Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 7 novembre 2008

Avis de Berryer : Jean-François Copé

Pléthore d'invités à la Conférence, car l'Académie des Douze recevra le maire de Meaux, le président de la Communauté d'agglomération du Pays de Meaux, le député de la 6e circonscription de Seine et Marne, le président du groupe UMP à l'assemblée nationale, le président de la commission « pour une nouvelle télévision publique », et un illustre avocat au barreau de Paris. Comment feront-ils tenir tout ce monde dans un seul fauteuil ?

Pour le savoir, rendez vous le vendredi 14 novembre 2008, Salle des Criées du palais de justice, où seront traitées devant cet aréopage les sujets suivants :

1er sujet : L’homme politique est la mère de tous les maux ?



2ème sujet : Faut il coller COPÉ ?



Le rapporteur sera aussi le Maître de Cérémonie, Cédric ALÉPÉE, 4ème Secrétaire.



Attention : En raison du nombre de place très limité, aucune réservation de place n’est possible.



Aucune queue devant le palais de justice ne sera tolérée avant 19h30. Attention, les gendarmes ont des tasers, et en novembre, il pleut.

Les personnes qui souhaitent assister à la conférence BERRYER rentreront au fur et à mesure jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de places assises.



Il y aura donc nécessairement des déçus…



La salle des criées est très petite et la Conférence, malgré qu'elle en ait, ne peut pas accueillir toutes les personnes qui souhaiteraient participer à la conférence Berryer.

Comme souvent, la Conférence Post-Partum est prise de frénésie.

D’autres conférences Berryer auront donc lieu aux dates suivantes :



Le lundi 17 novembre prochain.



Les 10, 15, 17 et 18 décembre prochains.



Les noms des invités et les sujets seront annoncés très prochainement sur les meilleurs blogs.



Les fous voulant se prêter au jeu peuvent contacter ALIPI MC à cette adresse mail : cedricalepee.avocat[chez]yahoo.fr

jeudi 6 novembre 2008

T'as pas trente euros que j'offense le président ?

Hervé Éon, poursuivi pour offense au chef de l'État a été reconnu coupable et condamné par le seul tribunal palindrome de France à trente euros d'amende avec sursis (sur 45.000 encourus), outre les 90 euros (72 s'il paye dans les trente jours) de droit de procédure que doit acquitter tout condamné pour un délit (c'est 22 euros pour le condamné pour une contravention et 375 euros pour un crime ; celui qui a dit que le crime ne paie pas n'était pas receveur des impôts).

Ce genre de condamnation me fait irrésistiblement penser à ce que j'appelle une condamnation anti-appel. On la rencontre fréquemment sur des dossiers où la procédure est un peu border-line : le tribunal ne souhaite pas l'annuler mais prononce une peine tellement dérisoire que le prévenu n'a pas envie de faire appel (et le cas échéant de porter l'affaire jusqu'en cassation et devant la CEDH).

Je sens que mes colocataires magistrats dévalent l'escalier d'honneur du château pour me dire qu'ah mais non mais pas du tout.

J'ai des preuves de ce que j'avance. Dans un dossier qui, par les hasards de la procédure, était devenu deux dossiers distincts, jugés à une semaine d'intervalle par deux chambres correctionnelles distinctes du même tribunal, même procédure, même nullité (et pas une petite, défaut de notification des droits en garde à vue, du costaud), j'ai eu dans le premier jugement une nullité rappelant la jurisprudence constante en la matière et dans le deuxième un rejet de mon exception invoquant… l'absence de grief (je vous jure), et condamnant à une très légère amende, avec sursis. Pour deux délits, dont un aggravé. Malgré mes suppliques, mes clients n'ont pas voulu faire appel. J'ajoute que dans les deux cas, le parquet demandait le rejet de la nullité.

Ici, rien ne dit que la procédure était bancale. C'est plutôt un problème de fond qui se pose, sur la limite apportée à la liberté d'expression (voir mon précédent billet). Je suppose que ce moyen a été soulevé devant le tribunal et a été rejeté.

Qui a dit que le magistère de magistrat était aisé ? Il faut ici choisir entre offenser le président en refusant de châtier celui qui l'a offensé (et on sait depuis peu qu'il ne goûte point la défaite judiciaire, point sur lequel nous nous ressemblons, même si j'y mets plus les formes), ou risquer d'offenser la cour européenne des droits de l'homme, en supposant qu'elle soit saisie un jour, ce qui pré-suppose d'épuiser en vain les voies de recours internes (appel, et cassation). Hypothèse peu probable quand la peine prononcée est de 0,067% du maximum légal.

Mais nous parlons d'Éon ; et avec un nom si chevaleresque, il ne pouvait se rendre : il compte faire appel, comptant sur la douceur angevine après la rigueur lavalloise.

J'ai tendance à approuver, mais parce que je suis extérieur au dossier. Cela dit, le condamné est, si j'ai bien compris, à l'aide juridictionnelle.

Affaire à suivre, donc.

mercredi 5 novembre 2008

Il y a des matins comme ça...

.. ou on a juste envie de chanter.

Le grand, l'immense Marvin Gaye chantant l'hymne américain, 1983.

mardi 4 novembre 2008

Carte judiciaire : pendant les soldes, les travaux continuent (ou l'inverse)

Par Gascogne


Pendant la crise, la Chancellerie poursuit son travail de fond. Un decret portant réforme de la carte judiciaire vient d'être publié au journal officiel du 31 octobre 2008. Jusque là, rien de bien étonnant me direz-vous. Un peu tout de même, puisque ce décret abroge en son article 4 les décrets du 15 février 2008 et du 6 mars 2008 (vous savez, ceux qui réformaient la carte judiciaire) ainsi que celui du 15 mars 1991 fixant le siège et le ressort des greffes détachés des tribunaux d'instance.

Là où les choses deviennent étonnantes, c'est que les tableaux joints à ce texte et qui fixent les ressorts des tribunaux d'instance et des greffes détachés, ne changent quasiment rien aux tableaux déjà annexés aux deux précédents décrets, abrogés.

On abroge donc pour réinstaurer la même chose...

Quelques collègues mal intentionnés se demandent s'il ne s'agit pas d'un moyen de court-circuiter les recours contre les précédents décrets, pendants devant le Conseil d'Etat. On a pu en effet entendre dire que l'absence de concertation, et notamment de réunion des comités techniques paritaires, pourtant obligatoires en la matière, faisaient partir les précédentes décisions gouvernementales à l'abattoir. Or, ces réunions ont finalement eu lieu début septembre.

Un nouveau texte pour éviter une bérézina judiciaire ? Mais qui va devoir payer cette faute ?

Autre élément intrigant, on ne parle plus de suppression de juridiction, mais de disparition du ressort de compétence. Simple problème sémantique ?

Trêve de mauvais esprit, un fol espoir s'est emparé d'un certain nombre de magistrats, et notamment des juges directeurs de tribunaux d'instance : le nouveau décret allait au moins permettre de supprimer par anticipation les tribunaux qui posent actuellement bien plus de problèmes qu'il n'apportent de solutions au cours de la justice d'instance (et oui, aussi étonnant que cela puisse paraître, les magistrats pourtant confits de conservatisme, sont majoritairement favorables à la réforme de la carte judiciaire, mais sûrement pas celle qui nous a été vendue avec les manières de matamore que l'on sait).

Raté : très peu de fermetures anticipées (au 31 décembre 2008) dans ce texte. Je n'ai relevé que deux tribunaux d'instance (Barbezieux et Cognac) et un greffe détaché (Voiron), mais au milieu de ces 55 pages de décret caractères 8, je peux me tromper...

Prenons un exemple. Soit le tribunal d'instance de Framboisy. Il comporte un juge. Sur le ressort du TGI de Framboisy, cette fois, se trouve également le tribunal d'instance de Poméranie. Malheureusement pour lui, il fait partie des tribunaux devant être supprimés, puisqu'il ne se trouve qu'à quelques kilomètres de Framboisy, et n'apporte dés lors aucune valeur ajoutée à la carte judiciaire. Rajoutez au cocktail un greffe détaché (c'est à dire sans juge à demeure mais avec des fonctionnaires : les justiciables peuvent donc y faire leurs démarches, et des audiences foraines s'y tiennent) situé à Trifouillis-sous-Bois. Le bâtiment est dans un tel état de délabrement que cela fait bien longtemps que les fonctionnaires ont été rapatriés sanitaires à Framboisy. Bref, les locaux sont vides, et le greffe doit également être cartejudiciarisé.

Tout le monde est d'accord pour une fermeture anticipée qui n'intervient pourtant pas (le cas est véridique, et malheureusement pas isolé).

Quelles sont les conséquences de cette situation ?

Elles sont simples : à Framboisy, le justiciable qui vient, mettons, déposer une demande en injonction de payer, a le choix entre six saisines : juge de proximité de Framboisy, juge d'instance de Framboisy, juge de proximité de Poméranie, juge d'instance de Poméranie, juge de proximité de Trifouillis-sous-Bois ou juge d'instance de Trifouillis-sous-Bois. Se trompe-t-il sur sa saisine qu'il y aura incompétence de la juridiction.

La situation oblige d'ailleurs nos collègues de l'instance à saisir, par le biais de commissions rogatoires lorsque des actes sont à effectuer sur le ressort de compétence voisin, le collègue qui s'avère être dans la plupart des cas un voisin de bureau.

Je vous épargne les détails sur le travail des greffiers, le fonctionnaire en charge des injonctions de payer pour reprendre cet exemple devant établir six enregistrements, six rôles d'audience, sur des serveurs informatiques différents, et bien sûr établir les sacro-saintes statistiques pour toutes ces juridictions (Fieffégreffier en parlera bien mieux que moi).

Ou quand un simple décret réussit finalement à marier Kafka et Ubu.

P.S. : le statut de petits pois des magistrats est visiblement officialisé. Outre les ministres de la justice, de l'intérieur et de l'outre-mer, le ministre de l'agriculture est en charge de l'application de ce texte.

lundi 3 novembre 2008

Non, le président de la République ne peut pas accorder l'asile

La semaine dernière, la France annonçait qu'elle était prête à accueillir un guerillero des FARC, les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie - Armée du Peuple, qui avait déserté, emmenant avec lui un député démocratiquement élu kidnappé au nom du peuple.

Il existe une certaine ambiguïté sur la nature de cet accueil, et les propos rapportés par Le Point ne sont pas là pour éclairer :

La présidence de la République réaffirme sa volonté d'accueillir en France l'ex-guérillero Isaza , qui a permis la libération d'Oscar Lizcano, otage durant huit ans. Lundi matin, pourtant, une précision apportée par l'Élysée selon laquelle l'accueil se ferait "sous réserve de vérification de sa situation judiciaire" avait semé le doute sur l'octroi de l'asile politique à ce membre des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc).

Jointe par lepoint.fr à ce sujet, la présidence explique : "Cela ne remet pas en cause les engagements pris par Nicolas Sarkozy d'accorder l'asile à des membres des Farc, mais à condition qu'ils soient repentis, et qu'ils ne soient pas sous le coup de procédures judiciaires où que ce soit dans le monde, notamment en Colombie et aux États-Unis." Toujours selon l'Élysée, ces restrictions ne posent pas de problème particulier. Il s'agit juste de s'assurer que le guérillero "bénéficie d'une loi sur les repentis votée par la Colombie qui a saisi l'équivalent du procureur général de Colombie pour en décider. C'est une question de procédure judiciaire".

Une phrase ne peut que me faire tiquer : « Cela ne remet pas en cause les engagements pris par Nicolas Sarkozy d'accorder l'asile à des membres des Farc ». Certes, la précision quant à l'absence de poursuites judiciaires à l'encontre d'Isaza, le geôlier repenti, ne remet pas en cause l'engagement du président de la République. C'est autre chose qui le remet en question.

Car l'asile politique échappe à l'État, et donc à son chef, qui a décidément bien du mal avec la notion d'indépendance à son égard.

Rappelons d'abord brièvement l'histoire du droit d'asile.

Avant la seconde guerre mondiale, il n'y avait pas d'instrument international unique visant à la protection des réfugiés. Chacun faisait ce qu'il voulait chez lui, et globalement, la France n'a pas démérité. C'est au début du XXe siècle que se pose la question de l'accueil des réfugiés, avec l'arrivée massive de deux émigrations dues à la fuite face à l'oppression : les Arméniens, à partir de 1915, et les Russes, à partir de 1917. La France créera deux offices de protection pour chacune de ces nationalité ; pour la petite histoire, l'office de protection des réfugiés russes s'est installé dans les locaux du Consulat de Russie, le Consul récemment nommé par le Tsar étant nommé président de cet office, étant le mieux placé pour traiter les demandes et distinguer les vrais réfugiés des agents envoyés par le nouveau pouvoir pour liquider des opposants politiques.

Dans les années 30, c'est l'arrivée encore plus massive d'Espagnols qui va conduire à la fusion des différents offices en un seul, chargé de traiter toutes les demandes de toutes les nationalités. Là encore, pour la petite histoire, cette fusion a entraîné une cohabitation difficile entre le service en charge des Russes et celui en charge des Républicains espagnols, situés à deux étages du même bâtiment, les premiers étant aussi blancs que les seconds étaient rouges.

Après la seconde guerre mondiale, la question des réfugiés a acquis une toute autre dimension. C'est par millions que l'Europe faisait face à des populations déplacées, certaines chassées par les nazis de pays désormais occupés par les soviétiques. Une convention va être signée à Genève le 28 juillet 1951 pour donner un statut spécifique et unique aux réfugiés, et leur donner les mêmes garanties où qu'ils se trouvent. Le Haut Commissariat des nations Unis aux Réfugiés (UNHCR) est créé à cette occasion.

Le principe est que tout État signataire doit accorder le statut de réfugié à toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »

La France a unilatéralement élargi ses obligations et a créé une deuxième catégorie ouvrant droit au statut de réfugié, la protection subsidiaire (autrefois appelée l'asile territorial), qui concerne

toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mentionnées à l'article L. 711-1 et qui établit qu'elle est exposée dans son pays à l'une des menaces graves suivantes :

a) La peine de mort ;

b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ;

c) S'agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international.

Article L.721-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

Cependant, et c'est ici très important, tant la Convention de Genève que le CESEDA prévoit que des personnes répondant à ces critères se voient retirer ce droit si, s'agissant du droit d'asile, i lexiste des raisons sérieuses de penser :

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;



b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;



c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

(Convention de Genève de 1951, article 1,F.)

et s'agissant de la protection subsidiaire, s'il existe des raisons sérieuses de penser :

a) Qu'elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ;

b) Qu'elle a commis un crime grave de droit commun ;

c) Qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ;

d) Que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat.

CESEDA, article L.721-2.

D'où les prudentes réserves de la France quant à la virginité de son casier judiciaire. Notre joyeux guerillero entre en effet très probablement dans les clauses d'exclusion du statut de réfugié (ne serait-ce que parce que la séquestration est un crime), et appartient plus à la catégorie des bourreaux qu'à celle des victimes que le statut de réfugié est censé protéger.

Ce statut est, en France, octroyé par un Établissement public spécialisé, l'Office Français de de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), sis à Fontenay-Sous-Bois dans le Val de Marne (). Cet établissement, rattaché traditionnellement au ministère des affaires étrangères, et depuis peu au ministère de l'immigration, l'intégration, l'identité nationale, du développement solidaire et des crêpes au jambon, jouit d'une autonomie administrative et financière, et d'une inviolabilité qui s'apparente à celle d'une organisation internationale (ses archives sont par exemple d'une confidentialité absolue, y compris s'agissant des demandeurs déboutés).

L'OFPRA n'a donc d'ordre à recevoir de personne s'agissant de l'octroi ou du refus du statut de réfugié. Ses décisions de refus peuvent être attaqués devant une juridiction spécialisée, la Cour Nationale du Droit d'Asile, siégeant à Montreuil Sous Bois en Seine Saint Denis ().

Bon, je dois à la vérité de dire que si l'OFPRA n'a pas d'ordre à recevoir, cela ne signifie pas que s'il en reçoit, il ne fait pas montre d'une certaine docilité. C'est avant tout une administration, et son directeur général a une carrière à gérer. Mais que diable, il y a des apparences à respecter.

Est-ce à dire que le Président ne peut rien promettre ?

Du tout. En droit des étrangers, il y a un principe essentiel : l'État est toujours libre de décider qu'Untel peut entrer et séjourner sur son territoire. L'État n'est JAMAIS tenu de refuser un visa ou un titre de séjour. Il est des cas où il est tenu de l'accorder et viole la légalité en le refusant, mais accorder un titre de séjour ne peut JAMAIS violer la légalité.

Simplement, cet étranger aura une carte de séjour, voire de résident (valable dix ans) mais pas le statut de réfugié.

Mais alors, sommes-nous en présence de ce pinaillage que les juristes affectionnent tant, l'Élysée a-t-il employé le terme d'asile pour simplifier, alors qu'il entendait parler d'un simple droit au séjour ?

Que nenni. Le statut de réfugié présente des avantages incomparables à ceux fournis par une simple carte de résident. Outre la liberté de circuler et de travailler; le réfugié jouit du droit à la protection de l'État où il est réfugié. Cette protection s'étend à sa famille proche dès lors qu'elle est exposée à des représailles. Elle lui permet de voyager partout dans le monde sous couvert d'un document de transport équivalent à un passeport, et où qu'elle soit dans le monde, a droit à la protection consulaire de la France comme un de ses ressortissants. Enfin, le réfugié est protégé dans tous les pays signataires de la Convention de Genève contre l'arrestation et l'extradition vers son pays d'origine.

Le statut de simple résident enfermerait de fait l'intéressé dans les frontières françaises, ne le met pas à l'abri d'une demande d'extradition, et peut lui être retiré par l'administration. On comprend qu'il fasse la moue.

Tous ces avantages font que le statut de réfugié est très prisé par les anciens dignitaires de régimes pas très respectueux des droits de l'homme. Pas les chefs d'État, ce ne serait pas discret. Mais vous seriez surpris de voir qui se promène avec une carte de réfugié délivré par la France. Et un peu honteux quand vous saurez que les victimes du régime de ces messieurs se voient, eux refuser la qualité de réfugié. Mais que voulez-vous, la France n'oublie pas ses amis, africains ou mésopotamiens. Et ne voit plus dans le statut de réfugié qu'une pesante et coûteuse obligation, que l'on peut heureusement de temps en temps rentabiliser en en faisant une monnaie d'échange.

vendredi 31 octobre 2008

Mis en détention par un correcteur d'orthographe ?

J'apprends à l'instant que l'homme libéré à la suite d'une erreur de rédaction de la chambre de l'instruction de Paris a été remis en détention par icelle. Si quelqu'un peut me procurer une copie de la décision, je suis très curieux de savoir comment la cour motive son arrêt, et surtout ordonne le retour en détention alors que le juge d'instruction a, postérieurement à l'arrêt rectifié, pris une ordonnance de remise en liberté sous contrôle judiciaire qui à ma connaissance n'a pas été frappée d'appel.

La cour de cassation va être saisie par l'avocat de la défense, et on le comprend. S'agissant d'un pourvoi en matière de détention, elle doit statuer dans le délai de trois mois. On sera vite fixé.

Le communiqué triomphant de la Chancellerie est en cours de rédaction à l'Élysée.

jeudi 30 octobre 2008

im“média”teté judiciaire

Par Jean-Michel Malatrasi, magistrat, ancien juge d'instruction, ancien président de cour d'assises, et président du tribunal de grande instance de Digne.


Je reviens volontairement à l’affaire de Sarreguemines, dont l’actualité s’estompe (heureusement...), car elle revêt à mon sens une portée vraiment symbolique : il s’agit en effet d’une mise en cause, non plus uniquement de la responsabilité du juge, mais de l’essence même de sa mission, (à savoir l’application des règles générales fondées sur la loi, à la situation particulière d’une infraction ou d’un litige) : il est désormais acquis que le contenu même d’une décision de justice, pénale ou civile, peut être publiquement incriminé, mais non point en fonction des faits objectifs et de leur cadre légal, ni même au regard de notions morales : la décision est critiquée uniquement selon l’intensité de l’émoi collectif qu’un événement médiatiquement rapporté aura causé dans l’opinion : dans un tel contexte, est forcément regardé comme « injuste » tout ce qui choque l’émotion du moment , et comme « juste » toute réaction à chaud visant, en apparence au moins, à « réparer » « les conséquences du drame » et à « éviter qu’un tel fait divers ne se reproduise ! »

A ce stade, l’existence même de la décision de justice, avec la procédure qui y conduit est gênante ! Peu importent les éléments du dossier qui ont emporté la conviction, peu importe le travail de fond complexe ( et toujours collectif d’ailleurs ), des enquêteurs, experts, éducateurs , greffiers, avocats, magistrats ou jurés. Ce qui est recherché, ce n’est plus d’assurer la pérennité d’une justice impartiale, dans un état de droit . C ‘est l’émergence d’une im “média” teté judiciaire, une justice virtuelle confiée à l’arbitrage soudain de l’opinion, au vu des bribes d’information toujours parcellaires, sinon partiales, qui émergent au hasard des infos.

Rien d’étonnant alors que chacun d’entre nous se trouve désormais placé dans une situation Kafkaïenne, proprement inextricable : que le mineur récidiviste et justement condamné, soit incarcéré et se suicide, et c’est bien la responsabilité du magistrat qui est en cause (et peut-on contester que le décès d’un jeune en prison soit, en effet, toujours « injuste » ?) ou bien que, finalement laissé en liberté, il atteinte à la vie d’un tiers, et c’est encore le juge qui, par sa mauvaise appréciation, l’aura laissé dans la nature, qui devra « payer » ! (...et chacun conviendra que l’agression violente d’une victime par un récidiviste est en effet et à chaque fois “scandaleuse” ).

Dans les deux cas, d’ailleurs, la recherche “du” responsable solitaire, (version outreau) ne suffit plus désormais : ce sont “ les juges” ou le “système judiciaire” ( toujours et par définition corporatiste), incapables de suivre, voire d’anticiper les émois et les retournements de l'opinion d'un moment, qui, par leur résistance aux réformes ( sans qu’on sache très bien lesquelles d'ailleurs...) génèrent des "dysfonctionnements" : il en existe, bien sûr, et il faut y réfléchir sans cesse ! mais ceux-ci se révèlent curieusement bien plus nombreux lorsque s’élèvent, de la part du monde judiciaire, des protestations visibles...

Rien d’étonnant non plus, et très symbolique aussi, l’accroissement significatif du personnel des services de communication, notamment au ministère de la justice, tandis que baisse inexorablement le recrutement à l’école de la Magistrature...

C’est pourquoi, dès lors qu’il n’existe plus, au sommet de l’administration judiciaire, de recul suffisant à l’égard de cette prééminence absolue donnée au "temps médiatique" sur le "temps judiciaire" ce sont tous les défenseurs de l’état de droit, et pas seulement les juges, mais aussi les avocats, universitaires, et même les journalistes spécialisés (qui réfléchissent à la portée éthique de leur métier), qui doivent se mobiliser pour éviter une dérive aussi préoccupante de nos institutions.

Car, il ne faut pas s'y tromper : le "malaise" de la justice ne vient pas seulement de la pénurie des moyens : il a pour origine la "délégitimisation" insidieuse mais croissante, de l'autorité judiciaire dans la conscience collective ! Et lorsqu'une autorité constitutionnelle n'est plus considérée comme suffisamment légitime, ni l'indépendance, ni la cohérence du système de séparation des pouvoirs en démocratie ne sont plus garantis : il est vraiment temps d'en prendre conscience !

mardi 28 octobre 2008

La vie du blog

Bonjour à tous.

L'exposition médiatique récente de ce blog entraîne une affluence telle que T-Rex, mon serveur dédié, fait une dépression. D'où de fréquentes erreurs 503 que vous avez subies, j'en suis désolé.

Typhon, mon hébergeur, a aussitôt mis ses esclaves meilleurs ingénieurs sur l'affaire, et nous allons passer au modèle T-Rex 2.0, élevé aux OGM et aux anabolisants. Une coupure d'une dizaine de minutes à plusieurs heures est à prévoir, loi de Murphy oblige, pendant la migration. Aucun commentaire ne devrait être maltraité au cours de cette opération. C'est des pros, chez Typhon. Ensuite tout devrait aller mieux côté stabilité et délai de réponse.

Pour ma part, je vais être un peu plus discret pendant quelques jours. Je viens de me prendre une claque judiciaire qui m'a laissée sonné, et j'en redoute une seconde dans les heures à venir ; et dans ces moments là, non seulement je ne suis pas drôle, mais en plus je peux être franchement désagréable. Je ne voudrais blesser personne et vous n'êtes pas là pour que je me passe les nerfs sur vous (sauf clems, qui est le bouffon officiel de ce blog). Si vous voulez comprendre, lisez ce billet.

Et je profère les pires malédictions sur les rejetons des lois Clément et Dati. Je vous laisse deviner ce que donne l'accouplement d'une loi scélérate et d'une loi imbécile. C'est pas beau à voir.

Quant à toi, à qui je pense sans cesse en ce moment, je ne t'abandonne pas, et je te sortirai de là le plus vite possible. Tiens bon et pense à ta fille, elle a besoin de toi.

lundi 27 octobre 2008

Au secours ! Un homme libre s'est évadé !

Deuxième volet de la contre-attaque médiatique à la Jacquerie des Parlements, l'affaire de cet homme jugé à Montpellier pour viol, et qui a déguerpi avant la fin de l'audience à l'issue de laquelle il a été condamné à 10 ans d'emprisonnement.

Et là, je vais devoir critiquer la presse, même si ça me coûte, vous le savez, et qu'elle fait tant pour ma notoriété ces derniers temps. Car si je ne lui fais dans son ensemble aucun reproche pour avoir traité l'affaire de la faute de frappe (sauf pour les organes de presse qui ont parlé de récidiviste ou de multirécidiviste, surtout en citant le nom de la personne concernée au mépris de la présomption d'innocence), là, il y a une insuffisance de sa part.

Il est facile de deviner pourquoi ce qui relève de l'anecdote a tant fait parler : après l'erreur de jeudi, cela peut paraître comme une nouvelle bévue, un nouveau violeur remis en liberté par erreur.

Peut paraître. Et là est l'origine de mon mécontentement : le rôle de la presse, plutôt que de s'empresser de relayer une information qui accessoirement est si opportune pour le gouvernement dans sa contre-offensive médiatique à l'égard de la magistrature, est de rechercher où est l'anomalie, quelle erreur a été commise, et qui l'a commise. Cela fait partie intégrante de l'info qui ne peut être comprise sans cette mise en perspective. Sinon, c'est une information partielle qui est relayée et qui peut alimenter les préjugés des lecteurs. Or le rôle de la presse est, par l'information, l'analyse, l'éclairage qu'elle fournit, entre autres d'aider le citoyen à lutter contre ces préjugés.

Car je ne peux pas croire que ce que je vais expliquer soit si difficile à trouver pour un journaliste. Un homme libre est, comment dirais-je ? Libre. Donc un homme libre ne peut pas s'évader, et il n'y a nul dysfonctionnement, nulle faute à l'empêcher d'aller et venir. Et que le priver de cette liberté serait d'ailleurs un délit. C'est la loi qui le dit.

Détaillons.

L'accusé dans cette affaire comparaissait libre. C'est depuis 2000 de plus en plus fréquent.

Avant la loi du 15 juin 2000, le principe était que tout accusé devant la cour d'assises comparaissait détenu. Il devait se constituer prisonnier la veille des débats. C'est ce qu'on appelait la prise de corps. L'avocat de l'accusé pouvait, dès le début des débats, demander à la cour de remettre son client en liberté pour la durée des débats. La sanction était que l'accusé qui ne s'était pas constitué prisonnier n'avait pas le droit d'être défendu par un avocat.

La cour européenne des droits de l'homme n'a pas compris cette marque du génie français d'obliger un homme libre et présumé innocent à se constituer prisonnier sous peine de ne pas être défendu et a trouvé que décidément, cela ne paraissait guère compatible avec la présomption d'innocence. Elle a donc condamné à plusieurs reprises la France, la dernière fois dans un fort humiliant arrêt Papon, car être condamné pour violation des droits de l'homme d'un homme poursuivi pour complicité de crime contre l'humanité peut paraître, d'un point de vue d'exemplarité, quelque peu contre-productif.

Depuis la loi du 15 juin 2000, une personne accusée devant la cour d'assises et qui n'a pas été maintenue en détention à la fin de l'instruction ou remise en liberté entre l'ordonnance de mise en accusation et le jugement comparaît donc libre. Elle entre par la même porte que le public, et le soir rentre chez elle. Et lors des suspensions d'audience, elle peut aller fumer dehors ou boire un café au bistro en face.

C'était le cas de ce monsieur.

Ce n'est qu'à la clôture des débats, après la plaidoirie de l'avocat de la défense et que l'accusé a eu la parole en dernier, que l'accusé est momentanément privé de sa liberté.

L'article 354 du Code de procédure pénale (rédaction issue de la loi du 15 juin 2000) dispose :

Le président fait retirer l'accusé de la salle d'audience. Si l'accusé est libre, il lui enjoint de ne pas quitter le palais de justice pendant la durée du délibéré, en indiquant, le cas échéant, le ou les locaux dans lesquels il doit demeurer, et invite le chef du service d'ordre à veiller au respect de cette injonction.

Avant cela, l'accusé libre est… libre.

Or dans l'affaire de Montpellier, l'accusé, secoué semble-t-il par des réquisitions virulentes de l'avocat général, est sorti de la salle, et après avoir dit à son avocat qu'il ne se sentait pas bien, est parti et n'est pas revenu.

Nul n'avait à ce moment là le pouvoir de l'empêcher de partir. Sauf à violer la loi. Mais ça, ce n'est pas aux juges qu'il faut le demander. Je le sais, j'ai déjà essayé quand je débutais. J'ai arrêté, ça marche pas.

Cet homme ne s'est donc pas évadé, il n'a lui-même violé aucune loi.

Qu'a fait le président de la cour ? Vous ne devinerez jamais. Il a appliqué la loi.

L'article 379-2 du Code pénal, rédaction issue de la loi Perben II du 9 mars 2004 qui a abrogé la procédure de contumace en matière criminelle parce que devinez quoi ? Oui, elle n'était pas conforme à la Convention européenne des droits de l'homme. Cet article dispose que :

L'accusé absent sans excuse valable à l'ouverture de l'audience est jugé par défaut conformément aux dispositions du présent chapitre. Il en est de même lorsque l'absence de l'accusé est constatée au cours des débats et qu'il n'est pas possible de les suspendre jusqu'à son retour.

La cour pouvait aussi tout arrêter et reprendre à zéro à une session ultérieure : même article, alinéa 2.

Toutefois, la cour peut également décider de renvoyer l'affaire à une session ultérieure, après avoir décerné mandat d'arrêt contre l'accusé si un tel mandat n'a pas déjà été décerné.

Elle n'a pas décidé de le faire, car il y avait d'autres accusés, présents, eux. Elle a donc prononcé une peine par défaut, c'est à dire en l'absence de l'accusé.

S'agissant d'une peine de prison ferme, la cour a décerné mandat d'arrêt, comme la loi lui en fait l'obligation :

Art. 379-3 du CPP :

En cas de condamnation à une peine ferme privative de liberté, la cour décerne mandat d'arrêt contre l'accusé, sauf si celui-ci a déjà été décerné.

Mandat d'arrêt que le parquet général a transformé en mandat d'arrêt européen conformément à l'article 695-16 du CPP.

Que va-t-il se passer par la suite ? Le condamné par défaut ne peut pas faire appel (art. 379-5 du CPP). C'est l'article 379-3 qui règle la question :

Si l'accusé condamné dans les conditions prévues par l'article 379-3 se constitue prisonnier ou s'il est arrêté avant que la peine soit éteinte par la prescription, l'arrêt de la cour d'assises est non avenu dans toutes ses dispositions et il est procédé à son égard à un nouvel examen de son affaire par la cour d'assises conformément aux dispositions des articles 269 à 379-1.

En effet, l'accusé même couard a droit à deux procès en entier. Il faudra donc le rejuger, et il pourra faire appel s'il le souhaite. Toutefois, il comparaîtra détenu pour ce nouveau procès, le mandat d'arrêt délivré par la cour valant mandat de dépôt jusqu'à sa comparution devant la cour (art. 379-5 alinéa 2), comparution au cours de laquelle son avocat pourra détendre l'atmosphère en présentant une demande mise en liberté qui devrait bien faire rire la cour.

Comme vous le voyez, dans cette affaire, il n'y a eu aucun dysfonctionnement, mais l'application rigoureuse de la loi, votée faut-il le rappeler par l'actuelle majorité.

D'où mon agacement à l'égard du traitement de cette affaire qui est une non affaire. Je ne demande pas à la presse de connaître les subtilités du défaut criminel que je viens de vous expliquer, bien sûr. Vous l'expliquer, c'est mon rôle. Mais avant de se jeter sur l'info en se disant : « Tiens ? Un nouveau dysfonctionnement ! Hop, un article ! », se demander tout simplement : c'est quoi, le dysfonctionnement, au fait ? Car rechercher la réponse, c'était découvrir qu'il n'y en avait eu aucun. Et que les mécontents ne peuvent s'en prendre qu'au législateur ; à tort à mon sens, la loi actuelle sur le défaut criminel est très bien comme ça, c'est avec la réforme de l'application des peines le meilleur de la loi Perben II.

Je ne crois pas être trop exigeant en demandant cela à la presse.


Un petit post-sciptum inspiré par Raven-hs qui me dit que oui, tout cela est bel et bien bon, mais qu'il faut comprendre que l'on peut s'émouvoir de ce qu'une personne, placée en situation d'accusé, puisse lors de son procès disposer pleinement de sa liberté d'aller et venir au point de partir tranquillement du palais de justice.

Je me souviens d'une autre affaire de viol, plus grave, car les faits avaient été commis en réunion, les victimes étaient mineures, et les accusés étaient leurs ascendants. Pourtant, la moitié des accusés avait comparu libre. Et dans cette affaire, ce qui a posé finalement problème, c'est que l'autre moitié ne l'était pas.

C'était l'affaire d'Outreau.

Et je ne me souviens pas, lors de l'audition du juge Burgaud, ou lors de la comparution du procureur Lesigne devant le CSM, qu'une seule voix se soit élevée dans l'opinion publique pour dire : il faut comprendre que l'on aurait pu s'émouvoir que ces personnes, placées en situation d'accusés, pussent disposer de leur liberté d'aller et venir.

Elle est là, la schizophrénie dont se plaint la magistrature.

Libéré par une faute de frappe ?

Il fallait s'y attendre. À l'offensive des magistrats devait répondre une contre-offensive, médiatique bien entendu, puisque sur le terrain de l'argumentation, le général Lefèbvre a démontré que la position était imprenable.

Et quel bonheur d'avoir cette affaire qui tombe à point nommé, d'une personne libérée contre la volonté du juge car celui-ci aurait commis une erreur de rédaction dans son jugement. Cela tombe tellement à point nommé qu'on pourrait croire que c'est fait exprès, mais vous le verrez, je suis convaincu qu'il n'en est rien.

Que s'est-il donc passé ?

N'ayant eu accès à aucune des pièces du dossier, je me fonde sur les éléments donnés par la presse, qui me semblent assez convergents pour en tirer des conclusions fiables. J'insiste sur cette réserve, mes déductions s'étant parfois révélées en partie erronées. Je suis avocat, pas devin.

Une personne était mise en examen pour des faits de viols, l'un accompagné d'une séquestration de la victime et l'autre sous la menace d'une arme.

Le juge d'instruction de Créteil en charge du dossier a estimé début octobre avoir fini son instruction : tout le monde a été interrogé, au besoin confronté, les expertises ont été rendues, le dossier est selon lui prêt à être jugé. Il a donc rendu un avis à partie[1] les informant de cela, ce qui leur ouvre un délai d'un mois pour demander des actes complémentaires qu'elles estimeraient utiles, ou pour présenter des observations sur le sort à réserve à ce dossier (non lieu, mise en accusation devant les assises, requalification en délit et renvoi devant le tribunal correctionnel). Cette phase finale de l'instruction s'appelle le règlement.

Aussitôt, l'avocat de la défense a présenté une demande de mise en liberté. C'est un réflexe. L'article 175 notifié fait disparaître des arguments qui avaient pu justifier la détention provisoire : le risque de concertation frauduleuse, puisque les mis en cause ont été interrogés et confrontés, est moindre voire inexistant ; le risque de pression sur les victimes aussi puisqu'elles aussi ont été entendues, leur témoignage figure au dossier. Bref, tout ce qui consiste à permettre à l'instruction de se dérouler en toute sérénité ne tient plus. L'avocat de la défense provoque donc un débat sur la nécessité de continuer à détenir son client.

Le juge d'instruction qui reçoit la demande la transmet d'abord au procureur de la République, mais il doit donner sa réponse dans un délai de cinq jours, que le procureur ait ou non donné son avis. Puis le juge peut soit remettre en liberté, soit, s'il n'est pas d'accord avec cette mesure, transmettre la demande au juge des libertés et de la détention (JLD) avec son avis motivé, expliquant pourquoi selon lui la détention provisoire s'impose. Le JLD doit statuer dans les trois jours : lui seul peut ordonner le placement, le maintien ou la prolongation en détention provisoire.

L'ordonnance, prise sans débat oral pour aller plus vite, puisque chacun a donne son avis par écrit, peut faire l'objet d'un appel devant la chambre de l'instruction.

C'est précisément ce qui s'est passé. Le juge d'instruction s'est opposé à la libération, a transmis au JLD, qui a rejeté la demande, et l'avocat a fait appel.

L'appel d'un refus de mise en liberté ou de prolongation de la détention doit être examiné dans des délais stricts : 15 jours en principe, porté à 20 jours si le détenu a demandé à comparaître devant la cour (ce délai est de dix jours, porté à 15 en cas de demande de comparution, pour le placement en détention). Le non respect de ce délai entraîne la remise en liberté d'office.

Dans notre affaire, le délai a été respecté, et le 17 octobre, l'arrêt a été rendu. Et c'est là que l'affaire se noue.

La cour d'appel, ce n'est pas contesté, avait décidé de rejeter l'appel. Le mis en examen devait rester détenu jusqu'à son procès.

Pour comprendre ce qui s'est passé ensuite, une brève explication de ce à quoi ressemble une décision de justice.

Elle se décompose en trois parties : le chapeau, les motifs, le dispositif.

Le chapeau (peut-être les greffiers utilisent-ils un autre terme ?) contient les informations sur la décision et la procédure : la désignation de la juridiction (Cour d'appel de Paris, 5e chambre de l'instruction), le numéro d'enregistrement de l'affaire (n°2008/XXXXX, XXXXX étant le numéro d'ordre de l'affaire ; on approche la 5700e à ce jour), la date de la décision, le nom des parties, des avocats, des magistrats ayant pris la décision, de l'avocat général ayant requis, du greffier rédigeant la décision, et un bref rappel de la procédure (date des demandes et décisions du juge d'instruction et du JLD, dépôt de mémoires par les parties, nom des avocats présents à l'audience).

Les motifs rappellent dans une première partie, le “rappel des faits”, les faits motivant l'instruction, puis dans une deuxième, la “discussion”, expose les arguments des uns et des autres avant d'y répondre et de donner l'opinion de la cour.

Le dispositif clôt la décision. Elle est introduite par les mots « Par ces motifs », et expose en quelques phrases ce qu'ordonne la cour.

Ainsi, tout avocat qui reçoit une décision de justice saute à la dernière page pour lire le « par ces motifs » et savoir s'il a gagné ou perdu. S'il a gagné, il bondit sur son dictaphone pour informer son client. S'il a perdu, il lit les motifs pour voir où le juge s'est trompé.

Un arrêt de chambre d'instruction rendu en matière de détention provisoire peut avoir deux dispositifs (trois, si la demande est irrecevable, si l'appel a été fait hors délai par exemple).

Soit la cour maintient en détention. Le dispositif sera :

PAR CES MOTIFS, Dit l'appel recevable, Confirme l'ordonnance du juge des libertés du …

Soit la cour décide de remettre en liberté :

PAR CES MOTIFS,
Dit l'appel recevable,
Infirme l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du …,
Ordonne la remise en liberté de Monsieur LANDRU Henri Désiré,

La plupart du temps, la mise en liberté s'accompagne d'un placement sous contrôle judiciaire dont les modalités sont énumérées :

Place LANDRU Honoré Désiré sous contrôle judiciaire sous les obligations ci-après :
- Se présenter périodiquement à la gendarmerie de Gambais (Yvelines) ;
- S'abstenir de recevoir ou de rencontrer de riches veuves, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit ;
- Ne pas détenir de cuisinière ou de poêle à bois.

Dans notre affaire, l'arrêt rejetant la demande de mise en liberté aurait dû être rédigé comme le premier modèle : par ces motifs, confirme l'ordonnance.

Or à la suite d'une erreur, c'est infirme qui a été écrit. Mais sans plus.

Le greffier n'a pas vu l'erreur et a signé l'arrêt, le président a fait de même, et l'arrêt a été notifié. En effet, pour un œil distrait ou fatigué, le dispositif court, les lettres -nfirme qui le composent, tout cela a l'apparence d'un arrêt de rejet, comme la cour a dû en rendre une dizaine identique le même jour.

Le parquet général, à qui l'arrêt est également notifié, n'a rien vu non plus.

Les parties civiles, à qui l'arrêt est notifié, n'a rien vu non plus (ce qui explique peut-être le ton rageur de leur avocat).

L'avocat de la défense, lui, l'a vu. Et il a fait ce que j'aurais fait, ce que tout avocat de la défense aurait fait : il a serré les fesses pendant cinq jours.

Pourquoi cinq jours ? C'est le délai de pourvoi en cassation contre cet arrêt. Un éventuel pourvoi aurait été incontestablement couronné de succès puisqu'il y a contradiction entre les motifs et le dispositif.

Une fois ce délai expiré (soit : le 17 octobre + 5 jours = 22 octobre, dernier jour pour se pourvoir, +1 = le 23 octobre, la journée d'action des magistrats, par le plus grand des hasards, j'en suis convaincu), il est allé voir le juge d'instruction pour lui faire remarquer qu'il avait une décision définitive infirmant l'ordonnance du JLD. Donc le titre de détention a disparu. Son client est arbitrairement détenu. Soit le juge le remet en liberté, soit il se rend pénalement complice de séquestration arbitraire, et on renvoie des procureurs en correctionnelle pour ça.

Le juge d'instruction n'avait donc pas d'autre choix que d'ordonner la remise en liberté, qu'il a assorti d'un strict contrôle judiciaire.

Quelques questions qui se posent désormais :

Comment une telle erreur a-t-elle pu se produire ?

Je ne sais pas. Ce genre d'erreur est hélas rarissime (il y a un précédent en 1994, c'est tout à ma connaissance), et s'explique en partie par le rythme de galérien imposé aux chambres de l'instruction, qui doivent faire face à un contentieux sans cesse grandissant (il y a des instructions aux parquets leur imposant de requérir la détention dans de plus en plus de types d'affaires, tandis que la loi a élargi les possibilités de recours des détenus, toujours cette schizophrénie dont parlent les juges).

Les jugements et arrêts ne sont-ils pas relus ?

Si, en principe deux fois avant la signature, par le président et le greffier, qui signent la décision, le greffier l'authentifiant en y apposant le sceau de la cour, et plein de fois avant l'expiration du délai de pourvoi, par l'avocat général, les avocats des parties, le juge d'instruction, et le directeur d'établissement à qui la décision est notifiée, qui tous auraient pu tiquer et déclencher le pourvoi. Une enquête administrative s'impose pour identifier l'erreur et éviter qu'elle ne se reproduise. L'Inspection Générale des Services Judiciaires va pouvoir servir à quelque chose.

Pouvait-on éviter cette mise en liberté ?

À partir du 23, à mon sens non. L'arrêt était définitif, et réduisait à néant le titre de détention. Garder cet homme prisonnier, c'était le séquestrer. Or séquestrer, c'est mal, d'ailleurs cet homme était mis en examen pour avoir commis de tels faits, entre autres. J'ai rappelé qu'un magistrat, et pas n'importe lequel, est renvoyé en correctionnelle pour avoir peut-être commis de tels faits.

Le parquet général pouvait former un pourvoi en cassation (suspensif) dans le délai de 5 jours, il ne l'a pas fait. Les parties civiles le pouvaient aussi (art. 568 du CPP), mais elles ne l'ont pas fait.

Et la rectification d'erreur matérielle ?

L'USM prétend que là est le salut. Je disconviens respectueusement.

L'article 710 du CPP prévoit que l'on peut saisir à nouveau la juridiction ayant statué pour « procéder à la rectification des erreurs purement matérielles contenues dans ses décisions. »

Purement matérielles. Or la jurisprudence de la cour de cassation en la matière est très claire, transposant d'ailleurs les règles appliquées en matière de rectification d'erreur matérielle en procédure civile : l'erreur purement matérielle ne peut aboutir à changer le sens de la décision. La contrariété entre un dispositif et les motifs d'une décision de justice ne sont susceptibles que de la voie de la cassation, en aucun cas cela ne peut constituer une "erreur matérielle". Le dispositif est la seule partie du jugement qui fait foi jusqu'à inscription de faux et la seule qui a l'autorité de la chose jugée. Voir l'arrêt Crim. 26 juin 1984, solution maintenue lors d'une affaire similaire à celle qui nous occupe le 9 février 1994 et inconfirmée le 17 juin 2003. Un exemple d'erreur matérielle dont la rectification est admise est un jugement qui condamne à payer 1000 au titre du préjudice matériel, 42 millions au titre du préjudice moral et 500 au titre des frais d'avocats alors que le dispositif ne reprend qu'une condamnation totale de 1500 : il s'agit d'une simple erreur d'addition (voir par exemple, pour des montants un peu inférieurs, cet arrêt du 25 février 1991).

La cour, saisie d'une telle requête par le parquet sur instructions expresse du Gouvernement, risque fort de refuser de rectifier son erreur, ce qui permettra une fois de plus de taper sur les magistrats qui osent refuser de violer la loi pour rattraper leurs bévues.

N'est-ce pas scandaleux, horrible, un déni de justice, un nouvel Outreau, un dysfonctionnement sans précédent, comme je l'ai lu dans les commentaires des lecteurs du Figaro.fr ?

Non, loin de là.

Que s'est-il passé ? Un homme, accusé d'avoir commis deux viols, mais toujours présumé innocent faute d'avoir été condamné (Ça ne vous rappelle rien ? Je vous aide : article 9), a été remis en liberté. Je vous la refais en plus court. Un présumé innocent a été remis en liberté. Je voudrais que ça arrive plus souvent, surtout concernant mes clients. Mais ce n'est pas sexy, alors voyez comment on vous le présente.

Un récidiviste, voire un multirécidiste pour 20 minutes (qui à sa décharge semble reprendre le texte d'une dépêche d'agence) a été remis en liberté par erreur. Sous-entendu en ce moment même il doit être en train de violer jusque dans vos bras vos filles et vos compagnes.

NON, NON et NON : il n'est pas récidiviste, faute d'avoir été condamné une deuxième fois, et la première condamnation ne porte pas sur des faits de viols. De plus, cette condamnation antérieure daterait de 2007, soit postérieurement aux faits de viols commis en 2006. Il ne peut donc pas être légalement considéré comme récidiviste. Il n'a JAMAIS réitéré son comportement criminel après avoir été condamné. Il est même parfaitement possible que la condamnation de 2007 ait mis fin à son comportement, et qu'il solde ses dettes pénales.

Ce n'est pas un violeur en série, rien ne permet d'affirmer qu'il va récidiver, même si des expertises médico-psychologiques soulignaient sa dangerosité : on parle de risques, pas de certitudes, et en l'occurrence, ce monsieur n'ayant pas été déclaré dément, la perspective de devoir passer un jour prochain aux assises a de quoi le décourager à passer à nouveau à l'acte.

Y a-t-il faute lourde de l'État engageant sa responsabilité ?

C'est ce que pense l'avocat d'une des parties civiles, qui compte agir très bientôt, annonce-t-il. Mieux vaut tard que jamais. Je me demande toutefois quel préjudice vont invoquer les victimes. La liberté est-elle un préjudice ? La peur des victimes ? Mais si la cour avait décidé de le remettre en liberté, ce préjudice aurait tout autant existé. En fait, il s'agit de la déception de ne pas obtenir ce que l'on souhaite ; ce n'est pas indemnisé par l'État.

En conclusion

Comme je l'ai dit en introduction, ce haro sur le baudet est de bonne guerre, même si l'exploitation qui en est faite, et qui consiste à amplifier les faits (c'est Hannibal Lecter qu'on a libéré…) pour exciter le peuple contre ses juges est infiniment regrettable. Tout comme le sont les propos du président de la République, qui depuis la Chine, a déclaré « Je n'ai pas l'intention qu'on laisse libérer un violeur récidiviste simplement parce quelqu'un a fait une erreur matérielle ». Atteinte à la présomption d'innocence, atteinte à la séparation des pouvoirs, complicité de séquestration arbitraire par instructions… Ah, l'immunité pénale du président, ça a du bon.

Et cette attaque tous azimuts contre la magistrature rebelle fait flèche de tous bois, y compris s'il le faut de manière totalement infondée. Je parle de l'affaire de « l'évadé » de Montpellier.

Mais cela fera l'objet d'un prochain billet, je suis en code jaune.

Notes

[1] Les praticiens disent : “le juge a notifié l'article 175”, car c'est l'article 175 du CPP qui prévoit cela.

dimanche 26 octobre 2008

Vous en reprendrez bien une petite part ?

Deux derniers (?) témoignages viennent se joindre à la liste : un juge administratif et un directeur de prison suisse viennent apporter leur témoignage pour montrer qu'ailleurs, ça ne se passe pas très bien non plus. je ne sais s'il faut en tirer une consolation. Billets ci-dessous.

Au Bal des Hypocrites

Par Persifleur, directeur d'établissement pénitentiaire en Suisse


Comme il est souvent édifiant de voir ce qui se passe chez le voisin et de découvrir, ou feindre de découvrir, qu'il rencontre les mêmes difficultés que nous. La surpopulation carcérale a atteint en France un record en cette année olympique. Selon un scénario désormais rôdé, on a assisté à des déclarations pseudo-intelligentes des uns sur la nécessité « de repenser globalement le système pénitentiaire », incantatoires des autres sur « la diminution urgente du nombre de détenus » ou encore dilatoires sur la nécessité de « mener une étude sur les causes de la surpopulation carcérale ». Puis, dans la foulée, vous assistez à des visites de ministres sur des chantiers de prisons modèles en construction, de promesses de voir les peines de substitution - vous savez les « bracelets électroniques » - comme remèdes miracle aux maux des prisons surpeuplées. Ou poudre de perlimpinpin c'est selon.

Billevesées que tout ceci. Depuis presque 10 ans, la France et les pays qui l'entourent, ont adopté le mode de la jérémiade humanitaire sous forme de diarrhée textuelle - rapports, rapports dits « d'experts » - pénétrées des hurlements outrés de milieux bien pensants, de fonctionnaires militants peu enclins à la réserve qui doit être la leur ou d'oligarques de l'Académie figés dans leurs certitudes d'antan. En 2000, un rapport vitriolé dénonçait, à grandes déclinaisons du mot scandale l'état des prisons dans ce pays. Dont acte et puis plus rien.

Passez la frontière et venez en Suisse. Vous ne serez pas dépaysés. Les problèmes sont identiques ou presque. Le néant des solutions entreprises par le pouvoir politique presque total. Les couinements plaintifs de ceux qui sont trop heureux d'exister à travers « les droits de l'homme en prison » lancinants. Vous êtes tétanisés devant les décisions que vous devriez prendre. Paralysés devant les responsabilités que vous devriez assumer, une fois achevée votre parade médiatique. Et pourtant est-ce si compliqué ? Soit vous êtes un partisan d'une ligne dure, répressive et vous l'assumez. Les lois sont appliquées, durcies et les prisons se remplissent. Vous ne voulez pas qu'elles débordent ? Vous en construisez des nouvelles. Vous pensez que les prisons surpeuplées sont encore trop confortables pour ces délinquants qui n'avaient qu'à bien se tenir ? Vous le dites et vous l'assumez. (vous serez difficilement réélu).

Vous êtes d'avis que la police arrête bien plus qu'elle ne devrait et que la justice est trop sévère. Eh bien soit. Vous donnez les instructions et les ordres nécessaires à la police - « fermez les yeux » ou « arrêtez d'arrêter », à votre guise - vous changez les lois et les prisons se videront sans doute assez vite. (vous ne serez sans doute pas réélu non plus mais au diable les détails).

Mais voilà. Vous devez adopter une ligne politique (c'est probablement possible). Vous devez mettre de côté votre penchant atavique pour une pensée crypto « humaniste » qui fait croire que des hommes politiques de droite sont atypiques lorsqu'ils se préoccupent du sort des plus démunis. Vous devez mettre de côté vos réflexes génétiquement inscrits de baba cool post sixty-height - figés - qui vous empêchent toujours d'imaginer que la liberté peut rimer avec l'ordre.

Seulement, comme disait Lénine, les faits sont têtus. Mettez en relation, dans le désordre, l'augmentation de la population, celle des délits commis, le débat pseudo académique entre les théoriciens des peines dites alternatives à l'emprisonnement, les héritiers au nom séculaire qui ne se sont donné que la peine de naître et qui, pénétrés de leur nullité, croient utile de donner des leçons à tout le monde. Vous obtenez une gigantesque cacophonie dont seuls les criminels et les délinquants profitent.

Et les TA ?

Par Conseiller de Base (un aristocrate), juge administratif dans un tribunal administratif d'Île de France, qui s'appellent conseiller dès le niveau du tribunal administratif pour compenser le fait qu'ils ne portent pas la robe (chez les juges judiciaires, ce n'est que dans les cours, d'appel ou de cassation, qu'un juge prend le titre de conseiller).


Cher maître, Puisqu'il semblerait que l'on puisse encore vous écrire et parce que je regrette qu'aucun juge administratif ne se soit encore exprimé, parce que je trouve incroyable que seule une courageuse assistante de justice ait eu le courage de dévoiler un peu de ce qui se passe dans les tribunaux administratifs aujourd'hui, je viens vous demander humblement de bien vouloir prendre en considération ce court billet.

Dans les TA[1] et les CAA[2] aujourd'hui, la seule chose qui compte, la seule chose qui importe vraiment, la seule chose qui régisse la vie des juridictions, ce sont les STATISTIQUES : délais de jugement, apurement des stocks anciens toutes matières confondues ... Pas un discours officiel, du président de juridiction ou du VPCE[3] qui ne commence par un rappel des chiffres, réputés bons ou mauvais de telle ou telle juridiction.

Je ne dis pas que les statistiques n'ont pas leur importance : oui, il est scandaleux de juger en quatre ans des affaires qui parfois touchent aux droits les plus fondamentaux de la personne humaine. Mais, d'une part, les données moyenne ne veulent rien dire et conduisent à juger au même rythme des contentieux aussi urgents que ceux qui portent sur des autorisations de licenciement de salariés protégés et des contentieux qui, ma fois, peuvent attendre un peu comme le contentieux fiscal (les requérants ont quasiment toujours obtenu le sursis de paiement), d'autre part, juger toujours plus à moyens constants, ne peut pas se faire sans casse.

Le résultat est là : ordonnances[4] à gogo, magistrats épuisés qui approfondissent de moins en moins les dossiers et présidents qui ne se préoccupent plus de la manière dont les dossiers sortent du stock du moment qu'ils en sortent. Après tout, si les requérants ne sont pas contents, pourquoi ne font-ils pas appel ? Parce que désormais, le ministère d'avocat est généralisé en appel et que les populations parfois défavorisées dont les requêtes sont rejetées par ordonnance ignorent souvent l'existence de l'aide juridique.

Notes

[1] Tribunaux administratifs.

[2] Cours administratives d'appel.

[3] Vice-Président du Conseil d'État, le plus haut magistrat administratif de France et le vrai chef du Conseil d'État. Le président du Conseil d'État est, de droit, le premier ministre en exercice, mais c'est un titre plutôt honorifique.

[4] En procédure administrative, on appelle ordonnance une décision rejetant une requête sans l'examiner selon la procédure de droit commun qui implique une phase préparatoire et un débat collégial avec intervention du rapporteur public. Si les ordonnances se justifient dans certains cas pour des recours irrecevables ou fantaisistes, la tentation est forte de gérer le stock en traitant ainsi des requêtes qui paraissent simplement douteuses dans leurs chances de succès. C'est la préoccupation des avocats : rédiger des recours qui passeront le stade de l'ordonnance. Cette procédure a été récemment étendue à la Cour Nationale du Droit d'Asile.

Quoi de neuf ?

Note aux nouveaux venus : il est de tradition que temps en temps, le dimanche, je m'autorise un billet léger, loin du thème du droit, destiné à émouvoir ou à faire rire, mais certainement pas édifier mes lecteurs (quoique…). Ce sont mes billets du dimanche. Ceci en est un.


Souvenez-vous.

En 2000, Budweiser®, une marque de bière bien connue qu'il faut boire avec modération, surtout si on aime la bière, lançait une campagne de pub qui allait connaître un succès… retentissant, c'est le mot. La campagne « Waaazaaa ».

Ne me dites pas que vous avez oublié.

Au cas où : piqûre de rappel.

Hé bien le mêmes acteurs ont été réunis pour la suite. Ça s'appelle huit ans plus tard.

Brillant.

vendredi 24 octobre 2008

Premier bilan

Je suis dépassé par le succès de mon initiative, et je suis ravi, on ne peut plus ravi, de cette libération de la parole des intervenants de la justice, magistrats en tête, mais aussi surveillants, CIP, experts, greffiers… Merci à tous ceux qui ont répondu à mon invitation. Je sais qu'eux même ont plutôt pris plaisir à l'exercice.

Mon blog a battu son record de fréquentation. La mariée de Lille peut aller se rhabiller. Mon site a enregistré plus de 53.000 visites (contre une moyenne de 30.000), dont au moins 23.000 visiteurs uniques (contre 15.000 d'habitude). Cela ne tient pas compte des lecteurs par flux RSS. Concrètement, c'est 33 Go de bande passante pour la seule journée d'hier.

Du coup, vous avez pu le constater, T-Rex, mon serveur dédié, a fait de l'hypoglycémie, d'où de fréquents Codes 503 qui vous ont accueilli. Typhon a fait face à un tsunami, mais ils travaillent d'arrache-pied pour que tout rentre dans l'ordre le plus vite possible. Qu'ils en soient remerciés, ça fait du bien d'être chez des pros de l'hébergement. Un peu de patience, ou revenez à trois heures du matin, c'est plus tranquille.

Je ne tiendrai pas mon silence annoncé jusqu'à dimanche : l'affaire de cette personne relâchée suite à une erreur de traitement de texte mérite un éclairage. Billet à venir dans la soirée ou demain. La justice est une machine qui ne s'arrête jamais…

Pour afficher tous les messages de la journée du 23 octobre, vous pouvez cliquer la catégorie "magistrats en colère" dans la colonne de droite.

La phrase du jour sera cette merveilleuse question d'une journaliste m'interviewant au téléphone : « Pouvez-vous me résumer, en une phrase, ce que disent les magistrats sur votre blog ? ». La presse, je l'aime aussi pour ça.

Et pour conclure, j'ai eu la démonstration la veille et le lendemain de cette journée que soit les magistrats ignorent effectivement mon identité, soit ils la connaissent mais ne me font aucun traitement de faveur. Et c'est très bien comme ça.

Je vous laisse, je dois faire appel.

jeudi 23 octobre 2008

52… Heu, non 57… Je voulais dire 61… Il fallait lire 63, bien sûr. Non, 64.

52 billets, que je livre à votre curiosité sans plus attendre. Des coups de gueule, des coups de blues, des chansons, des poèmes, des billets drôles, et d'autre comme des claques dans la figure.

La plupart étaient signés par un nom identifiable, mais tous ont demandé l'anonymat, certains par crainte, d'autre pour respecter l'esprit du blog.

Aucune tentative d'usurpation de la qualité de magistrat.

Les notes de bas de page sont de moi, sauf pour un billet, où je le précise. J'ai ajouté des liens vers le billet précédent et suivant en haut et en bas de chaque billet, pour faciliter votre navigation quand vous serez passé en ode d'affichage pour commenter.

Vu la longueur exceptionnelle de cette publication, je ne ferai aucun autre billet avant au moins lundi, pour vous laisser le temps de lire.

Vous pouvez tous les réafficher en cliquant sur la catégorie magistrats en colère, dans la colonne de droite.

Bonne lecture : vous avez une opportunité unique de découvrir ce qui se passe sous la robe. Merci aux magistrats ayant participé.

Et une dernière chose : c'est l'extraordinaire maladresse confinant à l'incompétence de l'actuelle garde des sceaux qui a conduit à ce projet un peu fou. Qu'elle en soit remerciée. Donner envie aux magistrats de s'exprimer ainsi, ce qui va tant contre leur culture, restera sa plus grande réussite. Il y a des fleurs qui poussent dans les cimetières.

Mais qu'une chose soit claire : si elle peut être critiquée, même durement, ce ne peut être que sur ses idées, sa méthode, ses réformes. Les attaques personnelels et notamment les allusions à sa vie privée sont grossières et déplacées, même si elle même a pu être tentée d'en jouer pour améliorer son image.

Tout propos déplacé sera immédiatement supprimé.


Mise à jour : Quatre billets avaient échappé à la mise en ligne, en raison d'une erreur de ma part (j'avais oublié de les affecter à la catégorie "Magistrats en colère", et c'est cette catégorie que j'ai mise en ligne d'un coup). C'est donc 56 billets que je mets en ligne, plus un de Dadouche qu'elle a directement mis en ligne. Soit un total de 57.

Ces billets rescapés se situent juste sous ce billet. Toutes mes excuses à leur auteur.

Pour les agrégés, j'ai également modifié mon fil RSS pour que les 60 derniers billets s'affichent dans les agrégateurs et les 100 derniers commentaires.


Mise à jour 17h27 : Et de 61. Des retardataires m'ont envoyé leurs contributions, je viens de les ajouter : ce sont les quatre billets ci-dessous.


Mise à jour 22h50 : J'ai été interviewé sur France Info à 22h20 (en fait à 20h20, c'est du faux direct). MP3 ci-dessous. Et j'ai ajouté deux trois billets reçus in extremis, qui sont juste ci-dessous. Il manquait un expert judiciaire, c'est fait.

Billet de dernière minute

Par Jojo, magistrate


Jeudi après midi, je lis les messages des collègues sur votre blog, les piles attendront, le week-end est long.

Je cherchais le message sur Monsieur F., vous aviez fait un tel buzz autour…

Les larmes montent aux yeux. Bon, je suis fatiguée mais je suis payée par l'Etat pour encaisser toute la misère du monde qui défile dans mon bureau.

Alors pourquoi ça coince ?

L'histoire de Monsieur F. met le doigt sur le fait que derrière nos dossiers, nos piles, nos mesures, il y a des gens, un monsieur, la dame, des gosses ...

J'ai choisi ce métier parce que j'aimais les gens justement, que je voulais les aider en servant l’Etat. J'avais 21 ans, j'étais dans la section "administration d'État" à ScPo et je me suis dit que je ne voulais pas être enfermée dans un bureau à rédiger des notes ou des rapports. Pour faire moins niais, je pourrais dire que j'ai choisi le métier de magistrat parce qu'il m'offrait l'opportunité d'exercer tout au long de ma carrière des métiers très différents, en restant indépendante, que j'y emploierais chaque jour mon sens de l'écoute en restant au contact des réalités sociales...

J'aime toujours mes semblables, passionnément, mais je ne suis pas sûre de réussir ce que je voulais en entrant dans la magistrature.

Pour nous titiller, Maître, vous nous demandez si nous sommes timides, oui, sans doute. Et pourtant chaque jour, nous devons prendre la parole, dans ce dossier de divorce très conflictuel, dans ce dossier de tutelles où aboutissent trente ans de tensions familiales... Les collègues ont raconté tout cela très bien.

Chaque jour nous devons parler, dire, expliquer, rappeler pour aider, dénouer, trancher.

J'ai souvent l'impression d'une justice bâclée, parce qu'on nous demande de recevoir les dossiers, situations, mesures, tous les quart d'heure au nom de la sacro-sainte statistique … de l'abattage, est-ce qu'on peut faire de l'abattage sur l'humain ?

Hier, les matinales de France culture et de France Inter étaient consacrées à la médecine. J'ai l'impression que le tribunal et l'hôpital sont tous les deux dans de beaux draps, au nom de l'efficacité, de la rationalité, de la rentabilité, on passe complètement à côté de l'humanité.

Je ne veux pas que les gens m'aiment mais je veux continuer à les aimer, à aimer mon métier, en préservant ma santé et ma dignité. Et pour cela, il faut commencer par conserver celle des justiciables. Parce que les victimes dans tout ça, ce sont certes celles qui sont si chères à notre Président mais c'est aussi ceux qu'on incarcère à trois dans 9m², ceux qui n'ont pas pu raconter l'histoire de leur couple parce qu'on ne leur a pas laissé le temps et qui vont garder ce divorce coincé en travers de la gorge pendant des années parce qu'on ne les a pas écouté, qui par conséquent reviendront une fois, deux fois, trois fois, ceux qui n'ont pas trouvé un fonctionnaire de l'accueil, disponible et formé, pour leur donner les renseignements nécessaires à la préparation de leur affaire, ceux qui tous les jours viennent dans les palais de justice pour attendre cette dernière mais la justice n'y est pas.

Fenotte propose une grève du zèle, la machine ne tournera pas longtemps, elle ne tourne de toutes façons que grâce à toutes les petites mains et les bonnes volontés qui l'habitent, fonctionnaires, greffiers, magistrats, partenaires. Aucune logique de gestion ne pourra jamais rendre la justice plus juste parce que la justice est rendue par des hommes pour des hommes.

Je ne veux pas le pouvoir ou l'argent, je veux continuer à aimer les gens, pour lesquels je travaille, et au nom desquels, chaque jour, je tâche de rendre la justice.

Je suis expert judiciaire…

Par LEF, expert judiciaire


... et je soutiens les magistrats en colère. Soutien inconditionnel.

De par mon travail, je suis un témoin privilégié des conditions de travail des magistrats instructeurs, de leurs greffiers et des magistrats du Parquet. Je vis à leur rythme depuis une quinzaine d’années (en moyenne 120 expertises par an), je suis témoin de leur implication, de leur abnégation, de leurs horaires au-delà du raisonnable, de leur souci permanent de recherche de la vérité et de leur désarroi face au manque de moyens qui s'aggrave de plus en plus.

Le code de procédure pénale change, mais les moyens mis à la disposition des magistrats pour appliquer ces changements ne suivent pas. J’ai lu avec intérêt le papier d’un magistrat sur le blog de Maître Eolas, concernant les moyens techniques déployés pour l’enregistrement des auditions. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres : le politique a fait son effet médiatique, le politique a annoncé à tout le monde avoir fait, mais ce n’est ni fait ni à faire. Les moyens techniques mis en place ont été choisis et distribués à la-va-vite ; ils sont d’une qualité aussi médiocre que celle de leur ancêtre le videogav. Les décideurs ne sont pas les utilisateurs ; les utilisateurs ne sont jamais consultés en amont ; et les utilisateurs ne sont pas écoutés en aval, parce qu’il ne faut pas vexer les décideurs et parce qu’il est trop tard, « on a déjà dépensé trop d’argent ». Et je ne parle pas de la solution qui ne résout rien : ceux qui contestaient l'authenticité des procès verbaux, contesteront l’authenticité des enregistrements. De qualité médiocre, ils sont quasi inaudibles et toute « pause » ou tout « arrêt » dans l’enregistrement sera source de doute (« c’est pendant l’arrêt d’enregistrement que le Juge m’a torturé, m’a extorqué un aveu, m’a menacé de ceci ou de cela ».

L’opinion publique pense que la Justice est lente. Alors le politique met la pression sur les magistrats pour clôturer vite les dossiers, quitte à les bâcler.

L’opinion publique n’a pas confiance en sa Justice. Alors le politique met la pression sur les magistrats pour qu’ils communiquent. Ils mènent déjà un rythme infernal pour le traitement de leurs dossiers, je ne sais pas quand ils trouveraient le temps de communiquer.

L’opinion publique accuse les magistrats d’instruire à charge. Je suis témoin que jamais un magistrat ne m’a demandé d’occulter dans mon rapport d’expertise les éléments à décharge, bien au contraire. Je suis témoin que les éléments à décharge trouvés lors de mes travaux d’expertise ont toujours intéressé au plus haut point les magistrats qui me demandaient de développer plus, le tout versé à la procédure comme il se doit.

L’opinion publique croit que les magistrats sont à la merci des experts, car ils subissent leurs rapports sans rien y comprendre. Je suis témoin qu’un très grand nombre de magistrats me harcelait de questions dès la réception de mon rapport pour comprendre ou pour vérifier tel ou tel point. Je suis témoin qu’un très grand nombre de magistrats est venu me voir spécialement pour constater de visu le déroulement et les résultats de l’expertise.

J'atteste que plusieurs Juges m'ont donné leur téléphone portable pour que je leur annonce le résultat des analyses, quelle que soit l'heure de la nuit. J'atteste que plusieurs Juge m'ont dit "y a pas de petites affaires ! vous y mettez les moyens qu'il faut !" Un jour où j’étais ébranlée par la mauvaise foi d’un avocat de la défense qui m’avait malmenée de façon indigne et injuste, le Juge d’Instruction m’a dit « vous savez, madame, vous et moi, nous sommes destinés à recevoir des coups bas dans l’exercice de notre métier. Il faut le savoir et il faut faire avec. Quoi qu’il arrive, nous devons continuer à faire notre travail selon notre conscience ». Ce Juge et beaucoup d’autres m’ont marquée à tout jamais.

J’ai voulu témoigner pour eux. J’ai voulu leur rendre hommage. J’ai voulu leur dire mon soutien. J’ai voulu leur dire tout le respect que je porte à leur travail. J’ai voulu leur dire mon admiration.

Je parle des magistrats instructeurs, de leurs greffiers, et des magistrats du Parquet, c'est à dire ceux que j'ai côtoyés au quotidien. Mon soutien s'étend à tous les magistrats et à tous leurs colaborateurs.

Quand je n'étais pas magistrat…

Par Drôle de Drame, magistrat


Oui, car figurez vous que je ne suis pas née magistrat. J'ai même fait un autre métier avant. Pas de magistrat dans ma famille, même pas mon conjoint.

J'écris cela car, à lire divers commentaires sur internet, je constate que nous sommes perçus comme "une caste", "corporatistes", "tous les mêmes", "endogames", et pourquoi pas des "petits pois", tant qu'on y est ? Alors, avant, je n'étais pas magistrat, et, jeune, pleine de fougue, utopiste, je croyais dur comme fer que les magistrats étaient une classe bourgeoise, des gens soumis au pouvoir (de droite, bien entendu), conservateurs, attachés à leurs privilèges, peu humains... Mon père, lui, pensait qu'ils étaient tous gauchistes, payés à rien faire, et surtout à faire ce qu'ils voulaient, au mépris des lois votées. La preuve, ils l'avaient débouté de sa demande contre un locataire et condamné aux dépens ! C'est donc bien qu'ils étaient contre les propriétaires et pour les locataires.

Et puis j'ai grandit, j'ai fait du droit, j'ai compris que la justice, ça ne devait pas être aussi simple. J'ai fait aussi de l'économie et j'ai vu que le budget de la justice était particulièrement ridicule.

Mais je n'étais pas encore magistrat. Je continuais quand même à penser que, probablement, certains ne faisaient pas bien leur métier, avaient envie de condamner les jardiniers marocains parce que c'était bien d'avoir un coupable sous la main et moins fatiguant que de vouloir en chercher un autre. Mon oncle, condamné pour une conduite en état d'alcoolémie, me dit pourtant que les magistrats sont racistes, la preuve il condamnent plus les bons français alcooliques qui conduisent alors qu'ils ont juste un peu bu et ont la malchance de se faire prendre, que les petits voleurs des cités. Et puis, je suis devenue magistrat. Parce que je voulais faire un métier plus varié. J''étais professeur, j'avais bataillé contre un certain Claude Alègre, je me sentais dévalorisée, et j'en avais assez d'annoner la théorie keynésienne ou le droit de la preuve. J'ai gardé de mon ancien métier une indéfectible admiration pour les professeurs car je considère que ce métier est encore plus difficile que le mien. Je suis beaucoup moins fatiguée après une audience, même longue, qu'après 4 heures de cours.

Donc, je suis devenue magistrat. Je n'ai pas beaucoup aimé la scolarité à l'ENM, que j'ai trouvée certes intéressante, mais un peu trop théorique. Je crois que j'aime mieux le terrain. Alors, je me suis régalée lors du stage en juridiction, et j'ai su que j'avais fait le bon choix. J'ai eu des maîtres de stage qui aimaient leur métier, le trouvaient passionnant, trouvaient qu'ils travaillaient beaucoup, sans moyens suffisants, et m'ont donné hâte de prêter serment d'être "un digne et loyal magistrat".

Premier poste, quel vertige, quelle angoisse aussi. J'ai mis quelques mois à trouver mes marques, ne plus m'affoler quand je recevais un coup de fil "Mme le Juge, qu'est ce qu'on fait ?". On a pas toujours les réponses dans les Codes ! Ce métier nécessite un solide sens pratique.

Il faut aussi savoir s'adapter : réforme de l'application des peines, réforme du divorce. Tiens, qui a dit qu'on ne voulait jamais de réformes dans la magistrature ? Si, on veut bien, quand elles sont réfléchies sur la durée, préparées, cohérentes, accompagnées de moyens suffisants. Bon, pour l'application des peines, il y a eu des efforts, mais ça aurait pu être bien mieux.

Les collègues ? Oui, il y a des cons, des hautains, des méprisants, des paresseux, des nuls, des francs mac, des malhonnêtes, des réacs, des idéologues... On en parle, on le déplore car ils nous font du tort, on regrette que les chefs de juridiction ne prennent pas toujours leur responsabilités. Mais ils sont vraiment peu nombreux. J'ai surtout rencontré des gens humains, à l'écoute, altruistes, intelligents, cultivés, drôles, voire tout ça à la fois. Des bon juristes aussi ! Cela va de soit, mais je pense que parfois, certains commentaires perdent de vue que pour être magistrat, il faut avant tout faire du droit, appliquer la loi au cas soumis.

Ce que j'aime le plus dans ce métier, c'est me dire que chaque jour, j'en ai appris un peu plus, soit sur le droit, soit sur la nature humaine. C'est certainement cela le plus passionnant. J'ai aussi développé une capacité d'écoute et de compréhension de plus en plus grande, je me suis enrichie. Je suis certainement moins naïve aussi, plus méfiante.

Ce que j'ai appris aussi, c'est qu'il y a loin entre la réalité d'un dossier et ce qui en est dit, ce que l'on en croit dans l'opinion publique. Je travaille actuellement sur une affaire assez médiatisée localement, et je suis sidérée de l'écart entre la réalité du dossier, ce que j'en lis dans les journaux, et ce que m'en disent les gens. J'ai appris qu'un juge, ça rend un non lieu, ça relaxe ou ça acquitte parce qu'il n'y a pas suffisamment d'éléments dans le dossier, et que ça renvoie ou ça condamne .... parce qu'il y en a !

Ce qui est dur, c'est toutes ces questions, ces doutes, cette impression parfois d'être sur des sables mouvants. Je viens de recevoir une victime de viol, lequel est totalement nié par l'auteur. Et je me dis qu'ils sont bien malins ceux qui, derrière leur clavier, savent ce que devait faire mon collègue Burgaud.

Alors, quand est ce que tout ça s'est gâté ?

Il y a eu "le juge doit payer", l'empilement de modifications incohérentes, les réactions très émotionnelles à certains faits divers, la mise en cause de ces irresponsables, tantôt trop laxistes, tantôt trop prompts à embastiller.

Nous aussi, nous sommes dans la société, nous pouvons imaginer ce que ressent une victime. Je n'ai jamais oublié ce jeune homme qui avait une mise à l'épreuve pour agression sexuelle, que j'ai suivi strictement car je le sentais dangereux, que j'ai reçu pour lui rappeler ses obligations et qui quelques jours après a violé. Peut être qu'elle m'en veut cette victime, de ne pas avoir révoqué la mise à l'épreuve au premier incident (il n'était pas allé chez le psychiatre et chez le conseiller d'insertion). Pourtant, j'ai beau y réfléchir, je ne vois pas comment j'aurais pu traiter le dossier autrement.

Ce que je n'aime pas, c'est cette charge de travail parfois démente (je me suis surprise à dire à une collègue que je n'étais pas si mécontente de la mutation prochaine de mon conjoint car j'aurais plus de temps pour mes dossiers) et qui crée une insatisfaction permanente.

Ce que je déteste depuis quelques années, c'est ce tourbillon de "réformes" qui ne sont que valses hésitations, brouillonnes, incompréhensibles, allant dans tout les sens, au moindre fait divers. Et surtout la défiance envers le juge, dont les peines plancher sont l'exemple. Je n'ai jamais hésité à être sévère, stricte, "mère tape dur" quand il le fallait, mais je pense que je suis à même d'appréhender chaque situation, sans qu'on me dise ce que je dois faire.

Mme Dati ? Je crois qu'elle n'est que le symptome le plus voyant de cet emballement politique, toujours plus irréfléchi, toujours plus spectaculaire. Les caisses sont vides, on ne peut pas faire, alors faisons croire qu'on fait. Et tant pis pour les dégâts collatéraux, la justice bafouée, et la démocratie en danger. Et tant pis pour les détenus. Le plus grand hôpital psychiatrique de France, ce sont les établissement pénitentiaires désormais.

La personnalité de Mme Dati ? Je me fiche de ses origines, de ses robes, de sa vie privée. Personne en juridiction ne lui en veut pour ce qu'elle est. Les réformes de Mme Dati ? ... les réformes .... mais au fait, quelles réformes ? Oui, elles sont où, les réformes en profondeur, issues d'une large et réelle concertation, visant à apporter un changement profond ? Je n'en ai pas encore vu. Qu'on ne me parle pas de la carte judiciaire, qui aurait pu être l'occasion d'un réflexion sur le métier, le recours au judiciaire, le territoire ... et s'est transformée en un vague brouillon, consistant uniquement à supprimer quelques tribunaux, sans vraiment de cohérence.

Je veux bien toutes les réformes, toutes les lois nouvelles, les appliquer, mais que cela ait un sens !

J'ai été trop longue.

J'aurais voulu aussi parler des gens extraordinairement dévoués et intelligents avec qui je travaille ou j'ai travaillé : travailleurs sociaux, surveillants pénitentiaires, greffiers, policiers, gendarmes, avocats ... je dois en oublier.

Je m'amuse encore de ce que me disait mon conjoint sur les magistrats avant de me connaître, de connaître mes collègues, de comprendre notre métier. Alors, je pense souvent à la phrase d'un de mes professeurs : "Avant, j'avais trois théories sur les enfants, maintenant j'ai trois enfants". Je pourrais dire qu'avant, j'avais des idées reçues sur les magistrats, maintenant, je le suis. Et je voudrais continuer à l'être.

Merci maître Eolas, et désolée du retard.


Post scriptum : Quand j'ai eu fini d'écrire mon message, tout à l'heure, j'ai quitté le palais, plongé dans l'obscurité comme souvent quand je pars, en veillant à ne pas tomber, déséquilibrée par mon gros sac qui contient le dossier que je vais étudier ce week-end. Et je suis passée devant le palais, devant les marches sur lesquelles j'étais avec mes collègues cet après midi. Je me suis rendu compte que j'avais oublié quelquechose : de dire à quel point j'étais fière cet après midi !

Ensuite, j'ai pris le bus, un type défoncé est monté, une bière à la main, je ne sais pas ce qu'il avait pris d'autre. Il s'est assis à côté de moi et il m'a dit "je suis révolté, on est tous des révoltés, hein Madame ?"

Oui.

Qui suis-je ou vais-je et dans quel état j'erre ?

Par Petit Pois, substitut


Depuis huit ans, je suis une petite main de la Justice pénale. Substitut du procureur dans une ville moyenne du sud de la France qui figure régulièrement au bas des hit-parades des villes criminogènes comme on dit dans les gazettes, je tente, à mon petit niveau et avec mes petits moyens d'apporter une réponse à une délinquance de masse que ni moi, ni mes collègues, ni la police, aussi nombreuse et équipée soit elle, n'endiguerons pas. C'est la délinquance de la misère et du malaise social. Eh oui, dans le sud on a du soleil, mais contrairement à ce que chantait Aznavour, la misère n'est pas moins pénible au soleil.

La misère elle est aussi dans mon tribunal, comme dans tous ceux que j'ai fréquentés jusqu'ici : plein comme un oeuf, des cartons d'archives jusque dans les couloirs. Dans les réunions auxquelles j'assiste à la Mairie, à la préfecture, on me demande les coordonnées de mon secrétariat et je suis obligé d'expliquer que ma secrétaire, c'est ma main droite parce qu'il n'y a que le procureur qui a une secrétaire.

Mais ça, ce n'est pas le problème. Quand j'ai passé le concours d'entrée dans la magistrature, le budget de la Justice était déjà parmi les derniers d'Europe et, comme la plupart de mes collègues, je n'ai pas décidé de devenir magistrat pour m'enrichir, simplement pour essayer d'être utile. Utile à ces victimes dont parle si souvent Rachida Dati mais que, contrairement à elle, je croise tous les jours dans les salles d'audience. Utile à la société en essayant de trouver dans l'arsenal législatif les moyens d'éviter que l'auteur d'une infraction en commette une autre. Utile à mon prochain en essayant de contribuer à lui permettre de vivre en sécurité dans la même ville que moi.

Pendant la moitié de ma carrière, j'ai été substitut des mineurs. Parce que c'est usant, qu'il faut beaucoup de patience pour ne pas mettre des claques, aux mineurs parfois, à leurs parents souvent, c'est un contentieux dont les anciens se débarassent souvent au profit des jeunes magistrats. J'ai croisé beaucoup de gamins paumés, laissés à eux même par des parents absents ou inexistants, d'autres qui reproduisaient dans la rue la violence de la maison, quelques uns qui relevaient déjà plus du psy que du juge et beaucoup qui avaient besoin qu'on leur donne un cadre, qu'on jugule une crise d'adolescence.

J'en ai fait envoyer en prison, comme ma collègue de SARREGUEMINES, et je ne le regrette pas parce qu'à un instant T, dans la vie d'un adolescent qui accumule les actes de délinquance c'est quelque chose qui peut avoir un sens. Un sens parce que ce n'était pas une décision prise à la légère. Parce qu'avant de demander qu'on les emprisonne j'avais demandé qu'on les condamne à de la prison avec sursis, le plus souvent avec une mise à l'épreuve, pour qu'on leur donne ce cadre qui leur manquait. je les ai prévenus, d'audience en audience, que, s'ils recommençaient, la prison les attendrait et que je n'hésiterais pas à les y envoyer. Et l'enseignement essentiel de quatre ans au parquet des mineurs, c'est qu'il ne faut jamais avoir de paroles en l'air. Ma ministre n'a pas dû rester assez longtemps au parquet pour retenir cette leçon. Tous ces gamins dont j'ai requis l'emprisonnement, savaient pourquoi je le demandais et s'ils étaient peut être étonnés de s'apercevoir que ça tombait, ils savaient pourquoi ça tombait.

Puis vint l'ère des injonctions paradoxales. Ca a commencé par une loi sur les peines plancher qui ne m'a pas dérangé parce qu'elle permet aussi de déroger au plancher quand la situation l'exigeait, bref de faire du sur mesure éclairé et pas du prêt-à-condamner aveugle. Alors, légaliste, j'ai appliqué cette loi, TOUTE cette Loi. Puis on a commencé à fliquer l'application des peines plancher, à nous faire remplir une fiche pour chaque condamnation pour alimenter les stastistiques du Ministère. Sur cette fiche, il n'y avait pas de case pour expliquer pourquoi il était juste, et parfaitement légal, de prononcer une peine inférieure au plancher en raison des faits ou de la personnalité de l'auteur. Parce qu'il faut vous dire que, tant qu'ils ne se suicident pas, les mineurs (et les majeurs) dans les prisons, place Vendôme on s'en contre fiche. Ce ne sont que des statistiques.

Comme ces statistiques étaient trop hautes, et que nos prisons sont dans le même état d'indigence et d'indécence que nos palais de Justice, on nous a ensuite vanté les mérites des alternatives à l'incarcération... Magnifique mais pour ça il faut des hommes pour suivre les condamnés en semi-liberté, des bracelets électroniques qui coutent cher, quand ils marchent. Et malgré tout son entregent, notre ministre n'a pas réussi à faire réaliser ce genre de bracelets chez Dior.

A côté de ça, la police de terrain, avec laquelle les magistrats du parquet travaillent tous les jours, est démotivée parce qu'au ministère de l'intérieur, on ne raisonne aussi qu'en statistiques et que pour être bien vu, un commissaire préfère 15 arrestations de petits dealers, qui sont remplacés le lendemain, parce que c'est facile et rapide. Tandis qu'enquêter pour identifier les réseaux qui alimentent ces dealers depuis l'étranger, ça demande du temps et des moyens et que le gros dealer, dans les stats, il compte autant que le petit.

Moralité : substituts de base et flics de base deviennent désabusés parce qu'on ne leur donne pas les moyens humains, matériels et juridiques de faire appliquer efficacement la Loi.

Et quand, en plus, on convoque et traite comme une... (ne soyons pas aussi vulgaire que ceux qui nous gouvernent) une substitut de base qui n'a fait qu'appliquer la Loi à la lettre , je craque.

Je sais que Napoléon a organisé les parquets comme il organisait son armée : en pyramide avec un seul chef en haut. Mais quand le chef est atteint de schyzophrénie, donne ordres et contre-ordres à des troupes qu'il méprise profondément, il ne faut pas qu'il s'étonne de provoquer un grand désordre.

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