue dans les délais légaux. Quand on voit arriver une requête avec demande d'OPP, que l'Aide Sociale à l'Enfance n'attend à l'autre bout du fax que ladite OPP pour organiser le placement, qu'on sait que passé une certaine heure la décision sera plus compliquée à mettre en oeuvre, qu'on sort d'une audience houleuse et qu'on se prépare à la suivante qui ne sera guère plus tranquille, on prend le temps de lire les éléments de façon approfondie voire de décrocher son téléphone pour obtenir une précision supplémentaire, mais pas forcément de rédiger deux pages pour caractériser la nécessité d'intervenir en urgence

Enfin, chacun a une conception de l'urgence, tout comme chacun a une conception du danger. Il y a des situations qui n'appellent pas de longs débats, d'autres qui sont bien plus complexes. Il faut savoir résister aux appels insistants du chef de service de l'Aide Sociale à l'Enfance, du service d'AEMO ou du substitut des mineurs : "Mais comment, untel n'est toujours pas placé ?" ou "On attend toujours votre OPP pour la situation Trucmuche". Il faut parfois savoir dire non. Mais quelle que soit la décision, on a toujours peur de se planter, et on suscite toujours des réactions. Et on se plante parfois, dans un sens ou dans l'autre.

Je n'ai pas trouvé de statistiques récentes sur le nombre de décisions prises en urgence, mais mon expérience personnelle me conduit à constater qu'elles ne concernent finalement qu'une part très réduite des décisions de placement, dans la juridiction de taille moyenne dans laquelle j'exerce, où les cabinets des juges des enfants sont chargés mais dans une mesure encore gérable, où le dialogue est constant avec le substitut des mineurs et les services éducatifs, et où le Conseil Général met quelques moyens dans la Protection de l'Enfance, dont il a la responsabilité (on peut toujours mieux faire, mais c'est pire ailleurs).[1]

Ce billet n'ayant pas vocation à commenter la situation qui a donné lieu à l'article de Libération ni à servir de défouloir à tous ceux qui "connaissent quelqu'un dont les enfants...", mais à expliquer la procédure appliquée en l'espèce, tout commentaire d'une décision judiciaire particulière sera considéré comme un troll, quel que soit l'intérêt des réflexions développées, et traité en conséquence.

Notes

[1] Pour ceux qui veulent pousser la réflexion sur cette notion d'urgence et les contradictions dans lesquelles peuvent se débattre les juges des enfants à ce sujet, j'ai trouvé cet article rédigé par un sociologue en 2006 pour une revue spécialisée, qui soulève des questions intéressantes. Je précise que les données de l'enquête effectuée par l'auteur remontent aux années 1996-2000, soit avant les lois de 2002 et 2007 qui ont pour la première renforcé notablement le contradictoire dans la procédure d'assistance éducative et pour la deuxième créé des dispositifs qui offriront à terme davantage de solutions intermédiaires que l'alternative AEMO/Placement.

lundi 7 juillet 2008

Entrer, rester ou partir

J'écoutais ce dimanche, comme chaque dimanche, l'Esprit Public, sur France Culture. Pour la dernière émission de la saison, l'orage que l'on sentait monter entre Max Gallo et Jean-Louis Bourlanges a enfin éclaté, avec l'aspect rafraîchissant des pluies d'été, mais aussi cet aspect aussi violent qu'éphémère, sur le premier thème de l'émission, à la suite de l'affirmation audacieuse du second que Charles de Gaulle était un exemple de l'antimilitarisme de droite dont on feint ces jours-ci de redécouvrir l'existence. Le biographe du Général a pris la mouche et a eu un mot malheureux pour qualifier cette affirmation, qui a donné lieu en réplique à une superbe démonstration d'artillerie de la part de Jean-Louis Bourlanges qui laissera le pauvre Max sonné. Un moment savoureux, à la 15e minute et 59e seconde du fichier Real Audio®.

C'est la deuxième partie de l'émission qui a particulièrement retenu mon attention, puisqu'elle traitait de la question de l'immigration.

Au cours de son intervention, Yves Michaud, philosophe, directeur de l'Université de Tous Les Savoirs, a exposé ce qui serait selon lui un paradoxe :

Las, las ! Cette affirmation, dans un débat au demeurant de qualité, est comme une verrue sur le nez d'une belle. Il gâche un peu l'ensemble.

Cela illustre surtout la méconnaissance du droit des étrangers, droit ô combien complexe il est vrai (notamment un des rares à cheval sur les deux ordres de juridiction) qui fait que même des esprits d'honnêtes hommes (au sens humaniste) qui se penchent sur la question n'arrivent pas à y retrouver leurs petits. Il faut dire que sa complexité se double d'une dose infinie d'hypocrisie qui ferait rougir de honte Tartuffe. Le petitesse a tendance à égarer les grands esprits.

Voici donc un rapide vade mecum des fondamentaux, comme on dit dans le noble art du rugby, du droit des étrangers, pour savoir de quoi on parle.

Prolégomène : n'oubliez jamais que le droit est la science des exceptions. Chaque principe a les siennes… sauf exceptions, naturellement.

ENTRER

Tout étranger (les ressortissants de l'UE ne sont plus vraiment des étrangers et bénéficient de règles spécifiques ; disons qu'en gros, ils vont où ils veulent et restent le temps qu'ils veulent. Oui, sauf exceptions, naturellement) désirant entrer en France doit être muni d'un certain nombre de documents, dont le défaut entraînera son refoulement à la frontière. Ces documents sont, essentiellement : un document de voyage (en principe un passeport, par exception une carte d'identité ou un document assimilé : carte de réfugié ou d'apatride, par exemple), le cas échéant revêtu d'un visa (j'y reviens), les justificatifs des raisons de son séjour (travail, tourisme), la preuve qu'il dispose des moyens de subvenir à ses besoins, y compris son retour dans son pays d'origine, et d'une assurance prenant en charge ses éventuelles dépenses de santé.

Le visa est une autorisation préalable délivré par l'État (par son consul, en fait) d'entrer sur son sol. On en distingue deux types (pour simplifier) : le court séjour, trois mois au plus, et long séjour, plus de trois mois avec vocation à rester. Le visa court séjour est encadré au niveau européen par les accords de Schengen (y compris la liste des pays dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa, fixé par un règlement européen, le règlement (CE) n°539/2001 du 15 mars 2001 modifié), qui unifient les règles de délivrance et la validité dans tout l'espace Schengen (prenez les 27 pays de l'UE, vous ôtez le Royaume-Uni et l'Irlande, mettez de côté Chypre, la Roumanie et la Bulgarie qui en font partie mais attendent des jours meilleurs pour appliquer les accord, et vous ajoutez la Norvège, l'Islande, la Suisse et le Lichtenstein, ces deux derniers pays devant appliquer les accords en novembre prochain). Le visa long séjour reste de la compétence de chaque État selon ses règles propres.

Je laisse de côté la question des demandeurs d'asile, qui ont un droit au séjour pendant la durée de l'examen de leur demande s'ils se présentent à la frontière (Convention de Genève de 1951) : la politique de la France consiste donc, depuis des décennies, à empêcher les demandeurs d'asile d'atteindre sa frontière, et pour ceux qui l'atteignent, à faire semblant d'examiner leur demande en 48 heures pour la rejeter avant de les réexpédier à leur point de départ, dans des conditions qui ont valu à la France une condamnation par la cour européenne des droits de l'homme en avril 2007 (la loi Hortefeux de novembre 2007 a tenté de remédier à cette situation).

Le refus d'entrée sur le territoire est une décision prise par la police aux frontières. Elle impose à la compagnie de transport qui a amené l'étranger de le reconduire à ses frais au point de départ : cet éloignement s'appelle un réacheminement. En attendant, l'étranger est placé en zone d'attente, les fameuses ZAPI de Roissy. L'hôtel Ibis dont parle Yves Michaud était la ZAPI 1, aujourd'hui fermée. Il ne s'agit pas d'un centre de rétention, et les étrangers qui s'y trouvent ne sont pas en situation irrégulière puisque juridiquement ils ne sont jamais entrés sur le territoire. Il s'y trouve aussi bien des demandeurs d'asile que des touristes ou des scientifiques venus faire une conférence mais qui ont une sale tête.

RESTER

Le visa vaut autorisation de séjour pour la durée de sa validité. Un étranger qui souhaite rester en France au-delà de son visa doit demander un titre de séjour (TS) à la préfecture du département où il établit son domicile.

Il existe deux types de titre de séjour, les formels et les informels (la classification est de votre serviteur). Ce que j'appelle les informels sont des titres précaires, à très courte durée, délivrée par la préfecture quand elle n'a pas le choix mais n'a pas encore décidé de délivrer un titre de séjour formel : ce sont les Autorisations Provisoires de Séjour (APS) et les Récépissés. Une APS régularise temporairement la situation d'un étranger mais n'engage pas la préfecture. C'est classiquement le cas d'un étranger qui a obtenu l'annulation d'une décision d'éloignement sans avoir établi qu'il bénéficiait d'un droit au séjour. Le juge ordonne à la préfecture de réexaminer le dossier et dans l'intervalle, de régulariser l'étranger pour ne pas le laisser dans l'illgéalité parce que les préfectures sont engorgées. Le récépissé, lui, implique que le préfet a décidé de délivrer le titre de séjour, mais n'a pas eu le temps de fabrication du titre (qui est sécurisé comme nos cartes d'identité). Il vaut régularisation, et donne les mêmes droits que le titre qui va être délivré.

Les titres formels, car prévus par la loi, sont la carte de séjour, valable un an, et la carte de résident, valable dix ans, qui succède généralement à plusieurs années de carte de séjour. Pour les algériens, on parle de certificat de résidence d'un an ou de dix ans.

Les préfets sont en principe libres de délivrer ou de refuser de délivrer un titre de séjour. Cette politique se règle d'abord au niveau d'instructions du Gouvernement, mais aussi au niveau de la loi qui prévoit des cas où le préfet « peut » délivrer une carte. Soyons clairs, la politique actuelle est : quand le préfet « peut » délivrer, il faut lire qu'il « peut aussi ne pas » délivrer et appliquer cette interprétation.

Cependant, la France a, dans un moment d'égarement, signé des textes internationaux, supérieurs donc à la loi française, qui lui imposent de respecter les droits de l'Homme. Or, les étrangers sont des Hommes.

Il y a donc des cas où l'étranger a un droit au séjour, où le préfet ne peut légalement lui refuser son titre de séjour. Ces cas sont à l'article L.313-11 du Code de l'Entrée et de Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA). Certains sont objectifs. Citons le cas de l'étranger marié à un Français (mais pas à un étranger en situation régulière…), parent d'un enfant français, ou devenu majeur et qui a vécu en France depuis l'âge de treize ans (les mineurs sont dispensés de titre de séjour, ils ne peuvent être en situation irrégulière, ils dépendent de la situation de leurs parents). D'autres sont plus subjectifs, c'est-à-dire laissent une part d'appréciation à l'administration, appréciation qui peut être contestée devant le juge. C'est le cas du 7° de l'article L.313-11[1], qui est l'arme principale des avocats en droit des étrangers.

Se maintenir en France sans avoir un des titres le permettant (visa en cours de validité, ou plus de trois mois pour les étrangers dispensés de visa ; titre de séjour ; APS ou Récépissé) est, contrairement donc à ce qu'affirme Yves Michaud, un délit, prévu et réprimé par l'article L.621-1 du CESEDA :

L'étranger qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1 et L. 311-1 ou qui s'est maintenu en France au-delà de la durée autorisée par son visa sera puni d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 Euros.

La juridiction pourra, en outre, interdire à l'étranger condamné, pendant une durée qui ne peut excéder trois ans, de pénétrer ou de séjourner en France. L'interdiction du territoire emporte de plein droit reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant à l'expiration de la peine d'emprisonnement.

C'est ce que ne manquent jamais de rappeler les braves gens pour qui « la loi est la loi », sauf quand on est assistante sociale violant le secret professionnel, puisque le droit est la science des exceptions, n'est-ce pas ?

Ce délit n'est à ma connaissance jamais poursuivi seul en tant que tel. Il relève du gadget législatif (et d'alibi légaliste à la xénophobie, mais passons). En effet, la plupart des petits délits, tels que le vol (puni de 3 ans de prison et 45.000 euros d'amende ; vous voyez que le séjour irrégulier, puni d'un an de prison est dans le délit microscopique), ne peuvent être assortis d'une peine d'interdiction du territoire. Donc, quand le prévenu d'un vol est de nationalité étrangère et en situation irrégulière, le parquet ajoutera la prévention de séjour irrégulier uniquement pour permettre le prononcé de l'interdiction du territoire (qui sera parfois la seule peine prononcée). C'est ce qu'on appelle abusivement « la double peine» et dont l'ancien ministre de l'intérieur a réussi à faire croire à la suppression. J'en ris encore.

C'est le premier aspect gadget, l'aspect astucieux. Le deuxième aspect gadget, qui est le plus hypocrite, sera décrit dans notre troisième volet.

PARTIR

L'étranger a vocation à partir à l'expiration de son visa ou quand les conditions de délivrance de son titre ont disparu (exemples : le conjoint est décédé, où l'époux étranger, s'il est algérien, ne supportait plus de recevoir des coups). Au besoin, l'administration peut employer la force pour cela. C'est ce qu'on appelle de manière générale l'éloignement forcé.

Pour éloigner un étranger, il faut pour cela un titre, un ordre d'une autorité administrative ou judiciaire, définitif, c'est à dire qui n'est plus suceptible de recours ou pour lesquels les recours ont été exercés en vain.

La peine d'interdiction du territoire est un titre permettant l'éloignement forcé. Comme toute peine d'interdiction, elle peut faire l'objet d'une requête en demandant la levée (art. 702-1 du code de procédure pénale). C'est le seul titre judiciaire.

Les autres titres sont administratifs. Il s'agit d'un arrêté d'expulsion si l'étranger présente un risque de trouble à l'ordre public (Fichu secret professionnel ; j'en aurais à vous raconter, des scandales de l'expulsion), d'une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) pris avec un refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre, ou d'un Arrêté Préfectoral de Reconduite à la Frontière (APRF).

Je vais m'attarder sur ce dernier car c'est là que notre hypocrite gadget est mis à contribution.

Nous sommes dans l'hypothèse où l'étranger est contrôlé dans la rue ou dénoncé par une assistante sociale. La police contrôle son identité, constate qu'il n'est pas muni d'un titre autorisant son séjour, et aussitôt, le place en garde à vue pour 24 heures. Le parquet est aussitôt informé de l'arrestation de ce dangereux délinquant et décidera aussitôt de ne rien faire. Oui, rien. Les parquets ont mieux à faire que poursuivre des étrangers en situation irrégulière. Par exemple, s'occuper de ce qu'ils considèrent à raison comme de vrais délinquants.

Mais alors, notre étranger, que lui arrive-t-il ? Il reste en garde à vue. Car aussitôt, la préfecture est informée de l'arrestation de cet étranger. Et en moins de 24 heures (même les dimanches et fêtes), le préfet prendra un arrêté de reconduite à la frontière, assorti d'un arrêté de placement en Centre de Rétention Administrative (CRA). Aussitôt cet arrêté notifié à l'étranger, le parquet classera sans suite le dossier de séjour irrégulier.

Bref, le délit de séjour irrégulier ne sert que de prétexte pour garder à vue l'étranger le temps que le préfet prenne ses arrêtés. À aucun moment, le parquet n'a l'intention de poursuivre cet étranger.

L'arrêté de placement en CRA vaut pour 48 heures, au-delà desquelles le maintien doit être ordonné par un juge judiciaire : ce sont les audiences 35bis dont je vous ai parlé récemment. L'arrêté de reconduite peut aussi être attaqué devant le tribunal administratif, mais dans un délai de 48 heures, recours qui doit être jugé dans les 72 heures, par un juge unique, sans commissaire du gouvernement rapporteur public. Je ne connais pas de contentieux qui nécessite une telle vivacité d'esprit et une pareille connaissance du contentieux administratif général et des règles spécifiques du droit des étrangers : la procédure est orale et vous pouvez soulever à l'audience tous les moyens que vous voulez (la jurisprudence administrative a assoupli au maximum cette procédure enfermée dans des carcans de délais très stricts). J'ai déjà connu l'attente angoissante dans la salle des pas perdus du fax qui doit m'apporter la preuve dont j'ai besoin pour obtenir l'annulation, le président du tribunal ayant fait passer devant les autres dossiers pour me donner le plus de temps possible. Les personnels des tribunaux administratifs et les juges eux-même méritent un hommage pour les facilités données à la défense dans un contentieux où la loi l'a voulue la plus impuissante possible. L'audience d'Eduardo était une audience sur la légalité d'un tel arrêté (ses parents étaient libres, c'était le temps révolu des APRF par voie postale).

L'erreur d'Yves Michaud est donc bien excusable : comment peut-on deviner que le séjour irrégulier est un délit quand il n'est pas traité comme un délit ?

Enfin, à quelque chose malheur est bon : cela m'aura permis de poser les bases nécessaires pour me lancer enfin dans mon explication de la directive « retour », qualifiée par mon ami Hugo Chávez de « directive de la honte » ce qui en soi devrait déjà suffire à la plupart de mes lecteurs pour deviner qu'il n'en est rien.

Notes

[1] [La carte de séjour d'un an est délivrée de droit] à l'étranger (…) dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus(…).

vendredi 4 juillet 2008

Merci

Par Gascogne


La séquestration en pays étranger pourrait être tout au plus un sujet de concours en droit international privé. Figurez vous que c'est surtout ce soir un sujet d'actualité. Et la compassion politique n'a jamais été quelque chose qui me touche, d'autant plus que la démagogie n'est jamais loin. Pourtant, ce soir, les nouvelles me rendent tellement joyeux que je me trouve pour la première fois depuis longtemps en osmose avec le monde politique international, mais également national. Alors merci à tous ceux, de la lumière ou de l'ombre, qui ont permis d'alléger mon cœur ce soir. Je suis désolé mon cher Maître de squatter la coloc' (je me sens autant irrespectueux de mon hôte que des principaux intéressés de ce qui ce passe en ce moment), mais j'avais besoin de m'exprimer sur ces quelques lignes.
Salut Ingrid, et salut à ses enfants et sa famille. Votre combat m'a touché, ce qui n'est pas bien grave, mais surtout, il n'a pas été vain.


Ajout 11h07, par Eolas : Je ne saurai vous en vouloir. Ce blog est aussi là pour ça. Elle est libre, en parfaite santé, libérée sans effusion de sang, à la suite d'une opération audacieuse menée de main de maître par les forces colombiennes, qui en prime a humilié les FARC. Ajoutez de la neige et c'est Noël.

J'ai suivi l'arrivée des ex-otages en direct sur une chaîne hispanophone, qui s'intéressait moins à Ingrid Bétancourt qu'à tous les otages ensemble, et l'un d'entre eux, pourtant fort jeune, s'est présenté au micro et a expliqué qu'il était policier et avait été enlevé… il y a dix ans. La France n'était pas encore championne du monde de football, Lionel Jospin caracolait en tête des sondages, Chirac était donné pour mort et enterré après la dissolution, quand la vie s'est arrêtée pour lui. N'oublions pas les autres otages libérés en même temps qui ont été captifs plus longtemps encore. Donnez-moi donc ce magnum de champagne, c'est votre troisième, et trinquons ensemble, à la liberté.


Ajoût 4 juillet : une photo de la fête donnée au château pour fêter ça (désolé pour l'aspect Private Joke. Mais vendredi, c'est permis). Je rouvre les commentaires, mais Troll Detector™ a été dressé pour attaquer sans sommation les théories du complot. À bon entendeur… Et avec la musique qui accompagne :

Dans les caves du Château de maître Eolas, aménagées en boîte de nuit, Maitre Eolas met le feu au dance floor en se déhanchant langoureusement avec un élégant pantalon mauve à patte d'éph' et des chaussettes jaunes assorties ; Gascogne dans le pogo comme un fou. Sur le bord de la piste, Dadouche les regarde, Fantômette à ses côtés, une flûte de champagne à la main. Dadouche dit : 'Bon, il va falloir calmer Gascogne, ça ne lui réussit jamais de pogoter après un magnum de champagne.' Elle ajoute : 'Sinon, comment va Augustissime ?'. Fantômette jette un coup d'oeil à sa droite, où est assise une mémé à moustache, le sac à main sur les genoux, qui fait ostensiblement la gueule. Fantômette répond : 'Comme d'hab.'

mardi 1 juillet 2008

Les Mules

Les palais de justice en voient défiler, des marginaux, des inadapatés, des abîmés de la vie, des irrécupérables, des qui n'ont pas de chance, des épaves, des perdants, des exclus, des victimes de la grande loterie de la vie.

Je crois que le bas de cette sinistre échelle des cocus sublimes de l'humanité est occupé par les mules. Tomber sur l'une d'entre elles au hasard des commissions d'office est une déprime garantie.

Une mule, c'est un passeur de drogue. Tous ont plus ou moins le même profil : ils viennent souvent d'un petit village, d'un coin perdu de la campagne ou de la jungle, parfois même d'un patelin ne figurant sur aucune carte et d'où ils ne sont jamais sortis. Ce sont, sans aucun sens péjoratif, des paysans.

Un jour, parce qu'ils ont la peau bien blanche, baragouinent quelques mots d'anglais ou de français, et parce qu'ils ont un grand besoin d'argent, des traficants de drogue vont les trouver. On ne décline pas une promesse d'embauche de ces gens là sans en payer le prix ; et de toutes façons, la mule a besoin d'argent. Cible idéale : les parents de jeunes enfants, la mère qui vient d'accoucher et rêve que son fils soit avocat ou médecin, ou le père qui veut assumer son rôle traditionnel d'apporteur de richesse, ou mieux : d'un enfant gravement malade.

Et on les charge de drogue, d'où le terme de mule. Pendant longtemps, ils ingurgitaient la drogue dans des petites poches. Au début, il y a eu des ratés, et des morts par overdose quand un pochon se déchirait, ou par occlusion intestinale. Maintenant que la police connaît le coup (il y a même un appareil de radiographie à Roissy, il me semble), la méthode semble en net recul, au profit des miracles de la chimie : on mélange la drogue à un produit qui en modifie la consistance et l'odeur, comme une plaque de plastique, puis à l'arrivée, un chimiste sépare les molécules, récupère la drogue, avec des reliquats de ces produits parfois toxiques qui iront redécorer les sinus des noceurs parisiens du quartier où les rues portent des noms de rois.

Mais les patrons des mules ne sont pas des enfants de cœur. Parfois, ils refusent de payer la mule, sauf si elle fait un deuxième voyage de retour (l'ecstasy s'exporte bien), au risque renouvelé de se faire prendre. Parfois aussi, on retrouve la mule dans un hôtel, éventrée, la came sortie du ventre par un patron qui n'avait visiblement pas envie de payer ni d'attendre.

Beaucoup de ces mules ne passent pas les mailles du filet. Il faut dire qu'on les repère de loin : des paysans sortis de la pampa, qui ont un passeport tout neuf, un billet aller-retour dans la semaine, qui font des trajets improbables dans toute l'Europe en quelques jours. Autant leur mettre un gyrophare sur la tête. Parfois, ils sont donnés par leur propre patron, histoire de faire diversion pour leur deuxième mule, plus discrète et plus chargée dans le même avion.

Et les voilà devant nous, au local de garde à vue du commissariat ou d'entretien avant présentation au juge d'instruction, assommés de désespoir, et c'est à nous et à l'interprète de leur donner les mauvaises nouvelles. Une seule question les habite : quand sortiront-ils ? On leur donne une durée indicative, tenant compte de la durée prévisible de l'instruction et de la quantité saisie. Généralement, ça tourne autour de trois ans ferme, avec interdiction définitive du territoire (et de tout l'esapce Schengen par la même occasion) à la sortie. On voit dans leurs yeux qui se plissent qu'ils font un laborieux calcul mental pour savoir quel âge aura leur enfant quand ils le reverront. Quand ils ont trouvé, c'est le silence, et ils s'affaissent un peu.

Je me souviens de cette jeune sud-américaine de 19 ans, qui avait accouché d'une petite fille trois mois avant de partir, en état de choc, incapable de dire autre chose que “¡ Mi bebé, mi bebé, quiero mi bebé ![1], alors que sa petite fille saurait marcher avant qu'elle ne la revoie. Il y a des jours où on voudrait ne pas parler espagnol.

Ou de cet orpailleur brésilien, qu'on aurait pu prendre pour mon père tellement son visage était usé et ridé, alors qu'il était né six mois avant moi, qui avait empoisonné son plus jeune fils pendant la grossesse de sa mère avec le mercure qu'il utilisait pour amalgamer l'or, et qui, pour soigner les reins mourants de son petit (qui avait quatre ans), avait accepté de convoyer une valise avec deux kilos de cocaïne dans la doublure. Quand je lui ai dit « trois ans », il a compris ce que ça impliquait pour son enfant. Après ça, quand on sort du palais, on file chez soi serrer les siens dans ses bras. Les clients laisseront des messages.

Je me souviens qu'il avait appris un peu de français avec les gendarmes, sur le site de Kourou, en Guyane, où il avait travaillé comme maçon. Il épatait les gendarmes d'escorte en s'adressant à chacun en utilisant le grade correct.

Les débats devant le juge des libertés et de la détention ont lieu dans une ambiance pesante. On reste en chambre du conseil, le huis clos est systématiquement accordé pour les besoins de l'enquête. La détention est inévitable (très grosses quantités de drogue, contexte de réseau organisé, pas de domicile en France, risque de fuite, la totale de l'article 144), et ni le procureur ni le juge des libertés et de la détention, ni l'avocat ne sont dupes, sachant que c'est un sous-lampiste qui va partir en prison pour de longs mois, voire des années. Mais que faire ?

C'est encore pire quand on devine à la lecture du dossier que c'était une mule sacrifiée par diversion (quand son trajet lui faisait traverser en train toutes les gares d'Europe les plus surveillées par les douanes, par exemple). Ça, on le garde pour nous. Ils pensent toucher le fond du désespoir, inutile de leur révéler qu'ils peuvent encore descendre plus bas.

Notes

[1] « Mon bébé ! Mon bébé ! Je veux mon bébé ! »

Modernisation des institutions

Par Gascogne


On y arrive...

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lundi 30 juin 2008

Affaire de la dénonciation : l'analyse des professionnels

L'ANAS, Association Nationale des Assistants de Services Sociaux, publie sur son site une analyse juridique fort intéressante et accessible de cette affaire : contexte juridique, ce que pouvait faire l'assistante, etc. Très utiles pour les travailleurs sociaux qui se demanderaient quelles sont leurs marges de manœuvre exacte. Avec l'autorisation de l'auteur, j'en reprends l'intégralité ici, le site de l'ANAS n'étant pas un blog, il ne permet pas les commentaires.

Comme d'habitude, le point de vue exprimé après cette ligne n'engage que son auteur.


Dénonciation d'un sans-papiers : Décryptage d'un cas heureusement isolé

L'affaire de Besançon provoque des réactions massives sur différents blogs. On constate une série d'interrogations et affirmations marquées par des confusions importantes. Plusieurs d'entre elles intéressent autant les professionnels de service social que le grand public. Nous les reprenons donc, en nous appuyant sur les éléments du PV mis en ligne.

Des précisions importantes sur le cadre

Le cadre de la mission est celui d'une « AEMO judiciaire », prévue par les articles 375 et suivants du Code Civil. L'article 375-2 précise que « ''Chaque fois qu'il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel. Dans ce cas, le juge désigne, soit une personne qualifiée, soit un service d'observation, d'éducation ou de rééducation en milieu ouvert, en lui donnant mission d'apporter aide et conseil à la famille, afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu'elle rencontre. Cette personne ou ce service est chargé de suivre le développement de l'enfant et d'en faire rapport au juge périodiquement.'' »

Le service dans lequel exerce cette professionnelle est une association de sauvegarde de l'enfance, donc un service de droit privé. Cette assistante sociale est tenue au secret professionnel par profession (art. L.411-3 du Code de l'Action Sociale et des Familles).

L'intervention de cette professionnelle est bien située dans le cadre de la protection de l'enfance, sous mandat judiciaire confié à son service par le Juge des enfants. Si elle ne peut opposer le secret professionnel à ce dernier, il lui est interdit de transmettre à un tiers extérieur des informations sur tout renseignement protégé par le secret professionnel, soit « ce que le professionnel aura appris, compris, connu ou deviné à l'occasion de l'exercice de son exercice professionnel » (Crim.19/12/1995).

► Des éclaircissements nécessaires

« Quelle valeur a ce PV ? »

Un Procès Verbal n'est pas un document anodin. Il est un élément essentiel d'une procédure judiciaire, qui acte et fige les propos tenus à un moment dans une affaire. De plus, ces propos ne sont pas écrits par le déclarant mais par un officier de police judiciaire. Le style, la rédaction et les mots choisis le sont par lui. Il est donc important de relire et faire modifier toute formulation ou description qui ne correspondrait pas à la réalité.

De plus, ce PV a été réalisé à sa demande par l'assistante sociale et non sur la volonté des services de police. Nous savons que dans ce dernier, le contexte peut être très différent. Ainsi, dans l'affaire dîte « de Belfort », une assistante sociale avait été confrontée à une pression importante qui aurait pu la mener à faire des déclarations dictées par la tension vécue. Il n'en fut rien. Dans l'affaire de Besançon, difficile de dire que ces mots ont été dictés sous la pression. Nous pouvons donc émettre l'hypothèse qu'ils reflètent de façon fidèle sinon exacte les propos tenus.

Enfin, sur la valeur du document, il convient de savoir que l'agence France Presse a attendu d'en visualiser la copie originale avant de rédiger une dépêche.

« Une dénonciation, n'est-ce pas comme un signalement ? »

Rappelons que la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance « réserve le terme de signalement à la saisine du procureur de la République. Le signalement est un acte professionnel écrit présentant, après évaluation, la situation d'un enfant en danger qui nécessite une protection judiciaire. »1

Un signalement porte sur une situation dans laquelle un enfant est en risque de danger ou en danger. Ce risque de danger ou danger est évalué et argumenté à partir de faits, analyses et hypothèses aboutissant à une proposition. Ce sont ces éléments qui sont transmis au Juge ou au Procureur, conformément aux textes légaux touchant à la protection de l'enfance et au secret professionnel (art. 226-14 du Code Pénal).

Le seul cas où il peut y avoir une saisine directe des forces de police, c'est lorsqu'il y a péril (article 223-6 du Code Pénal). Un péril est caractérisé par une atteinte imminente, constante et grave à la santé voire à la vie d'une personne.

En reprenant le PV, il apparaît que :
- La professionnelle a eu connaissance des informations dont elle fait part dans le cadre de son exercice professionnel ;
- Les faits énoncés ne montrent pas un danger pour les personnes : la phrase « De peur de représailles, ma protégée ne répondra pas à vos convocations ni même à vos questions » ne suffit pas à démontrer qu'il y a danger en l'état. Paradoxalement, elle tendrait à signifier que tout acte de dénonciation de la situation en génèrerait. Il n'est affirmé aucune pression ou violence sur la mère ou les enfants. De même, lorsqu'il est affirmé « Je l'ai interrogé sur sa présence en ces lieux et la durée de son séjour chez la famille dans laquelle j'interviens, tout en l'informant qu'il ne pouvait pas rester à cette adresse, Madame B... vivant une situation financière et familiale fragile. », il n'est fait mention d'aucune volonté de départ exprimée par la mère. Rappelons que cet homme est le demi-frère de Madame B. Enfin, une « situation financière et familiale fragile » n'est pas suffisante pour constituer une situation de péril ou de danger.

A partir de ces éléments, il apparait bien que l'acte effectué constitue une dénonciation d'une personne sans-papiers et non un signalement ayant trait à la protection de l'enfance. Si cette professionnelle avait évalué que la présence de cet homme constituait un fait générateur de risque pour les enfants, elle devait en référer uniquement au Juge des enfants ayant ordonné la mesure d'AEMO.

« Quelle responsabilité de la hiérarchie de cette professionnelle ? »

C'est une des grandes questions de cette affaire. La professionnelle a-t-elle agit de sa propre initiative sans en référer à sa hiérarchie ou, au contraire, c'est avec l'accord, voire à la demande, de sa hiérarchie qu'elle s'est rendue au commissariat ? Nous en saurons sans doute plus dans quelques temps. Mais n'oublions pas que le professionnel reste pénalement le seul responsable en cas de violation du secret professionnel. Le rôle de sa hiérarchie ou de ses pairs n'est qu'un élément du contexte ayant amené au délit. Nous réaffirmons l'importance que les professionnels ne restent pas seuls surtout lorsqu'il s'agit de déposer dans le cadre d'une enquête ou devant un tribunal. Les encadrements intermédiaires doivent pouvoir être soutien lorsque le témoignage est légitime et légal, et « garde-fou » lorsque des passages à l'acte répréhensibles sont envisagés.

« Quelle autre possibilité avait-elle ? »

Il faut d'abord définir le problème : si la famille concernée par l'AEMO accueillait cet homme volontairement, il devient un des acteurs du système avec lequel le travailleur social exerçant la mesure doit faire. Nous ne choisissons pas ceux qui peuvent ou pas vivre en interaction avec la famille. Cela relève du choix des personnes et les assistants sociaux n'ont pas à abuser de leur pouvoir pour imposer telle présence ou telle absence. Même si certaines personnes peuvent nous interpeller nous ne pouvons laisser notre sentiment personnel prendre le dessus. C'est une des bases du positionnement professionnel, l'application du principe éthique de non-jugement.

Si la situation et les comportements de cet homme constituaient un risque pour les enfants ou leur mère (donc indirectement les enfants), et si un travail avec la mère ne pouvait modifier le contexte, la saisine de l'autorité judiciaire pouvait se faire. Comme nous l'avons vu, les éléments du PV ne vont pas dans ce sens.

En clair, le rôle des assistants de service social, qu'ils exercent en AEMO ou ailleurs n'est pas de dénoncer une personne sans-papiers, quand bien même elle est contraire à ce que nous souhaiterions.

« Et pourquoi les ASS ne dénonceraient-elles pas les sans-papiers ? »

Les assistants de service social interviennent dans des situations variées, avec des publics très différents dont certains sont en situation irrégulière ou sont en contact avec des personnes en situation irrégulière. Il s'agit qu'ils puissent travailler avec ces personnes afin de faire évoluer une situation a minima vers une vie décente. Par exemple, lorsqu'une femme en situation de séjour irrégulier est victime de violences conjugales, il faut qu'elle puisse trouver de l'aide. Les assistants de service social de secteur sont par exemple des interlocuteurs de premier plan : en les rencontrant, les victimes peuvent trouver de l'aide sans se mettre dans une situation qui constitue pour elles une autre forme de danger. De même, une mère peut venir parler sans risque de la consommation de drogue de son fils sans que cela débouche sur une intervention policière. Si le secret professionnel permet de protéger des informations privées et le plus souvent légales, il est la condition pour que se disent des situations d'irrégularité. C'est à partir de la réalité de la situation que peuvent se co-construire des solutions. Ce travail se double d'une mise en perspective des risques à court, moyen et long terme de la situation. C'est une des étapes pour modifier une situation et faire en sorte que la société soit protégée. En effet, si la mère ne peut parler des passages à l'acte délictueux de son fils, jusqu'où la dérive ira-t-elle ? Quelle souffrance pour l'enfant, sa mère et des potentielles victimes des passages à l'acte ? Quel coût pour la société ? Même chose pour une femme victime de violence : plus elle restera dans cette situation, plus elle risque d'en sortir détruite. C'est le fait de parler à un professionnel soumis au secret qui est une condition de la résolution de la situation de danger. Ne nous y trompons pas : si les assistants de service social dénonçaient les « sans-papiers », ils ne tarderaient pas à ne plus en voir du tout, et les personnes sauraient très facilement masquer ces situations. La précarité des conditions d'existence de ces personnes s'en trouverait accrue, au risque de l'ensemble de la société : qui pourrait en sortir gagnant ?

« Quelle confiance entre la famille et l'assistante sociale ? »

C'est un des risques entrainé par cette situation. Comment cette assistante sociale pourrait demain travailler avec la confiance de la mère et des enfants dont elle a dénoncé le demi-frère et l'oncle ? Plus largement, comment avoir confiance en une professionnelle si les familles se demandent si, en sortant de l'entretien, cette professionnelle ne va pas aller tout raconter au commissariat ? Cette dénonciation résout peut-être le problème de la professionnelle, mais la défiance qu'elle risque de renforcer auprès des familles concernées par des mesures d'assistance éducative ne va pas aider les autres professionnels à soutenir les enfants et parents qu'ils rencontrent.

« L'ANAS devait-elle réagir aussi fort ? »

Si le principe de confraternité est un des devoirs établis dans le code de déontologie de la profession, l'ANAS ne pouvait rester silencieuse au regard des éléments de cette affaire. Nous soutenons les collègues qui font vivre au quotidien, dans des conditions extrêmement difficiles, les valeurs du travail social. Ce fut le cas par exemple lors de l'affaire de Belfort. On ne peut défendre le secret professionnel et l'invoquer quand cela nous arrange, pour le rompre lorsque cela nous convient. De plus, cette affaire intervient alors que les professionnels du secteur se sont mobilisés depuis plusieurs années pour dire l'importance du secret professionnel. De même, la question du secret et de la situation d'une personne sans-papiers a permis de préciser il y a quelques mois comment concilier les situations de secret et de témoignages. Enfin, le Conseil Supérieur du Travail Social vient de produire un avis sur la question.

L'ANAS ne pouvait donc se taire. Les membres de l'association sont aussi confrontés aux réalités difficiles, nous savons la complexité des conditions de travail au quotidien, la solitude des travailleurs sociaux dans des situations de tension et les responsabilités qu'ils prennent dans des cadres parfois flous. Sur la question du secret professionnel, auquel nous sommes soumis par profession, nous devons être vigilants.

C'est cet objectif que nous visons à travers notre réaction. Et que chacun sache qu'en voyant une assistante sociale, il peut éprouver de la confiance plutôt que de la crainte.

Laurent PUECH
Président de l'ANAS

dimanche 29 juin 2008

Affaire de la dénonciation : la presse en parle

Mon billet sur l'assistante sociale pas très assistante ni très sociale a été abondamment repris par la presse.

À tout seigneur, tout honneur, c'est Le Monde qui s'y est intéressé le premier, sous la plume de Nathalie Guibert.

C'est cette publication qui a suscité l'intérêt des autres organes de presse, avant tout audio.

Votre serviteur a donc pu être ouï sur les médias suivants :

— France Info (pas de lien trouvé) ; je renouvelle d'ailleurs mes excuses à Nathalie Bourrus pour ma lamentable prestation au téléphone, c'est un miracle qu'elle ait eu quelques secondes d'utilisables.
RTL, et j'en profite pour apporter une rectification : je n'ai jamais dit qu'être sans papier n'était pas un délit (c'en est un : article L.621-1 du CESEDA), mais qu'aucune circonstance majeure n'obligeait cette assistante sociale à dénoncer (ce qui n'aurait pas été le cas de maltraitance sur les enfants, par exemple).
—RMC-Info devait en parler aussi, je n'ai pas trouvé de lien.

Le site du Nouvel Obs en a également parlé.

L'AFP a fait une dépêche à l'occasion d'un communiqué de l'ANAS, Association Nationale des Assistants de Service social.

Cette dépêche AFP a donné lieu à des reprises sur les sites de Libération, Le Figaro, et Europe 1.

J'ai dû à la suite de cette large publicité fermer les commentaires sous le billet en question, après en avoir supprimé une dizaine ouvertement racistes, et quelques uns qui étaient injurieux à l'égard de l'assistante sociale en question.

Je crains de devoir rapidement faire de même sous celui-ci.

En attendant, ayant eu de très intéressants échanges avec le président de l'ANAS, j'ai appris un détail intéressant : cette asisstante sociale n'est probablement pas fonctionnaire, mais semble employée par une association loi 1901 qui travaille avec le juge des enfants dans le cadre des mesures d'AEMO. Donc en aucun cas elle ne pourrait invoquer l'article 40 du Code de procédure pénale qui impose aux fonctionnaires de dénoncer au procureur les délits dont ils ont connaissance dans le cadre de leurs fonctions.

La violation du secret professionnel semble donc bien établie. Je me permets de rappeler qu'il est plus sévèrement réprimé que le séjour irrégulier : si la peine de prison encourue est identique, l'amende est sans commune mesure : 3750 euro pour le séjour irrégulier, 15000 pour la violation du secret professionnel.

Enfin, une mise au point. Deux plutôt. L'article en question n'est pas de moi. J'en suis l'éditeur, mais l'auteur est Anatole Turnaround, rendons à César ce qui est à Anatole. Oui, c'est aussi un pseudonyme et c'est l'objet de ma deuxième mise au point, sur cet anonymat.

Quand une nouvelle dérange et est difficilement défendable, la technique du rideau de fumée est très commode : attaquons celui par qui le scandale arrive et hop, parlons d'autre chose.

D'une part, je ne relaie pas ici les délations anonymes et non vérifiées. Je sais qui est réellement Anatole Turnaround, et je sais que c'est une source crédible. Enfin, s'agissant de mon anonymat, je m'en suis déjà expliqué ici il y a longtemps, mais il ne faut pas attendre des sycophantes qu'ils lisent les archives ou cherchent à comprendre, quand leur objectif est que personne ne comprenne.

Mon anonymat est un anonymat de confort. Malgré mes avertissements, je reçois chaque jour une douzaine de mails me demandant des conseils juridiques, dont une bonne moitié sans bonjour ni merci ni au revoir (quand ils ne sont pas écrits en langage SMS). Vous imaginez si mon numéro était accessible dans les pages jaunes ?

Quand un journaliste cherche à me contacter (et ils ont été nombreux dans cette affaire), je leur réponds, et je leur donne mon identité pour qu'ils s'assurent que je suis bien avocat. Mon identité n'est pas un secret honteux, je n'ai pas de cadavre dans le placard, je suis bien ce que je prétends être, un avocat au barreau de Paris, tout aussi anonyme dans ce barreau pléthorique que ses 18.000 confrères.

Et en fait, cette situation me convient très bien. Je suis ravi d'entrer dans les prétoires sans attirer autre chose qu'un coup d'œil morne, d'être écouté et traité comme n'importe lequel de mes confrères, et d'être jugé, si j'ose dire, à la qualité de mon travail sur le dossier et non par le prisme d'une sympathie provoquée par mon blog.

Mon anonymat n'est pas celui du dénonciateur anonyme. Le PV retranscrit était totalement anonymisé, aucune initiale ne correspond à la réalité, pas même celui de la ville. C'est un fait que je dénonçais, pas cette personne, dont je n'ai que faire. J'ai même refusé, alors que rien ne m'y obligeait, de donner copie de ce PV à l'ANAS, qui envisage un dépôt de plainte contre elle (action que je décourage). Qu'un professionnel comme un travailleur social se croit autorisé à trahir le secret qui est le sien est révélateur d'un climat délétère qui s'installe depuis des années, et qui commence à porter des fruits nauséabonds. Climat qui a des répercussions sur l'opinion, donc sur les sondages, donc sur les choix politiques, s'agissant en outre de taper sur une population qui n'a pas le droit de vote, donc tout bénef. Faites un jour un parallèle avec les dates des grandes lois sur l'immigration et les échéances électorales majeures, vous serez surpris. En attendant, moi et mes confrères qui faisons de la défense des étrangers, on se prend ces réformes dans la figure. Et les juges aussi, judiciaires qui siègent 24 heures d'affilée pour faire face au contentieux, et administratifs qui doivent mettre tous les autres dossiers en attente pour juger en priorité ce contentieux qui représente plus de la moitié des dossiers, et de toute la machine folle que cette politique sans queue ni tête fait tourner à plein régime — et à vos frais.

Aussi bien du côté des esprits faibles qui, à force de s'entendre dire que les étrangers en situation irrégulière sont un problème finissent par le croire sans se poser d'avantage de questions sur leur rôle économique, sur la démographie française, sur ce qu'ils apportent par rapport à ce qu'ils sont supposés retirer, quand ce n'est pas une xénophobie qu'ils développent, parce que, franchement, comment reconnaît-on un étranger sans papier (mauvais) d'un (bon) étranger avec papiers ? Avec les variantes sur les thèmes éculés de « la loi c'est la loi », sauf pour la violation du secret professionnel, cela va de soi, ou de l'argument « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde », dernier refuge de la bonne conscience et qui revient à dire que ma foi, puisqu'on ne peut accueillir toute la misère du monde, y compris celle qui ne demande pas à venir mais que nous devrions aller chercher nous-même puisqu'on a dit TOUTE la misère, hé bien nous nous devons de n'en accueillir aucune part. C'est trois milliards de pauvres ou rien. Égalité républicaine oblige.

Mais aussi dans le camp d'en face, qui développe de notre pays une vision qui l'assimile à la période de l'Occupation (étant entendu que les collabos, c'est les autres).

Si la raison défaille de chaque côté, il ne reste que le désespoir.

vendredi 27 juin 2008

Annulation du mariage entre le divorce et les notaires

Le président de la République a reçu ce matin notre Très-Bien-Aimé président du Conseil National des Barreaux (CNB), le bâtonnier Paul-Albert Iweins.

Première incise pour les avoués : vous voyez l'intérêt qu'il y a à rejoindre notre grande profession ? Votre président de la Chambre nationale n'a qu'à grand'peine réussi à être reçu par le Garde des Sceaux, après six mois d'effort. Nous, c'est le Patron qui nous reçoit.

Le Président de la République a confirmé l'abandon de l'idée de confier le divorce par consentement mutuel aux notaires, idée qui n'a même jamais constitué un projet, a précisé le Président (de la République, pas du CNB).

Enfin, dans le plus pur style de l'actuel président (pas le Très-Bien-Aimé, celui à 36%), celui-ci a annoncé la création d'une… mais oui, mais oui : mission confiée à notre confrère Jean Michel Darrois afin d’étudier les modalités de la création en France d’une grande profession du droit (Tremblez, notaires, vous êtes les prochains sur notre menu).

Deuxième incise pour les citoyens : si la création de missions ad hoc est une des signatures de notre président, sa seconde est de ne tenir aucun compte des travaux de celles-ci. Nous avons vu le sort du rapport Attali, celui de la commission Copé sur l'audiovisuel public, dont la remise n'a servi que de prétexte au président pour annoncer ses décisions. Rappelons donc pour l'anecdote qu'une commission dirigée par le recteur Serge Guinchard cogite en ce moment même sur la nouvelle répartition des contentieux et doit rendre son rapport lundi. L'examen de l'éventualité de ce transfert faisait partie expressément des attributions de la commission, puisque ce projet, pardon, cette idée avait été avancée en décembre dernier, lors de l'annonce de la création de cette mission, par le Garde des Sceaux.

J'invite donc mon excellent confrère Darrois à ne pas trop s'esquinter la santé pour l'accomplissement de sa mission, les décisions étant d'ores et déjà prises ailleurs.

jeudi 26 juin 2008

Brèves pour les publicistes

Amis juristes qui taquinez le droit public, quelques nouvelles pour vous.

Adieu, monsieur le commissaire du gouvernement.

Désormais, le magistrat administratif chargé de présenter devant les juridictions administratives une proposition de solution au litige, proposition étayée en droit mais présentée en son seul nom et en toute indépendance, s'appellera le rapporteur public. Il s'agit d'une spécificité de la justice administrative française, et d'une garantie fondamentale pour les justiciables, surtout ceux qui ne sont pas assistés d'un avocat (auquel il ne se substitue pas, mais il peut inviter le tribunal à soulever d'office des moyens d'ordre public et ordonner et clarifier des arguments un peu épars et peu juridiques). C'est pour cela que le gouvernement envisage de le retirer du contentieux des Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF ; il est d'ores et déjà absent des procédures expresses contre les APRF[1] et les RATATA. Oui, le gouvernement —Loi Hortefeux du 20 novembre 2007— a inventé un truc qui s'appelle le RATATA[2], qui relève de la compétence de la PAF[3] et du BAF[4] : qui a dit qu'il manquait d'humour ?).

Plus d'infos sur cette métamorphose chez Frédéric Rolin.

Adieu, Code des marchés publics.

Et bonjour, code des marchés publics. Notre infatigable vigie du palais Bourbon nous annonce une prochaine réforme du Code éphémère : je vous rappelle que la mouture actuelle date du 4 août 2006. À vos aspirines.

Notes

[1] Arrêtés préfectoraux de Reconduite à la Frontière

[2] Refus d'Admission sur le Territoire Au Titre de l'Asile

[3] Police Aux Frontières

[4] Bureau de l'Asile aux Frontières

Si les centres de rétentions sont combustibles, la loi est apyre

C'est ce que le premier président de la cour d'appel de Paris a rappelé dans une rafale d'ordonnances mettant fin à la rétention d'étrangers bénéficiant jusqu'à dimanche dernier de l'hospitalité de feu le Centre de Rétention Administrative de Paris-Vincennes.

Les étrangers retenus ont été répartis dans d'autres centres de rétention, un peu partout en France (certains jusqu'à Toulouse et Nîmes). Or parmi ceux-ci, certains qui avaient fait appel de la décision de maintien en rétention n'avaient pas encore vu leur recours examiné par le premier président de la cour d'appel, ou un Conseiller[1] par lui délégué.

Parmi eux, un étranger placé en rétention à Vincennes, le 18 juin, avait été transféré à Lille (en fait, à Lesquin), le 22 juin, veille de l’audience en appel devant la cour d’appel de Paris. À l’audience, le Conseiller délégué a constaté que l'étranger n'était pas présent, alors qu'il avait demandé à comparaître, ce qui est un droit pour lui, dont la violation est de nature à vicier la procédure, entraînant sa remise en liberté immédiate. L'État s'est fixé des règles lui permettant de priver des personnes de leur liberté ; il est permis d'exiger qu'il les respecte.

Le préfet de police a invoqué comme moyen de défense la force majeure, qui en droit s'entend d'un événement extérieur à celui qui l'invoque, imprévisible et irrésistible. Face à un cas de force majeure, la jurisprudence tolère le non respect des règles de droit qui étaient impossibles à respecter eu égard aux circonstances. Dans une formule lapidaire, le juge considère que « le non-transfert [du retenu] par le centre de rétention de Lille ne constitue pas un cas de force majeure ». L’ordonnance de prolongation de la rétention est infirmée et l'étranger aussitôt remis en liberté. À Lesquin, certes, mais libre. Le conseiller délégué n'a pas détaillé sa décision (que j'applaudis, vous l'aurez deviné), mais il est aisé d'en deviner les raisons : l'étranger était toujours sous la main de l'administration, privé de sa liberté. L'éloignement géographique (tout relatif : 220 kilomètres séparent la capitale des ch'tis de la capitale des titis) n'est pas une cause irrésistible permettant de faire bon cas des droits de la défense. D'autant plus que le Centre de rétention est tout près d'un aéroport…).

Dans un autre dossier, l’étranger avait été placé en rétention à Vincennes, le 21 juin, puis aurait été transféré au dépôt du Palais de justice, après un passage à l’Hôtel Dieu où il a été hospitalisé du 22 au 23 juin, avant d’être finalement transféré au centre de rétention du Mesnil Amelot. « Toutefois, ni l’acte d’arrivée au dépôt du palais de justice, ni le procès-verbal de conduite à l’Hôtel Dieu ne figurent au dossier de la procédure ». Le Conseiller délégué n'est pas en mesure de s'assurer de la situation juridique de l’intéressé du 22 au 23 juin. L’ordonnance de prolongation de la rétention est infirmée, toujours sous les applaudissements de votre serviteur.

Il y a eu une troisième décision qui remet en liberté un des étrangers, mais les motifs m'en sont inconnus. Dans le doute, je l'applaudis également.

Mon approbation ne va pas à la libération d'étrangers en situation irrégulière en soi, bien que je les préfère libres que prisonniers, question de goût. C'est au très opportun rappel fait à l'administration que s'agissant de décision privatives de liberté, des circonstances aussi exceptionnelles qu'un tel incendie ne justifient pas des libertés prises avec la loi pour prendre leur liberté à des hommes. Si face à cet imprévu, l'administration n'est plus en mesure de respecter la loi, sa décision devrait être de remettre d'elle-même en liberté ceux qu'elle ne peut plus légalement garder. Et non tordre le bras du juge en invoquant la force majeure.

La liberté ne cède pas face à ces contraintes. C'est là comme un mot d'amour, qu'il est doux d'entendre autant de fois qu'il est prononcé, sans lassitude même en cas de redites.

Notes

[1] Rappelons que les juges siégeant dans une cour prennent le titre de conseillers, que ce soit une cour d'appel ou la cour de cassation.

mercredi 25 juin 2008

Continuons à innover avec la naturalisation rétroactive d'application immédiate

Lu dans Carla Magazine Libération du 21 juin 2008 : Maître Eolas, l'air quelque peu dubitatif

Libé : Donc «fais gaffe à toi, je suis italienne»…

Carla Bruni : Je pourrais vous le dire par exemple ! Mais je ne suis plus italienne depuis trois mois.

Libé : Vous êtes donc naturalisée française ?

Carla Bruni : Pas encore, la procédure est longue pour tout le monde, mais je suis désormais française.

Elle n'est pas (encore) naturalisée, car la procédure est longue —Ça je confirme, quatre ans facilement—, mais elle est déjà française.

Je voudrais pas poser de question idiote, mais… Pourquoi demander la naturalisation, si elle est française, alors ?

À moins que pour la fête de la musique, la première dame de France, à qui l'on prête quelque talent artistique, n'ait décidé de nous jouer du pipeau ?


Quelques précisions : si l'acquisition de la nationalité française par déclaration après mariage avec un Français rétroagit au jour de la demande quand bien même il faut un an au ministère de l'intérieur pour réagir, cette demande suppose quatre années de mariage (loi Sarkozy du 24 juillet 2006, modifiant l'article 21-2 du Code civil). Ça ne peut pas être par cette voie qu'elle a acquise la nationalité française.

Quant à la naturalisation, elle ne rétroagit pas, mais prend effet au jour de la signature du décret de naturalisation (article 21-15 du Code civil). Donc, pas de naturalisation, pas de nationalité.

Enfin, je ne suis pas obsédé par la nationalité de la première Dame de France. Je pense qu'elle n'a aucune importance en soi. Et sa nationalité italienne, État membre de l'UE, ne pose aucun problème particulier de déplacement, les obligations des italiens en matière de visas étant strictement les mêmes que pour les Français.

Non, ce qui me sidère dans cette affaire, c'est que même sur un point qui précisément n'a aucune importance, il puisse paraître préférable de mentir effrontément aux Français plutôt que de leur dire la vérité. Même sans prendre la moindre précaution pour avoir une histoire crédible. « Je ne suis pas encore naturalisée, mais je suis déjà française », vraiment… Là est le scandale, au-delà même de l'évident passe-droit dont bénéficiera l'épouse du président pour obtenir promptement sa carte d'identité, qui peut se comprendre sans nécessairement s'excuser.

Ici, il y a du vrai travail de journaliste à faire : démontrer le mensonge et demander au couple présidentiel les raisons de ce mensonge. Sommes-nous considérés comme trop xénophobes pour admettre l'idée d'une étrangère à l'Élysée ? Cette réponse-là m'intéresse, au plus haut point. J'aime savoir à partir de quelle importance on considère que la vérité n'est plus bonne pour moi. Visiblement, la barre est très basse, ces temps-ci.

Affaire Mulholland Drive : clap de fin

La Cour de cassation vient de mettre un terme à l'affaire du DVD Mulholland Drive, du nom du film de David Lynch, DVD qui avait été protégé par DRM, en français MTE (Mesures Techniques Efficaces) : arrêt de la première chambre civile du 19 juin 2008, n°07-14277, en attente de publication au Bulletin.

Dans cette affaire, l'acquéreur d'un DVD avait attaqué l'éditeur de l'œuvre pour annulation de la vente en raison de l'obstacle insurmontable (à l'époque…) à la réalisation d'une copie privée de l'œuvre : pas de copie de sauvegarde sur un DVD-R, pas de transfert sur un disque dur.

Le tribunal de grande instance de Paris avait débouté le cinéphile frustré, mais la cour d'appel de Paris lui avait donné raison. La cour de cassation avait cassé cet arrêt dans une décision que j'avais commentée à l'époque, et avait renvoyé devant la cour d'appel de Paris. Le 4 avril 2007, la 4e chambre de la cour d'appel de Paris (section A) avait débouté l'acheteur, qui était à nouveau allé chanter famine chez la cour de cassation sa voisine.

Cette affaire était devenue anecdotique depuis l'entrée en vigueur de la loi DADVSI qui a légalisé ces MTE quand bien même elles feraient obstacle à la copie privée ; mais le droit antérieur devait continuer à s'appliquer pour ce litige, non rétroactivité de la loi oblige, et la cour en profite pour préciser un point important sur la copie privée.

En effet, elle donne un satisfecit à la cour d'appel de Paris en disant qu'elle avait jugé « à bon droit », ce qui équivaut à des félicitations du jury, quand ladite cour d'appel a dit dans son arrêt que :

la copie privée ne constitue pas un droit mais une exception légale au principe prohibant toute reproduction intégrale ou partielle d'une œuvre protégée[1] faites sans le consentement du titulaire du droit d'auteur.

La cour d'appel, toujours sous les applaudissements et trépignements de joie de la cour de cassation (il y a une de ces ambiances, parfois, à la première Chambre civile… Il n'y a qu'à la chambre criminelle qu'on rigole plus.), en déduit que l'exception de copie privée ne peut servir de fondement à une action formée à titre principal, mais peut uniquement être opposée en défense à une action.

Le Chœur des lecteurs : — Gné ?

Rassurez-vous, je vous explique.

Vous n'avez pas un droit à faire une copie à titre privée d'une œuvre. L'auteur ne peut s'y opposer dès lors qu'il a divulgué son offre.

Supposons que, jaloux de mes billets, je trouve un moyen technique imparable de vous permettre de les afficher, mais qui vous empêche absolument de les enregistrer ou de les imprimer, fût-ce par copier-coller dans un traitement de texte. Je sais que c'est techniquement impossible, mais c'est une hypothèse. Vous ne pourriez invoquer l'article L.122-5, 2° du Code de la propriété intellectuelle pour me contraindre en justice à vous permettre de copier mes textes pour vous faire une compilation personnelle.

Mais si je découvre qu'un jour l'un d'entre vous a imprimé mes mille billets (oui, le billet que vous lisez est mon millième) et que, ivre de rage, je le cite en correctionnelle pour contrefaçon, il pourra invoquer avec succès comme moyen de défense le fait que cette impression pour votre usage est une copie privée, et il sera relaxé. Mais attention, au titre de la copie privée, on peut imprimer une fois mille billets, on ne peut pas imprimer mille fois mille billets… Non, attendez, ce n'est pas ça. On peut imprimer mille fois un billet… Non, zut.

Bref.

La cour de cassation répond ici aux contempteurs de la loi DADVSI qui invoquaient la copie privée comme un droit auquel ladite loi porterait atteinte. Nenni, répond la cour, même avant cette loi, la copie privée n'a toujours été qu'une exception, une tolérance légale, à laquelle un auteur astucieux peut tout faire pour porter atteinte. Elle lui interdit juste de se plaindre quand néanmoins un tiers y arrive. Ce qu'apporte de nouveau la loi DADVSI, c'est que porter atteinte à une MTE apposée sur une œuvre digitale est interdit, c'est un délit, non couvert par l'exception de copie privée. Mais par exemple, pointer un camescope sur un écran de télévision pour enregistrer une œuvre protégée par des MTE à une fin personnelle n'est pas un délit. La diffusion de cette copie, par contre, le serait, car l'exception de copie privée ne jouerait plus.

Cette pratique dans les salles de cinéma n'est pas non plus un délit, mais la situation est différente car vous êtes lié par un contrat avec la salle de cinéma. Celle-ci peut prévoir comme clause du contrat l'interdiction de filmer, et la violation de cette interdiction justifierait votre reconduite hors de la salle de cinéma (qui s'analyse en une annulation du contrat pour non respect de ses clauses, on dit en droit une résolution).

Enfin, pour en terminer avec cet arrêt, la cour confirme que la possibilité de réaliser une copie privée n'est pas une caractéristique essentielle d'un DVD dont l'absence justifierait la nullité de la vente. Nullité, qualités essentielles, tiens, ça me rappelle quelque chose ? Attention toutefois aux amalgames trop rapides : nous sommes ici en droit des contrats, et plus spécialement en droit de la vente, ce ne sont pas les mêmes textes qui s'appliquent, même si le vocabulaire est le même. D'une part, le DVD ne consent pas à ce que vous l'achetiez, et d'autre part, personne ne considérera comme une qualité essentielle d'un DVD de Mulholland Drive… que le DVD soit vierge.


Merci à Caroline, qui m'a permis de retrouver cette désopilante parodie des pubs anti-piratage, extraite de la série anglaise The IT Crowd. Puisque ce billet se veut un hommage au 7e art…

Notes

[1] Par œuvre protégée, il faut entendre protégée par la loi, pas par des mesures techniques efficaces (DRM) : le fait de ne pas mettre de DRM ne signifie pas que l'œuvre devient libre de droit.

mardi 24 juin 2008

Welcome back

Par Dadouche



La relation de ses mésaventures par Eolas vous avait émus.

Vous vous demandiez ce qu'il allait devenir.

Vous souhaitiez son retour.

Le Ministre vous a entendus.

Lire la suite...

Dénonciation

Par Anatole


Note d'Eolas : l'authenticité de ce procès-verbal de police est vérifiée et certaine.


Après avoir pris connaissance du texte ci-dessous, (un procès-verbal établi par la police française il y a une quinzaine de jours , recopié mot pour mot à l’exception des noms, prénoms, lieux et dates), vous traiterez au choix l’un des deux sujets suivants:

1. La connaissance de l’Histoire peut-elle nous aider à mieux comprendre le monde d’aujourd’hui?

2. Sachant que l’étranger a été arrêté puis placé en rétention administrative en vue de sa reconduite à la frontière et enfin présenté pour prolongation de cette rétention au juge des libertés, quels arguments juridique pouvaient utilement être développés par son avocat pour obtenir sa mise en liberté?


PV DE DENONCIATION

L’an deux mille huit,

le dix juin à onze heures quinze,

Nous, S...,

BRIGADIER CHEF DE POLICE

en fonction à la brigade de police administrative

Officier de police judiciaire en résidence à N...

Constatons que se présente à nous la personne ci-après dénommée qui nous déclare:

Sur son identité:

“Je me nomme B... H...”

“Je suis née le ... à  ...”

“Je suis de nationalité française”

“J’exerce la profession de ASSISTANTE SOCIALE A L’AEMO*”

“Je suis domiciliée ...”

“Mon numéro de téléphone professionnel est le ...”

Sur les faits:

Je suis venue vous dénoncer la situation administrative clandestine d’un ressortissant sénégalais qui vit à N...

Dans le cadre de mon travail j’ai rencontré par hasard, au 7 rue de ..., chez Madame B..., dont les enfants bénéficient d’une mesure éducative, un individu inconnu.

Je l’ai interrogé sur sa présence en ces lieux et la durée de son séjour chez la famille dans laquelle j’interviens, tout en l’informant qu’il ne pouvait pas rester à cette adresse, Madame B... vivant une situation financière et familiale fragile.

De peur de représailles, ma protégée ne répondra pas à vos convocations ni même à vos questions.

Quinze jours après ma découverte, il vit toujours au 7 rue de ..., appartement 11, 3ème étage.

J’ai appris au hasard des discussions qu’il n’avait pas de titre de séjour et vivait de façon clandestine en France et à la charge de Madame B...

C’est un sénégalais âgé de 22 ans environ, mesurant 1.80 m, portant des lunettes de vues rondes en métal. Cheveux crépus très courts, toujours bien habillé, parlant un français très châtié.

Il dort le matin jusqu’à 12 heures au moins, et sort peu de peur d’être contrôlé par la Police.

Il arriverait d’Italie depuis l’expiration de son titre des séjour la-bas et serait en France depuis un mois environ.

Il présente un vague lien de parenté avec Madame C**.

Quelque soit le mode de votre intervention, sachez qu’il y a dans ce logement quatre enfants jeunes.

Je n’ai rien d’autre à ajouter.

Après lecture faite par elle-même, la déclarante persiste et signe le présent procès-verbal avec nous à 11 h35.

Le déclarant     Le brigadier de Police


* : Assistance Éducative en Milieu Ouvert, mesure ordonnée par un juge des enfants, et qui implique un suivi régulier du mineur, laissé dans sa famille, par un assistant social.

** : Les vérifications ultérieures révèleront qu’il s'agit de son demi-frère.

On sent le gaz ?

J'apprends dans le bulletin du barreau de cette semaine que madame le Garde des Sceaux, ministre de la justice, Rachida Dati et François Fillon, premier ministre, ont fait il y a quelques jours une visite surprise à la section P12 du parquet de Paris.

La section P12, c'est celle en charge du traitement en temps réel de la délinquance : c'est elle qui assure la permanence téléphonique pour les gardes à vue, oriente les procédures vers l'instruction, la citation directe devant le tribunal correctionnel ou de police, l'enquête préliminaire ou le classement sans suite, et prend en charge les comparutions immédiates.

Ce service est un grande pièce toute en longueur. Sur votre gauche quand vous entrez, les bureaux du procureur et le greffe de la section P12, qui travaille d'arrache-pied pour mettre dans la matinée des dossiers en état d'être jugés l'après-midi. Chacun d'eux doit suivre un circuit : enquête rapide sur la situation personnelle du prévenu effectuée par l'Association de Politique Criminelle Appliquée et de Réinsertion Sociale (APCARS), comparution devant le procureur qui notifie la convocation devant le tribunal et demande au prévenu s'il veut un avocat choisi ou un avocat commis d'office. Pendant ce temps, les greffières commandent en urgence les extraits de casier judiciaire, sans lesquels le tribunal ne peut personnaliser la peine faute de connaître les antécédents (une peine avec sursis serait illégale si le prévenu avait déjà été condamné avec sursis dans les cinq années précédentes, par exemple). Quand le circuit est complet, le prévenu est P.A.C. (Prêt À Condamner).

Sur votre droite, des bureaux aux parois en verre. Le bureau de l'APCARS, puis des bureaux pour les interprètes, le « Comptoir », où trône l'officier de gendarmerie qui commande le détachement en charge des escortes de prévenus, et les « bocaux », bureaux en verre où les avocats consultent les dossiers et reçoivent leur client. De chaque côté du Comptoir, deux portes : à droite, la porte d'accès à la Souricière, le réseau de couloirs secrets qui relie le dépôt aux diverses salles d'audience, et à gauche, la cellule où sont placés les prévenus en attente.

Et donc nos deux fringuants ministres ont honoré la section P12 d'une visite-éclair, histoire de voir comment ça se passait (bien, forcément).

Les deux ministres n'ont pas jugé utile de saluer les avocats présents.

Il y a je trouve dans cette bouderie tout un symbole du respect que porte ce gouvernement aux droits de la défense. Une anomalie, un intrus qu'il vaut mieux ignorer en espérant qu'il finira par partir de lui-même.

Il est des mépris qui honorent ceux qui en sont l'objet.

lundi 23 juin 2008

Petits Pois de Paris

Par Dadouche



Lors de sa (brillante, évidemment) intervention sur France Inter le 16 juin, dont j'avais souligné la pertinence ici, la Garde des Sceaux avait annoncé une grande réunion de tous les juges d'application des peines.
C'est donc le 19 juin (au plus tôt) que nos collègues juges d'application des peines et magistrats du parquet chargés de l'exécution des peines ont reçu une "invitation" à se rendre à Paris le 25 juin à 16 heures.

L'Union Syndicale des Magistrats, le Syndicat de la Magistrature et même FO-Magistrats ont appelé les magistrats ainsi aimablement conviés à décliner, tout aussi aimablement, cette invitation destinée à "présenter le projet de loi pénitentiaire, et plus spécialement les mesures prévues en matière d'aménagement des peines".

Serait-ce une nouvelle fronde des petits pois ? Les prémices d'un gouvernement des juges ?

Que nenni. Pourquoi ? Je vais vous l'écrire.

- les magistrats, alors que la période dite de vacation ou de service allégé n'a pas commencé, ont quelques occupations dans leurs juridictions. Des audiences sont prévues, des piles de jugements attendent d'être rédigés, des masses de procédures doivent être traitées.
Les audiences sont prévues longtemps à l'avance, les rendez-vous des juges d'application des peines également. Etre averti quelques jours avant (pour ceux qui l'ont été dès le 19 juin) permet difficilement de s'organiser pour courir à la Chancellerie. Ca fait du travail en plus pour le greffe, pour reconvoquer les rendez-vous décommandés ou les audiences reportées.
Je ne parle même pas de l'agrément, pour les collègues de nos riantes régions, de devoir revoir en catastrophe leur organisation familiale pour être à Paris en fin d'après midi (et donc pas chez eux avant très tard le soir ou le lendemain)

- A l'heure où on coupe les post-it en huit dans certaines juridictions, où les dépenses de représentation du Ministère sont en augmentation, où le budget de la justice place la France dans le peloton de queue du Conseil de l'Europe, est-il bien utile d'organiser un grand raout dont l'utilité reste très discutable, s'agissant d'un projet de loi, par nature susceptible de modifications substantielles ?
En effet, même si cela surprendra peut-être notre Ministre, les magistrats travaillent avec la Loi. Pas avec les projets, les peut être, les bientôt. Non, avec le droit positif.
Qu'on nous ponde donc des décrets lisibles une fois les lois votées et promulguées, des circulaires compréhensibles, et ça nous aidera à faire notre travail. Qu'on ne nous fasse pas venir à grand renfort de publicité pour un show médiatique sans aucune utilité pour notre activité juridictionnelle.
Ce d'autant plus que des conférences semestrielles sont organisées dans chaque cour d'appel pour évoquer les aménagements de peine avec l'ensemble des magistrats concernés.

- Il paraît pour le moins paradoxal qu'il faille toutes affaires cessantes se précipiter pour apprendre comment vider les prisons alors que la loi sur les peines planchers, qui ôte au juge une part importante de son pouvoir d'appréciation, a contribué à les remplir.

- les magistrats ne sont pas des préfets (corps par ailleurs tout à fait estimable mais au rôle assez différent), convocables à merci pour servir les opérations de communication de la Ministre.
Les pressions qui sont semble-t-il actuellement exercées par certains chefs de juridiction pour "convaincre" les magistrats concernés de déférer à cette convocation malvenue laissent mal augurer de l'avenir.

Chers collègues, je ne suis pas sûre que les petits pois supporteront bien le voyage le 25 juin. Particulièrement par cette chaleur.
Restez donc au frais chez vous.

« Papy ! »

Audience dite de «35bis», dans un tribunal de la région parisienne. Les « 35bis », du numéro de l'article de l'ancienne ordonnance du 2 novembre 1945, devenue le Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) qui prévoyait cette audience. Aujourd'hui, on devrait dire « L.552-1 », mais vous savez ce que c'est, les juristes aiment leurs petites habitudes, déjà qu'on se fait violence pour ne pas parler latin.

Les 35bis, ce sont les audiences devant le juge des libertés et de la détention où le juge examine la nécessité de maintenir ou non en rétention un étranger frappé d'un arrêté de reconduite à la frontière. La décision de placement en Centre de Rétention est prise par le préfet, mais ne vaut que 48 heures. Au-delà, le maintien en Centre de Rétention Administrative (CRA) doit être ordonné par un juge, pour une durée maximale de quinze jours. La préfecture demande toujours quinze jours, arguant d'une réservation sur un vol prévu pour le quinzième jour, comme par hasard. Les représentants des préfectures ne font même pas semblant avec nous, ils reconnaissent cyniquement qu'ils n'ont effectué encore aucune démarche, mais qu'il faut bien motiver la demande de placement en rétention pour obtenir le maximum légal, certains juges un peu trop sourcilleux prenant au pied de la lettre la loi qui prévoit « qu'un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet. » (art. L.554-1 du CESEDA) Figurez-vous (vous allez rire) qu'ils pensent que cela signifie que la rétention de l'étranger doit être limitée au temps strictement nécessaire à son départ, et que l'administration doit exercer toute diligence à cet effet. Il y en a même, du Syndicat de la Magistrature, assurément, qui osent demander que l'administration justifie de ces diligences, sous prétexte que la loi l'exigerait. Vraiment, il était temps de réformer le Conseil Supérieur de la Magistrature pour pouvoir sanctionner ces petits pois rebelles.

J'attends dans la salle d'audience le tour de mon client et assiste à quelques dossiers pour “sentir” le juge et voir comment plaide l'avocat de la préfecture. Quelques munitions de plus dans ma besace, ce n'est jamais de trop.

Les étrangers entrent un par un, l'audience est publique, il y a pas mal de monde aujourd'hui. C'est le début de l'audience, pensè-je, ils attendent tous un ami, un frère, un fiancé.

Le troisième étranger du jour entre. Je n'y prête pas attention au début, je relis mes notes, mon client est en cinquième position, et je me suis fait une idée du juge et de mon contradicteur.

C'est une voix d'enfant, d'une petite fille assise derrière moi, qui me tire de ma réflexion.

— « Papy ! » s'exclame-t-elle joyeusement.

Je lève les yeux. Un homme âgé, l'épuisement se lisant sur son visage, vient d'entrer. Je l'avais remarqué dans le local voisin où les étrangers attendent leur tour. Il avait tenté de s'allonger, avant de se faire engueuler par l'escorte. Il avait tenté d'expliquer qu'il avait des problème de cœur et devait se reposer, rien n'y a fait : pas assez de place, il faut laisser ceux qui arrivent s'asseoir. Il y a vingt et un dossiers aujourd'hui. Il a passé presque trois heures assis sur un banc en attendant son tour.

Son avocat a la mine défaite. Il explique que son client est de nationalité algérienne. Il est en France depuis dix ans, preuves à l'appui. Il a six enfants, tous en situation régulière, sauf deux, qui sont Français. Il a neuf petits-enfants, tous Français, dont la petite fille derrière moi qui, rappelée à l'ordre par sa mère, ne cesse de murmurer le plus fort possible « Papy ! Papy ! », désolée que son grand-père ne l'ait pas vu pour répondre à ses signes de main.

Le juge jette un regard mi-étonné mi-réprobateur à l'avocat de la préfecture, dont les yeux ne quittent pas le dossier devant lui.

Un confrère, assis non loin de moi, me regarde avec un petit sourire en coin, que je lui rends. Nous nous sommes compris. Cet arrêté de reconduite est d'une illégalité évidente. Un Algérien avec dix années de présence en France a droit à un titre de séjour (Accord Franco-Algérien du 27 décembre 1968, art. 6,1°[1]), et même si la préfecture conteste les preuves de présence, 15 membres de sa famille proche en situation régulière en France lui assurent en tout état de cause la protection de la Convention Européenne des Droits de l'Homme. Bref du pain béni.

Sauf que…

Son avocat explique que l'arrêté de reconduite à la frontière a été pris antérieurement au placement en rétention. Son client n'a pas jugé utile de consulter un avocat et a laissé s'écouler le délai de 48 heures pour former un recours (écrit en Français et motivé en droit) devant le tribunal administratif. L'avocat de la préfecture confirme, toujours sans lever les yeux du dossier, que l'arrêté est définitif, et que dans ces conditions, il demande le maintien en rétention, la préfecture ayant réservé un billet pour le vol Paris-Alger de dans quinze jours.

Mon confrère assis non loin de moi ne sourit plus. Moi non plus. Le délai de recours ayant expiré, l'arrêté, tout illégal qu'il soit, est définitif et ne peut plus être attaqué, en tout cas pas dans des délais utiles.

« Le passeport est-il au dossier ? » demande le juge, qui ne cache pas son malaise.

— Non, répond l'avocat de la préfecture, décidément passionné par son dossier, car il ne relève toujours pas les yeux.

— Mon client n'a pas fait renouveler son ancien passeport, et se l'est fait voler lors du cambriolage de son studio il y a deux ans. J'ai une copie de la plainte.

— L'article L.552-4 du CESEDA prévoit que l'assignation à résidence ne peut être prononcée que si le passeport a été remis en original aux services de police, réplique l'avocat de la préfecture, toujours les yeux dans son dossier. Une plainte ne peut suppléer à cette absence.

Le juge regarde sa copie du dossier. « Maître ? » demande-t-il enfin à l'avocat de notre Algérien.

— Je m'en rapporte.

Après quelques secondes de réflexion, le juge explique que dans ces conditions, il n'a pas d'autre choix que de faire droit à la demande de la préfecture. L'arrêté de reconduite est définitif, il n'y a pas de passeport. La rétention est prolongée pour quinze jours. Seul petit geste que peut faire le juge, il demande que l'escorte remette les menottes en dehors de la salle d'audience. La fillette derrière moi a fini par attirer l'attention.

Long moment de malaise, le temps que le greffier imprime le procès verbal d'interrogatoire, l'ordonnance de prolongation, la notification de l'ordonnance et des voies de recours, et fasse signer tout cela à l'étranger.

Puis celui-ci se lève et se dirige vers la sortie ; avant de franchir la porte, il se tourne vers le fond de la salle et fait un petit signe à sa famille présente.

Je sors derrière lui, il faut que je me reconcentre sur mon dossier, et là, j'ai un peu de mal.

Au fond de la salle, j'entends la voix de la fillette qui dit « Ne pleure pas, maman : il nous a vu, tu sais. »


À ceux qui m'accuseront de faire du pathos sur cette histoire, deux mots. J'y étais, à cette audience. Rien n'est inventé. La fillette, elle était juste derrière moi. J'en ai été malade toute la journée. Le pathos, tous ceux qui étaient dans la salle se le sont pris dans la figure. Moi le premier. Je ne fais que rendre compte.

Et à ceux qui se demandent si la place d'un malade du cœur est en Centre de Rétention, je leur répondrai : mais que voulez-vous qu'il leur arrive ?


Deuxième apostille : ce billet a été rédigé avant l'annonce de l'incendie du CRA de Vincennes. Cette histoire est trop ancienne pour que la personne dont je parle ait pu être encore dans le centre lors de cet incendie.

Notes

[1] Les Algériens ne sont pas soumis, pour les conditions du regroupement familial et pour les titres de séjour, au droit commun du CESEDA mais à une convention bilatérale ; ils n'ont donc pas subi la disparition en 2003 du droit à la carte de séjour pour dix années de présence en France.

dimanche 22 juin 2008

Vous avez un message

par Dadouche et Fantômette


De : Dadouche à : Fantômette
le 19 juin à 00 h 18
Objet : Calendrier à revoir

J'en ai marre ! Pendant que les garçons dissertent sur la virginité des anges et la non-rétroactivité des lois, je suis engloutie sous les audiences à cause des vacances. Deux mois à caser en un, j'ai l'impression de travailler à la chaîne.
Tu crois qu'on pourrait lancer un referendum pour supprimer le mois de juin du calendrier ?


De : Fantômette à : Dadouche
le 19 juin à 9 h 14
Re : calendrier à revoir

Et encore, toi, tu restes à ton bureau - même si quinze heures d'affilée. Pense à ces armées de collaborateurs qui hantent les couloirs des tribunaux, hagards, et la robe à l'envers, un gobelet vide à la main. Tous exténués, tous.

Tiens, hier j'avais un train à 6h00, pour une audience à Farandole-sur-Mer. Je me suis plantée, j'ai fait l'aller-retour avec mon billet pour Frénésie-les-Neiges, où je plaidais aujourd'hui. Pas de contrôleur sur l'express de Farandole-sur-Mer, heureusement, je ne suis pas sûre que l'amende passait en note de frais. Et j'ai du longuement argumenter avec le contrôleur sur le train de Frénésie-les-Neiges pour lui faire admettre que si, pour être valable, un billet doit avoir été composté une fois, rien dans le règlement ne l'obligeait à considérer qu'un billet composté deux fois, dans deux gares différentes, soit moins valable.

Tous nos dossiers de postulation viennent pour clôture dans les quinze jours qui viennent. A la seule idée que mes patrons vont m'envoyer demander un renvoi à septembre pour au moins un dossier sur cinq, la faiblesse me gagne.

Dadouche, tu as raison. Il faut supprimer le mois de juin. Mais pas par référendum.
Par pitié.

Ce qu'il nous faut, c'est une bonne loi rétroactive d'application immédiate (en plus ça nous fera gagner du temps).

Qu'en penses-tu ?


De : Dadouche à : Fantômette
le 19 juin à 23 h 24
Objet : ménage d'été

Non, la rétroactivité immédiate aussi c'est déjà pris. Il faut trouver autre chose d'innovant, une vraie-réforme-que-les-Français-attendent.

Remarque, je me plains du mois de juin, mais quand je regarde mon programme de l'été...
Quand je pense qu'on appelle ça la période de service allégé !
Moi je le trouve en général aussi léger qu'une tartiflette. Une fois j'étais en même temps juge d'instruction, juge des enfants, juge de l'application des peines, le tout sur fond de comparution immédiate. Un peu plus et je faisais concierge.

Et c'est pas cet été qu'on devait repeindre le séjour que les garçons ont laissé tout dégueulassé après un France-Angleterre ? On s'était juré de profiter du "service allégé" pour faire tout ce qu'on peut pas faire pendant l'année parce qu'on a jamais le temps.

En fait plus j'y pense, plus je trouve que le pire c'est septembre, quand tu as le teint cireux trois jours après le retour.
Des fois on se demande si c'est la peine de partir.

Renseigne toi auprès de tes patrons sur les mythes et légendes du barreau, je vais en faire autant à la cour d'appel, on entendra peut être parler d'un artefact ancestral secret pour éviter le syndrome de la pile-du-retour-de-vacances-plus-grosse-que-celle-qu'on-s'est-échiné-à-écluser-avant-de-partir.

Ou sinon Véronique va nous expliquer comment nous organiser pour que ça n'arrive plus.

PS : j'espère qu'au moins tu as pris une glace sur la plage à Farandole-Sur-Mer ?


De : Fantômette à : Dadouche
le 20 juin à 23 h 04
Objet : RE : ménage d'été

Bon sang, oui, la peinture du séjour. On avait dit, finalement, on peindrait tout en pourpre.

Ah, les vacations judiciaires. "Tu verras, au mois d'août, c'est mort, il ne reste aucune affaire Fantômette." Aucune affaire, ha ha ha. Sauf les urgences.

Mon contrat de collaboration prévoit que je dois prendre quatre semaines de congé pendant les vacations judiciaires d'été, mais une règle implicite, d'une valeur manifestement supérieure, prévoit a) qu'un patron, qu'il soit n°1 ou 2, prend tous ses congés au mois d'août, et b) qu'un avocat au moins doit rester au cabinet en permanence.

Depuis deux ans, tout le mois d'août seul maître à bord, j'ai droit aux immeubles qui s'effondrent, enlèvements internationaux, divorces avec mesures urgentes, saisie sur compte bancaire du client institutionnel (qui ne peut plus payer ses salariés)... Naturellement, il faut y rajouter les comparutions immédiates... Les permanences garde à vue où tu tentes de trouver le commissariat dans un paysage dantesque, qui n'est plus qu'un immense chantier de travaux public...

L'année dernière, un client m'a appelée en catastrophe pour m'apprendre qu'il soupçonnait son débiteur d'organiser son insolvabilité. Il m'a demandé de bien vouloir mettre en place une procédure de saisie sur son navire (Oui. Un navire. Le type n'avait apparemment pas de compte en banque mais il avait un stupide bateau). J'ai cru que j'allais mourir ensevelie sous l'encyclopédie Jurisclasseur Huissiers de Justice et qu'on ne retrouverait mon corps qu'en septembre, quand Patron n°1 se rendrait compte que nos dossiers de postulation sont clôturés ou radiés les uns après les autres parce que personne n'a été demander de renvoi.

Au sujet de la pile-du-retour-de-vacances mystérieusement réévaluée à pile-de-départ-de-vacances fois deux, mes patrons me confirment l'existence d'une astuce, mais à l'effet rebond redoutable, qui consiste à repousser le mois de septembre au mois d'octobre. Ils disent : dis à ton amie d'embaucher un collaborateur et qu'il aille demander des renvois (ils n'ont pas du retenir que t'étais magistrate).

Que dit la Cour d'Appel ?

Re : PS : J'ai pas eu le temps de prendre de glace à Farandole-sur-Mer. Comme d'habitude dès que je me déplace à plus de 200 km de Framboisy, je tombe sur un bataillon de confrères parisiens qui me démontrent par a + b que compte tenu de la configuration du terrain, des mouvements de tectonique des plaques et de la courbure de la terre, Paris est plus éloigné de Farandole-sur-Mer que Framboisy, et ils me passent devant.


De : Dadouche à : Fantômette
le 21 juin à 00 h 12
Objet : Eurêka

Bon, à la Cour d'appel je suis tombée pendant la sieste (ils sont au chômage technique à cause du corporatisme-égoïste-des-avoués-qui-veulent-protéger-leur-monopole), personne n'a pu me renseigner.

Mais j'ai une autre idée : l'alcool.
On est un peu vieilles pour se lancer selon les critères ministériels, mais si je demande ma mut' à Reims et que tu poses ta plaque là bas, on devrait se dégoter un bon petit producteur de Champagne pour trinquer au mariage de Raymond Domenech et oublier le calendrier.

Au fait, bonnes vacances.


De : Fantômette à : Dadouche
le 21 juin à 00 h 54
Objet : sous les Palais la plage

Excellente idée. On m'a justement recommandé un petit producteur très bien - celui qui vient de décrocher le marché des cantines scolaires, tu en as peut-être entendu parler.

Bonnes vacances à toi. Je te rejoins dès que j'ai terminé de poser les jauges sur la pile de dossiers-à-voir-en-septembre.

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