Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 23 octobre 2008

Plaidoyer pour la justice

Par Casamayor, parquetière


Il est difficile de parler d'un métier qu'on exerce à des lecteurs qui n'ont qu'une image de la justice tronquée et une méconnaissance du fonctionnement de nos juridictions.

C'est vrai qu'il y a un profond malaise dans la magistarture, nous en parlons ,nous essayons de comprendre et d'analyser pourquoi.

Non pas avec le garde des Sceaux qui n'en a cure, mais très régulièrement en fait à chaque fait divers qui est repris dans la presse.

J'étais magistrat en 2000, comme notre garde des sceaux avec plus d'ancienneté, la différence entre hier et aujourd'hui c'est qu'hier il y avait l'espoir d'être entendu et de la courtoisie à notre égard.

Aujourd'hui il y a quelque chose de l'ordre du désespoir face aux demandes folles de la société que nous représentons. Je suis au parquet.

Aujourd'hui réulièrement, je me demande si je resterai jusuq'au bout pour exercer un métier qui pourtant est exceptionnel, non pas par la théatralité de l'audience mais par la réalité du quotidien.

Nous exerçons notre métier sur des concepts qui sont très éloignés de ceux qui prédominent dans l'ère médiatique actuelle:Pour illustrer ce que je veux dire je tire quelques lignes d'un livre d'Al Gore que je transpsoe à la justice "A mesure que la prédominance de la télévision s'est accrue, les éléments extrêmements importants de la démocratie sont devenus marginaux. Mais la perte la plus grave est de loin est celle du terrain même où elle s'exerçait. le "forum des idées", était un lieu dans lequel "les vérités"pouvaient être découvertes et perfectionnées grâce à la comparaison la plus complète et la plus libre des opinions contradictoires".

la Sphère publique fondée sur l'écrit, qui avait émergé des lumières, a fini en l'espèce d'une génération par sembler aussi obsolète qu'une voiture à cheval.

Tout cela a fait place à une mise en place d'une politique de la peur."

Politique délibérémment mise en oeuvre depuis 18 mois maintenant.

Les magistrats respectent le contradictoire ,il y a toujours au moins deux points de vue dans un procès, nous savons que nous ne pouvons pas être aimés et nous ne devons pas l'être.

Notre devoir et de faire appliquer la loi dans sa rigueur et son humanité.

Nous respectons les personnes qui ont à faire à la justice, mais pour moi fondmentalement respecter un individu n'est nécéessairment pas faire droit à toutes ses demandes.

Requérir de l'emprisonnement n'est pas chose facile, nous le faison parce qu'il faut le faire parce que c'est pour cette mission sociale que nous sommes payés.

Nous savons ce que représente une peine d'emprisonnement pour un enfant ou un adolescent.

Nous savons aussi ce que ressentent les victimes de viols ou autres crimes .A l'audience et dans nos bureaux, nous les rencontrons quotidiennement.

Nous ne sommes pas dans une bulle à l'extérieur des murs de la Cité nous en sommes au coeur.

J'invite les citoyens à venir aux audiences.

Souvent à la fin des procès d'assises, les spectateurs venaient me parler pour discuter de ce qui s'est passé à l'audience ou du contenu de mes réquisitions. J'acceptais cet échange. Je ne requiers plus aux assises.

Comment faire comprendre que dans ce métier le plus souvent les décisions sont sur le fil ,que nous optons non pas, pour la meilleure mais pour la moins mauvaise décision.

Que quoi qu'on fasse surtout au pénal on fera mal.Mais qu'il n'y a que nous pour ça.

Nous ne pouvons et ne devons pas être dans la dégoulinence démagogique parce que cela ne rend pas service aux individus qui sont sous main de justice et à la société toute entière.



Oui nous doutons, mais il nous faut trancher.

Nous sommes avant tout contairement à ce qui se dit des professionnels de l'humain, nous connaissaons les hommes leurs faiblesses, leurs passions, leurs perversions, nous faisons avec.Nous agissons dans un cadre professionnel.



Les magistrats ne sont pas des fonctionnaires: la magistrature et une Autorité.

Les démocraties sont fondées, toutes sans exception, sur trois entités: le l'égislatif, l'éxécutif et le judiciaire, c'est l'équilibre entre ces trois pouvoirs qui assoie la démocratie. C'est là que doit résider l'indépendance de la magistarture du siège comme du parquet.

Briser l'un des trois, et l'éxécutif et le législatif se confondent en une seule voix.

Bien sûr nous ne sommes pas parfaits mais nous n'avons collectivement aucune arrogance, ni prétention à l'être. Dans les périods de crise, et de doute sur l'engagement professionnel, je pense aux écrits religieux qui fondent notre culture.

Aujourd'hui, je pense à Ponce-Pilate face à la foule qui demandait la tête du Christ. Ponce-pilate était magistrat. Il connaissait les hommes et je me dis "toujours la foule libérera Barrabas", il y deux mille ans comme aujourd'hui les hommes n'ont rien appris de leur histoire.

Mais pour le moment, trève de philososphie, il nous faut continuer pour les justiciables qui attendent que leur situation soit traitée, et qui heureusement pour un certain nombre nous en remercie.

Merci de cet espace de parole. bien cordialement à tous.

Malaise...? vous avez dit “malaise”...?

Par Pacifique en colère, magistrat


Magistrat depuis plus de trente ans, j’avais pour ambition d’être un “gardien de la paix”, qui tente, avec humanité et par une application adéquate du droit, de régler les conflits, de répondre avec justesse à la délinquance, de préserver ou rétablir, au moins devant la loi, l’égalité des citoyens, de garantir leur liberté dont la sécurité est une condition.

Aujourd’hui, la politique judiciaire m’atterre, m’inquiète car elle assigne au juge, un rôle qui n’est pas celui que je décris. C’est beaucoup plus qu’un “malaise”.

Notre ministre, vient clamer sur les ondes, sa compassion pour toutes les victimes d’injustices etc. alors que la réforme brouillonne et politicienne de la carte judiciaire, par la suppression des tribunaux d’instance, interdit à nombre de citoyens, le simple accès au juge.

L’orientation pénale est désastreuse et incohérente. D’un côté on oblige le juge à incarcérer - et les prisons n’ont jamais été aussi surpeuplées - de l’autre on lui demande des comptes lorsqu’un détenu se suicide, et que la presse en parle...

En matière judiciaire, la démagogie gouverne ce pays.

- Par de multiples biais, on accroît le sentiment d’insécurité - distinct des données objectives -, et l’on y répond ( à la délinquance la plus visible, celle des jeunes...) par des lois de plus en plus répressives, où le tout carcéral devient l’unique peine possible pour le juge, avec, le résultat, inéluctable pour demain, de voir augmenter et s’aggraver la criminalité. Ayant été pendant quelques années juge d’application des peines, j’ai constaté - et un audit du CNRS l’a confirmé - que la prévention de la récidive était bien mieux obtenue, par l’exécution rigoureuse des peines de milieu ouvert (obligations d’indemniser les victimes, de travailler, de soigner les addictions à l’alcool ou au drogue , d’accomplir un travail d’intérêt général etc.), de semi-liberté et autres alternatives à l’incarcération, que par celle-ci. Il ne s’agit pas d’être laxiste, mais efficace. Il est plus productif de mettre un jeune au travail, que de le laisser des mois dans une cellule à ne rien faire . Que prépare-t-on pour demain, si l’on enferme inconsidérément le jeune adulte, à l’âge où bien souvent il pourrait se stabiliser sur le plan affectif et social?

- L’on prétend lutter contre l’insécurité, mais on veut dépénaliser la délinquance financière, envers laquelle on est si peu sévère, alors qu’elle peut ébranler un pays, qu’elle s’alimente d’argent parfois fort sale récolté dans les trafics qui créent tant de violence dans nos banlieues,

- On rafle les étrangers en situation irrégulière, mais, de fait on tolère qu’on les (sous?) emploie, sans régulariser leur séjour...

- On demande au juge toujours plus de productivité, de rapidité, d’humanité et l’on restreint ses moyens... En 2008, le recrutement a diminué des deux tiers. Evalués par conseil de l’Europe les moyens donnés à la Justice placent la France au 39ème rang... (cf rapport du CEPEJ). Et c’est ainsi que nombre de magistrats font un travail de nuit... Citoyens, fréquentez les audiences correctionnelles et restez jusqu’au bout, vous apprécierez.... comment voulez-vous qu’il n’y ait pas d’erreurs...Quand je présidai une chambre pénale, dans un grand TGI, j’avais trois audiences par semaine, commencées à 13h, nous étions contents lorsqu’elles se terminaient à 22h... Entre temps, il fallait étudier les dossiers (“gros dossiers”...essentiellement d’affaires économiques et financières), rédiger (ou bâcler) les jugements, assurer les permanences de semaine ou week end, (juge des liberté et de la détention, rétention ou maintien en zone d’attente des étrangers). J’ai souvenir d’un joli premier mai de labeur, commencé dès 8h, achevé vers 1h (du matin) dans les embouteillages de rentrée de week end... sans récupération aucune le lendemain bien sûr...

Il faut donc comprendre qu’il y a plus qu’un “malaise” dans la Justice Française... C’est bien qu’il y ait colère, je crains que cela devienne une lassitude et un découragement déprimant...

Profession : juge

Par Profession : juge, vice-présidente en charge d'un tribunal d'instance


La version initiale de ce texte a été rédigée au moment où la commission Outreau procédait à ses auditions. Vice-présidente chargée du service d’un tribunal d’instance, j’ai peu à faire avec les mécanismes de la procédure pénale sur lesquels elle se penchait pour rechercher les erreurs et dysfonctionnements à l’origine du résultat que l’on sait. Il m’a semblé important d’essayer de faire comprendre que, quoique les litiges du quotidien qui forment l’ordinaire des tribunaux d’instance aient peu de chances de faire la une des médias, les évolutions actuelles favorisent, là comme ailleurs, la multiplication de minuscules Outreau dont seules les victimes s’indigneront. Quand les syndicats, dans la justice comme ailleurs, se plaignent que “l’exigence d’une justice de qualité est trop souvent sacrifiée au nom du productivisme”, on y voit au mieux une sempiternelle revendication de moyens, respectable mais secondaire. Je voudrais modestement essayer de faire comprendre comment l’exigence du productivime, désormais au centre du fonctionnement d’un tribunal d’instance, pèse au quotidien sur ses magistrats. Un juge des enfants, un juge d’instruction, un procureur, pourraient en dire tout autant sur les effets, dans leur sphère respective, de cette révolution copernicienne.

La LOLF, mode d’emploi

Le Parlement a voté à l’unanimité la LOLF (loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001), appliquée depuis 2006 sur tout le territoire. Désormais, les moyens de chaque juridiction - moyens humains aussi bien que matériels - sont attribués en fonction d’objectifs à préciser dans la demande annuelle de crédits. L’activité des tribunaux d’instance relevant pour la plus grande part du contentieux civil, nous devons nous placer dans le cadre de l’objectif stratégique n° 1 retenu dans le projet annuel de performance du programme “justice judiciaire” (PAP) issu de la loi d’orientation et de programmation pour la justice (LOLP) du 9 septembre 2002: “rendre des décisions de qualité dans des délais raisonnables en matière civile”.

Le principe étant posé que “la performance est au coeur du dispositif de la LOLF”, des indicateurs ont été mis en place pour mesurer cette performance. Ils sont au nombre de 8:
1) délai moyen de traitement des procédures (4,7 mois en 2003 et 2004, prévision 4,5 mois en 2005 et 2006, objectif-cible: 3 mois),
2) durée maximum nécessaire pour évacuer 75 % des affaires civiles (5,8 mois en 2003, 5,8 mois prévus en 2005 et 2006, objectif-cible: 4 mois), 3) ancienneté moyenne du stock, mesurée au 31 décembre de chaque année: cet indicateur sera disponible au plus tôt en 2008,
4) délai moyen de délivrance de la copie exécutoire,
5) taux de requêtes en interprétation, rectification d’erreurs matérielles et omission de statuer,
6) taux de cassation des affaires civiles (critère peu pertinent pour une juridiction du premier degré, la plupart des décisions rendues par les tribunaux d’instance étant susceptibles d’appel et non soumises directement à la Cour de Cassation),
7) nombre d’affaires traitées par magistrat du siège,
8) nombre d’affaires traitées par fonctionnaire.

On voit que, sur le double objectif “décisions de qualité - délais raisonnables”, le second est infiniment plus aisé à mesurer le premier. C’est à quoi s’attachent les 4 premiers indicateurs, les deux derniers mesurant la productivité des personnels en termes de flux. Le seul indicateur pouvant se rattacher à une notion de “qualité”, le n° 5, désavantage le tribunal d’instance, qui traite des contentieux dits “de masse”: problèmes locatifs, crédit à la consommation, paiement de factures... Depuis l’introduction de l’informatique, les juges sont fortement incités à utiliser le procédé du “copié/collé”: en reproduisant la motivation-type, on modifie uniquement les éléments relatifs à l’identité des parties, aux dates, aux chiffres, aux circonstances. Le risque est beaucoup plus grand de laisser passer, à la relecture, un élément provenant du jugement d’origine, que de se tromper dans une décision qu’on rédige entièrement. Plus généralement, apprécier la qualité d’une production judiciaire en se référant à la seule absence d’erreurs matérielles ne peut manquer d’être perçu, par un magistrat consciencieux, comme singulièrement réducteur, voire outrageant.

Alors cette fameuse qualité, que je revendique lorsqu’on me parle délais et stocks, en quoi consiste-t-elle si ce n’est pas un cache-sexe voilant l’inefficience ? Aux trois mots qui me viennent pour la définir, le découragement me gagne, car rien n’est plus antinomique à l’esprit de la LOLF: prendre le temps.

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Lutter contre le côté obscur de la Force

Par Lolotte au pays des petits pois, substitut, qui semble oublier que le côté Obscur, c'est elle.


Je pense au poème de Mallarmé qui évoque l'histoire de ce cygne dont les ailes sont prises dans les eaux gelées d'un lac et dont il ne peut se libérer, sauf à se mutiler lui même.

Adolescente, à la lecture de ce poème, j'avais peur d'entendre, un jour, le requiem de ce cygne à l'agonie.

La justice se trouve aujourd'hui prisonnière des mêmes glaces.

Et adulte, à l'évocation de cette idée, j'ai peur d'entendre, un jour, le sombre requiem de cette justice à l'agonie.

En fonction depuis 2 ans, je suis passée de l'écœurement à la révolte, de la colère à l'indignation.

On m'oblige aujourd'hui à requérir les peines planchers. Pas seulement contre ma liberté de parole à l'audience, mais aussi en contradiction avec une loi qui m'autorise à ne pas les requérir. Pourtant ma fonction n'est-elle pas de faire appliquer la loi?

Je ne sais pas, je ne sais plus... je suis perdue.

Manifestement la lecture de mon code, que j'irai bien jeter place Vendôme, ne suffit plus.

Mais ce que je sais, c'est que je ne peux accepter ce que la "haute sphère du pouvoir" cherche à m'imposer. La conviction que j'ai pour ma fonction est aux antipodes de cet automatisme qui consisterait à requérir sans raisonner, sans humanité et sans cœur et à considerer que derrières les dossiers, il n'y à que des numéros de parquet que l'on sanctionne et non pas des hommes et des femmes fussent-ils délinquants.

On me demande d'anticiper les conséquences de mes décisions, comme si de magistrat je serais devenue Medium. comment expliquer à Notre Ministre que je ne suis pas Madame Soleil? Je ne sais pas, je ne sais plus, je suis perdue.

On me convoque, on me demande des comptes, et accessoirement on me demande de me taire. Moi ça me donne envie de crier encore plus fort.

Je ne renoncerais pas aux convictions qui sont les miennes. Je refuse d'être un petit lieutenant ou une baïonnette aux ordres. Je me battrai pour cette justice en laquelle je crois, celle que nous nous efforçons de rendre tous et dans les conditions qui sont les nôtres. Et si je dois me mutiler et y perdre des plumes, me faire convoquer ou réprimander, soit.

Parce que personne ne parviendra jamais à mutiler les convictions qui sont les miennes.

Réflexions désabusées d'un juge d'instance

Par Truffe, juge d'instance


Je suis devenu juge parce que j'ai voulu mettre ma pierre dans l'édifice, pour permettre au faible de faire entendre ses droits, ne pas laisser la loi du plus fort s'installer, ramener un équilibre entre les parties.

Je crois en l'idée d'une justice accessible à tous, égaux devant la loi, à une justice rendue sans arrière pensée, à des juges impartiaux.

Aujourd'hui, ce en quoi je crois s'effondre comme un jeu de cartes.

Je suis dans un tribunal qui va disparaître. A titre personnel, je ne vais pas en souffrir : que je fasse mon trajet dans un sens ou dans un autre pour m'y rendre le matin, cela a peu d'importance, mais pour nos justiciables, il n'en est pas de même.

Dans un tribunal d'instance, on se défend sans avocat et souvent pour des petits montants.

Cela sera il encore envisageable de réclamer un paiement pour 150 euros quand il faudra faire 50 minutes de route en hiver en rase campagne et autant au retour pour, peut être, plusieurs audiences ? on y réfléchira à deux fois ...

Comment feront les personnes placées sous mesure de protection (tutelle, curatelle) dont les ressources tiennent souvent plus du RMI[1]. ou de l'AAH[2] que de la grosse fortune et qui bien souvent n'ont pas de permis et de véhicule pour rencontrer le juge ?

On nous répond qu'on tiendra des audiences foraines[3]...Peut-être en théorie, mais à l'heure où à effectifs constants, on se retrouve à devoir mettre en application la réforme des tutelles[4] et ré-auditionner ainsi tous les 5 ans tous les majeurs protégés, moi, je ne pourrai me permettre le luxe d'aller consacrer une après midi par semaine dans une salle de mairie.

On nous répond aussi qu'ils peuvent bien se déplacer dans certaines grandes enseignes suédoises, alors ils pourront bien faire l'effort de venir au tribunal...j'ai un gros doute que ceux qui nous disent cela aient déjà foulé le sol de ladite grande enseigne, ou alors, ils ne savent pas à quoi ressemble une personne sous tutelle, car moi, je n'y ai jamais croisé aucun majeur protégé de ma connaissance.

Comment feront ces gens surendettés qui viennent aux audiences de rétablissement personnel expliquer pourquoi ils ne parviennent plus à joindre les deux bouts et qui la plupart du temps sont soit venus à pied, soit par les transports en commun. Par manque de personnel, ils n'ont pas eu la chance de rencontrer quelqu'un à la Commission de la Banque de France qui a statué "sur pièces" et pour la première fois, ils rencontrent un juge auquel ils vont pouvoir expliquer leur situation, poser leurs questions et comprendre à quelle sauce ils vont être mangés...ce temps sera bientôt révolu.

Nul doute en tout cas sur une chose, je vais y gagner en temps d'audience : des audiences civiles avec moins de dossiers (moins de petites sommes en jeu en tous cas), des audiences de saisies des rémunérations auxquelles les débiteurs ne pourront plus avoir le luxe de se présenter, moins de tentatives de conciliation (difficile avec des absents), moins de déficients mentaux sous tutelle qui viendront demander des explications ou tout simplement exprimer leur état d'esprit au greffier...

Avec cette nouvelle version de la justice, je ne m'inquiète plus trop de n'être que 8000 pour réussir à faire tourner la boutique...

Une certaine maxime d'un certain La Fontaine ne disait elle pas déjà « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour ...».

Nous sommes 4 siècles après et, dans le pays des droits de l'Homme, ce brave Jean est plus que jamais d'actualité...

Quel gâchis !

Notes

[1] Revenu Minimum d'Insertion. Une sorte de RSA en moins bien, mais financé, lui. Pour 2008 : 447,91 EUR mensuels pour une personne seule, 671,87 EUR pour un couple. NdEolas.

[2] Allocation Adulte Handicapé : complément de revenus pour atteindre 652,60 EUR mensuels, déduction faite des salaires, pensions d'invalidité, rentes d'accident du travail, etc. NdEolas.

[3] Des audiences foraines sont des audiences qui se tiennent dans des locaux autres que le tribunal habituel : salle municipale, locaux administratifs, etc. Une grande part des anciens TI fermés sont censés recevoir des audiences foraines, ce qui exclut que ces locaux soient cédés. Bref, avec la réforme de la carte judiciaire, on va entretenir des locaux vides la plupart du temps. NdEolas

[4] Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qui entre en vigueur le 1er janvier 2009. NdEolas

CIP, un métier d'avenir

Par WK, Conseiller d'Insertion et de Probation (CIP). Fonctionnaire relevant de l'Administration Pénitentiaire, il est l'auxiliaire du Juge d'application des Peines (JAP) et du service de l'exécution des peines du parquet. Il effectue des enquêtes en vue de l'aménagement de peines et suit l'exécution des peines aménagées.


Je suis CIP. Ce n'est pas un métier fort connu du grand public. Laissons la description d'une semaine de travail classique vous mener sur la voie de ce que je suis.

Lundi : de permanence en milieu ouvert[1], je reçois les personnes sortant de l'audience du Tribunal de Grande Instance condamnées à une peine d'emprisonnement avec sursis et une mise à l'épreuve ou à un Travail d'Intérêt Général. Ce jour là, je reçois également les "sortants" de prison qui n'ont pas de suivi, dans un délai de 6 mois après leur libération. Pour finir, je vérifie auprès du Parquet qu'aucune comparution immédiate n'a lieu cette après-midi. A toutes ces personnes, je leur expliquerai leurs droits et leurs devoirs dans le cadre judiciaire.

Mardi : de permanence en milieu fermé, je reçois les nouveaux "arrivants" à l'établissement pénitentiaire dont je dépend. Je m'occupe de prévenir les familles, de leur expliquer les mandats, les parloirs, le dépôt du linge, la peine, etc etc. Je m'occupe également ce jour là des prévenus qui nous ont envoyé un courrier : "prévenir mon avocat que...", "mes papiers ne sont pas à jour..." , "je voudrai participer à l'activité de...", "il faut retrouver mon chien, je n'ai pas de nouvelles depuis mon incarcération...". Bref, du tout venant.

Mercredi : une (voire deux) enquête(s) aménagement de peine sur mon secteur géographique, à ¾ d'heure de route de mon service. Le magistrat qui me mandate, le Juge d'Application des Peine (JAP), veut que je vérifie la faisabilité de l'aménagement de peine demandé. Rentrée, je tape mon rapport, le fait valider par mon chef. L'après-midi, j'ai une réunion partenariale avec au choix : l'ANPE, une association d'insertion, des éducs de tout poil, un lieu de TIG[2], des JAP, la direction de l'établissement pénitentiaire.

Jeudi, Vendredi et parfois Samedi : je reçois mes 165 suivis. 165 personnes à qui il faut que j'explique leur mesure de justice (Sursis Mise à l'Epreuve, TIG et sursis-TIG[3], PSE[4], Libération Conditionnelle[5], Semi-Liberté[6]). 165 personnes qui ne doivent pas récidiver ni manquer au respect de leurs obligations. 165 personnes qui me sont confiées par la Justice et qui doivent, à la fin de leur mesure, seulement aller mieux. Ces 165 personnes, au mieux je les vois tous les mois et demi. Parce que le temps me manque...un peu.

Entre temps, les demandes de rapports tombent : rapports semestriels sur la mesure, rapports d'audience lors d'une nouvelle comparution, rapports d'enquête ceci, rapports d'enquête cela.

S'il y avait un autre jour dans la semaine, je pourrai aussi m'occuper d'un de mes "champ d'intervention transversal" au choix : problématique du logement, maintien des liens familiaux, les ressources d'emploi, l'implantation de la culture en milieu carcéral...

Alors, qui suis-je ? Je suis travailleur social de l'Administration Pénitentiaire. Fonctionnaire de catégorie B+ ou encore Cii (recruté à Bac + 2, mais payé catégorie B). Nous sommes 3000 en France. Nous suivons les quelques 60 000 détenus en plus des 100 000 mesures de milieu ouvert. Nous sommes soumis au devoir de réserve, sans droit de grève. Nous nous sommes mis en mouvement en juin 2008 suite à un retocage indiciaire du revenu de nos supérieurs. Parce que nous avions été oubliés. Encore.

Nous ne sommes plus des Éducateurs depuis 1999, date de la création de notre corps. Nous sommes maintenant des Conseillers d'Insertion et de Probation. Conseiller quoi, insérer comment ? La politique du chiffre nous touche également et rend notre métier incohérent, impossible parfois.

On crie que nous n'arriverons à rien et que la société toute entière en paye les pots cassés. On hurle que nous mettons, au mieux, des pansements sur des jambes de bois bouffées par des termites. Nous étions 1000 devant le ministère en juin dernier, on voulait juste avoir les moyens humains, logistiques et financiers de faire notre métier correctement. Nous avons été accueillis par des CRS. Nous avons eu des 1/30 prélevés sur notre salaire. Parce que nos supérieurs estimaient que lorsque nous dénoncions notre situation nous n'assurions plus le service public. Parce qu'ils sont comme ça, nos supérieurs, ils aiment bien l'ironie.

Nous ne sommes pas connus du grand public et parfois c'est douloureux.
Nous ne sommes pas reconnus par notre ministre et toujours c'est affligeant, frustrant, déprimant.

Merci de m'avoir lue.


Postface d'Eolas : merci à vous et à tous vos collègues. J'ai beaucoup de clients, d'ex-clients devrais-je dire mais je vous pardonne, qui s'en sont sortis grâce à vous. Parce que vous avez cru à ce dossier de libération conditionnelle monté en catastrophe qui a permis à ce père de retrouver ses enfants la veille de Noël. Parce que cette tête à claque qui ne savait que piquer des chéquiers a senti le vent du boulet avant qu'il n'obtienne in extremis une prolongation de délai d'épreuve qui lui a remis les pieds sur terre. Un bon CIP, ça vaut toutes les peines planchers pour lutter contre la récidive.

Notes

[1] Milieu ouvert : les condamnés ne sont pas incarcérés. Milieu fermé : ils le sont.

[2] Travail d'intérêt général, une activité non rémunérée effectuée à titre de peine, assortie d'une peine de prison mise à exécution si le TIG n'est pas effectué dans le délai fixé par le tribunal, 12 mois au maximum.

[3] Le TIG peut assortir une condamnation avec sursis ou être prononcée à titre de peine principale ; les modalités d'exécution varient légèrement, mais là n'est pas le sujet.

[4] Placement sous Surveillance Électronique, le “bracelet électronique”, qui permet de s'assurer que le condamné est présent chez lui aux heures déterminées par le JAP. Une sorte de détention à domicile.

[5] Généralement à mi-peine, le détenu qui présente des gages de réinsertion peut obtenir une libération conditionnelle, très encadrée par le JAP et suivi par un CIP. Il doit avoir un logement, un travail, un bon dossier disciplinaire, etc. Les libérés conditionnels sont ceux qui récidivent le moins.

[6] Régime d'exécution d'une peine d'emprisonnement : le condamné sort dans la journée de l'établissement pénitentiaire pour suivre une formation ou travailler ; il revient dormir en prison le soir. Les semi-libertés sont exécutées dans des établissements spécialisés pour éviter le contact avec les détenus : vous imaginez la source de trafic.

Le Raconteur

Par Anonyme, juge depuis 5 ans dans un tribunal de taille moyenne, en province


(Sur l'air du “Déserteur ”, lecteur Deezer en bas de page)

Madame le Garde des Sceaux,
Je vous fais cette lettre
que vous lirez peut-être,
je veux vous dire deux mots.

Je viens de recevoir
la dernière circulaire
sur la carte judiciaire
et j’ai perdu l’espoir.

Madame le Garde des Sceaux,
je ne veux plus me taire,
d’être juge, je suis fier,
mais maintenant c’en est trop.

C’est pas pour vous fâcher
il faut que je vous dise
ma décision est prise
je vais tout raconter.

Depuis que je fais ce métier
j’en ai vu des réformes
et pas toujours les bonnes
je les ai appliquées.

Au service de la loi
Avec humilité,
avec humanité,
au service du droit.

Vous étiez magistrat,
avez-vous donc tout oublié ?
Le pouvoir vous a changé ?
Essayez de vous rappeler.

Un jour trop cléments
le lendemain trop sévères,
Pour vous un seul repère,
la presse et l’air du temps.

Paris-Match, Closer, Gala,
Sous toutes les coutures,
Êtes-vous vraiment sure,
que votre place est bien là ?

Justice et politique
ne font pas bon ménage,
Mais qui donc est victime,
Ce sont les justiciables !

Je suis magistrat,
Madame le Garde des Sceaux,
Pas votre ennemi juré,
mais je suis écœuré...

Si vous me poursuivez,
appelez vos gendarmes,
mais rappelez-vous Madame,
Nous sommes des milliers.


D'après une chanson de Boris Vian, musique Harold Berg, © Ed. Aznavour Charles Editions Music, 1954.

Garde des souris

Par e**, substitut


Quelques réflexions sur ce que pourrait voir tous les jours un Garde des sceaux transformé en petite souris curieuse de parcourir les couloirs et salles d’audience d’un tribunal...

Commençons par l’audiencement d’un dossier devant le tribunal correctionnel :

- lorsqu'un prévenu est placé sous le régime de la détention provisoire, il doit comparaître devant le tribunal correctionnel dans les deux mois de son renvoi, une année pour la cour d'assises ;

- si aucun détenu ne figue au dossier, alors, comptez.... comptez comme vous voulez, dans de nombreux cas le futur condamné gagnerait devant la cour européenne des droits de l'Homme en poursuivant la France sur le fondement du droit à être jugé dans un délai raisonnable...

Une ordonnance d’organisation des services fixe dont les jour et heure des audiences. Et les journées ne faisant que 24 heures et les années que 365 jours, il devient difficile de créer une nouvelle audience correctionnelle. Sauf à supprimer l’audience du JAF de lundi après-midi. Et expliquer aux justiciable qu’ils divorceront dans huit mois parce que d’ici-là toute les audiences sont remplies.

La justice est en effet confrontée à un petit problème : pour tenir une audience, il faut un ou trois magistrats qui, précisément, n’ont pas d’autre audience ce jour-là, qu’elle soit pénale, civile, commerciale ou autre.

Il faut aussi un greffier, soumis au même aléa de disponibilité. Un huissier d’audience, c’est mieux.

Une présence policière pour intervenir lorsque le public est véhément, c’est un plus également.

Quand l’audience aura eu lieu, il faudra matérialiser le jugement.

Sa motivation relève du magistrat, qui la plupart du temps la dactylographie lui-même.

Ne mentons pas : si la motivation est obligatoire, elle se résumera très très très (trop...) souvent : “attendu qu’il ressort des éléments de la procédure et des débats que l’infraction est constituée ; que les faits sont d’une gravité telle qu’ils justifient le prononcé d’une peine d’emprisonnement non assortie du sursis”.

La décision ne sera réellement motivée au fond qu’en cas d’appel, afin que la cour puisse confirmer ou infirmer le raisonnement des juges correctionnels.

N’allez pas croire qu’il en est ainsi parce que les magistrats sont des fainéants... Non, ils n’ont juste pas le temps de motiver une décision qui n’est pas contestée et qui a été acceptée par le condamné. S’ils le faut, ils prennent ce temps. Mais ils rendront leur délibérés civils vendredi prochain au lieu de lundi.

Qu’il y ait ou non motivation au fond, le greffe devra mettre en forme la décision.

Le greffier l’aurait bien fait cet après-midi mais, hasard de l’activité pénale du ressort, il est appelé à assister à l’audience de comparutions immédiates. Elle débutera à 14 heures. Le temps d’examiner les trois dossiers, il sera peut-être 17 heures 45.

Mince, voilà des heures supplémentaires que le greffier va pouvoir récupérer. Il en avait déjà quelques unes sous le coude et, ainsi, ne viendra pas travailler vendredi prochain. C’est dommage, il aurait justement pu avancer à ce moment-là dans la dactylographie de l’audience d’il y a trois semaines. Allez, ce n’est que partie remise.

Dommage, comme vous dites mon bon monsieur. Mais si le greffier ne prend pas ses heures de récupération, personne ne les lui paiera. Donc il a bien raison de les prendre. Où est son sens du service public, me demanderez-vous ? La première année, il devait être là, sans aucun doute. La deuxième aussi. La troisième, il commence à se demander si on ne le prendrait pas un peu pour une poire. Il se rend compte que s’il reste au delà de son temps de travail prévu, non seulement il ne sera pas payé, mais encore personne ne lui dira merci

Ayant entendu parler du juge d’instruction, cet homme le plus puissant de France, la souris est bien curieuse d’entrer dans sa zone. Si ce magistrat a de la chance, il se trouve derrière une porte sécurisée, à l’abri des intrus vindicatifs. S’il exerce dans un tribunal plus ancien ou moins bien équipé, il est en libre accès, susceptible d’être pris à parti par la famille de la personne qu’il vient justement de recevoir avant de solliciter son incarcération.

Mais voici justement cette personne, gardée sous bonne escorte. Ils sont arrivés ce matin à 08 heures 30. Le temps que le parquetier prépare l’ouverture de l’information judiciaire, que le juge d’instruction prenne connaissance du dossier et réalise l’interrogatoire, il est 11 heures 30, au mieux. On attend que le juge des libertés et de la détention (le fameux JLD) vienne statuer son sort : maison d’arrêt ou contrôle judiciaire ? Ah, j’apprends que le JLD était ce matin à l’annexe du tribunal, à trente kilomètre d’ici, où il statuait sur la procédure relative aux étrangers en situation irrégulières placés au centre de rétention. Aujourd’hui, vingt-trois personnes lui sont présentées; L’audience se finira vers 13 heures 45. Le temps d’avaler un sandwich, de faire pipi et de prendre la route, le JLD sera au tribunal vers 15 heures. Il prendra connaissance du dossier et recevra la personne vers 15 heures 30, au mieux.

L’ex-gardé-à-vue désormais mis en examen et bientôt détenu sera donc resté, ainsi que son escorte, environ huit heures dans les couloirs de l’instruction. Son avocat, s’il na pas la chance d’avoir ses locaux professionnels à deux pas, aura perdu une grande partie de son temps lire les vieux magasines déposés par les uns ou les autre, comme chez le dentiste.

Essayons de pénétrer dans l’antre du magistrat, son cabinet. Un bureau, grand, petit, fonctionnel, mal fichu, définitif, temporaire, vue sur la mer, sur les montagnes, aveugle, allez savoir sur quoi vous allez tomber...

Tiens, le greffier.

Bon, moins bon, expérimenté ou non, comme le magistrat peut l'être. De leur alchimie dépendra la réussite du cabinet. Inutile de penser qu’il tournera correctement si le juge prend son greffier pour un moins que rien. Malheureusement, certains magistrats sont ainsi. Il faut être objectif, c’est parfois justifié (il y a des greffiers mauvais et caractériels), parfois non (il y a des juges caractériels et mauvais).

Tiens, ici, c’est un fonctionnaire de greffe fraîchement sorti d'école. Le juge dit de celui-ci (en réalité celle-ci) qu’il n'est rien d'autre qu'un pur bijou. Oui, on a parfois de la chance...

Tiens, un ordinateur. Patience, madame le juge, il sera renouvelé dès qu'il aura atteint le barre stratégique, comptable et administrative des cinq années. Comment ça celui-ci n’est pas équipé du port USB qui vous permettrait d’utiliser la clé que VOUS vous êtes achetée ? Patience, ma chère : cinq années, qu’ils disaient !

Tiens, le placard à fournitures. Oh, une congénère ! Pas vivante, non, vous savez ces objets en forme de souris qui déroulent une bande de correcteur. Ça a l’air d’être d’une bonne contenance. Comment ça, au bout de quelques décimètres la bobine n’enroule plus rien, le correcteur n’adhère plus au papier et il faut jeter ce qu’il reste de ce malheureux objet... Mince, quel gâchis. Peut-être croyait-on que l’administration ferait des économies en achetant cette marque ? Certes, s’il faut les jeter à mi-course, on n’est peut-être pas si gagnant que ça...

Ha, la boîte à stylos. Ils ont l’air chouette ceux-là, de type roller ou ink-gel. Tiens, justement, voici que le greffier en parle avec son collègue d’un autre cabinet. Que disent-ils ? Non, ce n’est pas possible ? Ces stylos sont justement réservés au magistrat, il est hors de question qu'un simple greffier les utilise. Parole du responsable des fournitures. C’est vrai qu’après tout, un greffier peut très bien se contenter d'un "Bic".

Voici la bible du magistrat : ses codes. À jour, bien entendu. Mais j’apprends qu’il a reçu les derniers courant novembre, quand ils sont en librairie fin août ou début septembre.

La curiosité nous pousse à jeter un œil, par exemple ce code pénal 2008.

Mince!, lorsqu'il est sorti, il n'était déjà plus à jour puisque n'y figuraient pas les dispositions nouvelles sur la récidive.

Tiens, les greffiers poursuivent leur conversation. J’apprends qu’alors qu’ils sont garants de l'authenticité de la procédure et, à titre totalement accessoire, tenus au respect de délais aussi peu importants que ceux de durée de détention, notification d'expertises ou ordonnances, de convocation etc.., qu’il n’auront pas eu le loisir de consulter leur code nouveau. En effet, seul le magistrat y a droit, à charge pour lui de donner ses exemplaires, très souvent périmés, à son greffier. C'est bien connu, un greffier d'instruction ne fait pas de procédure pénale...

D’ailleurs, le voici se dirigeant vers la salle des photocopieuse, ou il va réaliser la copie du dossier pour le double gardé au cabinet et une autre pour un avocat qui vient de la solliciter. Ah bon, pas de service de reprographie ? C’est le greffier qui fait cela tout seul ? C’est dommage, il a peut- être mieux à faire dans son cabinet, comme trier le courrier du jour, mettre en forme les derniers dossiers etc.

Tiens, voici le juge, en conversation avec des enquêteurs. Ils ont l’air motivés, ne comptant pas leurs heures. Ah, je crois comprendre que leur direction ne souhaite pas qu'ils aillent à Cuges les Pins entendre ce témoin pourtant capital, qu'il va donc falloir donner commission rogatoire au service d'enquête local pour procéder à cette audition capitale, qui sera donc réalisée par quelqu'un qui ne connaît pas complètement le dossier, son ambiance, ses à-cotés.

Qu’en penser ? Une seule chose : un bâton statistique est un bâton, résoudre une affaire de chat écrasé compte autant qu'un gros dossier de stupéfiants, et coûte beaucoup moins cher...

Ah j’entends l’enquêteur quémander, et être ravi d’obtenir de sa part, le vieux code de procédure pénale 2006 du juge (hé oui, nous somme en 2008 mais le 2007, c’est le greffier qui l’a). C’est vrai que ces pauvres enquêteurs doivent se contenter, à sept ou huit dans l'unité, d'un millésime 2004.

Nouveau coup de fil, cette fois à un expert. Contrit, le juge doit lui dire que, non, ce n'est pas normal qu'il ait dépassé le délai qu’il lui avait fixé pour rendre son rapport. Que, oui, c'est comme ça, rapport rendu dans les délais ou non, il ne sera payé que dans quatre ou cinq mois, voire plus parce que vous comprenez mon bon monsieur (cela vaut aussi pour les dames), nous sommes fin septembre, il n'y a plus d'argent dans les caisses et on n'aura de nouveaux crédits que début janvier.

Tiens, une question ? Si la justice était une entreprise privée, ne serait-elle pas réduite à déposer son bilan tous les ans à la fin du troisième trimestre, les actifs mobilisables étant insuffisants pour couvrir le passif exigible ?

Tiens, voilà qu’on parle des enquêteurs de personnalité, appartenant au service pénitentiaire d'insertion ou de probation ou relevant d'associations spécialisées. Il se dit qu’ils font ce qu'il peuvent avec ce qu'ils ont : toujours beaucoup de motivation et souvent aucun autre moyen matériel que leur huile de coude pour vérifier la véracité de ce que la personne mise en examen leur affirme.

Tiens, voici que l’interprète sort du bureau du JLD et vient saluer le juge d’instruction. Il a assisté les enquêteurs en garde-à-vue. Pendant 48 heures. Il est intervenu auprès du juge lors de l’interrogatoire de première comparution. Il sera convoqué ultérieurement pour une nouvelle audition de la personne mise en examen. Ah, il habite à trois heures de route de Paris, seul endroit où vous avez pu trouver un interprète parlant la langue qui vous intéresse ? Peu importe, il a l’air motivé, a le sens du devoir et de sa fonction. Il viendra. Et si l’interrogatoire va dure en tout et pour tout 15 minutes parce que la personne refuse de s’exprimer , le juge remerciera l’interprète qui sera renvoyer chez lui. Il expliquera que bien entendu il va être rémunéré pour l’interprétariat qu’il vient de faire (rassurez-vous, il y a un forfait pour la première heure). Que, bien entendu, il sera indemnisé de ses frais de déplacement (forfait kilométrique). Que, non, son temps de trajet (6 heures aller et retour pour une heure d’interprétariat rémunérée), ne peut être pris en compte... Que non, il est impossible de tricher (on appelle cela un faux) et d’ajouter une ou deux tranches horaires pour compenser cela. Je crois comprendre que la prochaine fois, l’interprète convoqué répondra que ça aurait été avec plaisir, mais que ce jour-là, justement, il a piscine...

Et voici l’armoire des dossiers. En moyenne, 80 à 90 par juge d'instruction en France. Dans ce tribunal en particulier, jusqu'à 180...

Certes, sa conscience commande au juge de faire au mieux, d'essayer de participer d'une justice bonne, correcte, lisible, fière d'elle. Mais, parfois, il devra seulement survoler des dossiers plus qu’il ne les ai instruira. Faisant toujours le maximum pour "sortir" les dossiers en cours dans des délais corrects, donnant systématiquement la priorité aux dossiers dans lesquels des personnes avaient été placées en détention provisoire. Mais parfois, souvent, en étant noyé sous le flot des nouveaux dossiers ouverts à l'occasion d'une permanence qui reviendra une semaine sur trois...

Tiens, suivons le substitut du procureur de la République, qui sort du débat devant le JLD.

La souris apprend que, pour simplifier, ce magistrat représente la société et en défend les intérêts, tant en matière pénale que civile ou commerciale, et exerce, au nom du procureur, l'action publique.

C'est à lui que les enquêteurs, tous les jours, rendent compte des affaires en cours, des garde-à-vues qu'ils ont décidées. C'est lui qui va devoir prendre la bonne décision, choisir la bonne voie de poursuite, souvent dans l'urgence des nombreux coups de fil qu'il va recevoir de nuit comme de jour.

C'est lui qui va aller requérir à l'audience correctionnelle. Pour cela, il aura préalablement examiné les dossiers, quand il aura eu le temps de le faire, et découvert le contenu de la plupart d'entre-eux, les poursuites ayant été ordonnées par son collègue de permanence au moment des la garde-à-vue. Comme ses collègues juges correctionnels, comme le greffier, comme l'huissier d'audience, comme les avocats et surtout comme les prévenus, il sera présent à 08h30 pour l'ouverture de l'audience et sera encore là à 19h00, quand elle se terminera.

Celui-ci vient d’arriver dans la juridiction. Son constat est globalement positif : nouvelle juridiction, nouveaux locaux (neufs) pour exercer ce nouvel aspect de sa profession.

Mais légère amertume quand la photocopieuse est en panne depuis trois semaines, qu’elle n’est plus sous garantie, qu’elle n’a pas encore cinq années d’ancienneté...

Quand les écrans plats, neufs, qui équipent la salle d’audience, ne fonctionnent pas et que vous ne pouvez pas montrer les photographies de cette pauvre dame qui s’est faite tabasser par le prévenu.

Quand la permanence revient une semaine sur trois, parce qu’un poste est vacant. Certes, on ne dit plus vacant, mais on compte en activité par magistrat. À ce jeu-là, certes, ce tribunal est mal loti mais les magistrats ont appris que, non, il ne fait pas partie des priorités et n’aura pas de renfort dans l’immédiat. Qu’importe, il manque un magistrat dans ce parquet depuis quatre ans, alors le procureur fait alors avec les moyens du bord, et notamment en comptant sur le renfort d’un collègue mis à sa disposition par le procureur général.

Ces quelques réflexions ne sont pas de la fiction. Elles synthétisent des événements vécus dans plusieurs tribunaux. Et qui pourraient sans doute être relevé par de nombreux collègues. Globalement, nos juges et procureurs vont bien. Mais notre justice va mal.

Je me suis concentré sur des aspects purement matériel qui grèvent le fonctionnement du tribunal et ralentissent le cours de la justice. Je laisse à d’autres le soin d’aborder les problèmes rencontrés dans des fonctions que je n’ai pas exercées en dehors de mon stage en qualité d’auditeur de justice. Je laisse à d’autre le soin d’aborder le parfois incompréhensible amoncellement de textes qui fait que le juriste n’y retrouve pas ses petits.

Il me semble que la mobilisation du 23 octobre sera un O.V.N.I. dans le monde du travail français. Personne ne va demander d’augmentation, personne ne va demander de partir plus tôt à la retraite, personne ne va demander de nouveaux avantages sociaux, personne ne va demander plus de jours de congés...

Non, il va seulement être fait ce constat : nous devons rendre la justice au nom du peuple français. Ce serait peut être faire justice à ce peuple que de nous donner les moyens de le faire correctement.

Nous ne demandons pas du luxe, non. Nous nous contenterions bien volontiers de pouvoir avoir la satisfaction d’avoir des moyens matériels corrects pour rendre la justice et donner autre chose qu’une obole, qui plus est bien tardive, aux services et personnes qui y contribuent.

J’exerce un très beau métier.

S’il ne fait pas rouler sur l’or (il reste sous l’égide de la grille des rémunérations de la fonction publique), il me donne largement les moyens de vivre.

J’ai la chance de l’avoir choisi.

J’ai la chance de l’aimer.

Madame le Garde des sceaux, Mesdames et Messieurs les prochains Garde des Sceaux, laissez-moi l’aimer encore.

Cher Justiciable…

Par Titi et Grosminet, magistrats placé (magistrats non affecté à un poste mais chargé de remplacer un magistrat absent ou d'apporter du renfort temporaire à une juridiction submergée. Les intermittents du spectacle de la magistrature).


Paris, le 23 octobre 2008, une paire de juges placés énervés et égarés au milieu de la place Vendôme.

Cher justiciable,

Aujourd’hui, nous le savons, tu n’es pas content.

Je l’avais pressenti en croisant ton regard dans la salle des pas perdus. Tu nous attendais au tournant. Tu t’étais préparé à cette audience, tu avais pris ta journée, cela faisait des mois que tu attendais une décision et voilà patatra ! Alors que nous n’avons pas le droit de grève et que nous savons que tu te fais un sang d’encre depuis des mois à l’idée de nous voir, nous avons renvoyé ton affaire à plus tard, dans trois mois, et ce pour faire un sitting sur les marches du palais. Tu ne comprends pas ?

Ravale ta colère un instant, s’il te plaît, juste le temps d’écouter nos explications, après tu pourras nous juger, en ayant tous les éléments en main.

Sois rassuré, nous savons bien que nous ne sommes pas irréprochables. C’est d’ailleurs pour cela aujourd’hui que nous t’écrivons à deux ces quelques lignes, et crions discrètement notre ras le bol dans la rue. Nous avons des torts mais nous implorons ton aide et ton soutien, il en va de la sauvegarde de ta justice.

Nous sommes une paire de juges placés. Des juges placés ? tu t’interroges... Non, il ne s’agit pas d’un nouveau pari proposé par le PMU, quoique l’idée de voir courir nos collègues en robe à Auteuil ou à Longchamps n’est pas sans nous rappeler les longues années de préparation au concours de l’Ecole de la magistrature.

On dit “juge placé” mais dans nos jugement, tu liras “juges placés auprès du Premier Président de la cour d’appel de Nerverland”. Tu te dis que notre titre est bien pompeux. Nous te l’accordons et la plupart de nos collègues placés sont d’ailleurs bien jeunes pour des magistrats de cour d’appel, même pas trente ans...

Les juges placés sont les bouche-trous de la magistrature assise et crois-nous, nous qui voyageons beaucoup, il y en a des trous dans les cours d’appel françaises.

Nous sommes itinérants, flexibles, adaptables, roue de secours ou pompier selon l’état dans lequel se trouve le tribunal où nous oeuvrons, pour quelques jours ou de nombreux mois.

C’est nous que tu as rencontré lorsque “ta Juge des enfants” est tombée malade. Tu étais en colère car nous avons mis tes enfants dans une famille d’accueil, et tu ne comprends pas comment un juge qui ne connait rien de ton histoire et de ta famille a pu maintenir le placement en toute connaissance de cause. Pourtant sache que j’ai passé plusieurs heures à relire l’intégralité des rapports depuis le signalement, que j’ai passé mon dimanche après-midi avec tes difficultés et celles de tes enfants et qu’avec le temps dont je disposais, je me suis imprégné autant que j’ai pu de votre histoire.

C’est également nous qui, après plusieurs mois de vacance de poste non pourvu par la Chancellerie, avons repris les rênes de ton tribunal d’instance, isolé et agonisant dans l’attente de sa fermeture.

Tu étais colère quand j’ai pris la décision de réouvrir les débats, alors que cette société de crédit menaçante te harcèle et a même osé t’appeler sur ton lieu de travail devant tous tes collègues et ton patron...Tu ne comprends pas ces délais intolérables mais sache que c’est pour lui rappeler la loi, constater qu’elle est en délicatesse avec le code de la consommation, et la priver ainsi des intérêts qu’elle te réclame chaque jour indûment.

C’est aussi nous qui vidons les placards remplis de vieux dossiers, et convoquons ton petit dernier qui a maintenant dix neuf ans et demi et qui travaille, pour un vol de scooter commis en 2006, dans une autre vie...

Nous sommes juge des tutelles, puis juge d’instruction, juge d’application des peines, juge aux affaires familiales, juge à tout faire. C’est une nouvelle politique des ressources humaines du Ministère de la Justice, tu dois le savoir, alors qu’on te parle de spécialisation des juges pour plus de sécurité juridique. Alors que, comme dans tous les milieux, beaucoup de magistrats partent à la retraite, les promotions nouvelles qui sortent de notre Ecole sont de plus en plus petites. Notre espèce de juge caméléon n’est pas près de disparaître...

Nous errons de tribunal en tribunal, de contentieux en contentieux, nous passons des heures sur les routes, dans les trains, à l’hôtel. A chaque nouvelle délégation, c’est une situation de crise à laquelle nous devons nous adapter, pour laquelle nous nous mettons au fait des lois applicables qui ne cessent de changer.

Nous ne sommes pas des héros et nous ne recherchons pas l’apitoiement. Nous avons choisi d’être magistrat par vocation, pour être ton serviteur et serviteur de la loi.

Nous reconnaissons que nous avons des torts. Nous sommes juges depuis peu de temps, et pourtant nous avons constaté que nous ne pouvons pas toujours exercer notre métier avec autant de perfection que nous l’avions imaginé en sortant de l’Ecole. Nous aurions tant aimé mieux t’expliquer pourquoi nous n’avons pas retenu la légitime défense plaidé un peu maladroitement par ce jeune avocat, ou mieux motiver cette ordonnance de non-conciliation. Nous aurions tant aimé être plus humain et plus patient avec toi, le jeune délinquant multi-récidiviste qui comparaissait à 23 heures devant nous, après 48 heures de garde à vue pour toi, et 10 heures d’audience pour nous...

Il nous en coûte de te faire cet aveu car nous aimerions tellement mieux faire. Ces imperfections habitent nos pensées de tous les jours, je te prie de nous croire, et il n’est pas rare qu’elles nous infligent des insomnies.

Nous aimerions tant être de justes juges.

Cher justiciable, nous le savons, tu n’es pas content, nous non plus. N’oublie pas, nous partageons un même objectif et c’est pour lui que nous reportons ton dossier aujourd’hui : disposer en France d’une Justice dont tu serais fier.

Point de vue d'une petite main

Par Sharl Dalauz, assistant de justice


Assistant de justice au sein du parquet d'un tribunal de taille relativement conséquente (considérant que cette juridiction est devenue un pôle de l'instruction, qu'elle compte une dizaine de parquetiers et qu'elle va bientôt subir une augmentation d'activité consécutive à la réforme de la carte judiciaire), je suis attaché au service du Substitut du Procureur de la République en charge des mineurs.

En fonction depuis deux ans et demi, j'ai assisté à la grande valse des magistrats, ceux qui nous quittent et ceux qui les remplacent, rencontrant en grande majorité des gens formidables. Je tiens d'ailleurs à profiter de cette tribune pour faire une véritable déclaration d'amour mêlée d'admiration aux parquetiers avec lesquels je travaille.

Je fais partie d'une équipe composée de substituts dynamiques dont la moyenne d'âge est approximativement d'une trentaine d'années. Il s'agit d'individus faisant preuve d'un grand professionnalisme et dotés, pour ceux que je connais, d'une éthique sans failles. En dépit de la masse décourageante de dossiers à traiter et de l'urgence perpétuelle dans laquelle ils œuvrent, ils prennent le temps nécessaire pour peser leurs choix et prendre la bonne décision. Ils suivent chaque cas avec soins, coordonnent l'action des enquêteurs en même temps qu'ils rendent des comptes à leur hiérarchie. Mes substituts sont courageux.

Que celui qui n'a jamais passé une journée dans le bureau jouxtant celui du substitut de permanence ne prétende pas avoir une idée de l'intensité de leur mission. La sonnerie du téléphone retentit sans interruption toute la journée durant, sans compter celle du portable réservé aux cas d'urgence qui vient souvent, et parfois même lorsqu'il n'y a pas urgence, se greffer sur la première pour former une mélodie assourdissante et épuisante. Les heures passées au bout du fil par un parquetier en 24 heures feraient pâlir de jalousie toute adolescente qui se respecte. La permanence, c'est une semaine, jour et nuit, quand vous déjeunez, quand vous dormez, mais aussi pendant que vous gérez vos dossiers. (car la pile de courrier ne se fige pas par magie pendant cette période) Et dire qu'ils sont encore courtois avec leur 46 ème interlocuteur... si si je vous assure je les observe et les écoute!

Je pense que le mythe du fonctionnaire plus occupé à compter ses heures de travail qu'à les accomplir n'est pas applicable aux magistrats. Le magistrat sait précisément l'heure à laquelle commence une audience mais un peu moins celle à laquelle elle se terminera. Cette considération en entraîne une autre, celle de la vie de famille. Ce métier demande une disponibilité et une flexibilité importantes et il faut savoir qui ira chercher le marmot à la crèche en cas d'imprévus.

Les exemples de ce type sont nombreux. Je me fais le défenseur de « mes magistrats » car ce sont des gens biens qui ont pris le temps, au milieu de ce tumulte quotidien, de m'apprendre beaucoup de choses qui me seront précieuses. Aujourd'hui, leur indépendance est menacée et la garantie de pouvoir exercer leurs fonctions correctement n'est plus assurée. Je ne ferai pas le procès de la personne (la nommer serait lui faire honneur) qui a mis le feu aux poudres mais je n'en pense pas moins et cette mobilisation générale constitue la plus belle des sanctions.

Le rassemblement qui aura lieu demain sera beau et il a demandé une nouvelle fois des efforts. « Mes magistrats » ont pris sur le temps pour sonner la révolte et tenter de faire passer le message en sollicitant les médias locaux, afin de relayer leur message. Ils aiment ce qu'ils font et sont prêts à se défendre pour continuer à le faire du mieux qu'ils peuvent. Ils ne se laissent pas gagner par le découragement et n'attendent plus depuis bien longtemps des remerciements. Ils accomplissent simplement leur tâche.

Je n'ai témoigné qu'en faveur du parquet car je ne peux pas parler de ce que je ne connais pas. J'apporte également tout mon soutien à tous les autres corps. Je pense toutefois que la cause est commune dans ces moments-là, sans distinction.

Pour ceux qui pourraient penser que le jeune assistant que je suis est trop passionné pour être objectif, caressant certainement le doux rêve de devenir un grand Procureur de la République, je puis vous affirmer que vous vous trompez. Je ne serai pas magistrat, ce n'est pas ma voie. Je respecte leur travail mais ce ne sera pas le mien. J'ai simplement donné un avis sur des gens que je côtoie et que je respecte.

23 octobre

Par le Bureau national du Syndicat des Greffiers de France ; j'ai écarté les textes syndicaux et communiqués officiels, préférant les billets personnels ; mais ce texte n'est pas un communiqué, il m'est adressé, et la voix des autres serviteurs de la justice doit aussi s'élever aujourd'hui. Sans les greffiers, nous ne serions rien, magistrats et avocats. C'est avec plaisir que je les accueille. Eolas.


Le Syndicat des Greffiers de France (SDGF) ne peut qu’abonder dans votre sens et vous propose sa contribution sur nos conditions de travail.

A l’heure où l’on prône un dialogue social de qualité, encore faudrait-il que le mot dialogue soit une réalité.

Or, les greffiers, « travailleurs de l’ombre » et véritables « petites mains » de la justice, sont, la plupart du temps, ignorés, voire pire, du genre « Un Greffier ?ça sert à quoi ! ».

Dans les médias, pour le grand public, la justice n’est généralement représentée que par les magistrats et les avocats.

Or si les jugements sont tapés, exécutés, en bref si la Justice fonctionne …c’est bien grâce aux Greffiers.

Pour autant, nos conditions de travail sont déplorables tant au niveau effectif qu’au niveau matériel et ne cessent de se dégrader.

De nombreux collègues sont partis à la retraite sans que l’Administration ait anticipé leur départ, en matière de recrutement, ou plus exactement, ait décidé de ne pas les remplacer.

De ce fait, les greffiers ne gèrent plus seulement leur service mais doivent faire face à une multitude de tâches supplémentaires.

Au niveau matériel, les logiciels sont totalement archaïques. Certains services dont l’exécution des peines ne sont même pas informatisés. Les temps préhistoriques sont toujours d’actualité.

Néanmoins, si le système judicaire continue de fonctionner, c’est grâce au sens du devoir du service public, au dévouement et à la conscience professionnelle des greffiers.

Mais, rappelons- nous que « tout être humain a ses limites, et celles des greffiers sont aujourd’hui atteinte » .

Il n’est plus possible d’exiger de nos collègues, sans aucune contrepartie, de poursuivre voire d’accroître les sacrifices qui leur sont demandés.

A titre d’exemple, les nombreuses heures supplémentaires effectuées ne sont pas payées et peu de greffiers peuvent les récupérer sinon les services accumuleraient un retard tel qu’il deviendrait ingérable.

De même, alors que les magistrats bénéficient mensuellement d’une prime modulable dite « prime au mérite », le greffier, binôme de celui-ci n’a rien, (sauf les greffiers affectés à la centrale).

Les jugements sont-ils fait par le seul et unique magistrat ? Pourquoi cette discrimination ?

Quant aux locaux, la situation n’est pas meilleure. La création de nouvelles fonctions (BEX ou pôle d’instruction, notamment) est une catastrophe en terme d’espace. On n’hésite plus à loger les greffiers dans les archives, ou, les uns sur les autres, dans les mêmes bureaux, dans des conditions qui entraîneraient, dans le privé, une intervention des Services de L’Inspection du Travail …

La réforme de la carte judiciaire et sa prochaine application vont encore aggraver une situation déjà intenable. Les greffiers des juridictions supprimées vont être répartis dans les juridictions maintenues, sans qu’évidemment les capacités d’accueil des locaux soient augmentées.

Certes on nous dit que « les caisses sont vides ». Si l’on en croit les décisions prises récemment en matière de crise financière, elles ne sont pas vides pour tout le monde …..

Le sentiment général de nos collègues aujourd’hui peut se résumer ainsi. : « Assez de promesses non tenues, assez de mépris. Nous voulons enfin que l’on nous donne les moyens de travailler et les moyens de vivre décemment.

Témoignage de juge

Par Tarrega, magistrat


Dans le cadre des travaux du Conseil Supérieur de la Magistrature en vue de l'élaboration d'un Code de déontologie, un institut de sondage a questionné un nombre important de magistrats, leur demandant quelles sont les principales qualités requises à leurs yeux pour exercer cette fonction.

La compétence, l'impartialité, l'honnêteté, l'intégrité, l'indépendance, le respect de la loi, la capacité de décision, la capacité à douter, le respect du justiciable, la capacité d'écoute, la compréhension de la société, la capacité de travail, le respect des autres professionnels du droit, le respect du secret professionnel. Tels étaient les questions posées.

Je connais un vieux magistrat qui voulait dit-il répondre à une questionnaire de ce genre: "avoir une bonne vessie" mais cet item n'était pas proposé. Et il n'était pas possible de modifier en ce sens la question qui portait sur cet aspect particulier de la capacité de travail. Peut être entrait-il dans cette anecdote une réflexe désabusé de sa part alors que son souci était d'écluser ses piles de dossiers.

Ce trait d'humour faisait allusion à la longueur de certaines audiences. En collégialité, quand on juge à plusieurs mais toujours en nombre impair, le Président peut toujours effectuer une suspension lorsque le besoin se fait sentir. Mais comme le disait Woody Allen, l'infini, c'est long, surtout vers la fin; Et que dire du Greffier, de son indispensable patience, du Procureur bien seul sur son coin de l'estrade? Et de ceux dont l'affaire va passer, et qui se fait parfois rappeler à l'ordre du fait du bruit causé par ses déplacements dans une salle où l'acoustique est souvent défectueuse? La justice, réceptacle de bien des drames individuels, n'a pas le pouvoir d'agir sur les causes du mal-vivre ensemble. J'ai le sentiment qu'elle en limite seulement les effets par son action quotidienne,

A d'autres, notamment surveillants pénitentiaires, travailleurs sociaux, SPIP et PJJ... de contenir ou d'attendrir la matière vivante que les juges leur confient, aprés avoir écouté les uns et les autres pendant de trop courtes minutes. Quelle tâche difficile! ( je parle de celle de ces gens qui ont pour métier de surveiller, punir, éduquer, contrôler, par mission judiciaire) Je ne parlerai pas des avocats, peut être parce que je les fréquente trop. Si l'un ne vous plaît pas, allez donc en voir un autre. La Justice est une institution qui porte le nom de la plus haute des vertus (il en est d'autres, et pas des moindres: Santé, Education...) Par la même elle n'est jamais à la hauteur de ce que les gens attendent d'elle.

Les politiques dont la mission est capitale dans notre démocratie ( les partis concourent à l'expression du suffrage, ce sont les élus qui font la loi) devraient se pencher plus dignement sur certaines fonctions de péristaltisme et d'urologie, si j'emploie des mots compliqués, c'est pas ma faute c'est que je suis bac+6 donc s'il vous plait regardez n'importe quel dictionnaire. Et aussi ce qu'on appelait dans un mot vieillot : « rééducation » Bref de défense sociale. Car la société défend ses valeurs.

La pancarte "chien méchant" n'a qu'une utilité modérée. Surtout lorsque le chien est pelé, que sa gamelle est vide et que sa laisse est trop courte. Et que le politique le traite moins qu'un chien (Le bassiste de jazz américain Charlie Mingus a écrit un livre qui porte ce titre, j'ai pas supporté la moitié de la lecture).

Le citoyen a surtout besoin d'avoir confiance dans la capacité du juge à peser avec concentration le pour et le contre.

Disons plutôt: la justice n'est pas une chienne. Car contrairement à la gent canine qui hérite sans doute là du loup des steppes, elle n'obéit à aucun chef de meute.

C'est constitutionnel, naturel. La justice est humaine. Je la crois prête à mieux répondre à ce que la société, c'est à dire les gens comme moi qui ont eu et peuvent avoir des conflits avec leur entourage, qui ont eu dans leur poche une main qui n'est pas la leur, ont eu un proche tué, un voisin abusif...Et même à ceux qui espèrent obtenir d'elle un gain mieux qu'au loto, en piquant dans la poche d'un autre. Je vous assure que j'ai rencontré ça. Rarement, mais ça existe. Ca fait parfois du bien lorsqu'on est sûr de son coup de régler son compte à ce genre de personnage.

Bref, je suis dans ma tête comme mon corps comme tout le monde. Je fais un métier. C'est un peu compliqué mais je voudrais surtout qu'on me le laisse faire dans un minimum de tranquilité. Sinon, il y a peu de risques que ce soit moi qui paye. Mais plutôt pas mal d'entre vous. Et cette seule idée me rend malade.

Si je porte une robe, à peu près identique à celle des avocats, c'est pour que les excentricités de ma personne ne soient pas perçues comme un parti-pris par quiconque. Et soyez assurés que je me méfie comme du SIDA de ce que je peux penser des uns et des autres avant d'avoir examiné l'affaire. Donc la robe: une sorte de préservatif?

Paranoia

Par karc'hariad, surveillant de prison




Bonjour, à défaut de la parole d'un Magistrat, je vous propose ici celle d'un autre acteur de la Justice : le Surveillant Pénitentiaire.

Paranoïa. C'est ce que je ressent dès que je franchi les grilles de la détention. Etre toujours sur le qui-vive. Se méfier de tout et de tous. Des détenus, tout d'abord. Ne jamais leur tourner le dos. Si on a de la chance, il nous font remarquer notre étourderie gentiment, sinon ... Les détenus passent beaucoup de temps à nous tester, à déterminer quel niveau de "liberté" chaque Surveillant peut leur accorder. Car dans le monde carcéral, "la liberté" peut prendre des aspects très différents : être le dernier à sortir de sa cabine de parloir et avoir ainsi 5 minutes de plus avec sa femme et ses enfants que la 1/2 heure réglementaire, aller en dernier à la douche et y être presque seul, bénéficier d'un poste "d'auxi" et ainsi pouvoir sortir plus souvent de sa cellule pour les tâches quotidiennes d'entretien, passer tel ou tel objet à la cellule d'à coté lors de la distribution du repas ...

Mais il faut aussi se méfier des autres : visiteurs, aumôniers, service de santé, éducation nationale, ... Non pas qu'il représente un même danger que nos hôtes, mais dès qu'ils posent le pied sur la coursive, c'est sous ma responsabilité. Les dernières prises d'otages sont toujours en mémoire. De plus, leur perception du monde carcérale est différente de celle des Surveillants, ils n'ont pas forcement les "reflexes sécuritaires" comme on dit. Mais voici un Officier sur ma coursive. Allons bon, que me veut-il ? Je recompte mentalement mon nombre de détenus "en stock" et fait le point sur la position théorique des autres. L'Officier vérifie, j'ai bon. Ouf. De la hiérarchie aussi il faut se méfier. Véritables champions du parapluie. Là, c'est ce qui est arrivé aux Collègues d'Amiens que j'ai en mémoire.

Je contrôle à nouveau le cahier de consignes de mon aile. Qui l'a rédigé au service précédent ? A t il bien noté tout ce qui était important ? N'a t il pas oublié les demandes de changement de cellule ? Les changements de comportements remarqués ? Les locaux fouillés ? De mes propres Collègues aussi, il faut que je me méfie : une information omise, et un détenu peut faire une TS, une overdose, se faire racketter ou frapper, voir y rester durant mon service, alors que l'alerte aurait pu être donnée bien avant. un bip retenti faiblement à mon ceinturon : c'est ma radio dont la batterie vient de rendre l'âme : Du matériel aussi, il faut se méfier. D'ailleurs, la moitié des ampoules de la coursives sont mortes depuis longtemps, il faudrait les changer, mais plus d'argent pour cela. L'hiver approche, il fera de plus en plus sombre et si il y a une agression, les Collègues ne le verront pas forcement dans la pénombre du couloir. Seul mon sifflet d'alarme est fiable : je l'ai acheté. Celui en plastique fourni avec l'uniforme n'a pas bonne réputation, et je ne veux pas que ma vie en dépende.

Je m'apprête à effectuer ma fouille de cellule quotidienne pendant que ses occupants sont en promenade. Un coup de pied dans la porte pour déloger les cafards nichant entre celle-ci et le chambranle afin qu'ils ne me tombent pas dans l'encolure lorsque j'ouvrirai. 9 m², un WC avec lavabo dont la porte a disparu depuis longtemps, quelques étagères saturées, une armoire (pour trois) bondée, une petite table (boite en carton retournée) avec deux tabourets, une télé sur applique murale, trois lits superposés : comment ont-ils fait, il ne peut en tenir que deux en hauteur !? Ah oui, les pieds de celui du bas ont été sciés afin d'en empiler un troisième : idée de génie de la Direction. Du coup, celui qui dort en bas est presque au niveau du sol, et celui qui dort en haut n'a pas intérêt à se relever trop brusquement. Et il reste même de la place pour poser un matelas par terre et ainsi rajouter un quatrième locataire. Je me rappelle de me méfier de la prise électrique car elle est souvent trafiquées pour pouvoir y brancher plus qu'un appareil : "toto" (résistance électrique) pour réchauffer le café ou chargeur de portable improvisé. Je regarde les murs, couverts de photos de familles ou de femmes nues couvrant à peine la peinture écaillée et des générations de graffitis laissés là par tous les anciens occupants, y compris quelques messages destinés à ceux de ma profession. Les parois de l'armoire n'y ont pas échappées. La fouille continue, je confisque le "yoyo" (sorte de corde artisanale fabriquée avec un drap [et permettant de se passer des objets d'une cellule à l'autre par la fenêtre - ajout d'Eolas]) et note sur mon carnet qu'il faudra le signaler à mon supérieur : encore un compte rendu à faire. J'ai de la chance, ces détenus ont un bonne hygiène et font le ménage. Ce n'est pas le cas de tous, beaucoup de cellules sont d'une insalubrité exceptionnelle. J'examine la fenêtre dont certains carreaux manquent et aperçois au pied du bâtiment d'en face les impressionnants monceaux de détritus que les détenus jettent complaisamment par les fenêtres. Pourtant, les poubelles des cellules sont ramassées tous les jours. Le bon coté des choses, c'est que cette manne permet de bien nourrir les chats errants qui ont envahi la prison : ils sont tellement replets qu'ils ne courent même plus après les corbeaux, les mouettes et les pigeons qui partagent leur pitance.

Je m'interroge : comment faire pour supporter cela ? Environ 21 heures d'enfermement par jour en Maison d'Arrêt. Je sais ce que l'on dit : ce ne sont pas des anges si ils sont ici, mais en Maison d'Arrêt, il y a aussi des prévenus supposés innocents jusqu'à preuve du contraire. Des prévenus attendent leurs jugements parfois deux ans, pour s'entendre confirmer leur innocence. Qu'ont-ils subi en attendant ? Là, c'est Outreau que j'ai en mémoire. Certains détenus "s'évadent" dans des activités fournies par l'Administration Pénitentiaire (cours, formations, travail pénitentiaire, ...), mais il n'y en a pas assez pour tous. C'est même le signe d'un privilège exceptionnel que d'y avoir accès. Pareil pour le sport : pas assez de moniteurs, pas assez de matériel. D'autres (la majorité en fait) le font par l'oisiveté, devant la télé ou sur la console de jeux. D'autres encore s'enfuient dans un monde de léthargie ou de sommeil fourni par des stupéfiants ou des psychotropes. Mais est-ce pour cela qu'ils sont enfermés à l'écart de la société ? Ne doivent-ils pas mettre ce temps à profit pour "réfléchir aux conséquences de leurs actes et aux moyens de s'amender" ? Quand je parle avec eux, beaucoup (mais pas tous) se placent plutôt en victime de la société et/ou des circonstances, minimisant voir reniant complètement les tors éventuels à autrui. D'aucun jure qu'il ne remettra plus jamais les pieds en prison, mais au fil des ans les habitués reviennent toujours.

Mais surtout, qu'elle est ma place ici ? En fait je fais ce métier à défaut d'autre chose, non par vocation mais par besoin, pour payer mon loyer. J'ai tout de même appris à l'aimer ce métier. Je suis Gardien de prison, et ma tâche est de protéger les citoyens de ce pays en assurant la surveillance des détenus durant leur incarcération. De même, j'ai le devoir de restituer à la société ces détenus dans un bon état : c'est à dire que je dois veiller à ce qu'ils aient accès aux soins, à l'éducation, à l'emploi, à leurs familles, à leurs avocats. Ce sont les droits fondamentaux des détenus. Bref, tout ce qu'il faut pour aider à leur réinsertion sans récidive. Je sais, je suis un idéaliste. Comment est-ce possible dans de telles conditions ? Sur ma coursive, 42 cellules, 95 détenus et je suis seul face à eux. La surpopulation et le manque de moyens, tant humains que matériels, tuent dans l'œuf la moindre tentative de travail de réinsertion, et ce ne sont pas mes Collègues Conseillers d'Insertion et de Probation qui diront le contraire, avec leurs 175 dossiers à suivre chacun.

Faute de places, les mélanges de détenus, prévenus et condamnés, jeunes ou vieux, délinquants et criminels, transforment les prisons en viviers de la délinquance et de la criminalité. C'est cela aussi, la surpopulation carcérale.

De fait, je me sens frustré de n'être qu'un porte-clefs, juste bon à ouvrir et (surtout) fermer des portes. Ce n'est pas vraiment ce qui est "vendu" dans la publicité du Ministère de la Justice pour mon métier. D'ailleurs, je n'ai jamais bossé dans une taule aussi immaculée. On pourrai presque manger par terre tellement elle est clean. Elle est tellement propre qu'elle ne doit pas servir, c'est pas possible. Ceux qui entrent dans la profession d'après cette pub vont être sacrément déçus... Ainsi que les futurs détenus qui ne connaissent pas encore la prison, d'ailleurs. J'espère sincèrement que cette publicité n'est pas l'exacte vision d'une prison qu'ont nos dirigeants de la Pénitentiaire, car si c'est le cas, je crains le pire pour l'avenir.

Là, c'est de mon Ministère que je me méfie.

Une semaine habituelle, ou : le journal d'un juge d'instruction

Par Annette, juge d'instruction et soutier de la justice


LUNDI

8h30 les gendarmes de la section de recherches m’appellent pour me tenir informée de l’avancée d’une commission rogatoire que je leur avais confiée en mars dernier. Le spécialiste des abus de biens sociaux est parti en mutation, l’enquête est restée en rade, ils me promettent de s’en occuper à partir de décembre quand le remplaçant (non spécialiste) arrivera.

9h30 je mets en examen l’ex-compagne d’un monsieur mort dernièrement de la maladie d’Alzeimer. Les enfants du monsieur la soupçonnent de lui avoir soutiré de l’argent. Cette dame très digne me dit qu’elle a vécu pendant plus de 10 ans avec son ex-compagnon, qu’elle l’a beaucoup aimé, qu’elle l’a soigné, lavé et habillé alors que la maladie s’aggravait, qu’il avait des moyens financiers beaucoup plus importants qu’elle et qu’il payait toutes les factures. Elle reconnaissait avoir signé des chèques à sa place, en sa présence et avec son accord car il avait de moins en moins de force. Elle explique que les enfants avaient toujours soutenu leur mère et lui avait interdit d’aller rendre visite à leur père quand il avait été, à leur demande, admis en maison de retraite. Il est mort trois mois après son admission. L’infraction de faux est constituée, j’espère que le tribunal sera très indulgent.

14h30 encore une affaire de viols et agressions sexuelles. 1/3 des dossiers de mon cabinet. La victime de 26 ans porte plainte contre son beau-père. Elle se trompe dans les dates et les lieux mais qui est capable d’être précis quand les faits remontent 15 ans en arrière? L’auteur présumé ne comprend pas ce qui lui arrive et crie au complot. Que vais-je trouver comme preuves pour des faits aussi anciens?

MARDI

Je me suis accordé la journée pour préparer l’audience à juge unique que je dois présider dans deux jours. 25 dossiers. En commençant à 8h30, j’espère finir à 15h. Il faut se méfier de la simplicité des dossiers qui passent dans ces audiences. Les enquêtes sont parfois sommaires, les affaires souvent contestées, les victimes tendent parfois à vouloir obtenir beaucoup d’argent. Il ne faut pas oublier d’expliquer, expliquer et encore expliquer. Tout le monde n’a pas d’avocat et on peut être perdu dans une salle avec trois personnes en robe sur une estrade (procureur, juge, greffier) et plein de gens avec la même robe qui circulent, parlent entre eux et passent en premier (les avocats). De plus, le droit est un jargon pour le commun des mortels, un langage entre initiés qui se comprennent.

Je ne dois pas oublier d’organiser le transport de plusieurs scellés au laboratoire d’expertises génétiques pour recherche D’ADN dans une affaire de meurtre ni de téléphoner aux experts psychiatres pour leur rappeler une expertise confiée depuis 6 mois. Etre diplomate au téléphone, les experts sont rares sur le ressort et il faut les ménager si on veut continuer à pouvoir faire appel à eux. D’autant qu’ils ne sont plus payés depuis le 15 septembre car la caisse des frais de justice est vide. Il faudra attendre janvier. Je parie que l’année prochaine, vu le rattrapage à faire et l’absence de revalorisation, les caisses seront vides fin juillet. Je veux bien, comme on me le demande, dépenser moins mais cela veut dire que je ne mets pas tous les moyens en oeuvre sur les affaires. Cela veut dire que j’engage ma responsabilité. Est-ce que ma ministre viendra me soutenir parce que je lui aurais permis de faire des économies ce qui est très bon pour son image auprès de Bercy?

MERCREDI

9H30 J’ai 110 dossiers dans mon cabinet dont 20 en fin d’instruction pour lesquels je n’ai plus d’acte à faire. Le plus ancien a été ouvert en 2003, le dernier date de hier. Il y a au moins 20 dossiers qui attendent que je trouve le temps de les lire et de leur donner une orientation après le retour des enquêtes. J’espère en lire un ce matin. Pas trop gros. Je ferai une audition dans deux mois vu mon emploi du temps. J’ai refermé la porte de mon armoire où dort un dossier de 5 tomes sur des abus de confiance et prises illégales d’intérêts de la part d’un gérant de tutelle. Il est technique et délicat, il y a plus de 350 victimes. Il faut que je trouve le temps de m’y replonger dedans mais quand? Les week-ends? Si la Justice est lente pour les justiciables, c’est parce qu’elle est pauvre pour les juges. D’après les prévisions, on devrait être 2000 en moins en 2012 (il faut dégraisser la fonction publique) sur 8000 actuellement. A ce rythme, on va tomber dans les profondeurs des classements européens. Mais je ne devrais pas me plaindre, c’est pire dans d’autres tribunaux.

JEUDI

14H30 j’ai gagné une demi-heure sur mes prévisions. J’ai juste mangé une barre de céréales et une pomme. Je vais aller à la boulangerie pour un, non deux pains au chocolat. Je me ferais un thé en rédigeant l’ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel dans une affaire de vols de plusieurs boulangeries. Une histoire de toxicomanes en manque d’argent. Dans les boulangeries, les caisses sont tenues par des femmes, en général plutôt âgées et donc plus faciles à braquer avec un pistolet factice.

Un avocat vient me parler d’un dossier de coups mortels ayant donné la mort sans intention de la donner. La mise en examen, qu’il défend, est en détention provisoire depuis 8 mois. Il veut savoir si j’envisage de la placer sous contrôle judiciaire dans les prochaines semaines. Je lui dis que j’attends encore des informations et que cela me paraît prématuré. Je ne m’interdis pas de discuter avec les avocats sur les dossiers. Je choisis ceux avec qui je peux le faire, ceux qui sont honnêtes, sérieux et francs, qui respectent ma fonction et le rôle de chacun. Ce ne sont pas forcément les plus médiatiques, ceux qui font la Justice non dans les tribunaux mais dans les journaux ni les plus chers, ceux qui voient dans le justiciable d’abord un client.

VENDREDI

9H30 En parlant d’avocat médiatique, voilà un type d’affaires qui les attire: les homicides involontaires. Porter plainte contre le docteur du SAMU qui n’a pas diagnostiqué l’embolie pulmonaire, contre l’hôpital qui n’a pas gardé le jeune homme qui s’est enfui après avoir été admis après une tentative de suicide et qui ne rate pas la seconde, contre l’infirmière qui s’est trompée de perfusion. Je n’aurais pas dû programmer cette audition de partie civile en fin de semaine. Il est impossible d’expliquer à des parents ayant perdu leur enfant que le risque zéro n’existe pas, que tout incident n’est pas pénalement répréhensible. Je ne serais à leurs yeux qu’une juge sans sentiment, inhumaine, sans compassion. Je ne supporte plus ce mot. Est-ce de la compassion que de mettre sur la sellette un médecin qui a des conditions de travail aussi difficiles que les miennes et dont les décisions ont autant d’impact sur la vie des gens que les miennes seulement pour faire plaisir à des victimes qui veulent un coupable à tout prix? Mais leur avocat le leur a dit et il a raison.

14h30 quelques signatures, quelques courriers et je m’accorde une heure pour envoyer ce mail à Maître Eolas Pour dire que je fais mon travail avec conscience, responsabilité, en essayant d’avoir le même respect pour une victime ou un prévenu, que je tremble parfois devant les difficultés, que j’hésite souvent avant de demander une détention provisoire, que je sais ce qu’est une victime puisque j’en vois toutes les semaines Pour affirmer haut et fort que si, comme dans toutes les professions, il y a des cons et des incompétents dans la magistrature, il n’y en a pas plus qu’ailleurs et qu’il y a (voir les statistiques) plus de sanctions disciplinaires qu’ailleurs. Qu’on me parle d’Outreau mais qu’on me parle aussi de ce qui marche Pour râler contre mes conditions de travail Pour refuser la Justice émotionnelle et coup de pub voulue par nos politiques Pour refuser d’être un bouc émissaire. Que chacun prenne ses responsabilités.

« Vous nous demandez si nous sommes timides, timorés… »

Par Damoclès, magistrat


Maître eolas,



Vous nous demandez si nous sommes timides, timorés...peut être simplement résignés. 8000 robes noires comme autant de personnes endeuillées, pleurant un idéal enterré, l'idéal de justice. L'homélie sera brève et sévère.

On martèle que les juges ont démissionné sans connaître vraiment leurs missions et le contexte difficile dans lequel elles sont remplies. Garants des libertés individuelles, ils tranchent les litiges et se prononcent sur les affaires pénales en statuant sur la culpabilité et la peine. Le volume des affaires a explosé, signe d'une société qui ne sait plus s'autoréguler et cherche à tout prix des coupables expiatoires. De loin nos robes noires impressionnent;, de près elles sont mitées tant notre justice est miséreuse. Nos concitoyens savent-ils seulement que notre grand pays compte 11, 2 juges et 2, 9 procureurs pour 100 000 magistrats, se classant ainsi au 35è rang européen pour les juges et au 42 è pour les procureurs sur une échelle de 43 pays ? Le nombre de magistrats est sensiblement le même que sous Napoléon. Alors oui, les magistrats sont fatigués, épuisés, maltraités, y compris parfois par leur hiérarchie. Les lois s'empilent et même les magistrats ne peuvent plus affirmer pour eux-mêmes que "nul n'est sensé ignorer la loi".

Etre magistrat, c'est tout le contraire du chercher à plaire..."Qui vous savez" a sans doute oublié que l'inconfort de cette position contribuait aussi à la légitimité de notre fonction. L'impartialité et l'indépendance commandent en effet d'être au-dessus pour décider loin du tumulte, sauf que ce tumulte vient de nous rattraper. Crise de confiance ou crise de défiance ? On lance des sondages de satisfaction en oubliant ou en faisant mine d'oublier que le procès fait forcément un ou des mécontents : celui qui n'a pas obtenu gain de cause ou celui qui se dit injustement condamné. Sans sompter que depuis quelques années, aux cris à l'injustice du condamné, s'ajoutent les diatribes des victimes qui ne se satisfont jamais de la sentence...Le fameux Toujours plus ! gangrène aussi la justice.

Jeune magistrat, je suis révolté par la caporalisation de la justice mais aussi par la difficulté des hauts magistrats à protéger l'autorité judiciaire. Mais quelle capacité de résistance peut-on espérer de Procureurs généraux nommés en Conseil des ministres ? Au-delà de la justice, c'est la démocratie qui est en péril. Que penser en effet d'un pays dans lequel le Procureur et ses substituts ne sont pas considérés par la Cour européenne des droits de l'homme comme une autorité judiciaire ?

Face à toutes ces questions, épris de doutes, la tentation de faire simplement son travail en rentrant chez soi à des heures décentes (et non à 22, 23 heures ou minuit) est d'autant plus forte que la difficulté de ce métier n'est pas reconnue et que les attaques et destabilisations incessantes le rendent encore plus difficile. Que dire des nuits de permanence (payées 46 € brut non revalorisées depuis 2001 ah le pouvoir d'achat !!!), des week ends et jours fériés payés environ 30 € brut ? Nos concitoyens savent-ils que si un enfant est en fugue, errant ou maltraité, c'est la justice qui est saisie à tout moment du jour et de la nuit avec souvent un jeune magistrat au bout du fil ? Nos concitoyents savent-ils que l'on peut être réveillés plusieurs fois par nuit, se rendre sur les lieux et aller travailler le lendemain ? Nos concitoyens savent-ils qu'ils nous arrivent de pleurer sur des dossiers difficiles et de nous sentir tellement seuls face à une décision grave et lourde de conséquence pour les personnes ? Nos concitoyens savent-ils que parce que nous sommes à leur service jour et nuit, que le travail de la police et de la gendarmerie ne peut se réaliser sans le concours de la justice ? On félicite les enquêteurs mais rarement les procureurs alors qu'ils contribuent largement à la sécurité de nos concitoyens.

Nos concitoyens savent-ils que parce que leur rendre justice est une tache noble, nous prenons encore le chemin des palais de justice alors que de plus en plus souvent nous sommes tentés de les fuir...

Demain, nous lirons des communiqués que personne ne retiendra, demain nous nous rassemblerons sur les marches des palais et notre petit nombre pourrait laisser croire que ce sont les professionnels de la justice qui sont sortis fumer une cigarette...alors que ce sont nos idéaux que nous défendons avant qu'ils ne partent en fumée...Demain, nous rendrons encore la justice avec les épaules encore un peu plus lourde du fardeau des attaques répétées.

Alors, s'il est toujours légitime de se demander qui jugera les juges, le temps est venu de savoir qui rendra justice aux juges ?

Mon cher maître, merci de nous avoir accordé ce droit à la défense que bien peu nous reconnaissent aujourd'hui...

C'est aussi cela l'Etat de droit

Charger la mule ?

Par Fenotte, magistrat


C'est parce que depuis des années nous sommes de plus en plus productifs, que nous parvenons à rendre un nombre invraisemblable de jugements à des gens qui les attendent et que nous travaillons à ce rythme uniquement parce qu'il les attendent, c'est parce que nous terminons les audiences à pas d'heure que nous en sommes là.

Nous avons fait face à de nombreuses réformes, de la création du JEX à l'appel en cour d'assises en passant par l'explosion du contentieux familial.

Les politiques n'ont pas hésité à charger la mule.

Toujours plus de travail, avec des lois plus compliquées qui s'empilent et se contredisent, pour que les politiques se vantent : j'ai résolu le problème, j'ai fait voter une loi. De la com' en direction des électeurs.

Notre ministre a fait voter la réforme de la carte judiciaire. Beaucoup de com', là encore. Réforme nécessaire, certes, mais bâclée. On verra en décembre 2010 si elle se traduit vraiment dans les faits. Où mettra-t'on les juges et les greffiers dont les tribunaux seront supprimés ? Quand commencera-t-on à construire les nouveaux bâtiments nécessaires ? Aucun travaux en cours. 2010, c'est dans à peine plus d'un an. Et de plus, on n'a toujours pas supprimé une seule cour d'appel, si minuscule soit-elle, ni un des tribunaux d'instance de Paris, alors que les juges d'instance parisiens réclament leur regroupement depuis des années. Non, la vraie réforme de la carte n'est pas faite.

La ministre fait voter les peines planchers : pas besoin d'être un génie pour se douter qu'il faut prévoir des prisons pour mettre les futurs condamnés. Mais pour construire une prison, il faut des années. Pas le temps pour la ministre, il faut que tout soit fait tout de suite.

Bilan : aujourd'hui, la ministre qui ordonne aux procureurs généraux d'avoir des résultats en matière de peines plancher, les prisons qui débordent, et la même ministre qui, en même temps, prépare une loi pénitentiaire où il est prévu d'aménager (= de ne pas incarcérer) les délinquants qui ont une peine inférieure ou égale à 2 ans. Deux ans, ce n'est pas rien.

Mais si un condamné bénéficie d'un aménagement et récidive, ce sera la faute à qui ? Courageux collègues qui aménageront...

Donc, il faut incarcérer les délinquants, spécialement les mineurs. Mais attention, la ministre fait entendre une collègue en pleine nuit parce qu'elle a fait incarcérer un moineur condamné, ce qui est son boulot, alors qu'on lui aurait reproché de ne pas l'avoir fait si le mineur, laissé libre, avait récidivé.

La recherche permanente du juge bouc émissaire, c'est trop.

La com' quotidienne tous azimuts, les décrets , c'est trop.

Alors demain, je manifesterai. Pas pour avoir plus d'argent, plus de vacances ou un poste mieux rémunéré.

Je voudrais seulement que cesse ce mépris des politiques. Qu'on arrête de chercher systématiquement un juge bouc émissaire. Qu'on reconnaisse qu'avant d'instaurer les peines plancher, il fallait construire des prisons. Qu'on vote des lois simples, claires et dictées par le seul intérêt général. Qu'on cesse de communiquer pour s'attaquer aux problèmes de fond.

Et il ne faudra pas arrêter le mouvement le 23 octobre au soir.

Je propose qu'on prenne le temps qu'il faut pour toutes nos activités : la préparation des dossiers, l'audition des justiciables, des personnes poursuivies, des témoins, des avocats, aussi longtemps que nécessaire. MAIS qu'on ne travaille plus après 20 heures, ni le week-end (sauf pour nos astreintes JLD royalement payées 30 euros la journée, sans aucune récupération).

En trois mois, la machine est bloquée.

Chiche ?

Les juges et les médias

''Par une juge d'instance, qui précise qu'elle ne viendra pas lire les commentaires, « le contexte actuel est suffisamment fragilisant pour ne pas m'exposer en vain », dit-elle. Qu'un magistrat dise ça est terrible.''


Des juges ayant travaillé des années,

Se trouvèrent fort dépourvus

Quand une ministre fut promue.

Plus une seule réforme claire,

Réfléchie et cohérente.

Ils allèrent s'en émouvoir,

Auprès de leurs syndicats,

Les priant de s'offusquer,

Militer et informer

En se servant des médias.

Les médias sont peu curieuses,

C'est la leur moindre défaut.

"Quelle langue aride parlez-vous?"

Dirent-elles à ces démarcheurs.

"Nuit et jour, nous parlons droit

Et Justice, ne vous déplaise".

"La Justice, cette utopie,

Chantez là seuls maintenant".

D'après "La cigale et la fourmi" de Jean de la Fontaine.

Une mauvaise parodie pour un mauvais procès : les magistrats en colère sont souvent moqués et rapidement oubliés.

Après tout, a-t-on le droit de se plaindre quand on est fonctionnaire ? Les magistrats croient-ils avoir les plus mauvaises conditions de travail parmi les Français ?

Cela dit, dans quelle entreprise est-on obligé d'attendre une augmentation budgétaire pour se chauffer en hiver ? Dans quelle entreprise envisage-t-on parfois de demander aux clients d'apporter leur ramette de papier et leur stylo B billes pour pouvoir travailler ? Dans quelle entreprise doit-on faire face B une charge de travail infiniment lourde moralement tout en subissant des injonctions contradictoires incessantes ("incarcérez/libérez"; "faites du chiffre/économisez"...) sans pouvoir porter plainte pour harcèlement moral ?

Et si le problème ne résidait que dans un manque de moyens humains et financiers...

Mais être magistrat aujourd'hui, c'est constater chaque jour :

- l'insécurité juridique liée B des réformes incessantes, hâtives et mal réfléchies ;

- la menace qui pèse sur les libertés publiques avec la multiplication des tentatives de reprise en mains de la magistrature (réforme de l'Ecole nationale de la magistrature, convocations de magistrats en dehors de toute procédure...), les mécanismes visant à déresponsabiliser l'individu au profit d'automatismes dangereux (peines plancher)... ;

- le désengagement de l'Etat du tissu social, avec le transfert aux départements des responsabilités autrefois dévolues aux juges des enfants (maltraitance des mineurs) et aux juges de tutelles (mesures de protection civile des personnes fragilisées par leur parcours personnel ou la situation économique)... sans les moyens financiers et humains indispensables...

L'état des prisons est un scandale mais aucun objectif ambitieux n'est politiquement poursuivi. Combien de Français ont entendu parler du numerus clausus en dépit de l'action du collectif "Trop, c'est trop"?

C'est drôle de lire des magistrats qu'ils sont soit complètement grégaires soit furieusement individualistes. C'est assez incompatible quand on prend le temps d'y réfléchir.

En fait, les magistrats sont surtout prisonniers de leur devoir de réserve et de leur interdiction de se mettre en grève.

De surcroît, leurs syndicats n'ont aucune couverture médiatique même quand ils multiplient les communiqués de presse. Est-ce un manque d'incarnation personnelle ? Les médias aiment mettre en avant des personnalités. Dans la magistrature, elles sont statutairement obligées de se cacher...

C'est pourquoi nous avons besoin du soutien des médias et de la population.

« J'avais 20 ans… »

Par Léandre, Substitut général (parquetier de cour d'appel)


J’avais 20 ans. J’étais étudiant en droit. J’ai choisi de devenir magistrat parce qu’il me semblait que ce métier me permettrait d’allier mon goût pour le droit à la possibilité d’aller à la rencontre des hommes et de contribuer au bien public.

J’en ai un peu plus du double. J’ai exercé plusieurs fonctions, du siège et du parquet, toujours au pénal. Jamais je n’ai regretté ce choix.

Jamais je n’ai trouvé ce métier facile. Mais peu de métiers permettent d’entrer ainsi de plein fouet avec la vie de nos contemporains, leurs drames, leurs petitesses, leurs souffrances, leur mesquinerie, leur dignité. Pas par voyeurisme. Simplement pour maintenir et consolider ce ciment social qui permet d’éviter que tout explose ou que tout se délite.

Avec des outils qui ne sont pas la truelle, mais qui peuvent apparaître parfois bien artisanaux pour une si grande tâche. L’écoute et le respect de chacun, même si le devoir de neutralité nous oblige à garder une certaine distance, parfois interprétée à tort comme du mépris. La Loi comme guide et comme garde-fou, pour nous rappeler que nous ne sommes juge qu’en son nom. Le doute, bien-sûr. Un doute qui nous conduit à soupeser, analyser, réfléchir, mais qui ne doit pas nous paralyser ou nous empêcher de trancher. Sinon, nous ne remplirions plus notre mission.

Portrait d’un juge idéal, protesteront certains, bien loin de la réalité ? C’est en tout cas à ce modèle que presque tous les collègues rencontrés au cours de mes 20 ans de carrière m’ont paru s’efforcer de se conformer. Ce qui ne signifie pas qu’ils y soient toujours parvenus, parce que, voyez vous, dans la vie des juges, comme dans celle des autres humains, il y a toujours un écart entre les “bonnes résolutions” et la vie au quotidien.

Mais il faut aussi réaliser que le juge n’agit pas dans une sorte de monde idéal, qu’il est au contraire continuellement confronté à une réalité pleine de difficultés.

Prenons le cas d’un magistrat du parquet. Pour pouvoir faire face à un nombre toujours plus grand de dossiers à examiner, il faut nécessairement qu’il passe moins de temps sur chaque dossier. Pour pouvoir donner une réponse immédiate à tout acte de délinquance et décider de poursuivre un de ses concitoyens devant un tribunal, il ne disposera que de deux minutes à l’issue d’un compte-rendu téléphonique d’un policier, dix autres appels étant en attente sur son poste. Pour pouvoir donner une réponse à chaque violation de la loi et ne plus classer “en opportunité” un dossier comme par le passé, puisque telle est désormais la volonté du législateur, il devra nécessairement passer moins de temps sur l’analyse et la réflexion. Pour pouvoir tenir informé systématiquement les victimes de ses décisions, il devra gagner du temps sur d'autres tâches. La pression est permanente. Chaque minute compte. Les journées sont souvent épuisantes. Les erreurs sont inévitables.

Nous avons toujours travaillé en confrontant nos moyens limités aux contraintes de la réalité. Nous les comprenons. De la même façon qu’un médecin de famille fait de son mieux pour soigner son patient, même s’il ne dispose pas des moyens dont il aurait besoin pour le faire, nous avons fait face avec persévérance à ces difficultés, convaincus que notre intervention, même imparfaite, apporterait un mieux et, plus simplement, s’imposait en application de la loi que nous servons.

Le paradoxe est qu’aujourd’hui, ces contraintes externes sont de plus en plus fortes, les décisions sont prises de plus en plus vite, dans une approximation parfois inquiétante, et que les mêmes autorités politiques qui sont à l’origine d’une partie de ces contraintes imposent une obligation de “zéro défaut” qui n’est pas compatible avec cette situation, ni même avec la nature de la mission du juge.

Cette communication du pouvoir exécutif autour du thème “le juge doit payer” va beaucoup plus loin que la recherche du “zéro défaut”. Le juge est désormais responsable et jeté en pâture à l’opinion publique s’il n’incarcère pas assez, s’il y a trop de monde en prison, s’il remet en liberté quelqu’un qui récidive, s’il met en détention quelqu’un qui se suicide, s’il place un “innocent” en détention et s’il relâche un coupable...

On ne lui demande plus d’être un juge avec les limites humaines qui sont les siennes, mais d’être une créature capable de distinguer d’un regard la vérité du mensonge, de traiter un nombre croissant de dossiers avec le même sérieux que lorsqu’il en traitait dix fois moins, de montrer de la fermeté vis à vis du méchant et de la compassion vis à vis de la victime. On régresse dans un espèce de monde magique, dans lequel il serait doué de pouvoirs surnaturels et un autre personnage se verrait prêter des dons qu’il n’a pas, le psychiatre, qui sait tout, comprend tout et peut tout soigner, même les gens qui ne sont pas malades.

Un juge n’est pas d’être un personnage de conte de fée. C’est un homme chargé par la Loi de punir ceux qui la violent et d’apaiser les conflits entre les particuliers. Il doit le faire en respectant un certain nombre de règles claires : la loyauté, l’équité, le respect du contradictoire, l’impartialité, l’égalité des justiciables, la présomption d’innocence... Il a besoin, pour bien faire son travail, de prendre du temps et de la distance vis à vis des justiciables, de ne pas être obsédé par le souci de communiquer ou celui de devoir rendre des comptes à son ministre de tutelle.

On lui demande aujourd’hui tout le contraire : décider de plus en plus vite, si possible avant le journal de 20 heures, communiquer, montrer de la compassion à l’égard des victimes, rendre toujours la décision attendue par l’opinion publique, et préparer sa défense en vue de la menace de dénonciation publique.

La Garde des sceaux et la plupart de ses collègues ministres ont pour ligne de conduite de se montrer réactifs au moindre mouvement d’opinion, de donner l’illusion qu’ils ont pouvoir sur tout, de lancer tous les matins une nouvelle réforme, d’utiliser les médias pour “communiquer”, c’est à dire pour se forger une image plutôt que de convaincre du bien fondé d’une politique. Elle souhaiterait que nous suivions cet exemple et que nous sachions, comme elle, communiquer et être réactif...

Et si on inversait le processus ? Si les politiques (re)découvraient qu’il est utile de prendre le temps de la réflexion, que les décisions prises sur un coup de tête à la suite d’un fait divers dramatique sont rarement de qualité, que le respect et l’écoute dûs aux citoyens ne passent pas nécessairement par une proximité affichée devant les caméras de télé?

Nous serions sans-doute dans une société plus responsable, gouvernée par des adultes qui auraient le courage de dire qu’ils ne sont pas des magiciens, mais eux-aussi, des hommes et des femmes avec leurs limites, des hommes et des femmes qui feront le maximum en vue de rechercher le bien commun. Ils n’en seraient que plus respectables...

Amer

Par l'amer Michel, juge aux affaires familiales


Je suis JAF[1] depuis peu.

Je découvre de l’intérieur une justice pauvre, dont l’image dans l’opinion publique n’est pas à la mesure du réel.

Deux fois moins de magistrats en France qu’en Allemagne, ai-je entendu… Il faut demander avec insistance un code de procédure pénale à jour, parce que les budgets sont très serrés. Chaque année, 20 à 30 textes de procédure pénale (il suffit de regarder la table chronologique du code de procédure pour s’en convaincre) sont adoptés et ajoutent une strate supplémentaire à la complexité de l’ensemble, sans prise en compte systématique des moyens humains et matériels nécessaires à la mise en œuvre de telles réformes.

Les juges, à qui l’on demande le respect de la présomption d’innocence et la protection du citoyen contre chaque risque, sont montrés du doigt à chaque fait divers dramatique. Lors des libérations conditionnelles, on stigmatise les JAP. Pourtant les libérations conditionnelles, qui impliquent un suivi, sont globalement moins dangereuses pour la société que les « sorties sèches ».

Je travaille 70 heures par semaine. Vu la masse, je ne peux consacrer en moyenne qu'une heure à chaque dossier (et j'ai de la chance par rapport à certains collègues), c’est-à-dire pour la lecture du dossier et la rédaction du jugement, y compris dans les affaires délicates où il y a des violences, de l’alcool, voire des suspicions d’agressions sexuelles.

Je suis amer.

Notes

[1] Juge aux affaires familiales.

Manquer sa cible ?

Par BC, magistrat


Il me semble que si cette journée de protestation est nécessaire, elle vient bien tard et risque de manquer sa cible.

D'abord, les réformes, qu'elles portent sur l'institution elle-même (carte judiciaire, etc) ou sur le fond du droit, s'inscrivent dans une logique plus générale de démantèlement des services publics et d'exclusion des plus faibles (les pauvres, les éclopés de la vie, les étrangers, etc.) que nous aurions intérêt à ne pas négliger.

Critiquer Rachida Dati et sa politique (ou plutôt celle qu'elle accepte d'incarner), oui bien sûr, mais la révolte semble plus motivée par la protection des magistrats contre des attaques inacceptables, certes, que contre l'évolution générale de la justice, en marche depuis plusieurs années et dont nous sommes aussi responsables.

Qui refuse, dans sa pratique quotidienne, et pas seulement dans les discours, de siéger jusqu'à point d'heure ? De condamner sur des dossiers vides, ou presque ? Qui combat réellement la politique du chiffre, et refuse cette logique du toujours plus, même si c'est toujours plus vite, toujours moins bien ? Qui se souvent du débat autour des primes modulables ?

Qui s'élève contre les abus de pouvoir de certains chefs de juridiction soutenus par leur hiérarchie, au parquet comme au siège, qui écartent des responsabilités ceux qui ne sont pas "dans la ligne" ? Tant qu'ils ne sont pas personnellement concernés, "l'intérêt du service" justifie tout. Où sont les syndicats ?

Qui accepte sans broncher de devenir "chef de service", fonction qui n'existe que dans la pratique de certains présidents et qui équivaut à promouvoir des "petits chefs" ? La caporalisation n'existe pas qu'au parquet ...

Qui remet en cause (et les avocats sont concernés par ma question) les pratiques de tel ou tel président d'audience qui se permet de traiter les prévenus (et parfois les victimes) de façon méprisante, ou de faire de l'ironie, voire des jeux de mots sur leur dos dans la connivence avec le Barreau, ou de tel parquetier qui emploie des mots insultants ?

Qui, au delà de l'indignation exprimée verbalement, s'efforce de trouver des solutions pour éviter aux justiciables des attentes qui peuvent durer plusieurs heures, dans des conditions matérielles indignes ?

La liste serait longue, hélas !

Je suis magistrat depuis longtemps, j'ai exercé à peu près toutes les fonctions, j'ai adoré ce métier, et je ne voudrais pour rien au monde aujourd'hui que mes enfants le choisissent. Quel gâchis !

Certes, les politiques (de tout bord) nous haïssent, pour des raisons diverses, et peut-être surtout parce que nous sommes apparus à une certaine époque comme étant le seul contre-pouvoir. La reprise en main ne date pas d'aujourd'hui, et elle n'est que la conséquence logique d'un affaiblissement parfaitement orchestré de l'institution, à la fois dans l'opinion publique et à l'intérieur même du corps. Les magistrats courageux ont toujours été minoritaires (rappelez-vous le "Pinsseau Coudé", et quelques autres), et rien n'est fait pour modifier cet état de choses.

Bien sûr, il existe des gens remarquables dans la magistrature, comme ailleurs. Certains font sans bruit du travail de qualité. D'autres s'expriment, et leurs contributions, notamment lors de l'affaire d'Outreau, ou sur certaines listes de discussion, font chaud au coeur. Que faudrait-il faire pour dépasser le stade du discours ?

Je m'associerai à toute action qui ira dans ce sens, même si je suis pessimiste quant à son avénement.

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