Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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samedi 25 mars 2006

Faisons le point sur le CPE

Où l'auteur règle ses comptes suite à un traumatisme de jeunesse.

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jeudi 9 mars 2006

Le DADVSI Code (7) : O Draconian députés ! O Lame Constitution !

Ce billet a dû subir une sérieuse mise à jour ce qui a entraîné la nécessité de raturer quelques paragraphes. L'usage des blogues est de ne pas retirer un texte qui a été rectifié sur un autre blog sous peine de faire perdre tout intérêt au billet rectificateur. Désolé donc pour l'aspect brouillon, j'en suis le seul responsable.

"Ca s'en va et ça revient, c'est fait de tous petits riens..." Quoi donc ? Mais l'article premier projet de loi DADVSI, voyons.

Ce qui au début n'était qu'une saynète cocasse devient une farce en plusieurs actes et multiples tableaux, rendons hommage au ministre de la culture.

Souvenez vous : le 21 décembre, contre toute attente à commencer par celle du gouvernement, l'assemblée nationale adopte un amendement ouvrant la voie à la licence globale.

Cet amendement n°152 ajoutait à l'article premier de la loi un alinéa précisant :

De même, l'auteur ne peut interdire les reproductions effectuées sur tout support à partir d'un service de communication en ligne par une personne physique pour son usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à l'exception des copies d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde, à condition que ces reproductions fassent l'objet d'une rémunération telle que prévue à l'article L. 311-4.

Cet amendement eut les conséquences que l'on sait : suspension des travaux parlementaires, réveillon gâché chez les Donnedieu de Vabres, montée au créneau des artistes contre le téléchargement des baguettes des boulangers, site internet lancé sans une goutte de champagne.

La discussion reprenait donc cette semaine, sereine, apaisée.

Bon, pour la discussion, on a voulu faire simple, le ministre a retiré du projet l'article premier, qui ajoutait deux alinéas à l'article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle qui prévoit les cas où un auteur ne peut s'opposer à la représentation ou à la reproduction partielle ou totale de son oeuvre. Aux cinq cas existant (représentation dans le cercle de famille, copie privée, courte citation, la parodie et l'accès à une base de données électronique), cat article premier en ajoutait deux : la reproduction transitoire lors de la transmission par voie informatique, qui est faite à l'insu de l'utilisateur, et les opérations permettant de rendre l'oeuvre accessible aux handicapés.

Pourquoi cette hostilité soudaine à l'égard des handicapés ? Parce que retirer l'article premier faisait disparaître automatiquement l'amendement sur la licence globale, qui passait à la poubelle avec les sourds et les aveugles, on ne fait pas d'omelette sans casser les oeufs.

Dès cette annonce, des observateurs éclairés s'interrogeaient sur le fondement de ce retrait d'un article et un seul.

En effet, le règlement de l'assemblée nationale prévoit à l'article 84 que le gouvernement peut retirer un projet de loi en cours de discussion tant qu'il n'a pas été adopté. Mais là, il ne s'agit que du retrait d'un petit bout.

Jean-Louis Debré, président de l'assemblée nationale, indiquait en ces termes pourquoi ce procédé lui semblait légal (je grasse) :

La question du retrait de l'article premier a été évoquée ce matin en Conférence des présidents et l'est à nouveau cet après-midi. Je souhaiterais donc apporter quelques précisions. L'article 84 de notre Règlement dispose que les projets de loi peuvent être retirés par le Gouvernement à tout moment jusqu'à leur adoption définitive par le Parlement. En vertu du principe selon lequel qui peut le plus peut le moins, il est de jurisprudence constante que le Gouvernement, qui peut retirer l'ensemble d'un projet de loi, peut également en retirer une partie, c'est-à-dire un ou plusieurs articles. Il existe de nombreux cas de ce type - le premier remontant à 1960 - et la procédure a d'ailleurs été validée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 26 juillet 1984. La circonstance que l'Assemblée ait commencé l'examen de l'article premier et ait déjà adopté des amendements ne fait pas obstacle à son retrait. Là encore, il existe des précédents à une telle situation. Parallèlement, le Gouvernement a déposé un amendement portant article additionnel qui propose une solution alternative à ce que l'Assemblée avait adopté dans le cadre de l'article premier. Je tiens à souligner que cette solution ne réduit nullement les droits de l'Assemblée.

La jurisprudence constante, les juristes connaissent bien, c'est celle qu'on invoque neuf fois sur dix en espérant que le juge nous croira sur parole. Ca ne marche plus depuis belle lurette, les juges connaissant leur matière répondant en souriant "Ha, oui, la fameuse jurisprudence constante, celle qui vous dispense de citer des arrêts...". [Mise à jour : en fait, jurisprudence constante désigne dans le jargon parlementaire les usages non écrits fermement établis. Cf ce billet ]

Et bien voyons voir ce qu'elle raconte, cette jurisprudence constante.

"Le premier cas remontant à 1960" : il ne peut s'agir que de la décision 59-5 DC du 15 janvier 1960 sur le règlement de l'assemblée nationale. Or sa lecture attentive laisse le lecteur sur sa faim : rien n'est dit sur le retrait partiel d'un texte, le Conseil sanctionnant au contraire une modification du règlement sur le vote bloqué permettant le saucissonnage d'un texte en limitant le vote bloqué à quelques articles : le vote bloqué c'est tout ou rien. Cette décision va plutôt dans un sens contraire à celui du gouvernement.

"la procédure a d'ailleurs été validée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 26 juillet 1984". Ha, une date. Il s'agit donc de la décision 84-175 DC sur une modification du règlement du Sénat. Bon, on cherche où cette procédure a été validée, puisque cette décision valide une réforme du règlement du Sénat qui ne touche à aucun des articles portant sur le retrait d'un projet de loi par le gouvernement, à savoir les articles 24 à 28, seuls les articles 10, 16, 20, 39, 42, 43, 44, 47 bis, 48, 49, 74, 76, 78, 79, 82, 100 et 108 étant modifiés et un article 110 ajouté. [Mise à jour : il s'agit en fait de la décision 84-172. Cf ce billet ]

La jurisprudence constante se réduit comme peau de chagrin.

En fait, il s'avère que ce type de retrait n'est arrivé qu'une fois en 1961, sur un texte qui n'a pas été soumis au Conseil constitutionnel. Donc, on ne sait pas si ce retrait partiel serait conforme à la Constitution.

[Mise à jour :]Ce type de retrait a en fait été expressément validé par le Conseil constitutionnel en 1984 mais il existe de sérieux motifs de penser que cette jurisprudence n'est plus d'actualité. Cf ce billet.

Le Conseil constitutionnel semble même avoir fait savoir qu'il ne considérerait certainement pas ce type de procédé comme conforme à la constitution, faisant encourir à la loi le risque d'être déclarée entièrement anticonstitutionnelle.

RDDV a déjà eu à manger son chapeau dans cette affaire, mais là, c'était toute sa garde robe qu'il risquait de devoir avaler.

Hier soir, donc, spectaculaire volte face, le ministre annonce que le projet de loi discuté inclura l'article premier, y compris donc la licence globale. Enfin, spectaculaire, il faudra être attentif pour déceler l'annonce, qui n'échappera pas à l'opposition (je grasse).

M. le Ministre - Ce que je souhaite à présent, c'est que le débat sur les articles aille à son terme. Le Gouvernement agira en toute transparence et dans le plus grand respect du Parlement, puisque c'est à lui que revient le pouvoir de décider.

J'entends s'exprimer sur vos bancs plusieurs interrogations et je veux qu'il n'y ait aucune ambiguïté, de sorte que les dispositions du texte que vous serez amenés à voter soient claires et compréhensibles par tous. A cet effet, je juge opportun que nous examinions tous les sous-amendements présentés à la suite de l'amendement du Gouvernement. Ensuite, je vous proposerai de ré-évoquer les amendements qui n'ont pas été traités à l'article premier...

M. Patrick Bloche - C'est insensé !

M. Didier Migaud - Incroyable !

M. le Ministre - Au terme de cette démarche, j'ai bon espoir que nous ayons fait le point sur l'ensemble des sujets qui vous préoccupent et que votre Assemblée soit parfaitement éclairée... (Rires sur plusieurs bancs des groupes socialiste, communiste et républicain et UDF) Libre à ceux qui en prendront la responsabilité d'entacher cette démarche de clarté de manœuvres de procédures...

Gageons que le Sénat sera plus docile pour éliminer la licence globale.

Ha, et ces débats ont révélé une information qui intéressera certains de mes lecteurs :

M. Bernard Carayon - Moi, je suis sous Linux. Je dois être le seul à utiliser les logiciels libres dans cette enceinte !

Ce n'est pas sympa pour le ministre de la culture, dont le site lestelechargements.com tourne sous Dotclear.

vendredi 3 mars 2006

La cour de cassation promulgue la loi DADVSI

La cour de cassation vient de jeter un pavé dans la marre en cassant l'arrêt rendu le 22 avril 2005 par la cour d'appel de Paris dans l'affaire dite "Mullholland Drive". Et cet arrêt contient, caché dans un recoin, un bout de phrase qui fera sûrement gloser des juristes des pages et des pages, et qui a donc tout naturellement échappé à la presse grand public.

Re-situons le débat.

L'acquéreur d'un DVD du film de David Lynch Mullholland Drive fut pris au dépourvu quand, voulant effectuer une copie de sauvegarde dudit DVD en fut empêché par un dispositif anti-copie rendant la partie numérique de l'oeuvre aussi inaccessible que l'était déjà sa partie visuelle. Fort marri, il alla crier son ire chez UFC-Que Choisir ? qui lui fit bon accueil et les compères décidèrent de concert d'aller chanter pouille en justice contre le producteur, l'editeur et le diffuseur de l'oeuvre pour atteinte au droit à la copie privée.

Le tribunal de grande instance de Paris les débouta de leurs prétentions le 30 avril 2004, les condamnant en outre à 8000 euros de frais de justice.

Ni une ni deux, les plaideurs portèrent leur querelle devant la cour d'appel, espérant trouver Quai des Orfèvres les cinéphiles qui leur firent défaut Boulevard du Palais.

Grand bien leur fit, car la 4e chambre de la cour, le 22 avril 2005[1] réduisit à néant ledit jugement, accueilli à bras ouvert la demande de notre cinéphile informaticien évincé et lui accorda 150 euros de dommages intérêts, 30000 à UFC et 1500 euros de frais de procédure. Surtout, la cour, emporté par son amour du 7e art, et préférant peut être Apollon à Thémis, fit interdiction au producteur et à l'éditeur du film d'apposer quelque dispositif anti-copie que ce soit sur leurs DVD. Les déboutés invoquèrent alors Mars et partirent en guerre contre cet arrêt du côté du Quai de l'Horloge.

Très grand bien leur fit car les Conseillers de la première chambre civile [2] firent choir la foudre de Zeus sur l'arrêt rendu de l'autre côté de l'Île de la Cité.

Et cet arrêt, en la forme, a de quoi retenir immédiatement l'attention des juristes : il est court, ne cite pas le pourvoi, commence par un visa suivi d'un chapeau et casse l'arrêt qu'il examine : ce sont tous les indices des arrêts de principe destinés à marquer pour longtemps la jurisprudence de la cour.

Descendons de l'Olympe du droit et soyons le Prométhée de la procédure :

La cour rappelle à titre de prolégomène les faits :

Attendu que, se plaignant de ne pouvoir réaliser une copie du DVD “Mulholland Drive”, produit par les Films Alain Sarde, édité par la société Studio canal et diffusé par la société Universal Pictures vidéo France, rendue matériellement impossible en raison de mesures techniques de protection insérées dans le support, et prétendant que de telles mesures porteraient atteinte au droit de copie privée reconnu à l’usager par les articles L. 122-5 et L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle, M. X... et l’Union fédérale des consommateurs UFC Que choisir ont agi à l'encontre de ceux-ci pour leur voir interdire l’utilisation de telles mesures et la commercialisation des DVD ainsi protégés, leur demandant paiement, le premier, de la somme de 150 euros en réparation de son préjudice, la seconde, de celle de 30 000 euros du fait de l’atteinte portée à l’intérêt collectif des consommateurs ; que le Syndicat de l’édition vidéo est intervenu à l’instance aux côtés des défendeurs ;

Puis vient le visa.

Le visa est la liste des textes de loi que la cour va interpréter. Rappelons que la cour de cassation a comme mission première d'unifier l'interprétation de la loi ; ce visa indique donc expressément que c'est sous cette aune que devra désormais être mesuré l'article concerné.

Ce visa, le voici :

Vu les articles L. 122-5 et L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des dispositions de la directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, ensemble l’article 9.2 de la convention de Berne ;

Tiens, tiens ? Ca ne vous dit rien ? La directive citée est précisément celle dont la transposition est en cours avec le projet de loi DADVSI. La cour de cassation va interpréter le code de la propriété intellectuelle en tenant compte de cette directive alors même que la loi de transposition n'est pas adoptée. Je n'oserais affirmer que c'est une première, mais je le crois ; en tout cas c'est une évolution notable (Monsieur le Professeur Rolin, pouvez vous éclairer ma lanterne, car jouer les Prométhée sans feu m'est insupportable). [Mise à jour : Paxatagore, Nemesis de mes erreurs, apporte des précisions fort utiles sur son blog et en commentaires. La cour de cassation a déjà interprété des textes internes à la lumière d'une directive européenne en voie de transcription. Il n'y a pas nouveauté ici, à ceci près que la copie privée fait partie de la marge de manoeuvre laissée aux Etats et que le projet de loi en discussion la protège. La cour de cassation ne se contente pas d'appliquer la partie de la directive qui est claire et ne laisse aucun choix aux Etats membres. Mais à sa décharge, elle casse un arrêt qui fait interdiction au producteur, à l'éditeur et au distributeur de mettre des dispositifs anticopie sur les DVD, ce que la directive autorise expressément. La cour pouvait difficilement laisser passer ça.]

Une directive européenne n'a en effet aucun effet juridique direct en droit interne, elle ne fait qu'imposer aux Etats membres de la transposer dans leur législation interne avant une certaine date, date qui en l'espèce est dépassée depuis longtemps[3]. La cour de cassation prend acte de la carence du législateur, trop occupé à boire du champagne punch au Palais de Tokyo, et décide de tenir compte de ce texte dans son interprétation pour anticiper sur la marche du législateur. En cela, elle se rapproche de ce que fait le Conseil d'Etat depuis longtemps et prend sur elle d'intégrer dans la législation française une directive non transposée par le biais de l'interprétation de la loi. Rien que ça rend cet arrêt très important, au-delà du seul problème de droit d'auteur.

Vient ensuite le chapeau.

Le chapeau est un paragraphe qui pose l'interprétation des textes visés par la cour de cassation. En somme, la cour joint le geste à la parole, et annonçant qu'elle va interpréter le code de la propriété intellectuelle "à la lumière de la directive", elle nous révèle aussitôt quelle est cette interprétation.

Attendu, selon l’article 9.2. de la convention de Berne, que la reproduction des œuvres littéraires et artistiques protégées par le droit d’auteur peut être autorisée, dans certains cas spéciaux, pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur ; que l’exception de copie privée prévue aux articles L. 122-5 et L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle, tels qu’ils doivent être interprétés à la lumière de la directive européenne susvisée, ne peut faire obstacle à l’insertion dans les supports sur lesquels est reproduite une oeuvre protégée, de mesures techniques de protection destinées à en empêcher la copie, lorsque celle-ci aurait pour effet de porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre, laquelle doit s’apprécier en tenant compte de l’incidence économique qu’une telle copie peut avoir dans le contexte de l'environnement numérique ;...

Traduction : la directive DADVSI que le législateur n'a pas été fichu de transcrire en temps et en heure permet expressément de s'opposer à la copie même privée d'une oeuvre, et la convention de Berne, qui elle est en vigueur, prévoit qu'il est permis de s'opposer à une telle copie quand ellle porte atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ou cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur. Ce n'est qu'une question de temps pour que ce qu'ont fait le producteur et l'éditeur ne devienne légal, et même ça devrait déjà l'être depuis longtemps. Et bien voilà, je fais comme si ça l'était d'ores et déjà.

Voici la règle posée. Maintenant, la cour va l'appliquer aux faits de l'espèce.

D'abord, faites entrer l'accusé, la cour expose comment la cour d'appel a statué. Pour faciliter la lecture, je mets en italique les propos qui sont ceux de la cour d'appel et de cette cour seulement :

Attendu que pour interdire aux sociétés Alain Sarde (le producteur), Studio canal (l'éditeur) et Universal Pictures vidéo France (le distributeur) l’utilisation d’une mesure de protection technique empêchant la copie du DVD “Mullholland Drive”, l’arrêt, après avoir relevé que la copie privée ne constituait qu’une exception légale aux droits d’auteur et non un droit reconnu de manière absolue à l’usager, retient que cette exception ne saurait être limitée alors que la législation française ne comporte aucune disposition en ce sens ; qu’en l’absence de dévoiement répréhensible, dont la preuve en l’espèce n’est pas rapportée, une copie à usage privé n’est pas de nature à porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre sous forme de DVD, laquelle génère des revenus nécessaires à l’amortissement des coûts de production ;

Vient ensuite la sentence de mort de l'arrêt de la cour d'appel de Paris :

Qu’en statuant ainsi, alors que l’atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre, propre à faire écarter l’exception de copie privée s'apprécie au regard des risques inhérents au nouvel environnement numérique quant à la sauvegarde des droits d'auteur et de l’importance économique que l’exploitation de l’oeuvre, sous forme de DVD, représente pour l’amortissement des coûts de production cinématographique, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

C'est carrément une violation de la loi que retient la cour de cassation, c'est fort et cinglant.

La cour de cassation et la cour d'appel sont toutefois d'accord sur un point, qui n'est pas nouveau mais qu'il est bon de rappeler : la copie privée n'est pas un droit, mais une exception au principe de l'interdiction de toute copie de l'oeuvre. Cette exception cesse dès lors que d'autres intérêts protégés par la loi sont remis en cause, et c'est exactement le cas selon elle en matière de copie de DVD. Interdire tout dispositif anti copie, tout DRM pour parler clairement, c'est pour la cour de cassation sacrifier les intérêts légitimes de l'auteur en compromettant l'exploitation normale de l'oeuvre qui se retrouverait immédiatement disponible au téléchargement à grande échelle (car juridiquement, la distinction entre une copie privée réalisée en local à partir d'un DVD ou en réseau P2P est sujette à controverse : la cour d'appel de Montpellier, à laquelle s'est ralliée le tribunal de grande instance de Paris, ne la fait pas, tandis que Pontoise et Meaux la font). Et en plus de cette atteinte, la loi va bientôt expressément autoriser les DRM et même aurait dû le faire il y a de ça trois ans.

En somme, la cour de cassation a commencé à appliquer la loi DADVSI, avant même qu'elle ne soit votée.

Notes

[1] Arrêt disponible sur Juriscom.net

[2] Civ.1e, 28 février 2006, pourvois n°05-15.824, et 05-16.002

[3] La directive devait être transposée avant le 22 décembre 2002

vendredi 24 février 2006

La rançon du succès

Dotclear est un outil de qualité, mon blog semble être considéré comme pas trop médiocre par un nombre de lecteur croissant, et la combinaison des deux fait que je suis l'objet d'attaques régulières de spams.

Je ne suis pas le seul blogueur de qualité et Dotclearien à subir ce qui ressemble à de l'association de malfaiteur, ou à tout le moins du spam en bande organisée.

J'ai pour faire la police de l'audience un outil très efficace, spamplemousse, qui a pour effet de mettre en garde à vue les commentaires et trackbacks suspects, soit du fait de leur IP au lourd casier, soit d'un mot rappelant que pharmacopée et bagatelle font désormais bon ménage.

Il y a des erreurs judiciaires comme partout, que je m'efforce de réparer diligemment : si donc vous constatez qu'un de vos commentaires n'est pas affiché immédiatement mais qu'un message vous indique "Votre commentaire a été envoyé. Il sera en ligne bientôt", sachez que votre commentaire a été mis en examen pour tentative de spam et est en détention provisoire. Inutile de le reposter : les mêmes causes produisant les mêmes effets, vous ne ferez qu'aggraver la surpopulation carcérale.

La chambre de l'instruction se réunit très régulièrement et examine chaque dossier avec une méticulosité digne d'une commission parlementaire télévisée, et l'injustice sera réparée promptement. Merci de votre patience.

PS : si vous subissez une déficience passagère de la libido ou recherchez des sites de photographies (conformes au Code pénal) relevant plus de la médecine légale que du nu artistique, j'ai quantité d'adresses en réserve. Merci de me préciser par mail vos préférences.

PPS : Si l'objet de votre commentaire est de citer un mot tiré du CV d'un récent condamné ou rappeler l'historique de ses passages dans des émissions de variété, le non affichage de votre commentaire relève d'autres raisons plus définitives, par une décision non susceptible de recours.

lundi 13 février 2006

Soyez le juge… des libertés et de la détention.

Félicitations, vous avez pris du galon ! Vous voilà JLD, juge des libertés et de la détention.

Quatre dossiers vont vous être soumis aujourd'hui (très petite journée), mais auparavant un peu de mise en situation.

Votre robe reste au placard, l'audience a lieu dans votre cabinet, à huis clos. Pour simplifier, aucun avocat n'a déposé de demande que l'audience soit publique : c'est une faculté rarement utilisée.

Vous êtes saisi par un juge d'instruction, qui vient de mettre en examen la personne qui va vous être présentée. Cette personne est présumée innocente ; néanmoins le parquet a demandé au juge d'instruction de vous saisir d'une demande de placement en détention provisoire. Il y a déjà eu un premier filtre : si le juge d'instruction avait estimé que la détention n'était pas nécessaire, il aurait placé le mis en examen sous contrôle judiciaire.

Vous venez de recevoir les dossiers, pour la plupart assez volumineux, et vous êtes pressés par le temps : il est tard, les escortes vous attendent pour repartir vers les maisons d'arrêt, et votre greffière jette régulièrement des regards désespérés vers l'horloge de votre bureau puis vers la photo de son rejeton. Une fois que vous avez pris connaissance du dossier, le mis en examen sera introduit dans votre bureau, escorté par un policier (ou un gendarme à Paris), ses entraves seront retirées, et il prendra place à côté de son avocat. Le procureur aussi est là (lui non plus n'a pas sa robe), il vient soutenir la demande de placement en détention.

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jeudi 9 février 2006

Affaire Monputeaux : le compte rendu d'audience

Après itératives mises en demeure, voici mon compte rendu de l'audience du 3 février dernier devant la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris, dans l'affaire opposant Christophe Grébert à la Commune de Puteaux.

En fait, deux affaires distinctes sont jugées en même temps : l'une opposant Puteaux au Parisien et à mon confrère Jean-Gilles Halimi (oui, il est prévenu), et l'autre opposant Puteaux à Christophe Grébert.

Pendant que les avocats exposent les moyens qu'ils entendent soulever et que les témoins sont appelés, la tribune de presse bruisse comme un soir de première. Le Monde, Libération, Le Parisien, Le Figaro, la presse est là et c'est ambiance franche rigolade :

Tandis que l'un des assesseurs examine l'article du Parisien incriminé :
- Quand même, au lieu de bosser, ils se permettent de lire le journal ! (gloussements dans la tribune)
- Bon, qu'est ce qu'on attend ? C'est long !
- Oh, il est joli votre stylo, Maître (et de s'en saisir sans me demander ma permission).
- Qui c'est lui ?
- C'est le directeur juridique du Parisien.
- Haaaa... (Perdu : c'est maître Halimi).

L'audience commence enfin.

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mercredi 1 février 2006

Où l'on reparle enfin d'Outreau

Je reviens enfin sur cette affaire, où les auditions en cours de la commission d'enquête parlementaire donnent matière à réflexion.

J'ai été durement parfois pris à partie à la suite de mon premier billet sur cette affaire . Les commentateurs s'offusquaient de mon point de vue qu'ils interprétaient à tort comme une défense corporatiste de l'institution judiciaire. Et le même prisme est apposé un peu témérairement sur le point de vue exprimé par le président Montfort dans son discours que j'ai publié hier.

La colère engendrée par cette affaire est vive, mais les réactions qu'elle engendre n'en sont pas légitimées pour autant parce que frappées du sceau de l'indignation. Critiquer la justice est un droit absolu pour les citoyens, car la justice est rendue en leur nom : tous les jugements et arrêts, que ce soit du juge de proximité de Bourganeuf (Creuse) ou de l'Assemblée plénière de la cour de cassation (Paris) commencent par les mots "Au nom du peuple français". Mais pour que cette critique soit utile, il faut qu'elle soit pertinente. Les procès d'intention ou ceux en sorcellerie ne relèvent pas de la démocratie mais de la démagogie.

Alors évacuons d'entrée les arguments disqualifiant les plus tentants : ni le président Montfort ni votre serviteur n'ont eu à connaître de près ou de loin de ce dossier. Le président Montfort a une carrière qui le met à l'abri de devoir jouer les larbins des politiques pour s'assurer une promotion, quant à votre blogueur préféré, étant profession libérale, il jouit à leur égard d'une totale indépendance, n'étant pas partie intégrante de l'institution judiciaire. M'accuser de vouloir caresser la justice dans le sens du poil est saugrenu, mon rôle consistant plutôt à jouer les troubles fêtes dans les procédures trop lisses.

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vendredi 13 janvier 2006

Le DADVSI Code(5) : l'Opus d'Elie

Luc Saint-Elie, piqué au vif par ma critique de son emploi du terme stalinisme pour exprimer son désaccord avec la loi DADVSI, s'est fendu de plusieurs longs commentaires fort bien écrits et argumentés. Vous pouvez les lire ici, ici, et .

Il exprime plusieurs préoccupations et craintes des adversaires de cette loi.

Voilà qui m'offre l'occasion d'en expliciter le contenu en le confrontant à des critiques, ce qui sera bien plus intéressant qu'un commentaire de texte article par article.

Et me fournit un cinquième jeu de mot pour le titre.

Tentons de résumer ce que dit la loi DADVSI.

Ha, précision importante : vu l'état actuel de la discussion parlementaire, je m'en tiens au pur projet de loi. Tenir compte des amendements serait un travail herculéen, et une autre lecture devant avoir lieu au Sénat, probablement d'un intérêt éphémère. Gageons que le texte qui sortira finalement au JO sera assez proche du projet de loi pour que cette base de travail soit assez solide. Je ne tiens donc pas compte de l'adoption de la licence optionnelle.

D'abord, cette loi ne légalise pas les DRM (digital rights management, gestion des droits numériques, que la loi inclut dans la catégorie des "mesures techniques efficaces") : ils le sont déjà, ni ne les rend obligatoires.

Dès lors que l'informatique permet de limiter le nombre de copies (transferts vers un CD ou sur un autre ordinateur), il est tout à fait légal pour un auteur ou ses ayant-droits (concrètement, les maisons de disques) d'utiliser ces protections, du moment que l'acheteur en est informé. C'est du droit des contrats : il y a une offre, qui est acceptée, ce qui forme le contrat. L'offre est librement fixée par le pollicitant, dans le respect de la loi. Ainsi, l'achat d'un CD n'est en fait que l'achat d'une reproduction d'une oeuvre musicale permettant un nombre illimité de représentations sur un lecteur adéquat. Il est tout à fait licite de ne vendre qu'un droit limité (le morceau ne peut être écouté qu'un nombre de fois limité, ou sur une période limitée). Si l'acheteur n'est pas d'accord, il n'achète pas, ou négocie des droits plus étendus, hypothèse à écarter pour un particulier seul, mais des actions collectives sont possibles. Notons que pour le moment, les deux offres existent simultanément : le droit limité (vente en ligne à prix modique) ou illimité (vente sur support CD audio à prix scandaleux plus élevé).

Par exemple, un groupe de communication propose de télécharger des films visibles sur ordinateur, qui ne peuvent être regardés que pendant 24 heures, pour 3 euros, ce qui est moins cher qu'un DVD que parfois, on ne regarde qu'une fois. Idéal pour ceux qui voyagent avec leur portable. Je me souviens avoir vu un service vendant des DVD qu'un produit chimique rend illisible au bout de quelques heures.

Ce sont des mesures techniques efficaces, et tout à fait licites en soi.

Ce que change la loi DADVSI, c'est que ces mesures doivent être légalement protégées. En l'état actuel, un informaticien qui parviendrait à supprimer la protection d'un film canalplay pour le voir indéfiniment ne commet qu'une faute contractuelle civile. La loi DADVSI assimilera ce fait à de la contrefaçon.

Mais si un musicien décide de mettre ses oeuvres en circulation sans mesure technique efficace, il en a parfaitement le droit. Tel est le cas des podcasts, par exemple ; ce sont des oeuvres numériques comme les autres. Un podcast en mp3 reproductible aisément restera parfaitement licite une fois la loi DADVSI adoptée. Nul n'imposera à Bloïc™ de mettre des DRM sur ses podcast.

Bref : la loi DADVSI ne rend pas les DRM obligatoires, elle rend leur respect obligatoire et pénalement sanctionné. Mais les formats ouverts comme le .OGG ne sont pas concernés. Les DRM ne sont pas les seules mesures techniques efficaces : la destruction chimique du support en est un autre exemple.

Voilà pour la philosophie de la loi.

Concrètement, la loi se divise en 5 titres, dont seul le titre I (articles 1 à 15) nous intéresse, et spécialement son chapitre 3 (article 6 à 15) : Le titre II concerne les agents publics pour les œuvres réalisées dans le cadre de leurs fonctions ; le titre III précise les modalités de contrôle des sociétés de perception et de répartition, le titre IV étend l'obligation du dépôt légal aux logiciels et bases de données et le titre V étend cette loi aux DOM TOM.

La loi définit les mesures techniques efficaces dans un langage de pur technocrate : « toute technologie, dispositif, composant, qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, empêche ou limite les utilisations non autorisées par le titulaire d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur, d'une œuvre, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme ». De l'art de faire des redondances…

La loi fait obligation aux utilisateurs (les maisons de disque et sociétés de production) de ces mesures techniques efficaces d'accorder "de manière non discriminatoire" des licences d'utilisation aux fabricants de lecteurs et concepteurs de logiciels de lecture, à condition que ceux-ci respectent à leur tour ces mesures. Que donnera l'application de cet article ? Bien malin qui pourrait le dire. La loi ne précise pas les sanctions de cette obligation.

Tout contournement ou procédé permettant le contournement de ces mesures techniques devient un délit : la fabrication d'un lecteur ou d'un logiciel lisant tous les fichiers sans tenir compte des DRM deviendrait illicite.

Les logiciels libres (de lecture d'oeuvres numériques, Linux, Firefox et Dotclear ne sont pas concernés) sont-ils menacés ?

A première vue, non, je ne vois pas en quoi. Les concepteurs de VLC doivent pouvoir obtenir des licences d'utilisation des DRM dans des conditions non discriminatoires. Je sais que cette portion du programme, nécessairement inaccessible, contrevient aux règles définissant les logiciels libres qui doivent être intégralement accessibles en code source. Mais là, il y a conflit entre une loi et une définition. C'est la loi qui l'emporte.

Cette disposition donne la base légale pour que les divers constructeurs de baladeurs rendent enfin leur produit compatible avec les formats concurrents. C'est une avancée, je pense.

Qu'en dit Luc Saint Elie ?

Première critique, assez générale : le texte serait "à côté de la plaque" comme allant contre le sens de l'histoire, rien que ça.

Plus prosaïquement, il exprime la crainte que les évolutions techniques et la détérioration physique des supports rendent à terme impossible la transmission de ces données dans un cadre familial par exemple. Très concrètement, il pense aux livres et disques vinyles de nos parents, que nous pouvons lire et écouter à loisir, tandis qu'un fichier muni de DRM, ne pouvant être transmis que sur un nombre limité d'ordinateurs ou gravé qu'un certain nombre de fois, est destiné à disparaître, puisqu'une fois qu'il aura figuré sur un nombre prédéterminé de disques durs et de CD-ROM, il ne pourra plus être reproduit, et que ces supports perdront un jour leur efficacité, ce d'autant qu'en 2100, il est peu probable que le .m4p soit encore un format lisible.

Souci légitime, encore qu'à relativiser d'un strict point de vue historique. Les tourne-disques sont des collectors, les lecteurs VHS sont obsolètes, et bientôt vous aurez bien du mal à écouter vos vieux 33 tours et vos cassettes VHS (qui a encore un magnétoscope Philips V2000 ?). La discothèque de mon grand-père reste dans les cartons où l'ont mis ses héritiers, et ses livres ont pour la plupart été refusés par Emmaüs à qui on les a proposé. Quant aux 45 tours de ma jeunesse, je ne suis pas sûr qu'ils constituent un patrimoine que je serai fier de transmettre à mes enfants…

La perte du patrimoine culturel individuel existe et existera toujours, au même titre que la dissipation de l'argenterie, sauf à ce que chacun d'entre nous se transforme en gardien de musée des générations antérieures.

Là, on touche au sens de la création législative : le législateur doit parfois trancher entre deux intérêts opposés : la discothèque de Luc Saint-Elie (et plus largement la conservation intégrale du patrimoine artistique des individus) d'une part, la protection des droits des artistes d'autre part. Le législateur, européen en l'occurrence, a tranché en faveur des seconds, pour favoriser, selon lui, la création en protégeant la source de leurs revenus : le droit exclusif sur leur oeuvre. Je n'exprime pas ma préférence personnelle ici : j'énonce un fait. Il suffit de lire l'exposé des motifs de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information :

(9) Toute harmonisation du droit d'auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l'intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.

Le législateur a arbitré entre deux intérêts divergents. Il n'y avait pas un bon et un mauvais. Il n'a pas choisi celui des consommateurs : en tant que consommateur, je le regrette. Luc Saint-Elie le regrette, lui, au nom du patrimoine culturel à transmettre. Qu'il se rassure : comme il le relève lui même, « les données numériques ne sont pas des éléments fixes mais des éléments nomades, destinés à errer de support à support ». Ses disques se perdront dans l'oubli comme les larmes dans la pluie, mais les données, elles, ne seront jamais perdues. La pérennité des oeuvres n'est pas, à mon avis, menacée par cette loi, pas plus qu'elle n'est garantie, puisque là n'est pas son propos.

Luc Saint-Elie m'interpelle d'ailleurs par une question qui montre à mon sens qu'il a mal cerné l'objet de cette loi :

Maître Eolas, vous qui êtes juriste, quel regard portez-vous sur le fait que je détiens des livres que je n’ai pas payés puisqu’ils me viennent de mes parents, que je détiens des disques que je n’ai pas payés puisqu’ils me viennent de mes parents, que demain, je peux aller voir un vieux bouquiniste et lui acheter des livres pour lesquels il n’a pas payé ni l’auteur ni les ayant droit ? Suis-je un malfaiteur ?

Bon, je ne consulte pas sur ce site en principe, mais je ferai une exception. Non, vous n'êtes pas un malfaiteur, vous êtes un héritier ou un donataire. Vous possédez une reproduction matérielle originale (pardon pour cette oxymore), c'est à dire licite. Vous n'avez causé aucun préjudice à l'auteur de ces livres ou disques car vous n'avez pas copié l'oeuvre. Il n'en va pas de même lors de la circulation d'oeuvres numériques, puisque la transmission implique l'apparition d'un nouvel exemplaire de l'oeuvre et non sa transmission. Aucune analogie pertinente ne peut être tirée de la comparaison d'un livre papier ou d'un disque vinyle avec une oeuvre numérisée.

la notion de copie (je lui préfère celui de migration qui a le mérite de ne pas être encore connoté) est inhérent à la numérisation. La migration de données n’est pas une simple péripétie occasionnelle, c’est un des éléments constitutifs d’un univers numérique.

Parfaitement, même un nul en informatique comme moi le sait. La loi DADVSI dissipe tout doute en ajoutant une exception au principe "pas de copie sans autorisation de l'auteur" :

Article L.122-5, 6° (futur) : L'auteur ne peut s'opposer à « La reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu'elle est une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique et qu'elle a pour unique objet de permettre l'utilisation licite de l'œuvre ou sa transmission entre tiers par la voie d'un réseau faisant appel à un intermédiaire ; toutefois, cette reproduction provisoire qui ne peut porter que sur des œuvres autres que les logiciels et les bases de données, ne doit pas avoir de valeur économique propre », article 1er de la loi.

Luc Saint-Elie se lamente du fait que cette évolution fait que nous allons être dépossédés des oeuvres numériques. A terme, les fichiers que nous achetons, voire les CDs audio et DVD ordinaires, finiront par ne plus être lisibles, par épuisement des DRM ou obsolescence de la mesure technique efficace, quand ils ne sont pas illisibles ''ab initio''. C'est un risque, qui doit avoir comme contrepartie la baisse du prix de la musique. Si iTunes vous vend un morceau un euro, pouvez-vous exiger d'avoir l'équivalent parfait d'un CD single ? Est-ce un scandale que vous risquiez de ne plus pouvoir l'écouter dans dix ans et que vous soyez obligé de le racheter un euro sous un autre format ? On pourrait même imaginer à terme une véritable écoute à la demande, où l'auditeur rémunère modiquement l'artiste, mais le fait à chaque fois qu'il écoute une oeuvre de lui.

Comprenez moi bien : je ne dis pas que cette évolution est bonne, souhaitable et digne de réjouissance. Mais ce n'est pas non plus du e-stalinisme, ou du e-fascisme.

Qui plus est, cette loi transcrit une directive européenne. La France est tenue de le faire, elle a trois ans de retard. La directive en question a été adoptée dans des conditions totalement transparentes (la procédure européenne est détaillée sur cette page) et le processus remonte à 1997 pour s'achever en 2001. Espérer que ce projet sera abandonné ou "jeté à la poubelle" est une chimère.

Mais l'Union Européenne n'est pas la machine à réglementer soumise aux intérêts des lobbies qu'on nous a vendu le printemps dernier. Elle a remarqué depuis longtemps que les technologies évoluent et que le législateur européen est faillible.

La démarche de l'Union est que la priorité doit être que TOUS les états membres appliquent les même règles, pour éviter des distorsions nuisibles à la concurrence et la libre circulation des biens culturels, même si ces règles ne sont pas satisfaisantes (elles ne sauraient satisfaire tout le monde) ; une fois ces règles appliquées partout, on observe les résultats, au besoin par périodes de trois ans, et on envisagera une nouvelle directive plus adaptée. C'est la clause de "revoyure" (article 12 de la directive). Problème ici, quatre pays étant en manquement de cette directive, dont la France, ce ré-examen, qui devait avoir lieu le 22 décembre 2004, soit après trois ans d'application, est bloqué.

Donc l'inaction de la France contribue à aggraver les aspects critiquables de cette loi. Ainsi, Luc Saint-Elie appelle de ses voeux une remise à plat totale. La Commission ne demande pas autre chose, mais elle refuse de le faire tant qu'elle n'aura pas constaté les résultats de quelques mois ou années d'application dans TOUTE l'Europe.

Etant entendu que de toutes façons, la Commission aura toujours comme priorité la protection des droits des auteurs. Et que cette protection se fera forcément d'une façon ou d'une autre au détriment du consommateur.

Celui-ci n'est pas toutefois sans protection.

La loi protège le consommateur contre un produit non conforme : si un acheteur se retrouve avec un CD illisible, il bénéficie de l'action en conformité de l'article L.211-4 du Code de la consommation, qui n'est qu'une transcription… de la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 1999.

Si vous êtes tenus de respecter les DRM des oeuvres que vous achetez (et que vous n'êtes jamais obligés d'acheter une oeuvre protégée par des DRM), les ayant-droits sont tenus de vous fournir une copie lisible de cette oeuvre, ou de vous rembourser si cela s'avérait impossible.

Ajout de dernière minute : Tristan Nitot soulève dans son billet d'hier une autre objection : l'article 8 de la loi autorisant à limiter le nombre de copies sans fixer de minimum permettrait à l'éditeur de fixer ce nombre à zéro (futur article L.331-6 du CPI).

Dans ce sens, il cite Bernard Lang qui invoque l'amendement n°30 qui veut faire préciser dans l'article L.331-6 du CPI que ce nombre doit être au moins égal à un.

Je ne partage pas cette opinion. L'article L.331-6 ne fait pas obstacle au droit de copie privée de l'article L.122-5 du même code. L'auteur ne peut s'opposer à la réalisation d'une copie privée (art. L.122-5) mais peut limiter ce nombre de copies (Art. L.331-6). Sauf à donner à la loi un sens absurde, l'interprétation necessaire est qu'au moins une copie doit pouvoir être réalisée. Notons que la loi est muette sur la limitation du nombre de copies de cette copie. Graver un fichier iTunes au format CD audio inscrit-elle des DRM sur le CD ? Il ne me semble pas.

jeudi 22 décembre 2005

Le DADVSI code (2) : le P2P de Sion

Je continue mon festival de jeux de mots pour commenter brièvement la pantalonnade cette nuit, pantalonnade pour le gouvernement mais une vraie victoire pour l'opposition.

A cours de la séance de nuit, deux amendements qui n'en font qu'un, puisqu'ils sont identiques, ont été soumis au vote. Déposés par un parlementaire UMP (Alain Suguenot) sous le numéro 153 et des parlementaires de l'opposition (Messieurs Mathus, Bloche, Christian Paul, Caresche, Migaud, Dumont, Balligand) sous le numéro 154, il visait à ajouter à l'article L.122-5 du Code de la propriété intelelctuelle qui prévoit le droit de copie privée un alinéa ainsi rédigé :

De même, l'auteur ne peut interdire les reproductions effectuées sur tout support à partir d'un service de communication en ligne par une personne physique pour son usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à l'exception des copies d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde, à condition que ces reproductions fassent l'objet d'une rémunération telle que prévue à l'article L. 311-4.

L'article L.311-4 est erroné, c'est l'article L.311-1 qui prévoit la rémunération pour copie privée, l'article L.311-4 ne précise que des modalités d'application, mais ça, on a l'habitude.

Le député UMP a défendu son amendement en des termes diplomatiques :

M. Alain Suguenot - Je veux rendre un hommage particulier au ministre, car son rôle de conciliateur d'intérêts contradictoires n'est vraiment pas facile à tenir. Quant au législateur, il lui revient de servir l'intérêt général en envisageant tous les enjeux du problème, sans se contenter de transposer à l'identique une directive européenne.

L'objectif central - beaucoup l'ont déjà dit -, c'est de concilier les intérêts des créateurs et ceux des utilisateurs de l'internet, porte ouverte sur la diversité culturelle. Mon amendement 153 - qui fait suite à ma proposition de loi sur le même objet - tend à relever ce défi en créant la licence globale optionnelle, dont Christine Boutin a rappelé l'économie générale. A moyen terme, cet outil doit permettre de trouver une réponse adaptée aux problèmes en suspens, conforme à la jurisprudence et de nature à mettre en sécurité juridique la copie privée, les échanges de fichiers par peer to peer et, plus généralement, les technologies émergentes d'accès à la diversité culturelle. Je ne vois pas au nom de quoi l'on devrait se priver de telles possibilités, même si j'accorde au Gouvernement que sa philosophie de la réponse graduée est éloignée du tout-répressif.

Les outils de gestion des droits numériques doivent permettre de rémunérer de manière plus équitable les auteurs en identifiant les internautes et en les incitant à acquitter une redevance forfaitaire, sans attenter à la facilité d'accès à l'offre culturelle. Même si de bonnes nouvelles sont tombées hier pour ce qui concerne le cinéma...

M. Christian Paul - C'est Noël !

M. Alain Suguenot - Beaucoup reste à faire, notamment pour conforter l'exception pour copie privée. Mon amendement va dans ce sens, fixe le régime des copies par téléchargement sur internet et respecte la directive européenne comme la règle dite des trois étapes, qu'un prochain amendement viendra préciser.

Le député PS en charge de la question, Didier Mathus, va défendre le sien dans ces termes :

M. Didier Mathus - Je défendrai notre amendement 154 dans des termes voisins de ceux d'Alain Suguenot et nous sommes en effet au cœur de la question posée, à laquelle le présent texte tente de répondre. Il est tout à fait essentiel de prendre en compte la jurisprudence récente, en particulier l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier de mars dernier entérinant le fait que les téléchargements de fichiers par des réseaux peer to peer relèvent de l'exception pour copie privée posée dans la directive européenne.

J'observe qu'au milieu des années 1990, le Gouvernement de l'époque - soutenu par la famille politique dont se réclame aujourd'hui l'UMP - avait su trouver une réponse adaptée pour faire face au développement massif de la photocopie. Nous sommes aujourd'hui dans une situation assez analogue : confrontés à l'apparition d'une technique nouvelle à croissance rapide, il nous faut franchir le gué en adaptant l'arsenal juridique à la nouvelle donne. Notre amendement 154 propose une esquisse pour tenter de mettre en sécurité juridique les nouvelles formes de circulation de l'intelligence globale. Les techniques nouvelles commandent de nouvelles règles : après tout, on n'applique pas le code de la route aux aéronefs ! En faisant entrer les échanges de fichiers de pair à pair dans le champ de l'exception pour copie privée, nous franchirons une étape décisive.

Là où l'opposition va avoir une idée lumineuse, c'est qu'elle va demander un scrutin public sur cette question. C'est à dire que, d'ordinaire, pour gagner du temps, les votes ont lieu à main levée, le président constatant que les bancs de la majorité lèvent la main pour le oui, ceux de l'opposition pour le non, et on passe à la question suivante. Mais tout président de groupe peut demander à ce qu'une question soit décidée par scrutin public (article 65 du règlement de l'assemblée nationale). La différence est pyschologique : le vote a lieu par voie électronique, et les noms des députés ayant voté oui ou non est publiée au JO.

Le rapporteur, Christian Vanneste, va donner un avis défavorable au nom de la commission des lois sur cet amendement, le qualifiant d'irresponsable, soutenu en cela par Jean Dionis du Séjour. Renaud Donnedieu de Vabres va émettre un avis défavorable au nom du gouvernement. AVis défavorable du gouvernement et de la commission, génralement, c'est un arrêt de mort pour un amendement.

Mais la fronde se manifeste dans les travées, et qui va être la passionaria du P2P ? Nulle autre que Madame Christine Boutin, qui va s'attirer par son intervention les applaudissements… des socialistes et des communistes :

>Mme Christine Boutin - J'ai cosigné l'amendement d'Alain Suguenot et vous n'en serez pas surpris ! Je voudrais répondre plus particulièrement à M. le Rapporteur. D'abord, vous avez invoqué la nécessité de se conformer à la directive européenne : cher Monsieur, je vous resservirai l'argument lors d'un prochain débat, en lien avec les travaux de la mission sur la famille ! La France ne se conforme pas toujours strictement aux directives, et, selon que cela arrange ou non, on manie l'argument dans un sens ou dans l'autre. L'argument ne vaut donc pas.

En outre, la directive date de 2001 : depuis son élaboration, figurez-vous que la technique a bien avancé !

Ensuite, je ne vous traiterai pas d'irresponsable, et je n'accepterai pas d'être ainsi qualifié. La licence globale optionnelle prévoit le financement par autorisation des ayants droit. Arrêtons donc cette discussion ! Et en ce qui concerne le cinéma, que vous nous avez envoyé à la figure, vous devez savoir qu'il a été retiré de nos amendements suivants. S'il n'y a que cela qui vous empêche de voter le présent amendement, je veux bien le rectifier tout de suite !

Enfin, nous n'allons pas nous lancer dans une course à l'échalote pour savoir qui est le plus réactionnaire ! Franchement ! Nous discutons de libertés fondamentales, et la seule chose qui vous intéresse est de savoir qui est de gauche et qui est de droite ? Si vous voulez un début de réponse, je vous signale que les jeunes, c'est-à-dire la France de demain, soutiennent cette proposition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Les représentants des groupes politiques de la majorité (UMP et UDF) vont s'exprimer contre cet amendement, mais à titre individuel, des députés de la majorité vont prendre position pour cet amendement, notamment Monsieur Le Fur :

M. Marc Le Fur - J'ai aujourd'hui des enfants de quatorze et seize ans dont internet constitue la culture et l'espace de liberté (Interruptions sur certains bancs du groupe UMP). C'est ainsi, mes chers collègues ! Sans doute téléchargent-ils des fichiers, et je suis incapable de les contrôler, ne maîtrisant pas comme eux ces techniques (Exclamations sur certains bancs du groupe UMP). Dans la situation actuelle, ils pourraient être considérés comme des délinquants (Mêmes mouvements). Seule la licence globale permet d'éviter ce risque en leur permettant, pour quelques euros par mois, de retrouver la liberté de télécharger sans porter atteinte au droit d'auteur puisque les sommes prélevées seront mutualisées et redistribuées aux auteurs, à l'instar de ce que pratique la SACEM.

Au moment d'encadrer les libertés du XXIe siècle, inspirons-nous de Tocqueville pour qui la société civile devait toujours prévaloir. Dans la société civile d'aujourd'hui, notamment pour les jeunes, internet est un espace de liberté. Ne le restreignons pas à l'excès.

M. André Chassaigne - Très bien !

Bon, je ne suis pas sûr et certain que Tocqueville aurait donné sa bénédiction au Peer to Peer mais pour une fois qu'un auteur libéral est approuvé par des députés communistes, ne boudons pas notre plaisir.

L'amendement, mis aux voix, est adopté par 30 voix contre 28, sur 59 votants et 58 suffrages exprimés.

Alors, la cause est entendue, téléchargeons guillerets ?

Rien n'est moins sûr, comme le rappelle Paxatagore, qui n'aime rien plus que jouer les trouble-fêtes. La Constitution et le règlement de l'assemblée prévoient des gardes-fous contre les députés récalcitrants. Le gouvernement a ainsi la possibilité de demander une seconde délibération (article 101 du règlement). Ensuite, le texte doit passer devant les sénateurs qui doivent l'adopter dans les mêmes termes, faute de quoi le texte sera renvoyé devant une commission mixte paritaire.

Enfin et surtout, Paxatagore a mille fois raison, l'adoption d'un amendement n'équivaut pas à sa promulgation immédiate.

L'opposition a marqué un point politique, en torpillant l'économie du projet de loi DADVSI, et en s'assurant ainsi que le projet ne sera pas adopté tambour battant. Elle a infligé un camouflet au ministre et à la commission des lois.

Il demeure que cet amendement est en sursis et ne devrait pas survivre à la procédure législative.

Au moins, cet incident balayera je l'espère un leitmotiv beaucoup relayé sur la toile sur le caractère prétendument peu démocratique de cette discussion, qui n'a jamais été fondé.

Le compte rendu de la séance peut être lu intégralement ici (faites une recherche sur le mot "Suguenot" et vous aurez le début des débats sur ces amendements).

mardi 13 décembre 2005

La relaxe de faucheurs volontaires

Une dépêche d'Associated Press m'apprend que le tribunal correctionnel d'Orléans a relaxé vendredi 49 « faucheurs volontaires » ayant détruit un champ d'OGM en invoquant à leur profit l'état de nécessité.

Les prévenus étaient poursuivis pour dégradations volontaires en réunion, délit très à la mode ce mois de novembre, commises sur un champ de plantes transgéniques.

La relaxe a de quoi surprendre : le tribunal reconnaît que les prévenus sont bien les auteurs des destructions mais estime que leur commission était justifiée.

Le motif du jugement serait, d'après Le Monde, que « Les prévenus rapportent la preuve qu'ils ont commis l'infraction de dégradation volontaire pour répondre à l'état de nécessité » (…). Cet état de nécessité résulterait de « la diffusion incontrôlée de gènes modifiés qui constitue un danger actuel et imminent, en ce sens qu'il peut être la source d'une contamination affectant des cultures traditionnelles ou biologiques » qui en déduit que « La commission d'une infraction pénale pour remédier à la situation de danger était en l'espèce fondée au regard des enjeux en cause » rappelant par ailleurs le droit « à valeur constitutionnelle de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé pour les citoyens, ainsi qu'il a été reconnu dans la charte de l'environnement de 2004 ».

Tant le parquet que la partie civile, la société Monsanto ont fait appel.

Qu'est ce que l'état de nécessité et que devrait dire la cour d'appel ?

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lundi 12 décembre 2005

Faut-il être outré par Outreau ?

Un peu tard, j'aborde à mon tour ce qu'il est désormais convenu d'appeler l'affaire d'Outreau.

Paxatagore l'aborde longuement sur sept billets et n'a pas encore achevé, et propose une petite revue de blogs ; l'avocat général Philippe Bilger n'a pas manqué de traiter également de la question, concluant d'un optimiste et volontaire «"Outreau,plus jamais ça", c'est un engagement facile à tenir. Cela dépend seulement de nous. ».

Les réactions politiques n'ont pas manqué, ce qui peut paraître curieux puisque d'habitude, la réponse invariable est : « Il nous est interdit de commenter une décision de justice ». Peut-être faut-il préciser «...quand elle nous dérange » ?

Patrick Devedjian est déchaîné , parlant « d'erreur judiciaire », vilipendant les juges et leur « religion de l'aveu », et invoquant le spectre de l'affaire Patrick Dils, Grégory Villemin et du notaire de Bruay en Artois. Je cite sa réaction non pour sa qualité (elle en est dépourvue) mais parce qu'elle représente l'archétype des réactions entendues abondamment, c'est à dire : l'erreur d'analyse non dépourvue d'arrières-pensées.

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lundi 28 novembre 2005

Où l'on reparle des banlieues

Je reviens sur ce thème qui reste d'actualité, pour faire un petit point vu du prétoire. Les hommes politiques de la majorité ou de l'opposition ont déjà tous trouvé l'origine du mal (ce serait donc les discriminations et les parents démissionnaires) et vont le résoudre en deux lois et trois décrets, comme ils ont résolu le problème du... de... heu... Zut, j'ai un trou.

Je suis assez pessimiste, et il y a lieu de l'être, tant face à cette explosion de violence difficilement contenue, les réponses restent caricaturales, entre répression accrue et expulsion d'un côté, et commisération intéressée de l'autre.

Je n'aurai pas la prétention de poser le bon diagnostic. Je vous propose simplement les réflexions d'un poilu du droit dans sa tranchée, de ce qu'on voit au front, à travers les quelques cas que j'ai vu juger ou ceux que j'ai défendus sur plusieurs années, étant clairement entendu que cet échantillon est trop réduit pour permettre la certitude scientifique.Tout point de vue différent sera le fort bienvenu.

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vendredi 25 novembre 2005

Adoption du projet de loi anti-terroriste

L'Assemblée va donc adopter dans une quasi unanimité républicaine le projet de loi « relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers », seuls les Verts allant voter contre.

A l'heure où le parlement adopte en deux temps trois mouvements une loi maintenant un état d'urgence pendant trois mois, et ce trois jours après que les émeutes le motivant ont pris fin, des nouvelles règles d'exception et aggravations de la répression vont être rapidement adoptées.

Je respecte la représentation nationale, et pense que la lutte contre le terrorisme est effectivement un enjeu majeur. Mais malgré tout, je ressens une profonde amertume, et sur un point précis, une profonde colère.

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jeudi 24 novembre 2005

L'interrogatoire, vu de l'avocat

Paxatagore m'invite à rebondir sur ses (très intéressantes) réflexions sur comment peut naître une erreur judiciaire, en réaction au procès en appel de l'affaire dite d'Outreau. Billets dont je vous recommande chaudement la lecture, en commençant par le début, en continuant par le milieu, avant d'aboutir à la suite, mais pas encore fin.

Dans le deuxième billet, il dit

Dans certains cas, il naît entre l'interrogateur et l'interrogé une relation tout à fait particulière. L'interrogatoire est un art vraiment particulier. Je n'ai moi même jamais été "interrogé", il m'est difficile de rendre compte du sentiment que l'on ressent (peut-être Maître Eolas pourrait nous indiquer ce que ressent l'avocat de celui qui est interrogé).

Ci-fait.

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samedi 19 novembre 2005

Un nouveau blog par un acteur judiciaire

(Via Koztoujours) : Philippe Bilger, avocat général à Paris, vient d'ouvrir son blog. Je le découvre à l'instant et ne puis encore émettre d'opinion, mais la nouvelle me réjouit et je me permets de le recommander d'ores et déjà, certain que le contenu sera de qualité.

Permettez moi de vous présenter brièvement le personnage. Philippe Bilger est avocat général, je sais je l'ai déjà dit. Mais la dénomination est trompeuse pour ceux peu au fait du vocabulaire judiciaire. Bien que portant le titre d'avocat, je ne l'appellerai jamais cher confrère : un avocat général est, pour simplifier, le titre donné aux procureurs de la cour d'appel.

Version un peu plus détaillée : le parquet, qui déclenche les poursuites et soutient l'accusation, est une structure hiérarchisée. Chaque tribunal de grande instance a son parquet, dirigée par le procureur de la République, assisté de substituts. Dans les gros tribunaux, on distingue les premiers substituts, à l'ancienneté plus grande et aux responsabilités plus importantes. Il en va de même devant les cours d'appel, sauf que le chef du parquet est le procureur général est est assisté de substituts généraux et d'avocats généraux. Les substituts généraux ont des taches plus administratives (comprendre : on les voit pas ou peu aux audiences, mais leurs tâches restent bien judiciaires) tandis que les avocats généraux sont en charge d'assurer les audiences. Avocat général rappelle qu'ils sont les avocats de la société en général, par opposition à nous autres qui sommes les avocats des individus que la collectivité a décidé de poursuivre.

Il a commencé sa carrière comme juge d'instruction, si ma mémoire est bonne, et a milité au syndicat de la magistrature lors de la création de ce dernier, quand bien même ses idées politiques sont fort loin de celles qui animaient et animent encore ce mouvement : mais l'idée de secouer l'institution lui plaisait. Il a été au parquet de Bobigny au moment de la mise en place du "traitement en temps réel" des procédures et est favorable au principe, ce qui me fait soupçonner l'intéressé d'appliquer les idées de Beccaria.

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jeudi 17 novembre 2005

Des fois on se demande à quoi on sert

Un jour de permanence à la 23e chambre (qui juges les comparutions immédiates), je mets à profit quelques instants de battement pour discuter avec un autre avocat de permanence nos dossiers respectifs, histoire d'échanger des idées.

Il m'explique qu'un des ses clients du jour est poursuivi pour des faits de violences avec arme de 6e catégorie (armes blanches), en l'occurence une barre de fer de 30 cm. Le dossiers est mauvais : le mobile de l'agression sent le racisme à plein nez, le prévenu était ivre mort et en garde à vue a raconté une version délirante selon laquelle il défendait en réalité un ami (dont il ne connaît ni le nom de famille ni le numéro de téléphone, numéro qui ne figure pas dans le répertoire de son téléphone mobile), et qu'il n'a sorti sa barre de fer que lorsque trois copains de sa victime qui passaient par là par hasard sont venus lui prêter main forte. Or la victime est un provincial qui était venu avec sa fiancée passer le week end en amoureux à Paris. Quant à la barre de fer, il explique que c'est la première fois qu'il est sorti avec, parce qu'il a lui même été agressé il y a peu. Ajoutons qu'il a été interpellé immédiatement par une patrouille de police qui passait derrière lui à ce moment là, patrouille qui dément totalement l'agression préalable. Bref, un roi du baratin, qui nie l'évidence et fait le procès de la victime. Tout ce qui met un juge de bonne humeur.

Les points positifs du dossier sont l'absence de casier du condamné, son profil d'étudiant bien inséré et le fait que les blessures sont très légères (deux jours d'incapacité totale de travail, s'il n'y avait pas la barre de fer, il ne serait pas en correctionnelle).

Il m'indique qu'il a montré à son client les invraisemblances du récit, et lui a conseillé de dire la vérité, qui est facile à deviner : l'agressivité exacerbée par l'alcool, le mensonge inventé sous le coup de l'angoisse de la garde à vue. Qu'il présente ses excuses et s'engage à indemniser la victime, qui présente une demande très raisonnable, et ça devrait bien se passer.

En effet, assumer sa responsabilité quand on est en faute n'est pas un réflexe naturel, mais c'est ce qu'attend le tribunal et pour peu qu'il y ait des accents de sincérité dans cette attitude, la décision s'en ressent. Je conviens pour ma part que c'est en effet ce qu'il y a de mieux à faire.

Quelques heures après, ce jeune homme est introduit dans le box. La présidente constate son identité, rappelle la prévention et constate son consentement à être jugé aujourd'hui. Puis elle rappelle brièvement les faits, qui sont simples, et se tourne vers lui en disant : « Alors, aujourd'hui, qu'est ce que vous avez à dire sur ce qui s'est passé ? ».

Et aussitôt, le prévenu se lance dans son histoire de légitime défense de son ami-dont-il-ne-connaît-que-le-prénom, des amis qui passaient par là, sans changer un iota. Du coin de l'oeil, j'observe mon confrère, qui regarde ses notes sans broncher. D'un air détaché, il prend son stylo et semble prendre des notes. En fait, il écrit rageusement « Putain mais quel c... ! »

Seul hommage au travail en amont de son défenseur, il conclut son récit épique en précisant qu'il regrette profondément ce qui s'est passé et présente ses excuses à la victime.

Le procureur est à la fête. Un provincial vient à Paris avec sa fiancée pour agresser des gens dans la rue, c'est certain. Le monde est petit puisqu'à ce moment viennent à passer non pas un, non pas deux, mais trois de ses amis, venus eux aussi, quel hasard, agresser des passants à Paris. Et vaillament, il prend la défense de quelqu'un que visiblement il connaît à peine puisqu'il ne peut que donner son prénom, et encore, c'est peut être bien un surnom. Et cette barre de fer, quelle prévoyance louable. Mais voyons, s'il a défendu son ami, il n'a pas à exprimer de regrets ni d'excuses à présenter ! Au contraire, il devrait exiger les acclamations du tribunal ! Il demande pour le repos du guerrier un séjour, aux frais de la République reconnaissante, de huit mois ferme avec maintien en détention.

Son avocat ne peut que se dissocier de cette version des faits, invoquer la peur du tribunal qui paralyse la raison, insister sur le caractère léger des blessures, sur l'absence totale d'antécédents judiciaires.

Et contenir sa rage contre son client sous un masque d'impassibilité quand le tribunal colle six mois fermes à celui-ci, sans maintien en détention toutefois.

Si vous saviez combien de fois cela m'est arrivé à moi aussi. Et combien de fois cela m'arrivera encore ?

Prévenus, n'écoutez jamais votre avocat. Vous êtes plus malin que lui et plus malin que tout le monde. Baratinez les juges, ce sont des sots crédules qui ne connaissent rien à la vie. Et tout se passera bien.

jeudi 27 octobre 2005

Affaire Dieudonné - Fogiel : le jugement

Merci à Cédric de m'avoir signalé la publication in extenso du jugement du tribunal correctionnel de Montpellier dans l'affaire opposant l'humoriste Dieudonné à, entre autres, l'animateur Marc-Olivier Fogiel sur le site Juritel.

Voici les motifs par lesquels le tribunal a décidé que les propos constituaient bien une injure raciale (je grasse) :

Le 1er décembre 2003, Monsieur M. a été invité à l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde », animée par Monsieur Marc-Olivier F. et produite par la Société PAF PRODUCTION, dont ce dernier est le représentant légal, diffusée en direct sur la chaîne de télévision France 3.

Le principe de cette émission consiste en une série d’interviews de personnalités ayant trait à l’actualité, qui sont accompagnés de réactions des téléspectateurs exprimées par voies de messages SMS, diffusés en bandeau sur l’écran.

Au cours de cette émission intitulée « Spéciale Comiques », Monsieur Dieudonné M. a effectué un sketch dans lequel il a caricaturé un juif fondamentaliste extrémiste.

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mardi 13 septembre 2005

Du rififi à la cour d'assises de Créteil

La cour d'assises de Créteil a tenté, en vain, de juger Jean-Claude Bonnal, dit le Chinois, cette semaine. La presse a rapporté sans toujours le comprendre l'incident déclenché par les avocats de la défense. Beaucoup de journalistes, soit qu'il soient sensibles à la frustration des parties civiles, soit qu'ils soient eux même déçus de ne pas avoir à couvrir ce procès, ont eu des commentaires peu amènes pour mes confrères du banc de la défense.

Une fois n'est pas coutume, c'est dans Libération (édition du 13 septembre 2005) que j'ai trouvé l'article qui a sans doute le mieux analysé l'incident (bravo à Marc Pivois). Sans avoir parcouru tous les organes de presse, je donne le Lol d'or, le prix du commentaire le plus creux, au chroniqueur judiciaire de France Info qui s'est contenté de résumer l'incident par "le procès n'a pas dépassé le stade de l'incident de procédure".

Ce qui s'est passé est intéressant à analyser. Il s'agit d'un bras de fer entre la présidente de la cour et la défense, et c'est, pour une fois, cette dernière qui a gagné, grâce au code de procédure pénale. Et les avocats de la défense ont bien fait leur travail, quelque sympathie qu'on puisse légitimement avoir pour les familles des victimes de ces terribles faits. Mais le bras de fer avec l'institution judiciaire continue comme le montre les derniers développements de cette affaire, où le parquet vole au secours du siège selon le principe de "à code de procédure pénal, code de procédure pénale et demi".

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vendredi 9 septembre 2005

Une avocate condamnée pour violation du secret professionnel

Paxatagore fait état sur son blog de la décision rendue hier par le tribunal correctionnel de Compiègne qui condamne une avocate du Barreau de Laon pour violation du secret professionnel. Il s'attend à une réaction de ma part et je me garderai de le décevoir, sous peine de finir moi même un jour en correctionnelle sous un prétexte fallacieux.

Bon, soyons sérieux quelques minutes : voici les faits tels qu'ils sont déduits d'un article de Libération (mes lecteurs habituels comprendront mes réserves) et du Nouvel Observateur.

Cette avocate aurait été désignée dans une procédure criminelle (une affaire de viol) pour assister le mis en examen.

En effet, toutes les affaires criminelles, et certaines affaires délictuelles graves ou complexes sont précédées d'une phase d'investigation, qu'on appelle instruction ou information, confiée à un juge, le juge d'instruction. C'est obligatoire en matière criminelle.

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lundi 8 août 2005

Tu pipoterais pas un peu, toi ?

Lorsque nous sommes de permanence pour l'audience de comparution immédiate (à Paris, la 23e chambre, plus la 24e pour ceux qui demandent un délai pour préparer leur défense, et parfois une chambre mobilisée en renfort, qui tient une audience "de délestage"), nous découvrons les dossiers deux heures environ avant qu'ils soient jugés.

Les dossiers sont assez simples, condition sine qua non pour être utilement jugés en comparution immédiate. On le lit très vite, mais avec un oeil aiguisé : d'abord, on vérifie la procédure. Qu'est ce qui est à l'origine de l'arrestation ? Les policiers avaient-ils un motif légitime d'interpeler le prévenu ? Sa garde à vue lui a-t-elle été notifiée avec les droits afférents, dans les délais ? A-t-il eu un interprète s'il en avait besoin ? Les délais sont-ils respectés (24 heures, renouvelables une fois, plus 20 heures une fois déféré pour être vu par un juge) ? Une fois qu'un "oui" s'impose tristement à chacune de ces questions, ce qui est fréquemment le cas convenons en, on jette un coup d'oeil au casier judiciaire, qui nous indique si on se dirige vers du ferme ou pas, et on lit les procès verbaux relatant les faits : plainte de la victime ou constations des agents en patrouille, audition du prévenu, parfois un témoin.

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