Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 12 janvier 2009

Quelques bonnes raisons de supprimer le juge d'instruction (2) - séparer l'usage du pouvoir coercitif de la contrainte

Par Paxatagore


Je poursuis timidement mon propos (cf. mon billet d'hier) en examinant un autre thème.

Dans notre pratique actuelle, celui qui détient le pouvoir de contrainte est, grosso modo, celui qui enquête. L'OPJ qui place en garde en vue est celui qui réalise l'enquête. La garde à vue est contrôlée par le magistrat qui est en charge de l'enquête (procureur de la République ou juge d'instruction). Il en va de même pour les perquisitions, les réquisitions, les écoutes téléphoniques, les mandats, etc. Toutes décisions pour lesquelles celui qui ordonne doit, ou devrait, mettre en balance l'intérêt qu'il peut attendre de la mesure envisagée, d'une part, et le désagrément qu'il représente pour la personne qui est contrainte, ses droits, ses libertés. Ce contrôle, à vrai dire, n'est jamais réellement fait. De là vient qu'on place facilement en garde à vue, qu'on perquisitionne à tout va, qu'on pratique des écoutes téléphoniques... De là vient surtout qu'il n'y a aucune doctrine jurisprudentielle sur la proportionnalité entre mesure de contrainte et intérêt de l'enquête.

Soyons honnêtes à ce sujet. Évitons de sortir les grands arguments de principes. Si la police place les gens en garde à vue, c'est pas pour leur offrir des droits pendant le temps où on va les interroger. C'est pour les interroger tranquillement en faisant usage d'une dose raisonnable de pression (notez bien que ce n'est pas une critique de ma part). Etc.

Le raisonnement de la proportionnalité entre la fin et les moyens est même parfois difficile à tenir. En matière de détention provisoire, par exemple, où le sacro-saint principe de présomption d'innocence se heurte à toute argumentaire raisonnable sur la question. Je préférerai qu'on évacue cette dimension mystique de la présomption d'innocence et qu'on demande clairement au juge d'arbitrer entre la probabilité qu'une personne soit coupable et la gravité des faits qui lui sont imputés.

Notre système français repose entièrement sur cette confusion, le même individu (OPJ, procureur, juge d'instruction...) devant faire une balance entre des intérêts contradictoires. Plus exactement, entre certains intérêts qui sont le principe même de son action, ceux sur lesquels il est évalué par ses chefs (la résolution des affaires, la sortie des dossiers...) et des intérêts qui sont de grands principes qui ne donnent lieu à aucune évaluation concrète. Autant dire que tout repose sur la conscience individuelle. Heureusement, notre culture judiciaire n'est pas trop répressive. Mais il me semble qu'un système qui repose exclusivement sur la bonne volonté de ceux qui le servent n'est pas idéal.

Je préfère donc imaginer un système où les mesures coercitives seraient confiées à un juge - je l'appelle le juge de l'enquête préliminaire. Sollicitées par le procureur ou les avocats, il pourrait autoriser les perquisitions, les écoutes téléphoniques, prononcer les contrôle judiciaire ou les placement en détention provisoire, ou encore délivrer des mandats. Donnons lui des principes : qu'il mette en balance, dans chaque décision, l'intérêt que représente la résolution de l'affaire, d'une part, la contrainte qu'elle représente pour les personnes concernées, de l'autre. Qu'il donne la priorité aux mesures les moins coercitives. Certaines décisions seraient prises, par nature, hors de tout débat contradictoire (les écoutes téléphoniques), d'autres, par nature, après un tel débat (la détention provisoire).

Ainsi, on sépare clairement deux fonctions distinctes et, je l'espère, les libertés seraient mieux protégées. Les enquêtes n'en seront pas mieux menées, il faut être très clair à ce sujet : il est même probable qu'elles seront moins parfaites.

C'est aussi parce que nous (juges) sommes très laxistes avec la liberté des autres qu'on a pu se laisser se développer une justice si pauvre. Qu'on cesse de maintenir les suspects en détention provisoire plus de 3 mois, un délai parfaitement raisonnable pour réaliser l'essentiel des investigations dans la quasi totalité des dossiers criminels, pour peu que l'Etat mette les moyens. Et peut-être qu'alors on consentira à mettre un peu d'argent pour payer nos experts à leur juste valeur et on consentira à réorganiser le fonctionnement de la police de façon à ce que les affaires soient traitées rapidement même après la garde à vue.

Cela nous emmène à mon troisième argument : supprimer le juge d'instruction pour mettre fin à la dualité des modes d'enquête.

dimanche 11 janvier 2009

Quelques bonnes raisons de supprimer le juge d'instruction (1) - professionnaliser la direction d'enquête

Par Paxatagore


J'avoue : moi aussi, j'ai été juge d'instruction. Plusieurs années même. Moi aussi, j'ai mis des gens en examen, j'ai demandé que certains d'entre eux soient placés en détention provisoire. J'assume.

Qu'on me pardonne de ne pas maudire ce que je fus : j'ai adoré cette fonction, qui m'a donné beaucoup de plaisir professionnel. Mais le grand plaisir qu'elle m'a apporté n'est pas une justification suffisante pour la maintenir. De telles raisons existent et Maître Eolas en a listé un certain nombre. Je vais même dire quelque chose qui peut apparaître comme incohérent avec la suite de mon billet mais il me semble que le juge d'instruction fonctionne globalement bien rapport à son objectif premier (contribuer à réduire la délinquance) et pas trop mal par rapport à la défense des droits des différentes parties. C'est une institution peu onéreuse pour la société et cependant très efficace. La supprimer sans y avoir sérieusement réfléchi est hasardeux.

Mais pourtant, je crois qu'il existe bonnes raisons aussi de souhaiter la suppression du juge d'instruction. Des raisons qui dessinent, en creux, ce que j'attends de la réforme et ce qui me déplairait. Aujourd'hui, j'aimerai parler de la professionnalisation de l'enquête et de la direction d'enquête.

Il y a longtemps, disons en gros avant les années 1850, il n'y avait pas d'enquêteur policier, il n'y avait que des magistrats. C'étaient des magistrats qui faisaient les enquêtes importantes. Puis, devant l'augmentation de la délinquance, la police - au départ créée pour surveiller la population et non pour traquer les auteurs d'infractions - a fini par développer une vraie compétence en la matière. Au début du XXe siècle, Clémenceau a ainsi créé les "brigades du tigre", les ancêtres de l'actuelle police judiciaire : un corps de policier entièrement tourné vers le travail judiciaire, c'est-à-dire la recherche des auteurs d'infractions pénales et des preuves. Progressivement, les magistrats ont été cantonnés dans un rôle de "direction d'enquête", c'est-à-dire qu'ils donnaient des instructions à des enquêteurs qui faisaient, eux, le vrai travail d'enquête. Les juges d'instruction ont continué à avoir une petite importance comme enquêteurs, au moins pour les auditions et les interrogatoires, et, dans une certaine mesure pour les perquisitions. La police nationale a "rafflé" l'essentiel de ce qui fait une enquête moderne : les fichiers, les capacités à mener des écoutes téléphoniques...

Le problème, c'est que l'enquête, chez nous magistrats, reste un savoir faire artisanal et individuel. Pour avoir suivi la formation de l'ENM, je l'affirme : les magistrats ne sont pas sérieusement formés à la direction de l'enquête. Nous sommes vaguement formés à la technique de l'interrogatoire, mais c'est tout. Certains juges d'instruction sont de très bons directeurs d'enquête : c'est grâce à leur personnalité, à leur expérience. Pas à leur formation, pas au fonctionnement du système.

La police a une vision bien plus professionnelle de l'enquête (mais je crains qu'elle soit en train de la perdre). D'abord, une organisation en groupe, qui permet de confronter les points de vue, de balayer tous les aspects d'un problème. Ensuite, une organisation hiérarchique qui permet de valider les options choisies ou de trancher en cas de conflits. Enfin, une capacité à mettre en œuvre, en fonction des moments, des moyens plus ou moins importants sur une enquête donnée (ainsi, pour une enquête sur un trafic de stupéfiants, un groupe de quelques agents va faire un travail préparatoire, dépouiller des relevés téléphoniques, faire des filatures... Puis, au moment des interpellations, c'est tout le service qui va venir sur l'enquête, le temps de 4 jours).

Que manque-t-il à la police ? Deux choses. L'expérience du débat judiciaire et, parfois, la culture du doute.

- L'expérience du débat judiciaire, c'est la plus value du magistrat du parquet (ou du juge d'instruction) sur le fonctionnaire de police même le plus gradé. Avec un peu d'expérience (car là non plus, point de formation), il a quelques idées sur les arguments que la défense va produire et donc aiguiller le travail de la police sur ces points. Il sait aussi ce que les juges du siège vont attendre comme informations, comme preuves, et, là encore, il va demander ces éléments à la police.

- La culture du doute manque parfois à celui qui édifie l'accusation. C'est d'autant plus vrai que celui-ci a d'autres objectifs en vue. Le policier, souvent, a aussi l'ordre public en ligne de mire (il me semble, par expérience, que la culture du doute est plus forte dans les services de PJ, qui n'ont pas de rôle en matière d'ordre public, que dans les commissariats, qui ont un double rôle : maintenir l'ordre et faire des enquêtes). Le procureur aussi, d'une certaines façons. Le juge d'instruction est souvent vu comme plus objectif puisqu'il n'a pas d'autre intérêt à défendre que celui de la manifestation de la vérité. Plus on s'éloigne de l'enquête, plus on est enclin à en voir les failles, c'est naturel. La police a, par nature, un moyen d'y remédier : le contrôle hiérarchique. Malheureusement, ce contrôle joue de moins en moins.

Pour moi, une vision professionnelle de l'enquête implique une responsabilité des enquêteurs. Une enquête ratée, bâclée, mal faite, peut logiquement entraîner la responsabilité de ses auteurs. La société est en droit d'attendre que leur responsabilité soit mise en jeu, dès lors à tout le moins que les pouvoirs publics s'engagent réellement dans une logique de professionnalisation de l'enquête - on en est loin, me semble-t-il, tellement on est obnubilé par cette idée que chaque enquête est différente.

Le directeur d'enquête doit pouvoir être responsable et cela, à mon sens, n'est pas compatible avec l'idée qu'il s'agisse d'un magistrat du siège. Il doit avoir une compétence technique professionnelle et cela, à mon sens, n'est pas vraiment compatible avec l'idée qu'il s'agisse d'un magistrat du siège (auquel on demande déjà une grande maîtrise du droit et d'autres qualités professionnelles par ailleurs : à chacun suffit sa peine).

En toile de fonds, on devine ce que je souhaite (et les conditions qui me paraissent nécessaires à la suppression du juge d'instruction) : - un parquet, qui reçoive une formation spécialisée dans la direction de l'enquête, qui soit clairement séparé des magistrats du siège et dont les membres pourraient voir leur responsabilité engagée s'ils ne dirigent pas convenablement les enquêtes. Un parquet qui soit organisé sur un mode hiérarchique (un procureur / des substituts). - une police judiciaire renforcée dans cette même logique de professionnalisation et de valorisation du travail judiciaire - mais c'est la voie inverse que suit actuellement le ministère de l'intérieur.

C'est, à mon sens, un gage en terme de qualités d'enquête.

On me dira que le juge d'instruction pourrait assurer cette qualité. Bien sur. Dans les faits, il l'assure, généralement. Pour les enquêtes dont il est saisi. Il n'en reste que 5%. Pensons aux 95% restants : ça sera mon prochain billet.

vendredi 9 janvier 2009

Premières réflexions sur la suppression annoncée du juge d'instruction


« Mais depuis longtemps quelques citoyens, supportant ceci avec peine, murmuraient contre moi, secouant silencieusement leurs têtes ; et ils ne courbaient point le cou sous le joug, comme il convient, et ils n'obéissaient point à mon commandement. »

Créon.

«Beaucoup de choses sont admirables, mais rien n'est plus admirable que l'homme. »
Le Chœur.

Sophocle, Antigone (traduction de Leconte de Lisle)




Ainsi, Antigone a obtenu de Créon le droit d'enterrer le juge d'instruction. Je considère la chose comme acquise, car elle est inéluctable. Le président de la République l'a annoncé, en personne, devant la cour de cassation en entier. Il ne peut se dédire sans perdre la face ou pire, donner l'impression de céder.

Mais m'étant régulièrement trompé sur ce blog, cette certitude affichée est peut-être le meilleur espoir des magistrats instructeurs.

Il est d'usage lors du décès d'un personnage important de faire une notice nécrologique. Rappelons donc ce qu'est encore le juge d'instruction, pour un certain temps encore.

Requiescat in Pace, judex cogniti

Rappelons que le corps des magistrats se divise en deux parties : le siège et le parquet.

Le siège, ou magistrature assise, ce sont les juges. Ils sont indépendants, doivent être impartiaux, doivent statuer sur tout ce dont ils sont saisis et qui relève de leurs attributions (on parle de compétence), mais n'ont absolument pas le droit de statuer sur le reste. C'est un principe essentiel, fondamental : le pouvoir du juge est limité à ce qu'il a le pouvoir de juger ET qu'on lui a régulièrement demander de juger. Ces bornes délimitent son espace de liberté qu'on appelle la saisine.

Le parquet est autorité de poursuite : il a le pouvoir de saisir le juge compétent de toute question intéressant l'ordre public, que ce soit la validité d'un mariage, on l'a vu récemment, ou naturellement de tout fait constituant une infraction. Il est de ce fait hiérarchiquement soumis au Garde des Sceaux, en charge de la mise en place de la politique pénale du gouvernement. Il a à sa disposition la police judiciaire (terme entendu ici au sens large, qui ne recouvre qu'une partie de la police nationale — essentiellement la DCPJ— et inclut une partie de la gendarmerie : les CRS sont des policiers mais ne font pas de police judiciaire). Pour la plupart des dossiers, de l'ordre de 95% d'après les statistiques du ministère de la justice, cette enquête de police, dont l'avocat est soigneusement tenu éloigné, suffit au parquet pour constituer un dossier assez solide pour être soumis à un tribunal. Avec parfois à la clef des mauvaises surprises à l'audience.

Reste les 5%, qui sont en principe les dossiers les plus complexes ou les plus graves, exception faite de quelques dossiers égarés par là[1], sur lesquels je reviendrai. Quand l'enquête de police montre ses limites, ou que des suspects ont été identifiés et doivent être tenus sous contrainte à disposition de la justice (que ce soit en détention ou en liberté surveillée, qu'on appelle contrôle judiciaire) alors que les investigations ne sont pas terminées, on entre dans le domaine du juge d'instruction. Des mesures d'enquête et de sûreté doivent être prises, et leur gravité est telle qu'elle ne peuvent être prises que par un juge. Ajoutons que dans une hypothèse, le recours au juge d'instruction est obligatoire : ce sont les faits qualifiés de crime, et jugés par la cour d'assises. La procédure devant la cour d'assises est orale, et la cour se compose d'un jury populaire de neuf ( ou douze en appel) citoyens tirés au sort, qui ne sont pas pour la plupart juristes. Il est impératif au préalable d'éclaircir toutes les zones d'ombre et régler les questions techniques juridiques pour que les débats portent uniquement sur les faits et la personnalité de l'accusé.

La solution napoléonienne sera la création du juge d'instruction, juge enquêteur, enquêteur (il doit rechercher la vérité) et juge (en tant que tel, impartial). Cette contradiction, qui, nous le verrons n'est qu'apparente, est un des principaux reproches adressés au juge d'instruction, et le président de la République n'a pas manqué de le formuler dans son discours.

Verbatim

Pour me faire une opinion sur la réforme annoncée, j'attendais le discours du président. J'avoue que je suis resté sur ma faim.

Je navigue en effet entre des courageuses banalités (« Je ne crains pas de le dire, la justice prend toute sa part dans la lutte contre l'insécurité. ») et des décisions en contradiction avec le diagnostic : «…ce n'est pas l'action des juges qui est en cause mais l'inadaptation et la lourdeur des textes qu'on leur demande d'appliquer. N'est-il pas d'ailleurs de règle générale qu'il n'est de bons juges qu'avec de bonnes lois ? Or, le nombre de modifications du code de procédure pénale, près de 20 réformes depuis 20 ans, marque que l'on n’a manifestement pas encore trouvé l’équilibre nécessaire.» ; donc que va-t-on faire ? Une nouvelle réforme. : «C’est la raison pour laquelle avec le Premier Ministre nous avons confié une mission très ambitieuse à la commission présidée par Philippe Léger,(…)». Mission tellement ambitieuse que le président ne laisse à personne d'autre le soin de décider ce qu'elle va décider : «Je souhaite aujourd'hui vous dire quelles sont, à mon sens, les lignes directrices de cette réforme qui devra être engagée dès cette année.» Messieurs de la commission, à bon entendeur….

Et quand enfin on semble s'aventurer sur le terrain du concret, le sol se dérobe vite sous les pieds. On croit comprendre du discours que :

— Le juge d'instruction deviendra juge de l'instruction, et ne dirigera plus l'enquête. Mais alors qui ?
— Le secret de l'instruction et la mise en examen vont disparaître au profit d'une audience publique et contradictoire sur les charges. Je croyais que ça existait déjà et que ça s'appelait le procès.
— L'avocat pourra en contrepartie intervenir dès le stade de l'enquête policière. Voilà une carotte qui fait frétiller l'âne que je suis.
— Les règles en matière de détention provisoire seront simplifiées ; comprendre, on va la faciliter. Elle sera ordonnée publiquement par une juridiction collégiale, un tribunal des libertés et de la détention, en quelque sorte.
— Les libertés individuelles seront mieux garanties, mais demain.
— On ne reviendra pas sur l'abolition de la torture par Miromesnil.
— Antigone, c'est mieux que la Princesse de Clèves.

Dès lors, je suis bien en peine de dire si j'approuve ou désapprouve cette réforme. Je sais ce qu'on me retire : un juge impartial et indépendant ; je ne sais pas ce que j'y gagne si ce n'est la promesse d'un progrès des droits de la défense, dont je me réjouis, mais pour cela, point n'est besoin de supprimer le juge d'instruction.

Néanmoins, d'ores et déjà, des observations peuvent être faites sur les divers arguments soulevés dans l'arrêt de mort du juge d'instruction.

Évacuons d'abord les clichés, ça fera de la place.

L'homme le plus modérément puissant de France

C'est une tarte à la crème que de dire que le juge d'instruction est l'homme le plus puissant de France. Ces propos sont attribués à Balzac ou à Napoléon, je n'ai pas retrouvé la source. Il l'était peut-être jusqu'en 1897, quand il instruisait seul et secrètement sans que l'inculpé ait droit à un avocat ni même accès au dossier (art. 91 du Code de justice criminel ancien) et mettait en détention provisoire quasi discrétionnairement. Mais à l'époque, les instructions criminelles duraient quelques mois : rappelons que dans l'affaire Seznec, les faits ont eu lieu le 25 mai 1923, Seznec a été inculpé le 7 juillet 1923, renvoyé devant les assises le 18 août 1924 et jugé du 24 octobre au 4 novembre 1924. De tels délais font rêver aujourd'hui, mais il est vrai qu'une partie du prix était le sacrifice des droits de la défense.

Le juge d'instruction n'est plus depuis longtemps l'homme le plus puissant de France. Je tremble moins devant un juge d'instruction que devant un tribunal correctionnel à juge unique, surtout s'il est saisi de faits commis en récidive. Quasiment chacun de ses actes d'instruction peut être contesté par les parties devant la chambre de l'instruction (selon des modalités variables, il y aurait un sacré boulot de simplification ici). On peut le saisir de demandes auxquelles il est tenu de répondre, parfois à bref délai, notamment pour les remises en liberté (cinq jours). Le pouvoir de placer en détention lui a été retiré par la loi du 15 juin 2000. La défense a des droits dans le cabinet des juges d'instruction. Encore faut-il les connaître et les utiliser.

L'impossible contradiction ?

La schizophrénie qui lui est reprochée, et le vocabulaire psychiatrique utilisé à l'encontre de juges du siège n'est, contrairement à mes clients, jamais innocent, est aussi un cliché issu d'une mauvaise compréhension.

Le code dit cette célèbre phrase : le juge d'instruction instruit à charge et à décharge (art. 81 du CPP). C'est une figure obligée pour les avocats médiocres qui ont un micro sous le nez que de s'exclamer que le juge n'instruit qu'à charge. Ça ne mange pas de pain et ça ne sera pas coupé au montage, car c'est court, c'est choc et ça fait juridique. La contradiction des termes n'est qu'apparente. Cela signifie que le juge d'instruction est impartial et doit rechercher la vérité et non la preuve de la culpabilité (quitte à finir par rendre un non lieu faute d'avoir pu identifier le coupable). De fait, concrètement, quand un juge ordonne un acte d'instruction, il ignore si cet acte va être à charge ou à décharge avant d'en connaître le résultat. Par exemple : une personne est suspectée de meurtre. On a retrouvé sur les lieux de l'ADN pouvant être au meurtrier, et le suspect prétend avoir un alibi. Le juge va tout naturellement mettre en examen le suspect, ordonner que les empreintes génétiques de celui-ci soient comparées à celles trouvées sur les lieux et faire interroger la personne servant d'alibi au suspect. Est-ce un acte à charge ou à décharge ? Dame ! Ça dépend : si les empreintes correspondent et que l'alibi s'écroule, il sera à charge. Si l'alibi est solide, et que les empreintes ne correspondent pas, il sera à décharge. Dans les deux cas, il sera valable, le parquet ne pourrait pas en demander l'annulation au motif qu'il ne va pas dans le sens de la culpabilité : l'article 81 l'interdit. De même qu'il interdit au juge de refuser d'accomplir un acte au motif qu'il viserait à démontrer l'innocence du mis en examen. Il ne peut le faire que s'il estime que cet acte n'apporterait rien à la manifestation de la vérité.

Bien sûr, nous sommes tous un jour ou l'autre confrontés à un juge d'instruction enfermé dans ses convictions, qui dès la première comparution a du mal à cacher sa certitude de la culpabilité de notre client. C'est une catastrophe contre laquelle nous sommes largement démunis, les actions pour faire dessaisir un tel juge sont rarement couronnés de succès pour peu que le juge sache sauvegarder les apparences. Il faut vraiment une manifestation de partialité dont on puisse rapporter la preuve, et faire acter par le greffier tel propos tenu par le juge n'est pas toujours facile : même si le greffier est indépendant du juge, ils travaillent ensemble, dans le même bureau, tous les jours, pendant des mois voire des années, tandis que l'avocat ne fait que passer ; quant aux conclusions de donner acte (art. 120 du CPP), nous en sommes les rédacteurs : lors d'une procédure de suspicion légitime (art.662 du CPP), de renvoi dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice (art. 665 du CPP) ou de récusation (art. 668 du CPP), on a beau jeu de nous répliquer que nous nous sommes constitués nous-même la preuve de ce que nous alléguons. Quant au changement de juge par la chambre de l'instruction, elle ne peut être ordonnée (et ce n'est qu'une faculté) que dans certaines circonstances : annulation d'un acte, ou infirmation d'une ordonnance notamment. Ce n'est que l'inaction prolongée d'un juge d'instruction qui aboutit de droit à son désaisissement, mais pas une activité biaisée. Ajoutons que demander le désaisissement de juge et ne pas l'obtenir, c'est la garantie pour la suite de l'instruction d'une ambiance qui ferait passer le climat actuel pour tropical.

En tout état de cause, ces hypothèses, heureusement fort rares mais qui peuvent faire tant de dégâts quand le mis en examen est innocent (c'est du vécu) ne justifient pas par elles-même la suppression du juge d'instruction. Car celui qui le remplacera (un procureur de l'instruction ?) peut donner dans le même travers, puisque ces futurs procureurs de l'instruction seront pour la plupart d'anciens juges d'instruction.

Le problème aurait pu utilement être traité en assurant une vraie procédure de contestation du juge d'instruction, juridictionnelle, contradictoire et publique, comme le suggère mon confrère François Saint-Pierre dans son indispensable Guide de la Défense Pénale[2] (Ed. Dalloz). C'est finalement une autre solution qui a été retenue, la collégialité, j'y reviendrai.

Le juge d'instruction, star malgré lui ?

Le juge d'instruction est devenu le symbole de toutes les erreurs et échecs judiciaires. L'affaire d'Outreau restera associée au nom du juge Burgaud, l'affaire Villemin au juge Lambert, celle de Bruay en Artois au juge Pascal. Il est tentant de se dire qu'en supprimant le juge d'instruction, on empêchera de telles catastrophes de se reproduire, comme supprimer les médecins ferait disparaître les erreurs médicales. Une bonne partie de l'opinion publique a entonné cette chanson, si on en croit les sites des journaux (Cher Anatole, n'allez JAMAIS lire les commentaires des sites de presse : seuls vont s'y réfugier ceux que même les cafés du commerce trouvent insupportables).

Là encore, gare au cliché.

La personnalisation de l'enquête est difficilement évitable. Une affaire criminelle dure deux à quatre ans aujourd'hui. De ce laps de temps, les deux tiers au moins relèvent de l'instruction, le reste de l'attente du procès. Le procès lui même dure généralement deux jours, les affaires les plus complexes pouvant occuper une session de 15 jours, les affaires allant au-delà étant rarissimes (pensons au procès Barbie, qui a duré deux mois, et au procès Papon qui a duré six mois). Pour une affaire correctionnelle, c'est de un à deux ans, les trois quart relevant de l'instruction (estimations validées par l'IMP, l'institut Mondial de la Pifométrie). Et c'est encore pire pour les affaires démesurées, comme l'Angolagate (7 ans d'instruction, 6 mois de procès), ou le crash du Mont Saint-Odile (14 ans d'instruction —en grande partie du au fait qu'à chaque changement de juge d'instruction, il fallait des mois de travail à plein temps son successeur rien que pour se mettre à jour d'un dossier de plusieurs dizaines de milliers de pages—, 7 semaines de procès).

Il y a donc un déséquilibre chronologique entre l'instruction, qui prend l'essentiel du temps judiciaire et est confiée à un juge, et où le principe du secret fait que la presse est à la recherche de fuites et que les informations sont distillées au compte-goutte ; et celui du procès, nécessairement collégial, ou tout est débattu publiquement, mais à un rythme trop soutenu pour que la presse puisse faire un vrai travail de fond et l'opinion publique s'intéresser aux débats. Prenez l'affaire ELF. Tout le monde se souvient d'Éva Joly, et des bottines de Roland Dumas. Qui se souvient que Roland Dumas a finalement été relaxé dans cette affaire ?

De plus, le juge d'instruction a une particularité : c'est la seule juridiction nommée que je connaisse. Si mes clients sont jugés par la 10e chambre du tribunal correctionnel, puis relaxés en appel par la 20e chambre des appels correctionnels, si c'est la 2e section de la cour d'assises qui acquitte mes clients quand la 5e chambre de l'instruction n'a pas annulé l'instruction, si mes clients sont divorcés par le cabinet F du juge aux affaires familiales, que leurs enfants sont placés par le secteur H du juge des enfants, ou vont devant le tribunal d'instance de Framboisy chanter pouilles à leur débiteur, c'est le cabinet de Madame Lulu, ou de monsieur Gascogne qui instruit les dossiers pénaux. C'est marqué tel quel dans l'en tête de leurs ordonnances : « Cour d'appel de Moulinsart, tribunal de grande instance d'Ys, cabinet de Cunégonde Lulu, juge d'instruction ».

Cela concourt à cette forte personnalisation du juge d'instruction. Si j'ai parfois du mal à nommer tel ou tel président devant lequel j'ai plaidé, je me souviens toujours du nom du juge d'instruction, même des années après. Entre confrères, on se dit qu'on va plaider « à la 12e », mais qu'on a aussi une mise en examen chez cette folle de madame Dadouche.

C'est certes une dérive, à laquelle se sont prêtés certains juges, enivrés par ce vedettariat soudain, surtout s'ils exerçaient dans un petit tribunal, ou mis à profit par d'autres lors de l'alliance des juges et des journalistes qui a permis aux affaires des années 90 de sortir.

Le juge d'instruction, responsable mais pas coupable ?

À cause de cette forte exposition (il n'est pas un juge d'instruction qui n'aura son nom cité dans la presse locale au moins une fois), le retour de bâton est inévitable quand le dossier tourne mal pour l'accusation. C'est mérité quand le juge s'est laissé aveuglé par ses convictions erronées, mais parfois, c'est tout simplement injuste.

Ainsi, je parlais du juge Lambert, et de son instruction ratée de l'affaire Villemin. Ce ratage est indéniable, non pas en ce qu'il n'a pas permis l'identification de l'assassin, il y a des affaires insolubles, mais en ce qu'il a accusé du meurtre la mère de l'enfant sur des éléments pour le moins évanescents et a indirectement conduit à la mort de Bernard Laroche, un temps soupçonné du meurtre. Mais qui se souvient du remarquable travail effectué par son successeur, le président Simon, conseiller à la cour d'appel de Dijon, qui y a laissé sa santé jusqu'à mourir prématurément d'un accident cardiaque, et qui a tant fait pour innocenter la mère ?

L'affaire d'Outreau est imputée quasiment exclusivement au juge Burgaud. Qui n'a pas lu que son incompétence manifeste et notoire était établie au-delà de toute discussion par le fait qu'il avait notamment accusé un des mis en examen d'avoir violé un de ses enfants qui n'était pas encore né ? Mais qui sait seulement que le juge Burgaud n'est que le premier de deux juges d'instruction à avoir instruit ce dossier, qu'il ne s'en est occupé que de février 2001 à juillet 2002 (l'instruction a été clôturée en mars 2003) et que cette erreur a en réalité été commise en mars 2003 par le juge d'instruction qui lui a succédé, dont personne ne se souvient du nom, erreur reprise texto des réquisitions du parquet, et rectifiée par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai bien avant le premier procès ? Si le Conseil Supérieur de la magistrature ne prononçait aucune sanction à l'encontre du juge Burgaud (tout comme il a mis le procureur Lesigne hors de cause), qui se souviendra de ce genre de détails ? L'accusation de corporatisme et d'irresponsabilité fleurira immanquablement.

Le juge d'instruction, coupable idéal et bouc émissaire facile pour les politiques qui n'aiment pas qu'on leur vole les micros ? En tout cas, il a rarement droit à une instruction à charge et à décharge. De ce point de vue, les politiques ne réalisent pas combien il leur manquera. Ça sera plus compliqué de se défausser de ces ratages sur un magistrat hiérarchiquement soumis au garde des Sceaux.

Three's company…

L'isolement et la personnalisation du magistrat instructeur posent indiscutablement problème. Mais figurez-vous que le législateur y a apporté une solution : la collégialité de l'instruction. Le juge d'instruction est sur le point d'être remplacé par un collège de trois juges co-saisis. Les jours du juge d'instruction seul sont comptés : la loi du 5 mars 2007, qui se voulait inspirée de l'affaire d'Outreau justement, est déjà votée, et elle entre en vigueur le 1er janvier 2010, le temps de permettre la mise en place de cette réforme considérable.

Autant dire que la réforme annoncée la rend caduque avant même son entrée en vigueur. C'est sympa de trouver des solutions et de les voter, mais leur laisser le temps d'entrer en vigueur, c'est pas idiot non plus. Tellement représentatif de ce qu'est la procédure pénale depuis des décennies. Je vous laisse imaginer l'état d'une discipline ainsi traitée. Ce n'est pas comme si la liberté des citoyens en dépendait directement, vous me direz. Oh. Oups. Je ne sais plus quel grand esprit disait déjà :

« …ce n'est pas l'action des juges qui est en cause mais l'inadaptation et la lourdeur des textes qu'on leur demande d'appliquer. N'est-il pas d'ailleurs de règle générale qu'il n'est de bons juges qu'avec de bonnes lois ? Or, le nombre de modifications du code de procédure pénale, près de 20 réformes depuis 20 ans, marque que l'on n’a manifestement pas encore trouvé l’équilibre nécessaire. », mais c'était pas con.

Je ne suis pas expert, mais je crois que pour trouver l'équilibre, un bon début est d'arrêter de gesticuler.

On sait ce qu'on perd, on ne sait pas ce qu'on gagne.

Une question me vient à l'esprit sur les modalités pratiques. L'instruction en tant que telle pourra difficilement disparaître. Il semble qu'elle soit donc confiée aux procureurs. Soit. Mais quid de la plainte avec constitution de partie civile ? Le droit de saisir le juge appartient en effet à deux personnes : le procureur, et la victime. Actuellement, toujours depuis la loi du 5 mars 2007, la victime doit d'abord porter plainte auprès du procureur (sauf en matière de presse, j'y reviendrai), qui peut soit décider d'ouvrir lui-même une instruction, soit refuser, soit ne rien faire : dans ce dernier cas, au bout de trois mois, la victime peut saisir elle même le doyen des juges d'instruction par une plainte avec constitution de partie civile.

C'est une garantie essentielle, même si elle est susceptible d'abus : la personne qui s'estime victime d'une infraction doit pouvoir saisir le juge, même si le parquet n'est pas intéressé. Elle peut saisir directement le tribunal correctionnel, mais parfois, parce que l'auteur a disparu, est inconnu, ou que les faits sont complexes ou constituent un crime, la voie de l'instruction s'impose.

Problème : si la victime a porté plainte auprès du procureur, et que celui-ci n'a pas donné suite voire a classé la plainte, quand bien même la victime aurait-elle le droit de l'obliger à instruire avec un mécanisme analogue, le parquetier instructeur aura déjà émis une opinion sur le dossier, et on peut supposer qu'il s'y tiendra et traînera les pieds pour instruire. De fait, ce sera à l'avocat de la partie civile de bombarder le procureur instructeur de demandes d'actes et faire appel de ses refus, jusqu'à, de fait, prendre la direction de la procédure. Or ce n'est pas son rôle. En tout état de cause, ce mécanisme ne satisferait pas aux exigences de voir sa cause entendue par un tribunal impartial, protégé par l'article 6 de la CSDH puisque ce passage obligé par une personne qui sera de fait adversaire de la procédure et en charge de l'instruction constituera un obstacle au droit au juge. Ah, vous avez aimé le juge schizophrène qui instruit à charge et à décharge ? Vous adorerez le procureur bipolaire qui charge malgré lui.

J'aurais aimé là-dessus être éclairé sinon rassuré.

Diffame, ♫ I want to live forever ♪

Oui, je sais, il est temps que je termine ce billet, mes titres sombrent comme le moral des juges d'instruction.

Un peu occulté par l'annonce de la disparition du juge d'instruction, un autre point est passé inaperçu. Le président doit enrager car un cadeau pareil fait aux journalistes aurait mérité un peu plus de louanges. Les blogs et la presse étant une fois de plus complémentaires, je m'empresse de réparer cet oubli. Le président a annoncé la dépénalisation de la diffamation simple (pas de la diffamation raciale). Les fesses de M. de Filippis peuvent cesser de trembler, les mandats d'amener, c'est fini, la correctionnelle aussi. Je reviendrai plus longuement dans un autre billet sur les conséquences de cette réforme, qui risque de coûter cher aux journaux. Notre président adore les cadeaux coûteux.

Mais un problème me saute aux yeux. La plainte avec constitution de partie civile joue un rôle très important en matière de diffamation, particulièrement sur internet. Car si la diffamation est commise sur un site anonyme ou par une personne extérieure au site (genre, je ne sais pas, un commentaire sous un article de Libé disant pis que pendre de Xavier Niel ?), le seul moyen pour la victime de la diffamation de retrouver l'auteur et lui demander des comptes est de saisir le juge d'instruction, qui obtiendra du directeur de publication les données de connexion (adresse IP), du fournisseur d'accès internet le nom de l'abonné ayant utilisé cette adresse IP tel jour à telle heure, puis entendra l'abonné en question pour savoir qui utilisait le poste informatique en cause. Dépénaliser la diffamation, c'est fermer la voie de la plainte au pénal, donc d'avoir les moyens d'investigation correspondant. Certes, il est possible de faire soi-même ces démarches à coups de référés de l'article 145 du CPC. Mais le coût pour la victime va monter en flèche.

De fait, la diffamation sur internet sera largement impune, ou réservée aux demandeurs qui en ont les moyens (à propos, comment va Kylie Minogue ?), et les condamnations à venir prendront en compte ces surcoûts. Oubliez l'euro symbolique de dommages-intérêts, la diffamation va être ruineuse. Bref, ce sera tout (une facture exorbitante pour un commentaire rédigé sns réfléchir) ou rien (l'impunité derrière le bouclier économique). Pas sûr que l'égalité républicaine sorte gagnante de cet aspect.

L'herbe est toujours plus verte à côté.

Un dernier point, sur l'argument comparatiste, très apprécié et utilisé à toutes les sauces : le juge d'instruction serait une spécificité française, une incongruité, une bizarrerie en voie de disparition, puisque nos voisins l'ignorent ou l'ont abandonné.

Tout d'abord, je suis toujours étonné de l'enthousiasme avec lequel on défend nos exceptions, culturelles ou autres, avant d'entendre que celle-ci ou celle-là doit disparaître puisque nos voisins font différemment. Cela aboutit généralement à une cote mal taillée, où on importe l'institution, en l'affublant d'un « à la française » ce qui veut dire qu'on l'a tellement défigurée que ce n'est plus qu'un vague ersatz inefficace. Je pense au plaider-coupable à la française, ou à la class-action à la française, dans les cartons depuis des temps immémoriaux.

Ensuite, cet argument est faux. L'Espagne connaît toujours le juge d'instruction et n'a pas l'intention de s'en passer.

Je reviendrai là-dessus dans un prochain billet, où je ferai une brève présentation du système pénal ibère et anglo-saxon, en distinguant celui de Sa Gracieuse Majesté (non, pas Rachida Dati, mamie Windsor) et de la Terre des Libres et Maison des Braves.

De toutes façons, ce sujet va faire couler des octets, on n'a pas fini d'en parler.

Notes

[1] Les dossiers de diffamation et les plaintes avec constitution de partie civile sur des faits mineurs.

[2] § n°611.8.

Sous vos applaudissements

Par Dadouche


On apprend ce matin par une dépêche que les magistrats du Parquet du Tribunal de Grande Instance de NANCY, qui se sont levés comme un seul petit pois avec tous leurs collègues du siège pour applaudir le discours de la Présidente du Tribunal lors de l'audience solennelle de rentrée de cette juridiction, sont convoqués comme un seul bataillon aujourd'hui chez le Procureur de la République Raymond MOREY puis lundi chez le Procureur Général Christian HASSENFRATZ pour s'expliquer sur leur attitude.

Au delà des commentaires faciles (et forcément corporatistes, passéistes et j'en passe) sur la reprise en main des Parquets, une vraie question se pose : ceux qui ont (maigrement m'a-t-on dit) applaudi l'oraison funèbre de l'indépendance de la justice pénale le discours du Président de la République lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de Cassation seront ils convoqués chez la chef des Procureurs (que des dizaines de bagues étincellent à ses doigts de fée) ?

Décidément, en 2009 non plus il ne fait pas bon être magistrat du Parquet dans l'Est...


Edit : d'après des sources bien informées, la question des applaudissements n'a pas été abordée lors de la "réunion" des magistrats du parquet de Nancy ce matin et si le Procureur Général viendra à leur rencontre lundi, c'est pour évoquer le fond de la réforme.
Ce que c'est que les coïncidences quand même...

mercredi 7 janvier 2009

Et bien voilà.

La suppression du juge d'instruction dans le texte. Je ne commenterai pas à chaud, sinon je fais un malheur.

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Il suffit qu'on parte cinq minutes en vacances…

… et c'est le foutoir.

Je reviendrai plus longuement sur l'annonce de la suppression du juge d'instruction. C'est une annonce qui soulève beaucoup de questions, et j'attends des réponses du discours du président de la République devant les Petits-Pois en chef, demain. Un peu de patience, donc. Il va de soi que cette réforme sera suivie au plus près sur ce blog, d'autant que tous mes colocataires magistrats sont ou ont été juges d'instruction, et Fantômette et moi avons une certaine pratique de l'instruction, du côté du mis en examen comme de la victime. Nous sommes à la veille de la plus grande révolution de la procédure pénale depuis un siècle, on ne va pas la laisser passer sans rien dire.

Juste une petite illustration d'un thème qui m'est cher : l'insupportable infantilisation des citoyens par l'État. Alors que la République est un régime de citoyens adultes et majeurs qui désignent certains d'entre eux pour assumer les indispensables fonctions de la Cité, depuis plusieurs décennies, l'État se comporte comme le tuteur de 60 millions d'incapables. La première de ces manifestations est le recours à la comm', l'art de ne rien dire tout en anesthésiant. La seconde est le recours au mensonge plutôt qu'assumer une vérité qui n'a pas forcément quoi que ce soit de honteux, juste par commodité. Qu'on me mente pour cacher une faute, je le comprends, sans le pardonner. Mais me mentir sans raison, je crois que ça m'agace encore plus. Je mettrais dans cette catégorie le mensonge sur la nationalité de Carla Bruni, dont je suis convaincu qu'elle n'est pas française, contrairement à ce qu'elle prétend (si un lecteur du JO papier a vu passer son décretde naturalisation, qu'il me fasse signe : en tout cas elle est inconnue au Service central d'état civil), et dont il est certain qu'elle n'a pas perdu la nationalité italienne, là aussi contrairement à ce qu'elle prétend.

Dernière illustration en date : désormais, on finance sur fonds publics des films qui nous parlent comme à des demeurés. Pour être poli.

Entendons nous bien : une campagne sur ces escroqueries, dites 4-1-9 ou au wash-wash, je le comprends. Aussi incroyable que cela puisse paraître, des gens tout à fait normaux et sains d'esprit sont dupés par ces manœuvres. Mais le faire comme ça ? Vous, je sais pas, mais moi, je me sens insulté.

C'est le ministère de l'intérieur qui nous offre (avec nos impôts) ces chefs d'œuvres de la honte.

Oui, c'est la peluche d'un hibou qui nous délivre la morale de cette histoire : il ne faut pas croire ceux qui nous promettent de gagner plein d'argents facilement et légalement. Sauf s'ils sont candidats à la présidentielle, auquel cas il faut voter pour lui, vous aurez rectifié de vous-même.

mardi 6 janvier 2009

Le juge enfin pendu, dansez Messires!

Par Anatole Turnaround

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lundi 5 janvier 2009

Autoréduction, ou extorsion ?

Cet article est écrit à la demande de Rue89, et est repris sur leur site.


Rue89 fait état d'une nouvelle forme d'action révolutionnaire baptisée "l'autoréduction" qui se manifeste dans des lieux, disons inattendus, puisque c'est aux heures d'ouverture du Monoprix qu'a désormais lieu le Grand Soir. L'article est ici, et sa lecture est recommandée pour la suite des débats.

La rédaction de Rue89 m'a contacté pour me demander l'avis du juriste sur ces opérations. Le bon sens voudrait qu'elles fussent illégales, mais la police, qui a assisté à ces faits, n'est pas intervenue. Et la rhétorique des personnes concernées utilise des termes comme "réduction", "réquisition", affublés toutefois du préfixe auto-, qui veulent exclure toute illégalité.

Voici une excellente occasion de faire du droit sous a forme la plus pure : l'essence du travail de juriste consiste à qualifier, c'est à dire prendre un fait, une situation, et l'analyser sous l'angle juridique pour trouver la qualification adéquate. Ensuite, il ne reste plus qu'à y appliquer les règles de droit en vigueur. N'oubliez pas : le vide juridique n'existe pas. Le droit est partout. Vous êtes cerné. Toute résistance est inutile.

Ce travail est essentiellement celui du juge, qui dit le droit, mais, en droit pénal, celui qui va retenir notre attention, c'est aussi celui du parquet que de proposer une qualification, et de l'avocat de la réfuter pour en proposer une plus conforme sinon au droit du moins aux intérêts de son client. Au juge de trancher.

Voyons tout d'abord les faits. L'ironie n'est pas nécessaire à l'analyse, c'est juste une coquetterie de l'auteur.

¡ Hasta los delicatesssen, siempre !

Ainsi donc, nos révolutionnaires des supermarchés ont le mode opératoire suivant : ils se rendent en nombre dans un magasin, remplissent des chariots de produits de première nécessité comme du saumon fumé et du foie gras (il y a certes aussi de l'huile et des pâtes), et, une fois aux caisses, ils refusent de payer, invoquant cet argument définitif (les italiques sont de moi) :

"C'est une autoréquisition qui est juste en ces temps de crise et qui permet aux précaires de fêter aussi le Nouvel An dignement."

Je retiens de prime abord que les Che Guevara de l'épicerie fine reconnaissent implicitement qu'en dehors des temps de crise, leur action est injuste, et constate avec effroi que vu mon menu de Réveillon, je n'ai pas fêté le Nouvel An dignement selon leurs critères.

L'attroupement crée du désordre, bloque les caisses, ce qui entraîne un manque à gagner immédiat (les clients préférant renoncer à leurs courses et aller voir ailleurs si la révolution y est) jusqu'à ce que la direction du magasin cède et les autorise à partir avec ces produits. Comme le disent eux-même les Picaros des pique-assiettes, cités par Rue89 (je graisse) :

"Treize chariots pleins sont sortis du magasin après des négociations tendues avec une direction qui a logiquement choisi de ne pas prolonger le blocage des caisses (perte de chiffre d’affaires) ou prendre le risque d’une intervention policière dans les rayons."

Cette phrase, issue d'un communiqué rédigée par les auteurs de cette action, nous sera précieuse le moment venu.

Chaussons à présent les lunettes du juriste et tentons de qualifier les faits.

Les violences physiques ayant été évitées (même si, et ça aura son importance, des témoins rapportent que des bousculades ont eu lieu : il y a eu instauration à tout le moins d'un rapport de force), et n'étant en tout état de cause pas l'objet premier de cette opération, si délit il y a eu, c'est donc donc une atteinte aux biens. Mais quelle atteinte ?

Certaines hypothèses sont à écarter.

« L'autoréduction » n'est pas un vol.

Selon l'article 311-1 du Code pénal, le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui. Soustraction : le voleur appréhende la chose d'autrui et se comporte de manière univoque comme le propriétaire, c'est à dire commet un acte que seul le propriétaire pourrait légitimement accomplir. Frauduleuse : le voleur sait que la chose qu'il appréhende n'est pas à lui (peu importe qu'il ne sache pas à qui elle est, du moment qu'il sait qu'elle n'est pas à lui).

Or à l'apparition des grandes surfaces, un défi a été porté aux juristes. Tout au long du XIXe siècle, c'est le modèle traditionnel de la vente qui prévalait. L'acheteur désignait le bien qui l'intéressait, le vendeur la lui remettait contre un paiement du prix. Comme sur les marchés de quartier aujourd'hui encore. Mais selon les règles du Code civil, encore en vigueur à ce jour, et venant directement du droit romain, le transfert de propriété se fait en principe et sauf dérogation contractuellement prévue dès qu'il y a accord sur la chose et sur le prix (article 1583 du Code civil), indépendamment de la remise de la chose.

Avec les grandes surfaces, l'acheteur se saisit lui même de la chose qu'il souhaite acheter, exposée à portée de sa main, et sur laquelle le prix est affiché. Il y a accord sur la chose et sur le prix : il est théoriquement propriétaire de ce qu'il y a dans son chariot. Dès lors, en suivant ce raisonnement juridiquement orthodoxe, s'il franchit les portes sans payer, il ne commet pas de vol car il est propriétaire de ce qu'il emporte ; mais il a simplement une dette envers le magasin. C'est l'argument qui était soulevé par mes confrères de l'époque.

Si cela était arrivé aujourd'hui, les propriétaires de ces magasins auraient crié « vide juridique ! » et obtenu que le parlement vote en catastrophe un texte spécial. Mais nous étions à une autre époque, et le législateur a fait ce qu'il avait de mieux à faire : rien.

Car les juges ont trouvé tout seul la solution, en répondant au droit par le droit.

Ils ont observé comment se déroulait cette nouvelle méthode de vente, à la recherche des indices permettant de comprendre l'opération juridique. Exactement ce que nous sommes en train de faire avec les autoréducteurs.

Ils ont constaté que d'une part, le client pouvait, jusqu'à son passage en caisse, reposer l'objet à sa place (ou, comme c'est à présent la mode, partout sauf à sa place) sans que nul n'y trouve à redire. C'était un premier indice révélant que le transfert de propriété avait été repoussé à plus tard.

D'autre part, l'usage mis en place voulait que lorsqu'un produit fût brisé accidentellement par un client, le magasin ramassât les débris, nettoyât, et sans rien demander au client, le laissât aller chercher un produit identique mais intact. Or si le client était devenu propriétaire, il aurait dû payer le prix de la chose brisée, car le transfert de propriété entraîne transfert du risque de perte de la chose, même par cas fortuit (article 1138 du code civil).

Conclusion juridique du juge observateur (c'est un raisonnement en induction - déduction, pour les étudiants en droit) : tant que le client est dans les rayons du magasin, le transfert de propriété n'a pas encore eu lieu : la détention par lui des produits est précaire. Il peut revenir sur sa volonté d'achat, discrétionnairement et ne supporte pas les risques. Il n'est donc pas encore propriétaire.

À partir de quand se comporte-t-il de manière univoque comme le propriétaire ? La réponse est d'une clarté diaphane : lors du passage en caisse. Ce n'est donc qu'à ce moment qu'a lieu le transfert de propriété, par cette manifestation irrévocable d'acquérir la chose.

Et ce n'est donc qu'à partir de ce moment que le comportement du voleur devient lui aussi univoque et constitue l'appropriation frauduleuse : quand il franchit les caisses en dissimulant des biens pour ne pas les payer, ou qu'il franchit les portes du magasin sans passer par les caisses en étant porteur de choses vendues. Il montre ainsi sa volonté de ne pas acquérir ces choses, et se comporte pourtant comme le propriétaire puisque seul le propriétaire peut les emporter hors du magasin.

C'est pourquoi vous ne pouvez être condamné pour vol pour avoir glissé des articles dans vos poches tant que vous êtes dans les rayons. Il est licite de porter ses emplettes dans ses poches. Même si vous êtes repéré, vous ne serez intercepté qu'une fois franchie la ligne de caisse, car il est désormais certain que vous n'avez nullement l'intention de payer.

Pour en revenir à nos bolchéviques du code barre, ils s'arrêtent aux caisses et manifestent bruyamment leur volonté de ne pas payer. MAIS ils ne franchissent pas la ligne de caisse. Comme le relève leur communiqué, c'est après négociation avec la direction et avec son accord qu'ils sont sortis. Il n'y a donc pas eu appréhension mais remise de la chose par la direction du magasin. Or la remise exclut le vol.

« L'autoréduction » est peut-être un néologisme, mais ce n'est pas un vol.

« L'autoréduction » n'est ni une escroquerie ni un abus de confiance.

L'escroquerie et l'abus de confiance font partie des infractions d'atteinte aux biens avec remise de la chose par son propriétaire. On se rapproche donc de la solution. Mais sans l'avoir trouvée, comme nous allons voir.

L'escroquerie consiste à provoquer la remise de la chose en trompant son propriétaire par une manœuvre frauduleuse qui doit être un minimum élaborée[1] . La victime remet la chose par erreur, mais une erreur provoquée. Elle ne s'est pas trompée, elle a été trompée.

Ici, nulle manœuvre frauduleuse : les autoréducteurs ont clairement affiché leurs intentions : ils ne veulent ni payer ni rendre, et ne partiront que par la force des baïonnettes ou avec leurs paniers garnis. On dira ce qu'on veut sur le procédé, mais au moins il est franc, ce qui exclut l'escroquerie.

L'abus de confiance consiste, pour celui qui s'est vu remettre une chose en vertu d'un contrat sans en devenir propriétaire, à dissiper la chose, c'est à dire de se mettre dans l'incapacité de la rendre quand le contrat l'exige. C'est celui qui loue une voiture et ne la rend pas, c'est le propriétaire qui dépense le dépôt de garantie de son locataire de sorte qu'il ne peut le lui rendre à la fin de la location, c'est celui qui se paye des courses avec la carte bleue de la boîte dont il est le salarié, c'est le banquier qui détourne l'argent des déposants.

Mais dans un supermarché, il y a transfert de propriété, ce qui exclut l'abus de confiance. Entre le rayon et la caisse, le client est détenteur précaire, et pas dépositaire en vertu d'un contrat, et il n'est pas tenu de représenter la chose (en fait, on l'incite même à ne pas la rendre mais à l'acheter), mais d'en payer le prix. Faute de cette obligation de rendre, l'abus de confiance n'est pas applicable.

Est-ce à dire que nos adeptes de l'autopromotion sont couverts de la plus parfaite légalité ?

Nenni.

L'autoréduction est très probablement une extorsion.

L'article 312-1 du code pénal définit l'extorsion comme

le fait d'obtenir par violence, menace de violences ou contrainte soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque.

Il y a là aussi remise volontaire de la chose, mais à la suite d'une forme de violence, physique ou morale. Le racket est de l'extorsion.

Allons, me diront mes lecteurs libertaires : ces sympathiques Robin des bois du rayon frais, de vulgaires racketteurs ?

D'abord, Robin de Locksley, lui, n'a jamais nié qu'il volait aux riches pour donner aux pauvres. Il n'a pas prétendu faire de l'autoredistribution. Voleur, pas faux cul.

Et puis sympathiques, sympathiques, c'est vite dit pour qui sait lire.

Reprenons leur autocommuniqué de presse, que je citais au début (je graisse) :

Treize chariots pleins sont sortis du magasin après des négociations tendues avec une direction qui a logiquement choisi de ne pas prolonger le blocage des caisses (perte de chiffre d’affaires) ou prendre le risque d’une intervention policière dans les rayons.

Les auteurs des faits n'ont guère laissé le choix au directeur du magasin : soit il donnait les denrées, soit son magasin était bloqué indéfiniment avec une perte économique (on était à quelques heures du Réveillon) soit il fallait l'intervention des forces de l'ordre, ce qui entraînait un « risque » pour les « rayons ». On comprend que dans ces conditions, qualifier les « négociations » de « tendues » est un doux euphémisme.

En fait, vous l'aurez compris, de négociations il n'y eut point, c'était : « laisse-nous partir ou on bloque ton magasin, ou appelle la police et on casse tout. » Résumé comme ça, je pense que c'est plus clair. Il me paraît difficile de nier que le directeur n'a remis les biens que sous la contrainte, pour éviter un mal plus grand (une perte financière supérieure à la valeur des biens — 5000 euros d'après les informations de Rue89— ou des dégâts importants dans le magasin : 50 personnes lâchées dans les rayons à jouer à chat perché avec la police). Ce qui constitue l'extorsion.

Et l'état de nécessité ?

Selon le Code pénal :

N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace (article 122-7 du code pénal).

L'état de nécessité consiste donc à commettre un acte illicite pour prévenir un mal plus grand et imminent, que ce soit une autre infraction ou un danger quelconque.

Rappelons l'argumentation des autojusticiers :

"C'est une autoréquisition qui est juste en ces temps de crise et qui permet aux précaires de fêter aussi le Nouvel An dignement."

La jurisprudence est muette sur la question, mais pour fréquenter quelque peu les juges pénaux, je ne pense pas que le danger imminent de passer un Nouvel An de manière non conforme à la tradition gastronomique, ce qui serait une atteinte à la dignité, soit un danger suffisant pour justifier l'extorsion de 13 caddies de victuailles.

J'ajouterai qu'il n'y a jamais d'état de nécessité à s'emparer par la force de produits de luxe comme le saumon fumé ou le foie gras, et ce même un 31 décembre.

L'article relève qu'il y avait aussi des produits de première nécessité (pommes de terre, huile, pâtes). Dont acte. Mais l'état de nécessité suppose que la personne n'ait pu agir autrement que comme elle l'a fait, ou du moins a choisi la solution la moins dommageable pour autrui ou l'ordre public.

Les précaires en question risquaient-ils vraiment de mourir de faim, de manière imminente ? Et nos cinquante autorévolutionnaires n'avaient-ils vraiment pas les moyens, en se cotisant, d'acheter de quoi remplir treize caddies, ou seulement douze, de pâtes, d'huile et de pomme de terre ? Ils étaient 50. Ça fait 100 euros par tête de pipe, et bien moins au Franprix en face (il y a vraiment un Franprix en face du Monoprix en question). Je rappelle à toutes fins que la banque alimentaire collecte chaque année auprès des clients des supermarchés de toute la France, et c'est plus que treize caddies, qu'ils emportent, c'est 11.300 tonnes de nourriture. Et légalement.

Dire qu'aller ainsi se servir dans les magasins est la seule façon de venir en aide à des précaires en danger imminent me paraît quelque peu audacieux

Il me paraît fortement douteux que les personnes réalisant ces actions n'aient absolument pas d'autre moyen de porter secours à des précaires en danger imminent, ce qui seul constituerait l'état de nécessité.

Et la dignité des précaires ?

Franchement, elle a bon dos, en l'espèce. Car à commettre une extorsion pour les nourrir, on les rend coupables de recel. Avec des amis pareils, qui a besoin d'ennemis ?

L'addition, s'il vous plaît.

L'extorsion simple est punie de prison pouvant aller jusqu'à 7 ans et de 100.000 euros d'amende au maximum. Chaque personne ayant participé à l'opération en bloquant les caisses ou en participant à la pression mise sur le directeurs se rend coauteur de l'infraction et est punissable.

J'ajoute, car je lis dans l'article de Rue89, que des actions similaires ont eu lieu partout en France, et que le mode opératoire est à chaque fois le même et réglé comme du papier à musique, que constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions (art. 132-71 du code pénal). Et que l'extorsion en bande organisée, c'est 20 ans et 1.500.000 euros d'amende, avec régime spécial : 96 heures de garde à vue, pas d'avocat avant la 48e heure et la 72e heure.

Je doute que le parquet retienne la qualification criminelle, ne serait-ce que pour éviter les assises, mais juridiquement, elle tient.

Qui a dit que la révolution, même à coup de chariots de supermarché, était sans danger ?


Je profite d'une prépublication de ce billet sur Rue89 pour répondre à certains arguments soulevés par les lecteurs.

► Sophie35 : « Beaucoup d’actions collectives sont à la limite de la légalité, mais c’est parfois le seul moyen de faire progresser les droits sociaux. » Et de citer le droit de grève, et la liberté syndicale.

D'une part, je ne vois pas en quoi piller des supermarchés relève de l'avancée des droits sociaux. D'autre part, les exemples sont mal choisis : le droit de grève est une exception : une grève n'est légale que dans les limites tracées par la loi (mouvement collectif : illicéité de la grève individuelle ; cessation totale du travail : illicéité de la grève perlée ; revendications professionnelles : illicéité de la grève politique), et en dehors de ce cadre peut justifier un licenciement voire une action pénale (le piquet de grève par exemple est une atteinte à la liberté du travail). Les «grèves » des étudiants sont illicites et justifieraient des sanctions disciplinaires ou scolaires pour absentéisme ou perturbation de l'enseignement pour les fameux blocages. L'autoréduction ne s'inscrit dans aucun cadre légal. Quant à la liberté syndicale, qui est une liberté et non un droit, il y a certes eu des actions illégales pour obtenir la reconnaissance de cette liberté, mais ces actions, menées sous des régimes pour la plupart non démocratiques (il n'y a eu que quatre ans de démocratie avant leur légalisation sous le Second Empire), consistaient… à créer des syndicats, pas à aller piller l'épicier du coin.

► Johanjohan : Si on appliquait la qualification d’extorsion que je préconise, avec les peines que je rappelle, on mettrait sur le même plan ces 13 joyeux(sic) chariots de bouffe et des malfaiteurs qui extorquent en menaçant de mort ou de photos compromettantes. Mon approche juridique passerait à côté du sens de l’action (et des moyens : personne n’est menacé dans son intégrité physique). Ce serait un peu comme confondre terrorisme et vandalisme.

En droit pénal, les mobiles sont en principe indifférents (il y a des exceptions : ainsi les violences au mobile raciste sont aggravées de ce fait). Voler aux riches pour donner aux pauvres, ou voler aux pauvres pour garder le butin, ça reste un vol. Ici, une extorsion reste une extorsion. Fut-elle perpétrée dans la joie, ce qui en l'espèce se discute déjà. Le mode opératoire et les mobiles sont pris en compte seulement une fois la culpabilité établie pour fixer la peine. Ainsi, celui qui a mené les négociations tendues sera-t-il plus sévèrement sanctionné que celui qui s'est contenté de bloquer une caisse en criant des slogans, car on distingue le meneur des suiveurs : le premier fait passer à l'acte le second, le second ne passe pas à l'acte sans le premier. C'est là que nos auto-réducteurs seront moins sévèrement traités que les vilains malfaiteurs qu'invoque Johanjohan : les peines les frappant seront plus légères que celles prononcées à l'encontre des mafieux. Notamment, la prison ferme devrait pouvoir être évitée la première fois, tandis que les percepteurs de l'impôt révolutionnaire sont lourdement condamnés dès leur première visite d'un prétoire.

Et j'ajoute que menacer de révéler des photos compromettantes pour se faire remettre une somme ou des biens, ce n'est pas de l'extorsion, c'est du chantage et c'est “seulement” 5 ans de prison (art. 312-10 du code pénal). Vous voyez bien que je ne confonds pas des délits distincts.

Notes

[1] Un simple mensonge ne suffit pas : la loi cite comme exemple l'usage d'un faux nom, d'une fausse qualité, ou l'abus d'une qualité vraie : art. 313-1 du code pénal.

vendredi 2 janvier 2009

Brouir ou conduire, il faut choisir

Notre président ne connaît pas le repos. Il ne lui aura pas fallu longtemps pour lancer sa première fusée intellectuelle, pour reprendre cette si exacte expression de Philippe Bilger, de l'année 2009.

Comme ce fut le cas il y a un an avec la disparition de la pub sur le service public, on sent que plus de soin a été apporté à la précipitation de l'annonce qu'à la réflexion sur la faisabilité. Il suffit que la mesure réponde immédiatement à un fait divers, satisfasse un public frustré par une colère impuissante, aggravée par les dérangements digestifs d'un lendemain de Réveillon, et que le Bon Sens y appose son sceau pour que la mise en orbite ait lieu.

Voyons le cru 2009 :

PARIS (AFP) — Le président Nicolas Sarkozy souhaite empêcher les incendiaires de voitures de passer le permis de conduire "aussi longtemps que la victime des faits ou le fonds de garantie n'a pas été indemnisé en totalité".

Jeudi, en recevant à l'Elysée les personnels de services publics ayant travaillé durant la nuit de la Saint-Sylvestre, le chef de l'Etat a affirmé que "tant que (les incendiaires) n'auront pas réglé les conséquences de leur forfait, ils ne passeront pas le permis de conduire".

Le chef de l'Etat a affirmé vouloir "que l'on réfléchisse à la possibilité pour les juridictions pénales d'interdire à un mineur condamné pour des faits d'incendie de véhicule de passer un permis de conduire pour des véhicules deux ou quatre roues aussi longtemps que la victime des faits ou le fonds de garantie n'a pas été indemnisé en totalité".

« On » étant toute autre personne que le président, trop occupé à avoir des idées pour s'occuper de détails comme la faisabilité, ou l'efficacité. Je prédis une commission et un rapport.

Et comme d'habitude, pour soutenir la mesure : l'argumentation négative. Je ne vais pas dire pourquoi je le fais, je vais dire qu'il n'y a pas de raison pour ne pas le faire.

"Il n'y a aucune raison que ce soit les honnêtes gens qui aient à payer les conséquences des comportements de délinquants", a-t-il ajouté.

Comme le faisait observer une (é)lectrice au sujet de la rétention de sûreté : peu importe que ça ne serve à rien ; rien ne serait pire que de ne rien faire. La gesticulation plutôt que l'inaction. D'un point de vue rationnel, ça se discute (l'inutile et l'inefficace ont un coût supérieur à l'inaction pour un résultat similaire) ; du point de vue politique, il n'y a pas photo : ça marche.

En ces lieux, on préfère le rationnel à la politique. Assumons donc le rôle du « on » présidentiel et voyons en quoi il y a loin de la coupe de champagne aux lèvres.

L'idée est de faire pression sur les auteurs mineurs des incendies de voiture pour qu'ils indemnisent leur victime. La sanction serait de leur interdire de passer le permis jusque là. On pouvait aussi les priver de dessert ou de télé, mais non, ce sera le permis.

Voyons les objections de principe avant de voir les difficultés pratiques.

Objections de principe.

D'abord, pourquoi les mineurs seulement ?

Bien sûr, on est certain qu'un mineur n'a pas le permis. Mais pourquoi un majeur condamné pourrait-il aussitôt sorti du tribunal aller passer l'examen de conduite, tandis qu'un mineur verra cette échéance suspendue jusqu'au complet paiement des dommages-intérêts ? Premier reproche : l'incohérence.
Deuxième reproche : l'injustice. En principe, les mineurs sont mieux traités que les majeurs, car ils sont immatures, influençables (notamment par des majeurs non concernés par la mesure), et le passage à l'acte révèle souvent un problème plus profond. Ici, on vote une mesure qui les traitera plus durement que des majeurs. C'est une première. À rapprocher des propos qui accompagnent l'annonce de la réforme de l'ordonnance de 1945 sur les mineurs et qui fait de nos enfants des êtres sans foi ni loi dont il faut avoir peur. À croire que pour le Gouvernement, il n'y a que deux types de mineurs : les délinquants et les victimes de pédophiles.

Ensuite, pourquoi les véhicules seulement ?

Tout incendie est grave en soi, et un feu de boîte aux lettres peut se propager à l'édifice. Ou alors, il faut compléter le dispositif. Une cabine téléphonique détruite ? Interdiction d'avoir un portable jusqu'à ce qu'il ait remboursé. Un feu de poubelle ? Défense de sortir ses poubelles, il vivra avec ses détritus jusqu'à ce qu'il ait remboursé les services de la voirie. Vous voyez l'absurde.

Ensuite, pourquoi le permis de conduire ?

Là, on est en présence de réflexes issus du droit archaïque. “ Il a fâché le dieu des automobilistes, il doit faire un sacrifice pour apaiser sa colère ”.
Car si l'interdiction de passer le permis de conduire existe dans l'arsenal pénal, c'est pour des infractions commises lors de la conduite d'un véhicule. Si l'article 131-6, 3° du code pénal prévoit la faculté pour le juge de prononcer à titre de peine principale l'annulation du permis avec interdiction de le repasser pendant une période pouvant aller jusqu'à 5 ans, ce pour tout délit passible d'emprisonnement, un juge n'aura recours à une telle peine que pour des infractions au cours desquelles l'usage d'une automobile a été un facteur essentiel, de sorte que cette interdiction empêche le renouvellement de l'infraction. Mais en quoi une interdiction de passer le permis prévient-elle le renouvellement d'une infraction de destruction volontaire par incendie ?

Il faut tout de même rappeler que le permis de conduire n'est pas une faveur faite par l'État à des citoyens méritants. C'est une mesure de police, une restriction à la liberté d'aller et venir de chaque citoyen justifiée par des raisons de sécurité publique, que je ne conteste pas en soi : conduire un véhicule suppose des compétences, des réflexes qui s'acquièrent et des connaissances juridiques minimales[1], et le permis de conduire sanctionne, après un examen, la connaissance de ces éléments. Refuser la simple possibilité de solliciter cette autorisation pour soutenir des intérêts privés (un particulier n'est qu'un particulier, et le Fonds de Garantie n'est pas l'État, c'est une structure de droit privé financée par les assurances), à savoir le paiement de dettes, ne repose sur aucune légitimité et relève de l'abus de pouvoir par l'État.

Difficultés pratiques

La réforme supposerait d'abord que l'auteur ait été identifié. Or sur les 1147 autodafés de la Saint-Sylvestre officiellement recensés, combien d'auteurs ont-ils été arrêtés ? Sur les 288 interpellations officielles de la nuit, combien concernent des auteurs d'incendie ? Et sur ces auteurs arrêtés, combien de mineurs ? Silence radio. Et pour cause. Je ne sais pas s'il y en a un seul.

Tout simplement parce que les incendiaires sont déjà loin quand l'incendie est détecté, et encore plus loin quand la police arrive sur place. Pas de témoins (il fait nuit et les gens réveillonnent chez eux), pas de traces récupérables : les flammes détruisent les empreintes digitales ou l'éventuel ADN.

Autant dire que l'argument de la dissuasion fait long feu : tous les auteurs de ces incendies sont convaincus d'échapper à la justice pour ces faits, et la plupart du temps, ils ont raison.

D'autant plus que toutes les voitures brûlées la nuit de la saint-Sylvestre ne sont pas victimes de sauvageons pyromanes. Les assurances remboursent les incendies du Nouvel An sans trop y regarder : tradition des incendies, nombre de dossiers, pression des autorités. C'est le jour idéal pour se débarrasser d'un vieux tacot en panne mais encore coté à l'argus.

Ensuite, cette réforme impliquerait que la victime ait obtenu un jugement de condamnation ou que le Fonds de Garantie des Victimes d'Infraction ait indemnisé. Cela exclut donc les affaires où le propriétaire, découragé ou résigné, ne donnera pas de suite et fera jouer son assurance. Pas de condamnation, pas d'indemnisation, pas d'interdiction de permis.
Si le mineur auteur des faits a été identifié, pas de problème. Le tribunal pour enfants prononcera la condamnation, et la victime pourra utiliser le nouveau dispositif d'aide au recouvrement pour se faire avancer les sommes par le Fonds de Garantie (dans la limite de 3000 euros). Le remboursement intégral suppose le paiement du solde à la victime, le remboursement au Fonds des sommes avancées, outre le pourcentage supplémentaire au titre des frais de recouvrement.

S'il n'a pas été identifié ou si la victime n'a pas envie de se constituer partie civile, l'article 706-14-1 du CPP prévoit un mécanisme autonome d'indemnisation, si le propriétaire du véhicule a des revenus mensuels inférieurs à 1966,50 euros[2], dans la limite de 4000 euros. Mais rappelons que l'auteur des faits n'est généralement pas identifié. Il pourra donc aller passer le permis à 18 ans sans avoir à rembourser quoi que ce soit.

Autre problème : les parents sont civilement responsables de leur enfant mineur : art. 1384 du Code civil. C'est à dire qu'ils doivent indemniser les victimes de faits dommageables commis par leur rejeton. Quel que soit son âge. Même sans faute pénale. Donc si un mineur est condamné pour destruction volontaire par incendie, ses parents seront cités devant le tribunal en tant que civilement responsables (c'est la terminologie officielle), par opposition au mineur, prévenu, pénalement responsable (la peine ne peut frapper que l'enfant : on ne peut aller en prison pour un délit commis par son enfant). Pour peu que les parents soient un tant soit peu solvables, la victime ou le Fonds de Garantie auront été indemnisés… par les parents. Victime indemnisée, Fonds de Garantie remboursé ? Le galopin pourra aller passer le permis avec la bénédicition du président, sans avoir sorti un centime de sa poche.
Bref, la mesure n'est susceptible de faire pression que sur des mineurs issus de familles pauvres, qui ne pourront payer les dettes de leur chérubin. Si quelqu'un comprend où se trouve la justice là-dedans, je lui saurai gré de me l'expliquer.

Et concrètement, au fait, on fait comment, pour savoir si l'impétrant conducteur est venu à l'auto-école adorer ce qu'il a brûlé ?

La condamnation pour destruction volontaire est certes inscrite au casier judiciaire. Mais à partir de là, ça se complique.

En fait, il y a trois casiers judiciaires, plus exactement trois bulletins reflétant de manière plus ou moins complète le contenu du casier. Le bulletin n°1 (dit le « B1 »), réservé à la justice, est le relevé intégral des condamnations. Le n°2 est accessible aux administrations et à certains établissements publics lors du recrutement, et est un peu moins complet (notamment n'y figurent pas les condamnations avec sursis une fois que le délai d'épreuve est terminé) ; et le n°3, qui ne peut être demandé que par la personne concernée, est encore moins complet. Disons qu'il vous donne la garantie que vous ne devriez pas être en prison.

Or les condamnations des mineurs ne figurent pas au bulletin n°2 du casier judiciaire : art. 775, 1° du CPP. Donc une préfecture, ne peut, en demandant le bulletin n°2 d'un impétrant conducteur, s'il a ou non été condamné pour une jeunesse un peu trop flamboyante.

Qu'importe, rétorquerez-vous : qu'il demande au procureur de mirer le bulletin n°1 pour lui. Outre le fait que les procureurs ont mieux à faire que commander un B1 pour chaque candidat au permis, les condamnations des mineurs pour des faits délictuels sont également effacées du B1 dans un délai de trois ans à compter de la majorité s'il n'est pas condamné pour un crime ou un délit dans ce délai (art. 769, 7° du CPP). Donc un incendiaire à 17 ans peut se présenter à l'auto-école le lendemain de ses 21 ans avec un casier virginal et une dette en souffrance.

Cela suppose donc la création, fort coûteuse, d'un nouveau fichier qui répertorierait uniquement les rares condamnations de mineur pour incendie et serait, je ne sais comment, mis à jour des paiements effectués, deuxième condition de l'interdiction envisagée.

Car saurait-on qu'il a été condamné pour incendie de voiture qu'il faudrait ensuite s'assurer qu'il n'a pas indemnisé la victime ou le Fonds. S'agissant d'une dette purement privée, ça risque d'être délicat. Si le Fonds a payé, ce sera facile : un courrier suffira. Mais si c'est la victime, encore faudra-t-il la retrouver, et qu'elle réponde. Alors, dans le doute ? Il peut ou il ne peut pas passer le permis ? Et si la victime a renoncé à être indemnisée ? Faut-il considérer que la dette est payée (pour le Code civil, c'est oui) ? Ou faut-il qu'il paye néanmoins, mais à qui ?

Et au fait, si le mineur a un besoin ardent du permis pour pouvoir travailler et ainsi indemniser la victime ?

Encore une fois, nous sommes en présence d'une politique d'annonce, et fort efficace du point de vue médiatique : les journaux en parlent tous. Elle donne l'impression d'un président qui agit, sans que personne ne se dise que tiens, vu que ça fait 6 ans qu'il est aux premières loges pour voir flamber les voitures au Nouvel An, il aurait peut-être pu y penser avant, ni ne s'interroge sur la faisabilité ou l'efficacité réelle du projet. Un fait divers = une annonce.

Avec à la clef, un (vague) projet, à l'effet dissuasif nul, dont la réalisation promet d'être difficile et coûteuse, pour un résultat qui sera forcément inefficace car ne frappant qu'une toute petite partie des personnes concernées. Mais une opinion publique bien contente.

De ce point de vue, 2009 s'inscrit pleinement dans la continuité.

Notes

[1] Et oui, ce qu'on appelle le Code, c'est un examen de droit…

[2] Il s'agit d'1,5 fois le pafond de l'aide juridictionnelle partielle. Le revenu est calculé par foyer, avec une majoration par personnes à charge. Soit 1966,50 euros pour une personne seule ou un couple sans enfants, 2147,05 euros avec un enfant, 2382,55 avec deux enfants, et 148,50 euros par personne à charge supplémentaire.

mercredi 31 décembre 2008

Vœux

Message du Châtelain de ce blog.


Hymne officiel de ce blog :


Citoyen, citoyenne, visiteurs de ce blog.

2008 s'achève, et je profite de cette occasion unique de griller la politesse au président de la République (entre époux d'étrangères, on se comprend, lui et moi) pour vous présenter mes meilleurs vœux pour cette année 2009.

2008 a été une bonne année pour ce blog — qui n'en a pas encore connu de mauvaises — avec une fréquentation qui a à peu près doublé par rapport à l'année dernière.

Les grands moments qui me reviennent à l'esprit ont été l'affaire de l'assistante sociale, révélée sur ce blog et repris par Le Monde, le débat sur le jugement de Lille sur la mariée qui n'était pas vierge, et la journée du 23 octobre, formidable prise de parole des acteurs de la justice (50.000 visites le jour même, ce qui a causé une dépression nerveuse à Vélociraptor, mon ancien serveur, et m'a contraint à recruter son grand frère Overkill (grâces soient rendues à Typhon, mon hébergeur, qui a été aussi prompt qu'efficace sans même que j'ai besoin de l'assigner).

Surtout, 2008 a été une année d'agrandissement puisque de nouveaux colocataires m'ont rejoint : Dadouche et Gascogne, qui ont posé leur mallettes il y a un an, ont été rejoints par Fantômette, Anatole Turnaround, Lulu et Paxatagore, qui sont encore un peu timides, on les encourage bien fort. Merci à eux de leur compagnie virtuelle, c'est toujours un plaisir d'aller sur son propre blog pour découvrir un nouveau billet.

2009 ne promet pas d'être facile. Pas à cause du postérieur de Pénéloppe Jolicœur, mais j'ai des défis et de grands changements professionnels qui se profilent dont je ne puis vous parler. Souhaitez-moi bon courage et bonne chance, ça suffira.

Une pensée particulière, comme chaque année, pour les 80 et quelques procureurs de permanence cette nuit, mes confrères qui vont assurer les gardes à vue à l'heure ou d'autres font la fête, et surtout aux policiers et gendarmes de service cette nuit, particulièrement dans les secteurs sensibles. Que la nuit soit calme. Bon courage, soyez prudents, rentrez entiers.

Ah, et ne vous faites pas avoir en faisant sauter le bouchon trop tôt : cette nuit, la dernière minute de l'année aura 61 secondes pour que l'heure officielle colle avec la rotation de la terre. Après 23h 59mn 59 s, il sera 23 h 59 mn 60 secondes avant de basculer en 2009.

Vive la République, et vive mon blog.


Hymne officiel du blog :

mardi 30 décembre 2008

Maître Eolas vous cause(ra) dans le poste

Demain à 18h20 sur France Culture, dans le cadre de l'émission « en toute franchise », au titre fort mal choisi pour recevoir un avocat, votre serviteur sera interviewé par Hubert Huertas dans le cadre des programmes de fin d'année, ou un invité écrivain (ou en l'espèce, rédacteur de blog) est interrogé sur le bilan de l'année écoulée dans son domaine de prédilection.

Pour la dernière de l'année[1], et pris dans un moment d'ivresse, nous nous sommes affranchis de toutes les règles : non seulement je n'ai pas (encore) publié de livre, mais en plus, nous avons repoussé le terme du bilan au 16 mai 2007, pour faire à grand traits un bilan de ce début de présidence.

Dix minutes, cela passe très vite, et le bilan est loin d'être exhaustif.

De fait, sur la question : avancées et reculs du droit pénal, du point de vue de la défense, depuis l'arrivée en fonction du président Sarkozy, j'avais rapidement relevé ces éléments-ci. Je ne déflore rien puisque nous avons à peine abordé ces thèmes : c'est plus une conversation qu'une interview, et ça me va très bien.

► Les avancées :

Pour les victimes :

— création du Service d'Aide au Recouvrement des Victimes d'Infraction. C'est une avancée, objectivement.

Pour les prévenus :

— Abrogation de la loi de 1947 et ses incapacités automatiques à exercer la profession de commerçant (loi de modernisationde l'économie d'août 2008). Bon, c'est plus une avancée pour les prévenus qui ont voté pour le président que pour l'électorat du facteur joufflu, mais ça reste une bonne mesure, qui rend au juge le rôle de prononcer l'intégralité des peines. Continuons le mouvement et abrogeons la perte automatique du grade pour les militaires, l'inéligibilité de plein droit pour certaines condamnations ; pour la révocation automatique des fonctionnaires, le Conseil d'État s'en est déjà chargé.

Ajoutons des fausses avancées, relevant plus de la com' :

La procédure de déclaration d'irresponsabilité pénale pour trouble mental. C'est une nouveauté profonde, présenté comme une avancée pour les victimes, ce dont je ne suis pas encore convaincu. Disons qu'en tout cas, ça ne devrait pas leur nuire. Encore que même cela n'est pas certain.

— La création du JUDÉVI, le juge délégué aux victimes. Une drôle d'usine à gaz, un juge qui ne juge rien mais vise à servir d'intermédiaire aux victimes dans le cadre de l'exécution des peines.

Tout ça alors que la loi du 5 mars 2007 a jouté un obstacle aux victimes voulant déposer plainte avec constitution de partie civile. Ne cherchez pas la cohérence.

Pour la politique pénale au sens large :

— La suppression de la loi d'amnistie ou des grâces collectives, encore que ce dernier point a pris du plomb dans l'aile récemment.

— La création d'un Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté, à condition qu'il remplisse pleinement son rôle, comme la HALDE a réussi à le faire.

► Les reculs :

— La loi sur les peines planchers, qui restreint la liberté du juge et tend vers une sévérité automatique, dont la combinaison avec la loi Clément sur la récidive du 12 décembre 2005 peut être dramatique. L'illusion de la sévérité comme facteur dissuasif. Plus d'un siècle après la désastreuse loi Waldeck-Rousseau (non, pas celle-là ; non, celle-là non plus, celle-là), quand on sait depuis longtemps que ce sont les lois Béranger de 1884 et 1891 qui ont réussi à faire diminuer la délinquance à cette époque, et de manière spectaculaire, en instituant la libération conditionnelle et le sursis.

— La rétention de sûreté, on enferme désormais des gens sans limitation de durée pour ce qu'ils pourraient faire et non ce qu'ils ont fait. L'application au droit pénal des mathématiques actuarielles chères aux assurances (et qui rend les assurances si chères).

La réforme de la carte judiciaire, réforme voulue par les acteurs de la justice, qui a réussi le tour de force de fâcher tout le monde ; en droit pénal, elle s'applique surtout avec la mise en place des pôles de l'instruction, qui va grandement contribuer à éloigner les détenus provisoires de leurs familles.

Et vous, qu'auriez-vous dit, de positif ou de négatif, dans la politique pénale menée depuis le 16 mai 2007, date un peu arbitraire car il n'y a pas vraiment eu de rupture depuis le sinistre printemps 2002 ?


L'émission diffusée :

Notes

[1] L'émission sera diffusée demain mais a été enregistrée aujourd'hui.

lundi 29 décembre 2008

(Re)parlons garde à vue

Depuis le temps que j'en parle, il est temps que je m'y mette, ça me fera une bonne résolution de moins à prendre pour 2009.

J'ai déjà parlé de l'aspect purement technique de la garde à vue dans ce billet. Je n'y reviens pas, c'est assez aride comme ça. Pour la suite, je suppose ces éléments techniques sus par vous.

La garde à vue pose des problèmes de perception de cette mesure, signe de son invincible ambiguïté. Et surtout, c'est une insupportable (à mes yeux) réminiscence du droit napoléonien (pieusement conservé sous la Restauration, la monarchie de Juillet et le Second Empire), à une époque où quoi qu'on en dît sur les frontispices des monuments, le peuple n'était considéré libre que sous la réserve que l'État le veuille bien. Par exemple, saviez-vous que tout au long du XIXe siècle, y compris sous les débuts de la IIIe république, les personnes mises en examen (on disait alors inculpées) n'avaient pas droit à l'assistance d'un avocat tout au long de l'instruction ? Ce droit a à peine plus d'un siècle. D'où des aspects archaïques qui, à mon sens, sont difficilement compatibles avec le respect des droits de l'homme tel qu'imposé par la Cour européenne des droits de l'homme, et qui tôt ou tard, obligera à une réforme.

J'espère vous avoir mis l'eau à la bouche[1] : développons ces deux points.

L'ambiguïté de la garde à vue.

La garde à vue est au premier chef perçue comme une sorte de sanction. C'est une pré-condamnation, en quelque sorte, et quand la presse indique que dans telle affaire, une personne a été placée en garde à vue, on comprend : le coupable a été arrêté.

Curieusement, cette perception a été renforcée par une évolution récente du droit favorable aux libertés. Le droit, surtout pénal, adore les paradoxes.

En effet, la loi du 15 juin 2000 (dernière grande avancée en date des droits de la défense, lentement détricotée depuis) a supprimé la possibilité de placer en garde à vue un simple témoin. Désormais, il peut lui être fait interdiction de s'éloigner du lieu des faits et il ne peut être retenu que le temps strictement nécessaire à son audition (CPP, articles 61 et 62). Dès lors, la garde à vue est devenue une mesure ne concernant que les suspects, que le CPP appelle dans un français enlevé et élégant : « personnes à l'encontre desquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ». Pleure, Boileau, pleure.

La garde à vue a donc le sceau de l'infamie. Et depuis qu'elle ne s'applique plus qu'aux suspects, les gardés à vue sont traités comme tels : menottage systématique, lacets, ceintures, montres et bijoux confisqués, et placement en geôle quand on n'est pas menotté à un banc. D'ailleurs, le saviez-vous ? Le CPP interdit absolument à une personne comparaissant devant un juge, notamment lors des interrogatoires par le juge d'instruction, d'être entravée de quelque manière que ce soit. Pas de menottes. Même pour un tueur en série de 110 kilos. Mais devant un policier, les menottes sont de rigueur.

Autant dire que quand une personne se rend au commissariat en réponse à une convocation, elle espère bien ne pas être placée en garde à vue, et sera très complaisante pour éviter cela. Les OPJ ne se gênent pas d'ailleurs pour jouer de la menace du placement en garde à vue.

C'est à cette perception négative que correspond les réserves émises quand telle ou telle personne est placée en garde à vue (comme dernièrement, l'infirmière de Saint-Vincent-de-Paul). Avait-elle besoin d'être traitée en délinquante, se demande ainsi mon confrère Gilles Devers ?

Si la réponse est bien évidemment non, je maintiens néanmoins pour ma part qu'elle devait être placée en garde à vue. Vous voyez ? Le droit pénal adore les paradoxes.

C'est que la garde à vue est avant tout un statut juridique, une situation réglementée, et surtout créatrice de droits.

Droits dont la première obligation faite aux services de police ou de gendarmerie est de les notifier : droit de s'entretenir avec un avocat, au besoin commis d'office donc gratuit ; droit d'être examiné par un médecin ; droit de faire prévenir sa famille ou son employeur. Notons pour l'anecdote que RIEN n'oblige un gardé à vue à répondre aux questions, que ce droit était notifiée depuis la loi du 15 juin 2000, jusqu'à ce qu'une loi du 4 mars 2002 transforme cette notification en droit de se taire ou de répondre aux questions. AH, que c'est fragile, une avancée des droits de la défense. D'ailleurs, la loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure y a mis bon ordre et a supprimé cette notification. Attention : elle a supprimé la notification du droit, pas du droit lui-même. Le gardé à vue a toujours le droit de se taire. Mais on ne le lui dit plus. Les apparences sont sauves, et Tartuffe applaudit.

Dans la foulée, obligation est faite aux services de police ou de gendarmerie d'informer immédiatement le procureur de permanence de ce placement en garde à vue. Procureur qui peut ordonner qu'il y soit mis fin, à tout moment. Il y a donc un contrôle de la mesure par un magistrat. Pas parfait, j'y reviendrai, mais il existe. Alors que si la police prétend faire une fleur en ne plaçant pas en garde à vue, en réalité, elle dépouille la personne concernée de ces droits, personne qui devient de manière fort perverse un prisonnier volontaire de peur de se voir menottée et mise en geôle.

C'est pourquoi pour ma part, je soulève systématiquement une nullité de procédure quand un client a passé un laps de temps anormalement long qui fait supposer que sa présence au commissariat relevait d'une certaine contrainte (quelques exemples réels : une personne gardée au commissariat de 22 heures à 3 heures du matin ; une personne conduite au commissariat avec des menottes ; une personne à qui il a été fait interdiction d'utiliser son téléphone portable pour m'appeler alors qu'il était en train de patienter dans un couloir du commissariat ; dans tous ces cas, la police n'a pas considéré qu'il y avait garde à vue, suivie systématiquement en cela par le parquet à l'audience). Pour moi, la contrainte révèle nécessairement la garde à vue ; dès lors ne pas notifier les droits fait nécessairement grief au prévenu. La police ne garde d'aucun texte le pouvoir de garder de force un suspect en dehors de ce cadre. Sauf à commettre une séquestration arbitraire.

Hélas, ce point de vue, qui me semble marquée du sceau de l'orthodoxie juridique en ce que la privation de liberté doit nécessairement être prévue par la loi n'est pas suivie par la jurisprudence des tribunaux (la cour de cassation est plus rigoureuse, mais j'ai rarement l'occasion de lui soumettre le cas pour les raisons que je vais vous expliquer).

Car rappelons ici que, comme dans l'affaire Filippis, aucun texte normatif n'impose à la police de menotter un gardé à vue, de le placer dans les geôles du commissariat, de lui ôter bijoux, lacets, montre, et objets personnels. C'est du bonus, cadeau de la maison poulaga, comme on disait encore quand j'étais jeune.

Que dans certaines affaires, cela s'impose, je veux bien l'admettre. J'ai fait assez d'entretiens de garde à vue pour constater que des personnes sont carrément flippantes (j'écris « comportement exalté » dans mes observations écrites). D'ailleurs, ces personnes comme les autres sont systématiquement désentravées avant d'être laissées seules avec moi dans le local prévu pour les entretiens d'avocat. Comme quoi, quand on veut, on peut.

La garde à vue est en effet née d'un usage. Le code d'instruction criminelle en vigueur de 1808 à 1958 était muet sur la question, les policiers gardant ainsi à vue les suspects le temps nécessaire (droit napoléonien, vous vous souvenez). De toutes façons, le gardé à vue, une fois inculpé, n'avait toujours pas droit à l'assistance d'un avocat, qui n'avait —enfin— accès au dossier que quelques jours avant l'audience d'assises, c'est à dire des mois après l'arrestation. Alors qui allait se soucier des conditions dans lesquelles étaient obtenus les aveux au tout début de l'enquête ?

Voici la terrible ambiguïté de la garde à vue : à la fois mesure de contrainte (le gardé à vue est effectivement privé de liberté) mais aussi moment où se déclenchent les droits de la défense. Et quand on sait que la jurisprudence s'arc-boute sur le pouvoir souverain de l'OPJ de décider du placement ou non en garde à vue, on réalise qu'aujourd'hui encore, la possibilité effective d'exercer ces droits dépend du bon vouloir de l'OPJ en charge de l'enquête. Mais il faut sans doute être avocat pour trouver cela préoccupant.

Une réforme s'impose, limitant et encadrant les aspects afflictifs de la garde à vue (qu'enfin, enfin, on arrête de considérer les menottes comme l'accessoire indispensable telles les dragées à un baptême), et précisant que dès lors qu'une personne suspectée d'avoir commis ou tenté de commettre un délit met un orteil dans un commissariat, qu'elle y soit invitée par une convocation écrite ou poussée par un policier, les droits afférents à la garde à vue s'appliquent, même si la garde à vue se résume à un entretien plaisant durant une heure dans le bureau de l'OPJ.

C'est en effet un argument qui m'est régulièrement sorti, y compris par des procureurs : si l'OPJ n'a pas placé en garde à vue, c'est pour le bien du gardé à vue visiteur volontaire : le placement en garde à vue est une lourdeur administrative qui rallongerait nécessairement la durée de cette garde à vue visite. Ou comment la bureaucratie justifie qu'on s'assoit sur les droits de la défense. Je rappelle que le placement en garde à vue, c'est un formulaire, téléchargeable en tout plein de langues sur le site du ministère de la justice qu'on fait signer et qu'on faxe au procureur de permanence, et qu'on annexe au dossier avec si possible le rapport d'émission du fax, mais la simple mention que le parquet a été informé suffit à la légalité de la procédure : cour d'appel de Toulouse, 1er décembre 2004.

Et que mes amis policiers et gendarmes se rassurent : cela fait 42 ans que les États-Unis vivent avec cette obligation constitutionnelle, et cela ne les empêche pas d'avoir le plus fort taux de population carcérale au monde, et même d'exécuter des innocents de temps en temps. Vous voyez bien que ce n'est pas un obstacle à la répression.

La garde à vue est notre amie, il faut l'aimer aussi, mais ça ne doit pas empêcher notre tempérament procédurier de s'exprimer, et las, pour le moment, nous en somme pour nos frais.

L'archaïsme de la garde à vue.

Outre l'aspect déjà relevé de l'absence totale d'encadrement légal du traitement du gardé à vue (hormis des circulaires qui prévoient qu'il doit se voir fournir un repas chaud deux fois par jour et être laissé au repos de temps en temps, sachant qu'être menotté à un banc est considéré comme du repos), c'est son aspect de mise au secret discrétionnaire et sans recours qui est un archaïsme inacceptable.

Aujourd'hui encore, si un client est placé en garde à vue, je peux le voir trente minutes, mais sans avoir accès au dossier. Je ne sais que la nature des faits qui lui sont reprochés et l'heure à laquelle la garde à vue a commencé. Pas question que je l'assiste lors des interrogatoires sur les faits, alors qu'un juge d'instruction n'a pas le droit de dire un mot à mon client sans que j'en ai été informé au moins cinq jours ouvrables à l'avance, au cours desquels le dossier est tenu à ma disposition à tout moment, aux heures d'ouverture du greffe (l'usage et la prudence veulent qu'on téléphone pour annoncer sa visite et s'assurer de ne pas perturber un interrogatoire dans un autre dossier). Tout ça alors qu'on sait bien que les erreurs judiciaires naissent le plus souvent au stade de l'enquête de police ou de gendarmerie.

Et si je désire contester cette mesure, notamment dans l'hypothèse où on applique les procédures dérogatoires de garde à vue de 4 voire 6 jours avec intervention différée de l'avocat, je ne peux pas saisir un juge de la question. Une personne soupçonnée de terrorisme, de trafic de stupéfiant, de délinquance en bande organisée, peut être tenue au secret, sans avocat, sans aucun recours. C'est une question de temps avant que la CEDH ne condamne la France.

La seule possibilité éventuelle est de demander au procureur de permanence d'ordonner la levée de cette mesure. Mais là, on est dans la théorie complète. D'une part, le procureur de permanence est injoignable pour les avocats. Peut être dans les petits tribunaux où le contact entre magistrats et avocats est facilité, mais à Paris, la section P12 est une forteresse hermétique (tout particulièrement avec l'arrivée de son nouveau chef de corps). Ensuite, il a été informé de cette mesure et l'a probablement déjà validée : difficile pour lui de se déjuger. Enfin, la CEDH a rappelé encore récemment que le parquet ne pouvait être considéré comme une autorité judiciaire indépendante en matière de garde à vue (arrêt Medvedyev et autres contre France, n°3394/03 dit arrêt Winner, frappé d'appel).

Il n'existe pas d'habeas corpus à la française, de droit général à saisir un juge d'un recours contre une mesure privative de liberté décidée par la police dans le cadre de la poursuite d'une infraction (qui pourrait opportunément s'appliquer à un mandat d'amener délivré à l'encontre d'un journaliste pour une affaire de diffamation, je dis ça comme ça). Alors que même l'administration est soumise à un tel contrôle du juge administratif, mais en France, on ne mélange pas les serviettes avec les serviettes, cela dût-il nuire aux libertés. Pourtant, il existe déjà le juge adéquat : le juge des libertés et de la détention.

La seule possibilité de recours est a posteriori, devant le tribunal correctionnel, s'il est saisi. Nous pouvons alors soulever la nullité de la procédure, qui est d'ailleurs à ce moment irrécupérable si les règles de la garde à vue n'ont pas été respectées : le calcul n'est pas toujours bon du point de vue de la politique pénale. Et bien souvent, des tribunaux rechignent à sanctionner de nullité la procédure, quand la culpabilité est certaine. À la place, ils prononcent des peines dérisoires (cas courant : une amende avec sursis) : allez expliquer à votre client qu'il faut aller en appel, en cassation et le cas échéant à Strasbourg[2]. Et si l'affaire est classée sans suite, le gardé à vue ne peut prétendre à la moindre indemnisation. Je ne parle même pas d'excuses. La liberté du citoyen est à la disposition de la justice. Fichu droit napoléonien.

Combien de temps encore la défense sera-t-elle forcée à la paralysie dans les premières heures, pourtant cruciales, de l'enquête ? Combien de temps nous servira-t-on l'excuse de Tartuffe, qui consiste à dire que puisque notre client n'est encore officiellement accusé de rien, pourquoi diable aurait-il besoin d'une défense ? Quelle justification, dans notre société, permet de dépouiller une personne de sa liberté 2 jours, 4 jours, 6 jours, sans lui permettre de se défendre, à part permettre au parquet de profiter d'une position de force absolue pour obtenir des aveux par épuisement physique et nerveux, ces merveilleux aveux, réputés sincères car obtenus loin de l'avocat, qui ont conduit (feu) Richard Roman 4 ans en prison avant que la cour d'assises de Grenoble ne réalise que toute sa culpabilité avait été fabriquée lors de l'enquête, ces formidables aveux obtenus du mineur Patrick Dils et lui ont valu 15 ans de prison avant l'acquittement, et ce avant que la présomption d'innocence et l'égalité des armes imposées par la cour européenne des droits de l'homme ne restreignent son ire vengeresse ?

Quousque tandem, legislatus, abutere patientia nostra ?

Notes

[1] Les étudiants en droit qui me lisent auront reconnu une problématique suivi d'une très académique annonce de plan en deux parties : ils sont en terre familière.

[2] siège de la cour européenne des droits de l'homme.

Profitons des vacances...

Par Gascogne


...pour réviser un peu nos bases de droit constitutionnel intergalactique.

Je suis tombé (un grand merci aux listes de discussions de magistrats et à certains Conseillers Référendaires qui les fréquentent) sur cet excellent article du blog "Droit administratif", rédigé par Alexis FRANK.

Un régal pour les amateurs de la Guerre des Etoiles.

Une saine lecture juridique de congés.

vendredi 26 décembre 2008

L'affaire de l'enfant mort à l'hôpital

Je reçois pas mal de questions sur l'affaire dramatique de cet enfant mort à l'Hôpital Saint Vincent de Paul, à Paris.

Je suis en vacances, et je n'aurai aucune honte à faire travailler les autres à ma place, surtout quand ils le font bien.

Pour l'éclairage juridique, je vous renvoie vers mon confrère Gilles Devers, de l'excellent quoique provincial barreau de Lyon (son blog vaut qu'on s'y attarde, lisez les autres billets). Je n'ai pas une virgule à changer à ce qu'il dit sur le sujet. Je reviendrai dans un futur billet sur le problème de la garde à vue (qui est un de mes dadas), dont la nature est très ambiguë et la perception équivoque dans l'opinion publique.

Pour l'éclairage professionnel, je reprends le commentaire laissé sous un autre billet par Lumière Noire, qui exerce la profession de pharmacienne. Ses propos n'engagent qu'elle, mais apportent un éclairage intéressant sur l'origine de l'erreur qui a conduit à ce drame.

Libéré de ce fardeau, il ne me reste plus qu'à exprimer aux parents de cet enfant combien cette nouvelle m'a bouleversé, comme elle a dû le faire pour tout le monde, et tout particulièrement ceux qui sont ou ont été père d'un enfant de trois ans. Ce qui leur est arrivé est notre cauchemar à tous. J'enrage d'être impuissant à pouvoir soulager leur affliction.


56. Le vendredi 26 décembre 2008 à 17:18, par Lumière Noire

Le pharmacien (au féminin) que je suis, et qui travaille parfois en hôpital (car il y a toujours une pharmacie dans un hôpital) porte à votre connaissance que :

- l'immense majorité des infirmières ne connaissent pas grand chose aux médicaments.

- parce que leur rôle est de les administrer, pas d'être pharmaciens ni médecins.

- l'ordonnance hospitalière (car il y a toujours des prescriptions écrites par le médecin, comme en ville, pour que le pharmacien délivre les produits, c'est le but de la tournée de visites dans les chambres par le médecin) doit être exécutée par l'infirmière (il y est inscrit les heures d'administration des médicaments).

- cette ordonnance arrive dans la pharmacie de l'hôpital qui contrôle la prescription (et parfois rappelle le prescripteur ou l'infirmière pour euh... rattraper les bourdes "clarifier" le traitement).

- Puis les produits sont délivrés pour administration au malade (bien portant que nous sommes tous).

- Mais il y a aussi certains produits, utilisés à haute fréquence dans les services (alcool, éosine, coton, sérums de perfusion, aiguilles, seringues, poches, bassins, sondes, compresses, huiles de massages, etc, et que le dernier ferme la porte) qui nous sont demandés hors ordonnance, sur de simples listings d'approvisionnement du service, que la pharmacie est amenée à délivrer pour être stockés en vrac dans un local du service en question (fermé à clef).

- A l'hôpital, chaque service (chirurgie, maternité, ophtalmologie, médecine générale, long séjour, psychiatrie, etc) a donc sa propre mini-pharmacie courante à portée de main.

- Et l'équipe pharmaceutique de l'hôpital passe son année à visiter ces armoires à pharmacie dans tous les services. Tout est contrôlé chaque semaine, voir chaque jour pour les produits les plus dangereux. Parce que les personnels soignants (sans doute débordés, je ne leur jette pas la pierre, mais aussi négligents, parfois) ne respectent pas toujours la minutie pharmaceutique du rangement. Alors les boîtes valsent, les couvercles (où sont inscrits les dosages) volent, et parfois le dangereux désordre survient.

- Or tout pharmacien, de ville comme de champ, sait qu'en pharmacie, le désordre est synonyme de mort subite. C'est notre hantise à tous, c'est pourquoi nos tiroirs sont si bien rangés. On y passe un temps fou, et chaque fois que vous entrerez dans une officine, vérifiez donc le comptoir : on ne laisse jamais traîner un médicament (que le client précédent n'a pas voulu, par exemple), pour éviter de le mettre dans votre sachet, par erreur, à la fin de notre délivrance. Le produit qui "traîne" est immédiatement repositionné à sa place de stockage, même si cela doit faire patienter quelques secondes de plus le client suivant.

- Pour la délivrance de solutés de perfusion, et de tout ce qui est injectable, la concentration du pharmacien devient soudain phénoménale : ces médicaments (ainsi que les stupéfiants) sont nos bêtes noires, le risque y est maximal, absolu, et sans espoir. On a le cœur qui bat plus fort, on cesse de bavarder entre collègues (ou avec le client, ou avec l'infirmière). On relit MILLE FOIS l'ordonnance, l'étiquette, le dosage, la posologie, les contre-indications et les effets indésirables (y compris la mort).

On vérifie l'âge et le poids du patient, ses antécédents, ses allergies et autres. Parce que injecter, c'est toujours un acte définitif, comme une condamnation à perpète. Ou ça soigne, ou ça fait du dégât. On a lâché le fauve médicament dans le corps, impossible de le récupérer en cas de pépin, comme on le pourrait par un lavage gastrique et des vomissements pour un comprimé.

Et la perfusion, c'est le pire des cas : le lion est directement envoyé dans le sang, même pas freiné par le temps d'absorption des muscles. Il arrive en méga-haut débit au cœur, au foie, aux poumons, dans les reins ou le cerveau, bref, il foudroie les organes vitaux. Et le débit va dépendre de la vitesse donnée au perfuseur par l'infirmière : plus le goutte-à-goutte est lent, plus on aura de chance de freiner l'issue fatale.

Le petit malade, de ce que j'ai compris, avait une forte angine depuis plus de trois jours, avait consulté déjà deux médecins de ville. Le deuxième médecin a conseillé l'hospitalisation pour qu'on réhydrate un peu ce petit bout qui ne s'alimentait plus convenablement, et qui faisait en plus une forte fièvre. Ce médecin a très bien fait. Angine, diarrhée et fièvre ensemble, c'est très mauvais pour nos p'tits gars.

A l'hôpital, on devait simplement perfuser du sérum glucosé (c'est de l'eau avec du sucre) très important pour le cerveau. Le sucre est le seul aliment du cerveau, sans lequel ce dernier se met en grève. Ce sérum, qui est fabriqué avec une eau exceptionnellement pure, évidement, on peut même le boire au goulot, c'est du sirop léger.

Mais l'infirmière (rapidité, débordement, mauvais rangement dans l'armoire à pharmacie, négligence, ou même racisme sous-jacent) n'a :

- soit pas bien lu l'ordonnance (à l'hôpital aussi, les médecins écrivent comme des cochons!),

- soit pas attrapé la bonne poche (ou ampoule) de sérum dans la mini-pharmacie du service,

- pas lu et relu son étiquette posément (3 secondes), obligatoire,

- pas relu avant de l'introduire dans le perfuseur, obligatoire,

- pas relu avant de piquer la veine, obligatoire,

- pas relu avant de tourner la molette pour lancer la perfusion, obligatoire.

Le petit gars avait sans doute perdu plein de sels minéraux (angine + fièvre = transpiration, ça s'évapore) et de vitamines et s'affaiblissait par manque d'alimentation.

En ville, on aurait recommandé de lui faire boire du coca-cola (Ach! nous y revoici!), qui je le rappelle, était au départ un simple MEDICAMENT. C'est une potion de décocté de plantes énérgétiques et remplis de sels minéraux. Avec du bicarbonate de soude pour faire les bulles.

Ca stoppe la diarrhée, ça requinque, et en plus ça aide à digérer (bicarbonate).

Inventée par un pharmacien Noir (j'en suis fière) à Atlanta, dans son arrière-boutique, pour requinquer ses clients fatigués ou diarrhéiques. La potion contenait entre autres de la décoction de feuilles de coca (et donc de la cocaïne) ainsi que du jus de noix de Kola, d'où son nom.

Et si Coca n'a pas inventé saint-Nicolas, la deuxième guerre mondiale a DIFFUSE la boisson et le barbu volant aux quatre coins de la planète, via un protocole d'accord entre Coca et l'armée américaine : débarquement de GI's = débarquement de Coca.

Ce qui fait que tous les médecins, pédiatres et pharmaciens de la planète savent parfaitement conseiller le petit verre de coca (dégazéïfié en remuant une cuillère dans la potion pour éviter le burp salvateur qui pourrait faire tout recracher au petiot) en cas de fatigue passagère.

Même chose pour les petits vieux en maison close de retraite. Papy a une faiblesse? Hésite pas, mon gars : un coca (attention : toujours très frais!) et ça repart.

Ensuite le Coca a été tellement apprécié pour son goût que c'est devenu une boisson courante.

En clair, l'Africaine que je suis vous dit ceci : à force de ne s'enorgueillir ne vouloir dispenser qu'une médecine "scientifique" poussée aux extrêmes, car il est toujours extrémiste de vouloir piquer une veine, l'Occident Chrétien euh, les pays riches cultivent les germes de leur propre mort.

Là où n'importe quel "pauvre" (mais le sont-ils vraiment?) de la planète, sans Sécu ni mutuelle, serait passé devant les portes de l'hôpital sans y entrer, faute de pécule, et donc se serait contenté d'un Coca (chaud) vendu par le vendeur en pousse-pousse sévissant devant l'entrée (dudit hosto) pour requinquer son petiot, "l'avancée médicale stupéfiante de ces 20 dernières années, sic" a obligé le médecin de ville à se couvrir en faisant entrer le p'tit gars à l'hôpital.

L'hôpital a voulu se couvrir en lui prescrivant du sérum glucosé.

L'infirmière l'a découvert (au moins au niveau du bras) pour lui envoyer du chlorure de magnésium en ADSL. Médicament qui, à toute petite dose, est un simple laxatif. On le donne justement aux vieux qui peuvent plus trop...euh, plus bien...euh, y font plus caca, quoi!

Par contre à forte dose ce petit chat de rien du tout se transforme en bête féroce : il ralentit puis arrête le cœur.

Tellement même qu'on le met dans le mélange américain pour tuer les condamnés à mort là-bas.

Le père et la mère gueulaient comme des putois à la mort imminente de leur rejeton, personne n'a voulu les prendre au sérieux.

Le père, que j'ai vu et entendu au JT de France 2 ce midi, a bien décrit les différentes phases : agitation, pâleur, yeux révulsés, puis le corps devient tout mou, chiffon, râle, la mort.

Les parents hurlaient dans le couloir, ont même demandé dans leur panique qu'on appelle les pompiers, et se sont fait sévèrement rabrouer par le personnel soignant lorsque celui-ci a enfin daigné arriver. On leur a répondu que leurs fils était somnolent à cause du produit injecté.

(Vous avez déjà vu de l'eau sucrée endormir qui que ce soit, vous??)

C'est vrai quoi, qu'est-ce qu'il y connaissent à la mort ces immigrés (peut-être sans papiers et à la CMU de surcroît!)?

C'est incroyable que ce père ait eu à pratiquer bouche-à-bouche et massage cardiaque tout seul, en plein hôpital, sans le secours d'aucune personne soignante!

A Paris.

En 2008.

Pas à Cotonou, en 1675.

Là, on n'est plus dans le médical, dans le pharmaceutique. On est dans le comportement, le relationnel, l'humain.

Total manque d'empathie de l'ensemble de l'équipe soignante pour deux parents qui appellent au secours.

On ne les croit pas, donc on ne revérifie pas la poche (réflexe immédiat de tout pharmacien). Vous aurez noté que c'est l'infirmière elle-même qui s'est rendue compte de son erreur, ce qui semble signifier que les autres membres de l'équipe soignante n'ont pas revérifié la poche quand les parents criaient. Totalement confiants et solidaires de leur collègue.

Totalement au détriment du patient.

La dynamique de groupe a joué à fond. Avec son pendant : la dynamique d'exclusion.

J'ai déjà assisté à plusieurs cas de ce type en hôpital ou maison de retraite ; d'où mon soupçon de racisme énoncé plus haut et ma propre crainte quant à une hospitalisation personnelle, de peur de subir une négligence du même type.

L'hôpital, c'est rien que des humains : ils sont malheureusement dedans exactement comme ils sont au dehors. Et donc j'y ai très clairement constaté que tous les malades ne sont pas égaux : en soins, en attention, en surveillance, etc. Les pauvres, les minorités visibles et "immigrées", les SDF, les vieux : tout y est sujet à "racisme"? Maltraitance à tous les étages. C'est à pleurer.

Manque d'éducation, d'instruction, de culture, de responsabilisation des personnels soignants: certains, livrés à eux-mêmes, fatigués, mal payés, démotivés, frustrés, deviennent de très vilaines personnes.

Le serment d'Hypocrate? Hum, hum...

Alors encore une fois, je ne jette pas la pierre sans savoir.

Mais je dis que tuer un être humain, quel qu'en soit le mode, c'est un meurtre.

Et cela vaut bien une garde à vue.

Humainement.

Psychologiquement.

Et pour l'exemple.

(Vous pouvez tranquillement vous faire opérer dans le mois qui vient, tous les soignants seront particulièrement attentifs, traumatisés qu'ils sont non pas de la mort de petit, ça c'est tous les jours, mais de la garde à vue de leur collègue. Comme quoi il suffisait de leur trouver matière à réflexion...).

Par contre, il est clair que cette infirmière n'aurait pas dû être la seule de l'hôpital à passer Noël au poste. La faute semble est évidement collective.

Pourvu que cette faute, fortement médiatisée, ne reste pas sans responsable(s) : elle se transformerait en pierre à briquet.

Qui allumerait la mèche.

Paix à l'âme du petiot..


Mise à jour 27 décembre 2008 : ce billet a vu un exceptionnel défilé de primo-commentateurs ulcérés par l'allusion à un possible racisme du personnel soignant à l'origine de l'incident, tellement choqué à l'idée —saugrenue, bien sûr— qu'il pût y avoir ne serait-ce qu'un raciste en France qu'ils en déduisent en vrac que ce commentaire ne vaut pas d'être lu et que mon blog n'est décidément plus ce qu'il était. Ceux-là trouveront une réponse groupée sous le commentaire 71 signé Guillaume. À bon entendeur…

Et je vous invite à lire ce commentaire laissé par une personne se présentant comme un collègue de l'infirmière concernée, et qui dit avoir été présente lors de l'accident. Elle donne des détails sur le déroulement des événements, contestant la version du père. Je vous invite particulièrement à méditer ce passage :

- Le père continuait à hurler de toute ses forces et a appelé la police. Il a appelé tous ses frères et soeurs. - 20 personnes hurlantes ont débarqué dans le service en détruisant le sapin de noël, l'imprimante... En se roulant par terre (syndrome méditerranéen). 3 femmes ont fait des malaises et ont été emmené par SAMU dans un hôpital pour adultes...

Cherchez sur internet ce qu'on appelle le syndrôme méditerrannéen. De la pure xénophobie parée d'un cache-sexe pseudo-scientifique. Alors, une perception de l'urgence altérée par un biais culturel, c'est VRAIMENT totalement impossible, à écarter absolument avec force grimaces de dégoûts et cris d'orfraie, dans le plus pur style du syndrôme méditerrannéen ?

jeudi 25 décembre 2008

On l'a échappé belle

Le terrorisme ne connaît pas le repos, et cette nuit, nous l'avons échappé belle :

Paris (Agence Blog Presse) - 25-12-2008 : Le ministre de l'intérieur Michèle Aliot-Marie a tenu une conférence de presse sur un incident majeur lié au terrorisme international. Cette nuit, a-t-elle révélé, un religieux radical turc est entré dans notre espace aérien et a laissé une quantité très importante de colis suspects dans nos foyers. Cette attaque, a révélé le ministre, a été planifiée pour coïncider avec l'anniversaire de la naissance d'un leader religieux radical révéré par les musulmans dans le monde entier, né dans les territoires occupés, dans la ville de Cisjordanie appelée Bethléem.

Cette nouvelle est à prendre avec le plus grand sérieux, a-t-elle continué, et la Sous-Direction Anti-terroriste (SDAT) est saisie de l'affaire. Le ministre a rappelé que le leader religieux dont cet attentat marque l'anniversaire est connu pour avoir reçu un fort soutien matériel de leaders politico-religieux Iraniens, déjà connus des services de police pour avoir introduit des matériaux non comestibles dans des denrées alimentaires. Le leader religieux dont l'attentat de cette nuit vise à commémorer la naissance est connu pour avoir causé de nombreux troubles en Palestine avant d'être arrêté par une coalition israëlo-italienne, condamné à mort et exécuté, conformément aux lois internationales a précisé le ministre. Des arrestations auront lieu d'ici les prochains journaux télévisés, a conclu le ministre, sans préciser quelles pistes seraient exploitées.

Le Président de la République a chargé le Garde des Sceaux de préparer un projet de loi afin d'adapter la procédure pénale aux nouvelles formes de terrorisme, qui permettrait de prolonger la garde à vue jusqu'à 2 ans, et de repousser l'entretien avec un avocat à l'issue de la première année. Les moyens nécessaires seront prélevés sur le budget du ministère du logement : « À quoi cela servirait-il, m'ame Chazal, a déclaré le président sur l'antenne de TF1, que les Français aient un logement si c'est pour que le premier terroriste turc venu puisse y déposer des colis suspects ? ». Cette annonce a provoqué la colère des associations pour le droit au logement qui ont fait observer que cette nuit, une SDF avait dû accoucher dans une étable.

Ouf. On a eu chaud.

Joyeux Noël à tous. Et si vous avez trouvé un de ces colis suspects, SURTOUT ne l'ouvrez pas et envoyez-le moi par Chronopost à mon domicile. La sécurité avant tout.

(D'après Thoreau)

samedi 20 décembre 2008

Quelques mots sur l'affaire Coupat

Que ce soit en mail ou en commentaires, je reçois beaucoup de questions sur l'affaire Coupat, et plus largement sur l'affaire des sabotages des lignes TGV, imputés à un groupuscule d'extrême gauche, et qualifiés d'entreprise terroriste.

Voici juste quelques éclaircissement généraux qu'un juriste peut apporter. Je n'ai accès à aucune pièce du dossier et me garderai de me prononcer sur la responsabilité des personnes interpellées, même si la remise en liberté de certaines et le maintien en détention d'autres peut surprendre. Mais après tout, ces sabotages ne nécessitant pas une infrastructure élaborée, il est possible que seuls certains membres y aient été mêlés. Qui vivra verra.

Voyons donc le cadre général dans lequel se déroule cette instruction, avant de voir ce qui est arrivé à Julien Coupat.

Le cadre général : les infractions terroristes.

Le code de procédure pénale (CPP) pose les règles générales applicables aux instructions. Mais d'années en années, des réformes ont ajouté à la fin du code toute une série de règles dérogatoires au droit commun, jamais au bénéfice des personnes soupçonnées, mais, bien sûr, au nom de notre sécurité, l'alibi absolu avec la protection des enfants (ceux là même qu'il faut envoyer en prison dès 12 ans).

C'est ainsi que le CPP prévoit des règles de procédure spécifiques pour :

► Les actes de terrorisme (art. 706-16 à 706-25-1).
► Le trafic de stupéfiants (art.706-26 à 706-33).
► La traite des être humains[1] (art.706-34 à 706-40).
► Les infractions sexuelles (art. 706-47 à 706-53-12).
► Les infractions en bande organisée (art. 706-73 à 706-106).

Ajoutons à cela des règles dérogatoires pour les infractions commises par les personnes morales, les majeurs protégés, les déments, en matière sanitaire, économique et financière, et de pollution maritime, et vous comprenez que les larmes qui accueillent tant chez les avocats que les magistrats l'annonce d'une nouvelle réforme du CPP ne sont pas toutes de joie et de reconnaissance éperdue.

Revenons en à notre affaire.

En l'espèce, les actes de sabotage des lignes TGV ont été qualifiées d'actes de terrorisme.

Voilà qui peut surprendre quand d'habitude, le terrorisme évoque des bombes dans les transports en commun, des avions qui explosent, ou à tout le moins, des bâtons de dynamite dans une chasse d'eau. Mais une caténaire arrachée, ça fait petit joueur. Ça perturbe le trafic mais ça ne risquait pas de tuer quiconque.

Qu'est ce que la loi entend donc par acte de terrorisme ?

En principe, un acte de terrorisme n'est pas une infraction autonome. Il s'agit d'une infraction de droit commun dont le législateur fait la liste[2], mais commises « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».

À ces délits viennent s'ajouter, bien qu'elles soient présentées comme des infractions autonomes, l'introduction dans l'environnement d'une substance de nature à mettre en péril la santé de l'homme ou des animaux ou le milieu naturel dans le cadre d'une entreprise terroriste, l'association de malfaiteurs[3], le financement d'une organisation se livrant au terrorisme[4], ou le fait de ne pouvoir justifier de son train de vie quand on est en relation habituelle avec des personnes se livrant à du terrorisme[5], qui sont en faits des infractions existantes aggravées ou adaptées (la dernière s'inspire du proxénétisme).

Et à quoi ça sert ?

Tout d'abord, les infractions en questions sont toutes aggravées (sauf l'association de malfaiteurs, on touche déjà le plafond de 10 ans encourus). Les destructions volontaires en réunion, qui font encourir 5 ans de prison, en font encourir sept dans le cadre du terrorisme.

En outre, en présence d'une de ces infractions, le tribunal de grande instance de Paris est compétent, en concurrence avec le parquet local du lieu de l'infraction. Cela ne veut pas dire que deux instructions vont être menées en parallèle, le code prévoit les règles de l'éventuelle transmission du dossier à Paris. Pourquoi ? Parce que les juges et avocats de province sont trop mauvais Parce que le parquet de Paris est doté d'une section spécialisée, la section C1, et de juges d'instruction également spécialisés dans la matière, et qui connaissent bien les différents réseaux, leur fonctionnement, leur mentalité. C'est notamment là-haut, sous les toits, dans la galerie Saint-Éloi, qu'a exercé pendant plus de 20 ans le célèbre juge Bruguière. Enfin, les crimes sont jugés par une cour d'assises spéciale composée de 7 magistrats professionnels sans jurés, pour mettre les citoyens à l'abri des pressions et représailles des organisations terroristes.

Au stade de l'enquête, ce sont des services de police spécialisés (par exemple la Direction Nationale Anti-Terroriste, DNAT) qui sont saisis.

Enfin et surtout, puisqu'il s'agit de votre sécurité, n'est-ce pas, les droits de la défense sont mis au congélateur. La garde à vue peut durer jusqu'à 96 heures, voire 144 heures (oui, 6 jours) en cas de menace imminente (mais une menace non imminente est-elle une menace ?), le gardé à vue n'ayant droit à s'entretenir avec son avocat qu'au bout de la 72e heure. Car c'est connu, rien ne permet mieux de lutter contre le terrorisme que de priver des suspects de leurs droits de la défense, sauf peut être une prison militaire sur un bout d'île occupée.

Je précise que s'il s'avère que le quidam placé 6 jours en garde à vue n'a rien à voir avec le terrorisme, il ne peut même pas prétendre à un mot d'excuse.

Revenons en à nos anarchosaboteurs.

On leur impute des dégradations, détériorations et destructions en réunion dans le cadre d'une entreprise terroriste (puisqu'ils ont été commis intentionnellement dans le cadre d'une entreprise individuelle ou collective (collectiviste, en l'espèce) ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, et une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste[6]. Ce qui lui fait encourir 10 ans de prison.

Le fait de recourir à la procédure extraordinaire des infractions terroristes dans cette affaire est contesté dans son principe par des soutiens aux personnes interpellées, et quelques juristes. Sachez qu'en droit, s'il s'avérait que les faits ne relevaient pas de cette procédure dérogatoire car l'entreprise terroriste n'est pas caractérisée (de fait, bloquer des TGV trouble-t-il gravement l'ordre public ?), les faits seraient requalifiées en infraction de droit commun, mais les poursuites n'en resteraient pas moins valables, même avec une garde à vue plus longue que le maximum légal prévu pour ces délits.

Les déboires de Coupat.

Lexpress.fr nous apprend que Julien Coupat, présenté comme le chef des anarchistes (cherchez l'erreur) reste incarcéré malgré la décision de remise en liberté du juge des libertés et de la détention.

Un juge des libertés et de la détention (JLD) a signé vendredi une ordonnance de remise en liberté à la suite d'une demande déposée par son avocate, Me Irène Terrel, à l'issue d'un interrogatoire de Julien Coupat devant le juge d'instruction chargé de l'enquête le 12 décembre.

Situation classique. Le juge d'instruction interroge le mis en examen détenu. L'interrogatoire terminé, l'avocat a aussitôt le réflexe de demander la remise en liberté, puisque maintenant que le client a été entendu, un des motifs de l'incarcérer (prévenir une collusion avec les autres auteurs ou complice) a disparu. Le juge d'instruction peut décider d'office de remettre en liberté, ou l'avocat peut le lui demander. En cas de demande de mise en liberté (dite DML), que ce soit par l'avocat ou le détenu lui-même au greffe de la maison d'arrêt, le juge doit transmettre immédiatement la demande au parquet pour connaître son avis, et soit remettre le détenu en liberté, soit s'il estime qu'il faut rejeter la requête, la transmet avec son avis au JLD dans les 5 jours de la communication de la demande au parquet. L'article nous apprend sans le dire que le juge d'instruction était contre la remise en liberté puisque c'est le JLD qui a statué, et que le parquet s'opposait lui-même à cette remise en liberté, par la procédure spéciale qu'il a utilisée pour paralyser l'ordonnance du JLD..

Le JLD a alors trois jours ouvrables pour rendre une ordonnance motivée susceptible d'appel, par le détenu en cas de rejet de sa demande de mise en liberté, soit par le parquet en cas de remise en liberté. Bien que rien n'interdise au parquet de faire appel d'un refus de mise en liberté. Si, si. C'est déjà arrivé.

Le juge avait jusqu'à lundi pour statuer, mais il n'a pas attendu jusque là et vendredi, il a signé une ordonnance de remise en liberté. Le parquet n'est pas d'accord, le détenu n'étant pas un dignitaire d'une dictature amie de la France (qui a dit “pléonasme” ?) mais un simple citoyen français (anarchiste, certes mais citoyen quand même).

Le jeune homme de 34 ans n'a cependant pas été remis en liberté, le parquet ayant pris un référé-détention contre la décision du JLD. Cet appel doit être examiné mardi par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, selon l'une de ces sources.

Référé détention ? Qu'est-ce donc, me demanderez-vous ?

En 1996, dans un de ces moments de grâce où une majorité de l'assemblée réalise l'importance des droits de la défense (c'était suite à l'affaire Botton…), a été institué une procédure de référé liberté. Quand un juge des libertés et de la détention place quelqu'un en détention, la personne concernée ou son avocat peut immédiatement faire appel et demander que le président de la chambre de l'instruction examine dans les trois jours ouvrables la demande. Il peut décider de remettre le détenu en liberté, ou renvoyer l'affaire devant la chambre de l'instruction dans le cadre de l'examen ordinaire de l'appel. Notons que c'est, à ma connaissance, la seule procédure d'appel qui peut se former immédiatement devant le juge qui vient de rendre la décision. Je vous garantis l'effet pour plomber l'ambiance. C'est l'article 187-1 du CPP.

En 2002, dans un de ces moments de disgrâce qui suit une campagne présidentielle sur le thème de l'insécurité, la même majorité va adopter la procédure inverse : le référé-détention. L'hypothèse est celle d'un JLD qui remet en liberté contre les réquisitions du parquet. Le JLD doit alors notifier sa décision au parquet qui a quatre heures pour faire appel en demandant un examen immédiat de cet appel. La logique aurait voulu que ce soit le président de la chambre d'instruction qui examine ce référé détention, tout comme il examine les référés libertés. Ce sera donc le premier président de la cour d'appel qui s'y collera. Des mauvaises langues, dont je ne suis certainement pas, vous me connaissez, diront qu'un premier président de cour d'appel est à un niveau tel de la hiérarchie (qu'on appelle hors hiérarchie, c'est dire…) que toute possibilité de promotion, qui ne peut se faire qu'en Conseil des ministres, suppose d'être bien vu par le gouvernement en place, donc rend plus… vigilant sur la teneur des décisions politiquement sensibles qu'il pourrait prendre. Heureusement, je ne suis pas mauvaise langue. C'est donc juste une simple incohérence législative.
Le premier président doit statuer au plus tard le deuxième jour ouvrable suivant la demande. Articles 148-1-1 et 187-3 du CPP.

Pour en revenir à notre ami qui n'aime ni l'économie de marché ni les caténaires (ce dernier point étant toutefois contesté), la décision de remise en liberté est paralysée par un référé détention qui doit être examiné mardi au plus tard. Cela provoque, et on la comprend, l'ire de son avocat. Las, soit la douleur l'égare, soit ses propos ont été mal compris par le journaliste.

« Il devrait être libre à l'heure où je vous parle », a affirmé son avocate, dénonçant cette « procédure exceptionnelle qui n'a pas lieu d'être ». « Tout est bloqué par un référé-détention, ce n'est pas normal. Julien Coupat a des garanties de représentation », a-t-elle estimé. « Un référé-détention à la veille de Noël, ça va trop loin, c'est lamentable », a déploré Me Terrel.

Un référé détention est aussi exceptionnel qu'un référé liberté. C'est une voie de recours tout à fait légale ouverte au parquet quand il le souhaite. Dieu sait que c'est frustrant pour un avocat de la défense de sauter sur le fax, lire "Ordonnance de remise en liberté", crier "Youpi", feuilleter les pages et tomber sur un avis de référé détention. Ça met une claque. Il demeure, c'est légal. Et c'est normal que tout soit bloqué par ce référé détention : c'est le but du référé détention. Et aucun texte ne s'oppose à ce qu'il soit exercé la veille (ou l'avant-avant-avant-avant-avant-veille de Noël, c'est pareil, ne jouons pas sur les mots) de Noël.

Voilà les quelques lumières que je puis apporter sur cette affaire. Je me garderai bien, j'insiste, de me prononcer sur le fond, et vous prierai de respecter cette même réserve en commentaire. L'instruction est en cours et nous ne savons rien ou si peu de son contenu. Entre ceux à ma droite qui crient au loup au couteau entre les dents, et ceux à ma gauche qui crient au coup monté contre d'innocents rêveurs qui pensent que la lutte contre l'économie de marché commence en ouvrant une épicerie dans le Limousin, je n'ai aucune envie de trancher et là n'est pas l'objet de ce billet.

Notes

[1] Rien à voir avec la production de lait maternel, il s'agit du proxénétisme.

[2] Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, les vols, les extorsions, les destructions, dégradations et détériorations, ainsi que les infractions en matière informatique ; les infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous ; les infractions en matière d'armes, de produits explosifs ou de matières nucléaires, le recel du produit de ces infractions ; les infractions de blanchiment et même les délits d'initié. Art. 421-1 du Code pénal.

[3] Ajouté par une loi votée au lendemain des attentats de 1995.

[4] Ajouté par une loi votée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.

[5] Ajouté par une loi votée au lendemain de l'attentat de Bali.

[6] Le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents. Article 421-2-1 du code pénal

jeudi 18 décembre 2008

Les images pour le dire

Les mots ont un pouvoir, mais limité. Parfois, souvent, des images font mieux.

Venez, je vous emmène dans les sous-sols et les arrières-cours de la République.

Voici deux endroits où, au dessus de l'entrée, vous pourrez lire « République Française — Liberté, égalité, fraternité. »

Le premier est la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, où j'ai quelques clients en ce moment même. Des détenus ont réussi à faire passer à l'intérieur une arme terrible. Une caméra vidéo. Ils en ont sorti 2h30 d'images, dont Le Monde nous offre un petit montage. Les douches extérieures et intérieures. Les cellules. La saleté. Ce que même les avocats ne voient pas.

Et maintenant, de l'exotisme, avec le Centre de rétention de Pamandzi, sur l'île de Mayotte. Un centre de rétention n'est pas une prison. C'est un endroit où sont placés des étrangers en attente de leur reconduite à la frontière. En l'espèce, un seul pays : l'Union des Comores. Mayotte fait partie de cet archipel de quatre grandes îles. Trois îles ont accédé à l'indépendance en juillet 1975 : Grande Comore, Mohéli, et Anjouan. La quatrième île, Mayotte, est restée française car le non à l'indépendance l'a emporté, sur décision unilatérale du premier ministre français d'alors (un certain Jacques Chirac). Avec pour conséquence la séparation de familles : les mahorais ont tous des cousins aux Comores et vice-versa.

Les Comores ont eu une histoire agitée, émaillée de coups d'États et de quasi-guerres civiles, notamment à l'égard d'Anjouan, l'île la plus pauvre, qui a des velléités séparatistes. Carte de l'archipel des Comores - image wikipédia

Ajouan est à 70 km de Mayotte par la mer. Un saut de puce, que beaucoup d'Anjouanais effectuent dans des barques de fortune. La plupart sont expulsés vers Anjouan, fournissant la plus gros contingent (16.000 environ) de la cohorte des 26 000 expulsions qui fait la fierté de notre ministre de l'immigration, de l'identité nationale et de quelques mots sympas pour faire passer la pilule.

En attendant leur expulsion, ils sont placés au centre de rétention de Pamandzi. Capacité : 60 places. Occupation effective : environ 200. La Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité a, dans un avis du 14 avril 2008 sur lequel je vais revenir, déclaré, dans le plus pur style dit de l'euphémisme administratif :

Les conditions de vie au centre de rétention administrative de Mayotte portent gravement atteinte à la dignité des mineurs retenus ,

demandant que

« les mineurs ne soient plus placés en rétention dans l’actuel centre de rétention administrative de Mayotte ».

Voici des images du centre de rétention de Pamandzi, en octobre dernier. Voyez l'image à 1'19" pour voir comme il a été tenu compte de cet avis.

Le rapport de la CNDS, donc.

La commission a été saisie à la suite du naufrage, il y a un, au cours de la nuit du 3 au 4 décembre 2007, d'une barque de clandestins, percutée par un navire de la… PAF (police aux frontières, ça ne s'invente pas…) qui dérivait, toutes lumières éteinte. Les témoignages des survivants font estimer à une quarantaine le nombre de passagers. La violence du choc éventré le bateau qui a rapidement sombré, et projeté les passagers à la mer, dont certains dormaient. La plupart ne savaient pas nager. L'équipage de la PAFa tout fait pour repêcher les passagers. Mais…

Une jeune gardienne de la paix à bord de la vedette raconte :

« Nous avons jeté tout ce qui pouvait aider les passagers à sortir de l’eau, des cordes avec des bouées flottantes. Mon chef de bord, a sauté à l’eau pour sauver les naufragés. Constatant qu’il commençait à fatiguer, j’ai sauté à l’eau, car j’entendais encore des gens crier à l’avant ; mais n’ayant pas de gilet de sauvetage, je suis finalement remontée à bord. »

La suite figure au journal de bord.

28 personnes récupérées saines et sauves: 15 hommes, 11 femmes et 2 bébés. 1 femme et 1 bébé décédés. 4h50: accostage à Mamoudzou.

La CNDS précise qu'une petite fille de douze ans figure parmi les “disparus”.

Elle a entendu une des survivantes, Mlle R.B., “mineure de moins de 15 ans”:

« J’habitais Anjouan chez ma grand-mère maternelle. Je venais pour la première fois à Mayotte. J’ai pris le bateau toute seule pour rejoindre mon père. Depuis, je vis avec mon père. Je ne vais pas à l’école. J’aimerais y aller. »

Malheureuse. Si tu t'y crois à l'abri.

L'intégralité du rapport(pdf), publié par le GISTI.

Lettre au Pere Noël

Par Gascogne


Je ne voudrais pas pourrir l'ambiance, il paraît que ce n'est pas la période. Mais que voulez-vous, je ne crois pas au Père Noël. J'ai passé l'âge. C'est sans doute une période féerique pour les enfants, mais me dire que l'on fabrique du bonheur sur un mensonge m'a toujours quelque peu perturbé.

Je ne crois plus au Père Noël depuis que je suis en âge de comprendre la fable de La Fontaine : "Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l'écoute.
Cette leçon vaut bien un fromage sans doute.
Le Corbeau honteux et confus
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus." (A lire ici)

Je me vois bien en corbeau, enrobé de noir, en haut de mon pupitre, croyant ce que ce renard de prévenu me dit : "vous n'allez pas me croire, monsieur le procureur, mais cette fois-ci, j'ai compris. Je sais bien que c'est la dixième fois que je passe en correctionnel, mais là, c'est bon, je veux devenir quelqu'un de bien". Bah, requérons un travail d'intérêt général. C'est Noël...

Je m'imagine parfaitement en corbeau écoutant le renard du Ministère me contant, à l'occasion d'un dîner place Vendôme, les augmentations de budget et d'effectifs, et accessoirement tout son amour pour notre si beau métier. Certes, le budget famélique de la Justice augmente. Mais parle-t-on des gels de lignes budgétaires qui interviennent systématiquement dans l'année qui suit ? Oui, le nombre de magistrats s'est accru, mais pourquoi parler d'emplois en Equivalant Temps Plein ? Pourquoi manque-t-on toujours cruellement de fonctionnaires dans les juridictions ? Pourquoi diminue-t-on le nombre de places au concours d'accès à l'ENM, alors que la pyramide des âges nous entraîne vers des départs massifs à la retraite ?

Je ne crois plus au Père Noël depuis que mon travail me fait découvrir jour après jour des situations sociales plus terribles les unes que les autres. Ca ne s'est d'ailleurs pas arrangé depuis que je fréquente ce blog.

Et dans l'horreur du droit pénal, qui est mon quotidien, il arrive parfois qu'il y ait une lueur étrange. Oh, pas une très belle lumière, la noirceur humaine qui est notre fonds de commerce ne le permet pas. Juste une petite lumière. Et elle me permet d'ouvrir les yeux. Oui, finalement, c'est une évidence : il existe.

Alors joyeuses fêtes à tous.

mardi 16 décembre 2008

La CNDA, on l'aime aussi pour ça

Le bulletin du barreau n°43 du 16 décembre 2008 (pdf) publie page 447 (page 7 du pdf) un mémento sur l'organisation des commissions d'office devant la cour nationale du droit d'asile (CNDA).

À lire absolument si vous avez suivi la formation vous permettant d'être inscrit sur les listes.

J'applaudis à l'excellente idée de ne pas faire de permanences mais d'attribuer des dossiers par paquet de trois, tous audiencés à la même date. Cela permet à l'avocat de préparer ses trois dossiers à l'avance (indispensable devant la CNDA) en une seule visite et de les plaider en une fois, pour trois indemnités, soit environ 600 euros. Cela rend l'assistance au titre de l'AJ économiquement viable.

Je participerai bientôt à l'effort de guerre en vous donnant mes conseils sur la défense devant la CNDA (qui ne sauraient se substituer, mais au contraire compléteront utilement les excellentes explications qui vous ont été données par la formation de l'ordre).

Il y a juste une perle que je souhaite vous faire partager. C'est à la fin.

3. Les absences des avocats

Afin de gérer au mieux les audiences, la CNDA a souhaité être informée des congés ou absences des avocats six mois à l’avance.

Ça se voit, que le président de la CNDA est un Conseiller d'État à la retraite ?

Je vous signale que la plupart de mes confrères et moi, surtout les pénalistes et ceux qui font du droit des étrangers (il faut qu'on s'invente un néologisme, d'ailleurs… Extranéiste ? Météquologue ?) ne sont pas sûrs de leur emploi du temps de la semaine. Alors anticiper à six mois (même si j'ai déjà des audiences jusqu'en automne 2009…).

La réponse de l'ordre est admirable de diplomatie :

Il a déjà été indiqué qu’il est particulièrement difficile pour les avocats de gérer une telle anticipation, compte tenu des spécificités de la profession.

Ce qui n'exclut pas l'humour :

Ceux des avocats dont l’agenda permet de telles prévisions peuvent se rapprocher de la CNDA.

Qui sur ce coup ne risque pas l'engorgement.

Avis d'Ultime Berryer : Guy Birenbaum

Requiem æternam dona eis, Batonie, et lux perpetua luceat eis.[1].

La promotion 2008, celle qui invita ses confrères Belges au Flunch et est allée délibérer au Formule 1 de la porte de Saint-Ouen, va expirer sous les vivats et les larmes.

Elle poussera son râle le jeudi 18 décembre à 21h30, au Palais de justice, salle des criées.

L’invité sera Monsieur Guy Birenbaum, journaliste, éditeur et écrivain.

Monsieur Gustave Charvet, 10ème Secrétaire se chargera du rapport.

Les sujets sont les suivants :

1er Sujet : Les délits sont-ils réservés aux initiés ?
2e Sujet : Faut-il partager les secrets en public ?

Je vous rappelle les consignes : ouverture des portes à 19h30, se munir d'une pièce d'identité, aucune réservation n'est possible, c'est le prix de la course. Aucune queue n'est admise devant les grilles. Merci de ne pas laisser traîner vos bâtons de dynamite dans les toilettes du palais.

Chers confrères, expirez en paix, mission accomplie.

Quant aux p'tits nouveaux, on les attend de pied ferme dès le douzième coup de minuit.

Notes

[1] Monsieur le Bâtonnier, donnez-leur le repos éternel, et faites luire pour eux la lumière sans déclin.

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