Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 6 septembre 2004

Demandez le programme, ou les malheurs de Guillermito - 2

En droit, les données du problème sont les suivantes (où on quitte le domaine de la programmation pour celles du droit, et où je redeviens maître chez moi) :

Pour résumer d’entrée, le délit de contrefaçon est au droit de l’auteur d’une œuvre sur celle-ci, ce que le vol est au propriétaire d’une chose.

En effet, la loi protège l’auteur d’une œuvre contre toute atteinte à ses droits sur celles ci.

Qu’est ce qu’une œuvre, quels sont ces droits ?

Une oeuvre est une création de l’esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.

L’article L.112-2 du code de la propriété intellectuelle en donne une liste fort longue mais non exhaustive. Les logiciels y figurent au 13°.

La seule condition est l’originalité de cette oeuvre. Le plagiat n’est pas protégé. Les simples idées non plus, il faut que l'oeuvre soit matérialisée. Notons que les textes législatifs et assimilés (décrets, arrêtés…) ne sont pas protégés et peuvent être reproduits à l’envie.

L’auteur d’une œuvre a, du seul fait de sa création, deux droits sur celle-ci, outre un droit moral au respect de son œuvre qui ne nous intéresse pas ici : un droit de représentation et un droit de reproduction.

La représentation d’une œuvre est une présentation publique éphémère de celle ci. C’est le cas d’une représentation théâtrale (le terme droit de représentation vient de là), de l’exposition publique d’un tableau, de la déclamation d’un poème ou d’un discours (ou d’une plaidoirie...),etc.

La reproduction d’une œuvre est sa fixation sur un support matériel (photographie d’un tableau, enregistrement d’une chanson, gravage d’un logiciel sur un CD, ou son installation sur un disque dur, etc…).

Premier élément à bien comprendre : la propriété du support ne se confond pas avec la propriété de l’œuvre.

L’auteur d’une oeuvre de l’esprit cède à un tiers (maison de disque, éditeur) le droit de reproduire son œuvre. Ces reproductions sont mises en vente, l’auteur touchant une part déterminée du produit de la vente. On parle de redevance, ou improprement de royalties.

Le fait que vous soyez propriétaire d’un CD de Mireille Mathieu, d’un exemplaire de Windows XP professionnel, ou d’un album de bande dessinée ne vous rend pas propriétaire de l’œuvre qui y figure. Vous n’avez pas le droit de la reproduire (L’œuvre, hein, pas Mireille Mathieu, mais je m’égare), seul l’auteur de l’œuvre ou celui à qui il a cédé le droit de reproduction peut le faire.

Ne pas respecter cela, c’est porter atteinte au droit de l’auteur de l’œuvre. Cette atteinte est appelée de manière globale une contrefaçon et c’est un délit. Utiliser une œuvre contrefaite est aussi un délit, c’est le recel de contrefaçon.

Le délit de contrefaçon est défini par l’article L.335-2 du Code de la propriété intellectuelle :

« Toute édition d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit. La contrefaçon en France d'ouvrages publiés en France ou à l'étranger est punie de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende. ''Seront punis des mêmes peines le débit, l'exportation et l'importation des ouvrages contrefaits. Lorsque les délits prévus par le présent article ont été commis en bande organisée, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 500 000 euros d'amende. »''

En matière de logiciels, domaine qui nous intéresse dans l’affaire Guillermito, les articles L.122-6 et L.122-6-1 apportent les précisions suivantes, eu égard à la nature particulière de ces œuvres :

Art. L. 122-6 : Sous réserve des dispositions de l'article L. 122-6-1, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur d'un logiciel comprend le droit d'effectuer et d'autoriser :

1º La reproduction permanente ou provisoire d'un logiciel en tout ou partie par tout moyen et sous toute forme. Dans la mesure où le chargement, l'affichage, l'exécution, la transmission ou le stockage de ce logiciel nécessitent une reproduction, ces actes ne sont possibles qu'avec l'autorisation de l'auteur ;

2º La traduction, l'adaptation, l'arrangement ou toute autre modification d'un logiciel et la reproduction du logiciel en résultant ;

3º La mise sur le marché à titre onéreux ou gratuit, y compris la location, du ou des exemplaires d'un logiciel par tout procédé. Toutefois, la première vente d'un exemplaire d'un logiciel dans le territoire d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen par l'auteur ou avec son consentement épuise le droit de mise sur le marché de cet exemplaire dans tous les Etats membres à l'exception du droit d'autoriser la location ultérieure d'un exemplaire.

Art. L. 122-6-1 :

I. Les actes prévus aux 1º et 2º de l'article L. 122-6 ne sont pas soumis à l'autorisation de l'auteur lorsqu'ils sont nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser, y compris pour corriger des erreurs.

Toutefois, l'auteur est habilité à se réserver par contrat le droit de corriger les erreurs et de déterminer les modalités particulières auxquelles seront soumis les actes prévus aux 1º et 2º de l'article L. 122-6, nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser.

II. La personne ayant le droit d'utiliser le logiciel peut faire une copie de sauvegarde lorsque celle-ci est nécessaire pour préserver l'utilisation du logiciel.

III. La personne ayant le droit d'utiliser le logiciel peut sans l'autorisation de l'auteur observer, étudier ou tester le fonctionnement de ce logiciel afin de déterminer les idées et principes qui sont à la base de n'importe quel élément du logiciel lorsqu'elle effectue toute opération de chargement, d'affichage, d'exécution, de transmission ou de stockage du logiciel qu'elle est en droit d'effectuer.

IV. La reproduction du code du logiciel ou la traduction de la forme de ce code n'est pas soumise à l'autorisation de l'auteur lorsque la reproduction ou la traduction au sens du 1º ou du 2º de l'article L. 122-6 est indispensable pour obtenir les informations nécessaires à l'interopérabilité d'un logiciel créé de façon indépendante avec d'autres logiciels, sous réserve que soient réunies les conditions suivantes :

1º Ces actes sont accomplis par la personne ayant le droit d'utiliser un exemplaire du logiciel ou pour son compte par une personne habilitée à cette fin ;

2º Les informations nécessaires à l'interopérabilité n'ont pas déjà été rendues facilement et rapidement accessibles aux personnes mentionnées au 1º ci-dessus ;

3º Et ces actes sont limités aux parties du logiciel d'origine nécessaires à cette interopérabilité.

Les informations ainsi obtenues ne peuvent être :

1º Ni utilisées à des fins autres que la réalisation de l'interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante ;

2º Ni communiquées à des tiers sauf si cela est nécessaire à l'interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante ; '' 3º Ni utilisées pour la mise au point, la production ou la commercialisation d'un logiciel dont l'expression est substantiellement similaire ou pour tout autre acte portant atteinte au droit d'auteur.''

V. Le présent article ne saurait être interprété comme permettant de porter atteinte à l'exploitation normale du logiciel ou de causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.

Toute stipulation contraire aux dispositions prévues aux II, III et IV du présent article est nulle et non avenue.

Je sais, ce n'est pas simple, mais qui a prétendu que le droit était une discipline facile ?

En l’espèce, quelle est la contrefaçon que le juge d'instruction a estimé suffisamment caractérisée ?

1. Tout d’abord, la version de Viguard qu’aurait utilisée Guillermito n’aurait pas été achetée dans le commerce mais aurait été une copie sans licence d’utilisation ("warez"). Ce serait une violation directe de l’article L.335-2 du code de la propriété intellectuelle.

2. A défaut de cette licence, les opérations de désassemblage seraient illicites et constitueraient également le délit de contrefaçon. De ce défaut de licence découle donc une grande partie des charges, car la plupart des actes accomplis par Guillermito seraient licites avec une licence d’utilisation : en effet, le désassemblage du logiciel est licite en vertu de l’article L.122-6-1, III :

« La personne ayant le droit d'utiliser le logiciel peut sans l'autorisation de l'auteur observer, étudier ou tester le fonctionnement de ce logiciel afin de déterminer les idées et principes qui sont à la base de n'importe quel élément du logiciel lorsqu'elle effectue toute opération de chargement, d'affichage, d'exécution, de transmission ou de stockage du logiciel qu'elle est en droit d'effectuer. »

(Je souligne.)

3. Enfin, il aurait distribué gratuitement des logiciels tirés des sources du logiciel VIGUARD, en reproduisant ainsi celles ci sans l’autorisation de leur auteur, ce qui est également une contrefaçon.

Ce qui peut paraître surprenant, et provoque tant de réactions outragées dans le landernau de l'internet, c’est que ce qui est reproché à Guillermito n’est pas d’avoir fait savoir urbi et orbi qu’il pense que le logiciel Viguard est moins efficace que le prétend TEGAM, mais d’avoir fait sa démonstration à partir d'une version « warez», une copie illégale du logiciel.

Pourtant, on peut supposer que TEGAM International est plus remontée contre Guillermito pour avoir publié une telle affirmation avec démonstration à l’appui, à laquelle un expert judiciaire n’a rien trouvé à redire, que pour s’être procuré UN exemplaire de leur logiciel sans leur payer la redevance correspondante (prix de vente public chez Surcouf : 118,40 € TTC).

Mais comme je l’indiquais, le fait d’affirmer que tel produit est inefficace n’est pas un délit ni même une faute civile pouvant entraîner une condamnation à dommages-intérêts si l’affirmation est exacte et démontrée.

TEGAM International a-t-elle intenté ces poursuites pour punir indirectement Guillermito d’avoir dénigré leur produit ? Peut-être, je ne ferai pas de procès d’intention à cette société, mais ce serait tout à fait légal, même si c’est moralement discutable. Vous vous souvenez, droit et morale, patati, patata…

Demain : Concrètement, comment ça va se passer, ou : le déroulement d’une audience correctionnelle, petit manuel de survie, et de savoir vivre.

lundi 23 août 2004

Le pénal aux pénalistes !

J’ai déjà pesté et pesterai encore contre les avocats qui se frottent au pénal sans rien y connaître. Il y a quelques mois, j’ai vu un cas en pleine action. Ou inaction, en l’espèce. Je bouillais intérieurement en assistant à l’audience. Ce qui me mettait en colère est qu’il était en défense.

Je vais devoir entrer un peu dans les mécaniques du droit pénal pour bien vous faire comprendre.

Le prévenu était poursuivi pour tentative d’escroquerie.

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mardi 20 juillet 2004

Vacances judiciaires, vacance de la justice

Je suis en colère aujourd'hui.

J’ai assisté ces jours ci à deux audiences de vacation, comprendre dirigées par un magistrat qui n’est pas le président habituel de la chambre. Deux affaires distinctes, deux présidents distincts : un homme, une femme, un jeune, un vieux, et la même méthode de direction d’audience qui donne envie de commettre un outrage à magistrat.

Quelle méthode ? L’engueulade complète et systématique. Tout le dossier n’est lu que dans un sens contraire à l’intérêt du prévenu, qui est condamné d’avance et méprisé en sa personne.

Les questions ne sont posées que pour l’enfoncer, et s’il a le malheur de vouloir y répondre, il se fait couper la parole en se faisant traiter de menteur (2e président) ou de voyou (1er président).

Les procès verbaux de la police contiennent nécessairement la Vérité car « les policiers sont assermentés »(sic). La bonne blague ! Nous autres avocats prêtons également serment : je voudrais que le tribunal en tirât la conclusion que tout ce que nous disons est vrai ! On en est loin.

Soumis à ce dur traitement, le prévenu perd son calme tôt ou tard (hélas, pas les avocats présents, sommes nous blasés à ce point ?), ce qui est utilisé contre lui par un procureur tout surpris de voir le président faire son travail à sa place.

Un président a même annoncé à un prévenu « Vous allez voir comment le tribunal traite les voyous de votre espèce, vous allez voir, ha ça oui »… avant de rajouter aussitôt, voyant que l’avocat se levait pour protester, « même si vous êtes toujours présumé innocent, bien entendu, tant mieux pour vous ».

L’avocat n’est pas non plus laissé en paix. Le tribunal, en juillet, est en guerre contre tout le monde, il a des comptes à régler avec le Barreau.

Tel avocat qui dépose des conclusions en nullité se fait tancer par le président qui lui reproche de ne pas les avoir déposé la veille au greffe. Alors qu’il n’est même pas tenu de déposer des conclusions écrites, et que l’usage a toujours été de les déposer en début d’audience, ce qu’il a fait.

Tel autre se voit mettre en cause par le tribunal (" si l'avocat de la défense avait fait son travail...") parce qu’il n’a pas conseillé à son client, qui prétend que la rixe qui l’amène devant le tribunal est due au vol de son portable par la victime, d’aller porter plainte au commissariat ce qui aurait apporté la preuve de la réalité du vol.

On croit rêver. Je sais fort bien ce qu’aurait dit le président si tel avait été fait : « Mais cette plainte ne contient que vos déclarations, ça ne prouve rien, vous êtes un voyou et un menteur ! ».

La suite le prouve : l’avocat qui connaît quand même son travail quoi qu’en pense le tribunal produit une attestation de l’opérateur qui reconnaît qu’on lui a demandé de suspendre la ligne le jour des faits. Réponse du président : « Mais cette attestation ne précise pas l’heure à laquelle cela a été fait, ça ne prouve rien ».

L’avocat proteste que son client était à l’hôpital à la suite de la rixe, où il a été placé en garde à vue, que dès lors il est absurde de supposer qu'il aurait suspendu sa ligne quand il était encore en possession de son téléphone et qu’il lui était impossible de le faire lors de la garde à vue, qu’on peut donc en déduire raisonnablement que cet appel a nécessairement eu lieu au cours de l’heure passé à l’hôpital, rien n’y fait. La preuve est écartée : le vol préalable du téléphone n’est pas prouvé, donc c’est lui qui a provoqué la rixe et a menti ensuite pour inventer un prétexte. Coupable, lourdement condamné.

Enfin, et c’est là le pire, les juges en question ne sont pas des pénalistes.

Comment sinon expliquer qu’un juge réussisse à rejeter une nullité de procédure tirée de la notification tardive des droits du gardé à vue effectuée près de huit heures après le début de celle-ci ? Les policiers prétendaient que son état d’ébriété était tel qu’il ne comprenait pas ce qu’on lui disait. Mais ils ont fait un prélèvement sanguin (avec le consentement du gardé à vue supposément ivre mort, mais pas assez pour ne pouvoir consentir à un tel examen, cherhcez l'erreur) qui a révélé 0,74 grammes d’alcool par litre de sang et négatif aux stupéfiants : il y a peu, il aurait pu conduire légalement dans cet état ! C'est une preuve objective, scientifique ! Pas grave. La police a dit que, donc c’est vrai, procédure valable (annulée par la suite par la cour d'appel ai-je appris depuis).

Comment expliquer que cette autre procédure soit validée alors qu’il n’y a pas du tout de notification, et que le tribunal ose prétendre que le prévenu est resté de son plein gré vingt trois heures et cinquante minutes d’affilée au commissariat ?

Vivement septembre et que nos juges habituels reviennent.

Je conclurai cette note en adressant à ces piètres juges le même mot de la fin qu’a eu un de ces présidents à un jeune homme de 19 ans, sans casier judiciaire, à qui il venait de coller un an de prison dont quatre mois ferme pour sa première bagarre : « Allez, ouste ! »

dimanche 2 mai 2004

Un nouvel hommage aux rois du baratin

Le prévenu est poursuivi pour vol de deux bouteilles d’alcool, conduite en état d’ivresse, outrage à agent, rébellion. Il a déjà un lourd casier, 17 mentions.

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dimanche 18 avril 2004

Comment faites vous pour défendre des coupables ?

Combien de fois ai-je entendu cette question, et combien de fois l’entendrai-je encore ?

L’image de l’avocat pénaliste (comprendre : qui fait du droit criminel) tombe toujours dans la caricature, probablement véhiculée par la vision simplificatrice des nombreuses fictions inspirées par notre métier.

Cette caricature veut que l’avocat pénaliste soit défende un innocent accusé d’un crime qu’il n’a pas commis, et de préférence arrive à lui tout seul à démontrer en un magnifique coup de théâtre que c’est l’épouse / la maîtresse / le majordome / le demi-frère caché et jaloux (rayez la mention inutile) le véritable coupable ; soit qu’il soit un être amoral qui, bien qu’il connaisse pertinemment la culpabilité de son client, qui est naturellement un salaud de la pire espèce, va l’aider à berner tout le monde et à s’en sortir en toute impunité.

Ces deux images sont archi-fausses.

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