Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 12 mai 2006

Appel à mes lecteurs

Mes comparses de Lieu-commun et moi-même, enthousiasmés par mon omniprésence médiatique, avons décidé de faire à titre d'essai des podcasts nous réunissant par groupes de 3 ou 4 selon nos affinités sur des thèmes d'actualité. Et avec pourquoi pas des invités extérieurs.

Problème : il y a loin de la coupe aux lèvres, et nos cerveaux sont remplis de pensée unique et point de connaissance en informatique.

Le problème est le suivant.

Nous pensons effectuer ces podcasts via Skype, un peucomme les skyplex du Podcasteur, certains de nos hémisphères cérébraux se trouvant en des contrées éloignées voire barbares. Skype, ça va, je maitrise.

Mais quel programme(s) me conseillez vous d'utiliser pour :

1) Enregistrer nos insupportables digressions,
2) Pour faire un travail de mixage de base (coupure des interruptions de Paxatagore, insertion de musique pour couvrir les élucubrations de Koztoujours),
3) Que format utiliser ? MP3 ? OGG ?

En vertu de ma radinerie mes principes philosophiques, j'ai une nette préférence pour les logiciels libres.

PS : Je sais qu'il y a une école du "non au podcast". Merci de ne pas jeter l'anathème, on a envie d'essayer.

jeudi 9 mars 2006

Le DADVSI Code (7) : O Draconian députés ! O Lame Constitution !

Ce billet a dû subir une sérieuse mise à jour ce qui a entraîné la nécessité de raturer quelques paragraphes. L'usage des blogues est de ne pas retirer un texte qui a été rectifié sur un autre blog sous peine de faire perdre tout intérêt au billet rectificateur. Désolé donc pour l'aspect brouillon, j'en suis le seul responsable.

"Ca s'en va et ça revient, c'est fait de tous petits riens..." Quoi donc ? Mais l'article premier projet de loi DADVSI, voyons.

Ce qui au début n'était qu'une saynète cocasse devient une farce en plusieurs actes et multiples tableaux, rendons hommage au ministre de la culture.

Souvenez vous : le 21 décembre, contre toute attente à commencer par celle du gouvernement, l'assemblée nationale adopte un amendement ouvrant la voie à la licence globale.

Cet amendement n°152 ajoutait à l'article premier de la loi un alinéa précisant :

De même, l'auteur ne peut interdire les reproductions effectuées sur tout support à partir d'un service de communication en ligne par une personne physique pour son usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à l'exception des copies d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde, à condition que ces reproductions fassent l'objet d'une rémunération telle que prévue à l'article L. 311-4.

Cet amendement eut les conséquences que l'on sait : suspension des travaux parlementaires, réveillon gâché chez les Donnedieu de Vabres, montée au créneau des artistes contre le téléchargement des baguettes des boulangers, site internet lancé sans une goutte de champagne.

La discussion reprenait donc cette semaine, sereine, apaisée.

Bon, pour la discussion, on a voulu faire simple, le ministre a retiré du projet l'article premier, qui ajoutait deux alinéas à l'article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle qui prévoit les cas où un auteur ne peut s'opposer à la représentation ou à la reproduction partielle ou totale de son oeuvre. Aux cinq cas existant (représentation dans le cercle de famille, copie privée, courte citation, la parodie et l'accès à une base de données électronique), cat article premier en ajoutait deux : la reproduction transitoire lors de la transmission par voie informatique, qui est faite à l'insu de l'utilisateur, et les opérations permettant de rendre l'oeuvre accessible aux handicapés.

Pourquoi cette hostilité soudaine à l'égard des handicapés ? Parce que retirer l'article premier faisait disparaître automatiquement l'amendement sur la licence globale, qui passait à la poubelle avec les sourds et les aveugles, on ne fait pas d'omelette sans casser les oeufs.

Dès cette annonce, des observateurs éclairés s'interrogeaient sur le fondement de ce retrait d'un article et un seul.

En effet, le règlement de l'assemblée nationale prévoit à l'article 84 que le gouvernement peut retirer un projet de loi en cours de discussion tant qu'il n'a pas été adopté. Mais là, il ne s'agit que du retrait d'un petit bout.

Jean-Louis Debré, président de l'assemblée nationale, indiquait en ces termes pourquoi ce procédé lui semblait légal (je grasse) :

La question du retrait de l'article premier a été évoquée ce matin en Conférence des présidents et l'est à nouveau cet après-midi. Je souhaiterais donc apporter quelques précisions. L'article 84 de notre Règlement dispose que les projets de loi peuvent être retirés par le Gouvernement à tout moment jusqu'à leur adoption définitive par le Parlement. En vertu du principe selon lequel qui peut le plus peut le moins, il est de jurisprudence constante que le Gouvernement, qui peut retirer l'ensemble d'un projet de loi, peut également en retirer une partie, c'est-à-dire un ou plusieurs articles. Il existe de nombreux cas de ce type - le premier remontant à 1960 - et la procédure a d'ailleurs été validée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 26 juillet 1984. La circonstance que l'Assemblée ait commencé l'examen de l'article premier et ait déjà adopté des amendements ne fait pas obstacle à son retrait. Là encore, il existe des précédents à une telle situation. Parallèlement, le Gouvernement a déposé un amendement portant article additionnel qui propose une solution alternative à ce que l'Assemblée avait adopté dans le cadre de l'article premier. Je tiens à souligner que cette solution ne réduit nullement les droits de l'Assemblée.

La jurisprudence constante, les juristes connaissent bien, c'est celle qu'on invoque neuf fois sur dix en espérant que le juge nous croira sur parole. Ca ne marche plus depuis belle lurette, les juges connaissant leur matière répondant en souriant "Ha, oui, la fameuse jurisprudence constante, celle qui vous dispense de citer des arrêts...". [Mise à jour : en fait, jurisprudence constante désigne dans le jargon parlementaire les usages non écrits fermement établis. Cf ce billet ]

Et bien voyons voir ce qu'elle raconte, cette jurisprudence constante.

"Le premier cas remontant à 1960" : il ne peut s'agir que de la décision 59-5 DC du 15 janvier 1960 sur le règlement de l'assemblée nationale. Or sa lecture attentive laisse le lecteur sur sa faim : rien n'est dit sur le retrait partiel d'un texte, le Conseil sanctionnant au contraire une modification du règlement sur le vote bloqué permettant le saucissonnage d'un texte en limitant le vote bloqué à quelques articles : le vote bloqué c'est tout ou rien. Cette décision va plutôt dans un sens contraire à celui du gouvernement.

"la procédure a d'ailleurs été validée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 26 juillet 1984". Ha, une date. Il s'agit donc de la décision 84-175 DC sur une modification du règlement du Sénat. Bon, on cherche où cette procédure a été validée, puisque cette décision valide une réforme du règlement du Sénat qui ne touche à aucun des articles portant sur le retrait d'un projet de loi par le gouvernement, à savoir les articles 24 à 28, seuls les articles 10, 16, 20, 39, 42, 43, 44, 47 bis, 48, 49, 74, 76, 78, 79, 82, 100 et 108 étant modifiés et un article 110 ajouté. [Mise à jour : il s'agit en fait de la décision 84-172. Cf ce billet ]

La jurisprudence constante se réduit comme peau de chagrin.

En fait, il s'avère que ce type de retrait n'est arrivé qu'une fois en 1961, sur un texte qui n'a pas été soumis au Conseil constitutionnel. Donc, on ne sait pas si ce retrait partiel serait conforme à la Constitution.

[Mise à jour :]Ce type de retrait a en fait été expressément validé par le Conseil constitutionnel en 1984 mais il existe de sérieux motifs de penser que cette jurisprudence n'est plus d'actualité. Cf ce billet.

Le Conseil constitutionnel semble même avoir fait savoir qu'il ne considérerait certainement pas ce type de procédé comme conforme à la constitution, faisant encourir à la loi le risque d'être déclarée entièrement anticonstitutionnelle.

RDDV a déjà eu à manger son chapeau dans cette affaire, mais là, c'était toute sa garde robe qu'il risquait de devoir avaler.

Hier soir, donc, spectaculaire volte face, le ministre annonce que le projet de loi discuté inclura l'article premier, y compris donc la licence globale. Enfin, spectaculaire, il faudra être attentif pour déceler l'annonce, qui n'échappera pas à l'opposition (je grasse).

M. le Ministre - Ce que je souhaite à présent, c'est que le débat sur les articles aille à son terme. Le Gouvernement agira en toute transparence et dans le plus grand respect du Parlement, puisque c'est à lui que revient le pouvoir de décider.

J'entends s'exprimer sur vos bancs plusieurs interrogations et je veux qu'il n'y ait aucune ambiguïté, de sorte que les dispositions du texte que vous serez amenés à voter soient claires et compréhensibles par tous. A cet effet, je juge opportun que nous examinions tous les sous-amendements présentés à la suite de l'amendement du Gouvernement. Ensuite, je vous proposerai de ré-évoquer les amendements qui n'ont pas été traités à l'article premier...

M. Patrick Bloche - C'est insensé !

M. Didier Migaud - Incroyable !

M. le Ministre - Au terme de cette démarche, j'ai bon espoir que nous ayons fait le point sur l'ensemble des sujets qui vous préoccupent et que votre Assemblée soit parfaitement éclairée... (Rires sur plusieurs bancs des groupes socialiste, communiste et républicain et UDF) Libre à ceux qui en prendront la responsabilité d'entacher cette démarche de clarté de manœuvres de procédures...

Gageons que le Sénat sera plus docile pour éliminer la licence globale.

Ha, et ces débats ont révélé une information qui intéressera certains de mes lecteurs :

M. Bernard Carayon - Moi, je suis sous Linux. Je dois être le seul à utiliser les logiciels libres dans cette enceinte !

Ce n'est pas sympa pour le ministre de la culture, dont le site lestelechargements.com tourne sous Dotclear.

jeudi 23 février 2006

L'arrêt de la cour d'appel dans l'affaire Guillermito

Voici la retranscription de l'arrêt rendu le 21 février par la 13e chambre A de la cour d'appel de Paris. Je l'ai modifié pour retirer le nom des parties, seuls les avocats et les experts étant cités nommément.

Pour ceux qui souhaitent aller à l'essentiel, la cour donne son opinion à partir du paragraphe "Sur l'action publique (jugement du 8 mars 2005)", quand les paragraphes commencent par "Considérant que".

J'ai inclus quelques commentaires entre crochets et en caractères Arial gras, car il y a quelques perles dans cet arrêt.

Bonne lecture.

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vendredi 13 janvier 2006

Le DADVSI Code(5) : l'Opus d'Elie

Luc Saint-Elie, piqué au vif par ma critique de son emploi du terme stalinisme pour exprimer son désaccord avec la loi DADVSI, s'est fendu de plusieurs longs commentaires fort bien écrits et argumentés. Vous pouvez les lire ici, ici, et .

Il exprime plusieurs préoccupations et craintes des adversaires de cette loi.

Voilà qui m'offre l'occasion d'en expliciter le contenu en le confrontant à des critiques, ce qui sera bien plus intéressant qu'un commentaire de texte article par article.

Et me fournit un cinquième jeu de mot pour le titre.

Tentons de résumer ce que dit la loi DADVSI.

Ha, précision importante : vu l'état actuel de la discussion parlementaire, je m'en tiens au pur projet de loi. Tenir compte des amendements serait un travail herculéen, et une autre lecture devant avoir lieu au Sénat, probablement d'un intérêt éphémère. Gageons que le texte qui sortira finalement au JO sera assez proche du projet de loi pour que cette base de travail soit assez solide. Je ne tiens donc pas compte de l'adoption de la licence optionnelle.

D'abord, cette loi ne légalise pas les DRM (digital rights management, gestion des droits numériques, que la loi inclut dans la catégorie des "mesures techniques efficaces") : ils le sont déjà, ni ne les rend obligatoires.

Dès lors que l'informatique permet de limiter le nombre de copies (transferts vers un CD ou sur un autre ordinateur), il est tout à fait légal pour un auteur ou ses ayant-droits (concrètement, les maisons de disques) d'utiliser ces protections, du moment que l'acheteur en est informé. C'est du droit des contrats : il y a une offre, qui est acceptée, ce qui forme le contrat. L'offre est librement fixée par le pollicitant, dans le respect de la loi. Ainsi, l'achat d'un CD n'est en fait que l'achat d'une reproduction d'une oeuvre musicale permettant un nombre illimité de représentations sur un lecteur adéquat. Il est tout à fait licite de ne vendre qu'un droit limité (le morceau ne peut être écouté qu'un nombre de fois limité, ou sur une période limitée). Si l'acheteur n'est pas d'accord, il n'achète pas, ou négocie des droits plus étendus, hypothèse à écarter pour un particulier seul, mais des actions collectives sont possibles. Notons que pour le moment, les deux offres existent simultanément : le droit limité (vente en ligne à prix modique) ou illimité (vente sur support CD audio à prix scandaleux plus élevé).

Par exemple, un groupe de communication propose de télécharger des films visibles sur ordinateur, qui ne peuvent être regardés que pendant 24 heures, pour 3 euros, ce qui est moins cher qu'un DVD que parfois, on ne regarde qu'une fois. Idéal pour ceux qui voyagent avec leur portable. Je me souviens avoir vu un service vendant des DVD qu'un produit chimique rend illisible au bout de quelques heures.

Ce sont des mesures techniques efficaces, et tout à fait licites en soi.

Ce que change la loi DADVSI, c'est que ces mesures doivent être légalement protégées. En l'état actuel, un informaticien qui parviendrait à supprimer la protection d'un film canalplay pour le voir indéfiniment ne commet qu'une faute contractuelle civile. La loi DADVSI assimilera ce fait à de la contrefaçon.

Mais si un musicien décide de mettre ses oeuvres en circulation sans mesure technique efficace, il en a parfaitement le droit. Tel est le cas des podcasts, par exemple ; ce sont des oeuvres numériques comme les autres. Un podcast en mp3 reproductible aisément restera parfaitement licite une fois la loi DADVSI adoptée. Nul n'imposera à Bloïc™ de mettre des DRM sur ses podcast.

Bref : la loi DADVSI ne rend pas les DRM obligatoires, elle rend leur respect obligatoire et pénalement sanctionné. Mais les formats ouverts comme le .OGG ne sont pas concernés. Les DRM ne sont pas les seules mesures techniques efficaces : la destruction chimique du support en est un autre exemple.

Voilà pour la philosophie de la loi.

Concrètement, la loi se divise en 5 titres, dont seul le titre I (articles 1 à 15) nous intéresse, et spécialement son chapitre 3 (article 6 à 15) : Le titre II concerne les agents publics pour les œuvres réalisées dans le cadre de leurs fonctions ; le titre III précise les modalités de contrôle des sociétés de perception et de répartition, le titre IV étend l'obligation du dépôt légal aux logiciels et bases de données et le titre V étend cette loi aux DOM TOM.

La loi définit les mesures techniques efficaces dans un langage de pur technocrate : « toute technologie, dispositif, composant, qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, empêche ou limite les utilisations non autorisées par le titulaire d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur, d'une œuvre, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme ». De l'art de faire des redondances…

La loi fait obligation aux utilisateurs (les maisons de disque et sociétés de production) de ces mesures techniques efficaces d'accorder "de manière non discriminatoire" des licences d'utilisation aux fabricants de lecteurs et concepteurs de logiciels de lecture, à condition que ceux-ci respectent à leur tour ces mesures. Que donnera l'application de cet article ? Bien malin qui pourrait le dire. La loi ne précise pas les sanctions de cette obligation.

Tout contournement ou procédé permettant le contournement de ces mesures techniques devient un délit : la fabrication d'un lecteur ou d'un logiciel lisant tous les fichiers sans tenir compte des DRM deviendrait illicite.

Les logiciels libres (de lecture d'oeuvres numériques, Linux, Firefox et Dotclear ne sont pas concernés) sont-ils menacés ?

A première vue, non, je ne vois pas en quoi. Les concepteurs de VLC doivent pouvoir obtenir des licences d'utilisation des DRM dans des conditions non discriminatoires. Je sais que cette portion du programme, nécessairement inaccessible, contrevient aux règles définissant les logiciels libres qui doivent être intégralement accessibles en code source. Mais là, il y a conflit entre une loi et une définition. C'est la loi qui l'emporte.

Cette disposition donne la base légale pour que les divers constructeurs de baladeurs rendent enfin leur produit compatible avec les formats concurrents. C'est une avancée, je pense.

Qu'en dit Luc Saint Elie ?

Première critique, assez générale : le texte serait "à côté de la plaque" comme allant contre le sens de l'histoire, rien que ça.

Plus prosaïquement, il exprime la crainte que les évolutions techniques et la détérioration physique des supports rendent à terme impossible la transmission de ces données dans un cadre familial par exemple. Très concrètement, il pense aux livres et disques vinyles de nos parents, que nous pouvons lire et écouter à loisir, tandis qu'un fichier muni de DRM, ne pouvant être transmis que sur un nombre limité d'ordinateurs ou gravé qu'un certain nombre de fois, est destiné à disparaître, puisqu'une fois qu'il aura figuré sur un nombre prédéterminé de disques durs et de CD-ROM, il ne pourra plus être reproduit, et que ces supports perdront un jour leur efficacité, ce d'autant qu'en 2100, il est peu probable que le .m4p soit encore un format lisible.

Souci légitime, encore qu'à relativiser d'un strict point de vue historique. Les tourne-disques sont des collectors, les lecteurs VHS sont obsolètes, et bientôt vous aurez bien du mal à écouter vos vieux 33 tours et vos cassettes VHS (qui a encore un magnétoscope Philips V2000 ?). La discothèque de mon grand-père reste dans les cartons où l'ont mis ses héritiers, et ses livres ont pour la plupart été refusés par Emmaüs à qui on les a proposé. Quant aux 45 tours de ma jeunesse, je ne suis pas sûr qu'ils constituent un patrimoine que je serai fier de transmettre à mes enfants…

La perte du patrimoine culturel individuel existe et existera toujours, au même titre que la dissipation de l'argenterie, sauf à ce que chacun d'entre nous se transforme en gardien de musée des générations antérieures.

Là, on touche au sens de la création législative : le législateur doit parfois trancher entre deux intérêts opposés : la discothèque de Luc Saint-Elie (et plus largement la conservation intégrale du patrimoine artistique des individus) d'une part, la protection des droits des artistes d'autre part. Le législateur, européen en l'occurrence, a tranché en faveur des seconds, pour favoriser, selon lui, la création en protégeant la source de leurs revenus : le droit exclusif sur leur oeuvre. Je n'exprime pas ma préférence personnelle ici : j'énonce un fait. Il suffit de lire l'exposé des motifs de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information :

(9) Toute harmonisation du droit d'auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l'intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.

Le législateur a arbitré entre deux intérêts divergents. Il n'y avait pas un bon et un mauvais. Il n'a pas choisi celui des consommateurs : en tant que consommateur, je le regrette. Luc Saint-Elie le regrette, lui, au nom du patrimoine culturel à transmettre. Qu'il se rassure : comme il le relève lui même, « les données numériques ne sont pas des éléments fixes mais des éléments nomades, destinés à errer de support à support ». Ses disques se perdront dans l'oubli comme les larmes dans la pluie, mais les données, elles, ne seront jamais perdues. La pérennité des oeuvres n'est pas, à mon avis, menacée par cette loi, pas plus qu'elle n'est garantie, puisque là n'est pas son propos.

Luc Saint-Elie m'interpelle d'ailleurs par une question qui montre à mon sens qu'il a mal cerné l'objet de cette loi :

Maître Eolas, vous qui êtes juriste, quel regard portez-vous sur le fait que je détiens des livres que je n’ai pas payés puisqu’ils me viennent de mes parents, que je détiens des disques que je n’ai pas payés puisqu’ils me viennent de mes parents, que demain, je peux aller voir un vieux bouquiniste et lui acheter des livres pour lesquels il n’a pas payé ni l’auteur ni les ayant droit ? Suis-je un malfaiteur ?

Bon, je ne consulte pas sur ce site en principe, mais je ferai une exception. Non, vous n'êtes pas un malfaiteur, vous êtes un héritier ou un donataire. Vous possédez une reproduction matérielle originale (pardon pour cette oxymore), c'est à dire licite. Vous n'avez causé aucun préjudice à l'auteur de ces livres ou disques car vous n'avez pas copié l'oeuvre. Il n'en va pas de même lors de la circulation d'oeuvres numériques, puisque la transmission implique l'apparition d'un nouvel exemplaire de l'oeuvre et non sa transmission. Aucune analogie pertinente ne peut être tirée de la comparaison d'un livre papier ou d'un disque vinyle avec une oeuvre numérisée.

la notion de copie (je lui préfère celui de migration qui a le mérite de ne pas être encore connoté) est inhérent à la numérisation. La migration de données n’est pas une simple péripétie occasionnelle, c’est un des éléments constitutifs d’un univers numérique.

Parfaitement, même un nul en informatique comme moi le sait. La loi DADVSI dissipe tout doute en ajoutant une exception au principe "pas de copie sans autorisation de l'auteur" :

Article L.122-5, 6° (futur) : L'auteur ne peut s'opposer à « La reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu'elle est une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique et qu'elle a pour unique objet de permettre l'utilisation licite de l'œuvre ou sa transmission entre tiers par la voie d'un réseau faisant appel à un intermédiaire ; toutefois, cette reproduction provisoire qui ne peut porter que sur des œuvres autres que les logiciels et les bases de données, ne doit pas avoir de valeur économique propre », article 1er de la loi.

Luc Saint-Elie se lamente du fait que cette évolution fait que nous allons être dépossédés des oeuvres numériques. A terme, les fichiers que nous achetons, voire les CDs audio et DVD ordinaires, finiront par ne plus être lisibles, par épuisement des DRM ou obsolescence de la mesure technique efficace, quand ils ne sont pas illisibles ''ab initio''. C'est un risque, qui doit avoir comme contrepartie la baisse du prix de la musique. Si iTunes vous vend un morceau un euro, pouvez-vous exiger d'avoir l'équivalent parfait d'un CD single ? Est-ce un scandale que vous risquiez de ne plus pouvoir l'écouter dans dix ans et que vous soyez obligé de le racheter un euro sous un autre format ? On pourrait même imaginer à terme une véritable écoute à la demande, où l'auditeur rémunère modiquement l'artiste, mais le fait à chaque fois qu'il écoute une oeuvre de lui.

Comprenez moi bien : je ne dis pas que cette évolution est bonne, souhaitable et digne de réjouissance. Mais ce n'est pas non plus du e-stalinisme, ou du e-fascisme.

Qui plus est, cette loi transcrit une directive européenne. La France est tenue de le faire, elle a trois ans de retard. La directive en question a été adoptée dans des conditions totalement transparentes (la procédure européenne est détaillée sur cette page) et le processus remonte à 1997 pour s'achever en 2001. Espérer que ce projet sera abandonné ou "jeté à la poubelle" est une chimère.

Mais l'Union Européenne n'est pas la machine à réglementer soumise aux intérêts des lobbies qu'on nous a vendu le printemps dernier. Elle a remarqué depuis longtemps que les technologies évoluent et que le législateur européen est faillible.

La démarche de l'Union est que la priorité doit être que TOUS les états membres appliquent les même règles, pour éviter des distorsions nuisibles à la concurrence et la libre circulation des biens culturels, même si ces règles ne sont pas satisfaisantes (elles ne sauraient satisfaire tout le monde) ; une fois ces règles appliquées partout, on observe les résultats, au besoin par périodes de trois ans, et on envisagera une nouvelle directive plus adaptée. C'est la clause de "revoyure" (article 12 de la directive). Problème ici, quatre pays étant en manquement de cette directive, dont la France, ce ré-examen, qui devait avoir lieu le 22 décembre 2004, soit après trois ans d'application, est bloqué.

Donc l'inaction de la France contribue à aggraver les aspects critiquables de cette loi. Ainsi, Luc Saint-Elie appelle de ses voeux une remise à plat totale. La Commission ne demande pas autre chose, mais elle refuse de le faire tant qu'elle n'aura pas constaté les résultats de quelques mois ou années d'application dans TOUTE l'Europe.

Etant entendu que de toutes façons, la Commission aura toujours comme priorité la protection des droits des auteurs. Et que cette protection se fera forcément d'une façon ou d'une autre au détriment du consommateur.

Celui-ci n'est pas toutefois sans protection.

La loi protège le consommateur contre un produit non conforme : si un acheteur se retrouve avec un CD illisible, il bénéficie de l'action en conformité de l'article L.211-4 du Code de la consommation, qui n'est qu'une transcription… de la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 1999.

Si vous êtes tenus de respecter les DRM des oeuvres que vous achetez (et que vous n'êtes jamais obligés d'acheter une oeuvre protégée par des DRM), les ayant-droits sont tenus de vous fournir une copie lisible de cette oeuvre, ou de vous rembourser si cela s'avérait impossible.

Ajout de dernière minute : Tristan Nitot soulève dans son billet d'hier une autre objection : l'article 8 de la loi autorisant à limiter le nombre de copies sans fixer de minimum permettrait à l'éditeur de fixer ce nombre à zéro (futur article L.331-6 du CPI).

Dans ce sens, il cite Bernard Lang qui invoque l'amendement n°30 qui veut faire préciser dans l'article L.331-6 du CPI que ce nombre doit être au moins égal à un.

Je ne partage pas cette opinion. L'article L.331-6 ne fait pas obstacle au droit de copie privée de l'article L.122-5 du même code. L'auteur ne peut s'opposer à la réalisation d'une copie privée (art. L.122-5) mais peut limiter ce nombre de copies (Art. L.331-6). Sauf à donner à la loi un sens absurde, l'interprétation necessaire est qu'au moins une copie doit pouvoir être réalisée. Notons que la loi est muette sur la limitation du nombre de copies de cette copie. Graver un fichier iTunes au format CD audio inscrit-elle des DRM sur le CD ? Il ne me semble pas.

mardi 20 décembre 2005

Le DADVSI Code

Je n'aurais malheureusement pas le temps de faire le billet que je m'étais promis de faire sur la loi DADVSI, en discussion au moment où je rédige ce billet. J'y reviendrai tranquillement après l'adoption du projet en première lecture, mais vous livre d'ores et déjà le jeu de mot que j'avais trouvé avant de me le faire piquer.

Juste deux brèves sur le sujet :

  • Le fameux amendement suggéré par le Conseil Supérieur de la Propriété Intellectuelle, appelé par ses détracteurs l'amendement Vivendi Universal BSA et je sais plus qui, a bien été déposé le 8 décembre 2005 par Monsieur Mariani sous le numéro 150 et par Messieurs Dionis du Séjour et Baguet sous le numéro 151 déposé . Si le gouvernement accepte cet amendement, il devrait être adopté. Si le gouvernement le refuse, il sera déclaré irrecevable. Le fait qu'il figure dans la liste officielle des amendements déposés tend à indiquer que sa recevabilité ne pose plus question, donc que le gouvernement l'a accepté.


  • Un rappel au règlement survenu en séance de discussion de la loi de finance en apprend de belles sur le lobbying en place au Palais Bourbon. Je retranscris ici le compte rendu de séance :

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jeudi 1 décembre 2005

Affaire Guillermito : le compte rendu de l'audience d'appel (première partie)

Le président, après avoir constaté la présence des parties, et demandé pourquoi elles avaient fait appel (Guillermito parce qu'il demande la relaxe ; Feu Tegam et l'auteur du programme parce qu'ils n'ont reçu qu'un dixième de leurs demandes pécuniaires), le président a rappelé les faits sur la base du jugement, en ne retenant que ceux non contestés. Il a au passage présenté Viguard comme étant "un logiciel que nous connaissons bien puisqu'il équipe tous les ordinateurs du ministère de la justice".

Puis la parole a été donnée à Guillermito qui a expliqué que c'est quand il a vu la publicité pour Tegam affirmant que Viguard était une protection arrêtant 100% des virus connus et inconnus, affirmation qu'il estime être scientifiquement impossible, qu'il a décidé de démontrer que Viguard ne pouvait pas tenir cette promesse. D'abord en soumettant plusieurs virus de sa collection à Viguard (14 n'auraient pas été détectés) puis, et on en arrive aux faits qui lui sont reprochés, démontrant qu'il était aisé de berner Viguard.

Le président s'est enquis du problème de la licence d'utilisation et de l'exemplaire téléchargé sans autorisation, mais Guillermito a rappelé qu'il avait bénéficié d'un non lieu sur ce point.

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samedi 2 avril 2005

Entendu à l'Assemblée nationale

EDIT : le message ci-dessous est mon mini poisson d'avril, un tétard d'avril plutôt.

Les propos que je cite, et je m'en excuse auprès de Monsieur le député Marsaudon, sont totalement sortis de leur contexte. Monsieur Marsaudon ne fustigeait que les dérives de certains blogs, notamment des skyblogs, qui recèlent de véritables appels à la haine et à la violence. On y voit des photos de voyous posant avec des armes à feu, des fourgons de police en train de brûler, des jeunes filles s'exhibant dans le plus simple appareil. Les commentaires joints par les auteurs ou ajoutés par les visiteurs internautes sont du même acabit : menaces et injures à l'égard des policiers ou des bandes rivales, propos orduriers, racistes, antisémites, sexistes, etc. Ces messages se propagent à très grande vitesse. Une radio en revendique plus de 60 000 par jour, plus de 50 millions au total. Les appels à la haine et à la violence sont immédiatement diffusés et relayés par ce biais au sein des cités où les plus jeunes deviennent les victimes consentantes de cet engrenage. Quelle fierté pour eux d'apparaître en photo en train de taguer un mur ou de brandir une arme ! Suivait immédiatement la phrase que je citais.

La réponse du ministre est une petite synthèse du droit de la responsabilité via les blogs, qui est un thème que j'aborderai prochainement. Elle est à lire.

C'était pour moi une façon de rappeler qu'il faut toujours vérifier les faits, plutôt que de démarrer au quart de tour. Bravo aux quelques commentateurs qui sont semble-t-il tous allés voir de quoi il retournait.

Enfin, la conclusion sur la constitution européenne est un pied de nez à ceux qui récupèrent des directives au nom imprononçables ou le débat sur la brevetabilité des logiciels (j'y reviendrai aussi) pour promouvoir leur position contre la constitution. Ma position favorable n'a pas changé et ne va que se renforçant.

Je profite du fait que minuit est passé pour souhaiter un bon anniversaire à Versac qui fête aujourd'hui son 6e lustre, et dont le poisson d'avril, auquel je n'ai pas cru une seconde, m'a vraiment fait peur.

Parfois, les pages questions au gouvernement du Journal officiel contiennent des morceaux de littérature édifiants.

Témoins ces quelques lignes tirées d'une question (n°52236) posée le 30 novembre 2004 par Monsieur Jean Marsaudon, député UMP de l'Essonne, au ministre de l'intérieur, qui porte sur les blogs :

"La multiplication de ces blogs totalement incontrôlés est une insulte permanente aux valeurs républicaines et une menace sérieuse pour la sécurité publique. Il lui demande donc de bien vouloir faire connaître les dispositions qu'il entend prendre pour réguler et maîtriser au plus vite ce phénomène inquiétant."

Moi, quand je lis ça, ça me donne envie de voter non à la Constitution européenne...

vendredi 18 mars 2005

Mettons les points A et B sur les i

Au sujet de la directive "logiciels" (breviatis causa, ce terme est impropre puisqu'elle semble exclure expressément les logiciels), un débat est apparu sur l'éventuelle illégalité de l'adoption par le Conseil du 7 mars 2005 de sa position commune.

Le lièvre a été levé par la FFII (Association pour une infrastructure informationnelle libre, Foundation for a Free Information Infrastructure en anglais), association qui n'est certes pas neutre en la matière.

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jeudi 17 mars 2005

Deux contre vérités sur le droit européen

En ces périodes de campagne référendaire de plus en plus passionnelles, on peut compter sur les médias pour fournir une information de qualité, et éclairante.

Non, vous avez compris, je déconne.

Sur deux thèmes, l'Europe est présentée comme sur le point d'adopter des textes catastrophiques. Or la simple lecture de ces textes est édifiante.

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mardi 15 mars 2005

Affaire Guillermito : le jugement

Voici les motifs du jugement rendu le 8 mars 2005 par la 31e chambre, section 1 du tribunal de grande instance de Paris dans l'affaire Guillermito. Le texte du jugement est en italique, mes commentaires sont en gras.

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mardi 8 mars 2005

Guillermito condamné, mais très légèrement

La 31e chambre du tribunal correctionnel a rendu sa décision : Guillermito est déclaré coupable de contrefaçon dans les termes de l'ordonnance de renvoi, et est condamné à 5000 euros d'amende assorti du sursis. Le tribunal a ordonné que cette condamnation ne figure pas à son Bulletin n°2 du casier judiciaire (accessible aux administrations), ce qui veut dire que pour le CNRS et la recherche en France, il n'aura pas de casier judiciaire.

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mercredi 5 janvier 2005

Affaire Guillermito : compte rendu d'audience

L'audience tant attendue s'est enfin tenue devant la 31e chambre du tribunal correctionnel de Paris, siégeant dans les locaux de la 10e chambre.

Malheureusement pour tous ceux qui étaient venus (une trentaine selon la défense), le tribunal a décidé d'examiner ce dossier en dernier et ce n'est pas avant 18 heures que l'audience proprement dite a pu commencer.

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lundi 6 septembre 2004

Demandez le programme, ou les malheurs de Guillermito - 2

En droit, les données du problème sont les suivantes (où on quitte le domaine de la programmation pour celles du droit, et où je redeviens maître chez moi) :

Pour résumer d’entrée, le délit de contrefaçon est au droit de l’auteur d’une œuvre sur celle-ci, ce que le vol est au propriétaire d’une chose.

En effet, la loi protège l’auteur d’une œuvre contre toute atteinte à ses droits sur celles ci.

Qu’est ce qu’une œuvre, quels sont ces droits ?

Une oeuvre est une création de l’esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.

L’article L.112-2 du code de la propriété intellectuelle en donne une liste fort longue mais non exhaustive. Les logiciels y figurent au 13°.

La seule condition est l’originalité de cette oeuvre. Le plagiat n’est pas protégé. Les simples idées non plus, il faut que l'oeuvre soit matérialisée. Notons que les textes législatifs et assimilés (décrets, arrêtés…) ne sont pas protégés et peuvent être reproduits à l’envie.

L’auteur d’une œuvre a, du seul fait de sa création, deux droits sur celle-ci, outre un droit moral au respect de son œuvre qui ne nous intéresse pas ici : un droit de représentation et un droit de reproduction.

La représentation d’une œuvre est une présentation publique éphémère de celle ci. C’est le cas d’une représentation théâtrale (le terme droit de représentation vient de là), de l’exposition publique d’un tableau, de la déclamation d’un poème ou d’un discours (ou d’une plaidoirie...),etc.

La reproduction d’une œuvre est sa fixation sur un support matériel (photographie d’un tableau, enregistrement d’une chanson, gravage d’un logiciel sur un CD, ou son installation sur un disque dur, etc…).

Premier élément à bien comprendre : la propriété du support ne se confond pas avec la propriété de l’œuvre.

L’auteur d’une oeuvre de l’esprit cède à un tiers (maison de disque, éditeur) le droit de reproduire son œuvre. Ces reproductions sont mises en vente, l’auteur touchant une part déterminée du produit de la vente. On parle de redevance, ou improprement de royalties.

Le fait que vous soyez propriétaire d’un CD de Mireille Mathieu, d’un exemplaire de Windows XP professionnel, ou d’un album de bande dessinée ne vous rend pas propriétaire de l’œuvre qui y figure. Vous n’avez pas le droit de la reproduire (L’œuvre, hein, pas Mireille Mathieu, mais je m’égare), seul l’auteur de l’œuvre ou celui à qui il a cédé le droit de reproduction peut le faire.

Ne pas respecter cela, c’est porter atteinte au droit de l’auteur de l’œuvre. Cette atteinte est appelée de manière globale une contrefaçon et c’est un délit. Utiliser une œuvre contrefaite est aussi un délit, c’est le recel de contrefaçon.

Le délit de contrefaçon est défini par l’article L.335-2 du Code de la propriété intellectuelle :

« Toute édition d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit. La contrefaçon en France d'ouvrages publiés en France ou à l'étranger est punie de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende. ''Seront punis des mêmes peines le débit, l'exportation et l'importation des ouvrages contrefaits. Lorsque les délits prévus par le présent article ont été commis en bande organisée, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 500 000 euros d'amende. »''

En matière de logiciels, domaine qui nous intéresse dans l’affaire Guillermito, les articles L.122-6 et L.122-6-1 apportent les précisions suivantes, eu égard à la nature particulière de ces œuvres :

Art. L. 122-6 : Sous réserve des dispositions de l'article L. 122-6-1, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur d'un logiciel comprend le droit d'effectuer et d'autoriser :

1º La reproduction permanente ou provisoire d'un logiciel en tout ou partie par tout moyen et sous toute forme. Dans la mesure où le chargement, l'affichage, l'exécution, la transmission ou le stockage de ce logiciel nécessitent une reproduction, ces actes ne sont possibles qu'avec l'autorisation de l'auteur ;

2º La traduction, l'adaptation, l'arrangement ou toute autre modification d'un logiciel et la reproduction du logiciel en résultant ;

3º La mise sur le marché à titre onéreux ou gratuit, y compris la location, du ou des exemplaires d'un logiciel par tout procédé. Toutefois, la première vente d'un exemplaire d'un logiciel dans le territoire d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen par l'auteur ou avec son consentement épuise le droit de mise sur le marché de cet exemplaire dans tous les Etats membres à l'exception du droit d'autoriser la location ultérieure d'un exemplaire.

Art. L. 122-6-1 :

I. Les actes prévus aux 1º et 2º de l'article L. 122-6 ne sont pas soumis à l'autorisation de l'auteur lorsqu'ils sont nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser, y compris pour corriger des erreurs.

Toutefois, l'auteur est habilité à se réserver par contrat le droit de corriger les erreurs et de déterminer les modalités particulières auxquelles seront soumis les actes prévus aux 1º et 2º de l'article L. 122-6, nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser.

II. La personne ayant le droit d'utiliser le logiciel peut faire une copie de sauvegarde lorsque celle-ci est nécessaire pour préserver l'utilisation du logiciel.

III. La personne ayant le droit d'utiliser le logiciel peut sans l'autorisation de l'auteur observer, étudier ou tester le fonctionnement de ce logiciel afin de déterminer les idées et principes qui sont à la base de n'importe quel élément du logiciel lorsqu'elle effectue toute opération de chargement, d'affichage, d'exécution, de transmission ou de stockage du logiciel qu'elle est en droit d'effectuer.

IV. La reproduction du code du logiciel ou la traduction de la forme de ce code n'est pas soumise à l'autorisation de l'auteur lorsque la reproduction ou la traduction au sens du 1º ou du 2º de l'article L. 122-6 est indispensable pour obtenir les informations nécessaires à l'interopérabilité d'un logiciel créé de façon indépendante avec d'autres logiciels, sous réserve que soient réunies les conditions suivantes :

1º Ces actes sont accomplis par la personne ayant le droit d'utiliser un exemplaire du logiciel ou pour son compte par une personne habilitée à cette fin ;

2º Les informations nécessaires à l'interopérabilité n'ont pas déjà été rendues facilement et rapidement accessibles aux personnes mentionnées au 1º ci-dessus ;

3º Et ces actes sont limités aux parties du logiciel d'origine nécessaires à cette interopérabilité.

Les informations ainsi obtenues ne peuvent être :

1º Ni utilisées à des fins autres que la réalisation de l'interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante ;

2º Ni communiquées à des tiers sauf si cela est nécessaire à l'interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante ; '' 3º Ni utilisées pour la mise au point, la production ou la commercialisation d'un logiciel dont l'expression est substantiellement similaire ou pour tout autre acte portant atteinte au droit d'auteur.''

V. Le présent article ne saurait être interprété comme permettant de porter atteinte à l'exploitation normale du logiciel ou de causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.

Toute stipulation contraire aux dispositions prévues aux II, III et IV du présent article est nulle et non avenue.

Je sais, ce n'est pas simple, mais qui a prétendu que le droit était une discipline facile ?

En l’espèce, quelle est la contrefaçon que le juge d'instruction a estimé suffisamment caractérisée ?

1. Tout d’abord, la version de Viguard qu’aurait utilisée Guillermito n’aurait pas été achetée dans le commerce mais aurait été une copie sans licence d’utilisation ("warez"). Ce serait une violation directe de l’article L.335-2 du code de la propriété intellectuelle.

2. A défaut de cette licence, les opérations de désassemblage seraient illicites et constitueraient également le délit de contrefaçon. De ce défaut de licence découle donc une grande partie des charges, car la plupart des actes accomplis par Guillermito seraient licites avec une licence d’utilisation : en effet, le désassemblage du logiciel est licite en vertu de l’article L.122-6-1, III :

« La personne ayant le droit d'utiliser le logiciel peut sans l'autorisation de l'auteur observer, étudier ou tester le fonctionnement de ce logiciel afin de déterminer les idées et principes qui sont à la base de n'importe quel élément du logiciel lorsqu'elle effectue toute opération de chargement, d'affichage, d'exécution, de transmission ou de stockage du logiciel qu'elle est en droit d'effectuer. »

(Je souligne.)

3. Enfin, il aurait distribué gratuitement des logiciels tirés des sources du logiciel VIGUARD, en reproduisant ainsi celles ci sans l’autorisation de leur auteur, ce qui est également une contrefaçon.

Ce qui peut paraître surprenant, et provoque tant de réactions outragées dans le landernau de l'internet, c’est que ce qui est reproché à Guillermito n’est pas d’avoir fait savoir urbi et orbi qu’il pense que le logiciel Viguard est moins efficace que le prétend TEGAM, mais d’avoir fait sa démonstration à partir d'une version « warez», une copie illégale du logiciel.

Pourtant, on peut supposer que TEGAM International est plus remontée contre Guillermito pour avoir publié une telle affirmation avec démonstration à l’appui, à laquelle un expert judiciaire n’a rien trouvé à redire, que pour s’être procuré UN exemplaire de leur logiciel sans leur payer la redevance correspondante (prix de vente public chez Surcouf : 118,40 € TTC).

Mais comme je l’indiquais, le fait d’affirmer que tel produit est inefficace n’est pas un délit ni même une faute civile pouvant entraîner une condamnation à dommages-intérêts si l’affirmation est exacte et démontrée.

TEGAM International a-t-elle intenté ces poursuites pour punir indirectement Guillermito d’avoir dénigré leur produit ? Peut-être, je ne ferai pas de procès d’intention à cette société, mais ce serait tout à fait légal, même si c’est moralement discutable. Vous vous souvenez, droit et morale, patati, patata…

Demain : Concrètement, comment ça va se passer, ou : le déroulement d’une audience correctionnelle, petit manuel de survie, et de savoir vivre.

vendredi 3 septembre 2004

Demandez le programme, ou les malheurs de Guillermito, 1e partie.

Voici la note promise sur les malheurs de Guillermito.

  • Note préalable : Cette note a pour but d’informer ceux qui veulent en savoir plus sur les données de l’affaire, et les aspects juridiques en cause. Je sais que les internautes qui soutiennent Guillermito sont nombreux, et que tel est le cas de nombre des lecteurs de cette chronique. Néanmoins, je n’accepterai aucun commentaire insultant ou diffamant vis à vis des parties en cause ou des intervenants dans ce dossier. Merci de respecter le ton mesuré que j’ai moi même adopté. Je suis responsable des propos publiés sur mon blog, n’oubliez pas. Ceux qui auront un commentaire supprimé auront par e mail l’explication du geste s’ils laissent leur adresse avec leur prose. Je serai très strict.

Cette note sera divisée en trois parties, publiées séparément. Aujourd’hui, un bref rappel des faits, sans rentrer dans les détails, les circonstances exactes et détaillées pouvant faire partie du schéma de défense des parties.

Guillermito donc s’est un jour, pour son plus grand malheur, intéressé au programme Viguard, de la société TEGAM International.

La société qui commercialise ce programme, qui équipe 45.000 ordinateurs du ministère de la justice, dixit cette société qui aime publier le nom de ses clients, proclamait sur la boite de la version 8 qu’il s’agissait d’une « protection permanente et infranchissable contre les virus connus et inconnus, remplace les mises à jour », ajoutant au dos de la boîte qu’il est « impossible qu’un virus connu ou inconnu échappe à la technologie IN-DEFENSE » mise en œuvre avec ViGUARD.

Dubitatif face à une telle annonce triomphale, Guillermito s’est procuré une copie de la dernière version de ce programme (c’est là un point crucial du dossier) et l’a décortiquée, informatiquement parlant.

Ayant ainsi disséqué le programme, il a découvert son mode de fonctionnement et a pensé avoir démontré que ce programme était loin de tenir ses promesses de protection absolue. Étant chercheur de formation, passionné d’informatique, dans le domaine des virus et antivirus en particulier et aussi coupeur de cheveux en quatre, il a publié ses conclusions avec sa démonstration, révélant ainsi le fonctionnement interne du logiciel Viguard. Cette démonstration était même accompagnée de logiciels issus des codes de Viguard pour permettre à qui les téléchargeait d’effectuer ses propres vérifications.

Tout cela a déclenché l’ire de TEGAM international.

Cette société se prétend lésée non pas par la critique sévère de la soit-disant "protection absolue" de son logiciel (cette critique ne serait un délit que si elle était fausse et serait une diffamation, et comme nous le verrons dans ma note suivante, il semble que les affirmations de Guillermito soient fondées) mais par le fait que :

  1. Guillermito aurait utilisé une version de Viguard 9 sans licence ;
  2. Il diffuserait des éléments structurels du logiciel qui étaient secrets ;
  3. Il aurait désassemblé certains éléments du logiciel en passant du langage machine au langage programmateur, ce qui semble être très grave mais du diable si j’y comprends quelque chose.

[Edit] : Sur la controverse technique : TEGAM y répond de manière détaillée sur cette page, que je vous invite à lire si vous avez les connaissances techniques suffisantes.

Un expert a été désigné par le juge d'instruction pour prêter à la justice ses compétences en informatique, celles de Guillermito dépassant tant celles de son avocat que celles du juge, du procureur et de votre serviteur, même réunies.

Cet expert a qualifié dans son rapport les actes effectués par Guillermito : « désassemblage et réassemblage de parties du logiciel Viguard, distribution gratuite de logiciels tirés des sources de ce logiciel et diffusion de tous les éléments, comportements, logiciels, extraits de code et informations permettant la neutralisation du programme Viguard ».

Rassurez vous, moi non plus, je ne comprends pas tout.

L’expert conclut que la contrefaçon par reproduction du logiciel est caractérisée « du fait que les modifications sur Viguard n’étaient pas effectuées par un utilisateur à des fins de compatibilité pour une utilisation personnelle [ce qui est, comme nous allons le voir, une altération autorisée par la loi sous certaines conditions], mais par un internaute qui les communique à des tiers ».

Ce même expert souligne toutefois que les compétences de Guillermito sont « indiscutables », qu’il avait « dénoncé avec pertinence les failles du logiciel Viguard » et relevait « l’innocuité et l’inefficacité de ce logiciel ».

Le juge d'instruction a finalement estimé qu'il existait des charges suffisantes contre Guillermito d'avoir commis le délit de contrefaçon d’œuvre de l’esprit mais a écarté le recel de contrefaçon, et renvoyé l’affaire devant le tribunal correctionnel pour qu’elle y soit jugée.

Suite dès lundi (je ne poste pas les week ends), avec une note sur les aspects juridiques du dossier : le B.A.BA. de la propriété intellectuelle, qu'est ce qu'une contrefaçon, comment tout cela s'applique à un logiciel, et au regard de ces règles de droit, que reproche-t-on à Guillermito.

Mardi, ce sera sur le déroulement d'une audience correctionnelle, de manière générale, pour savoir à quoi vous allez assister, sans entrer dans les arguments des parties.

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