Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 12 juin 2008

L'Europe a-t-elle imposé la semaine de 65 heures ?

C'est ce que ne craint pas d'affirmer l'Humanité à la Une. Une de l'Humanité du 10 juin 2008 : L'Europe vote la semaine de 65 heures ! Sous mon billet allusif au référendum irlandais qui se tient aujourd'hui (fingers crossed), quelques nonistes ont repris l'antienne de l'Europe fossoyeuse des droits sociaux, quitte à m'interpeller en Espagnol :

[¿] creo que ent[i]ende el castellano, que piensa usted de este art[í]culo? no [h]e encontrado ning[ú]n articulo en Le Monde [ó] Le Figaro.[1] On ne doit pas faire peur à populace?

El Gobierno califica la jornada de 65 horas de "agresión"

L'argument du «on nous cache tout on nous dit rien» a fait long feu, car Le Monde avait publié un article à ce sujet dans la langue de Molière 10 heures avant el grito escandalisado de mi nonisto. Pas grave. Quand on a raison, il ne faut pas se laisser décourager par les faits :

Il n'était placé ni en première page, ni en page Europe. Quant au second auquel il se réfère, daté de hier matin, il n'était pas visible en page Europe hier soir. Remarquez qu'aucun des articles n'est encore placé, (il est 13h41) en première page.

Puisqu'on vous dit que c'est un complot et qu'on vous cache tout, ne laissez pas une vulgaire publication dans un quotidien comme Le Monde vous faire changer d'avis : le peuple ne lit que la première page et le Sudoku, c'est pour ça que les nonistes pensent à sa place.

Et pendant cette démonstration du complot des élites médiatiques, la nouvelle principale, la semaine de 65 heures n'est pas discutée. Parlons plutôt de la minute de publication de l'article et du numéro de la page dans Le Monde, c'est bien plus intéressant. Vive les écrans de fumée.

Bon, arrêtons-là le noniste-bashing, si je m'écoutais, je ne ferais que ça du matin au soir tellement c'est drôle.

Alors, ce crime contre la démocratie et les 35 heures, cet assassinat de l'Europe sociale, cette victoire du dumping social, ça donne quoi en fait ?

Comme d'habitude en ce qui concerne le processus législatif européen, tous les documents sont disponibles, gratuitement. Encore faut-il aller les voir.

L'article 137 du traité instituant la Communauté Européenne prévoit que la Communauté soutient et complète l'action des États membres en vue d'améliorer le milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs. Parmi les objectifs de l'Union se trouvent la croissance et l'emploi. Oui, je sais, quelle horreur. Un plan quinquennal, appelé “agenda social” fixe régulièrement les axes de la politique sociale de l'Union. Le dernier agenda, adopté en 2006, a posé deux axes prioritaires : le plein-emploi et l'égalité des chances. Oui, c'est affreux.

Afin de favoriser la réalisation de ces objectifs tout en évitant une distorsion de la concurrence par du dumping social, l'UE fixe par voie de directive des normes minimales à respecter. Minimales, on ne parle pas d'harmonisation.

La dernière directive en date est la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail. Ce qui signifie que le projet a été adoptée en 2003, que c'est la 88e directive de cette année, qu'elle a été prise en application du Traité instituant la Communauté Européenne (nom actuel du Traité de Rome de 1957), et qu'elle a été adoptée selon la procédure de codécision, c'est à dire votée par les deux organes législatifs de l'Europe, le Conseil qui réunit les ministres compétents des 27 États membres (15 à l'époque) et le Parlement Européen.

Cette directive fixe un maximum du temps de travail hebdomadaire, heures supplémentaires comprises, à 48 heures ; plus exactement, elle reprend cette limite qui résultait d'une précédente directive de 1993 (93/104/CE). Elle a également instauré (art.3) un temps de repos minimum de onze heures entre deux périodes de travail que notre droit si progressiste ne connaissait pas (j'ai une copine qui travaillait à la Poste qui a dit merci à cette directive qui a mis fin à des journées qui finissait à minuit et reprenaient à 8 heures lors des changements de service de jour et de nuit). En tout état de cause, la directive précisait bien (art. 24) que :

Sans préjudice du droit des États membres de développer, eu égard à l'évolution de la situation, des dispositions législatives, réglementaires et contractuelles différentes dans le domaine du temps de travail, pour autant que les exigences minimales prévues dans la présente directive soient respectées, la mise en oeuvre de la présente directive ne constitue pas une justification valable pour la régression du niveau général de protection des travailleurs.

Bref : vous restez libre de vous organiser comme vous voulez, mais primo, vous respectez les normes minimales de cette directive, et deuzio, si votre législation actuelle est plus favorable pour les travailleurs, vous ne pouvez pas invoquer cette directive pour détériorer leur situation. Le dumping social de l'UE dans toute son horreur, le voilà.

Toutefois, l'Angleterre avait obtenu une clause d'opt-out (art. 22 de la directive) exemptant de cette durée hebdomadaire maximale en cas d'accord du salarié, le royaume de Sa Très Gracieuse Majesté ignorant cette barbarie continentale qu'est la durée maximale du travail.

L'UE est en train d'adopter la future directive qui remplacera celle de 2003. Cette procédure porte le nom de COD/2004/0209 : C'est une procédure de CODécision (vote du Conseil ET du parlement), lancée en 2004, c'est la 209e de l'année. La fiche Pre-Lex n'est pas à jour du Conseil du 10 juin au moment où j'écris ces lignes.

Le projet de directive a été adopté en première lecture par le parlement en mai 2005. Le Parlement a voté la suppression de la clause d'Opt-out.

Cependant, le Royaume-Uni a réussi à rallier à sa position des pays de l'Est, et le Conseil a rétabli sa clause d'Opt-out. Néanmoins, les pays opposés à cette clause d'exemption (parmi lesquels la France, l'Espagne, la Suède) ont obtenu que même en cas d'accord de dépassement des 48 heures posés par la directive, un maximum de 65 heures soit respecté, si le salarié donne son accord, et à condition que la loi garantisse que le salarié ne subira pas de préjudice sur sa carrière s'il ne donne pas son accord, qu'un registre soit tenu de ces périodes de travail et puisse être communiquées aux autorités à leur demande, et que la période de onze heures entre deux périodes de travail soit respectée. Le projet va repartir au Parlement européen (session de décembre 2008), ce qui promet des débats animés.

En outre, cette directive vise à tenir compte de deux arrêts de la CJCE : les arrêts SIMAP (2000) et Jaeger (2003), qui qualifiaient le temps de garde des médecins interne de temps de travail.

Le projet de directive prévoit donc de distinguer selon que la période de travail est continue ou comporte des périodes d'inactivité, ces dernières pouvant ne pas être décomptées du temps de travail maximal (mais sont néanmoins rémunérées).

Bref, on n'en est qu'au stade de l'adoption. L'Europe n'a rien voté, c'est un des deux organes législatifs qui a adopté un texte qui n'est pas définitif. J'ajoute que la mention des 65 heures comme maximum figure déjà dans le document initial qui date du 22 septembre 2004, le pseudo-scoop de l'Huma est un peu faisandé.

Enfin, la question que tout le monde se pose ici : les 65 heures en France , c'est pour quand ?

C'est pour jamais.

Il s'agit ici d'un maximum que la directive interdit de dépasser. Mais elle n'interdira pas aux États membres d'adopter des dispositions plus favorables, et elle ne touche pas à l'actuel article 24 de la directive qui interdit aux États d'invoquer cette directive pour aggraver la situation des travailleurs. Et d'ailleurs, quelle est la position du gouvernement français ?

«La France n’a pas l’intention d’abandonner la moindre de ses garanties sociales», a dit Xavier Bertrand, indique Libération, organe pro-sarkoziste s'il en est. Bref, si vous voulez travailler 65 heures, il vous faudra aller en Angleterre ou en Estonie.

— Oui, dira un noniste (une fois n'est pas coutume), mais il est là le dumping social européen : les ouvriers lituaniens… non, pas les lituaniens, on n'en a rien à foutre de ceux-là[2], même si j'en connais un, moi, de lituanien ; si les ouvriers estoniens et granbretons travaillent 65 heures, comment nos braves ouvriers aux 35 heures pourront-ils faire face ? C'est la fin de nos usines, elles vont toutes partir pour Riga ou York !

Alors que précisément, l'UE impose des limites : durée maximale, et surtout accord du salarié sans conséquence en cas de refus. Sans l'UE, vous croyez qu'on pourrait obtenir de telles garanties contre le dumping social ? Comparez avec le droit social chinois, pour voir. Pourtant, c'est un gouvernement de gauche qui est au pouvoir, là-bas…

Bref : un énième mensonge noniste, ou la énième preuve qu'ils ne comprennent rien à ce qu'ils jugent et condamnent, je ne sais pas lequel est le pire (au moins, un menteur peut s'arrêter de mentir, de temps en temps). L'Europe veut nous soumettre pieds et poings liés à l'ultralibéralisme ? Non, c'est tout le contraire. Mais que vaut un argument face à un cliché ?

Mais voyez : leur message a pris quelques minutes à être proféré. Entre convaincus, pas besoin de démonstration. Il m'a fallu près de deux heures pour rédiger ce billet et faire les recherches pour vous mettre les liens vers les documents pertinents. Vous voyez pourquoi c'est un combat perdu d'avance ? Parce que mes adversaires ne s'adressent pas à la raison, mais à la peur, à l'inquiétude, donnent quelques liens vers un article en langue étrangère et hop le tour est joué.

Mais ce n'est pas grave, je ne baisserai pas les bras, tout simplement parce que ce combat, je m'en fiche. Ce n'est pas à mes adversaires que je m'adresse. Ces billets s'adressent à mes lecteurs de bonne foi qui veulent comprendre l'Europe et ne gobent pas les couleuvres nonistes. Comptez sur moi pour vous mettre au régime sec.

Et maintenant, place aux complaintes des Caliméro du Non qui vont se plaindre de mon ton à leur égard et se garderont bien d'expliquer en quoi si si si, cette directive va bien imposer les 65 heures demain en France. Spanking time !

Notes

[1] Je crois que vous comprenez l'espagnol ?Que pensez vous de cet article ? Je n'ai pas trouvé un article dans Le Monde ou Le Figaro. Titre de l'article : Le Gouvernement qualifie la semaine de 65 heures «d'agression».

[2] Quelqu'un sait-il où on peut trouver une vidéo de ce grand moment de socialisme internationaliste ? Je n'ai pas réussi à la dénicher.

mercredi 4 juin 2008

SAV de l'instruction

Billet sans hymen juridiquement modifié dedans

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jeudi 29 mai 2008

Festival de prétoire ou l'art de plaider

Par Gascogne


Puisque l'on m'y invite, que la période s'y prête, et qu'une attaque en piqué sur les présidents d'audience ne pouvait rester sans réponse, quand bien même j'en partage l'essentiel au fond, voici la remise des prix, après délibération intensive du jury, concernant les plus belles plaidoiries ou effets de manche entendus ici ou là :

- L'épitoge de la mise en scène est décernée à : l'ensemble des avocats dont l'intervention en garde à vue permet un changement complet de comportement du mis en cause. Celui qui ne connaissait même pas la plaignante d'un viol, se souvient miraculeusement qu'il a bien eu une relation sexuelle avec elle, mais qu'elle était consentante. Celui qui commençait à reconnaître les faits, crie à la pression et au complot des plaignants. A l'inverse, celui qui était enferré dans ses contradictions se met à reconnaître les faits.

- L'épitoge du meilleur scénario à ces avocats qui déforment les déclarations faites en interrogatoire par leurs clients, par le biais de questions, afin de tenter de faire coller celles-ci avec leur ligne de défense : "vous avez indiqué tout à l'heure à monsieur le juge que vous connaissiez bien la victime, mais ne vouliez-vous pas plutôt dire que vous ne la connaissiez pas ?".

- L'épitoge du meilleur acteur à l'avocate pénaliste qui, changeant de magistrat, change d'attitude, et s'indigne du comportement du juge d'instruction, qui, horresco referens, n'a pas procédé à l'interrogatoire de son client avant le passage devant le juge des libertés et de la détention (cet interrogatoire est interdit, sauf accord du déféré après garde à vue, afin qu'il puisse préparer sa défense), ou encore de tel autre qui à l'audience dénonce la reconnaissance des faits par sa cliente devant le juge d'instruction, alors qu'elle ne reconnaissait pas les faits en garde à vue, cette reconnaissance n'ayant pourtant eu lieu que suite à une demande d'entretien supplémentaire du collaborateur de la récipiendaire, qui, agacé d'avoir fait tant de kilomètres pour un dossier de faible importance, a demandé une suspension en disant au juge qu'il se faisait fort d'obtenir immédiatement des aveux circonstanciés de sa cliente.

- L'épitoge "Un certain regard" pour cet avocat qui s'étonne d'une qualification criminelle dans le cadre d'une tentative de meurtre, puisque "la victime n'est pas morte", ou encore qui plaide le sursis à l'emprisonnement devant le tribunal de police. Attribuée également, par décision spéciale du jury, à cet avocat qui écorche sans arrêt le nom de son client, et qui lui attribue en cours de plaidoirie le nom de la victime.

- L'épitoge spéciale pour l'ensemble de son oeuvre à cet avocat qui ne sait pas plaider sans éructer ni invectiver tantôt les magistrats professionnels, tantôt les jurés, qui ne peuvent visiblement qu'être des "connards" pour avoir condamné son client.

- Enfin, celle que tout le monde attend : l'épitoge d'or...(roulement de tambours et longues secondes de silence) : attribuée à cette avocate d'une grande ville, fort connue, venant plaider devant la cour d'assises d'une petite ville, un dossier où la question de la responsabilité pénale de son client est posée, les psychiatres n'étant pas d'accord entre eux, et qui, après une plaidoirie très fine de son collaborateur sur la personnalité de l'accusé, dit aux jurés qu'elle aurait préféré avoir neuf psychiatres face à elle, mais que ce n'est malheureusement pas le cas, et que ce n'est certainement pas neuf jurés de ce beau département (rural, aurait-elle sans doute voulu ajouter), qui vont contredire par leur décision ce que des professionnels de la psychiatrie ont indiqué dans leur rapport.

Le jury ne pouvait pas terminer son oeuvre sans vous faire part de ces quelques perles et maladresses, non récompensées par un prix, mais qui méritent d'être citées :
- L’avocat de la défense : "Nous sommes ici devant une Cour d’Assises, nous ne sommes pas là pour faire du droit."
- Me D. : "Monsieur le Président, vous savez ce qu'est la dépendance alcoolique."
- Me B. : "Je vous demande de prononcer contre mon client une amende assortie d'une mise à l'épreuve."
- Me A. à propos des déclarations de sa cliente : "Ça paraît tellement énorme comme mensonge que ça pourrait être la vérité".
- Me C. avocat de la défense : "Les faits sont malheureusement reconnus..."
- Me T. partie civile : "Les faits sont établis puisqu'ils ne sont pas reconnus."
- Me O. : "Si par extraordinaire vous n'entriez pas en voie de condamnation..."
-Me E., défendant un homme poursuivi pour avoir attaqué un autre à la machette, trois doigts sectionnés : "Monsieur le président, il va vous falloir trancher…"

Et pour que la magistrature ne soit pas en reste, prix spécial du jury pour ce parquetier :

- Le procureur, à un prévenu s'appelant M. LACROTTE : "Vous savez ce qui vous pend au nez, M. LACROTTE."

mardi 20 mai 2008

Les chênes qu'on abat…

J'emprunte mon titre à Malraux qui ne m'en voudra pas, s'agissant de rendre hommage à un gaulliste historique s'il en est, hommage qui exceptionnellement sera teinté d'un voile de déception. Je pense à Monsieur Pierre Mazeaud, invité ce matin sur France Inter de Nicolas Demorand.

Pierre Mazeaud est une figure de la Ve république. Issu d'une famille de grands juristes (Henri, Léon, Jean, et le petit dernier Denis qui montre que la race est loin de décliner), il a été magistrat, député de 1968 à 1973 et de 1988 à 1998, secrétaire d'État sous Pompidou et Giscard, Conseiller d'État, président du Conseil constitutionnel. À côté de tout cela, le fait qu'il ait atteint le sommet de l'Everest le 15 octobre 1978 apparaît naturel.

Actuellement, Pierre Mazeaud est chargé de mission par le président de la République (mais qui ne l'est pas, ces temps-ci ?) et à la tête d'une commission qui réfléchit sur les problèmes posés par la dualité de juridiction (administrative / judiciaire) dans le contentieux des étrangers et les moyens d'y remédier si ces problèmes sont réels.

Une brève explication s'impose. L'article 66 de la Constitution donne à l'autorité judiciaire[1] le rôle de défense des libertés individuelles. Le Conseil constitutionnel, interprète de la Constitution, en a déduit que le contentieux de la privation de liberté d'un étranger faisant l'objet d'une mesure administrative d'éloignement forcé appartenait au juge judiciaire exclusivement. Ainsi, quand un étranger frappé d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) ou d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) est placé dans un centre de rétention, il doit être présenté à un juge judiciaire, le juge des libertés et de la détention (JLD), qui décidera s'il y a lieu de le maintenir ou pas en rétention (sachant que la loi a restreint autant que possible sa liberté sur le sujet : notamment la liberté est l'exception et la privation de liberté le principe. Si vous ne me croyez pas, lisez l'article L.552-4 du CESEDA). Le JLD décide uniquement du maintien ou non en rétention. La validité de la décision d'éloignement est jugée quant à elle par le tribunal administratif (TA).
Cela a des conséquences pratiques néfastes, c'est certain.
Pour l'État, un surcoût : l'étranger doit être présenté à deux juges, parfois fort éloignés[2], en un laps de temps très court, et doit donc être escorté sur place.
Pour l'étranger, une perte de garantie de ses droits. En effet, la dualité des autorités fait qu'une arrestation complètement illégale (contrôle au faciès, pas de notification des droits, durée de la garde à vue dépassée) entraînera la fin de la rétention administrative qui en découle, et la remise en liberté de l'étranger MAIS curieusement sera sans incidence sur l'arrêté de reconduite à la frontière pris également dans la foulée, car c'est une décision purement administrative et distincte du placement en rétention qui seule porte atteinte à la liberté. L'argument tiré de la nullité de l'arrestation est irrecevable devant le TA.

À la suite des brillants travaux de la commission des lois sur le projet de révision constitutionnelle dont je me suis gaussé j'ai parlé ici, Pierre Mazeaud, dans Le Monde, rappelle à l'ordre son « ami »[3] Jean-Luc Warsmann, membre de sa commission, qui a voulu anticiper sur les résultats de ces travaux.

Pour enfoncer le clou, Pierre Mazeaud était donc reçu ce matin sur France Inter. Il va de soi que je guettais fébrilement l'avis du vieux sage, qui a atteint un stade de sa vie où il n'a plus rien à craindre de personne, ce qui lui assure la plus grande des libertés, lui qui n'a jamais eu le goût du licol.

Nicolas Demorand a profité de la présence d'un tel expert des institutions, membre de la Commission Balladur à l'origine de la loi dont discute actuellement l'assemblée, pour parler de cette réforme des institutions. J'étais aux anges, ma tartine à la main.

Et voilà que fut abordée la question de l'exception d'inconstitutionnalité, qui me tient à cœur. Fidèle à la conception gaulliste de la République, Pierre Mazeaud y est opposé. Je ne lui en tiens pas rigueur, la divergence d'opinion n'a jamais été un obstacle à mon estime. C'est l'usage d'arguments de bas niveau qui l'est. Et las, c'est précisément ce que j'ouïs.

Voici le corpus delicti. Attention, MP3 avec des vrais morceaux d'attaque ad hominem dedans.

Ah, le corporatisme des professeurs de droit, ces hiboux poussiéreux qui jamais ne sont sortis de leur faculté depuis mai 1968. Que c'est commode de moquer les hauteurs de l'intelligence : d'en bas, tout à l'air si petit. Et qu'importe si la plupart d'entre eux sont aussi avocats : le politique emprunte ceci au journaliste que l'honnêteté intellectuelle doit savoir s'effacer devant un bon mot.

Ah, Pierre ! Que ma tartine m'a paru fade après que tu m'as servi un tel brouet.

Répondons au seul argument dont il nous est fait don : l'insécurité juridique. L'annulation d'une loi dix ans après serait une telle insécurité juridique que le remède serait pire que le mal. Pardon, cher Pierre, mais sur ce coup, le praticien se gausse.

Précision de vocabulaire : on appelle en droit une exception un argument (on dit un moyen) qui vise à ce que le juge rejette la prétention adverse. Elle est une défense, et s'oppose à l'attaque, qu'on appelle l'action. Quand on dit que le juge de l'action est juge de l'exception, cela signifie que le juge qui est compétent pour statuer sur une demande peut statuer sur tous les moyens de défense qui vise au rejet de cette demande.

L'exception d'inconstitutionnalité vise à permettre à un justiciable de soulever comme argument que la loi qu'on essaye de lui appliquer serait contraire à la Constitution, et donc… illégale. Pensez donc : permettre au peuple souverain de contester devant ses juges le travail législatif de ses représentants : vous n'y pensez pas, on se croirait en démocratie.

L'argument de l'insécurité juridique ne tient pas, car cela fait longtemps qu'on pratique une telle exception au niveau inférieur de l'ordonnancement juridique, c'est à dire des décrets et décisions administratives individuelles : l'exception d'illégalité devant le juge administratif remonte aux arrêts Sieur Avézard (24 janvier 1902) et Poulin (29 mai 1908).

Tout administré peut attaquer devant le juge administratif tout acte de l'administration, qu'il soit individuel (décision d'annulation du permis de conduire par décès du douzième point) ou général (décret du gouvernement). Il agit donc, si vous avez suivi, par voie d'action. Ce recours est enfermé dans un délai de deux mois à compter de sa notification à l'intéressé si c'est une décision individuelle, de sa publication (J.O., registre des actes administratifs d'une préfecture, etc.) si c'est un acte général. Après ce délai, l'action est irrecevable (Bon, il y a des ruses pour rouvrir le délai, mais passons).

Cependant, un administré qui se voit appliquer un tel acte après expiration du délai de recours peut en contester la légalité par voie d'exception : en effet, comme il n'est pas possible de soulever une exception tant qu'un juge n'est pas saisi, l'exception n'est enfermée dans aucun délai : l'exception est perpétuelle, ce que les juristes qui ont fait leurs humanités disent Quæ temporalia sunt ad agendum perpetua sunt ad excipiendum : si l'action est temporaire, l'exception est perpétuelle.

Par exemple, un automobiliste qui conteste aujourd'hui devant le tribunal administratif la légalité du retrait de ses points peut soulever l'illégalité de l'article R.223-1 du Code de la route, issu du décret n°2003-642 du 11 juillet 2003.

Bref, cela fait plus d'un siècle qu'on annule des actes de l'administration illégaux, sans que la sécurité juridique soit agonisante dans notre pays, car le juge a construit une jurisprudence subtile pour arbitrer entre la sanction de l'illégalité et le respect des situations individuelles acquises, au nom de la sécurité juridique, justement : ainsi, l'exception d'illégalité est largement ouverte pour attaquer un règlement, et plus restreinte pour une mesure individuelle : autorisation, nomination, etc.

Je n'entrerai pas dans les détails qui font les délices des étudiants de deuxième année (Ah, la théorie des actes complexes…), mais je précise qu'on sait distinguer entre une illégalité totale de l'acte et une illégalité résultant de l'application concrète à un cas précis, et je conclurai ce point en disant qu'on sait faire, en ajoutant que la sécurité juridique a bon dos quand on l'invoque pour couvrir une loi contraire à la Constitution, bref : les turpitudes du législateur. Que le législateur nous interdise ensuite de lui chercher noise pour notre propre bien révèle une mentalité qui rend urgente l'ouverture d'une telle voie de recours.

Enfin, le dernier argument moquant les professeurs de droit si ignorant des réalités pratiques du parlement (alors qu'ici même nous nous gaussions de l'ignorance crasse du législateur en matière de droit dès lors qu'il n'est pas praticien) pour écarter l'exception d'inconstitutionnalité mérite un coup d'œil curieux chez nos voisins et amis.

Bien des pays se sont dotés d'un tel contrôle. Le premier en ordre chronologique est les États-Unis d'Amérique. Et ça ne date pas d'hier mais du 24 février 1803. Oui, Napoléon n'était encore que Bonaparte que déjà les États-Unis avait un contrôle de constitutionnalité ouvert au citoyen.

William Marbury venait d'être nommé juge de paix dans le District de Columbia par le président John Adams, qui arrivait au terme de son mandat. Son successeur, Thomas Jefferson, a ordonné à James Madison, son Secretary Of State, de ne pas délivrer à William Marbury son acte de nomination. William Marbury saisit la cour suprême qui déclara qu'elle était compétente pour juger de la conformité des actes de l'exécutif (et du législatif) à la Constitution, et que ce refus était anticonstitutionnel. Las, droit et morale sont deux choses distinctes : la cour décida également qu'elle n'avait pas le pouvoir de forcer Madison à délivrer cet acte de nomination ; William Marbury ne fut jamais juge de paix du District de Columbia et James Madison fut le 4e Président des États-Unis.

Bref, on est loin de l'onanisme intellectuel d'éminents professeurs de Harvard : ce contrôle est né d'un cas concret.

D'autres pays se sont dotés par la suite d'un tel contrôle. J'en citerai deux : la République Fédérale d'Allemagne, deux ans après la fin du nazisme, et l'Espagne, trois ans après la mort de Franco. Là encore, ce ne sont pas des vieillards chenus qui ont pondu une thèse en latin, mais deux démocraties nées sur les cendres d'un régime autoritaire qui ont décidé de se munir des moyens de protéger leurs citoyens des abus potentiels de leurs dirigeants.

Mais l'attitude de l'État français ayant toujours été, tout au long de notre histoire, au-dessus de tout reproche, pourquoi, je vous le demande, pourquoi vouloir protéger les citoyens de ses lois si nécessairement justes, bonnes et parfaites, ou si elles ne devaient pas l'être, que diantre : et la sécurité juridique, ma bonne dame, montez dans ce wagon et plus vite que ça.

Ah, les temps ont changé, me dira-t-on : la République n'est plus composée que de vrais démocrates, et la Ve n'est pas l'État Français de Pétain. Certes, l'argument vaut pour aujourd'hui. Qu'il me soit permis de demander quid de demain, et de tiquer un brin sur aujourd'hui quand même.

Qu'il me soit permis de rappeler quelques faits.

L'élection du président de la République au Suffrage Universel a été décidée en 1962 au terme d'un processus contraire à la Constitution (un référendum de l'article 11 de la Constitution alors que la procédure de Révision est celle de l'article 89 : il fallait que le parlement y passe). Quatre ans après l'entrée en vigueur de la Constitution, toute son économie était bouleversée anticonstitutionnellement (vous voyez qu'on peut le caser, ce mot).

La loi antiterroriste de 2005, votée à la quasi unanimité, et qui porte de graves atteintes aux libertés individuelles, n'a pas été soumise au Conseil constitutionnelAu temps pour moi, elle le fut. Pas plus que la loi du 5 mars 2007 réformant la procédure pénale à la suite de l'affaire d'Outreau. Vous voyez le type de loi qui échappent à tout contrôle.

Un ancien garde des Sceaux a appelé les parlementaires à ne pas saisir le Conseil constitutionnel pour permettre à sa loi sur la récidive de s'appliquer immédiatement aux détenus à la suite d'un fait divers sordide[4].

L'actuel président de la République a demandé au premier président de la cour de cassation de réfléchir aux moyens de faire entrer immédiatement en vigueur la loi sur la rétention de sûreté à la suite de la décision du Conseil constitutionnel s'opposant à une application rétroactive au nom de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Pour reprendre une heureuse formule de mon ami Jules de Diner's room : L'aristocratie repose sur la méfiance des gouvernants à l'endroit du peuple. La démocratie repose sur la méfiance du peuple envers les dirigeants. Il serait temps de savoir quel est notre régime.

Notes

[1] La Constitution distingue le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, et… l'autorité judiciaire, qui dès son apparition est mise sous la protection du président de la République comme un mineur incapable. Ô combien représentatif de l'état d'esprit de nos dirigeants.

[2] Un étranger reconduit par le préfet de la Seine Saint-Denis sera présenté au JLD de Bobigny puis au TA de Cergy Pontoise ; un étranger reconduit par le préfet des Pyréennées atlantiques sera présenté au JLD de Bayonne puis au TA de Pau, parfois dans la même journée, sachant en outre que le centre de rétention est à Hendaye.

[3] Quand un homme politique vous appelle son ami, c'est comme Judas qui embrasse le Christ.

[4] «Il y a un risque d'inconstitutionnalité», a dit M. Clément. «Les événements récents vont me pousser à le prendre et tous les parlementaires pourront le courir avec moi. Il suffira pour eux de ne pas saisir le Conseil constitutionnel et ceux qui le saisiront prendront sans doute la responsabilité politique et humaine d'empêcher la nouvelle loi de s'appliquer au stock de détenus», a ajouté le ministre. Source : le Figaro

mardi 6 mai 2008

Mes lecteurs sont formidables (1)

Deux compléments à mes deux derniers billets, fournis par mes lecteurs.

Le premier concerne les avoués.

Mon confrère Polynice use de son droit de réplique sur son propre blog. Voici un point de vue contraire au mien sur l'utilité des avoués.

La défense devant avoir la parole en dernier, je reprends ici le riche commentaire de Billy Bud, lui même avoué, qui répond aux arguments les plus souvent soulevés. Il était perdu au fin fond des commentaires et mérite d'être élevé au rang de billet tant il apporte au débat et par respect pour le temps que maître Bud y a consacré.


Je voudrais en liminaire remercier Eolas pour son billet qui a le mérite de présenter la fonction d’avoué, qui en a bien besoin, de façon simple et claire.

Le nombre de commentaires auxquels je souhaite réagir est très élevé, je ne citerai donc pas chacun des intervenants, mais essaierai de répondre à tous de façon synthétique.

Je précise que mon approche de la question sera en premier lieu motivée par l’intérêt du justiciable ainsi que celle des magistrats.

1. Le coût

La critique essentielle, sinon unique, articulée à l’encontre des avoués est leur coût unanimement décrété comme trop élevé.

Force est cependant de constater que jamais je n’ai lu d’exemple précis sur ce point, ni ici, ni dans les attaques régulières du Conseil National des Barreaux.

Ainsi que l’a fort justement rappelé le maître des lieux, la rémunération des avoués est soumise à tarif institué par le décret du 30 juillet 1980 qui a subi de menues modifications depuis lors.

Je ne dis pas que ce tarif est parfait, loin de là, je pense même que la profession d’avoué gagnerait énormément à le rendre plus lisible, mais il ne mérite tout de même point d’être voué aux gémonies comme c’est souvent le cas.

En substance, la rémunération de l’avoué est calculée proportionnellement à la plus forte condamnation prononcée soit par le Tribunal, soit par la Cour.

Dans certains cas, impossibilité d’évaluer l’intérêt du litige en argent, en cas de divorce par exemple, absence de condamnation ou émolument supérieur à 5.400 € HT, l’avoué de l’appelant établit un bulletin d’évaluation soumis au contrôle de la Chambre de sa Compagnie, puis au magistrat ayant jugé l’affaire qui vérifie si au regard de l’importance et de la difficulté de l’affaire, l’émolument paraît justifié.

De façon quasi systématique, l’état de frais fait en outre l’objet d’une vérification par le greffe.

Mais, concrètement me direz-vous, et vous aurez raison, il coûte combien l’avoué ?

Si la plus forte condamnation prononcée est de 15.000 € … l’émolument de l’avoué est de 591,60 € HT.

Hors aide judiciaire, inférieure devant la Cour pour l’avoué que pour l’avocat (!), je mets tous les participants à ce blog au défi de trouver un avocat moins onéreux pour pareil dossier.

Certes, ainsi qu’il a été vu, la rémunération peut atteindre et même dépasser 5.400 € HT.

Toutefois, pour atteindre ce niveau, il faut que les condamnations prononcées soient au moins égales à 1.370.000 € ; nous sommes donc loin d’un dossier ordinaire et là encore, mais je puis me tromper, je doute que les honoraires de l’avocat, même en cas de perte du procès, soient véritablement inférieurs.

D’autre part, dans 95 % des cas, la partie succombante est condamnée aux dépens, c’est à dire que sauf insolvabilité totale de l’adversaire, le gagnant d’un procès en appel n’aura à payer que son avocat.

Il appert donc que si votre dossier est bon, votre avoué ne vous coûte pour ainsi dire rien.

Pour autant, il peut parfois coûter à votre avoué pour peu qu’il y passe du temps, ce qui arrive, alors que l’intérêt du litige est modéré, sinon dérisoire – et je vous arrête de suite, oui, les avoués passent régulièrement du temps sur les petits dossiers, non rentables donc, qui, puisqu’ils viennent devant la Cour en dépit du faible montant des condamnations, sont très contentieux et suivis de près tant par les avocats correspondants que par les clients en personne.

Je ne vais pas pour autant soutenir que les avoués sont à plaindre, mais je pense qu’il est aisé de comprendre que pareil système ne peut fonctionner, c’est à dire être suffisamment rentable, que si d’autres dossiers sont rémunérateurs.

Il s’agit donc d’une certaine façon de mutualiser le coût du procès en appel ce qui n’est possible qu’en limitant le nombre d’offices par Cour.

Je sais bien que l’époque ne s’y prête pas forcément, mais il faut prendre conscience qu’il s’agit véritablement d’un choix de société : doit-on ou non permettre à chacun le libre accès à la justice et notamment au second degré de juridiction ce que seul l’actuel système permet ?

En effet, contrairement à l’idée largement répandue, sans doute en raison de son apparente simplicité, la suppression du (sur)coût de l’avoué dans le procès d’appel n’aboutira pas à une baisse du coût d’une procédure d’appel pour le justiciable.

Ainsi, comme il a été rappelé dans le billet de Maître Eolas, le travail, quel qu’il soit, de l’avoué ne sera pas fait gratuitement par un avocat qui, a minima, facturerait en sus de ses honoraires, directement ou par le biais d’un de ses confrères constitué, les frais de postulation soumis aussi à un tarif qui prévoit essentiellement un calcul sur le montant des demandes …

L’avoué remplit en outre différentes tâches « invisibles » incombant souvent aux greffes ce qui simplifie leur fonctionnement, diminue leur coût et donc aussi, cette fois de façon indirecte, celui pour le justiciable.

Enfin et surtout, pour en finir avec le coût, quoique je serai amené à y revenir infra, deux comparaisons s’imposent, curieux qui personne n’y ait encore songé ici :

- le coût actuel d’un procès à l’étranger – puisque la France est la seule à avoir des avoués et qu’il faut regarder ce qui fonctionne à l’étranger : au Royaume Uni par exemple, le coût d’un procès représente 3,5 fois l’intérêt du litige … - le coût d’un procès en appel en France dans une Cour dépourvue d’avoués : j’admets ne pas le connaître, mais le commentaire de Avocat à la Cour me laisse à penser qu’il ne diffère guère de celui des Cours où le ministère d’avoué est obligatoire.

Bref - pour ceux qui ont eu la patience de lire jusque là : je plaisante - il me semble erroné, sinon mensonger, de justifier la suppression éventuelle des avoués par leur coût pour le justiciable.

Etant une nouvelle fois précisé que je suis néanmoins favorable à une modification du tarif, je suis ouvert à toute discussion sur ce point qui reviendra nécessairement à plusieurs reprises dans la suite de ma réponse.

2. L’apport pour le justiciable et la justice

L’avoué est donc quasi gratuit me direz-vous, avec ou sans ironie, mais sert-il pour autant à quoi ou qui que ce soit ?

Je ne vais pas revenir sur les aspects déjà défendus par le maître des lieux sauf à apporter quelques menues précisions.

2.1 La première est aussi la principale, elle aurait donc aussi bien pu être la dernière : l’avoué est utile pour peu qu’on l’utilise.

Les clients dits « institutionnels », banques, compagnies d’assurances, mandataires judiciaires, l’ont compris depuis fort longtemps et recourent devant chaque Cour à leur avoué habituel qui, de façon quasi-systématique, rédige les conclusions, assure les éventuels référés ou incidents et ce pour un coût constant.

Dans les dossiers de ces clients, généralement directement adressés aux avoués, l’intervention se limite souvent à des observations sur les écritures s’il y a lieu et aux plaidoiries sur le fond qui sont au demeurant de plus en plus rares, de nombreux magistrats favorisant les dépôts de dossier.

2.2 L’avoué intervient aussi parfois avant même l’inscription d’un appel : il peut conseiller son correspondant, avocat ou client, sur la stratégie à adopter dans un dossier pendant devant le Tribunal dont la décision sera probablement « appelée ».

Il joue le rôle de filtre lorsqu’il déconseille un appel ce qui arrive plus souvent qu’on ne le pense : il suffit pour s’en convaincre de comparer le pourcentage de décisions des Conseils des Prud’hommes faisant l’objet d’un appel avec celui des jugements rendus par les Tribunaux civils ou commerciaux.

2.3 En raison de leur nombre restreint, les avoués sont des interlocuteurs privilégiés des magistrats qui les connaissent, les fréquentent quotidiennement etc …

Ce lien particulier permet un traitement plus efficace des dossiers en particulier lorsqu’ils sont sensibles – sans connivence aucune, je pense que chacun s’accordera sur le fait qu’un auxiliaire de justice « reconnu » aura davantage l’oreille d’un magistrat qu’un autre totalement anonyme lorsqu’il s’agira de négocier une date à bref délai en raison de l’urgence présumée d’un dossier.

2.4 D’ailleurs, si l’avoué ne sert véritablement à rien, il faudrait que les avocats m’expliquent pourquoi même les plus virulents d’entre eux à l’encontre de cette profession, font néanmoins appel à elle dans de très gros dossiers où la représentation n’est pas obligatoire – Conseil de la Concurrence, AMF etc …

2.5 L’avoué est un véritable auxiliaire de justice en ce qu’il participe au fonctionnement de sa juridiction.

Cette participation s’est récemment accrue par le biais de la communication électronique en place dans plusieurs Cours et qui s’étendra à l’ensemble d’entre elles dès que l’avenir de la profession sera assuré.

Ainsi, dans les Cours concernées, les déclarations d’appel et constitutions sont aujourd’hui adressées au greffe non seulement au format papier, qui disparaîtra le jour venu, mais aussi par la voie électronique.

L’avantage n’est pas seulement lié à la déforestation : la communication effectuée par les avouées est dite « structurée », c’est à dire que toutes les informations contenues dans la déclaration d’appel, par exemple les copropriétaires appelants, sont directement intégrées dans le dossier informatique de la Cour.

Il ne s’agit point d’un gadget, mais autant de travail de saisie en moins pour les greffiers qui peuvent pendant ce temps travailler à autre chose – le nombre de personnes dans les greffes gérant les déclarations d’appel a été divisé par deux, parfois trois, depuis la mise en place de ce système.

Raison de plus pour supprimer les avoués diront certains puisque à l’heure d’internet, ils sont plus obsolètes que jamais.

Ils auront tout faux.

D’une part, parce qu’en dépit de leurs efforts, et la volonté déterminée du Président Magendie, les avocats ont été incapables à ce jour d’approcher de près ou de loin pareille communication, la leur se limitant à de la consultation de pages html et aucunement la transmission de données, ce n’est cependant pas en raison de leur incompétence en informatique, je vous rassure.

En effet, et d’autre part, le système n’est une nouvelle fois réalisable qu’en cas d’un nombre restreint d’intervenants ne serait-ce que pour des raisons de sécurité.

La communication électronique réelle ne peut sérieusement être mise en place que dans un système intranet.

Or, si demain la profession d’avoué était supprimée, tous les avocats européens pourraient postuler devant toutes les Cours françaises – j’en expliciterai les raisons en fin de post, soit, ouf, bientôt.

Je ne vois donc pas comment, mais je suis à l’écoute de toute démonstration, pourrait être créé un réseau intranet entre les Cours françaises et TOUS les avocats européens dont le nombre fluctue sinon quotidiennement, au moins de façon hebdomadaire – il suffit de se rendre au Palais de Justice à Paris le mercredi pour s’en convaincre, le nombre de prestations de serment hebdomadaires y est impressionnant.

La communication électronique et la dématérialisation de la procédure, soit les objectifs affichés par le Ministère de la Justice lorsqu’il s’agit d’évoquer du bout des lèvres la justice autre que pénale, ne pourront donc exister que pour autant que les avoués soient maintenus.

Les sceptiques me demanderont mais pourquoi la postulation ne pourrait-elle pas être assurée par les avocats de chaque Cour, ce qui, à l’exception notable de Paris et de quelques rares barreaux de province, assurerait un nombre restreint d’intervenants et donc la possibilité d’un intranet ?

C’est la faute à l’Europe !

En effet, il est aujourd’hui strictement interdit de créer des règles favorisant des ressortissants nationaux au détriment des ressortissants extra-nationaux.

Tel serait le cas si la France décidait d’accorder aux avocats français, qui plus est selon des critères géographiques, le monopole de la représentation devant les Cours.

Je ne sais si ces quelques lignes ont pu convaincre ne serait-ce qu’un seul sceptique, le sujet est vaste et mérite plus que « quelques » lignes rédigées entre appels téléphoniques, conclusions, audiences etc … surtout lorsque l’auteur n’a pas le talent de Maître Eolas.

Je finirai pour eux en rappelant une autre règle européenne.

Supprimer la profession et la fonction d’avoué revient aujourd’hui à ouvrir une véritable boîte de Pandore dans la mesure où si en application des règles européennes qui nous gouvernent aujourd’hui, la déréglementation est évidemment possible, revenir en arrière sera strictement interdit.

Certains pays comme le Danemark, dont le système judiciaire n’était pas, fut un temps, éloigné du notre, regrettent amèrement la libéralisation du marché du droit, soit une approche marchande de la justice que je me refuse à accepter pour mon pays.

vendredi 2 mai 2008

Quelle idée d'épouser un étranger avant le président de la République ! (Billet mis à jour)

NB : lire l'importante mise à jour à la fin de ce billet.


Jules reprend la nouvelle signalée par Embruns et dont je parlais tantôt : un Français ayant épousé un Hollandais et ayant demandé en conséquence de ce mariage la nationalité hollandaise se serait vu retirer sa nationalité française.

Jules a, je pense, vu juste quant à l'origine de ce retrait. Il s'agit de l'application de la Convention sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités signée à Strasbourg en 1963, car une brève recherche ne m'a révélé aucune convention bilatérale sur ce sujet entre la France et les Pays-Bas.

Cette convention pose le principe qu'un citoyen d'un des pays signataires qui prend, par un acte de manifestation de volonté (déclaration, demande) la nationalité d'un autre pays signataire perd sa nationalité d'origine. Convention qui, en application de l'article 55 de la Constitution, prime sur la loi interne.

Ainsi la loi française, aujourd'hui l'article 23 du Code civil, mais déjà en vigueur à l'époque sous un autre nom, pose le principe suivant :

Toute personne majeure de nationalité française, résidant habituellement à l'étranger, qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ne perd la nationalité française que si elle le déclare expressément, dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants du présent titre.

Mais la Convention de Strasbourg primant sur cette loi, si cette acquisition concerne la nationalité d'un pays signataire, la Convention prime et la nationalité est perdue sans qu'il soit besoin d'une déclaration du Français déchu.

Le droit est la science des exceptions, disait un de mes professeurs à un auditoire incrédule. Comme il avait raison. Car cela se complique.

En effet, l'application rigoureuse de ce principe ayant abouti à des situations fort désagréables pour les citoyens français vivant à une époque où l'Europe devenait une réalité concrète (sans que quiconque ne semble se demander si ce n'était pas le principe même qui était absurde), des protocoles ont aménagé ce principe. La situation la plus fréquente était le cas de couples mixtes. Les enfants ayant les deux nationalités des parents, le parent vivant dans le pays qui n'était pas le sien pouvait trouver souhaitable d'acquérir la nationalité du conjoint et qui est aussi celle de ses enfants, pour participer à la vie politique locale, sans désirer pour autant perdre ses droits politiques dans son pays d'origine. À ceux qui froncent le nez, je dirai que les enfants nés de parents de nationalité différente sont généralement citoyens de ces deux pays et votent dans les deux s'ils le souhaitent. Pourquoi en irait-il différemment de leurs parents ? Pourquoi, par exemple, une italienne qui épouse un Français et souhaiterait pouvoir voter pour lui s'il voulait obtenir ou conserver une fonction élective devrait-elle obligatoirement renoncer à son droit à exprimer son choix dans les destinées de son pays de naissance ? Vous allez voir, mon exemple est tout sauf innocent.

Ainsi, le Deuxième protocole additionnel (STE 149) signé le 2 février 1993, prévoit qu'en cas de changement de nationalité par une manifestation de volonté consécutive à un mariage, les États signataires peuvent prévoir que la perte de nationalité ne joue pas.

Or tel était déjà le cas de la loi française : article 23 du Code civil. Exception à l'exception, on applique à nouveau le droit interne.

Pour notre amateur de pédales, les choses se compliquent à nouveau. Le droit français, à la différence du droit hollandais, ne reconnaît pas le mariage entre personnes du même sexe, la cause est entendue. J'insiste là-dessus : c'est le mariage entre personnes de même sexe qui est prohibé, pas le mariage entre homosexuels. Deux homosexuels peuvent parfaitement se marier, à condition que l'un fût homme et l'autre femme ; deux hommes à l'hétérosexualité inébranlable ne peuvent se marier ensemble.

Pour les autorités françaises, il y a donc acte de volonté pour obtenir la nationalité d'un autre pays signataire de la Convention de Strasbourg et pas de mariage, puisque celui-ci ne saurait être conforme à la loi française.

Cette position, à laquelle je n'adhère pas pleinement pour ne rien vous cacher, résulte d'une réponse ministérielle du 9 mars 2006 :

Pour être reconnu en France, le mariage conclu à l'étranger doit être valable tant au regard de la loi du lieu de célébration que de la loi personnelle de chacun des futurs époux qui en régit les conditions de fond. Le mariage suppose que la loi personnelle de chacun des futurs époux l'autorise. Ainsi, au regard de la loi française, deux Français de même sexe ne pourront valablement se marier à l'étranger, même si la loi du lieu de célébration reconnaît ce mariage, dans la mesure où leur loi personnelle, la loi française, le prohibe. Il en va de même du mariage d'un Français à l'étranger avec une personne étrangère de même sexe.

En droit international privé, cette solution est tout sauf évidente : il faudrait que la différence de sexe soit considéré comme une loi de police, ce qui à la lecture des décisions des mariés de Bègles est pour le moins douteux. Mais ceci est un autre sujet.

Revenons en à notre het vroegere Frans[1] : pour les autorités françaises, le raisonnement juridique est le suivant :

- Il y a acquisition d'une nationalité d'un pays signataire de la Convention de Strasbourg, dont l'article 23 ne s'applique pas.
- Il n'y a pas de mariage donc le deuxième protocole additionnel ne s'applique pas (donc pas de retour à l'article 23).
- Conclusion : il y a perte automatique de la nationalité française en application de l'article 1 de la Convention.

Toute la question repose sur la validité au regard du droit français du mariage hollandais entre un Français et Hollandais tous deux mâles. Et il y a ici compétence exclusive du juge judiciaire français, c'est vers lui que notre ex-concitoyen doit se tourner pour itérer en sa nationalité.

La loi est dure pour les couples mixtes, mais c'est la loi, et en France, terre républicaine, elle est la même pour tous.

Sauf si bien sûr elle contrarie un puissant, auquel cas, elle doit bien sûr être immédiatement écartée.

Car il vous souvient que le 2 de ce beau mois de février, le président de la République a épousé une jolie jeune femme, qui parmi ses innombrables qualités a celle d'être italienne.

Le président a un certain empressement à ce que son épouse devienne elle-même française. Des lapsus révélateurs de ses proches, dès le lendemain du mariage, indiquent clairement cet état d'esprit. Ladite épouse n'a rien contre l'idée, mais souhaite conserver sa nationalité italienne, ce qui est fort compréhensible. Qu'à cela ne tienne : l'Italie a ratifié le Deuxième protocole additionnel. La belle Piémontaise a épousé un Français, qu'elle déclare acquérir la nationalité française, et elle conservera l'italienne, me direz-vous.

Coquin de sort ! L'ancien ministre de l'intérieur qui, lui, avait une épouse française, a fait voter une loi repoussant à quatre ans la durée du mariage préalablement à une telle déclaration de nationalité. Quatre ans, la fin du quinquennat, autant dire : la fin de l'éternité pour l'actuel président, qui doit maudire l'ancien ministre.

Reste la voie de la naturalisation, qui, il va de soi sera expresse pour la talentueuse chanteuse.

Quale grande Catastrofe ! Une telle demande de naturalisation, qui doit émaner de la belle, est une manifestation de volonté, et la nationalité acquise ne serait pas la conséquence d'un mariage : elle perdrait donc sa nationalité italienne en application de la convention de Strasbourg.

Cette convention, qui pourrit la vie des Français qui osent trouver l'herbe plus verte dans les champs voisins depuis 45 ans, contrarie donc notre président, premier homme politique de premier plan qui se la voit appliquer.

La loi est dure, mais c'est la loi ? Alors, il suffit de faire en sorte que la loi ne soit plus la loi.

C'est ainsi que par une déclaration consignée dans une lettre du Ministre des Affaires étrangères et européennes de la France, en date du 3 mars 2008, enregistrée auprès du Secrétariat Général le 4 mars 2008, la France a dénoncé le chapitre I de la Convention de Strasbourg, avec effet au 5 mars 2009 (voyez cette page, cherchez le paragraphe France), conformément à l'article 12 de ladite convention. Oui, vous avez bien lu, cette Convention va être abrogée pour la France, par l'effet d'une décision prise un mois pile après le présidentiel mariage, ce qui permettra de naturaliser la belle turinoise dès le 6 mars 2009.

Notre pauvre Français Hollandais eût-il eu l'excellente idée de se marier après notre président de la République qu'il eût pu bénéficier de cette opportune abrogation, épouser son beau batave, déclarer vouloir acquérir la nationalité des tulipes et des polders, et ce tout en restant français, mariage ou pas mariage, puisque faute de convention internationale, c'est l'article 23 de notre Code civil qui s'applique.

En conclusion, ce que cette lamentable, plus que lamentable histoire révèle n'est pas une quelconque homophobie d'État. C'est un mal plus grave encore : c'est que nos présidents se prennent vraiment pour des rois. On avait vu le précédent modifier une Constitution pour le mettre à l'abri des affaires, et promulguer une loi en interdisant de l'appliquer. On avait vu le précédent faire mettre sur écoute ceux de ses concitoyens qu'il jugeait bon.

Espérait-on une rupture sur ce point qu'on est désormais fixé. Qu'une loi s'appliquant en principe à tous, qu'un Traité qui lui est même supérieur et exprime la souveraineté de la Nation sur la scène internationale vienne à contrarier le président et il perd immédiatement sa raison d'être. Quarante cinq ans durant, il a été interdit ou fait restriction aux Français d'acquérir une autre nationalité européenne sans perdre la leur. Que cette interdiction contrarie les projets du président, et un mois plus tard, elle sera abrogée.

Comment ne pas devenir cynique, après tout cela ?


PS : Ha, les nonistes, merci de garder pour vous vos pleurnicheries sur le Traité de Lisbonne. Le projet de Traité simplifié a été expressément débattu lors de la campagne présidentielle. C'est une part du débat public qui s'est traduit en actes, ce qui serait plutôt à porter au crédit du président. Inutile donc de faire de vaseuses analogies. Hors sujet, elles seront supprimées.


Mise à jour de 19 h00 : Quelques éléments supplémentaires :

- Sur le nouveau néerlandais : il serait arrivé aux Pays-Bas en 2002, se serait marié le 6 décembre 2003, et aurait déclaré acquérir la nationalité néerlandaise en 2006.

- Sur la dénonciation de la Convention : un élément qui peut laisser espérer une pure coïncidence, bien que j'en doute encore : le processus de dénonciation du chapitre I (le II, sur les obligations militaires restant en vigueur) a été lancé en 2003. En effet, seuls 13 États ont ratifié cette convention stupide (le 14e, le Portugal, ayant signé mais jamais ratifié). Des 13, l'Espagne a d'emblée écarté le chapitre I dans ses réserves de ratification. Il fallait donc que les 12 restant se mettent d'accord pour dire qu'on pouvait dénoncer le seul chapitre I, l'article 12 de la Convention ne permettant que la dénonciation de la Convention dans son ensemble, Chapitre I (double nationalité) et II (obligations militaires). L'accord des 12 a été obtenu en avril 2007, soit il y a un an.

Toujours est-il que depuis, un seul pays a effectivement dénoncé le chapitre I : la France, le 4 mars 2008. Un empressement contraire à sa tradition en la matière, il n'est que voir notre vitesse de ratification de la Convention européenne des droits de l'homme (signée en 1950, ratifiée en 1974, acceptation du recours individuel devant la Cour en 1981).

En fait, un élément très simple démontrerait que ma théorie du mal partout serait infondée : le fait que Carla Bruni ait d'ores et déjà été naturalisée. Quelqu'un sait-il si c'est le cas ? Les décrets de naturalisation ne sont pas publiés au JO.


Ajout express au 1er mai : Lire le très bon billet de Ceteris Paribus qui m'apporte une puissante contradiction. Je reviendrai sur ce billet, mais je suis retenu loin de mon ordinateur aujourd'hui.


Mise à jour du 2 mai : J'ai enfin le temps de réagir au billet de Ceteris Paribus. Sur la forme, je suis outré qu'un garçon sérieux et prometteur ose réunir autant de calembours et contrepétries par kilo-octet. Il y a des normes à respecter, seul moi suis autorisé à m'en affranchir. Sur le fond, il apporte un argument déterminant qui tend à prouver qu'en l'espèce, il y aurait bien pure coïncidence entre cette dénonciation et la nationalisation naturalisation de la première Donna de France : la loi italienne prévoit bien une dérogation à la perte automatique de la nationalité en cas d'acquisition volontaire d'une autre nationalité, dérogation autorisé par le deuxième protocole additionnel de la Convention de Strasbourg. Ergo, la nationalité ultramontaine de de la Signorina Sarkozy n'était absolument pas menacée par son intégration à la communauté nationale. Le crime perd son mobile, ma théorie s'effondre, et comme m'y invite Ceteris Paribus, je prie le Président de la République d'accepter mes excuses le jour où il apprendra l'existence de ce blog. Et vive la capacité auto-réglatrice des blogs.
Néanmoins, qu'il me soit permis de maintenir ma position sur un point qui devrait faire consensus : il est profondément regrettable qu'un Français se voit privé de sa nationalité pour avoir épousé un étranger mâle conformément aux lois de ce pays, par l'application, critiquable qui plus est, d'une Convention que la France s'apprêtait à dénoncer, ce après avoir lancé l'initiative même de cette dénonciation.

Enfin, c'est à mes lecteurs que je présente les excuses les plus sincères de les avoir un temps entraîné dans mon égarement. Je promets de redoubler de prudence à l'avenir et de faire relire tous mes billets à Ceteris Paribus avant publication.


Mise à jour du 2 mai à 15h30 : (Retiré).

Notes

[1] Anciennement français.

lundi 28 avril 2008

Soyez plus compétents que le président de la République

L'affaire des sans-papiers grévistes, soutenus par des syndicats, a retenu l'attention des médias, qui semblent sincèrement surpris de découvrir que des étrangers travaillent, payent des impôts, et les cotisations sociales sur leur salaire, sans être régularisés, et ce parfois depuis fort longtemps.

Je passerai rapidement sur le fait que la lecture de mon blog leur aurait appris cet état de fait depuis au moins septembre dernier, en rappelant au passage que même ceux qui ne déclarent pas de salaire participent néanmoins au financement de l'État.

Rappelons que même si la pensée de leur présence vous insupporte, ces étrangers ne font rien d'autre qu'être là. Ils travaillent, pour la plupart, payent leur loyer, leurs impôts (l'Etat n'a RIEN contre les étrangers quand il s'agit de payer la taxe d'habitation ou quand ils supportent la TVA sur leurs achats). Ceux qui commettent des délits relèvent de la juridiction pénale et de la peine d'interdiction du territoire : ils n'entrent absolument pas dans le circuit décrit ici.

Quand je dis au moins, c'est que déjà en septembre 2005, je citais un exemple concret :

En effet, au même instant, une avocate se débat désespérément pour que les parents d'Eduardo ne soient pas reconduits à la frontière. Elle explique au juge administratif, preuves à l'appui, que les parents d'Eduardo sont arrivés en France il y a six ans de cela, que cela fait quatre ans qu'ils sont locataires de leur appartement, qu'ils payent leurs impôts, qu'Eduardo va à l'école de son quartier, maternelle puis primaire, où il a appris le Français qu'il parle sans accent.

Enfin, gaudeamus, la presse l'a enfin découvert et des journalistes se demandent pourquoi celui qui leur concocte leur salade de chèvre chaud, cotise aux ASSEDIC, à une caisse de retraite, à l'assurance maladie, lays la CSG, la CRDS et bien souvent l'impôt sur le revenu, et ce depuis des années (j'ai un dossier avec des avis d'imposition remontant à 2000) ne pourrait se voir doter d'un titre de séjour.

Je répète ces mots : d'un titre de séjour, ils sont importants.

La loi, le fameux Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) prévoit que « tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France doit, après l'expiration d'un délai de trois mois depuis son entrée en France [ou après l'expiration de son visa s'il est soumis à l'obligation de détenir un visa], être muni d'une carte de séjour ». Le fait de se maintenir en France sans détenir cette carte est un délit, le délit de séjour irrégulier qui consiste essentiellement à être là. Notons qu'il n'existe à ma connaissance aucun délit concernant les Français leur faisant encourir de la prison du seul fait de ne pas détenir un quelconque document administratif sans qu'aucun agissement particulier ne soit exigé. Le défaut de permis n'est un délit que si on conduit un véhicule. Le défaut de carte d'identité n'est pas une infraction, ce document n'étant pas obligatoire. Point que je souhaite rappeler tant dès que l'on fait montre d'un tant soit peu de compassion à l'égard des étrangers sans papier on entend invariablement « Mais enfin, rappelons quand même que ce sont des délinquants, on ne va quand même pas les plaindre ». Le délit, c'est d'être là, pas de faire de tort à qui que ce soit.

Ce titre de séjour (TS) peut être soit une carte de séjour temporaire (CST) valable un an, soit une carte de résident (CR) valable 10 ans et renouvelable de plein droit, délivrée aux étrangers qui ont vocation à l'installer définitivement sur le territoire (par exemple, l'époux étranger d'un français qui n'a pas souhaité prendre la nationalité française).

Le titre de séjour n'a aucun rapport avec la nationalité française, hormis le fait que l'absence de cette dernière impose la détention du premier. Demander une régularisation, c'est demander la délivrance d'un titre de séjour. Pas la nationalité française. Un ancien ministre de l'intérieur, à l'origine de deux profondes réformes du droit des étrangers, est censé le savoir. D'où ma stupeur d'entendre cet échange lors de la présidentielle conférence de presse télévisée. Si quelqu'un peut d'ailleurs me fournir une transcription de la première phrase du président en réponse à la deuxième question d'Yves Calvi, juste avant « je ne suis pas un roi, moi » (0:47-0:48 de la vidéo), je lui en saurai gré.

L'erreur est humaine, persévérer est diabolique, réitérer[1]… présidentiel ? Par trois fois, le président se réfugie derrière les conditions préalable au dépôt pour une demande de naturalisation (une demande d'attribution de la nationalité française par décision de l'autorité publique) pour laisser entendre qu'il existe des conditions qu'il suffit de respecter pour être régularisé. C'est faux.

La République, heureusement, ne repose ni sur la bonne foi ni sur la connaissance encyclopédique de ses dirigeants, donc peu importe laquelle est ici prise en défaut. Mais le meilleur moyen d'éviter qu'on abuse de l'ignorance des citoyens est qu'on les instruise. Je vous propose donc de m'accorder un peu de votre attention afin que ce billet fasse de vous des gens plus compétents en la matière que le président de la République.

La vision répandue ces dernières décennies sur les étrangers est celle d'une troupe d'indésirables, le fort chômage qu'a connu la France étant la preuve que les étrangers sont de trop, ceux-ci prenant supposément le travail des Français. C'est la théorie du gâteau : l'économie d'un pays est un gâteau dont on se répartit les parts, le grand nombre de part entraînant plus de pauvreté. C'est une vision naturellement fausse, puisqu'elle fait abstraction du fait que chaque personne participant à une économie est aussi bien pâtissier qu'affamé. Et cette situation ressurgit invariablement à chaque crise économique. Car l'hostilité de la France à l'égard des étrangers est contraire à sa tradition, et vous allez voir dans le voyage historique que je vous propose combien cette tradition l'a façonnée.

En effet, sous la Révolution (1789-1804), et la Restauration (1815-1830), la France a été très accueillante avec les étrangers (l'Empire a eu une politique d'intégration des pays étrangers, c'est un peu différent, et l'expérience a tourné court). Ainsi, la Constitution rédigée par la Convention le 24 juin 1793 prévoyait dans son article 4 que « Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; - Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année - Y vit de son travail - Ou acquiert une propriété - Ou épouse une Française - Ou adopte un enfant - Ou nourrit un vieillard ; - Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l'humanité - Est admis à l'exercice des Droits de citoyen français. » On ne parlait même pas de leur exiger un permis d'être là.

De même, sous la Monarchie de Juillet (Louis-Philippe Ier, roi des Français, si vous préférez), la France a accueilli plus de cent mille immigrés venus des pays d'Europe centrale chassés par les révolutions de 1830. Elle accueillera aussi des Italiens fuyant les incessantes guerres d'indépendance de ce pays. Parmi eux, Giuseppe Gambetta, épicier qui s'installera à Cahors, dont le fils deviendra avocat, homme politique et donnera la République à la France sur les décombres du Second Empire, au nez et à la barbe de la majorité royaliste à l'Assemblée.

La Seconde République (1848-1851) vote une grande loi sur les étrangers le 3 décembre 1849. Ce cadre légal restera en vigueur jusqu'en 1938, mais sera régulièrement amendé. Elle prévoit que le ministre de l'intérieur peut expulser tout étranger séjournant en France. C'est cette loi qui crée le délit de séjour irrégulier, qui suppose que l'étranger soit resté ou revenu en France malgré une décision d'expulsion. Aucune mesure coercitive autre que la menace de la prison n'est prévue. Les étrangers ne sont pas alors soumis à l'obligation de détenir un titre de séjour. C'est cette loi qui invente l'expression de “conduite à la frontière” pour désigner ces décisions discrétionnaires.

Le Second Empire (1851-1870) instaure quant à lui dès 1851 le droit du sol : l'enfant d'étrangers né en France est Français (ce n'est plus le cas aujourd'hui contrairement à une croyance populaire tenace).

C'est la IIIe république qui opérera le premier virage vers le droit des étrangers moderne, à l'occasion de la crise économique de la fin du XIXe siècle, à l'époque où qui plus est la République est frappée d'énormes scandales politico-financiers (Affaires de Panama, des Fiches, des Décorations…). Les étrangers (auquel il faut assimiler les juifs, qui, bien que citoyens français, sont sans cesse présentés comme des éléments exogènes par l'extrême-droite) sont pointés du doigt et servent de boucs émissaires aux difficultés de la France, la responsabilité de la classe politique étant naturellement exclue. Comment ça, ça vous rappelle quelque chose ?

Cela va jusqu'à de véritables pogroms contre les Italiens dans le sud de la France : à Aigues-Mortes en août 1893, une véritable chasse à l'homme a lieu dans la ville, à coups de pierres et de bâtons, faisant officiellement huit morts et cinquante blessés (plus de cinquante morts selon les journalistes du Times anglais ayant assisté aux émeutes et ayant décrit une sauvagerie générale). Face à ces crimes, la réaction de la République sera inflexible : les accusés de ces faits seront acquittés par la cour d'assises et la loi du 28 août 1893 institue le registre d'immatriculation des étrangers et fait interdiction aux employeurs d'embaucher un étranger n'ayant pas satisfait aux formalités légales. C'est la naissance de la carte de séjour temporaire mention salariée, qui existe encore aujourd'hui.

Plus tard, le décret du 21 avril 1917 crée la carte d'identité d'étranger, ancêtre de la carte de séjour, établie par le préfet. Pendant ce temps, Lazare Ponticelli se battait pour la France. Parmi les premiers titulaires, le père de Patrick Devedjian, actuel secrétaire général de l'UMP, qui a fui la Turquie en 1919 en raison du génocide arménien.

La première guerre mondiale et la grippe espagnole laissent la France exsangue, et elle ouvre largement ses frontières pour faire venir la main-d'œuvre dont elle a besoin. En 1924, les organisations patronales, avec l'accord du gouvernement, fondent la Société générale d'immigration, qui introduira en France en l'espace de quelques années, pas moins de cinq cent mille travailleurs étrangers, en majorité Italiens, Espagnols et Polonais. Parmi ces Polonais, un juif du nom de Stanisław « Simkha » Gościnny, qui s'installera à Paris, 42 rue du Fer-à-Moulin. Son fils René sera le créateur des Dalton, de Rantanplan (pas de Lucky Luke), d'Iznogoud, du Petit Nicolas, des Dingodossiers, et surtout d'Astérix, le plus franchouillard des héros Français.

Mais le chômage refait son apparition avec le ralentissement annonçant la crise de 1929. Et la législation refait de l'étranger la variable d'ajustement, quand ce n'est pas le responsable des malheurs des Français, malgré la politique courageuse et visionnaire du gouvernement.

La loi du 11 août 1926 réglemente le travail des étrangers en France et prévoit, sur la carte d'identité d'étranger, l'apposition de la mention « travailleur », subordonnée à la production d'un contrat de travail, le titulaire ne pouvant changer d'emploi avant l'expiration du contrat.

Arrive la crise de 1929. La France est durement touchée. Devinez qui va payer l'addition ?

La loi du 10 août 1932 institue un contingentement de la main-d'œuvre étrangère par profession ou branche de l'industrie ou du commerce. Cette tentative de réponse à la crise économique s'accompagne d'une limitation des entrées d'étrangers sur le territoire français et d'un refus de régularisation des « clandestins ». Oui, la législation qu'on applique encore aujourd'hui (art. 40 de la loi Hortefeux) sous le nom d'immigration “choisie” est héritée d'une législation d'urgence face à la crise de 1929, dont l'Histoire a montré l'efficacité.

Je passerai rapidement sur la politique de Vichy en la matière : au-delà des législations de circonstances mettant en place une politique ouvertement raciste et spécialement les lois anti-juives, soulignons que le gouvernement de Pétain reviendra rétroactivement sur les naturalisations accordées depuis 1927 et organisera un régime de travaux forcés pour les étrangers “en surnombre”.

La Libération voit une remise à plat de toute la législation française, et le droit moderne des étrangers est né à cette époque : le CESEDA n'est que la codification à droit constant opérée en 2004 d'une ordonnance du 2 novembre 1945.

Il s'agissait, selon les mots du Général De Gaulle, « d'introduire, au cours des prochaines années, avec méthode et intelligence, de bons éléments d'immigration dans la collectivité française ». Il faut dire qu'en 1945, les économistes estiment à un million et demi les besoins de main-d'œuvre pour reconstruire le pays. La France accueille largement de la main d'œuvre étrangère, notamment venue des pays d'Europe de l'Est fuyant l'occupation soviétique. Parmi eux, un fils de fonctionnaires hongrois dont les propriétés à Alattyán avaient été confisqués. Il s'appelait Nagybócsai Sárközy Pál, et je vous ai parlé de son fils au début de ce billet.

Malgré la volonté et la nécessité d'ouvrir les portes à l'immigration, ce régime, bien plus simple que l'actuel, va rapidement montrer ses limites, les employeurs préférant recourir à de la main d'œuvre irrégulière et régulariser sa situation après coup. Ce sera le début d'un absurde cycle de régularisations massives - promesse que cette fois c'est fini - durcissement de la législation - régularisation massive. La première aura lieu dès 1948. La dernière à 2006, et la prochaine est en préparation.

Les Trente Glorieuses augmentent les besoins de main d'œuvre et jusque dans les années 60, la France va largement puiser dans les réserves des anciennes colonies et protectorats, où une population, jeune, francophone et connaissant l'administration française est disponible. Parmi eux, un maçon marocain, Mark Dati, arrivera en France en 1963. Sa fille Rachida deviendra magistrat et Garde des Sceaux.

Aujourd'hui, l'obtention d'un titre de séjour par un étranger voulant venir travailler en France est très difficile, et longue (sauf s'il est footballeur professionnel). L'accumulation de barrières administratives a entraîné un accroissement du recours à de la main d'œuvre en situation irrégulière. L'image du patron exploitant sans vergogne des étrangers sous-payés plutôt que des Français trop chers est un pur cliché, version marquée à gauche du cliché marqué à droite de l'étranger volant l'emploi des Français. J'ai reçu assez d'employeurs voulant obtenir la régularisation d'un de leurs employés, qui prenaient en charge mes honoraires, et m'expliquaient leurs années de galère sans trouver celui dont ils avaient besoin jusqu'à ce qu'ils rencontrent celui dont ils demandent la régularisation pour savoir que les deux sont aussi faux l'un que l'autre et révèlent plus les préjugés de celui qui les véhicule.

Mais au fil des alternances, les deux versions de ce cliché ont conduit à ajouter sans cesse des obstacles à la régularisation, même si des signaux existaient déjà révélant l'existence de secteurs “en tension” ne trouvant pas de main d'œuvre. C'est un secret de Polichinelle que la restauration et le bâtiment reposent sur une main d'œuvre en grande partie étrangère sans papier. André Daguin, président de l'Union des Métiers de l'Industrie Hôtelière (UIMH) estime à 50 000 le nombre de ces salariés clandestins dans son secteur. Soit deux fois le nombre d'étrangers qui vont probablement et à grands frais être reconduits à la frontière.

Gouverner, c'est parler clairement, expliquer ses choix. Pas feindre par trois fois de ne pas comprendre la question parce que la réponse contredit trente années de politique à l'égard des étrangers, dont trois lois en quatre ans voulues par l'actuel titulaire de la fonction présidentielle.

J'espère vous avoir armés pour que vous ne vous laissiez plus abuser par de si piètres esquives.

Notes

[1] Rappelons que l'itération est accomplir une deuxième la même action, et que réitérer est le faire une troisième fois.

vendredi 28 mars 2008

L'Ordonnance de référé dans l'affaire Fuzz.fr

Voici l'analyse de l'ordonnance rendue le 26 mars 2008 par le juge des référés dans l'affaire Olivier M. contre la société Bloobox Net, éditrice du site Fuzz.fr, site désormais fermé.

Premières mises au point : ce n'est pas une affaire "Presse-Citron", du nom du blog d'Eric Dupin. Ce site était totalement hors de cause. Etait en cause un site exploité par une société dont Eric Dupin était le gérant. Cette précision a son importance, car le site condamné n'était pas un blog, mais un digg-like, c'est à dire un site regroupant des articles signalés par les membres enregistrés : plus le site est signalé (fuzzé en bon français), plus il est visible.

Il s'agit d'une demande de référé présentée sur le fondement de l'article 9 du Code civil :

Chacun a droit au respect de sa vie privée.

Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé.

Comme pour l'affaire Note2be, je vais, pour rendre cette exposé plus vivant, imaginer l'audience sur la base du texte du jugement. Les passages en gras italique seront des citations in extenso de la décision, les passages en italique étant des indications de mise en scène. Et comme la licence de l'auteur est sans limite, je vais me glisser à côté du juge, tout en restant invisible à ses yeux, pour jouer le rôle du Choeur dans le théâtre antique.

Les trois coups ont été frappés, le rideau se lève sur une petite salle d'audience aux huisseries vernies fatiguées par un siècle de plaidoirie. Le juge des référés entre en premier et va prendre place au milieu d'un large bureau surélevé car bâti sur une estrade, tandis que sa greffière va s'asseoir à sa gauche, à côté de la pile des dossiers du jour. A la droite de ce bureau surélevé, et perpendiculaire par rapport à lui pour faire face à la salle, se trouve un petit bureau, dos aux hautes fenêtres : le bureau du procureur de la République, qui demeure vide. A travers les fenêtres, on aperçoit celles de la superbe salle de la première chambre du tribunal de grande instance.

Le Président : Madame le greffier, veuillez appeler la première affaire.

La greffière : Affaire 08/52543 : Monsieur Olivier Martini[1] contre la société Bloobox.

Deux avocats s'avancent. L'un a une épitoge herminée, l'autre une épitoge veuve.

Le Président : Pour le demandeur, vous avez la parole pour m'exposer vos demandes.

Le demandeur,qui a l'épitoge sans hermine'' : Mon client est un acteur célèbre qui vient devant vous se plaindre d'une atteinte à sa vie privée commise sur le site Fuzz.fr, exploité par la société Bloobox. En effet, je produis un constat d'huissier qui vous révélera que le 5 février dernier, un lien intitulé : “Kéllé Mignone et Olivier Martini toujours amoureux, ensemble à Paris”. Ce lien renvoyait vers un autre site internet, celebrites-stars.blogspot.com, où se trouvait un article ainsi rédigé :

Kéllé Mignonne et Olivier Martini réunis peut-être bientôt de nouveau amants.

La chanteuse Kéllé Mignonne qui a fait une apparence(sic) aux 2007 NRJ Music Awards a ensuite été vue avec son ancien compagnon l’acteur français Olivier Martini.

La star a été vue à Paris promenant son chien, un Rhodesian Ridgeback[2] et alors qu'elle allait avec son ancien fiancé Chez Yves St Laurent Gloaguen puis au Café de Flore ou elle aimait déjà se rendre régulièrement lorsqu'elle habitait à Paris afin de recevoir le traitement pour soigner sa gastro-entérite.

L'actrice âgée de 39 ans a créé bien malgré elle une petite émeute lorsque des passants l’ont reconnu alors qu'elle promenait son chien Sheba[3] avec Olivier Martini dans les rues de Paris.

Rappelons que les deux célébrités se sont séparées au mois de février 2007 lorsque l’acteur a été surpris en charmante compagnie et que Kéllé Mignonne vivait une période difficile et qu'elle suivait un lourd traitement contre la gastro-entérite.

La star australienne est ensuite allée à la gare pour prendre un train Eurostar en direction de Londres, mais elle pourrait d’après ses proches bientôt revoir Olivier Martini régulièrement”.

Je vous demande donc de recevoir mon client en ses demandes, de constater la violation par la défenderesse de la vie privée d’Olivier Martini, de constater que le préjudice subi par Olivier Martini du fait de cette publication est aggravé par le fait que celle-ci a été diffusée sur Internet...

Le Choeur (surpris) : Aggravée par sa diffusion sur internet ? D'une part, il me semble que cette diffusion est l'acte de publication qui fonde les poursuites, et non son aggravation ; d'autre part, je ne vois pas en quoi une diffusion sur internet serait plus grave qu'une diffusion à la télévision ou dans un magazine sur papier. J'opinerai même le contraire.

Le demandeur (continuant comme si de rien n'était) : ...En conséquence, ordonner au défendeur de procéder au retrait immédiat de l’article litigieux sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard ; condamner le défendeur au paiement d’une somme de 30.000 euros à Olivier Martini , en réparation de son préjudice moral ; ordonner la publication de l’ordonnance à intervenir sur la page d’accueil du site internet édité par le défendeur, dans un délai de 48 heures suivant la signification de celle-ci, ce ce sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard ; (le Choeur sourit à l'énoncé du montant de ces sommes) condamner le défendeur à verser à Olivier Martini une somme de 4.500 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

Le Choeur : Il s'agit de la pris en charge par la partie adverse des frais exposés pour la procédure, principalement les honoraires de l'avocat.

Le Président : Pour le défendeur, vous avez la parole.

Le défendeur : Je dépose des conclusions (Il tend à la greffière plusieurs pages agrafées ; la greffière les prend, y dépose un cachet, signe à côté et les remet au président) vous demandant, à titre liminaire, de vous déclarer incompétent quant aux demandes soulevées par Olivier Martini, faute d'urgence : en effet, celui-ci n'a pas demandé préalablement le retrait de cet article du site. De plus, il y a une contestation sérieuse.

Le Président : Si, je suis compétent. La société défenderesse ne peut arguer du défaut d’urgence pour exciper de l’incompétence du juge des référés, du seul fait de l’absence de toute demande de retrait de l’information litigieuse préalablement à la présente procédure, la seule constatation de l’atteinte aux droits de la personnalité caractérisant l’urgence au sens de l’article 9 alinéa 2 du code civil.

Le Choeur : Première chambre civile de la cour de cassation, arrêts des 12 décembre 2000 (Bull.civ. I, n°321) et 20 décembre 2000 (arrêt Mitterrand), bull. civ. I, n°341.

Le président : S’agissant de l’existence d’une contestation sérieuse tenant à la responsabilité de la société BLOOBOX NET elle sera examinée ci-après.

Le Choeur : la contestation sérieuse n'entraîne en effet pas l'incompétence du juge des référés, car c'est une condition de fond. La contestation sérieuse entraîne le débouté au motif qu'il n'y a pas lieu à référé. Chaque chose en son temps, donc.

Le défendeur : Je soulève également la nullité du constat d'huissier pour vice de forme : il est daté à tort du 5 février 2007.

Le président (prenant le constat dans le dossier) : Certes. Mais si le procès-verbal de constat est daté du 5 février 2007, les références temporelles qu’il contient soit à la fin de l’année 2007 ou au début de l’année 2008, ne permettent pas à la société BLOOBOX NET de se méprendre sur la date réelle de cet acte ; en l’absence de grief au sens de l’article 114 du Code de procédure civile, il y a lieu de rejeter le moyen.

Le défendeur (en apparté) : Ce n'est pas grave, j'ai d'autres atouts dans mon jeu. (A voix haute) Je vous demande de dire que ma cliente n'est pas responsable, en raison de sa qualité de “pur prestataire technique”, elle revendique en conséquence le bénéfice du statut d’hébergeur au sens de l’article 6. I. 2° de la Loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Le Choeur (se redressant sur son fauteuil) : Ha, nous voilà au cœur du problème de droit.

Le défendeur : En tant qu'hébergeur, sa responsabilité n'est en effet engagée qu'en cas d'absence de prompte réaction une fois le caractère illicite du contenu hébergé connu. Cette connaissance lui a été portée par l'assignation en référé du 12 mars 2008, qui a conduit au retrait immédiat du contenu, et même à la fermeture du site. En conséquence, vous déclarerez la société BLOOBOX NET non responsable du contenu diffusé dans ses pages en tant qu’hébergeur technique de services internet au sens de la LCEN.

Le Président (après un temps de réflexion à examiner le dossier) : Il ressort des pièces produites aux débats que le site litigieux est constitué de plusieurs sources d’information dont l’internaute peut avoir une connaissance plus complète grâce à un lien hypertexte le renvoyant vers le site à l’origine de l’information.

Le défendeur : Certes.

Le Président : Ainsi en renvoyant au site “celebrites-stars.blogspot.com”, la partie défenderesse opère un choix éditorial, de même qu’en agençant différentes rubriques telle que celle intitulée “People” et en titrant en gros caractères “Kéllé Mignone et Olivier Martini toujours amoureux ensemble à Paris”, décidant seule des modalités d’organisation et de présentation du site.

Le demandeur : Certes !

Le Président : Il s’ensuit que l’acte de publication doit donc être compris la concernant, non pas comme un simple acte matériel, mais comme la volonté de mettre le public en contact avec des messages de son choix ; elle doit être dès lors considérée comme un éditeur de service de communication au public en ligne au sens de l’article 6, III, 1°, c de la loi précitée renvoyant à l’article 93-2 Loi du 21juillet 1982 ; il convient d’ailleurs de relever que le gérant de la société défenderesse Eric Édéjeu, écrit lui-même sur le site qui porte son nom, qu’il “édite” pour son propre compte plusieurs sites, parmi lesquels il mentionne "Fuzz" (pièce n°11 du demandeur) ; la responsabilité de la société défenderesse est donc engagée pour être à l’origine de la diffusion de propos qui seraient jugés fautifs au regard de l’article 9 du code civil.

Le demandeur : Je triomphe !

Le défendeur : Je succombe !

Le Choeur : Je crains que notre pièce ne soit désormais une tragédie : la fin est inéluctable, puisqu'il ne reste plus au juge qu'à examiner si atteinte à la vie privée il y a eu.

Le Président : Il y a lieu de rappeler qu’en vertu de l’article 9 précité, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée ; en évoquant la vie sentimentale d’Olivier Martini et en lui prêtant une relation réelle ou supposée avec une chanteuse, en l’absence de toute autorisation ou complaisance démontrée de sa part, la brève précitée, qui n’est nullement justifiée par les nécessités de l’information, suffit à caractériser la violation du droit au respect dû à sa vie privée ; que l’atteinte elle- même n’ est pas sérieusement contestée. Il en est de même pour le renvoi opéré, grâce à un lien hypertexte, à l’article publié sur le site “celebrites-stars.blogspot.com”, lequel article fournit des détails supplémentaires en particulier sur la séparation des intéressés et leurs retrouvailles ; que ce renvoi procède en effet d’une décision délibérée de la société défenderesse qui contribue ainsi à la propagation d’informations illicites engageant sa responsabilité civile en sa qualité d’éditeur.

Le Choeur : Un choix délibéré ? Voici sans doute le point le plus sujet à controverse. Parler de décision délibérée pour un lien dans un Digg-Like me paraît osé.

Le Président : La seule constatation de l’atteinte aux droits de la personnalité par voie de presse ou sur la toile, engendre un préjudice dont le principe est acquis, le montant de l’indemnisation étant apprécié par le juge des référés en vertu des pouvoirs que lui confèrent les articles 9 du Code civil et 809 du Code de procédure civile.

Le défendeur : Fatalitas !

Le demandeur : Vae victis !

Le Choeur : Ite Missa est !

Le président : Votre culture classique est digne d'éloge. Fixons donc les montants. La défenderesse a produit différents documents relatifs à la fermeture temporaire du site “www.fuzz.fr” au jour de l’audience ; la demande de retrait est dès lors sans objet. En l’absence d’indication quant à la fréquentation du site et tenant compte de la disparition des propos litigieux, le préjudice moral dont se prévaut Olivier Martini, et sans que celui-ci puisse invoquer d’autres atteintes commises par ailleurs à son détriment, sera justement réparé par l’allocation d’une provision indemnitaire de 1.000€, sans qu’il soit besoin d’assortir cette décision d’une mesure de publication désormais impossible.

La voix de Veuve Tarquine, des coulisses : J'enrage !

Le Président, qui n'a pas entendu : Il y a lieu enfin, de faire application au profit du demandeur des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile. (Il s'éclaircit la voix, puis tonne d'une voix forte) : Par ces motifs, statuant par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort...

Le Choeur : Traduction : l'ordonnance n'aura pas à être lue en audience publique pour être rendue ; les deux parties étant présentes à l'audience, elles ont pu présenter leurs moyens de défense, la voie de l'opposition leur est fermée ; et l'ordonnance est de par sa nature susceptible d'appel.

Le Président : ...Condamnons la société BLOOBOX NET à payer à Olivier Martini la somme de 1.000 € à titre de provision indemnitaire, ainsi que celle de 1.500 € par application de l’article 700 du Code de procédure civile ;...

Le Choeur : Le juge des référés est incompétent pour condamner à des dommages-intérêts, mais il peut accorder une provision sur une somme qui n'est pas sérieusement contestable. Le juge estime donc que si Bloobox est poursuivi devant un tribunal ordinaire, celui-ci ne pourra en aucune façon accorder moins de mille euros.

Le Président : ...Rejetons le surplus des demandes d’olivier Martini ; rejetons les demandes reconventionnelles de la société BLOOBOX NET, ...

Le Choeur : A savoir, pour Olivier Martini : les demandes d'astreinte à 5000 euros par jour et la publication du jugement ; pour Bloobox, une demande de 4000 euro de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 20.000 euros pour "perte de valorisation du site" : on connaît donc à titre posthume le prix de Fuzz.fr. Outre 3.500 euros d'article 700.

Le Président : ...condamnons la défenderesse aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du Code de procédure civile.

Le Choeur, pendant que la salle se vide : Oh ! Le vilain article 699 ! Il ne s'applique que dans les procédures à représentation obligatoire, c'est à dire devant le TGI statuant en matière contentieuse ordinaire et devant la cour d'appel au profit des avoués. (Il regarde autour de lui et réalise sa solitude). La peste soit de l'invisibilité. (Il sort en courant).

Rideau.

Notes

[1] Afin de respecter la vie privée des parties, le nom des personnes concernées a été rendu méconnaissable.

[2] L'article 9 du Code civil ne s'appliquant pas aux canidés, la race n'a pas été modifiée : le droit à l'information du public reste sacré.

[3] L'article 9 ne s'appliquant pas au nom des animaux, il s'agit bien du nom du toutou.

lundi 24 mars 2008

Blogueurs et Responsabilité Reloaded

Mon billet de mai 2005 sur la question méritait depuis longtemps une mise à jour, que la multiplication ces derniers temps d'interventions d'avocats à l'égard de blogueurs m'a enfin poussé à faire.

Voyons donc ensemble le petit guide du publier tranquille, ou comment bloguer l'âme en paix et accueillir les courriers d'avocats avec un éclat de rire.

Écrire et publier sur un blog, c'est engager sa responsabilité sur le contenu de ce qui y est écrit. Et déjà apparaît le premier problème : ce qui y est écrit n'est pas forcément ce qu'on a écrit en tant que taulier du blog. Certains sites y compris des blogs publient des liens via un fil RSS (cites de type "mashup"), c'est à dire reprennent automatiquement et sans intervention de leur part les titres de billets ou informations parues sur d'autres sites). Or on a vu à plusieurs reprises des sites attaqués car de tels liens portaient atteinte à la vie privée de personnalité susceptibles, et ces actions ont connu un certain succès (affaire Lespipoles.com, ou Presse-Citron, dont le délibéré n'est pas connu au jour où je rédige ce billet - voir plus bas).

Les commentaires font aussi partie intégrante du blog, sauf à les interdire purement et simplement (par exemple le blog de Pénéloppe Jolicoeur, ou le vénérable Standblog (vénérable bien que je ne comprenne rien à 90% des billets), mais dans ce cas, peut-on se demander, est-ce encore vraiment un blog, ou à les "modérer" selon le terme en vigueur, c'est à dire les valider avant publication (exemple : le blog de Philippe Bilger), ce qui est en fait une véritable censure au sens premier du terme : c'est à dire une autorisation a priori. Cela peut paraître une solution de tranquillité. Ce n'est pas si sûr que ça, vous allez voir.

La première question que nous examinerons est celle de la responsabilité ès qualité de blogueur, c'est à dire de la réglementation applicable à quiconque met son blog en ligne, quel que soit le sujet abordé par icelui, y compris si aucun sujet n'est abordé.

Une fois ce point examiné, nous verrons quelle est la responsabilité en qualité de rédacteur du blog, c'est à dire liée au contenu de ce qui est publié. Peut-on tout dire sur son blog, et si non, quels sont les risques ? (Bon, je ruine le suspens d'entrée : la réponse à la première question est non).

1. : Le statut juridique du blog.

La réponse est dans la LCEN, ou Loi pour la confiance dans l'économie numérique, de son petit nom n°2004-575 du 21 juin 2004, dans son prolixe article 6 (si vous trouviez le Traité établissant une Constitution pour l'Europe  trop longue et incompréhensible, lisez cet article 6 : vous verrez que le législateur français peut faire mille fois mieux).

En substance, la LCEN distingue trois types d'intervenants dans la communication en ligne : le fournisseur d'accès internet (FAI), qui est celui qui permet à une personne physique ou morale d'accéder à internet (Free, Orange, Neuf Telecom, Tele2.fr, Alice, Noos, Numéricable sont des FAI) ; l'hébergeur du service (celui qui possède le serveur où est stocké le site internet) et l'éditeur du site (qui publie, met en forme, gère le site). Alors que le FAI et l'hébergeur sont en principe irresponsables du contenu d'un site (il y a des exceptions, mais c'est hors sujet dans le cadre de ce billet), c'est l'éditeur qui assume cette responsabilité. D'où ma censure (j'assume le terme) de certains commentaires que j'estime diffamatoires, malgré les cris d'orfraie de leur auteur. Si le commentaire est diffamatoire, c'est moi qui encours les poursuites, et je n'ai pas vocation à servir de paratonnerre judiciaire à qui que ce soit.

Exemples : Dans le cas de ce blog, l'hébergeur est la société Typhon.com (sympa, efficaces, compétents et chers : on dirait tout moi). S'agissant du contenu des billets, je suis l'éditeur des billets que je signe, et hébergeur des billets de mes colocataires Dadouche, Gascogne et Fantômette. 

Au moment de la sortie de la LCEN et de mon premier billet sur la question, le fait de savoir si le statut d'hébergeur serait reconnu à l'éditeur d'un site quant au contenu qu'il ne génère pas lui-même se posait. La jurisprudence prend bien cette direction là, et je vais y revenir. Mais vous voyez déjà que modérer a priori les commentaires est à double tranchant :  ce faisant, vous en devenez l'éditeur et êtes directement responsable, et non pas en cas d'inaction comme un hébergeur. Mais n'anticipons pas.

Pour résumer les obligations de tout blogueur, il doit :

-déclarer son identité à son hébergeur ou à son fournisseur d'accès en cas d'hébergement direct par le fournisseur d'accès (c'était le cas quand ce blog s'appelait maitre.eolas.free.fr). Chez les hébergeurs payants, cette formalité est assurée en même temps que la souscription, le paiement par carte bancaire impliquant une vérification du nom associé. Un hébergement gratuit sous un faux nom est désormais un délit. Sanction : 1 an d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende, article 6, III, 1° et VI, 2°. 

-Faire figurer sur le site le nom du responsable, ou en cas de site non professionnel et anonyme (comme celui-ci), la mention de l'hébergeur qui a les coordonnées du responsable, à qui il est possible d'adresser la notification prévue par l'article 6, I, 5° de la LCEN (voir plus bas). C'est la rubrique "mentions légales" ; je vous conseille tout particulièrement celle de ma consoeur Veuve Tarquine, qui est désopilant (bon, pour un juriste). Sanction : 1 an d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende, article 6, III, 1° et VI, 2°.

-Publier gratuitement et sous trois jours à compter de la réception un droit de réponse de toute personne nommée ou désignée dans un billet ou un commentaire, sous la même forme de caractère et de taille, sans que cette réponse ne puisse dépasser la longueur de l'écrit initial (sauf accord de l'éditeur, bien sûr). Dans le cas d'une mise en cause par un commentaire, la personne en question pourra y répondre directement par un commentaire la plupart du temps, bien sûr. Dans le cas d'une mise en cause dans un billet, l'éditeur doit publier le droit de réponse sous forme d'un billet. Sanction : 3.750 euros d'amende, article 6, IV de la LCEN.

2. la responsabilité pénale du blogueur en raison du contenu de son site.

Là, deux problèmes distincts peuvent se poser : la responsabilité civile du blogueur et sa responsabilité disciplinaire. Dans le premier cas, on entre dans le droit pénal de la presse et de l'édition, qui s'applique à internet comme à tout écrit mis à disposition du public, et le droit à l'image et à l'intimité de la vie privée. Dans le deuxième, se pose surtout la problématique du blogueur vis à vis de son employeur, de son école ou de son administration.

  • La responsabilité pénale du blogueur : les délits de presse.

Conseil préliminaire : si vous êtes cité en justice pour des délits de presse, courrez chez un avocat compétent en la matière, et vite.

La loi française a posé par la loi du 29 juillet 1881 le principe que les délits commis par la publication d'un message font l'objet d'un régime procédural dérogatoire, très favorable à la liberté d'expression. Ce régime se résume aux points suivants : 

- les faits se prescrivent par trois mois à compter de la publication, c'est à dire que si les poursuites ne sont pas intentées dans ce délai de trois mois, elles ne peuvent plus l'être. De même, il faut qu'un acte de poursuite non équivoque ait lieu au moins tous les trois mois, sinon, la prescription est acquise.
- les poursuites des délits portant atteinte à l'honneur d'une personne ne peuvent avoir lieu que sur plainte de la personne concernée, et le retrait de la palinte met fin aux poursuites, ce qui n'est pas le cas d'une plainte ordinaire, pour un faux SMS par exemple.
- les actes de poursuites doivent respecter des règles de forme très strictes sanctionnées par leur nullité (or un acte nul n'interrompt pas la prescription, vous voyez la conséquence inéluctable...).
- des moyens de défense spécifiques existent dans certains cas (excuse de vérité des faits, excuse de bonne foi, excuse de provocation)...

Certains écrits sont donc pénalement incriminés en eux même : la liberté d'expression est une liberté fondamentale, certes, mais il n'existe aucune liberté générale et absolue. Rappelons la rédaction de l'article 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen :

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

En l'espèce, la loi qui s'applique est notre loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, avec les adaptations apportées par la LCEN aux spécificités du support informatique. Qu'est-ce qui est interdit, au juste ?

Sont interdits de manière générale l’apologie des crimes contre l’humanité commis par les puissances de l'Axe (n'allez pas approuver la prostitution forcée des femmes coréennes par l'armée impériale japonaise, mais vous pouvez vous réjouir de la famine provoquée par Staline en Ukraine et ses 3 à 7 millions de mort), l’incitation à la haine raciale ainsi que la pornographie enfantine. Tout blogueur a comme n'importe quel éditeur une obligation de surveillance de son site et doit rapporter promptement aux autorités compétentes de telles activités sur son site qui lui seraient signalées. Sanction : un an de prison, 75.000 euros d'amende (article I, 7°, dernier alinéa de la LCEN, article 24 de la loi du 29 juillet 1881). Pensez donc absolument à fermer tous les commentaires et trackbacks quand vous fermez un blog mais laissez les archives en ligne.

Au delà de cette obligation de surveillance, les écrits du blogueur lui même ou des commentaires peuvent lui attirer des ennuis.

  • Les provocations aux infractions.

Outre les faits déjà cités, sont prohibés la provocation à commettre des crimes ou des délits. Si appeler au meurtre ne viendrait pas à l'esprit de mes lecteurs, j'en suis persuadé, pensons aux appels à la détérioration des anti-pubs (affaire "OUVATON").

Sanction : si la provocation est suivie d'effet, vous êtes complice du crime ou délit et passible des mêmes peines. Si la provocation n'est pas suivie d'effet, vous encourez 5 ans de prison et 45.000 euros d'amende si l'infraction à laquelle vous avez provoqué figure dans la liste de l'alinéa 1 de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 (meurtres, viols et agressions sexuelles, vols, extorsions, destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévus par le titre Ier du livre IV du code pénal).

Bon, jusque là, rien de préoccupant, je pense qu'on peut trouver des idées de billet où il ne s'agira pas de nier la Shoah ou appeler au meurtre.

  • Injure, diffamation

Les faits les plus souvent invoqués sont l'injure et la diffamation, définis par l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881. C'est le cas de l'affaire Monputeaux, que j'ai traitée en son temps.

Là, ça se complique. Je vais donc, pour illustrer mes propos, prendre un cobaye en la personne de Laurent Gloaguen dont la bonhomie bretonne ne doit pas faire oublier un tempérament potentiellement tempétueux.

La diffamation, donc, est définie ainsi : toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé. e.g. : "Laurent Gloaguen est un escroc".

L'injure est toute expression outrageante ne contenant l'imputation d'aucun fait. e.g. : "Laurent Gloaguen est un connard".

Tout d'abord, il faut que la personne soit identifiée ou au moins identifiable. Inutile qu'il soit identifiable par des milliers de personnes. Un groupe restreint suffit, du moment qu'il peut subir un préjudice du fait d'être reconnu par ce groupe comme le milieu professionnel dans lequel il évolue (par exemple : un chercheur dénoncé auprès de la direction du CNRS comme étant un terroriste international, mais là j'exagère avec mes exemples : personne ne serait assez stupide et méchant pour oser faire une chose pareille).

Si le blogueur dit "Laurent Gloaguen est un escroc", il n'y a pas de problème, il est clairement identifié. S'il dit "le soi-disant capitaine qui nous inflige ses embruns sur internet est un escroc", il n'est pas nommé, mais reste aisément identifiable. Le blogueur ne peut pas prétendre devant le tribunal qu'en fait, il parlait de quelqu'un d'autre, sauf à expliquer de qui.

Un problème peut apparaître face à des expressions plus ambiguës, du genre "le blogeur influent qui n'aime pas les chatons", ou l'emploi des seules initiales ("Ce crétin de LG...") . Dans ce cas, c'est au plaignant d'apporter la preuve que c'est bien lui qui était visé, les tribunaux allant parfois jusqu'à exiger, pour les cas vraiment ambigus, la preuve que le plaignant a été identifié comme la personne visée par des lecteurs.

Une fois que la personne visée est identifiée, le propos diffamatoire doit lui imputer un fait qui porte atteinte à son honneur ou à sa considération. Le critère jurisprudentiel est simple : le fait diffamatoire doit pouvoir faire l'objet d'une discussion contradictoire et être prouvé. Sinon, c'est une injure.

Dans mon exemple, dire que "Laurent Gloaguen est un escroc" est une diffamation, puisqu'on lui impute un délit, susceptible de preuve, et le fait d'être traité de délinquant porte atteinte à l'honneur ou à la considération.

En cas de poursuite judiciaires, les moyens de défense sont les suivants :

- A tout seigneur tout honneur : la prescription. Aucune poursuite ne peut être intentée pour injure ou diffamation trois mois après la publication. Seule peut interrompre cette prescription un acte de poursuite judiciaire : assignation au civil, citation au pénal, tenue d'une audience où comparaît le plaignant. Concrètement, à Paris, la 17e chambre, spécialisée dans ces domaines, convoque des audiences-relais à moins de trois mois, uniquement pour que la partie civile comparaisse et indique qu'elle maintient les poursuites, jusqu'à la date retenue pour l'audience définitive. Une lettre de mise en demeure, émanât-elle d'un avocat, n'interrompt pas la prescription. La preuve de la date de publication est libre, la jurisprudence recevant comme présomption simple la mention de la date à côté du billet. L'idéal est de recourir au constat d'huissier, car c'est au plaignant de rapporter la preuve, en cas de litige, que la prescription n'est pas acquise. C'est TRES casse gueule : si vous voulez poursuivre quelqu'un pour diffamation, prenez un avocat, vous n'y arriverez pas tout seul.

- Démontrer que le plaignant n'était pas visé par les propos, car seule la personne visée peut déclencher les poursuites ;

- Démontrer que les propos ne sont pas diffamatoires, ou injurieux, voire, et là c'est vicieux, que les propos diffamatoires sont en fait injurieux, ou vice versa, car aucune requalification n'est possible, et on ne peut poursuivre sous les deux qualifications cumulativement.

En effet, imaginons qu'un blogueur traite dans un de ses billets Laurent Gloaguen d'escroc, le 1er janvier (prescription au 1er avril). Laurent Gloaguen fait citer en diffamation ce blogueur le 1er février (interruption de la prescription, elle est reportée au 1er mai, en fait au 2 puisque le 1er est férié). Le tribunal convoque les parties le 1er mars (cette audience interrompt la prescription, le délai de trois mois repart à zéro, et elle est donc reportée au 1er juin), et fixe l'audience de jugement au 1er mai (soit bien avant la prescription, tout va bien). Le 1er mai, le blogueur soulève qu'il ne s'agissait pas d'une accusation d'escroquerie, mais juste d'une moquerie sur le fait qu'en fait, Laurent Gloaguen adorerait les chatons : c'était donc en fait une injure. Or l'injure n'a pas été poursuivie dans le délai de trois mois qui expirait le 1er avril et est donc prescrite Si le tribunal estime que c'était effectivement une injure, le blogueur est relaxé.

Vous comprenez pourquoi il vous faut absolument un avocat ?

- La bonne foi et l'exception de vérité. Ces exceptions (c'est ainsi qu'en droit on appelle un moyen de défense visant au débouté du demandeur) ne s'appliquent qu'aux poursuites pour diffamation. L'exception de vérité est soumise à de strictes conditions de formes (délai de dix jours pour signifier les preuves par huissier à compter de la citation ou de l'assignation) et de domaines (il existe des faits dont la loi interdit de tenter de rapporter la preuve : lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne ; lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années ou lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision). L'exception de bonne foi est plus large dans son domaine, mais la preuve de la bonne foi pèse sur le prévenu. Le prévenu doit, pour en bénéficier, établir, selon la formule jurisprudentielle classique, qu’il poursuivait, en diffusant les propos incriminés, un but légitime exclusif de toute animosité personnelle, qu’il a conservé dans l’expression une suffisante prudence et qu’il avait en sa possession des éléments lui permettant de s’exprimer comme il l’a fait. L'exception de bonne foi permet aux juges d'atténuer la sévérité des règles de la preuve de la vérité des faits si le diffamateur a agi légitimement et avec prudence (par exemple, il a dénoncé un candidat à des élections au sujet de faits graves commis plus de dix ans auparavant mais qui le rendent peu qualifié pour être élu : Cass. crim., 15 févr. 1962).

- L'excuse de provocation.Cette excuse ne s'applique qu'à l'injure contre un particulier. Si celui qui a injurié l'a fait à la suite de provocations (généralement, une injure préalable), le délit n'est pas constitué, celui qui agonit son prochain étant malvenu à être susceptible.

La diffamation et l'injure sont punies d'amendes pouvant aller jusqu'à 12 000 euros. Elles peuvent porter sur une personne, ou sur un corps (ex : la police). Quand elles portent sur  les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l'air, les corps constitués et les administrations publiques, ou à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs parlementaires, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition, l'amende est portée à 45 000 euros.

Constituent des cas à part, plus sévèrement réprimés, les injures et diffamation à caractère racial, ce mot étant utilisé brevitatis causa à la place de l'expression exacte "à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée,ou à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap."
  • Le blogeur et la discipline professionnelle

Voyons  à présent l'hypothèse où aucun délit n'a été commis, mais où une personne exerçant une autorité (supérieur hiérarchique, employeur, professeur) s'émeut de ce que publie le blogueur et s'avise de le sanctionner. Ce qu'un blogueur écrit, que ce soit de chez lui, en dehors des heures qu'il doit consacrer à son activité professionnelle ou scolaire, ou depuis son lieu de travail, peut-il entraîner une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, la révocation ou le renvoi de l'établissement ? 

Beaucoup de blogueurs, croyant à leur impunité, s'y sont frottés à la légère, et s'y sont brûlés les ailes. Les premiers exemples sont venus d'outre atlantique avec par exemple Queenofsky, hôtesse de l'air chez Delta Airlines licenciée pour avoir posté des photos d'elle en uniforme de la compagnie, mais des Français aussi ont eu des mauvaises surprises. Dans le milieu du travail, c'est bien sûr l'affaire Petite Anglaise, dont j'ai déjà parlé. Dans le milieu de la fonction publique, c'est l'affaire Garfieldd. Dans les deux cas, les choses se sont bien terminées pour les blogueurs, très bien même pour Petite Anglaise qui a commencé une carrière d'écrivain. S'agissant des élèves, je me souviens d'avoir entendu parler d'élèves renvoyés de leur établissement pour des propos tenus sur leur blog, mais dont le renvoi a été annulé par le tribunal administratif. je n'ai pas réussi à en retrouver la trace. Si quelqu'un avait des infos, je lui en saurai gré et compléterai ce billet.

Face à la nouveauté du phénomène, autant des blogueurs dépassent les bornes sans forcément en avoir conscience, autant des employeurs prennent des sanctions parfois discutables.

Alors qu'en est-il ? Le principe est que la sphère privée est séparée de la sphère professionnelle (qui inclut la sphère scolaire). Aucun salarié ou élève ne peut en principe être puni pour un comportement qu'il a dans sa vie privée ou en dehors de ses heures de travail ou d'étude.

Certaines professions font exception à cette règle, à commencer par la mienne, et de manière générale tous les fonctionnaires. Mais les membres de ces professions sont généralement bien informés de leurs obligations déontologiques. Ces obligations varient d'ailleurs tellement d'une profession à l'autre que je n'en ferai point le recensement. Le point commun aux fonctionnaires le fameux devoir de réserve (dont le pourtour est assez flou ; disons de manière générale de ne pas donner son opinion personnelle sur le travail qu'il lui est demandé d'effectuer), l'obligation de loyauté, de neutralité, et l'obligation au respect du secret professionnel.

Mais la séparation sphères privée et publique n'est pas parfaitement étanche. Ainsi en est il lorsque le blogueur parle de son travail sur son blog. Là commence le danger. 

S'agissant des fonctionnaires, l'attitude varie totalement d'un ministère à l'autre, à un point tel que cela pose de sérieuses questions en matière d'égalité des droits. Et cela ne s'explique pas par la spécificité des missions : alors que le ministère de l'intérieur fiche une paix royale aux policiers blogueurs, le ministère de l'éducation nationale semble très hostile à l'idée que des enseignants puissent raconter leur métier. En l'espèce, il ne fait aucun doute à mes yeux que c'est le ministère de l'intérieur qui a raison, tant le travail bénévole de ces blogueurs est bénéfique en termes d'image (voyez dans ma blogroll à droite pour quelques exemples de qualité).

S'agissant des salariés, la situation est plus claire.

Juriscom.net rappelle que le principe posé dans un arrêt du 16 décembre 1998 est que le comportement du salarié dans sa vie privé ne justifie pas de sanction disciplinaire, sauf si ce comportement cause un trouble caractérisé dans l'entreprise. Le mot caractérisé est important : ce trouble n'est pas laissé à l'appréciation de l'employeur, qui doit justifier sa décision de sanction fondée sur ce trouble et le cas échéant en apporter la preuve devant le juge si la sanction est contestée. 

Rappelons également que le salarié, qui est lié contractuellement à son employeur, a à l'égard de celui-ci une obligation de loyauté, qui rendrait fautif tout dénigrement et critique virulente publics même en dehors des heures de travail. 

L'affaire Petite Anglaise a conduit le Conseil de prud'hommes de Paris à rendre une décision posant clairement le cadre de la compatibilité du blogage et du travail. Cela reste un jugement, car il n'a pas été frappé d'appel, mais je pense que les principes qu'il pose auraient été confirmés en appel et quela cour de cassation n'y aurait rien trouvé à redire. Pour mémoire, cette décision considère qu'un salarié peut parler de son travail sur son blog, même en termes critiques, à la condition que son employeur ne soit pas identifiable. A contrario, on peut en déduire que s'il l'était, le Conseil pourrait considérer qu'il y a une cause réelle et sérieuse, si les propos nuisent à l'entreprise, notamment en étant diffamatoires ou injurieux.

Il peut de même bloguer depuis son poste de travail avec le matériel de l'entreprise s'il ne nuit pas à l'employeur en ce faisant : c'est à dire sans le faire passer avant son travail, et dans le respect du règlement intérieur. Donc : sur ses temps de pause, ou dans les phases d'inactivité.

Pour en savoir plus, mon confrère Stéphane Boudin a abordé ce sujet en profondeur

Enfin, rappelons un point essentiel : un licenciement, même qualifié d'abusif par le Conseil des prud'hommes, reste définitif. Donc si votre employeur vous vire à cause de votre blog bien que vous n'ayez jamais franchi les limites de la légalité, vous recevrez une indemnité, mais vous resterez chômeur. Soyez donc très prudents et tournez sept fois votre souris dans votre main avant de poster. Les fonctionnaires sont mieux lotis car une révocation annulée implique la réintégration immédiate du fonctionnaire. Enfin, immédiate... le temps que le tribunal administratif statue, ce qui est de plus en plus long (comptez facilement deux ans pour un jugement).

  • Blog et vie privée

Dernier terrain sensible : la question de la vie privée. L'article 9 du code civil pose le principe du droit de chacun au respect de sa vie privée et donne au juge des référés le pouvoir de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à une telle violation. Il en va de même de son droit à l'image, c'est à dire la diffusion d'un portrait de lui pris sans son consentement. Il faut bien comprendre ce qu'on entend par vie privée : la jurisprudence parle même de l'intimité de la vie privée. Il s'agit donc d'aspects que la personne n'a jamais voulu voir divulgués portant sur la sphère privée : les sphère professionnelles et publiques (pour ceux qui font profession d'être connus, comme les acteurs et les hommes politiques) sont donc exclues. 

Cela recouvre la vie de famille (relations sentimentales, enfants), la vie sexuelle (moeurs, orientation sexuelle), etc... Ne parlez pas de la vie privée d'une personne dénommée ou aisément identifiable (mêmes règles que pour la diffamation) sans son autorisation, fût-ce un membre de l'étrange tribu des "pipoles" dont la vie privée est censée passionner jusqu'au dernier occupant des salles d'attente et salons de  coiffure de l'hexagone. Ne diffusez pas non plus son image, ni le son de sa voix sans son autorisation. Le fait qu'une personne se rende dans un lieu public peut faire présumer son acceptation d'être prise en photo (sauf s'il esquive votre flash, auquel cas il ne vous reste qu'à ne pas insister) mais certainement pas que cette photo soit diffusée sur internet. Cette simple diffusion est en soi un préjudice réparable, sans  qu'il soit besoin de démontrer un préjudice, et les sommes allouées sont assez élevées si lapersonne a une certaine notoriété.  Je précise que capter l'image d'une personne dans un lieu privé ou la voix de quelqu'un parlant à titre privé ou confidentiel sans son consentement est un délit pénal.

Un mot d'explication pour comprendre. Une évolution récente de la société a créé une nouvelle sorte d'aristocratie, les gens ayant une certaine notoriété. Les ragots les concernant sont affublés de mots anglais pour devenir du dernier chic, et les news people se vendent fort bien. Mais c'est un biotope économique délicat, et qui réagit violemment aux incursions de parasites espérant entrer dans ce monde sans mettre la main à la poche. Car être people, c'est un métier. En Espagne, par exemple, c'est une vraie profession. De nombreux magazines relatent leurs aventures, avec la complaisance d'iceux, et même la télévision publique consacre des émissions sur le sujet (ce qui explique aussi sans doute que la radio-télévision publique espagnole fasse des bénéfices). En France, on est plus hypocrite. Des journaux faisant fonds de commerce de publier des images et des articles sans leur consentement sont condamnés à payer des dommages-intérêts qui constituent une rémunération non imposable. Bref, les peoples vivent de leur état. Donc tenter de profiter de l'intérêt (comprendre de l'audience) que cela génère sans être prêt à payer l'octroi amènera à des mauvaises surprises.

Et la jurisprudence est plutôt favorables auxdits peoples, comme le montre l'affaire Lespipoles.com. Ce site est principalement un amas de publicités et une agrégation de liens vers des sites de journaux se consacrant à ce noble sujet. Or un jour, un de ces liens reprenait une nouvelle publiée par un journal réputé en matière de cancans qui annonçait que tel réalisateur français récemment honoré outre-atlantique roucoulerait avec une actrice devenue célèbre en croisant les jambes à l'écran. Ledit réalisateur a poursuivi en référé le site (en fait le titulaire du nom de domaine) pour atteinte à sa vie privée. L'intéressé s'est défendu en faisant valoir qu'il n'avait pas lui même mis en ligne l'information, puisqu'elle n'était apparue qu'en tant que figurant dans le fil RSS du journal. Bref, vous aurez compris, qu'il n'était qu'hébergeur et non éditeur de l'information litigieuse. Le juge des référés de Nanterre a rejeté cet argument en estimant que la partie défenderesse avait bien, en s’abonnant audit flux et en l’agençant selon une disposition précise et préétablie, la qualité d’éditeur et devait en assumer les responsabilités, et ce à raison des informations qui figurent sur son propre site. 

Cette décision a un autre enseignement : c'est l'importance des mentions légales. Dans cette affaire, c'est la personne physique ayant enregistré le nom de domaine qui  a été poursuivie et condamnée car le site ne mentionnait pas le nom de la société commerciale qui l'exploitait et qui était la véritable responsable. En revanche, quand ces mentions existent, les poursuites contre le titulaire du nom de domaine sont irrecevables : c'est l'affaire Wikio, par le même juge des référés (le même magistrat s'entend), et accessoirement le même demandeur.

C'est sur cette jurisprudence que se fonde l'affaire Olivier Martinez, du nom de l'acteur qui a décidé de poursuivre toute une série de sites ayant relayé une information sur une relation sentimentale réelle ou supposée. Je ne jurerai pas que le rapprochement chronologique des deux affaires soit purement fortuit.

Pour le moment, il est trop tôt pour dire si ces décisions auront une grande portée ou seront contredites par l'évolution de la jurisprudence.

  • Blog et contrefaçon.
Dernier point pour conclure ce billet : celui de la contrefaçon. La contrefaçon est à la propriété intellectuelle et artistique ce que le vol est à la propriété corporelle : une atteinte illégitime. Et elle est d'une facilité déconcertante sur internet. Un simple copier coller, voire un hotlink sur le cache de Google pour économiser la bande passante. La contrefaçon peut concerner deux hypothèses : la contrefaon d'une oeuvre (on parle de propriété littéraire et artistique, même si un logiciel est assimilé à une oeuvre) ou la contrefaçon d'une marque ou d'un logo (on parle de propriété industrielle) consiste en la reproduction ou la représentation d'une oeuvre de l'esprit ou d'une marque sans l'autorisation de celui qui est titulaire des droits d'auteur, que ce soit l'auteur lui-même ou un ayant droit (ses héritiers, une société de gestion collective des droits du type de la SACEM...). La reproduction est une copie de l'oeuvre, une représentation est une exposition au public. L'informatique fait que la plupart du temps, la contrefaçon sera une reproduction.

Le régime diffère selon  qu'il s'agit d'une oeuvre ou d'une marque.

- Pour une oeuvre, la protection ne nécessite aucune démarche préalable de dépôt légal de l'oeuvre. L'acte de création entraîne la protection. Et la simple reproduction constitue la contrefaçon. Par exemple, copier ce billet et le publier intégralement sur votre blog serait une contrefaçon, même via le flux RSS. De même, utiliser une image d'une graphiste comme Cali Rézo ou Pénéloppe Jolicoeur sans son autorisation est une contrefaçon. Et la contrefaçon est un délit, passible de 3 années de prison et jusqu'à 300 000 euros d'amende. Outre les dommages-intérêts à l'auteur. Et la prescription de trois mois ne s'applique pas ici : elle est de trois ans. Il ne s'agit pas d'un délit de presse, qui ne concerne que les oeuvres que vous publiez, pas celles que vous pompez.

Cependant, il existe des exceptions : la loi (article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle) permet d'utiliser une oeuvre divulguée, et ce sans l'autorisation de l'auteur, soit pour votre usage strictement privé (i.e. sauvegarde sur votre disque dur) mais sans la diffuser à votre tour, ou en cas de publication, en respectant l'obligation de nommer son auteur et les références de l'oeuvre, dans les hypothèses suivantes : les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées (en clair, si quelqu'un veut critiquer un de mes billets, il peut sans me demander mon avis citer les passages clefs qui lui semblent démontrer l'inanité de mon propos) ;  les revues de presse ; la diffusion, même intégrale, à titre d'information d'actualité, des discours destinés au public prononcés dans les assemblées politiques, administratives, judiciaires ou académiques, ainsi que dans les réunions publiques d'ordre politique et les cérémonies officielles ;  la parodie et le pastiche en respectant les lois du genre, et la reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d'une oeuvre d'art graphique, plastique ou architecturale, dans un but exclusif d'information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d'indiquer clairement le nom de l'auteur.

Par contre, piquer un dessin ou une photo trouvée sur Google qui vous plaît parce qu'elle illustre bien votre article qui n'a rien à voir avec l'oeuvre risque fort de vous attirer des ennuis, surtout si l'oeuvre est celle d'un professionnel. Il existe de nombreux répertoires d'images et photos libres de droits ou mises à votre disposition gratuitement sous réserve que vous respectiez certaines conditions dans l'usage : ce sont les oeuvres en partage, ou Creative Commons en bon français.

- Pour une marque, la logique est différente, car c'est l'intérêt économique du titulaire de la marque qui est défendu. La loi le protège d'agissements parasites de concurrents qui voudraient utiliser un élément distinctif pour vendre leur produit. En effet, faire de telle marque, telle couleur, tel logo un signe distinctif dans l'esprit du public est un travail de longue haleine, et très coûteux. Il est légitime que celui qui aura déployé tous ces moyens puisse s'assurer le monopole des bénéfices à en tirer. La marque Nike par exemple, dans les magasins qu'elle ouvre, se contente de mettre sa célèbre virgule comme seule enseigne. Songez aussi tout ce que représente pour les informaticiens la petite pomme grise et croquée. La protection de la marque suppose toutefois au préalable le dépôt de cette marque auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle, dépôt qui précisera les types de produits sur lesquels il porte (on parle de classes de produits, en voici la liste). D'où l'expression de "marque déposée". Dans les pays Anglo-Saxons, l'usage est d'apposer après une telle marque un ® qui signfie registered, "enregistré".

La loi interdit, sauf autorisation de l'auteur : la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, même avec l'adjonction de mots tels que : "formule, façon, système, imitation, genre, méthode" (Exemple : "le blog façon Techcrunch", Techcrunch étant une marque déposée au niveau européen), ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement ; la suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée. De même, la loi interdit, mais uniquement s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public : la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ; ainsi que l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement. (Code de la propriété intellectuelle, articles L.713-2 et L.713-4).

Mes lecteurs se souviendront qu'une marque peut être une simple couleur, avec l'affaire Milka, qui ne concerne pas un blogueur mais un nom de domaine, donc n'est pas totalement étranger à nos interrogations. En ce qui concerne votre humble serviteur, Eolas est une marque déposée... mais pas par moi. Je suppose qu'elle appartient à la société Business & Decision Interactive Eolas, qui m'a toujours fichu une paix royale quant à l'usage de mon pseudonyme puisqu'il n'y a aucun risque de confusion quand bien même je sévis moi aussi sur l'internet. Nous vivons donc en bons voisins. Enfin, je suppose : je n'ai jamais eu de contact avec eux, je déduis de leur silence une intelligente bienveillance.

Voici dressé un  panorama que je n'aurai pas l'audace de prétendre exhaustif des limites fixées par la loi que doit respecter un blogueur. Vous voyez que les espaces de liberté sont encore vastes.

Cependant, il peut arriver que des fâcheux estiment que ceux-ci sont encore trop vastes, et que parler d'eux en des termes qui ne soient pas dythirambiques relève du crime de Lèse Majesté. Et parfois, le blogueur reçoit un e-mail ou mieux, une lettre recommandée particulièrement comminatoire rédigée par un de mes confrères. Et je dois le reconnaître, bien que cela me coûte, pas toujours à très bon escient, voire parfois à un escient franchement mauvais. Et j'ai trop de respect pour ma profession pour me rendre complice par inaction de cette pratique hélas de plus en plus répandue et qui prend des libertés avec la loi et avec la déontologie. Un guide de survie s'impose.

Ce sera l'objet du deuxième billet qui fera suite à celui-ci : que faire en cas de mise en demeure ?

lundi 17 mars 2008

Glasnost

Par Dadouche



Depuis quelques jours, les petites souris des tribunaux (il paraît qu'à Bobigny ce sont de gros rats) entendent à tout bout de champ parler de "transparence".

Interrogatif : « est-ce que la transparence est sortie ? »
Faussement détaché : « Des nouvelles de la transparence ? »
Aigri : « Ils se sont endormis sur la transparence ou quoi ? »
Prétentieux : "j'ai eu des infos, il paraît que la transparence est pour demain"

Non, il ne s'agit pas d'allusions à la maigreur diaphane de la Princesse aux Petits Pois (dont on se demande comment elle va tenir le coup entre la mairie et le ministère si elle ne passe pas de toute urgence à 3000 calories par jour).

LA Transparence, comme l'équinoxe ou les soldes, revient deux fois par an (parfois plus, mais ce sont de mini transparences). C'est le projet de mutations de magistrats proposé par la Chancellerie, ensuite soumis à l'avis du Conseil Supérieur de la Magistrature, pour aboutir à des nominations par décret du Président de la République. Pour plus de références textuelles, voir notamment ici et

Elle concerne toutes les nominations de magistrats à l'exception des postes relevant du pouvoir de proposition du CSM (Premier Président de la Cour de cassation, Premier Président de Cour d'appel, président de TGI, conseiller et conseiller référendaire à la Cour de cassation) ou pourvus en Conseil des ministres (Procureur Général près la Cour de cassation, Procureur Général près d'une Cour d'appel).

Rappelons que pour les magistrats du siège l'avis du CSM doit être conforme. C'est à dire que si le CSM émet un avis non conforme, la nomination ne peut avoir lieu.
Pour les magistrats du Parquet, l'avis du CSM ne lie pas la Chancellerie, qui peut donc « passer outre » un avis défavorable.
On a ainsi pu récemment observer des mutations en plusieurs temps :
1 - proposition de nomination à un poste du siège (au hasard, président de chambre à la cour d'appel de Paris) sur la transparence de printemps (parue en mars pour nomination en septembre)
2 - avis non conforme
3 - proposition de nomination à un poste du parquet d'un niveau équivalent (au hasard, avocat général à la cour d'appel de Paris) sur la transparence d'hiver (parue en novembre ou décembre pour nomination en février)
4 - avis défavorable
5 - nomination « passant outre » l'avis défavorable.

Rappelons également que les magistrats du siège sont inamovibles. Ceux du Parquet un peu moins (surtout les Procureurs Généraux). Les magistrats du siège ne peuvent donc être nommés sans leur consentement à une affectation nouvelle, même en avancement.

Plusieurs mois avant la date prévue, les magistrats qui souhaitent une mutation s'entraînent au Loto en cochant des cases sur un formulaire recensant pour chaque grade tous les postes existants (juge d'instance à Mont de Marsan, juge d'instruction à Saint Nazaire, substitut du procureur général à Bourges, conseiller à la cour d'appel de Versailles, etc...).
Compte tenu du fait que certains magistrats s'obstinent encore et toujours à avoir une vie privée, un petit espace est prévu pour préciser si la demande de mutation est liée à celle d'un autre magistrat voire pour écrire en tout petit quelle raison impérieuse vous pousse à vouloir être absolument nommé au TGI de Framboisy. Certains poussent l'audace jusqu'à faire un courrier d'accompagnement développant les raisons de leur choix.

Puisque tout le monde fait ses demandes en même temps, il n'y a par hypothèse aucune information sur les postes susceptibles de se libérer, sauf celles glanées ça et là auprès de copains d'autres juridictions.
Chacun à sa méthode : juste les postes dont on a envie, juste ceux dont on a besoin, juste ceux sur lesquels on pense avoir une chance en fonction des précédentes transparences détaillées (pour ce terme, voir plus bas), au pif, le plus possible pour en avoir au moins un, le moins possible pour être sûr de ne pas avoir celui sur lequel on sera le seul postulant parce que personne ne veut y aller. C'est selon le degré d'optimisme, de rationalité ou de désespoir de chacun.

Quand tout le monde a transmis sa grille dûment cochée en espérant décrocher le gros lot, une opération mystérieuse commence au bureau des mouvements de la Chancellerie : l'élaboration de la transparence.

Les fantasmes les plus fous circulent sur les techniques employées : un logiciel malveillant qui devine précisément quel était votre dernier choix et vous l'attribue, la technique ancestrale de l'escalier (on jette tout sur les marches et on prend en premier ce qui surnage), un copinage éhonté (j'ai été en poste avec quelqu'un qui est de la même promo que l'ancienne voisine de bureau de la sous chef du bureau des mouvements).
En réalité, c'est plus vraisemblablement un travail de bénédictin pour arriver à élaborer une réaction en chaîne qui peut avoir des conséquences d'amplitude nucléaire.
Illustration :
Si Gascogne décide de rejoindre Paris pour ergoter à loisir avec Eolas sur les grandeurs et décadences de la garde à vue, il va bien falloir nommer quelqu'un sur son poste. Coup de bol, Lincoln est candidat. Oui mais Lincoln est au Parquet. Et il n'y a plus des masses de candidats au Parquet. Si on nomme Lincoln, on va mettre qui à sa place ? Probablement un auditeur de justice sortant de l'ENM. Problème, Lulu a aussi demandé le poste de Gascogne, et elle a plus d'ancienneté que Lincoln. Et elle, son poste a été demandé par plusieurs personnes. Donc on va mettre Lulu. Mais comment choisir celui qui va la remplacer ? Sont en lice Lincoln, Dadouche et Parquetier. Problème : ils sont tous de la même promo. Comment on choisit ? Parquetier a demandé 75 postes dans toute la France, dont certains vacants sur lesquels il est le seul candidat (juge d'instance à Rocroi, il faut vraiment vouloir quitter le Parquet à tout prix...) On va pas gâcher quand même. Donc, une fois Parquetier expédié à Rocroi, restent deux candidats. Lincoln a précisé dans sa demande qu'il cherche à se rapprocher à moins de 100 kilomètres de sa douce pour avoir enfin l'espoir de partager avec elle autre chose que des week-ends SNCF. Dadouche ne fait pas état de telles contraintes. Exit Dadouche, qui garde une chance sur d'autres postes.

Quand on sait qu'une transparence peut comporter 8 à 900 mouvements, soit 10 % du corps, sur des postes dont certains suscitent plusieurs dizaines de candidatures et d'autres presque aucune, on réalise le casse-tête que ça peut être.

Après beaucoup de rendez-vous sollicités par des magistrats avides de mobilité, de coups de téléphone fiévreux d'autres tout aussi avides mais moins courageux qui veulent savoir en quelle position ils sont pour tel poste, d'instructions venues d'en haut pour faciliter telle ou telle nomination et une quantité respectable de paracétamol, le mouvement est prêt.

Sauf que. Il doit être approuvé par les plus hautes instances du Ministère (voire plus haut pour certains postes sensibles). Donc on attend, on réajuste, on fignole, on rechange tout.

Enfin, la transparence est prête. Généralement avec une semaine à un mois de retard sur la date prévue. Dans les juridictions, la pression monte. Les tasses de café volent. Les petits livres rouges sont déchiquetés. On attend.

Ceux qui espèrent bouger consultent intranet toutes les trois minutes.
A peu près tous les abonnés de Thémis, la liste de discussion professionnelle, vérifient leurs mails quinze fois par jour.
Jusqu'à ce qu'Elle tombe.
Et là tout s'arrête. On appelle ceux qu'on connaît qui sont dessus. On la regarde d'un oeil distrait parce qu'on a rien demandé. On la scrute pour calculer avec combien de postes vacants la juridiction va se retrouver. On prend des nouvelles des copains de promo perdus de vue (tiens, Michel et Isabelle partent l'un en Bretagne, l'autre outre-mer, il y a du divorce dans l'air). Ou on s'en fout.

Et puis on attend la transparence détaillée. Celle qui comporte non seulement la liste des nominations projetées, mais aussi la liste de toutes les candidatures, par ordre d'ancienneté, pour chaque poste.
Les rumeurs ancestrales chuchotent que c'est de là que vient le terme de transparence : c'est la transparence des candidatures.

Pour les déçus, c'est l'heure des calculs. Recours ou pas recours ? Telle est la question.
Chaque magistrat peut en effet faire des observations qui sont transmises au Conseil Supérieur de la Magistrature. En général, c'est pour faire valoir qu'on méritait (ou nécessitait) plus que le petit camarade d'être nommé à ce poste précis.

Le recours est une arme à double tranchant : le Conseil, convaincu par les observations, peut rendre un avis défavorable ou non conforme, mais il n'a pas de pouvoir de substitution. C'est à dire qu'il ne peut pas proposer en lieu et place la nomination de l'observant.
Résultat, le partant ne part plus, alors que son remplaçant arrive, et que celui qu'il devait remplacer, lui, s'en va. C'est le bordel. On imagine l'accueil réservé quelques mois plus tard à l'observant qui aura finalement réussi à se faire nommer sur un poste resté vacant à cause de lui par les collègues qui se seront répartis le boulot...

Et l'attente recommence, avec son cortège de dilemmes cornéliens (avertir ou pas les enfants qu'on va déménager ? le conjoint doit-il commencer tout de suite à prospecter pour un nouveau boulot ? faut-il s'inscrire tout de suite au stage de changement de fonctions du mois de juin ? Est-ce qu'on pourra écluser les piles avant de partir ? Le pot de départ, je le fais avant ou après l'avis du CSM ? A partir de quand je peux décemment appeler mon presque prédécesseur pour me renseigner sur le service qu'il a ? est-ce que les collègues vont accepter que je pose mes vacances en août ?)

D'abord, on attend l'avis du CSM, qui a plein de boulot et doit examiner tous les dossiers des proposés (et en principe des observants).

Ensuite, on attend le décret, qui peut seul officialiser la nomination. Et ça peut prendre longtemps, très longtemps.

Voyons l'exemple du calendrier de la transparence pour une prise de poste en septembre 2007 : date limite des candidatures mi-novembre 2006, transparence le 1er mars 2007, avis du CSM le 22 juin, décret de nomination le 18 juillet.

A l'heure qu'il est, on attend toujours celle qui devait « tomber » le 15 mars au plus tard promis juré craché.

C'était le billet nécessaire du professeur Dadouche dans la rubrique : c'est quoi la vraie vie d'un magistrat ?.
De prochaines leçons porteront sur la technique du découpage de post-it en huit, les joies de l'assemblée générale et la variabilité selon les fonctions du concept de « service allégé ».
Et bientôt, une réflexion sur l'influence de la composition du CSM sur l'indépendance de la magistrature compte tenu de son pouvoir en matière de nomination.


Dernière minute : Ca y est, ELLE est tombée pendant ma quinzième relecture anti-faute de frappe.

Mes félicitations à tous ceux qui y figurent. Ma sympathie à ceux qui espéraient y figurer.

Et dédicace spéciale à celui qui passe du côté obscur de la Force...

jeudi 13 mars 2008

Une vie

Par Gascogne


Geneviève a 57 ans. A peu de choses près, elle a l'âge de ma mère.

Elle est mariée, son homme est fonctionnaire d'Etat. Les revenus ne sont pas mirobolants, et les fins de mois sont souvent difficiles. Mais qui sait se limiter n'est jamais déçu.

Geneviève a quatre grands enfants, de deux pères différents. Comme beaucoup, elle a connu un divorce et un remariage. Ses enfants ont plutôt bien réussi dans la vie, deux d'entre eux ont fait des études supérieures. Je sais bien qu'il ne faut jamais, au grand jamais, succomber aux charmes de l'empathie, lorsque l'on est juge, mais je me dis que cette famille pourrait parfaitement être la mienne.

Elle a une très bonne copine, Christine, qu'elle connaît depuis plus de dix ans. C'est sa meilleure amie. C'est sa seule véritable amie. Philippe, le mari de Geneviève, l'aime bien, Christine.

Mais pourquoi vous parler de cette bucolique petite famille ?

Parce que j'ai fait placer Geneviève, Philippe et Christine en garde à vue hier. Les chefs de poursuite sont "aide, assistance et protection de la prostitution d'autrui" et "partage des produits de la prostitution".

Christine vend son corps depuis l'âge de 29 ans. Elle en a 51 aujourd'hui. Geneviève a toujours dit à son mari qu'elle travaillait dans un salon de massage. Et son mari l'a toujours cru, ou a fait mine de le croire.

Les revenus sont en baisse depuis quelques années, et on comprend que ce n'est pas la crise économique qui est en cause. Mais vous savez quoi ? Geneviève est fière...Oh, pas de se prostituer, ça non. Encore moins de s'en expliquer devant des officiers de police judiciaire, sur ordre d'un juge d'instruction. Elle se doutait bien que ce jour arriverait, mais quand il est là, c'est difficile. Non, Geneviève est fière d'avoir pu payer leurs études à ses enfants, et qu'ils ne s'en soient pas trop mal sortis.

Et elle est fière de son mari, qui l'aime malgré tout.

Elle dit qu'elle va arrêter, que maintenant ça suffit.

Pour Christine, la situation est plus complexe. Elle n'a jamais rien fait d'autre dans sa vie. Et elle est seule, immensément seule. Elle le dit clairement, si elle sort, elle recommencera.

Je viens de raccrocher mon téléphone. Les enquêteurs m'ont fait leur rapport. Je lève les gardes à vue. Je lirai le dossier tranquillement au retour de la commission rogatoire. L'infraction ne me semble pas tenir : la prostitution n'est pas interdite en France, seul le proxénétisme l'est, et je ne suis pas certain que les critères, tant légaux que jurisprudentiels, soient réunis en l'espèce. Je laisse Geneviève et sa copine retourner à leurs activités, à l'heure où d'autres de leur âge ont des journées plus banales.

Je m'en retourne moi-même à mon quotidien. Un autre fax de garde à vue vient de tomber. Une nouvelle histoire d'humanité.

Je ne suis même pas sûr que Maupassant en aurait fait une histoire. La vie de Jeanne était finalement bien plus triste. Mais au moins, c'était un roman...

mardi 11 mars 2008

Vous avez du courrier

Histoire de détendre un peu l'ambiance après la foire d'empoigne sous mon précédent billet, voici un courrier que j'ai reçu hier dans ma boîte e-mail.

Je tenais à vous le faire partager. Ainsi que ma réponse.


Cher Maître,

Journaliste pour l'émission people décalée Paparanews produite par Cauet et diffusée à partir d'avril sur Virgin 17, j'aimerais beaucoup vous interviewer en tant qu'expert juridique sur le sujet des « peoples qui ne portent pas de culotte ».

Les questions tourneront autour des peines qu'on encourt éventuellement à se balader sans culotte, est-ce que l'on peut considérer cette pratique comme de l'exhibitionnisme ? etc.

Le reportage fera également appel à d’autres experts (gynécologue, journaliste people…) qui nous parleront des éventuels risques sanitaires encourus par cette pratique ainsi que les raisons qui poussent certains peoples à sortir sans culotte.

Vous trouverez ci-dessous un pitch de l’émission pour vous donner une idée du style du programme.

Par conséquent, j’aimerais beaucoup, si vous en êtes d’accord, m’entretenir au téléphone avec vous en vue de préparer la future interview qui pourrait avoir lieu jeudi 13 avril à votre convenance.

Dans l’attente de votre réponse et vous en remerciant par avance,

Cordialement,

Sandrine B.

Tel : ...

Journaliste BeAware - Paparanews

Paparanews

Le pitch

Plus loin, plus drôle, plus cash, plus trash, telle est la promesse de Paparanews, le seul magazine d’information people réalisé en deux versions :

Une version soft, interdite au moins de 10 ans, pour la journée.

Une version hot, interdite au moins de 16 ans, pour la nuit.

Présenté sous la forme d’un JT incarné par une animatrice, venue d’un autre monde, Paparanews revisite l’actualité people de façon décalée et franchement hors normes

Paris Hilton est-elle une vraie salope ?

Y a-t-il des risques sanitaires liés au fait que les people ne portent pas de culottes ?

Pourquoi n’a-t-on pas de Britney Spears en France?...

Peut-on devenir people rien qu’en montrant ses fesses ?

Des questions essentielles auxquelles Paparanews s’efforcera de répondre avec la rigueur et le sérieux que les téléspectateurs de Virgin17 sont en droit d’attendre.


Chère Sandrine,

C'est avec une certaine fierté que j'ai lu votre courrier m'apprenant que ma réputation n'était plus à faire en tant qu'expert juridique sur le sujet des « peoples qui ne portent pas de culotte ». Je savais qu'en prenant ce sujet audacieux pour mon mémoire de DEA, et ce malgré les réserves de mes professeurs d'alors sur la modestie de l'apport doctrinal prévisible, je m'attelais à un problème juridique essentiel pour les générations postérieures et que cela m'ouvrirait les portes des rédactions les plus prestigieuses. J'en ai à présent la confirmation.

C'est donc avec plaisir que j'aurais été, littéralement, pendu à vos lèvres sur ce thème que je qualifierai de fondamental, à tout point de vue. Je pense avoir d'ailleurs des théories que je me permettrais de qualifier d'originales, voire d'iconoclaste, sur la question de "Paris Hilton est-elle une vraie salope ?" que j'aurais été ravi de faire partager à mes concitoyens au milieu d'un aréopage d'experts au moins aussi renommés que moi.

Malheureusement, vous avez eu la louable prudence de m'avertir que ces questions allaient être traitées avec "rigueur" et "sérieux". Et vous avez raison, ce sont des sujets qui ne méritent ni l'amateurisme, ni l'approximation. Et là, je suis contraint à décliner votre offre. Clairement, je redoute trop de ne pas, comment dire ? Être à la hauteur de l'émission. Voilà. Le mot clef est celui-là. Hauteur.

Notamment, sur la question de "Peut-on devenir people rien qu’en montrant ses fesses ?", je ne saurais rivaliser avec l'expertise de votre patron.

Ce n'est donc que ma lâcheté qui m'oblige, le cœur en lambeaux, à décliner. Et en plus, je dois vous avouer que je ne vous mentirais si je vous promettais que je regarderai votre émission.

En tout cas, je vous félicite de porter haut le flambeau du métier de journaliste. Vous devez être fière de vous.

Quant à moi, je suis et demeure à jamais

Votre très humble et très dévoué serviteur.

Eolas.

Pas indispensable

Ce n'est pas facile d'être juge administratif dans le cadre des recours en droit des étrangers.

Le préfet du département (à Paris, le préfet de police) a un large pouvoir d'appréciation quand il décide d'accorder ou non un titre de séjour, ou de prendre ou non une mesure d'éloignement forcée. Or plus l'administration a un large pouvoir d'appréciation, moins le juge en a un. Ce n'est en effet pas au juge de se substituer au préfet. Il limite son contrôle à la pure légalité de l'acte, c'est à dire si les formes ont été respectées (l'acte doit être motivé, signé par une personne ayant pouvoir de le faire, etc...) et si sur le fond, l'étranger ne se trouvait pas dans une situation ou en réalité le préfet n'avait pas d'autre choix que de le régulariser.

Et ces situations sont rares. De plus en plus rares au fil des lois en la matière, qui se succèdent à un rythme effréné : les dernières grandes réformes, qui ont bouleversé des pans entiers du droit ont la matière, résultent des lois des 27 novembre 2003, 24 juillet 2006, et 27 novembre 2007.

Le dernier bastion du contrôle un peu plus poussé du juge, c'est le droit à mener une vie privée et familiale normale, garanti par l'article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, adoptées dans le cadre du Conseil de l'Europe, qui soit dit en passant n'a rien à voir avec l'Union Européenne (la Russie, la Suisse et la Turquie font partie du Conseil de l'Europe, et depuis longtemps).

Cet article interdit en toutes matières à un État de porter une atteinte disproportionnée à la vie privée d'un individu ; et cette ingérence doit être prévue par la loi, constituer une mesure qui, dans une société démocratique, être nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Procéder à l'éloignement forcé d'un étranger porte forcément atteinte à sa vie privée, puisqu'il est chassé de l'endroit où il vit. Mais cette atteinte (qui est bien prévue par la loi, en l'occurrence l'article L.511-1 du CESEDA) n'est pas forcément en soi disproportionnée. Vous voyez donc qu'ici, un vrai débat peut s'engager avec le juge administratif, puisque nous sommes dans un contrôle de proportionnalité de la mesure, qui permet au juge de substituer son appréciation à celle du préfet.

La jurisprudence encadre toutefois strictement ce contrôle. Il faut que l'atteinte soit manifestement disproportionnée. Si elle ne l'est pas, le juge doit l'accepter, en rejetant le recours présenté par l'étranger contre la décision du préfet.

Et le juge administratif est légaliste à l'extrême. Le cœur reste au vestiaire, seule la loi a droit de cité dans la salle des délibérés.

Malgré tout, je pense que certaines décisions doivent être difficiles à prendre.

Le 29 juin dernier, la Cour administrative d'appel de Lyon a ainsi validé l'éloignement d'un ressortissant croate qui avait fait l'objet, le 10 mars 2005, d'une interdiction du territoire de trois ans (il s'agit d'une peine prononcée par un tribunal correctionnel : l'étranger en question avait donc commis un délit, mais ce n'est pas ce qui motivait la décision de reconduite à la frontière du préfet de l'Ain). Le requérant, âgé de dix-neuf ans, était entré irrégulièrement en France le 27 juillet 2006, pour y rejoindre son fils, âgé de deux ans, hospitalisé pour une leucémie.

La cour a jugé que si l'état de santé du jeune enfant nécessitait la poursuite de son traitement en milieu hospitalier en France, et qu'il était établi que son père venait souvent à son chevet, alors que la mère de l'enfant étant incarcérée en Espagne, et qu'aucun autre membre de la famille de l'enfant ne résidait en France, il était néanmoins licite pour le préfet de l'Ain d'ordonner la reconduite à la frontière du père de cet enfant, car, je cite : « ladite présence ne revêt pas un caractère indispensable ».

C'est vrai.

Pour qu'un enfant de deux ans meure, il n'est « pas indispensable » que son père, sa seule famille en France, soit là pour lui tenir la main.

C'est en France.

C'est en 2007.


Le texte de la décision.

vendredi 7 mars 2008

L'affaire Note2Be : l'ordonnance de référé

Plusieurs lecteurs, enseignant pour une bonne part, m'ont fait part de leur préoccupation à l'égard de l'apparition d'un site, note2be.com, exploité par la SARL NOTE2BE.COM, dont l'objet était de proposer aux élèves de noter leurs professeurs et leurs établissements.

Il suffisait pour cela à l'internaute de s'inscrire, d'indiquer dans quel établissement il était, de donner le nom du ou des professeurs qu'il souhaitait noter, et devait fournir une appréciation chiffrée sur six critères (Intéressant, clair, disponible, équitable, respecté et motivé), dont la combinaison aboutissait à une note sur 20, la même échelle donc que la notation des devoirs des élèves.

La préoccupation de mes lecteurs était partagée, puisque 15 enseignants et deux syndicats professionnels ont saisi le juge des référés de Paris afin de lui demander d'ordonner la suppression de toute mention nominative du site et la suppression du fichier informatique stockant ces données.

Il est à noter que trois de ces enseignants n'étant pas cités sur le site, leur demande sera déclarée irrecevable, puisqu'on ne peut demander la suppression de ce qui n'existe pas.

Les demandeurs invoquent une atteinte à leur vie privée sur le fondement de l'article 9 du Code civil (ceux de mes lecteurs dont le sourcil se soulève à cette occasion ont raison, comme nous allons le voir) et le non respect de la loi Informatique et Liberté du 6 janvier 1978 sur les traitement automatiques de données nominatives.

La société Note2be.com invoque en défense le fait que son fichier a fait l'objet d'une déclaration à la CNIL, qui donne lieu à une enquête de cette autorité, enquête toujours en cours : la CNIL n'a donc pas refusé l'exploitation de ce fichier. Elle invoque la liberté d'expression des élèves, garantie par l'article L.511-2 du Code de l'Education et plus largement par la liberté d'expression reconnue à tout homme en France.

Voilà les grandes lignes des arguments des parties au moment où l'audience va se tenir. La procédure de référé étant orale, ces arguments vont être débattus et vont amener à évoluer, le juge des référés devant dans sa décision refléter ce débat et répondre aux arguments des parties.

Laissons les parties s'installer dans le prétoire et relire leurs notes, et pendant ce temps, rappelons ce qu'est une audience de référé.

Il s'agit d'une audience tenue dans un court délai par un juge unique qui vise à ce que soit prises rapidement des mesures provisoires ou qui ne se heurtent pas à une contestation sérieuse. Notez bien le provisoire : le juge des référés ne règle pas un litige, il fixe les règles qui s'appliquent le temps que le litige soit réglé. Ses décisions n'ont pas l'autorité de la chose jugée (c'est pourquoi on ne parle pas de jugement mais d'ordonnance) et peuvent toujours, outre l'appel, être modifiées par le juge. Par exemple, votre voisin fait des travaux qui selon vous empiètent sur votre terrain : vous allez demander en référé que les travaux soient suspendus le temps de s'assurer si votre propriété est envahie ou non. Vous pouvez également demander en référé qu'un géomètre expert soit désigné pour qu'il effectue les opérations techniques traçant exactement la limite de votre terrain quand elle n'est pas matérialisée par une clôture, ce qui est plus fréquent qu'on ne le croit. La suspension est urgente car vous invoquez une atteinte à votre propriété. La désignation de l'expert ne pose pas de difficulté dans son principe car il donnera les éléments permettant de trancher le litige. Il faut juste qu'il soit désigné, et que les parties sachent qui il est.

Le code de procédure civile distingue trois grands types de référés :

Le référé de l'article 145 : les parties demandent une mesure d'instruction, généralement la désignation d'un expert. Il n'est pas nécessaire qu'un différend soit né, puisque l'expert va permettre aux parties de connaître les éléments techniques de la situation. Par exemple, votre réseau d'entreprise a planté définitivement. A-t-il été mal conçu par la société Grobug ? Ou est-ce dû à votre décision de couper la climatisation dans la salle du serveur pour sauver les pingouins ? Vous allez demander à ce que Zythom soit désigné pour qu'il réponde à la question.

Le référé de l'article 808[1] : Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. Il faut donc une urgence, des mesures évidemment nécessaires, et l'existence d'un différend, ce dernier point ne posant que rarement problème quand on en est à s'assigner.

Le référé de l'article 809[2] : « Le juge du tribunal de grande instance peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

« Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »

En fait, il y a deux actions en référé dans cet article. La première vise à prévenir un dommage imminent ou faire cesser le trouble manifestement illicite, même s'il y a une contestation sérieuse du droit invoqué par le demandeur. Dans notre exemple du voisin envahi, même si celui qui a commandé les travaux affirme que la parcelle où ont lieu les travaux est encore chez lui, laisser faire ces travaux serait un dommage imminent pour le voisin. Il vaut mieux suspendre le temps que le litige soit tranché, car retarder des travaux est moins grave que contraindre à démolir. La deuxième action vise à obtenir une provision sur une somme d'argent qui vous est due, à concurrence du montant qui n'est pas contestable. Par exemple, votre médecin vous a donné un médicament auquel vous étiez allergique, et cela figurait dans votre dossier. Vous avez dû être hospitalisé deux mois. Votre préjudice est incontestable, et la faute du praticien difficilement contestable. Vous pouvez demander une provision représentant une évaluation minimale de votre souffrance et de la perte de revenus que vous avez subie, qui vous permettra de faire face à votre situation délicate, le temps que le procès visant à votre totale indemnisation aille à son terme.

Bon, je me dépêche, le président va arriver, le greffier vient de s'asseoir dans son coin. Ici, les demandeurs, enseignants et syndicats, font un référé de l'article 809 : mettre fin à un trouble manifestement illicite, et demandent une provision d'un euro symbolique pour leur préjudice.

Voici le président. Le silence se fait, tout le monde se lève. Le bureau du procureur est vide. C'est une audience civile, entre particuliers, mais s'il le souhaite, le procureur peut assister à n'importe quelle audience pour donner son avis de représentant de la société. On dit alors qu'il est partie jointe. C'est rare qu'il intervienne ainsi, mais ce fut le cas par exemple dans le référé visant à faire interdire la publication de Charlie Hebdo lors de l'affaire des caricatures du Prophète.

Les faits sont rappelés tels qu'ils ressortent de l'assignation, le président pose les questions qu'il estime utile à sa parfaite compréhension du litige. Il va de soi que dans la vraie audience, le président n'a pas aussitôt répondu aux arguments ainsi qu'il va le faire ci-dessous. Il prendra le temps de délibérer, c'est à dire de réfléchir, faire des recherches et des vérifications, et de rédiger son jugement. Je reconstitue l'audience sur la base de l'ordonnance, pour faciliter la compréhension et rendre ce billet plus vivant.


Le président : La parole est aux demandeurs.

Les demandeurs : Notre premier argument est le suivant : il aurait été porté atteinte au droit au respect de l’intimité de notre vie privée, garanti par l'article 9 du Code civil, du fait de la mention nominative de la personne, suivie de l’indication de son lieu d’exercice professionnel et de sa discipline, et d’une appréciation, à connotation favorable ou défavorable ; au terme des débats, il apparaît que le type d’évaluation proposée est de notre point de vue de nature à stigmatiser les enseignants évalués, sans leur offrir la possibilité d’apporter la contradiction, ce qui ne serait pas sans conséquence sur leur vie privée.

Le président : Je vous arrête tout de suite. L'article 9 n'a rien à faire ici. Le seul fait de citer un nom n'est pas suffisant pour porter atteinte à l'intimité de la vie privée, surtout quand ce nom est cité dans le cadre des fonctions professionnelles exercées dans un établissement d'enseignement.

Les demandeurs : Bon. Notre deuxième argument est le non respect des dispositions de la loi Informatique et Liberté du 6 janvier 1978.

Le défendeur (le site Note2be) : Notre site a fait l'objet d'une déclaration à la CNIL le 29 janvier 2008 !

Le Président : Certes, mais je n'ai pas beaucoup d'éléments là dessus (regard noir au défendeur)[3]. Bon, je tire des quelques pièces que vous m'avez données que la CNIL mène une enquête prévue à l'article 11, 2°, f et l'article 44 de la loi. Loin de moi l'idée d'empiéter sur les attributions de la CNIL, mais en attendant, je peux rechercher l’existence éventuelle d’un trouble à caractère manifestement illicite généré par le service de communication au public en ligne.

Le défendeur : Mais la liberté d'expression est garantie par la loi, y compris pour les élèves : c'est l'article L.511-2 du code de l'éducation et l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 !

Le Président (aux demandeurs) : Donc, ce que vous me demandez, c'est d’examiner si le traitement en question respecte les dispositions expressément visées par les demandeurs des articles 6 et 7 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, à la lumière des dispositions de l’article 1° de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, édictant le principe suivant lequel la communication au public par voie électronique est libre.

Les demandeurs: Je ne l'aurais pas mieux dit.

Le Président : Merci. Aux termes des dispositions de l’article 6 [de la loi informatique et Liberté], les données doivent être notamment collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes ; dans le cas présent, la finalité du traitement explicitement déclarée est la notation, en particulier des enseignants. Il convient donc d’examiner si les données en question sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard de cette finalité, la notation, alors que se trouve en question au titre du trouble manifestement illicite le droit des enseignants à la protection des nom et prénom qui leur appartiennent, droits de la personnalité.

Le défendeur : Est-ce le cas ?

Le Président :Patience. Il convient préalablement de rappeler qu’aux termes de l’article 7 de la loi, le traitement de données à caractère personnel, à défaut d’avoir reçu le consentement de la personne concernée, doit satisfaire à des conditions précisément et strictement définies[4]

Les demandeurs : A ce sujet, la notation proposée ne rentre pas dans le cadre de l’évaluation des fonctionnaires, dont la responsabilité appartient aux autorités investies à cette fin dans le cadre des dispositions statutaires et sous les garanties légales.

Le Président : C'est exact : le traitement automatisé concerne les enseignants appartenant aussi bien aux établissements publics et aux établissements privés sous contrat, qu’aux établissements privés, n'est-ce pas ?

Le défendeur : En effet.

Le Président : Vous ne prétendez pas, en proposant cette notation, être investi de la mission de service public d’enseignement au sens des dispositions de l’article 7, 3e [de la loi Informatique et Liberté], ou y participer de quelque manière que ce soit, en liaison avec les établissements auxquels ces enseignants appartiennent ?

Le défendeur : Pas du tout. Il s'agit d'un simple site gratuit et qui ne poursuit aucun but lucratif.

Les demandeurs : Mais il comporte des annonces publicitaires, et la société qui l’exploite, immatriculée le 9 octobre 2007, est commerciale, et que son objet porte sur la gestion de site internet.

Le Président : J'observe d'ailleurs que l’inscription sur le site est explicitement proposée, outre aux professeurs, aux élèves, mais aussi aux parents d’élèves ?

Le défendeur : Oui, mais le site est dédié aux enfants et adolescents.

Le Président : Pour autant, l’inscription d’un élève, personne mineure par définition, n’est soumise à aucun dispositif laissant présumer un accord parental préalable, ou assurant à tout le moins une information auprès des parents ?

Le défendeur : Non, rien de tel.

Le Président : Je constate donc que le projet d’entreprise ayant conduit à la création de ce site n’a pu qu’envisager la constitution d’une base de données extrêmement importante, compte tenu du nombre d’enseignants exerçant, notamment sur le territoire français, leur activité ; les seules ressources, en particulier humaines, nécessaires pour la gestion des demandes d’accès aux données nominatives, d’opposition, de modification ou de suppression de celles-ci de la base doit faire considérer d’évidence le site en question comme à vocation marchande.

Les demandeurs : Et toc.

Le président : Ceci étant établi, continuons notre cheminement. Il convient à présent d’examiner si ce traitement de données à caractère personnel poursuit la réalisation d’un intérêt légitime, suivant les termes mêmes de l’article 7, 5° de la loi, “sous réserve de ne pas méconnaître” l’intérêt ou les droits fondamentaux des personnes concernées, ou, suivant ceux de la directive 95/46/CE du Parlement Européen et du Conseil du 24 octobre 1995, “que ne prévalent pas l’intérêt ou les droits et libertés de la personne concernée”.

Le défendeur : Il s’agit par conséquent de préserver un nécessaire équilibre entre les droits et intérêts de part et d’autre, au regard spécialement des droits et libertés fondamentaux reconnus par l’ordre juridique communautaire, comme le principe de proportionnalité, d’ailleurs rappelé par les dispositions de l’article 6, 3° de la loi.

Le Président : Vous avez totalement raison là-dessus. La mesure tendant à suspendre l’utilisation du fichier ne pourra de ce fait s’envisager qu’en l’absence de toute autre disposition appropriée.

Le défendeur : Monsieur le Président, il est en premier lieu de principe, suivant l’article 1° de la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986, que la communication au public par voie électronique est libre.

Le Président :Certes.

Le défendeur : La liberté pour les élèves de s’exprimer, doit à mon sens prévaloir en présence d’atteintes aux droits de la personnalité.

Le Président : Sur quoi vous fondez-vous pour affirmer cela ?

Le défendeur : Les dispositions de l’article L. 511-2 du code de l’éducation, qui prévoient que dans les collèges et lycées les élèves disposent dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression ; ainsi les élèves ont faculté de s’exprimer au sein des établissements qui les accueillent, en particulier par leurs représentants et par les représentants de leurs parents. Et ce n'est pas tout.

Le Président : Quoi d'autre ?

Le défendeur : A l'Université, au niveau du 3e cycle, les étudiants participent aux procédures d’évaluation des formations et des enseignements. L’évaluation des établissements eux-mêmes que le site propose n’est pas en cause ; qu’il s’agit de promouvoir sur notre site l’évaluation individuelle des enseignants ; l’objectif de ce site, qui est de permettre l’évaluation par les élèves du sens pédagogique de leur professeur, ne caractérise pas, dans son principe, le dommage invoqué par les demandeurs.

Le Président : Mais vous ne pouvez méconnaître qu’en vertu de l'article L.511-2 cité plus haut, l’exercice par les élèves des libertés d’information et d’expression a pour limites qu’il ne porte pas atteinte aux activités d’enseignement ; or il est constant que l’évaluation des enseignants s’effectue par la seule attribution d’une note chiffrée, sur les qualificatifs “intéressant”, “clair”, “disponible”, “équitable”, “respecté”, “motivé” - rubriques présentées sur les documents joints sous les initiales “P’, “C”, “D”, “E”, “R”, “M”...

Le défendeur: J'entends privilégier ainsi ce que ressentent les élèves de la démarche pédagogique de l’enseignant.

Le Président : Soit ; mais cette approche partielle ne peut que légitimement provoquer le trouble, en ce qu’elle peut conduire à une appréciation biaisée, aussi bien dans un sens excessivement favorable que défavorable.

Le défendeur: Mais j'ai encadré l’exercice de la liberté des élèves, en interdisant de commenter les appréciations.

Le Président : Pour autant, la mise à disposition d’un forum de discussion, sans modération préalable à la publication, n’est pas sans présenter, en cas de développement exponentiel de la fréquentation de ce site des risques sérieux de dérive polémique.

Le défendeur: Me voici victime de mon succès potentiel...

Le Président : Il est en réalité évident dans ces circonstances que si l’intérêt de l’expression des élèves au sein de la communauté éducative pour l’amélioration des conditions dans lesquelles l’enseignement est dispensé n’est pas discutable, les personnes physiques concernées sont en droit de s’opposer à l’association de leurs données à caractère personnel à un dispositif présentant, faute de précautions suffisantes, un risque de déséquilibre au détriment de la nécessaire prise en compte du point de vue des enseignants.

Le défendeur: Mais les conditions générales d’utilisation du site comme les procédures mises en place pour faire valoir les droits des enseignants peuvent leur permettre de le conjurer de façon effective...

Les demandeurs : En clair, on nous demande d'exercer nous-même notre droit de rectification, donc de surveiller nous-même ce site. Comment appeler cela une garantie efficace ?

Le Président : Il est permis d'en douter, en effet. La montée en puissance de la fréquentation du site est de nature à mettre en doute l’adéquation des données au projet ; exiger de chacune des personnes potentiellement concernée la charge de procéder en fonction des circonstances de l’exercice de son métier à la surveillance périodique du site représenterait une obligation disproportionnée, relativement à l’intérêt du service actuellement présenté par l’exploitant du site.

Les demandeurs : au surplus, nous refusons de voir associés nos noms à des messages publicitaires insérés sur les pages du site, et dont le développement est prévisible, le principe de la liberté de communication au public en ligne ayant en particulier pour limites la liberté et la propriété d’autrui, en l’espèce du nom.

Le Président : Vous en avez le droit. La liberté d’expression des élèves, dans la mesure où elle se trouve déjà assurée au sein des établissements, peut de ce fait subir sur le site litigieux une limitation raisonnable en présence des droits et intérêts légitimes des enseignants. J'ai donc pris ma décision.

La salle retient son souffle.

Le Président : Il appartient au juge des référés de prendre la mesure provisoire strictement nécessaire et la plus appropriée à cette fin ; l’évaluation des établissements n’étant pas en cause, la mesure préservera cette fonctionnalité, qui n’est pas invoquée comme étant à l’origine du dommage et susceptible d’y mettre fin. Pour y parvenir, et prévenir un dommage imminent, seule la suspension de la mise en œuvre du traitement automatisé de données personnelles des enseignants représente la mesure appropriée. Il convient de l’ordonner, en faisant procéder au retrait des pages du site des données en question qui s’y trouvent affichées ; la société NOTE2BE.COM devra également prendre toutes dispositions, afin que n’apparaissent pas nominativement des enseignants, soit en modérant a priori le forum, soit par la mise en place de tout dispositif efficace à cette fin. Pour les enseignants cités, je fais droit à leur demande de provision symbolique, car leur préjudice n'est pas sérieusement contestable, de même que l'évaluation qu'ils en ont faite pour cette provision. L'audience est levée.


Le site Note2be, à mon avis bien content de l'extraordinaire couverture médiatique qu'il s'est offert, en rajoute une couche en criant à la censure.

Et comme nous vivons dans une société où, faisant fi de l'évidente contradiction du propos, tout le monde crie à la censure pour un oui ou pour un non, autant allez un cran plus haut dans l'analyse :

Cette décision remet en cause le fonctionnement même de tous les forums de discussion, blogs et sites communautaires où les internautes pouvaient s’exprimer librement sur le net français.

En fait, ce n'est pas l'idée d'une société commerciale d'attirer grâce à une controverse médiatique complaisamment relayée un large public d'adolescent (potentiellement des millions) pour vendre de la pub ciblée. Non, c'est un combat pour la liberté d'expression de tous les forums de discussion, blogs et sites communautaires sur le net français. Rien que ça.

Voyez vous-même ce que dit cette décision, vous constaterez qu'on en est loin. Le site aurait dû, conformément à la loi, solliciter l'accord préalable des enseignants cités, faute de viser une des objectifs dispensant de cet accord. Faute de quoi, les enseignants sont fondés à s'opposer en justice à l'usage de leur nom, ce d'autant plus que l'absence total de contrôle du site rend les risques d'évaluation fantaisiste très importants.

La société NOTE2BE.COM a fait appel de cette ordonnance. Je doute de l'efficacité de ce recours hormis sur des points juridiques comme l'usage inapproprié de la notion de propriété à l'égard du nom de famille. Si la jurisprudence reconnaît un droit patrimonial sur le nom, il ne s'agit certainement pas d'un droit de propriété puisqu'on ne peut le céder ou l'abandonner.

Mais c'est un autre sujet. Le prétoire est vide, tout à la Salle des Pas Perdus pour échanger nos impressions.

Notes

[1] Les mêmes pouvoirs sont donnés au président du tribunal d'instance (art. 848) et au président du tribunal de commerce (art. 872) pour leurs domaines de compétence respectifs).

[2] ou 849 pour le tribunal d'instance et 873 pour le tribunal de commerce.

[3] Mes lecteurs, jouissant d'un excellent avocat ET de l'avantage du recul dans le temps, peuvent quant à eux savoir que la CNIL a rendu depuis son avis, qui est négatif=528&cHash=7c1cd2d002|fr].

[4] 1° Le respect d’une obligation légale incombant au responsable du traitement ; 2° La sauvegarde de la vie de la personne concernée ; 3° L’exécution d’une mission de service public dont est investi le responsable ou le destinataire du traitement ; 4° L’exécution, soit d’un contrat auquel la personne concernée est partie, soit de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci ; 5° La réalisation de l’intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le destinataire, sous réserve de ne pas méconnaître l’intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée.

mercredi 27 février 2008

Un coup porté à la liberté d'expression sur internet

Le coup est d'autant plus rude qu'il viendrait d'un confrère, Sylvie Noachovitch. Vous la connaissez peut-être si vous êtes insomniaques le vendredi soir : c'est une des avocates qui officie sur le plateau de l'émission de Julien Courbet ou des gens se font crier dessus au téléphone pendant qu'une vieille dame pleure en gros plan.Photo de SYlvie Noachovitch affichant son plus beau sourire

Cette consœur, outre sa carrière d'avocate et d'animatrice télé souhaite embrasser une carrière politique. Candidate malheureuse aux élections générales contre Dominique Strauss Khan dans la 8e circonscription du Val d'Oise (Cantons de Garges-lès-Gonesse Est, Garges-lès-Gonesse Ouest, Sarcelles Nord-Est, Villiers-le-Bel) en juin 2007 et à nouveau lors des élections partielles de décembre 2007 face à François Pupponi, à la suite de la démission du député élu, nommé à la présidence du FMI, elle brigue à présent la mairie de Villiers-le-Bel.

Et à l'occasion de la campagne qui s'annonce, elle semble avoir décidé de faire un grand ménage sur internet, pour ôter des billets qui ne lui étaient pas favorables. C'est ainsi que deux blogueurs au moins, Luc Mandret et Florian du blog RagZag, ont reçu un courrier électronique de mise en demeure d'avoir à retirer deux billets remontant à juin 2007 et faisant état de propos qualifiés de racistes qui auraient été tenus par ma consœur lors de la réunion d'un jury littéraire auquel elle participait.

Ce courrier, dont j'ai pu me procurer une copie, semble émaner de Sylvie Noachovitch en personne (je dis bien semble, il n'est pas revêtu d'une signature numérique). En tout cas l'auteur affirme être cette personne, et l'intéressée a confirmé sur Lepost.fr être à l'origine de ces démarches. Mais le fait que Lepost.fr publie cette information tend à me faire douter de sa véracité. Et son contenu ne fait qu'ajouter à mon trouble.

Ce courrier se veut une démonstration juridique, citation de jurisprudence à l'appui que :

la liberté d'expression n'est pas absolue, elle connaît des limites.

Je ne puis qu'acquiescer face à l'évidence.

Ces limites sont le nécessaire respect des droits et de la réputation d'autrui.

Là, je me racle la gorge. Pas plus que la liberté d'expression, le respect des droits et de la réputation d'autrui ne sont absolus. La loi doit arbitrer entre ces deux valeurs quand elles entrent en conflit.

Sur le plan civil, il est possible d'obtenir la cessation du trouble illicite dit l'auteur de ce courrier; et d'invoquer l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, en citant uniquement le 3e paragraphe. Je me permets de citer le texte dans son intégralité, il a, comment dirais-je ? Plus de saveur :

1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
2. Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires:
a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui;
b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.

L'auteur ne semble avoir retenu que l'aspect limitation, sans avoir relevé que ces limitations sont elles même limitées : elles doivent être expressément prévues par la loi du pays signataire dudit Pacte.

Et voici que la même confusion est commise lors de la citation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. Le premier paragraphe est oublié, alors qu'il me semble assez pertinent en la matière :

Article 10 - Liberté d'expression 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

L'auteur du courrier en question n'a cru utile que de recopier cette partie :

2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

Vous aurez remarqué que là aussi, cette limitation doit être prévue par la loi du pays signataire.

Après ce passionnant rappel des sources internationales du droit, nous devrions voir arriver enfin les références de droit interne qui démontrent à l'évidence que notre impétrante est dans son bon droit.

La première est l'article 9 du Code civil.

Chacun a droit au respect de sa vie privée.

Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé.

Suit une abondante jurisprudence sur cet article 9. Mais hélas, encore un oubli : l'expéditeur a oublié de préciser en quoi la vie privée de Sylvie Noachovitch était en cause ici, s'agissant de propos qui ont été tenus lors de la réunion d'un jury littéraire, portant sur la proportion de noirs et d'arabes dans la circonscription où elle était alors officiellement candidate, au peu d'appétence à la sensualité que ceux-ci provoquait chez elle, et à la sérénité que devait selon elle en tirer son mari quant à un éventuel adultère. Certes, sa fidélité d'airain à son légitime époux relève indiscutablement de la vie privée, mais en l'espèce, c'est Sylvie Noachovitch qui avait abordé le sujet, et sous forme d'une boutade ; en outre ce n'est pas ce point qui avait retenu l'attention des blogueurs mais plutôt les conclusions éventuelles à tirer de cette faible appétence revendiquée.

Je passe de la même façon sur le paragraphe sur la caricature, qui est juridiquement exact mais hors sujet, puisqu'il n'y avait aucun caricature dans le billet objet des foudres de ma consœur.

La deuxième référence est pénale, et me voici sur mes terres (et sur celles de ma consœur, puisqu'elle invoque le droit de la presse dans ses activités dominantes) : ma consœur ou celui qui prétend l'être invoque le délit de diffamation publique.

Il rappelle dans un premier temps la définition du délit :

Article 29 Al. 1er de la loi du 29 juillet 1881 : "Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés".

L'auteur ajoute ensuite que l’article 35 bis du même texte fait peser sur l’auteur de la diffamation une présomption de mauvaise foi, ce qui est exact. « Toute reproduction d'une imputation qui a été jugée diffamatoire sera réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son auteur ».

Et il en déduit : « Autrement dit, il incombe au prévenu d’invoquer sa bonne foi en apportant la preuve de la vérité des faits diffamatoires ».

Patatras. Une vilaine confusion entre l'exception de bonne foi et l'exception de vérité. Ce qui est d'autant plus dommage qu'elle est de nature à induire en erreur le destinataire de ce courrier quand manifestement le but de l'expéditeur était de l'informer de bonne foi. Car ce sont deux choses différentes.

L'exception de vérité (article 35) consiste à apporter la preuve des faits diffamatoires, selon une procédure rigoureuse prévue à l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881, tandis que l'exception de bonne foi (article 35bis) permet au diffamateur d'échapper aux poursuites en apportant la preuve qu’il poursuivait, en diffusant les propos incriminés, un but légitime exclusif de toute animosité personnelle, qu’il a conservé dans l’expression une suffisante prudence et qu’il avait en sa possession des éléments lui permettant de s’exprimer comme il l’a fait (c'est la formule employée par la jurisprudence, mes lecteurs s'en souviendront grâce à l'affaire Monputeaux commentée en ces pages en leur temps, dans lequel le tribunal a bien distingué l'offre de preuve, écartée, et l'exception de bonne foi, accueillie).

D'où mon doute de plus en plus grand sur la maternité de ma consœur de ce courrier : une avocate qui intervient habituellement en droit de la presse ne pourrait faire cette confusion, et encore moins ne voudrait-elle donner sciemment des informations erronées pouvant induire en erreur son interlocuteur, fût-il un adversaire potentiel : notre déontologie s'y oppose.

Surtout que les choses ne s'améliorent pas quand on lit juste en dessous : En cas de diffamation publique, l’auteur peut être condamné à 1 an de prison et/ou 45 000 euros d’amende. Ma consœur, elle, n'aurait pu ignorer que la loi du 15 juin 2000 a supprimé les peines d'emprisonnement pour la diffamation (article 90, III).

Ma confusion est à son comble quand l'auteur conclut en affirmant que la phrase « cette dame Noachovitch est une jeanne-foutresse » constituerait le délit de diffamation publique. Il n'aurait pas échappé à une avocate connaissant le droit pénal de la presse qu'une telle affirmation est une injure et non une diffamation, faute d'imputation d'un fait précis.

Enfin et surtout, l'auteur ignore l'article 65 de la loi, qui prévoit que les délits de presse comme la diffamation ou l'injure se prescrivent par trois mois ; or s'agissant de billets remontant aux élections générales de juin 2007, le délit était prescrit depuis belle lurette, et les poursuites en justice, au civil comme au pénal, se serait immanquablement heurté à une fin de non recevoir d'ordre public.

Bref, il n'y a pas d'atteinte à la vie privée, et les propos diffamatoires et injurieux que l'auteur pensait avoir relevé étaient en tout état de cause atteints de prescription.

Las, le charabia du courrier a impressionné ces deux blogueurs peu férus de droit et ils ont préféré mettre hors ligne les billets mis en cause.

Pour l'atteinte à la liberté d'expression, c'est trop tard. Mais j'invite ma consœur à se préoccuper du tort considérable à sa réputation que peut lui faire la personne qui manifestement se fait passer pour elle en envoyant des courriers électroniques signés de son nom qui sont aussi erronés en droit que malhonnêtes intellectuellement.

Après tout, je ne pense pas que les électeurs de Villiers-le-Bel pourraient accorder leur confiance à une candidate s'ils croyaient qu'elle pourrait user de telles méthodes.


PS : Merci de garder un ton aussi respectueux que le mien en commentaires.

mercredi 20 février 2008

Far Far Away, conte pour enfants pas sages

Par Dadouche



Il était une fois, dans la Province des Petis Pois de la Fédération de Far Far Away, un prince bien malheureux. Il était le benjamin des rejetons du Roi Procureur, et s'était vu confier LE fief dont personne ne voulait. Substitut Charmant, c'est le nom de notre valeureux héros, était Baron des Mineurs.
Pas un jour ne passait sans qu'il enviât son frère ainé, le Vice-Roi Comptable, qui avait reçu en apanage le Duché de la Banque et du Commerce. Même le cadet, le Prince Maton, Comte des Cachots, lui paraissait certains jours avoir un sort plus enviable.
Car la tâche que le Roi avait confiée à Substitut Charmant avec le Domaine des Mineurs, c'était de s'occuper desdits mineurs. Pas pour leur conter des histoires le soir à la veillée, ni pour les emmener jouer à la soule. Non, il devait les empêcher de faire des bêtises et de troubler la tranquillité des autres domaines.

Il était aidé dans sa tâche par la Fée Dadouche, qui vivait à l'autre bout du Royaume.
Substitut Charmant aurait préféré avoir affaire au Maréchal Gascogne, avec qui il aurait au moins pu jouer à la soule, mais tous ses frères se les disputaient déjà, lui et son pôle de Mousquetaires.
Non seulement la Fée Dadouche n'était pas toujours de bonne humeur à cause de ses insomnies, mais en plus, pour parvenir chez elle avec les mineurs turbulents, il fallait traverser le Labyrinthe de 45.

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mardi 19 février 2008

La vraie vie (rêvée) des avocats

Par Fantômette


En réponse également au billet de Gascogne. Même dans ses pires cauchemars, un magistrat ne saurait totalement appréhender la tragique vérité sur la vraie vie rêvée des avocats...

Lundi :

J’arrive vers 8h30 au Cabinet. La porte est fermée à clé, les secrétaires ne sont pas encore arrivées.

Premier réflexe de la journée : l’agenda. Je devrais écrire l’Agenda. L’AGENDA. La Bible du Cabinet. L’agenda est une drogue, l’agenda, c’est ma caféine et mon tranquillisant. C’est le garant du travail accompli et de celui qui reste à faire. Je le consulte tous les matins en arrivant, tous les soirs en repartant. Entre deux, je vais de temps en temps y refaire un petit tour.

Il faut dire que les agendas d’avocats, c’est un peu comme netvibes et autres gestionnaires de flux rss. Ils se réactualisent en permanence, comme on dit sur le web 2.0, c’est-à-dire que vous pouvez être parfaitement à jour de votre travail à 10h30 et dangereusement à la bourre à 10h45.

Tenez, par exemple, ça y est. Horreur des horreurs. Le fax termine de cracher 15 pages d’écritures adverses haineuses en vue de l’audience de demain matin. Evidemment, c’est devant le tribunal d’instance de Tatahouine-Sur-Seine, bien connu pour le peu de patience qu’il démontre quotidiennement à l’égard des avocats qui demandent des renvois.

Et cet après-midi, j’ai une correctionnelle. Or donc, coulez mes larmes, car mon client est libre, ce qui signifie que je ne passerai pas dans les premières affaires (en correctionnelle, les affaires prioritaires sont celle où les prévenus sont détenus).

Je sors donc à 17h, et à 18 heures, je reçois la petite madame Michel, qui a non seulement perdu son chat, mais aussi son travail (« je veux porter plainte, Maître ! » « vous voulez contester votre licenciement devant les Prud’hommes ? ») son mari (« je veux porter plainte, Maître ! » « vous voulez qu’on introduise une requête en divorce ? ») toutes ses économies (« je veux porter plainte, Maître ! » « vous voulez qu’on prépare un dossier de surendettement ? »), sa santé (« je veux… » « Stop ! Madame Michel, je vais vous adresser à un excellent docteur, heu, confrère, qui est plus particulièrement spécialisé dans les... heu… cas comme les vôtres »).

Mardi :

9h30, Tatahouine-sur-seine. La salle est presque pleine. Mon affaire est appelée, évidemment, je demande un renvoi.

- Je vois, Maître, que cette affaire revient déjà sur un renvoi. Ah, oui, et je remarque que sur le bulletin d’audience, j’avais pris soin de préciser « dernier renvoi ».

Je me mords la langue pour ne pas répondre ce que tout le monde sait : après le « dernier renvoi », il reste encore « l’ultime renvoi ». Et puis, le dernier des ultimes renvois. Ensuite, heu… je crois qu’il doit encore y avoir un renvoi dans l’intérêt d’une bonne administration de la Justice, et puis, le renvoi dans l’intérêt de ne pas avoir la mort par combustion spontanée de l’avocat du demandeur par excès d’énervement sur la conscience.

- Monsieur le Président, j’ai reçu ces conclusions hier matin seulement, et elles présentent de nouvelles demandes reconventionnelles. Mon client n’a pas eu le temps d’en prendre connaissance, et n’a pu approuver mes écritures en réponse (in petto : que je n’ai pas non plus eu le temps matériel de rédiger, mais je vais m’y mettre en rentrant).

- Mmmoui. La procédure est orale devant le tribunal d’instance. Vous pourriez y répondre oralement, et tant pis pour l’avocat du défendeur qui n’aura pu s’y préparer (regard sévère dans sa direction : le collaborateur dudit avocat a la bonne grâce de rougir, mais son regard clair est celui de l’avocat qui se présente devant le tribunal avec un dossier en état).

- Certes, Monsieur le Président. Toutefois, je souhaiterais pouvoir solliciter de mon client de nouvelles pièces, les arguments soulevés sont tout à fait nouveaux…

Je croise les doigts des deux mains, bien cachées dans mes grandes manches noires.

- Bon. Mme le Greffier, une date de renvoi… Affaire renvoyée au 8 avril prochain. Notez Mme le Greffier qu’il s’agit d’un ultime renvoi.

Ouf. Je sors en vitesse de la salle après un remerciement murmuré au tribunal, un rapide salut à l’avocat adverse. J’ai une petite demi-heure de voiture jusqu’à mon Cabinet, je n’arrive que vers 11 heures, à temps pour jeter un coup d’œil au courrier du jour, que les secrétaires classent dans les dossiers correspondants, et préparer quelques courriers en réponse.

"Oui, je m’occupe de votre affaire…, j’attends la réponse de l’avocat adverse…, veuillez trouver ci-joint copie des pièces que je reçois ce jour…, merci de prendre contact avec mon cabinet en vue d’un prochain rendez-vous."

L’après-midi, Patron n°1 débarque dans mon bureau, alors que j’attaque ma deuxième assignation en contentieux locatif.

- Fantômette, je te confie un nouveau dossier.

Dossier sensible, dossier urgent, dossier adressé par un Confrère/ami/connaissance, bref, recommandé à mon attention. L’idéal serait de l’avoir traité pour avant-hier.

- Tu comprends, c’est un dossier délicat, très subtil, tout à fait pour toi. Tu me montreras ton projet d’ici ce soir. Je compte sur toi.

Galvanisée par l’évidente manifestation de confiance de Patron n°1, toutes affaires cessantes, je me lance sur le dossier en question. Je dépouille l’assignation (nous sommes en défense), je sors mon code, mon legifrance, mon dictionnaire permanent, je vérifie les textes visés, les pièces versées. Je prépare un courrier pour le client pour l’interroger sur deux-trois points en suspens, et un projet d’écritures en réplique que je laisse sur le bureau de Patron N°1.

Je redescends jeter un coup d’œil à l’agenda.

Mercredi :

Le mercredi est souvent une journée un peu off en ce qui concerne les audiences. Je peux en profiter, soit pour (tenter de) remplir mon quota d’heures de formation continue, soit pour faire des démarches un peu chronophages, mais tout à fait nécessaires : aller consulter un dossier pénal pour lequel j’ai été commise d’office au tribunal, ou aller voir un client en détention.

A peine rentrée, en tout cas, je constate avec plaisir que j’ai manqué à tout le monde, car on m’attrape au vol pour me renvoyer aussi sec au tribunal.

C’est urgent, des confrères de Créteil doivent impérativement signifier des conclusions aujourd’hui. Ils sont trop loin pour se déplacer, nous allons (c’est-à-dire, je vais) les dépanner. Par confraternité. Je m’y prête de bonne grâce parce qu’il se trouve que j’ai également un dossier sur Créteil, et tôt ou tard, c’est évident, je les solliciterai pour qu’ils me rendent la pareille.

Je repars pour le tribunal de grande instance où je parviens à signifier les conclusions dans les temps. J’en profite pour passer par l’Ordre des Avocats où je « relève la toque ». La toque d’un avocat est sa boîte aux lettres personnelle auprès du Tribunal. Il s’agit très concrètement d’un casier numéroté, où se déversent quotidiennement des courriers et actes de procédure qui nous sont adressés par d’autres avocats et par le tribunal : conclusions, bulletins d’audience, convocations, retours de dossiers et évidemment, jugements.

Les bras chargés de nombreux courriers que les secrétaires pourront commencer de dépouiller dès ce soir, je rentre avec la satisfaction du devoir accompli.

A temps pour recevoir Monsieur et Madame Tropressé, qui souhaitent divorcer. Madame a traîné Monsieur jusqu’ici qui n’en voit pas l’utilité puisqu’ils sont d’accord sur tout, et qu’il sait de source sûre qu’il suffit dorénavant d’aller consulter un notaire.

Je rectifie joyeusement sa vision erronée des choses, mais il me regardera d’un air méfiant tout au long du rendez-vous.

Jeudi :

Expertise, à Paris. Pas de chance, il pleut, et pas de chance encore, c’est un rendez-vous en extérieur. En la présence d'un Expert désigné par le tribunal, nous allons vérifier la présence de fissures sur un mur d’immeuble jouxtant une importante opération de construction immobilière. J’interviens pour le syndicat des copropriétaires de l’immeuble en question.

Une quinzaine de participants, dont une bonne moitié d’avocats grelottent sous la pluie en fixant le mur gris. L’avocat du Maître de l’Ouvrage, c’est-à-dire de l’affreux promoteur immobilier qui vient fissurer l’immeuble de mes clients à coups de marteaux piqueurs, est planté à dix mètres du mur et indique à très haute voix : « Moi, en tout cas, je ne vois aucune fissure, Monsieur l’Expert ».

J’ai le nez collé sur le mur de la copropriété, je distingue très nettement les grains de sable qui composent son mortier. « Moi, Monsieur l’Expert, j’en vois, regardez la longue fissure, ici. Elle remonte jusque là. J’ai l’impression que quand j’appuie dessus l’immeuble bouge, non ? »

S’ensuit une longue dispute sur la question de savoir si l’on peut qualifier les fissures de fines ou filiformes. L’avocat du promoteur propose sournoisement de les qualifier d’invisibles, tandis que je m’interroge ouvertement sur la nécessité de les qualifier. Après tout, des fissures, ce sont des fissures.

Je rentre frigorifiée, heureusement, Patron n°2 m’a laissé une tasse de thé au chaud.

Patron n°2 adopte un tout autre style que Patron n°1 pour me confier des dossiers.

- Fantômette, tu peux venir voir une seconde ? Voilà, je voudrais avoir ton avis sur le dossier Toutseul contre Restedumonde. Je m’interroge. Peut-être n’ai-je pas abordé le dossier sous le bon angle, mais j’ai du mal à sortir de ma vision initiale. Ce dossier a besoin d’un regard neuf. Tu me diras ce que tu en penses ?

- Vous voulez juste que j’y jette un coup d’œil ? je demande, légèrement méfiante.

- On en rediscutera quand tu auras regardé ça de plus près.

Evidemment c’est un code – que je casse aussitôt - et qui signifie, oui, tu y jettes juste un coup d’œil, et puis ensuite, tu te chargeras de ce dossier. Définitivement.

Je prends le dossier à deux mains, et le regard de Patron n°2 s’illumine pendant qu’il annonce : « attends, tiens prends aussi ces deux là ». Flûte. J’avais pas vu qu’il y avait marqué Toutseul contre Restedumonde tome 1 (correspondance et procédure). Patron n°2 me tend les tomes 2 (nos pièces) et 3 (pièces adverses).

Je regagne mon bureau en ployant sous le faix.

Vendredi :

Branle bas de combat. Un de nos clients vient d’apprendre que son débiteur est en procédure collective. Le Cabinet dans son ensemble se joint pieusement à la secrétaire devant son écran pour vérifier si nous sommes dans les temps pour procéder à la déclaration de créance. Infogreffe délivre son verdict : il nous reste jusqu’à lundi. Rien de trop.

Je me dissimule habilement derrière le photocopieur, le temps pour Patron n°1 de s’approprier le dossier.

Je rejoins mon bureau et allume mon ordinateur. J’ai une bonne trentaine de messages en attente. J’ai un dossier de plaidoiries à préparer pour lundi devant la cour d’appel. J’ai des conclusions à rédiger pour jeudi. Et l’agenda peut encore se remplir d’ici ce soir.

Je m’y attaque avec énergie et y passe la matinée. Entrecoupée d’appels téléphoniques imparfaitement filtrés. Monsieur Tropressé veut savoir pourquoi il n’est toujours pas convoqué devant le juge aux affaires familiales. Mme Michel a retrouvé son chat (« Je suis bien contente pour vous, Mme Michel ! Vous avez appelé mon Confrère ? »). M. Toutseul veut savoir pourquoi c’est moi qui lui répond et pas Patron n°2. Loyalement, j’explique que je travaille sous l’étroit contrôle de Patron n°2, mais que s’il a des questions, il peut aussi bien me les poser.

La journée passe trop vite, et je rentre chez moi très fatiguée.

Je me réveille soudain en sursaut. Etait-ce un rêve ? Non. J’ai dormi tout le week-end. On est lundi.

C’est reparti.

lundi 18 février 2008

Tranche de vie

Inspirée par Gascogne, Lulu, juge d'instruction, a laissé un long commentaire pour narrer une semaine de la vie d'un juge d'instruction, commentaire que j'élève avec l'autorisation de son auteur à la dignité de billet tant il serait dommage qu'il passât inaperçu.

Eolas


Dimanche: la juge d’instruction que je suis élabore mentalement la liste de tout ce qu’elle va devoir faire pendant la semaine. Le programme serait faisable, si seulement les journées pouvaient durer 30 heures et non pas 24. Surtout que je prends la permanence demain à 9 heures pétantes et que les imprévus ne sont pas exclus, surtout que la substitut de permanence au parquet cette semaine est réputée pour être le chat noir de la juridiction. Dès qu’elle prend la perm, les cadavres s’accumulent et les plaintes pour viols aussi.

Histoire de m’avancer, j’ai pris deux ou trois dossiers à étudier ce week-end, afin de préparer les quelques interrogatoires de la semaine: une mise en examen dans une affaire de bagarre. Les déclarations des témoins et des mis en causes sont contradictoires et confuses, l’alcool qui imbibait tous les protagonistes de ces événements n’a pas contribué à clarifier les différentes versions des faits. Puis une confrontation dans une affaire de moeurs, des faits qui remontent à presque quinze ans, une nièce qui accuse son oncle. Un grand classique. Les déclarations de la victime me semblent crédibles, mais une fois de plus c’est parole contre parole et je sens que l’on s’achemine irrémédiablement vers le non-lieu. Puis une audition de mineur victime (victime de quoi, devinez...) mercredi, le jour des enfants dans mon cabinet. C’est déjà suffisamment pénible pour les loupiots de devoir expliquer une fois de plus ce qu’ils ont vécu, et à un juge en plus, alors j’évite de les convoquer un jour d’école pour qu’ils n’aient pas des explications embarrassantes à fournir à leurs petits camarades. Puis une affaire d’accident du travail, un dossier intéressant. Enfin un interrogatoire de curriculum vitae, truc pas très passionnant s’il en est, mais qui permet de mieux connaître la personnalité du mis en examen dans des affaires criminelles.

Bref, ces quelques dossiers qui s’entassent m’occupent une partie non négligeable du dimanche, pourtant radieux. Mon cher et tendre n'est pas ravi mais il est habitué.

Lundi: Arrivée à huit heures, mon premier réflexe est de brancher la cafetière, sans laquelle je ne pourrais assurément pas tenir toute la semaine. Je jette un coup d’oeil sur une grosse pile dans un coin de mon bureau, ce sont les dossiers qui attendent que je les “sorte” (ordonnance de non-lieu ou de renvoi). Je n’ose pas regarder une autre grosse pile, ce sont les commissions rogatoires qui sont rentrées et que je n’ai pas encore eu le temps de lire. Et que je lirai quand j’aurai le temps, c’est-à-dire pas dans les trois prochains mois. Dans un moment d’incommensurable optimisme, je me dis que je pourrai peut-être faire baisser ces deux piles cette semaine.

Bon. Je prépare une commission d’expertise, un examen psychologique sur une victime dans une affaire de moeurs. Puis je vais moi-même faire les copies des PV que je destine à l’expert. La pénurie de fonctionnaires de greffe est telle qu’une partie non négligeable du temps de travail des magistrats est occupée par des tâches telles que des photocopies. Entre-temps, ma greffière est arrivée. Elle est déprimée, il y a de quoi, les piles sur son bureau sont plus élevées que sur le mien. Son téléphone commence à sonner, ça ne s’arrêtera pas de la journée. Des justiciables qui veulent savoir où en est leur dossier. Des familles de détenus qui veulent savoir comment obtenir un permis de visite. Des avocats qui appellent parce qu’en dépit de multiples demandes, ils n’ont toujours pas la copie du dossier MACHIN. Et des gens qui n’ont rien à voir avec nous mais qui veulent absolument savoir où en est le dossier BIDULE sous prétexte qu’ils sont l’employeur de Monsieur BIDULE. Et qui s’indignent que ma greffière leur oppose le secret de l’instruction.

Mon “client” de 10 heures est là, pour l’affaire de bagarre. Son avocat, commis d’office, aussi. Il vient tout juste d’être désigné et prend une demi-heure pour lire le dossier et s’entretenir avec le jeune homme qui accepte de répondre à mes questions. Sa version des faits diffère notablement de celle de sa garde à vue, mais bon de toute façon, je ne suis plus à quinze versions des faits près. Il a un lourd casier, notamment pour des faits de violences, et surtout deux témoins et un autre mis en cause, plus sobres que les autres, affirment qu’il a été un participant actif de la bagarre. Je le mets en examen et lui annonce d’ors et déjà que nous aurons le plaisir de nous revoir dans les semaines qui viennent, pour une confrontation. Lors de laquelle je tenterai de débrouiller l’écheveau.

Le reste de la matinée est occupé par la lecture du courrier des détenus, par de la paperasserie diverse et par une visite impromptue de la substitut de permanence qui m’annonce une présentation à 14 heures. Super, je ne pense pas que ce sera cette semaine que les piles sur mon bureau baisseront.

J’en suis déjà à trois cafés.

Pause déjeuner avec les collègues. Puis retour au cabinet, pour faire la connaissance de Monsieur TARTEMPION, à l’encontre duquel le parquet a décidé d’ouvrir une information judiciaire. Ça prend un peu de temps, de faire sa connaissance, car on attend l’avocat commis d’office qui est parti voir un gardé à vue puis plaider un dossier aux prud’hommes. Je ne lui en veux pas à l’avocat, il est aussi débordé que moi et comme cela, je peux lire la procédure. Enfin quand tout le monde est prêt (pas avant 16 heures), je commence la première comparution de Monsieur TARTEMPION auquel on reproche des attouchements sur la fille de sa compagne. Un grand classique également. Monsieur TARTEMPION reconnaît les faits mais m’explique le plus sérieusement du monde que la gamine était consentante voire à l’initiative de tout cela (8 ans la gamine); il ne fait visiblement pas attention au fait que son avocate lui écrase discrètement le pied car elle sait bien elle, que les juges n’aiment pas, mais alors pas du tout, ce genre de discours.

Mise en examen, puis placement sous contrôle judiciaire. Pas de saisine du JLD. Ce n’est pas l’envie qui m’en manque, mais Monsieur TARTEMPION n’a aucun antécédent judiciaire, en matières d’agression sexuelles ou autres. Il ira dormir ailleurs que chez sa compagne et de toute façon je ne peux plus invoquer le trouble à l’ordre public pour demander une détention dans une affaire correctionnelle. Et donc, dans une affaire d’agression sexuelle.

Le temps de sortir toute la paperasse, il est déjà 18 heures. Ma greffière s’envole, l’heure sup qu’elle vient de faire ne fait que s’ajouter à de nombreuses autres, qu’elle récupérera Dieu sait quand. Pour ma part, je me plonge dans le dossier du lendemain que je n’ai pas eu le temps de peaufiner. Comme souvent, ce sont les parquetiers et les juges d’instruction qui fermeront le palais.

Mardi: Rebelote. Mais après une nuit difficile car je me suis retournée pendant des heures en me demandant si j’ai bien fait de mettre Monsieur TARTEMPION dehors, s’il ne va pas s’en prendre de nouveau à des petiots, en dépit de l’interdiction que je lui ai signifié de fréquenter les mineurs de moins de quinze ans. Vers 4 heures du matin, j’ai sombré dans un sommeil agité, j’ai rêvé que je comparaissais devant une commission parlementaire et que Monsieur HOUILLON habillé en Grand Inquisiteur me reprochait de ne pas avoir su faire fonctionner ma boule de cristal.

Bon, tout ça pour dire que je n’arrive pas au palais dans une forme éclatante. Et que ce n’est pas encore aujourd’hui que j’entamerai mon sevrage à la caféine. Enfin tout cela me donne un air rogue qui doit faire peur à tout le monde, avocats compris. Tant mieux, on ne me dérangera pas pour des broutilles.

Ma confrontation de 10 heures entre la nièce et son tonton se passe dans une ambiance tendue, comme souvent en pareil cas. Et chacun campe sur ses positions, comme souvent en pareil cas. Mon souci majeur dans de telles circonstances est d’éviter que les gens en viennent aux mains, ce qui serait pourtant très facile car mon bureau n'est pas très grand et que les parties et les avocats sont serrés comme des sardines, en face de moi. Deux mètres à peine (mais deux avocats) séparent le mis en examen de la partie civile. Mais la confrontation s’achève sans incident.

Je passe le reste de la journée à peaufiner une ordonnance de mise en accusation. Il ne faut pas que le dossier traîne, le mis en examen est en détention provisoire depuis près d’un an. Et il attendra probablement plus de six mois sa comparution devant la Cour d’assises. Vers 16 heures, je reçois la visite de la substitut de perm avec deux OPJ, des gendarmes de la B.R. locale (brigade des recherches). Je les salue chaleureusement, c’est l’avantage des petites et moyennes juridictions, on finit par bien connaître les gendarmes et policiers avec lesquels on bosse. Le parquet m’ouvre une information judiciaire pour trafic de stups, après lecture rapide des PV et quelques explications complémentaires, je délivre une CR (commission rogatoire) générale et une CR aux fins d’écoute téléphonique aux gendarmes, qui repartent prestement pour mettre en place cette écoute. Il s’agit, une fois de plus, d’un trafic d’héroine, J’ai été surprise, à mon arrivée dans cette juridiction, de l’importance des trafics de drogues dites dures alors que le secteur est plutôt rural.

Enfin, cela fait un dossier de plus. Pas grave, j’en ai déjà plus de 90.

Je reçois justement un coup de fil du commissariat local qui m’annonce qu’il souhaite procéder à des interpellations le lendemain dans le cadre d’une de mes commission rogatoires, pour trafic de stupéfiants. J’ai bien autre chose à faire cette semaine et les policiers aussi mais voilà, le brave toutou stups, qui a un emploi du temps de ministre, n’est disponible que demain mercredi. Va pour demain, donc.

Mercredi: Coup de fil du commissariat aux aurores pour confirmer les placements en garde à vue annoncés.

10 heures. Comme à chaque fois qu’un mineur vient pour audition dans mon cabinet, je deviens Steven Spielberg. C’est-à-dire que je me débats avec la webcam, pour m’assurer que l’audition sera filmée. Je ne vois pas très bien l’intérêt du truc, puisque personne ne visionne ces enregistrements et que l’audition fait l’objet d’un PV de retranscription mais en bon petit soldat, je me plie à la procédure. Pour une fois, je n’ai pas oublié le mot de passe et je n’ai pas fait buggé l’enregistrement, je suis en progrès. Sauf qu’à la fin de l’audition, je n’arrive pas à enregistrer l’audition sur le DVD prévu à cet effet, sous l’oeil goguenard de l’avocat du gamin (mes mésaventures avec cette caméra sont devenues célèbres dans le barreau local). Zut alors. Tant pis, je verrai ça plus tard avec notre correspondant informatique.

A part ça, l’audition ne se passe pas trop mal, le loupiot est stressé au début puis se détend quand il se rend compte que la juge n’est pas un monstre à sang froid (avec ce qu’il entend à la télé sur les juges..).

Le soir, je joue les prolongations et file au commissariat pour prolonger les gardes à vue de ceux qui ont été interpellés le matin-même dans mon affaire de stups. Pas besoin d’être grand clerc pour se rendre compte qu’ils sont tous toxicomanes et que les quelques bénéfices qu’ils ont pu faire dans ce trafic ont été engloutis dans leur consommation de poudre. En tout état de cause, il y a encore des choses à creuser et je leur indique à tous qu’ils vont encore passer 24 heures chez leurs amis policiers.

Jeudi: je passe la matinée avec un cadre dirigeant de l’entreprise dans laquelle est survenu un grave accident du travail. Audition très longue et très technique, comme presque toujours dans ce genre de dossier. Et comme presque toujours, ledit cadre ne comprend pas très bien ce qu’il fait dans mon cabinet. S’il y a eu des erreurs et des dysfonctionnements, me dit-il en substance, ils ne me sont pas imputables. Ils sont du fait de l’entreprise ou d’autres salariés.

Ses réponses à mes questions sont satisfaisantes et son avocat fait quelques observations pertinentes. Et puis aussi, cette affaire se situe dans le cadre de la loi du 10 juillet 2000 et de l’article 121-3 du Code pénal, qui m’indique en substance que je dois rechercher si le salarié a commis une faute caractérisée. Ce qui ne me semble finalement pas le cas en l’espèce. Je décide donc de placer ce cadre sous statut de témoin assisté, plutôt que de le mettre en examen.

Je devine déjà que cette décision ne plaira pas à la victime mais je ne peux pas mettre en examen quelqu’un juste pour lui faire plaisir. C’est en tout cas ce que je lui expliquerai quand je la rencontrerai.

Le reste de la journée se déroule dans la même frénésie que d’habitude. La brigade de gendarmerie de TROUFIGNY LES OIES m’appelle pour m’indiquer que Monsieur NARIENCOMPRIS, mis en examen pour violences conjugales, est retourné vivre chez sa femme. En dépit de son contrôle judiciaire qui le lui interdit. Et que manifestement, les baffes pleuvent à nouveau. Je ne suis pas ravie: j’avais déjà rappelé à l’ordre Monsieur NARIENCOMPRIS il y a quelques mois. Je délivre donc un mandat d’amener pour que les pandores m’amènent Monsieur NARIENCOMPRIS à la première heure demain.

Une fois de plus, je termine la soirée au commissariat pour prolonger les gardes à vue de mes présumés dealers-toxicomanes. J’en ai fait relâcher entre-temps et après lecture des PV, je décide finalement de m’en faire présenter un le lendemain, le plus impliqué.

Vendredi: Je n’ai plus de dosettes pour ma machine à expresso. Je suis donc de TRES, TRES mauvaise humeur.

J’interroge brièvement Monsieur NARIENCOMPRIS qui me dit en gros, qu’il a bien le droit de faire ce qu’il veut, d’aller où il veut si ça le chante, y compris chez sa femme. Je lui indique que dans ces conditions, je peux bien saisir le JLD pour révocation de son CJ si ça me chante aussi. Ce que je fais.

Un peu plus tard, je mets en examen mon “stupeux” que je place sous contrôle judiciaire. L’enquête est quasiment terminée, c’est avant tout un consommateur, une détention provisoire ne se justifie pas à mon avis. Je sens bien que les policiers ne sont pas contents. Mais quand comprendront-ils qu’il y a des critères à respecter pour placer quelqu’un en détention provisoire? Et que la réussite d’une enquête ne dépend pas du nombre de mandats de dépôts prononcés?

Dans la foulée, je procède à l’interrogatoire de CV de Monsieur TRUCMUCHE qui répond à mes questions sur sa vie, son oeuvre. Comme Monsieur TRUCMUCHE a eu une vie sentimentale et professionnelle agitée, je vais devoir envoyer des CR aux quatre coins de la France pour vérifier ses déclarations. Misère...

Et pendant ce temps-là, les piles n’ont pas baissées.. Des commission rogatoires sont rentrées, que je n’ai pas lues, des expertises sont rentrées, que je n’ai pas lues. J’ai 150 personnes à rappeler, ma greffière a fait barrage tant qu’elle a pu.

Pourtant ce vendredi-soir, c’est décidé, je m’autorise un extra, je quitte le palais à 17 heures 30. Non sans m’être assuré auprès du parquetier de permanence qu’à priori, le week-end sera calme. Et que je ne devrai pas m’être en examen un Monsieur TARTEMPION bis à 8 heures dimanche matin. Deux jours de relâche ou presque. Il faut bien en profiter: de toute façon ce sera tout pareil la semaine prochaine....

dimanche 17 février 2008

Vis ma vie

Par Gascogne.


Tout comme Tchouang Tseu nous racontait l'histoire de Tchéou qui ne savait pas s'il rêvait qu'il était un papillon, ou s'il était un papillon rêvant qu'il était Tchéou, me voilà par je ne sais quel tour de magie plongé dans une robe d'avocat.

Ma semaine commence sur les chapeaux de roue. Ou bien est-ce la précédente qui finit mal ? Toujours est-il que je dois partir ce dimanche à pas moins de 80 km pour un gardé à vue qui me réclame. Le planton de garde me reçoit plutôt froidement. Il doit voir en moi un grand ami des délinquants, un empêcheur d'arrêter en rond. L'OPJ me raconte rapidement l'histoire. Mon client m'en donne une autre version. Pas crédible. Quand comprendront-ils qu'il est dans leur intérêt de ne pas me mentir ? Je conçois qu'ils ne voient en moi qu'un "baveux", un type qui a fait des études, comme le proc' ou le juge, un gars bizarre qui met une robe pour travailler, mais quand même. Je n'ai qu'une demi-heure, et pas le moindre procès verbal sous les yeux, pour tenter de démêler les fils de l'histoire, et voir où se situe l'intérêt de celui qui m'a appelé à l'aide. Je sens que nous allons nous revoir dans la semaine, mais pas à mon cabinet...

Lundi : Pourquoi les juges ne trouvent-ils rien de mieux que de coller toutes les audiences possibles et imaginables en même temps ? Ils pensent que les avocats ont le don d'ubiquité, sans doute. Je cours, robe sous le bras, vers les différents bâtiments qui abritent qui une audience de prud'hommes, qui les juges aux affaires familiales, qui le tribunal de commerce. Surtout, ne pas s'emmêler les pinceaux dans les dossiers. Si je demande une prestation compensatoire à un conseiller prud'homal, il risque de mal le prendre.

Mardi : J'ai rendez-vous avec mes clients, mais je dois aussi assister mon gardé à vue devant le juge d'instruction, une espèce d'ours mal léché, et je n'ai pas intérêt à être en retard...Ma secrétaire décommande, sous les vivas des clients pour qui leur dossier a nécessairement plus d'importance que les autres. Devant le juge, je lui présente ce qui est censé n'être que de brêves observations, pour tenter de le dissuader de saisir le JLD. Peine perdue. Nouvelle plaidoirie devant ce dernier, nouvel échec. Mon client part en détention provisoire. Visiblement, il ne m'en veut pas, il me remercie même pour mes efforts. Par contre, sa famille, qui attend dehors, est beaucoup moins réceptive à mes explications. Je passe encore un mauvais moment.

Mercredi : Audience au tribunal d'instance. Le juge est un vice-président blanchissant qui croit utile de faire de l'humour sur mon dos...Les confrères se bidonnent, je tente de faire bonne figure. Heureusement qu'il n'y a plus grand monde dans la salle d'audience. C'est le problème des avocats comme moi, sans épaisseur humaine...Heu, pardon, jeunes dans le métier. Je passe dans les derniers, l'ordre protocolaire voulant que passent en premier les confrères extérieurs, puis le bâtonnier en exercice, puis les anciens bâtonniers, puis les avocats dans l'ordre d'ancienneté d'inscription au barreau. Bref, encore une demi-journée à attendre, perdue pour les autres dossiers. Espérons que l'après midi sera plus calme, que je puisse rédiger quelques conclusions. Si le téléphone me laisse un peu de répit.

Jeudi : mes clients se pressent dans la salle d'attente. Je reçois un couple et leurs deux enfants. Ils sont convoqués chez le juge des enfants dans quelques jours. Monsieur fait visiblement un concours du plus grand porteur de piercings et de tatouages. Madame installe sans rien me dire un tapis de jeu et laisse le petit dernier jouer au sol avec un ordinateur pour enfants qui imite à la perfection les bruitages de "la guerre des étoiles". Et quand j'ai le malheur le toucher la tête brune de crasse de sa progéniture, je me fais envoyer sur les roses...Tout juste si elle ne me traite pas de pédophile. Je leur explique que le juge des enfants va décider soit de placer leurs enfants, soit de nommer un éducateur pour les assister, mais la seule réponse que j'obtiens est que si la moindre personne approche, ils ont tous les fusils qu'il faut à la maison. Ca promet.

La cliente suivante veut a-bso-lu-ment obtenir un droit de garde et d'hébergement sur le Yorkshire que son ex-mari a gardé. Comment lui dire sans la vexer que si le ridicule ne tue pas, je tiens quand même un tant soit peu à ma réputation ? Et je ne vous parle même pas de lui faire comprendre qu'en droit, son chien est un meuble, et qu'on ne se partage pas la garde d'un meuble.Tout au plus dissout-on la communauté...

La journée s'écoule sous les complaintes. Quelques cas juridiques ou humains intéressants, mais ils ne sont pas majoritaires. Je me sens récipiendaire de toutes les détresses humaines.

Vendredi : la fin de semaine sera-t-elle plus calme ? Que nenni. Je pars en correctionnelle juge unique "circulation". C'est le juge d'instruction de mardi qui préside. Ca promet. Les savons volent autant que les suspensions de permis, et voilà le tour de mon client. Il a cru bon, alors qu'il conduisait sa camionnette, de s'arrêter pour prêter main forte à des gendarmes qui intervenaient sur un accident de la circulation. En soi, c'est plutôt le geste d'un citoyen modèle. Le problème est qu'il avait un taux d'alcoolémie de quasiment deux grammes d'alcool par litre de sang. En plus, il refuse de reconnaître l'infraction, et je jongle donc dans mes explications entre des arguments tous plus recevables les uns que les autres. Je n'ose pas de front demander la relaxe, comme mon client me l'a pourtant demandé. Je veux bien avoir un mandat impératif, mais il y a des limites, que je n'ai pas réussi à faire comprendre à mon prévenu. Pour lui, il me paye, donc j'obeis...Le président se bidonne, condamne, et passe à un autre dossier. Mon client veut que j'aille immédiatement faire appel. Il veut se ridiculiser une fois de plus à la Cour. Je jetterais bien l'éponge en le dirigeant vers un confrère, mais n'est-ce pas l'abandonner un peu ?

J'allais terminer ma semaine de permanence pénale par l'assistance d'un mineur devant le juge des enfants (un juge chevelu qui semble sortir tout droit d'une bande dessinée de Lucky Luke, version frères Dalton), quand je me réveille en sursaut dans mon lit. Cette course infernale n'était qu'un cauchemar. Ma robe n'est pas celle d'un avocat, et mes contraintes ne sont pas les mêmes. Je n'ai pas de clients mécontents à gérer, je n'ai en face de moi "que" des justiciables. Je peux me rendormir tranquille, en pensant tout de même à la vie infernale de tous ces avocats qui m'entourent.

mardi 12 février 2008

Le vrai-faux SMS du président

A la demande populaire, intéressons-nous donc à la fameuse plainte déposée au nom du président de la République contre nouvelobs.com, filiale du magazine Le Nouvel observateur, mais qui est distinct de la rédaction du magazine papier.

Objet de l'ire présidentielle : la publication par ce site d'une information contestée selon laquelle le président aurait, peu avant son mariage avec Mademoiselle Carla Bruni, proposé à son ancienne épouse de revenir auprès de lui.

Et le président de porter plainte "au pénal", l'expression a été abondamment reprise en boucle dans la presse, y compris dans la lointaine contrée provinciale où j'étais allé plaider, pour "faux, usage de faux et recel". Qualification qui a laissé quelque peu perplexes certains esprits juridiques.

Premier point : la presse était en émoi car "pour la première fois", un président portait plainte "au pénal" plutôt que pour un délit de presse ou une atteinte à son droit à l'image. Ecartons vite cet émoi qui tient plus du Lèse-Majesté que de la révolution judiciaire. Rien n'interdit à un Président de la République d'agir en justice et de porter plainte. Le fait que les prédecesseurs de l'actuel titulaire de la fonction (dont la première caractéristique n'était pas toujours le strict respect de la loi) ne l'aient pas fait ne constitue qu'un coutume qui ne fait pas échec au Code de procédure pénale.

De plus, les plaintes en diffamation relèvent également du pénal, même si c'est un droit dérogatoire sur bien des points (prescription extrêmement courte de trois mois, et les poursuites ne peuvent avoir lieu qu'avec une plainte de la victime dont le retrait met fin aux poursuites du parquet, et pas de prison possible). Quant au droit à l'image, qui est devenu une sorte de rémunération a posteriori qui permet aux journaux de se dispenser de l'autorisation des modèles qu'ils placent à la Une, il ne pourrait trouver à s'appliquer ici, puisque l'image du président n'a pas été utilisée (on parle bien de la représentation graphique de sa personne, pas de son image au sens d'opinion que les gens ont de lui).

Ceci étant réglé, le deuxième point, qui se divisera en deux parties : les qualifications retenues, et la forme de la plainte.

Le faux est défini à l'article 441-1 du Code pénal :

Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques.

Décomposons en juristes : Altérer veut dire changer, modifier. Forger un faux à partir de rien, ou modifier un document véritable sont des actes de falsification. Frauduleuse implique que le faussaire ait conscience d'altérer la vérité. "De nature à causer à préjudice" signifie qu'il n'y a pas de faux si cette falsification ne peut faire de tort à personne. La jurisprudence est d'une extrême sévérité, et une simple éventualité de préjudice lui suffit pour condamner. "Accompli par quelque moyen que ce soit" parle de lui même. "Un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée" signifie que le faux doit être matérialisé sur un support : il n'y a pas de faux par mensonge verbal. "Qui a pour objet ou peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques" implique que le faux doit pouvoir avoir des conséquences juridiques. Là encore, une simple éventualité suffit. Si cela ne pose pas de problème dans les écritures qui ont en soit pour effet d'établir une preuve (falsification des énonciations d'un contrat), cela peut aller jusqu'à mentionner sur une lettre un lieu d'écriture inexact pour se fabriquer un alibi.

La jurisprudence distingue le faux matériel du faux intellectuel : le faux matériel frappe le support lui même (une carte d'identité fabriquée par un faussaire, par exemple) tandis que le faux intellectuel frappe le contenu (une vraie carte d'identité fabriquée par les services du ministère de l'intérieur, mais établissant une identité inventée).

Le délit de faux est puni de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende au maximum.

L'usage de faux consiste à utiliser un document que l'on sait faux quand bien même on n'en est pas l'auteur : présenter à la police une fausse carte d'identité, déclarer des revenus minorés par l'inscription de fausses dépenses professionnelles dans sa comptabilité. Il est puni des mêmes peines.

Le recel consiste quant à lui à détenir ou dissimuler la chose provenant d'une infraction ou de bénéficier en connaissance de cause du produit de cette infraction. Le recel par détention d'un SMS me paraît impossible, s'agissant d'un message électronique allant du téléphone émetteur au destinataire en passant par les machines des opérateurs dans le cadre du fonctionnement normal du réseau. La plainte doit donc viser le fait d'avoir bénéficié du produit d'un délit, en l'espèce le faux.

Car la plainte vise nouvelobs.com, organe de presse en ligne appartenant au journal le Nouvel Observateur : le site n'a en lui même aucune personnalité juridique si j'en crois les mentions légales.

Elle implique donc (n'ayant pu me la procurer, je suppute) que le Nouvel Observateur a soit fabriqué un faux SMS, soit utilisé en le publiant un SMS qu'il savait être faux, soit tiré bénéfice d'une quelconque façon du délit de faux.

Mais cette déduction que je pensais être de bon sens est contredite par le propre avocat du Président, mon excellent confrère Thierry Herzog, qui laisse entendre que ce SMS aurait été purement et simplement inventé par le journaliste et que c'est ce que sa plainte tend à démontrer.

Voilà qui chiffonne l'orthodoxie juridique : inventer quelque chose, ce n'est pas forger un faux. Publier un mensonge, ce n'est pas un usage de faux, et encore moins un recel. D'autant qu'il est douteux que ce SMS puisse être considéré comme destiné à faire la preuve d'un fait ayant des conséquences juridiques : la proposition qu'il contient n'est pas une pollicitation[1] mais une simple sollicitation.

Publier un mensonge est bien un délit, mais un délit de presse, prévu par l'article 27 de la loi du 29 juillet 1881 :

La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d'une amende de 45000 euros.

Comme vous le voyez, il y a une condition supplémentaire, c'est que la publication "trouble la paix publique". La paix publique, pas la paix des ménages, fussent-ils présidentiels.

Mais l'invention pure et simple de ce SMS et la publication de cette information n'est pas un délit en soit. La sanction est pire : c'est l'atteinte au crédit du journal qui l'a faite, et la confiance du lecteur est le bien le plus précieux d'un journal.

Bref, s'il était établi que l'avocat du Président dit vrai, et que nouvelobs.com a purement inventé ce SMS, la plainte pour faux devra être classée sans suite.

Paradoxe ? En apparence seulement. L'explication se situe à mon avis sur un plan de stratégie judiciaire.

Il s'agit d'une plainte simple auprès du procureur de la République. C'est normal car depuis la loi du 5 mars 2007, entrée en vigueur sur ce point le 1er juillet dernier, il n'est désormais plus possible de saisir directement le doyen des juges d'instruction d'une plainte avec constitution de partie civile. Ce n'est que si le procureur répond qu'il classe sans suite ou qu'il ne répond pas dans un délai de trois mois que la victime retrouve son droit de saisir directement le juge d'instruction.

Ce qui convient à mon avis parfaitement au plaignant en l'espèce.

En effet, le procureur de la République va trouver sur son bureau une plainte émanant du Président de la République. Et je dis sur son bureau au sens propre : la plainte va très vite remonter la voie hiérarchique. Sauf à vouloir terminer sa carrière comme procureur du Tribunal de première instance de Saint Pierre, il y sera donné suite (d'autant que le plaignant connaît bien la patronne du chef du procureur), sous forme d'une enquête préliminaire (art. 75 et s. du code de procédure pénale), menée par la police sous la direction du seul parquet. L'avantage d'une telle enquête est sa discrétion : ça se passe entre la police et le parquet, aucun avocat n'y a accès tant qu'un juge n'est pas saisi, même si des personnes sont placées en garde à vue. Vous savez ce que c'est : les avocats, ça dérange.

Vous me direz, l'avocat du plaignant non plus n'y a pas accès. Ce n'est pas tout à fait exact. En cas de classement sans suite, le plaignant peut demander à avoir une copie de la procédure : article R. 155 du CPP. De plus, la patronne du chef du procureur peut, par pur intérêt professionnel bien sûr, demander une copie de ce dossier. Tête en l'air comme elle est, il n'est pas impossible qu'elle l'oublie sur la table du Conseil des ministres un mercredi...

L'enquête va donc soit établir qu'aucun SMS n'a été reçu en provenance du présidentiel téléphone, ce qui devrait établir la fausseté du fait, soit si un tel SMS a bien été envoyé, va établir comment l'info a fuité. Le fait qu'un jour, un journaliste soit finalement cité devant un tribunal correctionnel est donc bien secondaire.

Je ne sais pas laquelle de ces hypothèses est la bonne : faux SMS ou vrai SMS. Je constaterai simplement avec vous que la plainte présente bien plus d'intérêt dans l'hypothèse où le SMS serait authentique : le président est connu pour son inextinguible rancœur pour ceux qui ont voulu lui faire du mal, j'ai un confrère qui en sait quelque chose. Encore faut-il les identifier. Et cette nécessité peut justifier bien des pirouettes.

Donc nous verrons : soit l'enquête démontre l'impossibilité qu'un tel SMS ait été envoyé et il y aura sans doute un communiqué de presse en ce sens. Soit elle identifie l'auteur de la fuite de l'information avérée, et sera classée sans suite. D'ici là, les Français auront oublié, et le Président pourra aiguiser son crochet de boucher.

Notes

[1] Offre de contracter, en langage juridique. Quand votre maraîcher pose un cageot de pommes sur son étal et écrit sur une ardoise au-dessus "3 euros le kilo", c'est une pollicitation. Une acceptation par un chaland ("Mettez m'en un kilo.") forme le contrat de vente et transfère la propriété sans autre formalité.

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