Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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dimanche 18 janvier 2009

Aggravons les aigreurs d'estomac de Gascogne

Je profite honteusement de ma position de seul maître à bord à part Fantômette pour publier mon commentaire au billet de Gascogne sous forme d'un autre billet, pour apporter un autre son de cloche.

En tant qu'avocat (j'assume pleinement le biais de perception), je me réjouis des propos de M. Aphatie, nonobstant les quelques approximations et contradictions, relevées avec justesse par Gascogne. Car si Gascogne a raison de s'agacer des attaques gratuites à l'encontre des juges (je confirme que pas un seul juge n'a eu à connaître à ce jour du dossier de M. Dray), Jean-Michel Aphatie a raison de s'indigner des conditions de cette enquête. Même si elle est parfaitement légale.

Je me réjouis de cette indignation car je sais que rien ne fait plus progresser les libertés des citoyens que la peur des élus (et des journalistes, à l'occasion) qu'on leur applique un jour la loi.

De ce point de vue, je remercie Julien Dray et Vittorio de Filippis d'avoir ainsi donné de leur personne.

L'enquête préliminaire, pour ce qui concerne monsieur Dray, est, je ne dirais pas un archaïsme, mais en son état actuel une anomalie née d'une tricherie. C'est même cet aspect de tricherie qui a fait son succès (je sens le froncement de sourcils dubitatif des magistrats et policiers qui me lisent : je vais m'expliquer).

Une anomalie car au début, elle n'était pas prévue par le Code d'instruction criminelle mais est née d'une pratique. Le principe était que toute infraction (même en flagrance) devait passer entre les mains du juge d'instruction, sauf citation directe par la partie civile (et la partie civile seulement) : art. 182 du code d'instruction criminelle ancien. C'est un coup d'État judiciaire qui a peu à peu dépossédé le juge d'instruction de ses prérogatives, avec sa complicité parfois. La suppression annoncée est l'aboutissement d'un long processus plus que l'inspiration soudaine d'un président hyper-actif.

Entendons-nous bien. Que la police puisse aujourd'hui, d'office ou sur ordre du parquet, mener une enquête non coercitive, y compris sur la base d'un simple soupçon me paraît en soi acceptable dans une société démocratique. Le rôle de la police et du parquet est de rechercher les infractions, pas de juger celles qui lui tombent toutes ficelées entre les mains. Rappelons que dans l'affaire Dray, nous avons le schéma suivant : l'État verse des subventions à une association lycéenne, la FIDL, et on découvre des traces de mouvements financiers importants entre cette association et un élu et haut responsable du deuxième parti de France, spécifiquement en charge de la jeunesse, élu qui procède à des achats d'objets de luxe dont le coût est incompatible avec son train de vie pourtant confortable. Le simple soupçon, reposant sur des indices, que des subventions de l'État finisse par financer des achats de luxe d'un élu suffit largement selon moi à justifier que l'on procède à une enquête.

Là où se noue le problème, c'est que l'enquête préliminaire peut devenir coercitive et le devient très facilement.

La garde à vue est applicable en matière d'enquête préliminaire : art. 77 du CPP. C'est-à-dire que la loi permet à l'officier de police judiciaire en charge de l'enquête de maintenir à sa disposition, dans les conditions que l'on sait, une personne pendant 24 heures au commissariat, au secret, sans lacet, sans ceinture, sans montre (et on sait que pour M. Dray, une telle éventualité est insupportable), avec au bout de 24 heures non pas la liberté mais l'annonce d'un renouvellement de la mesure.

Dès lors, la demande d'autorisation de perquisitionner est une pantalonnade. Je vais vous expliquer comment ça se passe.

— Ding ♪ Dong ♫
— (L'homme lève la tête de son ordinateur, affichant la page des comms de son skyblog) Tiens ? On a sonné. (Coup d'œil à sa montre) À 07h 57mn 41s 23 centièmes ? Comme c'est curieux. (Ouverture de porte)
— Bonjour. Je suis le commandant de police Mèque-Mailledet. Dans le cadre d'une enquête préliminaire pour abus de confiance, j'ai reçu du procureur des instructions de procéder à une perquisition à votre domicile.
— Ah ? Mais… Je… Puis-je appeler mon avocat ?
— Négatif, monsieur, le Code de procédure pénale ne le prévoit pas[1]. Mais au préalable, il faut que vous me signiez ce formulaire.
— (Chausse ses lunettes Porsche®) Voyons. Ah ? Vous avez besoin de mon autorisation ? Donc, je peux refuser ?
— Affirmatif. (Sort ses menottes et joue avec ostensiblement) Mais dans ce cas, c'est la garde à vue, pendant que le procureur saisit le JLD pour obtenir une autorisation de perquisitionner malgré votre refus (art. 76 du CPP).
— Mais… J'avais lu sur le blog de maître Eolas que cette possibilité n'était ouverte que pour les délits punis d'au moins cinq ans de prison, et l'abus de confiance n'est puni que de trois ans ?
— (In Petto : Damned, c'est un dur à cuire) Et bien on dira que c'est pour escroquerie, ou détournement de bien public par personne chargée d'une mission de service public. De toutes façons, la demande d'autorisation au JLD se fait sans débat donc hors la présence de votre avocat (ou de la votre…) et si on requalifie postérieurement en délit passible d'une peine inférieure à 5 ans, il n'y a pas de nullité de la procédure. Et puis ça vous fera 48 heures de garde à vue. Vous imaginez, si la presse l'apprenait ?
— (Sort son stylo MontBlanc®) Je signe là ?

Voilà tout le problème : la coercition est déjà là, mais pas encore les droits de la défense, parce que, argument que vous me permettrez, car ne l'ayant pas entendu dans votre bouche, cher Gascogne, de trouver hypocrite, on n'en serait qu'au stade de l'enquête préliminaire, et qu'aucune décision de poursuite n'a été prise. Pas de notification des charges (c'est à la bonne volonté de l'officier de police judiciaire, jusqu'au placement en garde à vue, qui est seule créatrice de droit), pas d'assistance d'un avocat, pas de communication du dossier. Mais on peut d'ores et déjà l'interroger (si on veut) et même priver de liberté et engeôler. J'avoue que n'étant pas assez intelligent pour avoir fait magistrat, la subtilité fondée sur l'absence de décision de poursuite m'échappe.

Et cette situation est une tricherie, une violation de l'esprit de la loi, perpétrée par vos collègues il y a 111 ans.

La grande loi qui a mis fin à la procédure d'instruction secrète où l'inculpé était la chose du juge d'instruction est la loi du 8 décembre 1897. Merci les affaires de Panama et des décorations qui ont fait goûter aux politiques le goût amer du Code d'instruction criminelle.

Elle a posé le principe, repris à l'article 105 du CPP, que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves et concordants de commettre une infraction ne peuvent être entendues en qualité de témoin. Comprendre : elle ne peuvent l'être que comme mises en examen, en présence de leur avocat ayant eu préalablement accès au dossier.

Puis apparurent les enquêtes de police. Et les suspects, mot qui rappelons-le ne figure pas dans le code, furent longuement entendus en garde à vue. Émotion des avocats, qui soulèvent la nullité : leur client n'étant pas mis en examen, il est entendu comme témoin, ce que la loi prohibe.

Pas du tout a dit la cour de cassation. L'article 105 ne s'applique qu'aux seules informations judiciaires. Oubliant qu'à l'époque du vote du texte, l'instruction étant un passage obligé, le législateur ne pouvait pas avoir voulu prévoir de limiter la portée de ce principe.

Dans le cadre d'enquêtes de police, conclut la cour de cassation, c'est parfaitement possible (et fut un temps où on leur faisait même prêter serment de dire la vérité…).

Et encore, si la cour de cassation avait strictement appliqué l'article 105 à l'instruction, mais il n'en fut rien, à tel point que le législateur, oublieux de ses ennuis passé, a cédé et expressément validé les gardes à vue sur commission rogatoire des suspects. D'où le sommet d'hypocrisie de notre procédure pénale, qui permet à un juge d'instruction de faire placer en garde à vue, de se faire communiquer les PVs d'audition, de renouveler la mesure pour 24 heures supplémentaires, qui prévoit l'obligation de se faire présenter la personne pour renouveler la mesure de garde à vue (art. 154 du CPP) mais surtout interdit au juge d'instruction, à peine de nullité de la procédure, d'interroger lui même le gardé à vue. Dame : il faudrait qu'un avocat soit présent et accède au dossier, vous n'imaginez pas. C'est ce que mon confrère François Saint-Pierre appelle pertinemment la sous-traitance de l'instruction aux services de police[2]. Cette garde à vue ne vise pas à réunir des éléments nouveaux, mais à obtenir des aveux avant l'arrivée de cet importun en robe qu'est l'avocat. Et la cour de cassation veille jalousement à valider cette pratique contra legem. Avec des brillants résultats à l'occasion.

L'indignation de Jean-Michel Aphatie me réjouit. Elle révèle une prise de conscience de certains aspects archaïques pour un État de droit de notre procédure pénale (je reprends ma formule : faite pour qu'un État fort juge des coupables). Il est plus que temps. Je rappelle ici que la France, entre 1999 et 2007, s'est vue condamnée 187 fois pour violation du droit à un procès équitable : seules la Turquie, la Russie, l'Italie et l'Ukraine font mieux sur les 47 pays signataires.

Il y a cependant un danger dans la réforme à venir : si on supprime l'instruction pour lui substituer la seule enquête préliminaire, ce serait un grave recul des droits de la défense. Ce n'est pas ce qui ressort des propos du président. Mais j'ai en la matière des droits de la défense une confiance très modérée en l'actuelle majorité.

2009 promet d'être une année charnière. Mais dans quelle sens la charnière jouera-t-elle ?


PS : aux étudiants en droit : j'espère que ce billet vous fera comprendre tout l'intérêt de prendre les matières d'histoire du droit à la fac. Ce sont elles qui vous feront comprendre le droit d'aujourd'hui. Qui de toutes façons aura changé quand vous commencerez à exercer.

Notes

[1] C'est exact, mais il ne l'interdit pas non plus, voyez l'astuce.

[2] François Saint-Pierre, Le Guide de la Défense Pénale, Dalloz, 2007, §112.7.

mercredi 14 janvier 2009

Et ailleurs, ça se passe comment ? (1) L'Angleterre et le Pays de Galles

Avant de continuer à débattre sur le juge d'instruction en France, voyons comment ça se passe ailleurs.

Commençons par nos voisins dont nous avons su prendre le meilleur (la démocratie et le rugby) en leur laissant le pire (la Marmite® ) : le Royaume-Uni. Qui en l'espèce n'a d'uni que le nom, puisque le système judiciaire dont nous parlerons ne concerne que deux des quatre royaumes : l'Angleterre et le Pays de Galles.

L'Angleterre et le Pays de Galles ont un système accusatoire centré sur l'oralité des débats et la stricte égalité des armes. C'est le modèle anglo-saxon, dont des déclinaisons existent aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, à Hong Kong et dans les îles du Pacifique et qui a été adopté assez largement par les pays de l'est après la fin de la guerre froide.

Rez-de-chaussée : l'enquête de police

En Angleterre et au Pays de Galles, la police est sinon indépendante, du moins largement autonome pour mener les enquêtes criminelles. C'est la charge d'un service spécial, le CID, Criminal Investigation Department. Ses membres portent tous le titre de Detective, du grouillot de base le Detective Constable au chef, le Detective Chief Superintendant. Ce sont des policiers expérimentés (il faut au moins deux ans d'expérience en tenue pour passer Detective) qui sont sélectionnés sur dossier et suivent une formation spécifique. Cela s'apparente en France à l'examen d'habilitation d'Officier de Police Judiciaire. Les Detectives sont en civil pour opérer en toute discrétion. Historiquement ce sont les premiers à avoir ainsi opéré (les Français ont bien eu l'idée en premier, mais ne l'ont appliqué qu'à la police politique…). Notons que la police britannique n'est pas un corps national, mais divisé au niveau de chaque région (Londres étant une région à elle seule). Londres est le domaine de la Met, la Metropolitan Police Service, à l'exception de la City dont les 8000 habitants (plus 300.000 aux heures de bureau…) ont leur propre police pour des raisons historiques : la City Of London Police.

Dans la tradition anglo-saxonne, la police n'a pas de prérogative particulière, ni de statut spécifique. On est loin de la tradition française, qui donne des prérogatives particulières aux officiers de police, en contrepartie d'obligations déontologique et du serment. La police par exemple ne peut contraindre personne à venir témoigner. Alors qu'on n'a pas le choix de ne pas venir témoigner en justice.

Cela dit, les choses ont légèrement changé depuis tout de même un certain temps et la police a quelques petits pouvoirs. Ainsi, la police a le pouvoir d'arrêter un suspect (pouvoir en théorie dévolu à tout citoyen, mais qui engage alors sa responsabilité. La police n'engage sa responsabilité si elle arrête un suspect que de façon restreinte) et de le maintenir dans ses locaux pour quelques heures, pour y être interrogé. Ce qui ressemble à une garde à vue est contrôlé par un officier de police spécial, qui n'est pas en charge de l'enquête. Le délai de la garde à vue est normalement de 24 heures et il peut être porté à un maximum de 28 jours en matière de terrorisme.

L'interlocuteur judiciaire des CID est l'équivalent du Parquet, le Crown Prosecution Service (CPS). La police a normalement la charge de saisir la justice mais pour certaines affaires, les plus graves, cette responsabilité est contrôlée par le CPS dont c'est la responsabilité de s'assurer que les preuves suffisantes des éléments constitutifs de l'infraction ont été réunies. Il n'est pas hiérarchiquement supérieur à la police, la loi britannique ne parle que de conseils sur l'enquête, mais en pratique, ce conseil se rapproche bien d'un ordre. La politique pénale est donc entièrement entre les mains de la police, le CID n'ayant aucune prérogative à cet égard.
Les membres du CPS sont des fonctionnaires, totalement distincts des magistrats britanniques, recrutés, comme nous allons le voir, soit parmi des citoyens de bonne volonté soit parmi des avocats expérimentés et honnêtes (c'est dire si la sélection est relevée…).


Le Bail

Une fois un suspect arrêté, se pose la question de savoir quoi en faire.

La détention provisoire telle que nous la connaissons est quasiment inconnue en Angleterre et au Pays de Galles. Le principe est celui du Bail, prononcer Bé-il. Le Bail désigne historiquement une caution, une somme d'argent déposée par le suspect pour garantir sa représentation. Par extension, c'est devenu tout ordre de comparution en justice, même sans caution. Le Bail peut être délivré par la police quand la personne interpellée n'est pas poursuivie (l'enquête doit se poursuivre), soit pour se représenter au service tel jour à telle heure (Police Bail), soit de se présenter directement à la Cour (Police to Court Bail). Le Bail peut également être délivré par un magistrate (v. plus bas), avec ou sans caution dont le montant est alors fixé, si l'affaire n'est pas en état d'être jugée ou relève d'une juridiction supérieure.

Ne pas se présenter à la convocation quand on fait l'objet d'un bail est un délit grave, passible de prison de 6 mois à un trois ans, je reviendrai sur ce point). C'est d'ailleurs un problème car les populations les plus défavorisées ne comprenant pas l'importance de ce bail sont les plus enclines à ne pas y déférer (les juges français qui me lisent qui ont ordonné des renvois en correctionnelle dans des affaires où le prévenu est sans avocat comprendront) avec des conséquences dramatiques puisque la carence à un bail prive du droit au bail dans la même affaire.

Le Bail est en principe un droit : un suspect doit être relâché sous bail. Néanmoins, dans certains cas particulièrement graves, la loi autorise le juge à refuser le bail, ce qui signifie le placement en détention jusqu'au jugement. Ces détentions sont toutefois rares, et surtout courtes, le délai moyen entre l'arrestation et le passage devant la cour (y compris en matière criminelle) étant de treize semaines. Je peux vous dire que ça fait rêver un avocat français.


Premier étage : les magistrates.

La porte d'entrée de l'édifice judiciaire pénal de sa Gracieuse Majesté est le Magistrate's court. Un magistrate n'est pas en principe un juge professionnel. Ce sont en principe des citoyens qui assument bénévolement ces fonctions, seulement défrayés de certains frais, en tant que justice of peace, abrégé JP) (juge de paix, un peu comme nos juges de proximité aujourd'hui). Les JP siègent par trois (ils forment le Bench, le Banc) et doivent 26 demi-journées de service par an. Ils sont assistés d'un Clerk of Justices, qui est là pour leur apporter l'éclairage juridique indispensable quand des points de droit complexes sont abordés, ou pour leur signaler que la sanction qu'ils envisagent est illégale.

Il y a cependant des juges professionnels qui assument ce rôle, quand un tribunal ne parvient pas à avoir suffisamment de JP. Ces stipendiary magistrate ou depuis 1999 district judge, abrégé DJ, sont choisis parmi les avocats ayant 5 ans d'ancienneté (7 ans avant 2004). Ils siègent dans ce cas seuls (mais aussi assistés d'un Clerk).

En matière pénale, les magistrate's courts sont un passage obligé. La loi distingue trois catégories d'infractions passibles du juge : les summary offences, qui relèvent de la seule compétence du magistrate, qui peuvent être punies de prison pour un maximum de 6 mois, 12 mois en cas de récidive, les indictable offences, qui relèvent de la seule compétence de la juridiction supérieure, la Crown Court (cf. ci-dessous), et les offences triable either way : ces délits d'une certaine gravité peuvent être jugés par les magistrates mais s'ils estiment vu la gravité des faits et la personnalité du prévenu que la peine qui s'imposerait dépasse leur compétence (soit plus de 6 mois de prison ou 12 en cas de récidive), ils peuvent décider de renvoyer l'affaire à la Crown Court. Le prévenu peut demander lui-même à être renvoyé devant la Crown Court, pour bénéficier du jugement par un jury, mais il doit être averti du risque de se voir condamné plus lourdement. Enfin, les magistrates qui ont jugé une affaire et déclarent coupable le prévenu peuvent renvoyer le condamné devant la Crown Court pour le prononcé de la peine (sentencing) s'ils estiment qu'une sévérité plus grande que celle que leur permet la loi s'impose.

C'est aux magistrates de qualifier l'affaire qui leur est soumise (même si dans certains cas c'est une simple formalité) et de statuer sur le sort du prévenu dans l'attente du jugement : liberté, liberté sous caution (bail) ou détention provisoire. Ils ont donc ici le rôle dévolu en France au juge d'instruction de notification des charges (la mise en examen) et au juge des libertés et de la détention, mais n'ont aucun pouvoir d'interrogatoire sur les faits.

La défense pénale devant les magistrates est du domaine des Sollicitors, qui se rapprochent de nos avoués. Les barristers (les avocats) peuvent bien sûr aller plaider devant les magistrates, mais c'est rare (ils sont nettement plus chers). On s'adresse à un magistrate en lui disant Your Worships, ou si un District Judge est présent, Sir/Madam.


Deuxième étage : les judges and jury.

La Crown Court (il y en a 90 en Angleterre et au Pays de Galles) juge les délits les plus graves et les crimes. Elle est également juge d'appel des décisions des magistrate's courts. Elle est composée d'un judge et d'un jury de douze citoyens tirés au sort (dans le cas d'une offence triable either way, c'est le prévenu qui décide s'il veut un jury ou non). Le jury délibérera seul, et sur la seule question de la culpabilité. Le principe est l'unanimité, mais le juge peut décider d'accepter une décision majoritaire de 10 contre 2 (autant dire qu'en Angleterre, 12 hommes en colère aurait été un court métrage). C'est le juge qui décidera seul de la peine. Notons que les cours d'assises ont fonctionné ainsi en France jusqu'à une loi de 1941 (oui, de Pétain) validée à la libération qui a instauré le système actuel de délibération commune avec les magistrats sur la culpabilité et la peine (ce système est encore en vigueur en Belgique). Le juge est assisté d'un Clerk, qui tient ici plus du greffier français que du conseil, du cryer qui est notre huissier, outre un sténographe qui tient un compte-rendu détaillé des débats (un autre domaine où le droit français pourrait faire des progrès dans l'intérêt de la défense).

On s'adresse à eux en disant My Lord ou My Lady (attention, le port de la perruque et de la robe est trompeur).

Troisième étage : la High Court, la Court Of Appeal et la Chambre des Lords.

La High Court of Justice, juridiction unique siégeant en principe à Londres mais se déplaçant selon les besoins, juge les crimes les plus graves (selon une procédure avec jury similaire à la Crown Court mais étant présidée par des magistrats expérimentés et triés sur le volet). Les juges à la High Court étant systématiquement anoblis si besoin avec le titre de Chevalier Bachelier (Knight Bachelor) pour les hommes et Dames Commander of the Order of the British Empire pour les dames, on les appelle My Lord ou Your Lordship si ce sont des hommes, ou My Lady ou Your Ladyship dans le cas contraire. Quand on se réfère à eux, on fait précéder leur nom du mot Justice : Mr Justice Donaldson.

La Court of Appeal juge les appels des jugements des Crown Courts rendus avec l'intervention d'un jury, c'est-à-dire ceux où l'accusé plaidait non coupable (v. plus bas). Les jugements sur la peine relèvent de la High Court. Mêmes règles d'adresse que ci-dessus : le terme de Your honor étant réservé aux Circuit Judges, qui est un rang et non une fonction (équivalent de président de chambre de cour d'appel).

L'appel des décisions de la Court Of Appeal ou de la High Court sur la peine relève de la Chambre des Lords (pas en son entier, une formation restreinte, spécialisée et distincte de la fonction législative, qui va disparaître en octobre prochain au profit d'une Cour Suprême plus classique), avec cette particularité que l'appel doit être autorisé par la Court of Appeal ou la Chambre des Lords, au vu du sérieux des moyens soulevés.

Le droit anglais distingue les appels sur la culpabilité et les appels sur la peine. Tout simplement parce que la culpabilité est prononcée par un jury populaire et la peine par un juge. D'autant que comme nous allons le voir, le jury ne siège que si la culpabilité est niée : un accusé plaidant coupable n'a qu'un jugement sur la peine.


Le noyau du système : le plea.

Le système anglo-saxon repose sur un élément totalement ignoré de la procédure pénale française : la position de l'accusé sur sa culpabilité, ou plea, déformation du français plaid, racine de plaidoirie.

Le système anglais connaît une incitation à la reconnaissance de culpabilité : si l'accusé plaide coupable (guilty plea), le tribunal passe directement au prononcé de la peine. Pour le remercier d'alléger ainsi la charge de la justice, le tribunal prononcera une peine plus légère. Si la loi ne prévoit pas de droit à la réduction ni ne la quantifie, l'usage tourne autour d'un tiers en moins par rapport à ce qui aurait été prononcé en cas de culpabilité contestée. On peut contester ce marchandage au nom de la dignité et de l'égalité, mais reconnaître la culpabilité est généralement un signe de prise de conscience de la gravité et de l'acte, donc d'amendement. C'est de ce système qu'est inspiré la Comparution sur Reconnaissance Préalable de culpabilité, sauf que les parquets ont souvent du mal à intégrer le concept de carotte : il faut proposer une peine plus légère que celle qui sera prononcée, et non requise. La négociation actuelle tourne trop souvent sur le simple gain de temps ou la disparition de l'incertitude sur la peine. Il y a du progrès à faire.

Quand un accusé plaide non coupable, l'accusation (le Crown Prosecution Service, CPS, qui est un corps de fonctionnaires en Angleterre sans statut assimilé à celui de magistrat) doit présenter ses preuves (offer evidence), et l'accusé a le droit d'être confronté à ses accusateurs. Le principe est que les témoins et les policiers ayant procédé à l'enquête doivent venir déposer en personne, afin d'être interrogé par le CPS et contre-interrogé par l'avocat du défendeur. Si le CPS ne peut présenter de preuve, parfois pour de pures raisons techniques (les documents se sont égarés, ça arrive dans les dossiers de délits mineurs, ou le témoin n'est pas venu), c'est la relaxe ou l'acquittement assurée. Sinon, les preuves sont examinées par la juridiction qui Devant une cour avec jury, quand un dossier s'écroule en pleine audience, la défense peut demander que le juge constate que le dossier ne contient pas de base suffisante pour une accusation (a live issue) par une demande appelée submission of no case to answer ou motion for dismissal). Ça ressemble à un non lieu en pleine audience. Le juge qui constate que l'accusation est aussi insubmersible que le Titanic et que l'avocat de la défense a l'esprit ailleurs, peut d'office demander à l'accusation si elle maintient les poursuites (ce qui est une invitation à ne pas le faire). Si l'accusation jette l'éponge, le juge retire le dossier au jury (withdraws the case from the jury) et prononce un acquittement immédiat. Cette nécessité d'apporter un dossier solide à l'audience s'appelle couramment passing the judge : passer le juge.

Récemment, un juge de Crown Court a ainsi retiré le dossier à un jury dans une affaire de vol avec violences, commis sur un véhicule d'auto-école. L'accusation a présenté à la barre la monitrice, qui avait repoussé les agresseurs sans se laisser démonter,et a formellement identifié le jeune prévenu. Le juge a estimé que la procédure était viciée, car le témoin inspirait une trop grande confiance de nature à impressionner le jury, mais présentait une preuve en réalité trop fragile (elle n'a pu voir le visage de son agresseur qu'un bref moment, dans des circonstances de grand stress). Dès lors, l'accusation substituait à une preuve solide la crédibilité de la victime, qui avait toute la sympathie du jury. Le juge ne pouvait accepter cela et a aussitôt prononcé un non-lieu. Les tabloïds britanniques sont fous de rage. L'avocat est admiratif.

Le jury n'a pas d'instruction particulière pour trancher. Son serment, prêté sur le Nouveau Testament pour les chrétiens, l'Ancien Testament pour les juifs, le Coran pour les musulmans, est ainsi libellé : - I swear by Almighty God that I will faithfully try the defendant and give a true verdict according to the evidence : « Je jure par Dieu Tout-Puissant que je jugerai loyalement le défendeur et rendrai un verdict sincère et conforme aux preuves produites ». Les athées et autres religions peuvent à la place du Serment prononcer l'Affirmation : - I do solemnly, sincerely and truly declare and affirm that I will faithfully try the defendant and give a true verdict according to the evidence : « Je déclare et affirme solennellement, sincèrement et véritablement que je jugerai loyalement le défendeur et rendrai un verdict sincère et conforme aux preuves produites ».

Après l'audience sur la culpabilité se tient, souvent un peu plus tard, l'audience sur la peine, sans jury. C'est à ce moment là, et à ce moment là seulement que peuvent être présentés des éléments de personnalité. La peine, en règle générale, est sensiblement plus sévère que les peines prononcées en France.


Conclusion : the best system in the world ?

Le système accusatoire britannique a des vertus, notamment du point de vue des droits de la défense, qui charment l'avocat français. Ainsi, le prosecutor ne plaide pas devant un collègue qu'il tutoie dans les couloirs, mais devant un magistrat aussi intraitable avec lui qu'avec l'avocat de la défense. Les délais de jugement sont également bien plus courts et la détention provisoire reste exceptionnelle.

Mais il a également des côtés négatifs. La défense peut discuter le dossier de la police, mais n'a pas de moyen de la forcer à accomplir telle ou telle diligence. La recherche de preuves (comme une expertise parfois coûteuse) est à sa charge. Également, la protection des droits de la défense a pour contrepartie une plus grande sévérité dans les peines. Le système n'est pas à l'abri d'erreurs voire d'errements de la police : les Quatre de Guildford, les Sept de Maguire, dont l'histoire a inspiré le film Au Nom du Père de Jim Sheridan (1993), ont passé 16 ans en prison, et ont vu un recours en révision rejeté quand bien même le ministère de l'intérieur avait admis dans un mémoire qu'il était peu probable qu'ils fussent coupables. L'histoire se souviendra de leur premier juge, Mr Justice Donaldson, qui lors du procès avait expressément regretté que l'accusation n'eût pas retenu le crime de Trahison qui était passible de la peine de mort automatique, peine qu'il n'aurait eu aucune difficulté à prononcer, magistrat qui, l'usage d'alors voulant que le juge donnât son avis sur une éventuelle libération conditionnelle mais craignant d'être mort ce jour là, a prononcé une peine de sûreté de 30 à 35 ans selon les accusés. Il est mort en 2005, soit bien après que l'innocence de ces irlandais ait été reconnue en 1989.

Les Britanniques sont bien conscients de ces difficultés et plusieurs éléments de réformes sont intervenus, dans deux sens :
- faciliter le travail de l'accusation, par exemple en limitant la portée du Hear-say rule, une règle qui interdit de faire état de chose que l'on a entendue ("oui-dire"). Il ne s'agit pas simplement d'interdire de rapporter une rumeur, mais plus largement d'interdire de rapporter ce qu'on a entendu (j'ai entendu untel me dire qu'il avait fait cela). Désormais, par exemple, la police pourra produire des procès verbaux d'audition de témoins qui ne peuvent pas se déplacer en justice (parce qu'ils habitent loin, parce qu'ils sont décédés...).
- accroître les exigences en terme de preuve. Cela est passée par une professionnalisation des services d'enquête, mais aussi par la création du CPS (institution récente, qui date de 1984). Par le "double regard" qu'il apporte à l'enquête, le CPS contribue à sa qualité.

Je me souviens avoir lu qu'un haut magistrat britannique, qui connaissait fort bien les deux systèmes, s'était vu demander s'il préférerait être jugé par une cour britannique ou française. Il avait répondu, en bon britannique : « Ça dépend. Si je suis coupable, je préférerai le français. » Une façon élégante de faire du French-bashing, mais il a raison sur un point : le système français a été conçu comme l'outil d'un État fort pour juger des coupables. Malheur à l'innocent entraîné par son maëlstrom. Il n'est pas conçu pour lui.
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Mes remerciements à Paxatagore, co-auteur de ce billet, pour ses corrections, remarques, et suggestions.


NB Lisez absolument les commentaires signés "Trouble-fête" sous ce billet, qui nous apporte des précisions et parfois des corrections. Nothing beats the practice : rien ne vaut l'éclairage de quelqu'un qui pratique le système de l'intérieur.

mardi 13 janvier 2009

Quelques bonnes raisons de supprimer le juge d'instruction (3) - Mettre fin à la dualité des poursuites

Par Paxatagore


Troisième argument, à mes yeux le plus important ce ceux que j'ai évoqué jusqu'à présent : la nécessité de supprimer la dualité des poursuites.

Aujourd'hui, quel est notre système ?

95% des affaires présentées à un tribunal ont fait l'objet d'une enquête par la police ou la gendarmerie. Celle-ci a fait son enquête tranquillement dans son coin, en en rendant plus ou moins compte au procureur de la République. Il n'y a pas eu de phase contradictoire : pendant la garde à vue, on a demandé au suspect s'il avouait, on a éventuellement vérifié ses déclarations, ses alibis. Mais on ne lui a pas donné accès au dossier. Et s'il a vu un avocat, c'est d'avantage pour se rassurer que pour se défendre, l'avocat non plus n'ayant pas accès au dossier. Du reste, ce dossier n'est matériellement pas réellement constitué et ordonné de façon à être consultable par un avocat ou un magistrat. Souvent, il n'est pas encore ordonné, les pièces pas encore numérotées, les copies, les originaux, les doubles pour les archives n'ont pas été séparés... Le procureur prend la décision de poursuivre, on se retrouve au tribunal et là, et seulement là, les avocats ont accès au dossier. Le tribunal, réuni pour juger de l'affaire, peut cependant ordonner des investigations supplémentaires si cela lui apparaît nécessaire.

Parfois - de plus en plus souvent -, l'enquête est soumise au tribunal dès la fin de la garde à vue. Le suspect est conduit menotté au tribunal, devant lequel il comparaît dans la journée. Le tribunal, sauf exception, statue aussitôt sur la peine et délivre, le cas échéant, un mandat de dépôt. C'est la procédure de comparution immédiate, très brutale et peu propice à l'exercice serein de la justice et de la défense, mais qui présente l'intérêt de l'immédiateté de la répression.

Dans les 5% restants, l'affaire a été instruite par un juge d'instruction. Après une phase policière identique à celle que je viens de décrire, le juge d'instruction est saisi. Il va généralement faire des investigations supplémentaires (on l'a d'ailleurs saisi parce qu'il y a des investigations supplémentaires à faire). Il va notamment étoffer le dossier de personnalité du suspect (qu'on appelle, à ce stade, la personne mise en examen). Il va l'interroger plus complètement, dans des conditions plus agréable (non menotté, en présence d'un avocat) qu'en garde à vue.

Cette différence ne doit pas laisser à penser que les 95% des affaires qui ne passent pas par l'instruction sont bâclées. La police fait bien son travail. Quand on lui sort un alibi, elle le vérifie. Mais bon, dans l'ensemble, chacun s'accorde à dire que les dossiers d'instruction comprennent plus de renseignements. Pas forcément plus de preuves, ni plus de certitudes. Mais plus d'informations. Plus de détails. Notamment des détails que la police ne cherche pas toujours (même si je soutiens qu'on pourrait certainement lui indiquer que ces détails sont importants. Travailler par exemple sur l'élément intentionnel, faire une enquête de personnalité, faire des environnements).

L'instruction a donc l'avantage de nous apporter un dossier plus intéressant, plus étoffé. Forcément, c'est plus long, ça coûte plus cher à la justice et il n'y a pas forcément lieu de mettre en œuvre de tels moyens pour toutes les affaires, bien au contraire.

La tendance actuelle de nos réformes législatives, depuis disons 1993, c'est de renforcer les garanties et les droits procéduraux des parties dans la phase d'instruction. La défense y a sans cesse plus de droits (qu'elle n'utilise du reste que façon très limitée). L'enquête ordinaire (les 95%), elle, ne suit pas cette tendance : tout est entre les mains de la police et du parquet, il n'y a pas de "partie" à ce stade, et donc pas de droit.

C'est l'existence d'une institution (le juge d'instruction) qui est une "option" entre les mains du procureur, qui introduit cette dissymétrie.

Je crois que l'un des intérêts de la suppression du juge d'instruction serait justement d'unifier le régime de l'enquête, de donner à chacun les mêmes droits.

Un juge de l'enquête préliminaire, dont la désignation devrait apporter des garanties d'indépendance comme celles qu'offre aujourd'hui le juge d'instruction, pourrait être saisi par les parties, à tout moment. Qui est une partie ?

  • le procureur de la République, dès lors que s'ouvre une enquête. Il pourrait demander au juge les mesures coercitives qu'il ne pourrait autoriser seul, comme la prolongation de la garde à vue, le contrôle judiciaire, la détention provisoire, les mandats, mais aussi les écoutes téléphoniques, etc.
  • la partie civile, dès lors qu'une personne dépose plainte (la reconnaissance automatique du statut de partie civile à tout plaignant ne me paraît pas problématique en soit). Elle pourrait demander au juge, au moins à certains stades de la procédure, d'ordonner certaines investigations, et, pourquoi pas, lui demander également une provision sur ses dommages et intérêts (imaginons le cas où les faits sont reconnus, rien n'interdit de restreindre le rôle de ce juge à la seule matière pénale), ou l'éloignement du conjoint violent (pour les victimes de violences conjugales).
  • le suspect. A l'issue au moins de sa garde à vue ou d'une audition sous un statut de suspect (qu'il conviendrait impérativement de créer), le suspect pourrait également demander au juge des investigations pour sa défense.

Le juge pourrait en outre statuer sur toutes sortes d'incidents d'enquête (désignation contradictoire d'un expert, délimitation de sa mission, restitution des scellés, nullités des actes de procédure,...). A l'issue d'une garde à vue, ou postérieurement, le procureur de la République pourrait faire conduire ou citer le prévenu devant le juge de l'enquête préliminaire. Les incidents préalables à l'audience seraient évoqués, les nullités purgées. Des mesures coercitives provisoires pourraient être prises (on supprimerait ainsi les comparutions immédiates devant le tribunal, au profit d'une comparution immédiate devant le juge de l'enquête préliminaire).

A ce stade, il interviendra peut être déjà un accord sur la culpabilité et la peine entre le procureur de la République et le suspect. Cet accord pourrait être homologué par le juge de l'enquête préliminaire. D'autres affaires, relevant du juge unique, pourraient être évoquées immédiatement. Pour les autres, le juge de l'enquête préliminaire renverrait l'affaire devant la formation compétente (tribunal correctionnel collégial, cour d'assises).

Pour les débats contradictoires, l'audience serait publique et contradictoire, sauf exception.

Ce système présente les intérêts suivants :

  • toutes les procédures suivront le même cheminement, sans faire de différenciation entre les plus complexes et les moins complexes, à la discrétion du procureur de la République (ou presque). Les droits de chaque prévenu sont donc les mêmes, ce qui est logique dans un système de présomption d'innocence.
  • A un stade raisonnable, l'enquête pourra devenir contradictoire. Le cas échéant, si cela nuit aux investigations, on pourrait imaginer que certaines pièces soient maintenues au secret quelques temps (cela existe en droit Suisse), par la décision d'un juge, pour ne pas compromettre l'efficacité de l'enquête : le système est souple.
  • La plupart des affaires peuvent être évoquées publiquement assez rapidement, au moins sur certains aspects du dossier, ce qui permet de donner des informations aux journalistes et satisfaire le goût de l'insatiable curiosité malsaine de nos concitoyens pour le sang et le sexe (ok, le mien aussi). Cette publicité n'est pas forcément une mauvaise chose : je fais le pari qu'on peut "éduquer" l'opinion publique sur les difficultés des affaires pénales. Les effets de manche des avocats sur les marches du palais sur la justice sourde et aveugle ne dureront pas !
  • on peut envisager plusieurs équilibres entre nécessités de l'enquête et libertés individuelles : le nôtre, ou quelque chose de beaucoup plus exigeant du point de vue des libertés. On peut aussi envisager de rester avec le rôle actuel des juge à l'audience (instruction par le juge), dans la tradition française, ou imaginer un système où les parties ont d'avantage la maîtrise du débat (le parquet présente le dossier à un juge qui ne le connaît pas). Il permet enfin de conserver un système actuel avec des obligations fortes pour la police (instruire à charge et à décharge) ou aller - ce que je ne souhaite pas - vers un système plus anglo-saxon.

Souplesse, évolutivité, égalité.

Dans le mille

Audience d'un tribunal correctionnel. À l'appel des parties, deux personnes s'avancent, chacune ayant un avocat sur les talons.

Une vieille dame, distinguée et élégante, va s'asseoir au pied de l'estrade du procureur. Un jeune homme, au milieu de sa trentaine, va s'asseoir en face, sur le banc des prévenus. Ils se frôlent presque mais s'ignorent totalement. L'hostilité entre eux est presque palpable.

Le procureur, le visage fermé, a posé ostensiblement son stylo et croisé les bras, et s'est renversé sur son fauteuil. Ça sent l'affaire entre parties, une saisine directe du tribunal par la victime.

— Madame, dit le président, veuillez prendre en place de l'autre côté : vous êtes à la place de la partie civile.

Surprise sur le banc des avocats : c'est donc cette élégante septuagénaire qui est prévenue ?

Les deux parties se croisent en s'ignorant avec tout le mépris possible dans un si petit espace.

Après avoir constaté son identité, le président rappelle la prévention, c'est à dire la nature des faits reprochés.

C'est en effet une citation directe par la partie civile, pour dénonciation calomnieuse.

La dame est l'ex belle-mère du monsieur. Un divorce très conflictuel, d'autant que le père a eu la résidence habituelle[1] des enfants, des procédures à répétition devant le juge aux affaires familiales par la mère qui veut récupérer cette résidence habituelle, et un confit qui a dégénéré et a fini devant le juge des enfants.

La vieille dame a dans ce contexte accusé face à la police son ex-gendre de commettre des attouchements sur ses petites filles.

Enquête de police, garde à vue, ouverture d'une information, pendant laquelle le juge des enfants a été saisi et a placé les enfants chez leur mère, le contrôle judiciaire du père lui interdisant de voir ses filles.

Au bout de quelques mois, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non lieu, les fillettes interrogées ne portant aucune accusation contre leur père, un expert pédopsychiatre ayant constaté que ces petites filles étaient équilibrées et heureuses, hormis à cause de cette séparation forcée d'avec leur père, qui leur manquait et pour laquelle elles ressentaient une forme de culpabilité, ayant parfaitement compris que c'était à cause d'elles que la séparation avait eu lieu sans comprendre pourquoi. À cet âge, dans le doute, on se dit qu'on a dû faire une bêtise et que si on ne voit plus papa, c'est qu'il est fâché.

Aujourd'hui, le père a retrouvé ses fillettes, mais l'affaire a laissé des traces : les petites filles qui étaient de bonnes élèves sont menacées de redoublement et ont des problèmes de discipline à l'école.

On comprend la colère du père, qui a aussitôt cité son ex-belle-mère pour dénonciation calomnieuse. La guerre judiciaire continue.

Le parquet a d'emblée affiché son état d'esprit. Ces règlements de compte ne l'intéressent pas, il ne posera pas la moindre question.

D'autant que la grand-mère, à la barre, ne regrette rien et dit rester persuadée que son ex-gendre est un pervers qui finira par violer ses filles. On frôle l'incident de la part du père.

Rouge de colère, il se présente à son tour à la barre et raconte sa version des faits. Le président doit rappeler à l'ordre la prévenue à plusieurs reprises qui ne peut s'empêcher de soupirer ou commenter les propos qu'il tient. L'avocat de la grand-mère a l'air étrangement serein, même si la dame suscite l'hostilité de toute la salle. D'autant que son ex-gendre est très émouvant dans son témoignage, quand il raconte l'enfer qu'il a vécu, le fait de fondre en larme en rentrant chez lui le soir, en voyant une simple peluche abandonnée dans un coin, les regards des collègues de travail à qui il a eu le malheur de se confier, les anti-dépresseurs pour tenir, le poids insupportable du soupçon, et le changement survenu chez ses filles même après les avoir récupérées. Il se doute bien du bourrage de crâne qu'elles ont connu durant ces mois de séparation chez leur mère. Alors il veut qu'elle paye pour cette haine à son égard.

Le président se tourne vers l'avocat de la partie civile :

— Des questions, maître ?
— Non, monsieur le président, répond l'avocat, avec le sourire serein de celui dont le client a été bon à la barre.
— Monsieur le procureur ?
Le procureur secoue la tête sans desserrer les dents.
— Maître, pour la défense ?
— Une seule, monsieur le président.

L'avocat se lève. L'homme, à la barre, lui tourne ostensiblement le dos. On se doute qu'il le méprise autant qu'il méprise sa belle-mère. Il ne voit pas le regard de prédateur qu'a l'avocat quand il formule la question, ce qui aurait pu l'avertir du danger.

— Nous avons tous compris que les relations avec votre ancienne belle-famille sont tendues. Je suis bien placé pour le savoir. Vous qui connaissez bien votre belle-mère, qui nous dites qu'elle vous hait, ne serait-elle donc pas capable de croire que vous pourriez fort bien vous livrer à de tels actes sur vos filles ?
Le père explose :
— Ah, mais j'en suis convaincu ! Je sais qu'elle croit dur comme fer que j'ai pu faire cela à mes filles, et qu'elle le croira jusqu'à son dernier souffle, même si le Bon Dieu en personne venait lui dire que c'est faux !

L'avocat a un sourire triomphant.

— Je n'ai pas d'autre questions.

L'avocat de la partie civile s'est affaissé sur son banc, accablé. Même le procureur n'a pu s'empêcher de hausser les sourcils de surprise. Le président semble un temps gêné, et regarde ses deux assesseurs, qui secouent la tête d'un air entendu. À la barre, le père réalise qu'il s'est passé quelque chose, mais ne comprend pas quoi.

En fait, il vient de détruire son dossier, de se faire admirablement piéger par l'avocat de la défense.

Son avocat essaie en vain de sauver le dossier, mais sa conviction ne peut rien face à cet aveu.

Le procureur devance l'avocat de la défense, et requiert la relaxe : manifestement, il manque un élément intentionnel à l'infraction : la mauvaise foi. La dénonciation calomnieuse doit calomnier : le calomniateur doit savoir que les faits qu'il dénonce sont faux. Une fausse accusation, fût-elle très grave et lourde dans ses conséquences, portée par une personne convaincue de sa véracité n'est pas un délit. Or la partie civile, à l'origine des poursuites, souligne bien le procureur, reconnaît elle-même être convaincue de la sincérité de la dénonciatrice. Cette affaire ne relève pas du droit pénal, mais, ajoute-t-il avec un éclair dans les yeux, de la psychothérapie.

L'avocat de la défense sait avoir le triomphe modeste et reste sobre et court dans sa plaidoirie : la messe est dite. Le tribunal prononce la relaxe sur le siège, sans même mettre en délibéré.

Le père sanglote silencieusement près de son avocat, la grand-mère se dirige vers la sortie, arborant un air de triomphe.

Notes

[1] On ne parle plus de "garde" des enfants depuis très longtemps.

lundi 12 janvier 2009

Quelques bonnes raisons de supprimer le juge d'instruction (2) - séparer l'usage du pouvoir coercitif de la contrainte

Par Paxatagore


Je poursuis timidement mon propos (cf. mon billet d'hier) en examinant un autre thème.

Dans notre pratique actuelle, celui qui détient le pouvoir de contrainte est, grosso modo, celui qui enquête. L'OPJ qui place en garde en vue est celui qui réalise l'enquête. La garde à vue est contrôlée par le magistrat qui est en charge de l'enquête (procureur de la République ou juge d'instruction). Il en va de même pour les perquisitions, les réquisitions, les écoutes téléphoniques, les mandats, etc. Toutes décisions pour lesquelles celui qui ordonne doit, ou devrait, mettre en balance l'intérêt qu'il peut attendre de la mesure envisagée, d'une part, et le désagrément qu'il représente pour la personne qui est contrainte, ses droits, ses libertés. Ce contrôle, à vrai dire, n'est jamais réellement fait. De là vient qu'on place facilement en garde à vue, qu'on perquisitionne à tout va, qu'on pratique des écoutes téléphoniques... De là vient surtout qu'il n'y a aucune doctrine jurisprudentielle sur la proportionnalité entre mesure de contrainte et intérêt de l'enquête.

Soyons honnêtes à ce sujet. Évitons de sortir les grands arguments de principes. Si la police place les gens en garde à vue, c'est pas pour leur offrir des droits pendant le temps où on va les interroger. C'est pour les interroger tranquillement en faisant usage d'une dose raisonnable de pression (notez bien que ce n'est pas une critique de ma part). Etc.

Le raisonnement de la proportionnalité entre la fin et les moyens est même parfois difficile à tenir. En matière de détention provisoire, par exemple, où le sacro-saint principe de présomption d'innocence se heurte à toute argumentaire raisonnable sur la question. Je préférerai qu'on évacue cette dimension mystique de la présomption d'innocence et qu'on demande clairement au juge d'arbitrer entre la probabilité qu'une personne soit coupable et la gravité des faits qui lui sont imputés.

Notre système français repose entièrement sur cette confusion, le même individu (OPJ, procureur, juge d'instruction...) devant faire une balance entre des intérêts contradictoires. Plus exactement, entre certains intérêts qui sont le principe même de son action, ceux sur lesquels il est évalué par ses chefs (la résolution des affaires, la sortie des dossiers...) et des intérêts qui sont de grands principes qui ne donnent lieu à aucune évaluation concrète. Autant dire que tout repose sur la conscience individuelle. Heureusement, notre culture judiciaire n'est pas trop répressive. Mais il me semble qu'un système qui repose exclusivement sur la bonne volonté de ceux qui le servent n'est pas idéal.

Je préfère donc imaginer un système où les mesures coercitives seraient confiées à un juge - je l'appelle le juge de l'enquête préliminaire. Sollicitées par le procureur ou les avocats, il pourrait autoriser les perquisitions, les écoutes téléphoniques, prononcer les contrôle judiciaire ou les placement en détention provisoire, ou encore délivrer des mandats. Donnons lui des principes : qu'il mette en balance, dans chaque décision, l'intérêt que représente la résolution de l'affaire, d'une part, la contrainte qu'elle représente pour les personnes concernées, de l'autre. Qu'il donne la priorité aux mesures les moins coercitives. Certaines décisions seraient prises, par nature, hors de tout débat contradictoire (les écoutes téléphoniques), d'autres, par nature, après un tel débat (la détention provisoire).

Ainsi, on sépare clairement deux fonctions distinctes et, je l'espère, les libertés seraient mieux protégées. Les enquêtes n'en seront pas mieux menées, il faut être très clair à ce sujet : il est même probable qu'elles seront moins parfaites.

C'est aussi parce que nous (juges) sommes très laxistes avec la liberté des autres qu'on a pu se laisser se développer une justice si pauvre. Qu'on cesse de maintenir les suspects en détention provisoire plus de 3 mois, un délai parfaitement raisonnable pour réaliser l'essentiel des investigations dans la quasi totalité des dossiers criminels, pour peu que l'Etat mette les moyens. Et peut-être qu'alors on consentira à mettre un peu d'argent pour payer nos experts à leur juste valeur et on consentira à réorganiser le fonctionnement de la police de façon à ce que les affaires soient traitées rapidement même après la garde à vue.

Cela nous emmène à mon troisième argument : supprimer le juge d'instruction pour mettre fin à la dualité des modes d'enquête.

vendredi 9 janvier 2009

Premières réflexions sur la suppression annoncée du juge d'instruction


« Mais depuis longtemps quelques citoyens, supportant ceci avec peine, murmuraient contre moi, secouant silencieusement leurs têtes ; et ils ne courbaient point le cou sous le joug, comme il convient, et ils n'obéissaient point à mon commandement. »

Créon.

«Beaucoup de choses sont admirables, mais rien n'est plus admirable que l'homme. »
Le Chœur.

Sophocle, Antigone (traduction de Leconte de Lisle)




Ainsi, Antigone a obtenu de Créon le droit d'enterrer le juge d'instruction. Je considère la chose comme acquise, car elle est inéluctable. Le président de la République l'a annoncé, en personne, devant la cour de cassation en entier. Il ne peut se dédire sans perdre la face ou pire, donner l'impression de céder.

Mais m'étant régulièrement trompé sur ce blog, cette certitude affichée est peut-être le meilleur espoir des magistrats instructeurs.

Il est d'usage lors du décès d'un personnage important de faire une notice nécrologique. Rappelons donc ce qu'est encore le juge d'instruction, pour un certain temps encore.

Requiescat in Pace, judex cogniti

Rappelons que le corps des magistrats se divise en deux parties : le siège et le parquet.

Le siège, ou magistrature assise, ce sont les juges. Ils sont indépendants, doivent être impartiaux, doivent statuer sur tout ce dont ils sont saisis et qui relève de leurs attributions (on parle de compétence), mais n'ont absolument pas le droit de statuer sur le reste. C'est un principe essentiel, fondamental : le pouvoir du juge est limité à ce qu'il a le pouvoir de juger ET qu'on lui a régulièrement demander de juger. Ces bornes délimitent son espace de liberté qu'on appelle la saisine.

Le parquet est autorité de poursuite : il a le pouvoir de saisir le juge compétent de toute question intéressant l'ordre public, que ce soit la validité d'un mariage, on l'a vu récemment, ou naturellement de tout fait constituant une infraction. Il est de ce fait hiérarchiquement soumis au Garde des Sceaux, en charge de la mise en place de la politique pénale du gouvernement. Il a à sa disposition la police judiciaire (terme entendu ici au sens large, qui ne recouvre qu'une partie de la police nationale — essentiellement la DCPJ— et inclut une partie de la gendarmerie : les CRS sont des policiers mais ne font pas de police judiciaire). Pour la plupart des dossiers, de l'ordre de 95% d'après les statistiques du ministère de la justice, cette enquête de police, dont l'avocat est soigneusement tenu éloigné, suffit au parquet pour constituer un dossier assez solide pour être soumis à un tribunal. Avec parfois à la clef des mauvaises surprises à l'audience.

Reste les 5%, qui sont en principe les dossiers les plus complexes ou les plus graves, exception faite de quelques dossiers égarés par là[1], sur lesquels je reviendrai. Quand l'enquête de police montre ses limites, ou que des suspects ont été identifiés et doivent être tenus sous contrainte à disposition de la justice (que ce soit en détention ou en liberté surveillée, qu'on appelle contrôle judiciaire) alors que les investigations ne sont pas terminées, on entre dans le domaine du juge d'instruction. Des mesures d'enquête et de sûreté doivent être prises, et leur gravité est telle qu'elle ne peuvent être prises que par un juge. Ajoutons que dans une hypothèse, le recours au juge d'instruction est obligatoire : ce sont les faits qualifiés de crime, et jugés par la cour d'assises. La procédure devant la cour d'assises est orale, et la cour se compose d'un jury populaire de neuf ( ou douze en appel) citoyens tirés au sort, qui ne sont pas pour la plupart juristes. Il est impératif au préalable d'éclaircir toutes les zones d'ombre et régler les questions techniques juridiques pour que les débats portent uniquement sur les faits et la personnalité de l'accusé.

La solution napoléonienne sera la création du juge d'instruction, juge enquêteur, enquêteur (il doit rechercher la vérité) et juge (en tant que tel, impartial). Cette contradiction, qui, nous le verrons n'est qu'apparente, est un des principaux reproches adressés au juge d'instruction, et le président de la République n'a pas manqué de le formuler dans son discours.

Verbatim

Pour me faire une opinion sur la réforme annoncée, j'attendais le discours du président. J'avoue que je suis resté sur ma faim.

Je navigue en effet entre des courageuses banalités (« Je ne crains pas de le dire, la justice prend toute sa part dans la lutte contre l'insécurité. ») et des décisions en contradiction avec le diagnostic : «…ce n'est pas l'action des juges qui est en cause mais l'inadaptation et la lourdeur des textes qu'on leur demande d'appliquer. N'est-il pas d'ailleurs de règle générale qu'il n'est de bons juges qu'avec de bonnes lois ? Or, le nombre de modifications du code de procédure pénale, près de 20 réformes depuis 20 ans, marque que l'on n’a manifestement pas encore trouvé l’équilibre nécessaire.» ; donc que va-t-on faire ? Une nouvelle réforme. : «C’est la raison pour laquelle avec le Premier Ministre nous avons confié une mission très ambitieuse à la commission présidée par Philippe Léger,(…)». Mission tellement ambitieuse que le président ne laisse à personne d'autre le soin de décider ce qu'elle va décider : «Je souhaite aujourd'hui vous dire quelles sont, à mon sens, les lignes directrices de cette réforme qui devra être engagée dès cette année.» Messieurs de la commission, à bon entendeur….

Et quand enfin on semble s'aventurer sur le terrain du concret, le sol se dérobe vite sous les pieds. On croit comprendre du discours que :

— Le juge d'instruction deviendra juge de l'instruction, et ne dirigera plus l'enquête. Mais alors qui ?
— Le secret de l'instruction et la mise en examen vont disparaître au profit d'une audience publique et contradictoire sur les charges. Je croyais que ça existait déjà et que ça s'appelait le procès.
— L'avocat pourra en contrepartie intervenir dès le stade de l'enquête policière. Voilà une carotte qui fait frétiller l'âne que je suis.
— Les règles en matière de détention provisoire seront simplifiées ; comprendre, on va la faciliter. Elle sera ordonnée publiquement par une juridiction collégiale, un tribunal des libertés et de la détention, en quelque sorte.
— Les libertés individuelles seront mieux garanties, mais demain.
— On ne reviendra pas sur l'abolition de la torture par Miromesnil.
— Antigone, c'est mieux que la Princesse de Clèves.

Dès lors, je suis bien en peine de dire si j'approuve ou désapprouve cette réforme. Je sais ce qu'on me retire : un juge impartial et indépendant ; je ne sais pas ce que j'y gagne si ce n'est la promesse d'un progrès des droits de la défense, dont je me réjouis, mais pour cela, point n'est besoin de supprimer le juge d'instruction.

Néanmoins, d'ores et déjà, des observations peuvent être faites sur les divers arguments soulevés dans l'arrêt de mort du juge d'instruction.

Évacuons d'abord les clichés, ça fera de la place.

L'homme le plus modérément puissant de France

C'est une tarte à la crème que de dire que le juge d'instruction est l'homme le plus puissant de France. Ces propos sont attribués à Balzac ou à Napoléon, je n'ai pas retrouvé la source. Il l'était peut-être jusqu'en 1897, quand il instruisait seul et secrètement sans que l'inculpé ait droit à un avocat ni même accès au dossier (art. 91 du Code de justice criminel ancien) et mettait en détention provisoire quasi discrétionnairement. Mais à l'époque, les instructions criminelles duraient quelques mois : rappelons que dans l'affaire Seznec, les faits ont eu lieu le 25 mai 1923, Seznec a été inculpé le 7 juillet 1923, renvoyé devant les assises le 18 août 1924 et jugé du 24 octobre au 4 novembre 1924. De tels délais font rêver aujourd'hui, mais il est vrai qu'une partie du prix était le sacrifice des droits de la défense.

Le juge d'instruction n'est plus depuis longtemps l'homme le plus puissant de France. Je tremble moins devant un juge d'instruction que devant un tribunal correctionnel à juge unique, surtout s'il est saisi de faits commis en récidive. Quasiment chacun de ses actes d'instruction peut être contesté par les parties devant la chambre de l'instruction (selon des modalités variables, il y aurait un sacré boulot de simplification ici). On peut le saisir de demandes auxquelles il est tenu de répondre, parfois à bref délai, notamment pour les remises en liberté (cinq jours). Le pouvoir de placer en détention lui a été retiré par la loi du 15 juin 2000. La défense a des droits dans le cabinet des juges d'instruction. Encore faut-il les connaître et les utiliser.

L'impossible contradiction ?

La schizophrénie qui lui est reprochée, et le vocabulaire psychiatrique utilisé à l'encontre de juges du siège n'est, contrairement à mes clients, jamais innocent, est aussi un cliché issu d'une mauvaise compréhension.

Le code dit cette célèbre phrase : le juge d'instruction instruit à charge et à décharge (art. 81 du CPP). C'est une figure obligée pour les avocats médiocres qui ont un micro sous le nez que de s'exclamer que le juge n'instruit qu'à charge. Ça ne mange pas de pain et ça ne sera pas coupé au montage, car c'est court, c'est choc et ça fait juridique. La contradiction des termes n'est qu'apparente. Cela signifie que le juge d'instruction est impartial et doit rechercher la vérité et non la preuve de la culpabilité (quitte à finir par rendre un non lieu faute d'avoir pu identifier le coupable). De fait, concrètement, quand un juge ordonne un acte d'instruction, il ignore si cet acte va être à charge ou à décharge avant d'en connaître le résultat. Par exemple : une personne est suspectée de meurtre. On a retrouvé sur les lieux de l'ADN pouvant être au meurtrier, et le suspect prétend avoir un alibi. Le juge va tout naturellement mettre en examen le suspect, ordonner que les empreintes génétiques de celui-ci soient comparées à celles trouvées sur les lieux et faire interroger la personne servant d'alibi au suspect. Est-ce un acte à charge ou à décharge ? Dame ! Ça dépend : si les empreintes correspondent et que l'alibi s'écroule, il sera à charge. Si l'alibi est solide, et que les empreintes ne correspondent pas, il sera à décharge. Dans les deux cas, il sera valable, le parquet ne pourrait pas en demander l'annulation au motif qu'il ne va pas dans le sens de la culpabilité : l'article 81 l'interdit. De même qu'il interdit au juge de refuser d'accomplir un acte au motif qu'il viserait à démontrer l'innocence du mis en examen. Il ne peut le faire que s'il estime que cet acte n'apporterait rien à la manifestation de la vérité.

Bien sûr, nous sommes tous un jour ou l'autre confrontés à un juge d'instruction enfermé dans ses convictions, qui dès la première comparution a du mal à cacher sa certitude de la culpabilité de notre client. C'est une catastrophe contre laquelle nous sommes largement démunis, les actions pour faire dessaisir un tel juge sont rarement couronnés de succès pour peu que le juge sache sauvegarder les apparences. Il faut vraiment une manifestation de partialité dont on puisse rapporter la preuve, et faire acter par le greffier tel propos tenu par le juge n'est pas toujours facile : même si le greffier est indépendant du juge, ils travaillent ensemble, dans le même bureau, tous les jours, pendant des mois voire des années, tandis que l'avocat ne fait que passer ; quant aux conclusions de donner acte (art. 120 du CPP), nous en sommes les rédacteurs : lors d'une procédure de suspicion légitime (art.662 du CPP), de renvoi dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice (art. 665 du CPP) ou de récusation (art. 668 du CPP), on a beau jeu de nous répliquer que nous nous sommes constitués nous-même la preuve de ce que nous alléguons. Quant au changement de juge par la chambre de l'instruction, elle ne peut être ordonnée (et ce n'est qu'une faculté) que dans certaines circonstances : annulation d'un acte, ou infirmation d'une ordonnance notamment. Ce n'est que l'inaction prolongée d'un juge d'instruction qui aboutit de droit à son désaisissement, mais pas une activité biaisée. Ajoutons que demander le désaisissement de juge et ne pas l'obtenir, c'est la garantie pour la suite de l'instruction d'une ambiance qui ferait passer le climat actuel pour tropical.

En tout état de cause, ces hypothèses, heureusement fort rares mais qui peuvent faire tant de dégâts quand le mis en examen est innocent (c'est du vécu) ne justifient pas par elles-même la suppression du juge d'instruction. Car celui qui le remplacera (un procureur de l'instruction ?) peut donner dans le même travers, puisque ces futurs procureurs de l'instruction seront pour la plupart d'anciens juges d'instruction.

Le problème aurait pu utilement être traité en assurant une vraie procédure de contestation du juge d'instruction, juridictionnelle, contradictoire et publique, comme le suggère mon confrère François Saint-Pierre dans son indispensable Guide de la Défense Pénale[2] (Ed. Dalloz). C'est finalement une autre solution qui a été retenue, la collégialité, j'y reviendrai.

Le juge d'instruction, star malgré lui ?

Le juge d'instruction est devenu le symbole de toutes les erreurs et échecs judiciaires. L'affaire d'Outreau restera associée au nom du juge Burgaud, l'affaire Villemin au juge Lambert, celle de Bruay en Artois au juge Pascal. Il est tentant de se dire qu'en supprimant le juge d'instruction, on empêchera de telles catastrophes de se reproduire, comme supprimer les médecins ferait disparaître les erreurs médicales. Une bonne partie de l'opinion publique a entonné cette chanson, si on en croit les sites des journaux (Cher Anatole, n'allez JAMAIS lire les commentaires des sites de presse : seuls vont s'y réfugier ceux que même les cafés du commerce trouvent insupportables).

Là encore, gare au cliché.

La personnalisation de l'enquête est difficilement évitable. Une affaire criminelle dure deux à quatre ans aujourd'hui. De ce laps de temps, les deux tiers au moins relèvent de l'instruction, le reste de l'attente du procès. Le procès lui même dure généralement deux jours, les affaires les plus complexes pouvant occuper une session de 15 jours, les affaires allant au-delà étant rarissimes (pensons au procès Barbie, qui a duré deux mois, et au procès Papon qui a duré six mois). Pour une affaire correctionnelle, c'est de un à deux ans, les trois quart relevant de l'instruction (estimations validées par l'IMP, l'institut Mondial de la Pifométrie). Et c'est encore pire pour les affaires démesurées, comme l'Angolagate (7 ans d'instruction, 6 mois de procès), ou le crash du Mont Saint-Odile (14 ans d'instruction —en grande partie du au fait qu'à chaque changement de juge d'instruction, il fallait des mois de travail à plein temps son successeur rien que pour se mettre à jour d'un dossier de plusieurs dizaines de milliers de pages—, 7 semaines de procès).

Il y a donc un déséquilibre chronologique entre l'instruction, qui prend l'essentiel du temps judiciaire et est confiée à un juge, et où le principe du secret fait que la presse est à la recherche de fuites et que les informations sont distillées au compte-goutte ; et celui du procès, nécessairement collégial, ou tout est débattu publiquement, mais à un rythme trop soutenu pour que la presse puisse faire un vrai travail de fond et l'opinion publique s'intéresser aux débats. Prenez l'affaire ELF. Tout le monde se souvient d'Éva Joly, et des bottines de Roland Dumas. Qui se souvient que Roland Dumas a finalement été relaxé dans cette affaire ?

De plus, le juge d'instruction a une particularité : c'est la seule juridiction nommée que je connaisse. Si mes clients sont jugés par la 10e chambre du tribunal correctionnel, puis relaxés en appel par la 20e chambre des appels correctionnels, si c'est la 2e section de la cour d'assises qui acquitte mes clients quand la 5e chambre de l'instruction n'a pas annulé l'instruction, si mes clients sont divorcés par le cabinet F du juge aux affaires familiales, que leurs enfants sont placés par le secteur H du juge des enfants, ou vont devant le tribunal d'instance de Framboisy chanter pouilles à leur débiteur, c'est le cabinet de Madame Lulu, ou de monsieur Gascogne qui instruit les dossiers pénaux. C'est marqué tel quel dans l'en tête de leurs ordonnances : « Cour d'appel de Moulinsart, tribunal de grande instance d'Ys, cabinet de Cunégonde Lulu, juge d'instruction ».

Cela concourt à cette forte personnalisation du juge d'instruction. Si j'ai parfois du mal à nommer tel ou tel président devant lequel j'ai plaidé, je me souviens toujours du nom du juge d'instruction, même des années après. Entre confrères, on se dit qu'on va plaider « à la 12e », mais qu'on a aussi une mise en examen chez cette folle de madame Dadouche.

C'est certes une dérive, à laquelle se sont prêtés certains juges, enivrés par ce vedettariat soudain, surtout s'ils exerçaient dans un petit tribunal, ou mis à profit par d'autres lors de l'alliance des juges et des journalistes qui a permis aux affaires des années 90 de sortir.

Le juge d'instruction, responsable mais pas coupable ?

À cause de cette forte exposition (il n'est pas un juge d'instruction qui n'aura son nom cité dans la presse locale au moins une fois), le retour de bâton est inévitable quand le dossier tourne mal pour l'accusation. C'est mérité quand le juge s'est laissé aveuglé par ses convictions erronées, mais parfois, c'est tout simplement injuste.

Ainsi, je parlais du juge Lambert, et de son instruction ratée de l'affaire Villemin. Ce ratage est indéniable, non pas en ce qu'il n'a pas permis l'identification de l'assassin, il y a des affaires insolubles, mais en ce qu'il a accusé du meurtre la mère de l'enfant sur des éléments pour le moins évanescents et a indirectement conduit à la mort de Bernard Laroche, un temps soupçonné du meurtre. Mais qui se souvient du remarquable travail effectué par son successeur, le président Simon, conseiller à la cour d'appel de Dijon, qui y a laissé sa santé jusqu'à mourir prématurément d'un accident cardiaque, et qui a tant fait pour innocenter la mère ?

L'affaire d'Outreau est imputée quasiment exclusivement au juge Burgaud. Qui n'a pas lu que son incompétence manifeste et notoire était établie au-delà de toute discussion par le fait qu'il avait notamment accusé un des mis en examen d'avoir violé un de ses enfants qui n'était pas encore né ? Mais qui sait seulement que le juge Burgaud n'est que le premier de deux juges d'instruction à avoir instruit ce dossier, qu'il ne s'en est occupé que de février 2001 à juillet 2002 (l'instruction a été clôturée en mars 2003) et que cette erreur a en réalité été commise en mars 2003 par le juge d'instruction qui lui a succédé, dont personne ne se souvient du nom, erreur reprise texto des réquisitions du parquet, et rectifiée par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai bien avant le premier procès ? Si le Conseil Supérieur de la magistrature ne prononçait aucune sanction à l'encontre du juge Burgaud (tout comme il a mis le procureur Lesigne hors de cause), qui se souviendra de ce genre de détails ? L'accusation de corporatisme et d'irresponsabilité fleurira immanquablement.

Le juge d'instruction, coupable idéal et bouc émissaire facile pour les politiques qui n'aiment pas qu'on leur vole les micros ? En tout cas, il a rarement droit à une instruction à charge et à décharge. De ce point de vue, les politiques ne réalisent pas combien il leur manquera. Ça sera plus compliqué de se défausser de ces ratages sur un magistrat hiérarchiquement soumis au garde des Sceaux.

Three's company…

L'isolement et la personnalisation du magistrat instructeur posent indiscutablement problème. Mais figurez-vous que le législateur y a apporté une solution : la collégialité de l'instruction. Le juge d'instruction est sur le point d'être remplacé par un collège de trois juges co-saisis. Les jours du juge d'instruction seul sont comptés : la loi du 5 mars 2007, qui se voulait inspirée de l'affaire d'Outreau justement, est déjà votée, et elle entre en vigueur le 1er janvier 2010, le temps de permettre la mise en place de cette réforme considérable.

Autant dire que la réforme annoncée la rend caduque avant même son entrée en vigueur. C'est sympa de trouver des solutions et de les voter, mais leur laisser le temps d'entrer en vigueur, c'est pas idiot non plus. Tellement représentatif de ce qu'est la procédure pénale depuis des décennies. Je vous laisse imaginer l'état d'une discipline ainsi traitée. Ce n'est pas comme si la liberté des citoyens en dépendait directement, vous me direz. Oh. Oups. Je ne sais plus quel grand esprit disait déjà :

« …ce n'est pas l'action des juges qui est en cause mais l'inadaptation et la lourdeur des textes qu'on leur demande d'appliquer. N'est-il pas d'ailleurs de règle générale qu'il n'est de bons juges qu'avec de bonnes lois ? Or, le nombre de modifications du code de procédure pénale, près de 20 réformes depuis 20 ans, marque que l'on n’a manifestement pas encore trouvé l’équilibre nécessaire. », mais c'était pas con.

Je ne suis pas expert, mais je crois que pour trouver l'équilibre, un bon début est d'arrêter de gesticuler.

On sait ce qu'on perd, on ne sait pas ce qu'on gagne.

Une question me vient à l'esprit sur les modalités pratiques. L'instruction en tant que telle pourra difficilement disparaître. Il semble qu'elle soit donc confiée aux procureurs. Soit. Mais quid de la plainte avec constitution de partie civile ? Le droit de saisir le juge appartient en effet à deux personnes : le procureur, et la victime. Actuellement, toujours depuis la loi du 5 mars 2007, la victime doit d'abord porter plainte auprès du procureur (sauf en matière de presse, j'y reviendrai), qui peut soit décider d'ouvrir lui-même une instruction, soit refuser, soit ne rien faire : dans ce dernier cas, au bout de trois mois, la victime peut saisir elle même le doyen des juges d'instruction par une plainte avec constitution de partie civile.

C'est une garantie essentielle, même si elle est susceptible d'abus : la personne qui s'estime victime d'une infraction doit pouvoir saisir le juge, même si le parquet n'est pas intéressé. Elle peut saisir directement le tribunal correctionnel, mais parfois, parce que l'auteur a disparu, est inconnu, ou que les faits sont complexes ou constituent un crime, la voie de l'instruction s'impose.

Problème : si la victime a porté plainte auprès du procureur, et que celui-ci n'a pas donné suite voire a classé la plainte, quand bien même la victime aurait-elle le droit de l'obliger à instruire avec un mécanisme analogue, le parquetier instructeur aura déjà émis une opinion sur le dossier, et on peut supposer qu'il s'y tiendra et traînera les pieds pour instruire. De fait, ce sera à l'avocat de la partie civile de bombarder le procureur instructeur de demandes d'actes et faire appel de ses refus, jusqu'à, de fait, prendre la direction de la procédure. Or ce n'est pas son rôle. En tout état de cause, ce mécanisme ne satisferait pas aux exigences de voir sa cause entendue par un tribunal impartial, protégé par l'article 6 de la CSDH puisque ce passage obligé par une personne qui sera de fait adversaire de la procédure et en charge de l'instruction constituera un obstacle au droit au juge. Ah, vous avez aimé le juge schizophrène qui instruit à charge et à décharge ? Vous adorerez le procureur bipolaire qui charge malgré lui.

J'aurais aimé là-dessus être éclairé sinon rassuré.

Diffame, ♫ I want to live forever ♪

Oui, je sais, il est temps que je termine ce billet, mes titres sombrent comme le moral des juges d'instruction.

Un peu occulté par l'annonce de la disparition du juge d'instruction, un autre point est passé inaperçu. Le président doit enrager car un cadeau pareil fait aux journalistes aurait mérité un peu plus de louanges. Les blogs et la presse étant une fois de plus complémentaires, je m'empresse de réparer cet oubli. Le président a annoncé la dépénalisation de la diffamation simple (pas de la diffamation raciale). Les fesses de M. de Filippis peuvent cesser de trembler, les mandats d'amener, c'est fini, la correctionnelle aussi. Je reviendrai plus longuement dans un autre billet sur les conséquences de cette réforme, qui risque de coûter cher aux journaux. Notre président adore les cadeaux coûteux.

Mais un problème me saute aux yeux. La plainte avec constitution de partie civile joue un rôle très important en matière de diffamation, particulièrement sur internet. Car si la diffamation est commise sur un site anonyme ou par une personne extérieure au site (genre, je ne sais pas, un commentaire sous un article de Libé disant pis que pendre de Xavier Niel ?), le seul moyen pour la victime de la diffamation de retrouver l'auteur et lui demander des comptes est de saisir le juge d'instruction, qui obtiendra du directeur de publication les données de connexion (adresse IP), du fournisseur d'accès internet le nom de l'abonné ayant utilisé cette adresse IP tel jour à telle heure, puis entendra l'abonné en question pour savoir qui utilisait le poste informatique en cause. Dépénaliser la diffamation, c'est fermer la voie de la plainte au pénal, donc d'avoir les moyens d'investigation correspondant. Certes, il est possible de faire soi-même ces démarches à coups de référés de l'article 145 du CPC. Mais le coût pour la victime va monter en flèche.

De fait, la diffamation sur internet sera largement impune, ou réservée aux demandeurs qui en ont les moyens (à propos, comment va Kylie Minogue ?), et les condamnations à venir prendront en compte ces surcoûts. Oubliez l'euro symbolique de dommages-intérêts, la diffamation va être ruineuse. Bref, ce sera tout (une facture exorbitante pour un commentaire rédigé sns réfléchir) ou rien (l'impunité derrière le bouclier économique). Pas sûr que l'égalité républicaine sorte gagnante de cet aspect.

L'herbe est toujours plus verte à côté.

Un dernier point, sur l'argument comparatiste, très apprécié et utilisé à toutes les sauces : le juge d'instruction serait une spécificité française, une incongruité, une bizarrerie en voie de disparition, puisque nos voisins l'ignorent ou l'ont abandonné.

Tout d'abord, je suis toujours étonné de l'enthousiasme avec lequel on défend nos exceptions, culturelles ou autres, avant d'entendre que celle-ci ou celle-là doit disparaître puisque nos voisins font différemment. Cela aboutit généralement à une cote mal taillée, où on importe l'institution, en l'affublant d'un « à la française » ce qui veut dire qu'on l'a tellement défigurée que ce n'est plus qu'un vague ersatz inefficace. Je pense au plaider-coupable à la française, ou à la class-action à la française, dans les cartons depuis des temps immémoriaux.

Ensuite, cet argument est faux. L'Espagne connaît toujours le juge d'instruction et n'a pas l'intention de s'en passer.

Je reviendrai là-dessus dans un prochain billet, où je ferai une brève présentation du système pénal ibère et anglo-saxon, en distinguant celui de Sa Gracieuse Majesté (non, pas Rachida Dati, mamie Windsor) et de la Terre des Libres et Maison des Braves.

De toutes façons, ce sujet va faire couler des octets, on n'a pas fini d'en parler.

Notes

[1] Les dossiers de diffamation et les plaintes avec constitution de partie civile sur des faits mineurs.

[2] § n°611.8.

mercredi 7 janvier 2009

Et bien voilà.

La suppression du juge d'instruction dans le texte. Je ne commenterai pas à chaud, sinon je fais un malheur.

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mardi 6 janvier 2009

Le juge enfin pendu, dansez Messires!

Par Anatole Turnaround

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lundi 5 janvier 2009

Autoréduction, ou extorsion ?

Cet article est écrit à la demande de Rue89, et est repris sur leur site.


Rue89 fait état d'une nouvelle forme d'action révolutionnaire baptisée "l'autoréduction" qui se manifeste dans des lieux, disons inattendus, puisque c'est aux heures d'ouverture du Monoprix qu'a désormais lieu le Grand Soir. L'article est ici, et sa lecture est recommandée pour la suite des débats.

La rédaction de Rue89 m'a contacté pour me demander l'avis du juriste sur ces opérations. Le bon sens voudrait qu'elles fussent illégales, mais la police, qui a assisté à ces faits, n'est pas intervenue. Et la rhétorique des personnes concernées utilise des termes comme "réduction", "réquisition", affublés toutefois du préfixe auto-, qui veulent exclure toute illégalité.

Voici une excellente occasion de faire du droit sous a forme la plus pure : l'essence du travail de juriste consiste à qualifier, c'est à dire prendre un fait, une situation, et l'analyser sous l'angle juridique pour trouver la qualification adéquate. Ensuite, il ne reste plus qu'à y appliquer les règles de droit en vigueur. N'oubliez pas : le vide juridique n'existe pas. Le droit est partout. Vous êtes cerné. Toute résistance est inutile.

Ce travail est essentiellement celui du juge, qui dit le droit, mais, en droit pénal, celui qui va retenir notre attention, c'est aussi celui du parquet que de proposer une qualification, et de l'avocat de la réfuter pour en proposer une plus conforme sinon au droit du moins aux intérêts de son client. Au juge de trancher.

Voyons tout d'abord les faits. L'ironie n'est pas nécessaire à l'analyse, c'est juste une coquetterie de l'auteur.

¡ Hasta los delicatesssen, siempre !

Ainsi donc, nos révolutionnaires des supermarchés ont le mode opératoire suivant : ils se rendent en nombre dans un magasin, remplissent des chariots de produits de première nécessité comme du saumon fumé et du foie gras (il y a certes aussi de l'huile et des pâtes), et, une fois aux caisses, ils refusent de payer, invoquant cet argument définitif (les italiques sont de moi) :

"C'est une autoréquisition qui est juste en ces temps de crise et qui permet aux précaires de fêter aussi le Nouvel An dignement."

Je retiens de prime abord que les Che Guevara de l'épicerie fine reconnaissent implicitement qu'en dehors des temps de crise, leur action est injuste, et constate avec effroi que vu mon menu de Réveillon, je n'ai pas fêté le Nouvel An dignement selon leurs critères.

L'attroupement crée du désordre, bloque les caisses, ce qui entraîne un manque à gagner immédiat (les clients préférant renoncer à leurs courses et aller voir ailleurs si la révolution y est) jusqu'à ce que la direction du magasin cède et les autorise à partir avec ces produits. Comme le disent eux-même les Picaros des pique-assiettes, cités par Rue89 (je graisse) :

"Treize chariots pleins sont sortis du magasin après des négociations tendues avec une direction qui a logiquement choisi de ne pas prolonger le blocage des caisses (perte de chiffre d’affaires) ou prendre le risque d’une intervention policière dans les rayons."

Cette phrase, issue d'un communiqué rédigée par les auteurs de cette action, nous sera précieuse le moment venu.

Chaussons à présent les lunettes du juriste et tentons de qualifier les faits.

Les violences physiques ayant été évitées (même si, et ça aura son importance, des témoins rapportent que des bousculades ont eu lieu : il y a eu instauration à tout le moins d'un rapport de force), et n'étant en tout état de cause pas l'objet premier de cette opération, si délit il y a eu, c'est donc donc une atteinte aux biens. Mais quelle atteinte ?

Certaines hypothèses sont à écarter.

« L'autoréduction » n'est pas un vol.

Selon l'article 311-1 du Code pénal, le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui. Soustraction : le voleur appréhende la chose d'autrui et se comporte de manière univoque comme le propriétaire, c'est à dire commet un acte que seul le propriétaire pourrait légitimement accomplir. Frauduleuse : le voleur sait que la chose qu'il appréhende n'est pas à lui (peu importe qu'il ne sache pas à qui elle est, du moment qu'il sait qu'elle n'est pas à lui).

Or à l'apparition des grandes surfaces, un défi a été porté aux juristes. Tout au long du XIXe siècle, c'est le modèle traditionnel de la vente qui prévalait. L'acheteur désignait le bien qui l'intéressait, le vendeur la lui remettait contre un paiement du prix. Comme sur les marchés de quartier aujourd'hui encore. Mais selon les règles du Code civil, encore en vigueur à ce jour, et venant directement du droit romain, le transfert de propriété se fait en principe et sauf dérogation contractuellement prévue dès qu'il y a accord sur la chose et sur le prix (article 1583 du Code civil), indépendamment de la remise de la chose.

Avec les grandes surfaces, l'acheteur se saisit lui même de la chose qu'il souhaite acheter, exposée à portée de sa main, et sur laquelle le prix est affiché. Il y a accord sur la chose et sur le prix : il est théoriquement propriétaire de ce qu'il y a dans son chariot. Dès lors, en suivant ce raisonnement juridiquement orthodoxe, s'il franchit les portes sans payer, il ne commet pas de vol car il est propriétaire de ce qu'il emporte ; mais il a simplement une dette envers le magasin. C'est l'argument qui était soulevé par mes confrères de l'époque.

Si cela était arrivé aujourd'hui, les propriétaires de ces magasins auraient crié « vide juridique ! » et obtenu que le parlement vote en catastrophe un texte spécial. Mais nous étions à une autre époque, et le législateur a fait ce qu'il avait de mieux à faire : rien.

Car les juges ont trouvé tout seul la solution, en répondant au droit par le droit.

Ils ont observé comment se déroulait cette nouvelle méthode de vente, à la recherche des indices permettant de comprendre l'opération juridique. Exactement ce que nous sommes en train de faire avec les autoréducteurs.

Ils ont constaté que d'une part, le client pouvait, jusqu'à son passage en caisse, reposer l'objet à sa place (ou, comme c'est à présent la mode, partout sauf à sa place) sans que nul n'y trouve à redire. C'était un premier indice révélant que le transfert de propriété avait été repoussé à plus tard.

D'autre part, l'usage mis en place voulait que lorsqu'un produit fût brisé accidentellement par un client, le magasin ramassât les débris, nettoyât, et sans rien demander au client, le laissât aller chercher un produit identique mais intact. Or si le client était devenu propriétaire, il aurait dû payer le prix de la chose brisée, car le transfert de propriété entraîne transfert du risque de perte de la chose, même par cas fortuit (article 1138 du code civil).

Conclusion juridique du juge observateur (c'est un raisonnement en induction - déduction, pour les étudiants en droit) : tant que le client est dans les rayons du magasin, le transfert de propriété n'a pas encore eu lieu : la détention par lui des produits est précaire. Il peut revenir sur sa volonté d'achat, discrétionnairement et ne supporte pas les risques. Il n'est donc pas encore propriétaire.

À partir de quand se comporte-t-il de manière univoque comme le propriétaire ? La réponse est d'une clarté diaphane : lors du passage en caisse. Ce n'est donc qu'à ce moment qu'a lieu le transfert de propriété, par cette manifestation irrévocable d'acquérir la chose.

Et ce n'est donc qu'à partir de ce moment que le comportement du voleur devient lui aussi univoque et constitue l'appropriation frauduleuse : quand il franchit les caisses en dissimulant des biens pour ne pas les payer, ou qu'il franchit les portes du magasin sans passer par les caisses en étant porteur de choses vendues. Il montre ainsi sa volonté de ne pas acquérir ces choses, et se comporte pourtant comme le propriétaire puisque seul le propriétaire peut les emporter hors du magasin.

C'est pourquoi vous ne pouvez être condamné pour vol pour avoir glissé des articles dans vos poches tant que vous êtes dans les rayons. Il est licite de porter ses emplettes dans ses poches. Même si vous êtes repéré, vous ne serez intercepté qu'une fois franchie la ligne de caisse, car il est désormais certain que vous n'avez nullement l'intention de payer.

Pour en revenir à nos bolchéviques du code barre, ils s'arrêtent aux caisses et manifestent bruyamment leur volonté de ne pas payer. MAIS ils ne franchissent pas la ligne de caisse. Comme le relève leur communiqué, c'est après négociation avec la direction et avec son accord qu'ils sont sortis. Il n'y a donc pas eu appréhension mais remise de la chose par la direction du magasin. Or la remise exclut le vol.

« L'autoréduction » est peut-être un néologisme, mais ce n'est pas un vol.

« L'autoréduction » n'est ni une escroquerie ni un abus de confiance.

L'escroquerie et l'abus de confiance font partie des infractions d'atteinte aux biens avec remise de la chose par son propriétaire. On se rapproche donc de la solution. Mais sans l'avoir trouvée, comme nous allons voir.

L'escroquerie consiste à provoquer la remise de la chose en trompant son propriétaire par une manœuvre frauduleuse qui doit être un minimum élaborée[1] . La victime remet la chose par erreur, mais une erreur provoquée. Elle ne s'est pas trompée, elle a été trompée.

Ici, nulle manœuvre frauduleuse : les autoréducteurs ont clairement affiché leurs intentions : ils ne veulent ni payer ni rendre, et ne partiront que par la force des baïonnettes ou avec leurs paniers garnis. On dira ce qu'on veut sur le procédé, mais au moins il est franc, ce qui exclut l'escroquerie.

L'abus de confiance consiste, pour celui qui s'est vu remettre une chose en vertu d'un contrat sans en devenir propriétaire, à dissiper la chose, c'est à dire de se mettre dans l'incapacité de la rendre quand le contrat l'exige. C'est celui qui loue une voiture et ne la rend pas, c'est le propriétaire qui dépense le dépôt de garantie de son locataire de sorte qu'il ne peut le lui rendre à la fin de la location, c'est celui qui se paye des courses avec la carte bleue de la boîte dont il est le salarié, c'est le banquier qui détourne l'argent des déposants.

Mais dans un supermarché, il y a transfert de propriété, ce qui exclut l'abus de confiance. Entre le rayon et la caisse, le client est détenteur précaire, et pas dépositaire en vertu d'un contrat, et il n'est pas tenu de représenter la chose (en fait, on l'incite même à ne pas la rendre mais à l'acheter), mais d'en payer le prix. Faute de cette obligation de rendre, l'abus de confiance n'est pas applicable.

Est-ce à dire que nos adeptes de l'autopromotion sont couverts de la plus parfaite légalité ?

Nenni.

L'autoréduction est très probablement une extorsion.

L'article 312-1 du code pénal définit l'extorsion comme

le fait d'obtenir par violence, menace de violences ou contrainte soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque.

Il y a là aussi remise volontaire de la chose, mais à la suite d'une forme de violence, physique ou morale. Le racket est de l'extorsion.

Allons, me diront mes lecteurs libertaires : ces sympathiques Robin des bois du rayon frais, de vulgaires racketteurs ?

D'abord, Robin de Locksley, lui, n'a jamais nié qu'il volait aux riches pour donner aux pauvres. Il n'a pas prétendu faire de l'autoredistribution. Voleur, pas faux cul.

Et puis sympathiques, sympathiques, c'est vite dit pour qui sait lire.

Reprenons leur autocommuniqué de presse, que je citais au début (je graisse) :

Treize chariots pleins sont sortis du magasin après des négociations tendues avec une direction qui a logiquement choisi de ne pas prolonger le blocage des caisses (perte de chiffre d’affaires) ou prendre le risque d’une intervention policière dans les rayons.

Les auteurs des faits n'ont guère laissé le choix au directeur du magasin : soit il donnait les denrées, soit son magasin était bloqué indéfiniment avec une perte économique (on était à quelques heures du Réveillon) soit il fallait l'intervention des forces de l'ordre, ce qui entraînait un « risque » pour les « rayons ». On comprend que dans ces conditions, qualifier les « négociations » de « tendues » est un doux euphémisme.

En fait, vous l'aurez compris, de négociations il n'y eut point, c'était : « laisse-nous partir ou on bloque ton magasin, ou appelle la police et on casse tout. » Résumé comme ça, je pense que c'est plus clair. Il me paraît difficile de nier que le directeur n'a remis les biens que sous la contrainte, pour éviter un mal plus grand (une perte financière supérieure à la valeur des biens — 5000 euros d'après les informations de Rue89— ou des dégâts importants dans le magasin : 50 personnes lâchées dans les rayons à jouer à chat perché avec la police). Ce qui constitue l'extorsion.

Et l'état de nécessité ?

Selon le Code pénal :

N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace (article 122-7 du code pénal).

L'état de nécessité consiste donc à commettre un acte illicite pour prévenir un mal plus grand et imminent, que ce soit une autre infraction ou un danger quelconque.

Rappelons l'argumentation des autojusticiers :

"C'est une autoréquisition qui est juste en ces temps de crise et qui permet aux précaires de fêter aussi le Nouvel An dignement."

La jurisprudence est muette sur la question, mais pour fréquenter quelque peu les juges pénaux, je ne pense pas que le danger imminent de passer un Nouvel An de manière non conforme à la tradition gastronomique, ce qui serait une atteinte à la dignité, soit un danger suffisant pour justifier l'extorsion de 13 caddies de victuailles.

J'ajouterai qu'il n'y a jamais d'état de nécessité à s'emparer par la force de produits de luxe comme le saumon fumé ou le foie gras, et ce même un 31 décembre.

L'article relève qu'il y avait aussi des produits de première nécessité (pommes de terre, huile, pâtes). Dont acte. Mais l'état de nécessité suppose que la personne n'ait pu agir autrement que comme elle l'a fait, ou du moins a choisi la solution la moins dommageable pour autrui ou l'ordre public.

Les précaires en question risquaient-ils vraiment de mourir de faim, de manière imminente ? Et nos cinquante autorévolutionnaires n'avaient-ils vraiment pas les moyens, en se cotisant, d'acheter de quoi remplir treize caddies, ou seulement douze, de pâtes, d'huile et de pomme de terre ? Ils étaient 50. Ça fait 100 euros par tête de pipe, et bien moins au Franprix en face (il y a vraiment un Franprix en face du Monoprix en question). Je rappelle à toutes fins que la banque alimentaire collecte chaque année auprès des clients des supermarchés de toute la France, et c'est plus que treize caddies, qu'ils emportent, c'est 11.300 tonnes de nourriture. Et légalement.

Dire qu'aller ainsi se servir dans les magasins est la seule façon de venir en aide à des précaires en danger imminent me paraît quelque peu audacieux

Il me paraît fortement douteux que les personnes réalisant ces actions n'aient absolument pas d'autre moyen de porter secours à des précaires en danger imminent, ce qui seul constituerait l'état de nécessité.

Et la dignité des précaires ?

Franchement, elle a bon dos, en l'espèce. Car à commettre une extorsion pour les nourrir, on les rend coupables de recel. Avec des amis pareils, qui a besoin d'ennemis ?

L'addition, s'il vous plaît.

L'extorsion simple est punie de prison pouvant aller jusqu'à 7 ans et de 100.000 euros d'amende au maximum. Chaque personne ayant participé à l'opération en bloquant les caisses ou en participant à la pression mise sur le directeurs se rend coauteur de l'infraction et est punissable.

J'ajoute, car je lis dans l'article de Rue89, que des actions similaires ont eu lieu partout en France, et que le mode opératoire est à chaque fois le même et réglé comme du papier à musique, que constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions (art. 132-71 du code pénal). Et que l'extorsion en bande organisée, c'est 20 ans et 1.500.000 euros d'amende, avec régime spécial : 96 heures de garde à vue, pas d'avocat avant la 48e heure et la 72e heure.

Je doute que le parquet retienne la qualification criminelle, ne serait-ce que pour éviter les assises, mais juridiquement, elle tient.

Qui a dit que la révolution, même à coup de chariots de supermarché, était sans danger ?


Je profite d'une prépublication de ce billet sur Rue89 pour répondre à certains arguments soulevés par les lecteurs.

► Sophie35 : « Beaucoup d’actions collectives sont à la limite de la légalité, mais c’est parfois le seul moyen de faire progresser les droits sociaux. » Et de citer le droit de grève, et la liberté syndicale.

D'une part, je ne vois pas en quoi piller des supermarchés relève de l'avancée des droits sociaux. D'autre part, les exemples sont mal choisis : le droit de grève est une exception : une grève n'est légale que dans les limites tracées par la loi (mouvement collectif : illicéité de la grève individuelle ; cessation totale du travail : illicéité de la grève perlée ; revendications professionnelles : illicéité de la grève politique), et en dehors de ce cadre peut justifier un licenciement voire une action pénale (le piquet de grève par exemple est une atteinte à la liberté du travail). Les «grèves » des étudiants sont illicites et justifieraient des sanctions disciplinaires ou scolaires pour absentéisme ou perturbation de l'enseignement pour les fameux blocages. L'autoréduction ne s'inscrit dans aucun cadre légal. Quant à la liberté syndicale, qui est une liberté et non un droit, il y a certes eu des actions illégales pour obtenir la reconnaissance de cette liberté, mais ces actions, menées sous des régimes pour la plupart non démocratiques (il n'y a eu que quatre ans de démocratie avant leur légalisation sous le Second Empire), consistaient… à créer des syndicats, pas à aller piller l'épicier du coin.

► Johanjohan : Si on appliquait la qualification d’extorsion que je préconise, avec les peines que je rappelle, on mettrait sur le même plan ces 13 joyeux(sic) chariots de bouffe et des malfaiteurs qui extorquent en menaçant de mort ou de photos compromettantes. Mon approche juridique passerait à côté du sens de l’action (et des moyens : personne n’est menacé dans son intégrité physique). Ce serait un peu comme confondre terrorisme et vandalisme.

En droit pénal, les mobiles sont en principe indifférents (il y a des exceptions : ainsi les violences au mobile raciste sont aggravées de ce fait). Voler aux riches pour donner aux pauvres, ou voler aux pauvres pour garder le butin, ça reste un vol. Ici, une extorsion reste une extorsion. Fut-elle perpétrée dans la joie, ce qui en l'espèce se discute déjà. Le mode opératoire et les mobiles sont pris en compte seulement une fois la culpabilité établie pour fixer la peine. Ainsi, celui qui a mené les négociations tendues sera-t-il plus sévèrement sanctionné que celui qui s'est contenté de bloquer une caisse en criant des slogans, car on distingue le meneur des suiveurs : le premier fait passer à l'acte le second, le second ne passe pas à l'acte sans le premier. C'est là que nos auto-réducteurs seront moins sévèrement traités que les vilains malfaiteurs qu'invoque Johanjohan : les peines les frappant seront plus légères que celles prononcées à l'encontre des mafieux. Notamment, la prison ferme devrait pouvoir être évitée la première fois, tandis que les percepteurs de l'impôt révolutionnaire sont lourdement condamnés dès leur première visite d'un prétoire.

Et j'ajoute que menacer de révéler des photos compromettantes pour se faire remettre une somme ou des biens, ce n'est pas de l'extorsion, c'est du chantage et c'est “seulement” 5 ans de prison (art. 312-10 du code pénal). Vous voyez bien que je ne confonds pas des délits distincts.

Notes

[1] Un simple mensonge ne suffit pas : la loi cite comme exemple l'usage d'un faux nom, d'une fausse qualité, ou l'abus d'une qualité vraie : art. 313-1 du code pénal.

vendredi 2 janvier 2009

Brouir ou conduire, il faut choisir

Notre président ne connaît pas le repos. Il ne lui aura pas fallu longtemps pour lancer sa première fusée intellectuelle, pour reprendre cette si exacte expression de Philippe Bilger, de l'année 2009.

Comme ce fut le cas il y a un an avec la disparition de la pub sur le service public, on sent que plus de soin a été apporté à la précipitation de l'annonce qu'à la réflexion sur la faisabilité. Il suffit que la mesure réponde immédiatement à un fait divers, satisfasse un public frustré par une colère impuissante, aggravée par les dérangements digestifs d'un lendemain de Réveillon, et que le Bon Sens y appose son sceau pour que la mise en orbite ait lieu.

Voyons le cru 2009 :

PARIS (AFP) — Le président Nicolas Sarkozy souhaite empêcher les incendiaires de voitures de passer le permis de conduire "aussi longtemps que la victime des faits ou le fonds de garantie n'a pas été indemnisé en totalité".

Jeudi, en recevant à l'Elysée les personnels de services publics ayant travaillé durant la nuit de la Saint-Sylvestre, le chef de l'Etat a affirmé que "tant que (les incendiaires) n'auront pas réglé les conséquences de leur forfait, ils ne passeront pas le permis de conduire".

Le chef de l'Etat a affirmé vouloir "que l'on réfléchisse à la possibilité pour les juridictions pénales d'interdire à un mineur condamné pour des faits d'incendie de véhicule de passer un permis de conduire pour des véhicules deux ou quatre roues aussi longtemps que la victime des faits ou le fonds de garantie n'a pas été indemnisé en totalité".

« On » étant toute autre personne que le président, trop occupé à avoir des idées pour s'occuper de détails comme la faisabilité, ou l'efficacité. Je prédis une commission et un rapport.

Et comme d'habitude, pour soutenir la mesure : l'argumentation négative. Je ne vais pas dire pourquoi je le fais, je vais dire qu'il n'y a pas de raison pour ne pas le faire.

"Il n'y a aucune raison que ce soit les honnêtes gens qui aient à payer les conséquences des comportements de délinquants", a-t-il ajouté.

Comme le faisait observer une (é)lectrice au sujet de la rétention de sûreté : peu importe que ça ne serve à rien ; rien ne serait pire que de ne rien faire. La gesticulation plutôt que l'inaction. D'un point de vue rationnel, ça se discute (l'inutile et l'inefficace ont un coût supérieur à l'inaction pour un résultat similaire) ; du point de vue politique, il n'y a pas photo : ça marche.

En ces lieux, on préfère le rationnel à la politique. Assumons donc le rôle du « on » présidentiel et voyons en quoi il y a loin de la coupe de champagne aux lèvres.

L'idée est de faire pression sur les auteurs mineurs des incendies de voiture pour qu'ils indemnisent leur victime. La sanction serait de leur interdire de passer le permis jusque là. On pouvait aussi les priver de dessert ou de télé, mais non, ce sera le permis.

Voyons les objections de principe avant de voir les difficultés pratiques.

Objections de principe.

D'abord, pourquoi les mineurs seulement ?

Bien sûr, on est certain qu'un mineur n'a pas le permis. Mais pourquoi un majeur condamné pourrait-il aussitôt sorti du tribunal aller passer l'examen de conduite, tandis qu'un mineur verra cette échéance suspendue jusqu'au complet paiement des dommages-intérêts ? Premier reproche : l'incohérence.
Deuxième reproche : l'injustice. En principe, les mineurs sont mieux traités que les majeurs, car ils sont immatures, influençables (notamment par des majeurs non concernés par la mesure), et le passage à l'acte révèle souvent un problème plus profond. Ici, on vote une mesure qui les traitera plus durement que des majeurs. C'est une première. À rapprocher des propos qui accompagnent l'annonce de la réforme de l'ordonnance de 1945 sur les mineurs et qui fait de nos enfants des êtres sans foi ni loi dont il faut avoir peur. À croire que pour le Gouvernement, il n'y a que deux types de mineurs : les délinquants et les victimes de pédophiles.

Ensuite, pourquoi les véhicules seulement ?

Tout incendie est grave en soi, et un feu de boîte aux lettres peut se propager à l'édifice. Ou alors, il faut compléter le dispositif. Une cabine téléphonique détruite ? Interdiction d'avoir un portable jusqu'à ce qu'il ait remboursé. Un feu de poubelle ? Défense de sortir ses poubelles, il vivra avec ses détritus jusqu'à ce qu'il ait remboursé les services de la voirie. Vous voyez l'absurde.

Ensuite, pourquoi le permis de conduire ?

Là, on est en présence de réflexes issus du droit archaïque. “ Il a fâché le dieu des automobilistes, il doit faire un sacrifice pour apaiser sa colère ”.
Car si l'interdiction de passer le permis de conduire existe dans l'arsenal pénal, c'est pour des infractions commises lors de la conduite d'un véhicule. Si l'article 131-6, 3° du code pénal prévoit la faculté pour le juge de prononcer à titre de peine principale l'annulation du permis avec interdiction de le repasser pendant une période pouvant aller jusqu'à 5 ans, ce pour tout délit passible d'emprisonnement, un juge n'aura recours à une telle peine que pour des infractions au cours desquelles l'usage d'une automobile a été un facteur essentiel, de sorte que cette interdiction empêche le renouvellement de l'infraction. Mais en quoi une interdiction de passer le permis prévient-elle le renouvellement d'une infraction de destruction volontaire par incendie ?

Il faut tout de même rappeler que le permis de conduire n'est pas une faveur faite par l'État à des citoyens méritants. C'est une mesure de police, une restriction à la liberté d'aller et venir de chaque citoyen justifiée par des raisons de sécurité publique, que je ne conteste pas en soi : conduire un véhicule suppose des compétences, des réflexes qui s'acquièrent et des connaissances juridiques minimales[1], et le permis de conduire sanctionne, après un examen, la connaissance de ces éléments. Refuser la simple possibilité de solliciter cette autorisation pour soutenir des intérêts privés (un particulier n'est qu'un particulier, et le Fonds de Garantie n'est pas l'État, c'est une structure de droit privé financée par les assurances), à savoir le paiement de dettes, ne repose sur aucune légitimité et relève de l'abus de pouvoir par l'État.

Difficultés pratiques

La réforme supposerait d'abord que l'auteur ait été identifié. Or sur les 1147 autodafés de la Saint-Sylvestre officiellement recensés, combien d'auteurs ont-ils été arrêtés ? Sur les 288 interpellations officielles de la nuit, combien concernent des auteurs d'incendie ? Et sur ces auteurs arrêtés, combien de mineurs ? Silence radio. Et pour cause. Je ne sais pas s'il y en a un seul.

Tout simplement parce que les incendiaires sont déjà loin quand l'incendie est détecté, et encore plus loin quand la police arrive sur place. Pas de témoins (il fait nuit et les gens réveillonnent chez eux), pas de traces récupérables : les flammes détruisent les empreintes digitales ou l'éventuel ADN.

Autant dire que l'argument de la dissuasion fait long feu : tous les auteurs de ces incendies sont convaincus d'échapper à la justice pour ces faits, et la plupart du temps, ils ont raison.

D'autant plus que toutes les voitures brûlées la nuit de la saint-Sylvestre ne sont pas victimes de sauvageons pyromanes. Les assurances remboursent les incendies du Nouvel An sans trop y regarder : tradition des incendies, nombre de dossiers, pression des autorités. C'est le jour idéal pour se débarrasser d'un vieux tacot en panne mais encore coté à l'argus.

Ensuite, cette réforme impliquerait que la victime ait obtenu un jugement de condamnation ou que le Fonds de Garantie des Victimes d'Infraction ait indemnisé. Cela exclut donc les affaires où le propriétaire, découragé ou résigné, ne donnera pas de suite et fera jouer son assurance. Pas de condamnation, pas d'indemnisation, pas d'interdiction de permis.
Si le mineur auteur des faits a été identifié, pas de problème. Le tribunal pour enfants prononcera la condamnation, et la victime pourra utiliser le nouveau dispositif d'aide au recouvrement pour se faire avancer les sommes par le Fonds de Garantie (dans la limite de 3000 euros). Le remboursement intégral suppose le paiement du solde à la victime, le remboursement au Fonds des sommes avancées, outre le pourcentage supplémentaire au titre des frais de recouvrement.

S'il n'a pas été identifié ou si la victime n'a pas envie de se constituer partie civile, l'article 706-14-1 du CPP prévoit un mécanisme autonome d'indemnisation, si le propriétaire du véhicule a des revenus mensuels inférieurs à 1966,50 euros[2], dans la limite de 4000 euros. Mais rappelons que l'auteur des faits n'est généralement pas identifié. Il pourra donc aller passer le permis à 18 ans sans avoir à rembourser quoi que ce soit.

Autre problème : les parents sont civilement responsables de leur enfant mineur : art. 1384 du Code civil. C'est à dire qu'ils doivent indemniser les victimes de faits dommageables commis par leur rejeton. Quel que soit son âge. Même sans faute pénale. Donc si un mineur est condamné pour destruction volontaire par incendie, ses parents seront cités devant le tribunal en tant que civilement responsables (c'est la terminologie officielle), par opposition au mineur, prévenu, pénalement responsable (la peine ne peut frapper que l'enfant : on ne peut aller en prison pour un délit commis par son enfant). Pour peu que les parents soient un tant soit peu solvables, la victime ou le Fonds de Garantie auront été indemnisés… par les parents. Victime indemnisée, Fonds de Garantie remboursé ? Le galopin pourra aller passer le permis avec la bénédicition du président, sans avoir sorti un centime de sa poche.
Bref, la mesure n'est susceptible de faire pression que sur des mineurs issus de familles pauvres, qui ne pourront payer les dettes de leur chérubin. Si quelqu'un comprend où se trouve la justice là-dedans, je lui saurai gré de me l'expliquer.

Et concrètement, au fait, on fait comment, pour savoir si l'impétrant conducteur est venu à l'auto-école adorer ce qu'il a brûlé ?

La condamnation pour destruction volontaire est certes inscrite au casier judiciaire. Mais à partir de là, ça se complique.

En fait, il y a trois casiers judiciaires, plus exactement trois bulletins reflétant de manière plus ou moins complète le contenu du casier. Le bulletin n°1 (dit le « B1 »), réservé à la justice, est le relevé intégral des condamnations. Le n°2 est accessible aux administrations et à certains établissements publics lors du recrutement, et est un peu moins complet (notamment n'y figurent pas les condamnations avec sursis une fois que le délai d'épreuve est terminé) ; et le n°3, qui ne peut être demandé que par la personne concernée, est encore moins complet. Disons qu'il vous donne la garantie que vous ne devriez pas être en prison.

Or les condamnations des mineurs ne figurent pas au bulletin n°2 du casier judiciaire : art. 775, 1° du CPP. Donc une préfecture, ne peut, en demandant le bulletin n°2 d'un impétrant conducteur, s'il a ou non été condamné pour une jeunesse un peu trop flamboyante.

Qu'importe, rétorquerez-vous : qu'il demande au procureur de mirer le bulletin n°1 pour lui. Outre le fait que les procureurs ont mieux à faire que commander un B1 pour chaque candidat au permis, les condamnations des mineurs pour des faits délictuels sont également effacées du B1 dans un délai de trois ans à compter de la majorité s'il n'est pas condamné pour un crime ou un délit dans ce délai (art. 769, 7° du CPP). Donc un incendiaire à 17 ans peut se présenter à l'auto-école le lendemain de ses 21 ans avec un casier virginal et une dette en souffrance.

Cela suppose donc la création, fort coûteuse, d'un nouveau fichier qui répertorierait uniquement les rares condamnations de mineur pour incendie et serait, je ne sais comment, mis à jour des paiements effectués, deuxième condition de l'interdiction envisagée.

Car saurait-on qu'il a été condamné pour incendie de voiture qu'il faudrait ensuite s'assurer qu'il n'a pas indemnisé la victime ou le Fonds. S'agissant d'une dette purement privée, ça risque d'être délicat. Si le Fonds a payé, ce sera facile : un courrier suffira. Mais si c'est la victime, encore faudra-t-il la retrouver, et qu'elle réponde. Alors, dans le doute ? Il peut ou il ne peut pas passer le permis ? Et si la victime a renoncé à être indemnisée ? Faut-il considérer que la dette est payée (pour le Code civil, c'est oui) ? Ou faut-il qu'il paye néanmoins, mais à qui ?

Et au fait, si le mineur a un besoin ardent du permis pour pouvoir travailler et ainsi indemniser la victime ?

Encore une fois, nous sommes en présence d'une politique d'annonce, et fort efficace du point de vue médiatique : les journaux en parlent tous. Elle donne l'impression d'un président qui agit, sans que personne ne se dise que tiens, vu que ça fait 6 ans qu'il est aux premières loges pour voir flamber les voitures au Nouvel An, il aurait peut-être pu y penser avant, ni ne s'interroge sur la faisabilité ou l'efficacité réelle du projet. Un fait divers = une annonce.

Avec à la clef, un (vague) projet, à l'effet dissuasif nul, dont la réalisation promet d'être difficile et coûteuse, pour un résultat qui sera forcément inefficace car ne frappant qu'une toute petite partie des personnes concernées. Mais une opinion publique bien contente.

De ce point de vue, 2009 s'inscrit pleinement dans la continuité.

Notes

[1] Et oui, ce qu'on appelle le Code, c'est un examen de droit…

[2] Il s'agit d'1,5 fois le pafond de l'aide juridictionnelle partielle. Le revenu est calculé par foyer, avec une majoration par personnes à charge. Soit 1966,50 euros pour une personne seule ou un couple sans enfants, 2147,05 euros avec un enfant, 2382,55 avec deux enfants, et 148,50 euros par personne à charge supplémentaire.

mercredi 31 décembre 2008

Vœux

Message du Châtelain de ce blog.


Hymne officiel de ce blog :


Citoyen, citoyenne, visiteurs de ce blog.

2008 s'achève, et je profite de cette occasion unique de griller la politesse au président de la République (entre époux d'étrangères, on se comprend, lui et moi) pour vous présenter mes meilleurs vœux pour cette année 2009.

2008 a été une bonne année pour ce blog — qui n'en a pas encore connu de mauvaises — avec une fréquentation qui a à peu près doublé par rapport à l'année dernière.

Les grands moments qui me reviennent à l'esprit ont été l'affaire de l'assistante sociale, révélée sur ce blog et repris par Le Monde, le débat sur le jugement de Lille sur la mariée qui n'était pas vierge, et la journée du 23 octobre, formidable prise de parole des acteurs de la justice (50.000 visites le jour même, ce qui a causé une dépression nerveuse à Vélociraptor, mon ancien serveur, et m'a contraint à recruter son grand frère Overkill (grâces soient rendues à Typhon, mon hébergeur, qui a été aussi prompt qu'efficace sans même que j'ai besoin de l'assigner).

Surtout, 2008 a été une année d'agrandissement puisque de nouveaux colocataires m'ont rejoint : Dadouche et Gascogne, qui ont posé leur mallettes il y a un an, ont été rejoints par Fantômette, Anatole Turnaround, Lulu et Paxatagore, qui sont encore un peu timides, on les encourage bien fort. Merci à eux de leur compagnie virtuelle, c'est toujours un plaisir d'aller sur son propre blog pour découvrir un nouveau billet.

2009 ne promet pas d'être facile. Pas à cause du postérieur de Pénéloppe Jolicœur, mais j'ai des défis et de grands changements professionnels qui se profilent dont je ne puis vous parler. Souhaitez-moi bon courage et bonne chance, ça suffira.

Une pensée particulière, comme chaque année, pour les 80 et quelques procureurs de permanence cette nuit, mes confrères qui vont assurer les gardes à vue à l'heure ou d'autres font la fête, et surtout aux policiers et gendarmes de service cette nuit, particulièrement dans les secteurs sensibles. Que la nuit soit calme. Bon courage, soyez prudents, rentrez entiers.

Ah, et ne vous faites pas avoir en faisant sauter le bouchon trop tôt : cette nuit, la dernière minute de l'année aura 61 secondes pour que l'heure officielle colle avec la rotation de la terre. Après 23h 59mn 59 s, il sera 23 h 59 mn 60 secondes avant de basculer en 2009.

Vive la République, et vive mon blog.


Hymne officiel du blog :

lundi 29 décembre 2008

(Re)parlons garde à vue

Depuis le temps que j'en parle, il est temps que je m'y mette, ça me fera une bonne résolution de moins à prendre pour 2009.

J'ai déjà parlé de l'aspect purement technique de la garde à vue dans ce billet. Je n'y reviens pas, c'est assez aride comme ça. Pour la suite, je suppose ces éléments techniques sus par vous.

La garde à vue pose des problèmes de perception de cette mesure, signe de son invincible ambiguïté. Et surtout, c'est une insupportable (à mes yeux) réminiscence du droit napoléonien (pieusement conservé sous la Restauration, la monarchie de Juillet et le Second Empire), à une époque où quoi qu'on en dît sur les frontispices des monuments, le peuple n'était considéré libre que sous la réserve que l'État le veuille bien. Par exemple, saviez-vous que tout au long du XIXe siècle, y compris sous les débuts de la IIIe république, les personnes mises en examen (on disait alors inculpées) n'avaient pas droit à l'assistance d'un avocat tout au long de l'instruction ? Ce droit a à peine plus d'un siècle. D'où des aspects archaïques qui, à mon sens, sont difficilement compatibles avec le respect des droits de l'homme tel qu'imposé par la Cour européenne des droits de l'homme, et qui tôt ou tard, obligera à une réforme.

J'espère vous avoir mis l'eau à la bouche[1] : développons ces deux points.

L'ambiguïté de la garde à vue.

La garde à vue est au premier chef perçue comme une sorte de sanction. C'est une pré-condamnation, en quelque sorte, et quand la presse indique que dans telle affaire, une personne a été placée en garde à vue, on comprend : le coupable a été arrêté.

Curieusement, cette perception a été renforcée par une évolution récente du droit favorable aux libertés. Le droit, surtout pénal, adore les paradoxes.

En effet, la loi du 15 juin 2000 (dernière grande avancée en date des droits de la défense, lentement détricotée depuis) a supprimé la possibilité de placer en garde à vue un simple témoin. Désormais, il peut lui être fait interdiction de s'éloigner du lieu des faits et il ne peut être retenu que le temps strictement nécessaire à son audition (CPP, articles 61 et 62). Dès lors, la garde à vue est devenue une mesure ne concernant que les suspects, que le CPP appelle dans un français enlevé et élégant : « personnes à l'encontre desquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ». Pleure, Boileau, pleure.

La garde à vue a donc le sceau de l'infamie. Et depuis qu'elle ne s'applique plus qu'aux suspects, les gardés à vue sont traités comme tels : menottage systématique, lacets, ceintures, montres et bijoux confisqués, et placement en geôle quand on n'est pas menotté à un banc. D'ailleurs, le saviez-vous ? Le CPP interdit absolument à une personne comparaissant devant un juge, notamment lors des interrogatoires par le juge d'instruction, d'être entravée de quelque manière que ce soit. Pas de menottes. Même pour un tueur en série de 110 kilos. Mais devant un policier, les menottes sont de rigueur.

Autant dire que quand une personne se rend au commissariat en réponse à une convocation, elle espère bien ne pas être placée en garde à vue, et sera très complaisante pour éviter cela. Les OPJ ne se gênent pas d'ailleurs pour jouer de la menace du placement en garde à vue.

C'est à cette perception négative que correspond les réserves émises quand telle ou telle personne est placée en garde à vue (comme dernièrement, l'infirmière de Saint-Vincent-de-Paul). Avait-elle besoin d'être traitée en délinquante, se demande ainsi mon confrère Gilles Devers ?

Si la réponse est bien évidemment non, je maintiens néanmoins pour ma part qu'elle devait être placée en garde à vue. Vous voyez ? Le droit pénal adore les paradoxes.

C'est que la garde à vue est avant tout un statut juridique, une situation réglementée, et surtout créatrice de droits.

Droits dont la première obligation faite aux services de police ou de gendarmerie est de les notifier : droit de s'entretenir avec un avocat, au besoin commis d'office donc gratuit ; droit d'être examiné par un médecin ; droit de faire prévenir sa famille ou son employeur. Notons pour l'anecdote que RIEN n'oblige un gardé à vue à répondre aux questions, que ce droit était notifiée depuis la loi du 15 juin 2000, jusqu'à ce qu'une loi du 4 mars 2002 transforme cette notification en droit de se taire ou de répondre aux questions. AH, que c'est fragile, une avancée des droits de la défense. D'ailleurs, la loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure y a mis bon ordre et a supprimé cette notification. Attention : elle a supprimé la notification du droit, pas du droit lui-même. Le gardé à vue a toujours le droit de se taire. Mais on ne le lui dit plus. Les apparences sont sauves, et Tartuffe applaudit.

Dans la foulée, obligation est faite aux services de police ou de gendarmerie d'informer immédiatement le procureur de permanence de ce placement en garde à vue. Procureur qui peut ordonner qu'il y soit mis fin, à tout moment. Il y a donc un contrôle de la mesure par un magistrat. Pas parfait, j'y reviendrai, mais il existe. Alors que si la police prétend faire une fleur en ne plaçant pas en garde à vue, en réalité, elle dépouille la personne concernée de ces droits, personne qui devient de manière fort perverse un prisonnier volontaire de peur de se voir menottée et mise en geôle.

C'est pourquoi pour ma part, je soulève systématiquement une nullité de procédure quand un client a passé un laps de temps anormalement long qui fait supposer que sa présence au commissariat relevait d'une certaine contrainte (quelques exemples réels : une personne gardée au commissariat de 22 heures à 3 heures du matin ; une personne conduite au commissariat avec des menottes ; une personne à qui il a été fait interdiction d'utiliser son téléphone portable pour m'appeler alors qu'il était en train de patienter dans un couloir du commissariat ; dans tous ces cas, la police n'a pas considéré qu'il y avait garde à vue, suivie systématiquement en cela par le parquet à l'audience). Pour moi, la contrainte révèle nécessairement la garde à vue ; dès lors ne pas notifier les droits fait nécessairement grief au prévenu. La police ne garde d'aucun texte le pouvoir de garder de force un suspect en dehors de ce cadre. Sauf à commettre une séquestration arbitraire.

Hélas, ce point de vue, qui me semble marquée du sceau de l'orthodoxie juridique en ce que la privation de liberté doit nécessairement être prévue par la loi n'est pas suivie par la jurisprudence des tribunaux (la cour de cassation est plus rigoureuse, mais j'ai rarement l'occasion de lui soumettre le cas pour les raisons que je vais vous expliquer).

Car rappelons ici que, comme dans l'affaire Filippis, aucun texte normatif n'impose à la police de menotter un gardé à vue, de le placer dans les geôles du commissariat, de lui ôter bijoux, lacets, montre, et objets personnels. C'est du bonus, cadeau de la maison poulaga, comme on disait encore quand j'étais jeune.

Que dans certaines affaires, cela s'impose, je veux bien l'admettre. J'ai fait assez d'entretiens de garde à vue pour constater que des personnes sont carrément flippantes (j'écris « comportement exalté » dans mes observations écrites). D'ailleurs, ces personnes comme les autres sont systématiquement désentravées avant d'être laissées seules avec moi dans le local prévu pour les entretiens d'avocat. Comme quoi, quand on veut, on peut.

La garde à vue est en effet née d'un usage. Le code d'instruction criminelle en vigueur de 1808 à 1958 était muet sur la question, les policiers gardant ainsi à vue les suspects le temps nécessaire (droit napoléonien, vous vous souvenez). De toutes façons, le gardé à vue, une fois inculpé, n'avait toujours pas droit à l'assistance d'un avocat, qui n'avait —enfin— accès au dossier que quelques jours avant l'audience d'assises, c'est à dire des mois après l'arrestation. Alors qui allait se soucier des conditions dans lesquelles étaient obtenus les aveux au tout début de l'enquête ?

Voici la terrible ambiguïté de la garde à vue : à la fois mesure de contrainte (le gardé à vue est effectivement privé de liberté) mais aussi moment où se déclenchent les droits de la défense. Et quand on sait que la jurisprudence s'arc-boute sur le pouvoir souverain de l'OPJ de décider du placement ou non en garde à vue, on réalise qu'aujourd'hui encore, la possibilité effective d'exercer ces droits dépend du bon vouloir de l'OPJ en charge de l'enquête. Mais il faut sans doute être avocat pour trouver cela préoccupant.

Une réforme s'impose, limitant et encadrant les aspects afflictifs de la garde à vue (qu'enfin, enfin, on arrête de considérer les menottes comme l'accessoire indispensable telles les dragées à un baptême), et précisant que dès lors qu'une personne suspectée d'avoir commis ou tenté de commettre un délit met un orteil dans un commissariat, qu'elle y soit invitée par une convocation écrite ou poussée par un policier, les droits afférents à la garde à vue s'appliquent, même si la garde à vue se résume à un entretien plaisant durant une heure dans le bureau de l'OPJ.

C'est en effet un argument qui m'est régulièrement sorti, y compris par des procureurs : si l'OPJ n'a pas placé en garde à vue, c'est pour le bien du gardé à vue visiteur volontaire : le placement en garde à vue est une lourdeur administrative qui rallongerait nécessairement la durée de cette garde à vue visite. Ou comment la bureaucratie justifie qu'on s'assoit sur les droits de la défense. Je rappelle que le placement en garde à vue, c'est un formulaire, téléchargeable en tout plein de langues sur le site du ministère de la justice qu'on fait signer et qu'on faxe au procureur de permanence, et qu'on annexe au dossier avec si possible le rapport d'émission du fax, mais la simple mention que le parquet a été informé suffit à la légalité de la procédure : cour d'appel de Toulouse, 1er décembre 2004.

Et que mes amis policiers et gendarmes se rassurent : cela fait 42 ans que les États-Unis vivent avec cette obligation constitutionnelle, et cela ne les empêche pas d'avoir le plus fort taux de population carcérale au monde, et même d'exécuter des innocents de temps en temps. Vous voyez bien que ce n'est pas un obstacle à la répression.

La garde à vue est notre amie, il faut l'aimer aussi, mais ça ne doit pas empêcher notre tempérament procédurier de s'exprimer, et las, pour le moment, nous en somme pour nos frais.

L'archaïsme de la garde à vue.

Outre l'aspect déjà relevé de l'absence totale d'encadrement légal du traitement du gardé à vue (hormis des circulaires qui prévoient qu'il doit se voir fournir un repas chaud deux fois par jour et être laissé au repos de temps en temps, sachant qu'être menotté à un banc est considéré comme du repos), c'est son aspect de mise au secret discrétionnaire et sans recours qui est un archaïsme inacceptable.

Aujourd'hui encore, si un client est placé en garde à vue, je peux le voir trente minutes, mais sans avoir accès au dossier. Je ne sais que la nature des faits qui lui sont reprochés et l'heure à laquelle la garde à vue a commencé. Pas question que je l'assiste lors des interrogatoires sur les faits, alors qu'un juge d'instruction n'a pas le droit de dire un mot à mon client sans que j'en ai été informé au moins cinq jours ouvrables à l'avance, au cours desquels le dossier est tenu à ma disposition à tout moment, aux heures d'ouverture du greffe (l'usage et la prudence veulent qu'on téléphone pour annoncer sa visite et s'assurer de ne pas perturber un interrogatoire dans un autre dossier). Tout ça alors qu'on sait bien que les erreurs judiciaires naissent le plus souvent au stade de l'enquête de police ou de gendarmerie.

Et si je désire contester cette mesure, notamment dans l'hypothèse où on applique les procédures dérogatoires de garde à vue de 4 voire 6 jours avec intervention différée de l'avocat, je ne peux pas saisir un juge de la question. Une personne soupçonnée de terrorisme, de trafic de stupéfiant, de délinquance en bande organisée, peut être tenue au secret, sans avocat, sans aucun recours. C'est une question de temps avant que la CEDH ne condamne la France.

La seule possibilité éventuelle est de demander au procureur de permanence d'ordonner la levée de cette mesure. Mais là, on est dans la théorie complète. D'une part, le procureur de permanence est injoignable pour les avocats. Peut être dans les petits tribunaux où le contact entre magistrats et avocats est facilité, mais à Paris, la section P12 est une forteresse hermétique (tout particulièrement avec l'arrivée de son nouveau chef de corps). Ensuite, il a été informé de cette mesure et l'a probablement déjà validée : difficile pour lui de se déjuger. Enfin, la CEDH a rappelé encore récemment que le parquet ne pouvait être considéré comme une autorité judiciaire indépendante en matière de garde à vue (arrêt Medvedyev et autres contre France, n°3394/03 dit arrêt Winner, frappé d'appel).

Il n'existe pas d'habeas corpus à la française, de droit général à saisir un juge d'un recours contre une mesure privative de liberté décidée par la police dans le cadre de la poursuite d'une infraction (qui pourrait opportunément s'appliquer à un mandat d'amener délivré à l'encontre d'un journaliste pour une affaire de diffamation, je dis ça comme ça). Alors que même l'administration est soumise à un tel contrôle du juge administratif, mais en France, on ne mélange pas les serviettes avec les serviettes, cela dût-il nuire aux libertés. Pourtant, il existe déjà le juge adéquat : le juge des libertés et de la détention.

La seule possibilité de recours est a posteriori, devant le tribunal correctionnel, s'il est saisi. Nous pouvons alors soulever la nullité de la procédure, qui est d'ailleurs à ce moment irrécupérable si les règles de la garde à vue n'ont pas été respectées : le calcul n'est pas toujours bon du point de vue de la politique pénale. Et bien souvent, des tribunaux rechignent à sanctionner de nullité la procédure, quand la culpabilité est certaine. À la place, ils prononcent des peines dérisoires (cas courant : une amende avec sursis) : allez expliquer à votre client qu'il faut aller en appel, en cassation et le cas échéant à Strasbourg[2]. Et si l'affaire est classée sans suite, le gardé à vue ne peut prétendre à la moindre indemnisation. Je ne parle même pas d'excuses. La liberté du citoyen est à la disposition de la justice. Fichu droit napoléonien.

Combien de temps encore la défense sera-t-elle forcée à la paralysie dans les premières heures, pourtant cruciales, de l'enquête ? Combien de temps nous servira-t-on l'excuse de Tartuffe, qui consiste à dire que puisque notre client n'est encore officiellement accusé de rien, pourquoi diable aurait-il besoin d'une défense ? Quelle justification, dans notre société, permet de dépouiller une personne de sa liberté 2 jours, 4 jours, 6 jours, sans lui permettre de se défendre, à part permettre au parquet de profiter d'une position de force absolue pour obtenir des aveux par épuisement physique et nerveux, ces merveilleux aveux, réputés sincères car obtenus loin de l'avocat, qui ont conduit (feu) Richard Roman 4 ans en prison avant que la cour d'assises de Grenoble ne réalise que toute sa culpabilité avait été fabriquée lors de l'enquête, ces formidables aveux obtenus du mineur Patrick Dils et lui ont valu 15 ans de prison avant l'acquittement, et ce avant que la présomption d'innocence et l'égalité des armes imposées par la cour européenne des droits de l'homme ne restreignent son ire vengeresse ?

Quousque tandem, legislatus, abutere patientia nostra ?

Notes

[1] Les étudiants en droit qui me lisent auront reconnu une problématique suivi d'une très académique annonce de plan en deux parties : ils sont en terre familière.

[2] siège de la cour européenne des droits de l'homme.

vendredi 26 décembre 2008

L'affaire de l'enfant mort à l'hôpital

Je reçois pas mal de questions sur l'affaire dramatique de cet enfant mort à l'Hôpital Saint Vincent de Paul, à Paris.

Je suis en vacances, et je n'aurai aucune honte à faire travailler les autres à ma place, surtout quand ils le font bien.

Pour l'éclairage juridique, je vous renvoie vers mon confrère Gilles Devers, de l'excellent quoique provincial barreau de Lyon (son blog vaut qu'on s'y attarde, lisez les autres billets). Je n'ai pas une virgule à changer à ce qu'il dit sur le sujet. Je reviendrai dans un futur billet sur le problème de la garde à vue (qui est un de mes dadas), dont la nature est très ambiguë et la perception équivoque dans l'opinion publique.

Pour l'éclairage professionnel, je reprends le commentaire laissé sous un autre billet par Lumière Noire, qui exerce la profession de pharmacienne. Ses propos n'engagent qu'elle, mais apportent un éclairage intéressant sur l'origine de l'erreur qui a conduit à ce drame.

Libéré de ce fardeau, il ne me reste plus qu'à exprimer aux parents de cet enfant combien cette nouvelle m'a bouleversé, comme elle a dû le faire pour tout le monde, et tout particulièrement ceux qui sont ou ont été père d'un enfant de trois ans. Ce qui leur est arrivé est notre cauchemar à tous. J'enrage d'être impuissant à pouvoir soulager leur affliction.


56. Le vendredi 26 décembre 2008 à 17:18, par Lumière Noire

Le pharmacien (au féminin) que je suis, et qui travaille parfois en hôpital (car il y a toujours une pharmacie dans un hôpital) porte à votre connaissance que :

- l'immense majorité des infirmières ne connaissent pas grand chose aux médicaments.

- parce que leur rôle est de les administrer, pas d'être pharmaciens ni médecins.

- l'ordonnance hospitalière (car il y a toujours des prescriptions écrites par le médecin, comme en ville, pour que le pharmacien délivre les produits, c'est le but de la tournée de visites dans les chambres par le médecin) doit être exécutée par l'infirmière (il y est inscrit les heures d'administration des médicaments).

- cette ordonnance arrive dans la pharmacie de l'hôpital qui contrôle la prescription (et parfois rappelle le prescripteur ou l'infirmière pour euh... rattraper les bourdes "clarifier" le traitement).

- Puis les produits sont délivrés pour administration au malade (bien portant que nous sommes tous).

- Mais il y a aussi certains produits, utilisés à haute fréquence dans les services (alcool, éosine, coton, sérums de perfusion, aiguilles, seringues, poches, bassins, sondes, compresses, huiles de massages, etc, et que le dernier ferme la porte) qui nous sont demandés hors ordonnance, sur de simples listings d'approvisionnement du service, que la pharmacie est amenée à délivrer pour être stockés en vrac dans un local du service en question (fermé à clef).

- A l'hôpital, chaque service (chirurgie, maternité, ophtalmologie, médecine générale, long séjour, psychiatrie, etc) a donc sa propre mini-pharmacie courante à portée de main.

- Et l'équipe pharmaceutique de l'hôpital passe son année à visiter ces armoires à pharmacie dans tous les services. Tout est contrôlé chaque semaine, voir chaque jour pour les produits les plus dangereux. Parce que les personnels soignants (sans doute débordés, je ne leur jette pas la pierre, mais aussi négligents, parfois) ne respectent pas toujours la minutie pharmaceutique du rangement. Alors les boîtes valsent, les couvercles (où sont inscrits les dosages) volent, et parfois le dangereux désordre survient.

- Or tout pharmacien, de ville comme de champ, sait qu'en pharmacie, le désordre est synonyme de mort subite. C'est notre hantise à tous, c'est pourquoi nos tiroirs sont si bien rangés. On y passe un temps fou, et chaque fois que vous entrerez dans une officine, vérifiez donc le comptoir : on ne laisse jamais traîner un médicament (que le client précédent n'a pas voulu, par exemple), pour éviter de le mettre dans votre sachet, par erreur, à la fin de notre délivrance. Le produit qui "traîne" est immédiatement repositionné à sa place de stockage, même si cela doit faire patienter quelques secondes de plus le client suivant.

- Pour la délivrance de solutés de perfusion, et de tout ce qui est injectable, la concentration du pharmacien devient soudain phénoménale : ces médicaments (ainsi que les stupéfiants) sont nos bêtes noires, le risque y est maximal, absolu, et sans espoir. On a le cœur qui bat plus fort, on cesse de bavarder entre collègues (ou avec le client, ou avec l'infirmière). On relit MILLE FOIS l'ordonnance, l'étiquette, le dosage, la posologie, les contre-indications et les effets indésirables (y compris la mort).

On vérifie l'âge et le poids du patient, ses antécédents, ses allergies et autres. Parce que injecter, c'est toujours un acte définitif, comme une condamnation à perpète. Ou ça soigne, ou ça fait du dégât. On a lâché le fauve médicament dans le corps, impossible de le récupérer en cas de pépin, comme on le pourrait par un lavage gastrique et des vomissements pour un comprimé.

Et la perfusion, c'est le pire des cas : le lion est directement envoyé dans le sang, même pas freiné par le temps d'absorption des muscles. Il arrive en méga-haut débit au cœur, au foie, aux poumons, dans les reins ou le cerveau, bref, il foudroie les organes vitaux. Et le débit va dépendre de la vitesse donnée au perfuseur par l'infirmière : plus le goutte-à-goutte est lent, plus on aura de chance de freiner l'issue fatale.

Le petit malade, de ce que j'ai compris, avait une forte angine depuis plus de trois jours, avait consulté déjà deux médecins de ville. Le deuxième médecin a conseillé l'hospitalisation pour qu'on réhydrate un peu ce petit bout qui ne s'alimentait plus convenablement, et qui faisait en plus une forte fièvre. Ce médecin a très bien fait. Angine, diarrhée et fièvre ensemble, c'est très mauvais pour nos p'tits gars.

A l'hôpital, on devait simplement perfuser du sérum glucosé (c'est de l'eau avec du sucre) très important pour le cerveau. Le sucre est le seul aliment du cerveau, sans lequel ce dernier se met en grève. Ce sérum, qui est fabriqué avec une eau exceptionnellement pure, évidement, on peut même le boire au goulot, c'est du sirop léger.

Mais l'infirmière (rapidité, débordement, mauvais rangement dans l'armoire à pharmacie, négligence, ou même racisme sous-jacent) n'a :

- soit pas bien lu l'ordonnance (à l'hôpital aussi, les médecins écrivent comme des cochons!),

- soit pas attrapé la bonne poche (ou ampoule) de sérum dans la mini-pharmacie du service,

- pas lu et relu son étiquette posément (3 secondes), obligatoire,

- pas relu avant de l'introduire dans le perfuseur, obligatoire,

- pas relu avant de piquer la veine, obligatoire,

- pas relu avant de tourner la molette pour lancer la perfusion, obligatoire.

Le petit gars avait sans doute perdu plein de sels minéraux (angine + fièvre = transpiration, ça s'évapore) et de vitamines et s'affaiblissait par manque d'alimentation.

En ville, on aurait recommandé de lui faire boire du coca-cola (Ach! nous y revoici!), qui je le rappelle, était au départ un simple MEDICAMENT. C'est une potion de décocté de plantes énérgétiques et remplis de sels minéraux. Avec du bicarbonate de soude pour faire les bulles.

Ca stoppe la diarrhée, ça requinque, et en plus ça aide à digérer (bicarbonate).

Inventée par un pharmacien Noir (j'en suis fière) à Atlanta, dans son arrière-boutique, pour requinquer ses clients fatigués ou diarrhéiques. La potion contenait entre autres de la décoction de feuilles de coca (et donc de la cocaïne) ainsi que du jus de noix de Kola, d'où son nom.

Et si Coca n'a pas inventé saint-Nicolas, la deuxième guerre mondiale a DIFFUSE la boisson et le barbu volant aux quatre coins de la planète, via un protocole d'accord entre Coca et l'armée américaine : débarquement de GI's = débarquement de Coca.

Ce qui fait que tous les médecins, pédiatres et pharmaciens de la planète savent parfaitement conseiller le petit verre de coca (dégazéïfié en remuant une cuillère dans la potion pour éviter le burp salvateur qui pourrait faire tout recracher au petiot) en cas de fatigue passagère.

Même chose pour les petits vieux en maison close de retraite. Papy a une faiblesse? Hésite pas, mon gars : un coca (attention : toujours très frais!) et ça repart.

Ensuite le Coca a été tellement apprécié pour son goût que c'est devenu une boisson courante.

En clair, l'Africaine que je suis vous dit ceci : à force de ne s'enorgueillir ne vouloir dispenser qu'une médecine "scientifique" poussée aux extrêmes, car il est toujours extrémiste de vouloir piquer une veine, l'Occident Chrétien euh, les pays riches cultivent les germes de leur propre mort.

Là où n'importe quel "pauvre" (mais le sont-ils vraiment?) de la planète, sans Sécu ni mutuelle, serait passé devant les portes de l'hôpital sans y entrer, faute de pécule, et donc se serait contenté d'un Coca (chaud) vendu par le vendeur en pousse-pousse sévissant devant l'entrée (dudit hosto) pour requinquer son petiot, "l'avancée médicale stupéfiante de ces 20 dernières années, sic" a obligé le médecin de ville à se couvrir en faisant entrer le p'tit gars à l'hôpital.

L'hôpital a voulu se couvrir en lui prescrivant du sérum glucosé.

L'infirmière l'a découvert (au moins au niveau du bras) pour lui envoyer du chlorure de magnésium en ADSL. Médicament qui, à toute petite dose, est un simple laxatif. On le donne justement aux vieux qui peuvent plus trop...euh, plus bien...euh, y font plus caca, quoi!

Par contre à forte dose ce petit chat de rien du tout se transforme en bête féroce : il ralentit puis arrête le cœur.

Tellement même qu'on le met dans le mélange américain pour tuer les condamnés à mort là-bas.

Le père et la mère gueulaient comme des putois à la mort imminente de leur rejeton, personne n'a voulu les prendre au sérieux.

Le père, que j'ai vu et entendu au JT de France 2 ce midi, a bien décrit les différentes phases : agitation, pâleur, yeux révulsés, puis le corps devient tout mou, chiffon, râle, la mort.

Les parents hurlaient dans le couloir, ont même demandé dans leur panique qu'on appelle les pompiers, et se sont fait sévèrement rabrouer par le personnel soignant lorsque celui-ci a enfin daigné arriver. On leur a répondu que leurs fils était somnolent à cause du produit injecté.

(Vous avez déjà vu de l'eau sucrée endormir qui que ce soit, vous??)

C'est vrai quoi, qu'est-ce qu'il y connaissent à la mort ces immigrés (peut-être sans papiers et à la CMU de surcroît!)?

C'est incroyable que ce père ait eu à pratiquer bouche-à-bouche et massage cardiaque tout seul, en plein hôpital, sans le secours d'aucune personne soignante!

A Paris.

En 2008.

Pas à Cotonou, en 1675.

Là, on n'est plus dans le médical, dans le pharmaceutique. On est dans le comportement, le relationnel, l'humain.

Total manque d'empathie de l'ensemble de l'équipe soignante pour deux parents qui appellent au secours.

On ne les croit pas, donc on ne revérifie pas la poche (réflexe immédiat de tout pharmacien). Vous aurez noté que c'est l'infirmière elle-même qui s'est rendue compte de son erreur, ce qui semble signifier que les autres membres de l'équipe soignante n'ont pas revérifié la poche quand les parents criaient. Totalement confiants et solidaires de leur collègue.

Totalement au détriment du patient.

La dynamique de groupe a joué à fond. Avec son pendant : la dynamique d'exclusion.

J'ai déjà assisté à plusieurs cas de ce type en hôpital ou maison de retraite ; d'où mon soupçon de racisme énoncé plus haut et ma propre crainte quant à une hospitalisation personnelle, de peur de subir une négligence du même type.

L'hôpital, c'est rien que des humains : ils sont malheureusement dedans exactement comme ils sont au dehors. Et donc j'y ai très clairement constaté que tous les malades ne sont pas égaux : en soins, en attention, en surveillance, etc. Les pauvres, les minorités visibles et "immigrées", les SDF, les vieux : tout y est sujet à "racisme"? Maltraitance à tous les étages. C'est à pleurer.

Manque d'éducation, d'instruction, de culture, de responsabilisation des personnels soignants: certains, livrés à eux-mêmes, fatigués, mal payés, démotivés, frustrés, deviennent de très vilaines personnes.

Le serment d'Hypocrate? Hum, hum...

Alors encore une fois, je ne jette pas la pierre sans savoir.

Mais je dis que tuer un être humain, quel qu'en soit le mode, c'est un meurtre.

Et cela vaut bien une garde à vue.

Humainement.

Psychologiquement.

Et pour l'exemple.

(Vous pouvez tranquillement vous faire opérer dans le mois qui vient, tous les soignants seront particulièrement attentifs, traumatisés qu'ils sont non pas de la mort de petit, ça c'est tous les jours, mais de la garde à vue de leur collègue. Comme quoi il suffisait de leur trouver matière à réflexion...).

Par contre, il est clair que cette infirmière n'aurait pas dû être la seule de l'hôpital à passer Noël au poste. La faute semble est évidement collective.

Pourvu que cette faute, fortement médiatisée, ne reste pas sans responsable(s) : elle se transformerait en pierre à briquet.

Qui allumerait la mèche.

Paix à l'âme du petiot..


Mise à jour 27 décembre 2008 : ce billet a vu un exceptionnel défilé de primo-commentateurs ulcérés par l'allusion à un possible racisme du personnel soignant à l'origine de l'incident, tellement choqué à l'idée —saugrenue, bien sûr— qu'il pût y avoir ne serait-ce qu'un raciste en France qu'ils en déduisent en vrac que ce commentaire ne vaut pas d'être lu et que mon blog n'est décidément plus ce qu'il était. Ceux-là trouveront une réponse groupée sous le commentaire 71 signé Guillaume. À bon entendeur…

Et je vous invite à lire ce commentaire laissé par une personne se présentant comme un collègue de l'infirmière concernée, et qui dit avoir été présente lors de l'accident. Elle donne des détails sur le déroulement des événements, contestant la version du père. Je vous invite particulièrement à méditer ce passage :

- Le père continuait à hurler de toute ses forces et a appelé la police. Il a appelé tous ses frères et soeurs. - 20 personnes hurlantes ont débarqué dans le service en détruisant le sapin de noël, l'imprimante... En se roulant par terre (syndrome méditerranéen). 3 femmes ont fait des malaises et ont été emmené par SAMU dans un hôpital pour adultes...

Cherchez sur internet ce qu'on appelle le syndrôme méditerrannéen. De la pure xénophobie parée d'un cache-sexe pseudo-scientifique. Alors, une perception de l'urgence altérée par un biais culturel, c'est VRAIMENT totalement impossible, à écarter absolument avec force grimaces de dégoûts et cris d'orfraie, dans le plus pur style du syndrôme méditerrannéen ?

jeudi 25 décembre 2008

On l'a échappé belle

Le terrorisme ne connaît pas le repos, et cette nuit, nous l'avons échappé belle :

Paris (Agence Blog Presse) - 25-12-2008 : Le ministre de l'intérieur Michèle Aliot-Marie a tenu une conférence de presse sur un incident majeur lié au terrorisme international. Cette nuit, a-t-elle révélé, un religieux radical turc est entré dans notre espace aérien et a laissé une quantité très importante de colis suspects dans nos foyers. Cette attaque, a révélé le ministre, a été planifiée pour coïncider avec l'anniversaire de la naissance d'un leader religieux radical révéré par les musulmans dans le monde entier, né dans les territoires occupés, dans la ville de Cisjordanie appelée Bethléem.

Cette nouvelle est à prendre avec le plus grand sérieux, a-t-elle continué, et la Sous-Direction Anti-terroriste (SDAT) est saisie de l'affaire. Le ministre a rappelé que le leader religieux dont cet attentat marque l'anniversaire est connu pour avoir reçu un fort soutien matériel de leaders politico-religieux Iraniens, déjà connus des services de police pour avoir introduit des matériaux non comestibles dans des denrées alimentaires. Le leader religieux dont l'attentat de cette nuit vise à commémorer la naissance est connu pour avoir causé de nombreux troubles en Palestine avant d'être arrêté par une coalition israëlo-italienne, condamné à mort et exécuté, conformément aux lois internationales a précisé le ministre. Des arrestations auront lieu d'ici les prochains journaux télévisés, a conclu le ministre, sans préciser quelles pistes seraient exploitées.

Le Président de la République a chargé le Garde des Sceaux de préparer un projet de loi afin d'adapter la procédure pénale aux nouvelles formes de terrorisme, qui permettrait de prolonger la garde à vue jusqu'à 2 ans, et de repousser l'entretien avec un avocat à l'issue de la première année. Les moyens nécessaires seront prélevés sur le budget du ministère du logement : « À quoi cela servirait-il, m'ame Chazal, a déclaré le président sur l'antenne de TF1, que les Français aient un logement si c'est pour que le premier terroriste turc venu puisse y déposer des colis suspects ? ». Cette annonce a provoqué la colère des associations pour le droit au logement qui ont fait observer que cette nuit, une SDF avait dû accoucher dans une étable.

Ouf. On a eu chaud.

Joyeux Noël à tous. Et si vous avez trouvé un de ces colis suspects, SURTOUT ne l'ouvrez pas et envoyez-le moi par Chronopost à mon domicile. La sécurité avant tout.

(D'après Thoreau)

samedi 20 décembre 2008

Quelques mots sur l'affaire Coupat

Que ce soit en mail ou en commentaires, je reçois beaucoup de questions sur l'affaire Coupat, et plus largement sur l'affaire des sabotages des lignes TGV, imputés à un groupuscule d'extrême gauche, et qualifiés d'entreprise terroriste.

Voici juste quelques éclaircissement généraux qu'un juriste peut apporter. Je n'ai accès à aucune pièce du dossier et me garderai de me prononcer sur la responsabilité des personnes interpellées, même si la remise en liberté de certaines et le maintien en détention d'autres peut surprendre. Mais après tout, ces sabotages ne nécessitant pas une infrastructure élaborée, il est possible que seuls certains membres y aient été mêlés. Qui vivra verra.

Voyons donc le cadre général dans lequel se déroule cette instruction, avant de voir ce qui est arrivé à Julien Coupat.

Le cadre général : les infractions terroristes.

Le code de procédure pénale (CPP) pose les règles générales applicables aux instructions. Mais d'années en années, des réformes ont ajouté à la fin du code toute une série de règles dérogatoires au droit commun, jamais au bénéfice des personnes soupçonnées, mais, bien sûr, au nom de notre sécurité, l'alibi absolu avec la protection des enfants (ceux là même qu'il faut envoyer en prison dès 12 ans).

C'est ainsi que le CPP prévoit des règles de procédure spécifiques pour :

► Les actes de terrorisme (art. 706-16 à 706-25-1).
► Le trafic de stupéfiants (art.706-26 à 706-33).
► La traite des être humains[1] (art.706-34 à 706-40).
► Les infractions sexuelles (art. 706-47 à 706-53-12).
► Les infractions en bande organisée (art. 706-73 à 706-106).

Ajoutons à cela des règles dérogatoires pour les infractions commises par les personnes morales, les majeurs protégés, les déments, en matière sanitaire, économique et financière, et de pollution maritime, et vous comprenez que les larmes qui accueillent tant chez les avocats que les magistrats l'annonce d'une nouvelle réforme du CPP ne sont pas toutes de joie et de reconnaissance éperdue.

Revenons en à notre affaire.

En l'espèce, les actes de sabotage des lignes TGV ont été qualifiées d'actes de terrorisme.

Voilà qui peut surprendre quand d'habitude, le terrorisme évoque des bombes dans les transports en commun, des avions qui explosent, ou à tout le moins, des bâtons de dynamite dans une chasse d'eau. Mais une caténaire arrachée, ça fait petit joueur. Ça perturbe le trafic mais ça ne risquait pas de tuer quiconque.

Qu'est ce que la loi entend donc par acte de terrorisme ?

En principe, un acte de terrorisme n'est pas une infraction autonome. Il s'agit d'une infraction de droit commun dont le législateur fait la liste[2], mais commises « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».

À ces délits viennent s'ajouter, bien qu'elles soient présentées comme des infractions autonomes, l'introduction dans l'environnement d'une substance de nature à mettre en péril la santé de l'homme ou des animaux ou le milieu naturel dans le cadre d'une entreprise terroriste, l'association de malfaiteurs[3], le financement d'une organisation se livrant au terrorisme[4], ou le fait de ne pouvoir justifier de son train de vie quand on est en relation habituelle avec des personnes se livrant à du terrorisme[5], qui sont en faits des infractions existantes aggravées ou adaptées (la dernière s'inspire du proxénétisme).

Et à quoi ça sert ?

Tout d'abord, les infractions en questions sont toutes aggravées (sauf l'association de malfaiteurs, on touche déjà le plafond de 10 ans encourus). Les destructions volontaires en réunion, qui font encourir 5 ans de prison, en font encourir sept dans le cadre du terrorisme.

En outre, en présence d'une de ces infractions, le tribunal de grande instance de Paris est compétent, en concurrence avec le parquet local du lieu de l'infraction. Cela ne veut pas dire que deux instructions vont être menées en parallèle, le code prévoit les règles de l'éventuelle transmission du dossier à Paris. Pourquoi ? Parce que les juges et avocats de province sont trop mauvais Parce que le parquet de Paris est doté d'une section spécialisée, la section C1, et de juges d'instruction également spécialisés dans la matière, et qui connaissent bien les différents réseaux, leur fonctionnement, leur mentalité. C'est notamment là-haut, sous les toits, dans la galerie Saint-Éloi, qu'a exercé pendant plus de 20 ans le célèbre juge Bruguière. Enfin, les crimes sont jugés par une cour d'assises spéciale composée de 7 magistrats professionnels sans jurés, pour mettre les citoyens à l'abri des pressions et représailles des organisations terroristes.

Au stade de l'enquête, ce sont des services de police spécialisés (par exemple la Direction Nationale Anti-Terroriste, DNAT) qui sont saisis.

Enfin et surtout, puisqu'il s'agit de votre sécurité, n'est-ce pas, les droits de la défense sont mis au congélateur. La garde à vue peut durer jusqu'à 96 heures, voire 144 heures (oui, 6 jours) en cas de menace imminente (mais une menace non imminente est-elle une menace ?), le gardé à vue n'ayant droit à s'entretenir avec son avocat qu'au bout de la 72e heure. Car c'est connu, rien ne permet mieux de lutter contre le terrorisme que de priver des suspects de leurs droits de la défense, sauf peut être une prison militaire sur un bout d'île occupée.

Je précise que s'il s'avère que le quidam placé 6 jours en garde à vue n'a rien à voir avec le terrorisme, il ne peut même pas prétendre à un mot d'excuse.

Revenons en à nos anarchosaboteurs.

On leur impute des dégradations, détériorations et destructions en réunion dans le cadre d'une entreprise terroriste (puisqu'ils ont été commis intentionnellement dans le cadre d'une entreprise individuelle ou collective (collectiviste, en l'espèce) ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, et une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste[6]. Ce qui lui fait encourir 10 ans de prison.

Le fait de recourir à la procédure extraordinaire des infractions terroristes dans cette affaire est contesté dans son principe par des soutiens aux personnes interpellées, et quelques juristes. Sachez qu'en droit, s'il s'avérait que les faits ne relevaient pas de cette procédure dérogatoire car l'entreprise terroriste n'est pas caractérisée (de fait, bloquer des TGV trouble-t-il gravement l'ordre public ?), les faits seraient requalifiées en infraction de droit commun, mais les poursuites n'en resteraient pas moins valables, même avec une garde à vue plus longue que le maximum légal prévu pour ces délits.

Les déboires de Coupat.

Lexpress.fr nous apprend que Julien Coupat, présenté comme le chef des anarchistes (cherchez l'erreur) reste incarcéré malgré la décision de remise en liberté du juge des libertés et de la détention.

Un juge des libertés et de la détention (JLD) a signé vendredi une ordonnance de remise en liberté à la suite d'une demande déposée par son avocate, Me Irène Terrel, à l'issue d'un interrogatoire de Julien Coupat devant le juge d'instruction chargé de l'enquête le 12 décembre.

Situation classique. Le juge d'instruction interroge le mis en examen détenu. L'interrogatoire terminé, l'avocat a aussitôt le réflexe de demander la remise en liberté, puisque maintenant que le client a été entendu, un des motifs de l'incarcérer (prévenir une collusion avec les autres auteurs ou complice) a disparu. Le juge d'instruction peut décider d'office de remettre en liberté, ou l'avocat peut le lui demander. En cas de demande de mise en liberté (dite DML), que ce soit par l'avocat ou le détenu lui-même au greffe de la maison d'arrêt, le juge doit transmettre immédiatement la demande au parquet pour connaître son avis, et soit remettre le détenu en liberté, soit s'il estime qu'il faut rejeter la requête, la transmet avec son avis au JLD dans les 5 jours de la communication de la demande au parquet. L'article nous apprend sans le dire que le juge d'instruction était contre la remise en liberté puisque c'est le JLD qui a statué, et que le parquet s'opposait lui-même à cette remise en liberté, par la procédure spéciale qu'il a utilisée pour paralyser l'ordonnance du JLD..

Le JLD a alors trois jours ouvrables pour rendre une ordonnance motivée susceptible d'appel, par le détenu en cas de rejet de sa demande de mise en liberté, soit par le parquet en cas de remise en liberté. Bien que rien n'interdise au parquet de faire appel d'un refus de mise en liberté. Si, si. C'est déjà arrivé.

Le juge avait jusqu'à lundi pour statuer, mais il n'a pas attendu jusque là et vendredi, il a signé une ordonnance de remise en liberté. Le parquet n'est pas d'accord, le détenu n'étant pas un dignitaire d'une dictature amie de la France (qui a dit “pléonasme” ?) mais un simple citoyen français (anarchiste, certes mais citoyen quand même).

Le jeune homme de 34 ans n'a cependant pas été remis en liberté, le parquet ayant pris un référé-détention contre la décision du JLD. Cet appel doit être examiné mardi par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, selon l'une de ces sources.

Référé détention ? Qu'est-ce donc, me demanderez-vous ?

En 1996, dans un de ces moments de grâce où une majorité de l'assemblée réalise l'importance des droits de la défense (c'était suite à l'affaire Botton…), a été institué une procédure de référé liberté. Quand un juge des libertés et de la détention place quelqu'un en détention, la personne concernée ou son avocat peut immédiatement faire appel et demander que le président de la chambre de l'instruction examine dans les trois jours ouvrables la demande. Il peut décider de remettre le détenu en liberté, ou renvoyer l'affaire devant la chambre de l'instruction dans le cadre de l'examen ordinaire de l'appel. Notons que c'est, à ma connaissance, la seule procédure d'appel qui peut se former immédiatement devant le juge qui vient de rendre la décision. Je vous garantis l'effet pour plomber l'ambiance. C'est l'article 187-1 du CPP.

En 2002, dans un de ces moments de disgrâce qui suit une campagne présidentielle sur le thème de l'insécurité, la même majorité va adopter la procédure inverse : le référé-détention. L'hypothèse est celle d'un JLD qui remet en liberté contre les réquisitions du parquet. Le JLD doit alors notifier sa décision au parquet qui a quatre heures pour faire appel en demandant un examen immédiat de cet appel. La logique aurait voulu que ce soit le président de la chambre d'instruction qui examine ce référé détention, tout comme il examine les référés libertés. Ce sera donc le premier président de la cour d'appel qui s'y collera. Des mauvaises langues, dont je ne suis certainement pas, vous me connaissez, diront qu'un premier président de cour d'appel est à un niveau tel de la hiérarchie (qu'on appelle hors hiérarchie, c'est dire…) que toute possibilité de promotion, qui ne peut se faire qu'en Conseil des ministres, suppose d'être bien vu par le gouvernement en place, donc rend plus… vigilant sur la teneur des décisions politiquement sensibles qu'il pourrait prendre. Heureusement, je ne suis pas mauvaise langue. C'est donc juste une simple incohérence législative.
Le premier président doit statuer au plus tard le deuxième jour ouvrable suivant la demande. Articles 148-1-1 et 187-3 du CPP.

Pour en revenir à notre ami qui n'aime ni l'économie de marché ni les caténaires (ce dernier point étant toutefois contesté), la décision de remise en liberté est paralysée par un référé détention qui doit être examiné mardi au plus tard. Cela provoque, et on la comprend, l'ire de son avocat. Las, soit la douleur l'égare, soit ses propos ont été mal compris par le journaliste.

« Il devrait être libre à l'heure où je vous parle », a affirmé son avocate, dénonçant cette « procédure exceptionnelle qui n'a pas lieu d'être ». « Tout est bloqué par un référé-détention, ce n'est pas normal. Julien Coupat a des garanties de représentation », a-t-elle estimé. « Un référé-détention à la veille de Noël, ça va trop loin, c'est lamentable », a déploré Me Terrel.

Un référé détention est aussi exceptionnel qu'un référé liberté. C'est une voie de recours tout à fait légale ouverte au parquet quand il le souhaite. Dieu sait que c'est frustrant pour un avocat de la défense de sauter sur le fax, lire "Ordonnance de remise en liberté", crier "Youpi", feuilleter les pages et tomber sur un avis de référé détention. Ça met une claque. Il demeure, c'est légal. Et c'est normal que tout soit bloqué par ce référé détention : c'est le but du référé détention. Et aucun texte ne s'oppose à ce qu'il soit exercé la veille (ou l'avant-avant-avant-avant-avant-veille de Noël, c'est pareil, ne jouons pas sur les mots) de Noël.

Voilà les quelques lumières que je puis apporter sur cette affaire. Je me garderai bien, j'insiste, de me prononcer sur le fond, et vous prierai de respecter cette même réserve en commentaire. L'instruction est en cours et nous ne savons rien ou si peu de son contenu. Entre ceux à ma droite qui crient au loup au couteau entre les dents, et ceux à ma gauche qui crient au coup monté contre d'innocents rêveurs qui pensent que la lutte contre l'économie de marché commence en ouvrant une épicerie dans le Limousin, je n'ai aucune envie de trancher et là n'est pas l'objet de ce billet.

Notes

[1] Rien à voir avec la production de lait maternel, il s'agit du proxénétisme.

[2] Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, les vols, les extorsions, les destructions, dégradations et détériorations, ainsi que les infractions en matière informatique ; les infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous ; les infractions en matière d'armes, de produits explosifs ou de matières nucléaires, le recel du produit de ces infractions ; les infractions de blanchiment et même les délits d'initié. Art. 421-1 du Code pénal.

[3] Ajouté par une loi votée au lendemain des attentats de 1995.

[4] Ajouté par une loi votée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.

[5] Ajouté par une loi votée au lendemain de l'attentat de Bali.

[6] Le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents. Article 421-2-1 du code pénal

jeudi 4 décembre 2008

La réforme de la justice des mineurs (acte II)

Par Justice, juge des enfants mineurs.




Voilà, nous avançons à grand pas. La commission Varinard vient de déposer son volumineux rapport (bonne lecture à tous ...) ; ses propositions deviennent officielles. C'est désormais à la Garde des sceaux de trancher.

Je sais que je vais encore frustrer du monde (on est tous des frustrés, ne vous inquiétez pas !) mais il ne s'agit pas pour moi de commenter toutes les idées émises dans ce rapport (j’ai tout parcouru mais mon temps est un peu limité aussi...). Un bon aperçu a été fait dans un autre billet. Il y a des choses intéressantes, c'est certain, d'autres un peu plus surprenantes. Bref, excusez encore, je voudrai au contraire me centrer sur ce qui "dérange", c'est à dire ce qui sort du lot, apparaît inhabituel, voire a priori incroyable.



En numéro un : les enfants de 12 ans pourraient aller en prison

La rumeur n'est désormais plus une rumeur. Il s'agit bien d'une proposition formulée à la GDS.
La proposition : “La fixation d’un âge de responsabilité pénale à douze ans permet, en matière criminelle, d’appliquer aux mineurs âgés de douze à seize ans le traitement pénal applicable à ce jour aux seuls mineurs âgés de treize a seize ans.

Ainsi, en matière criminelle, un mineur âgé de douze ans au moment des faits pourra être condamné par un tribunal des mineurs et se voir appliquer une peine. De même, dans l’hypothèse ou le placement sous contrôle judiciaire n’aura pas paru suffisant, ce mineur pourra être placé en détention provisoire, dans les limites aujourd’hui applicables aux mineurs de 13 à 16 ans (une durée de six mois qui peut être prolongée, une seule fois et a titre exceptionnel, d’une durée de six mois).”

Elle mérite sa position "numéro un" non seulement par son écho médiatique mais surtout par ce qu'elle viendrait signifier (les 2 étant intiment liés évidemment).

Nous avons déjà beaucoup débattu à ce sujet ; je n'y reviendrai donc pas. Personnellement, je reste sur ma position et encore pardon pour les frustrations liées aux explications non fournies sur : « pourquoi un gosse de 12 ans est immature et ne peut être jugé comme un plus grand ». Cela fait appel à la psychologie, à l'éducatif, au médical, au juridique, au bons sens également. Voilà pourquoi c'est trop long ...



En numéro 2 : le tribunal correctionnel pour les mineurs (de mieux en mieux !)



Depuis quand ne parle-t-on plus de tribunal Correctionnel pour les mineurs ? Eh bien, ma bonne dame, il faut remonter loin dans la mémoire collective ... (ça, ce n’est jamais très bon en matière de mineurs, vu les déboires et les erreurs commises dans le passé pour réprimer toujours plus sévèrement). Moi je n’étais pas né mais je m’en souviens car c’est le texte fondamental en matière de droit des mineurs que j’applique au quotidien : je veux parler de l’ordonnance du 2 février 1945. Cela fait donc 63 ans que les mineurs n’ont plus de liens avec les Tribunaux pour majeurs.

Petit retour en arrière (toujours nécessaire en cas de réforme proposée).

Jusqu’au XVIIIème siècle, l’enfant ne bénéficie pas d’un régime pénal spécifique et peut être condamné comme un majeur par les mêmes tribunaux.

Le Tribunal Correctionnel, avec le Code Pénal de 1810[1], reste la juridiction compétente pour eux et est composée par 3 magistrats. La loi du 28 avril 1832 vient même l’autoriser à juger certains crimes commis par les mineurs.

Art.68 du Code Pénal de l’époque : “ L’individu âgé de moins de 16 ans qui n’aura pas de complices présents au-dessus de cet âge, et qui sera prévenu de crimes autres que ceux que la loi punit de la peine de mort, de celle des travaux forcés à perpétuité, de la peine de déportation ou de celle de la détention, sera jugé par les tribunaux correctionnels...

Les peines peuvent être sévères et on estime au milieu du XIXème s. que 50% des mineurs jugés par ces juridictions sont condamnés à une peine supérieure ou égale à un an.

Grâce à la loi du 22 juillet 1912, des règles particulières, à consonance éducative, sont instaurées spécifiquement pour les mineurs (obligation d’enquêter sur son histoire familiale). Le mineur est désormais jugé par une chambre spéciale du tribunal de première instance, le tribunal pour enfants et adolescents. Toutefois, ce

« Tribunal pour enfants n'était qu'une fiction. Le Tribunal Correctionnel ordinaire se constituait en tribunal pour enfants ou en chambre du conseil mais sa composition ne variait pas. En outre les magistrats restaient soumis à la loi du roulement et passaient un ou deux ans, quelquefois moins, au tribunal pour enfants » (Hélène CAMPINCHI, avocate à la cour de Paris in « Revue de l'Education Surveillée » n°778 ;1 – mars 1946)



Il faut attendre 1945 pour que notre pays, conscient de la spécificité des problèmes touchant les mineurs, créé un Juge des Enfants :

“Le Garde des Sceaux, ministre de la justice, désigne au sein de chaque tribunal de grande instance un magistrat qui prend le nom de Juge des Enfants” (art. 4, version initiale de l’ordonnance)

et une juridiction réellement particulière, le Tribunal Pour Enfants :

“Les mineurs de 18 ans[2] auxquels est imputée une infraction qualifiée crime ou délit ne seront pas déférés aux juridictions pénales de droit commun, et ne seront justiciables que des Tribunaux Pour Enfants” (art.1)

Que se passe-t-il quand une affaire concerne un mineur et un majeur ? Dès 1945, il est prévu que

“lorsque le mineur de 18 ans est impliqué dans la même cause qu’un ou plusieurs inculpés âgés de plus de 18 ans, la poursuite qui le concerne sera disjointe”.

Depuis 1951, il est désormais prévu, dans l’intérêt des victimes, d’unifier l’action civile :

“lorsqu’un ou plusieurs mineurs sont impliqués dans la même cause qu’un ou plusieurs majeurs, l’action civile contre tous les responsables peut être portée devant le tribunal correctionnel ou devant la cour d’assises compétente à l’égard des majeurs. En ce cas, les mineurs ne comparaissent pas à l’audience mais seulement leurs représentants légaux” (art.6 Ord. 2 février 1945).

Si le mineur n’a pas encore été déclaré coupable, le tribunal correctionnel peut alors surseoir à statuer sur l’action civile.

Personnellement, je n’ai jamais vu appliquer cet article. C’est dommage car il faciliterait les démarches de la victime, l’exécution de la décision (en prévoyant la solidarité entre les condamnés majeurs et mineurs) et elle garantirait la cohérence des décisions. En effet, le Juge des Enfants n’est pas forcément informé des sommes allouées par le tribunal correctionnel à la victime. Il peut donc avoir une appréciation différente.



Voici la proposition :

Création d’un tribunal correctionnel pour mineurs spécialement composé.
Composé d’au moins un juge des mineurs, le tribunal correctionnel pour mineurs sera compétent : - pour les mineurs devenus majeurs au moment du jugement, les mineurs poursuivis avec des majeurs et les mineurs de 16 à 18 ans en état de nouvelle récidive. Il ne pourra alors être saisi que par le juge des mineurs ou le juge d’instruction. - pour les infractions commises par des jeunes majeurs au cours de l’année suivant leur majorité. Il sera dans cette hypothèse saisi par le juge d’instruction ou par le parquet.”

Cette proposition, je le dis, est des plus surprenante. Je ne disconviens pas de l’intérêt d’une progressivité de la sanction (ce que l’on fait au quotidien) mais j’y vois ici un retour en arrière sans précédent. Non seulement le mineur n’est plus jugé par une juridiction spécialisée pour mineurs (si elle est composée d’un seul juge des enfants, ce n’est pas une juridiction spécialisée ; par ailleurs le Juge des Enfants pourra ne rien connaître de la situation du jeune) mais en plus on permet son jugement avec des majeurs ... Et pourquoi pas demain, dans ces conditions, ne pas prévoir d’incarcérer ensemble majeur et mineur de plus de 16 ans ?

Cette proposition est inutile. Le Tribunal Pour Enfants a toute possibilité d’appliquer les sanctions et peines prévues par la loi. Par ailleurs, si l’on veut réellement favoriser le sort des victimes, commençons par appliquer l’article 6...

Numéro trois : la Cour d’Assises des mineurs compétente pour le tout.

La proposition :

En revanche, le caractère spécialisé de la cour d’assises des mineurs ainsi que la plénitude de juridiction dont elle dispose qui lui permet de juger de faits commis par un même accuse antérieurement et postérieurement à sa majorité et des affaires mixtes mettant en cause des mineurs et des majeurs a été rappelé. Cette réalité a conduit la commission à préconiser qu’elle traite des faits commis par un mineur avant et après ses seize ans si la decision de renvoi l’a saisie de l’ensemble de ces faits.

Actuellement, que se passe-t-il lorsqu’un mineur a commis un crime de l’âge de 15 ans à l’âge de 17 ans ? Vous l’aurez compris, il s’agit dans ces hypothèses de faits de nature sexuelle (viols) et non de crimes de sang (sauf à imaginer un mineur meurtrier en série ...).

Une instruction est obligatoirement menée par un juge d’instruction et, si les charges sont suffisantes, le mineur est renvoyé devant le Tribunal Pour Enfants (pour les faits commis avant ses 16 ans) et devant la cour d’Assises des Mineurs (pour les faits commis postérieurement).

Il n’y a pas d’ordre. Le mineur peut être jugé par la Cour d’Assises avant ou après le procès devant le Tribunal Pour Enfants.

Dernièrement, le Tribunal Pour Enfants que je présidais a ainsi passé une journée entière à entendre des témoins, des experts, le mineur, la famille alors que la Cour d’Assises avait déjà condamné le mineur pour des faits qui étaient dans la continuité complète de ceux commis avant l’âge de 16 ans (mêmes victimes).

Perte de temps incroyable sachant, en plus, que les peines prononcées sont généralement confondues entre elles après pour n’en former qu’une seule[3]...

Cette proposition est intéressante car elle a le mérite de donner plénitude de juridiction à une juridiction déjà spécialisée (la cour d’assises des mineurs), composée de 2 Juges des Enfants et de jurés. Elle évitera des procès à répétition où souvent les mêmes éléments sont débattus (on peut évidemment difficilement passer sous silence ce qui s’est passé avant et après 16 ans ...).



Numéro 4 : le tribunal pour mineurs à juge unique.



La proposition :

Le tribunal des mineurs siégeant a juge unique sera compétent pour le jugement des délits pour lesquels la peine encourue est inférieure ou égale a 5 ans d’emprisonnement. Cependant, les mineurs comparaissant en détention provisoire et les mineurs en état de récidive légale devront obligatoirement être poursuivis devant la juridiction collégiale. Le renvoi devant la juridiction collégiale est de droit sur demande du mineur. Le tribunal des mineurs siégeant à juge unique pourra prononcer des sanctions et des peines.

La commission considère que le tribunal des mineurs statuant à juge unique, tel qu’elle l’a défini, aura vocation à juger une part importante des dossiers, actuellement orientés en chambre du conseil. Le procureur de la République disposera alors de la possibilité de prendre des réquisitions dans des affaires qui aujourd’hui ne lui sont pas soumises et de faire usage plus utilement de son droit d’appel. En effet, le tribunal des mineurs siégeant a juge unique devrait permettre d’audiencer plus facilement ces affaires que devant le tribunal des mineurs siégeant en collégialité.

D’une part, en l’absence des assesseurs, le tribunal des mineurs statuant a juge unique ne suppose que la réunion du personnel judiciaire habituellement présent dans les palais de justice. Ainsi, les audiences du tribunal des mineurs statuant à juge unique pourront être fixées a un rythme plus soutenu.”



Je ne comprends pas le raisonnement[4]. “La commission considère que le tribunal des mineurs statuant à juge unique, tel qu’elle l’a défini, aura vocation à juger une part importante des dossiers, actuellement orientés en chambre du conseil”. Les dossiers orientés actuellement en audience de cabinet et vers le Tribunal Pour Enfants ne se ressemblent pas. Dans le premier cas, on souhaite prononcer des mesures éducatives (parce que les mineurs les méritent), dans le second cas plutôt des peines (même si les mesures éducatives restent possibles). Je ne vois donc pas bien pourquoi créer ces nouvelles audiences à juge unique.

les audiences du tribunal des mineurs statuant a juge unique pourront être fixées a un rythme plus soutenu”. Les assesseurs nous font perdre du temps, c’est cela ? Si c’est cela (car ça y ressemble) disons le, plutôt que de faire croire que Juge des Enfants seul sera bien plus performant. Ah oui, j’oubliais ! Il ira forcément plus vite car :
- un vol avec effraction, c’est 5 ans d’emprisonnement encouru (donc juge unique) ;
- un vol avec effraction et en réunion, c’est 7 ans (donc présence de 2 assesseurs).
Le temps d’examen du dossier dans les 2 cas doit et devra être le même, sous peine de faire de “l’abattage” comme cela arrive dans certaines audiences pour majeurs.



Numéro 5 : élaboration d’un code spécifique.



Il serait intitulé “Code de la justice pénale des mineurs” recouvrant ainsi l’ensemble des dispositions de droit pénal et de procédure pénale applicables aux mineurs.

Jusqu’à présent, les Juges des Enfants ouvraient leur code pénal (celui qui est applicable aux majeurs) et cherchaient vers la fin l’ordonnance du 2 février 1945, figurant parmi de multiples autres textes.

Il est évident que nous étions attachés à ce texte, non pas pour son appellation vieillotte mais pour son symbole. 1945 marque un tournant historique dans le droit des mineurs.

Malheureusement, très régulièrement, on nous servait la même soupe ! “Mais les mineurs de 1945 ne sont plus les mineurs d’aujourd’hui ...”. Ah, bon j’avais pas remarqué ...Et le citoyen de 1958, il ressemble à celui d’aujourd’hui ?

Autant dire que cette connotation ancienne (bien que le texte ait toujours été adapté à son époque[5]) facilitait le message public tendant à discréditer le droit des mineurs et à militer pour sa réforme en profondeur.

Ce code aura le mérite de regrouper tous les textes concernant le droit pénal des mineurs et donnera ainsi, au moins en apparence, le sentiment de “neuf” ou de “modernité”.

Notes

[1] NdEolas : Abrogé en 1994, remplacé par un nouveau code entré en vigueur le 1er mars 1994.

[2] Je rappelle que la majorité pénale à 18 ans date de 1906, avant elle était à 16 ans. NdA.

[3] NdEolas : quand une juridiction confond des peines, elle ne se trompe nullement. La confusion de peine (du latin fondre ensemble) consiste à ordonner que des peines prononcées par des juridictions différentes pour des faits distincts mais non commis en récidive s'exécuteront simultanément et non successivement.

[4] NdEolas : Moi, je le comprends trop bien.

[5] NdEolas : L'ordonnance de 1945 a été réformée 34 fois en 63 ans, dont 12 fois ces dix dernières années, les dernières fois en août 2007, mars 2007 (deux fois, le même jour !), janvier 2005 et mars 2004 rien que par l'actuelle majorité.

mardi 2 décembre 2008

Est-ce bien raisonnable ?

Par Dadouche


Ayant depuis peu lancé mon propre élevage de taupes, je dispose, tout frais tout chaud, du rapport de la Commission Varinard [1]de Réforme de l'ordonnance du 2 février 1945 relative aux mineurs délinquants, intitulé « Entre modifications raisonnables et innovations fondamentales : 70 propositions pour adapter la justice pénale des mineurs ».

Bon, soyons modeste, vu les fautes de frappe et la mise en page défaillante du document dont je dispose, ce n'est pas la version qui atterrira sur la bureau de la Garde des Sceaux (que mille bénédictions pleuvent sur ses invitations à déjeûner). Mais presque.

Rappelons à titre liminaire la mission assignée à cette commission :

La lettre de mission adressée par la Ministre au Président de cette commission assigne au groupe de travail trois axes de réflexion :

  • assurer une meilleure lisibilité des dispositions applicables aux mineurs,
  • renforcer la responsabilisation des mineurs notamment en fixant un âge minimum de responsabilité des mineurs et en assurant une réponse pénale adaptée et une sanction adéquate graduée et compréhensive par tous,
  • revoir la procédure et le régime pénal applicables aux mineurs.

Alors, il dit quoi ce rapport "raisonnable" ? Je vais le détailler ci-dessous.
Ce ne sont pas des appréciations de fond, mais uniquement des éléments factuels, éclairés éventuellement par la situation existante, pour nourrir le débat au delà des gros titres

En ce qui me concerne, j'y trouve des propositions intéressantes, voire pour certaines attendues des praticiens. D'autres me laissent plus dubitative.

Il est intéressant de noter que la commission s'est fixée comme objectif de formuler des propositions "raisonnables", adjectif qui traduit précisément la volonté de la commission de proposer des réformes efficaces mais constitutionnellement acceptables et susceptibles d’être comprises par le plus grand nombre dans un domaine qui suscite les passions.
En principe donc, pas de révolution, mais des "innovations fondamentales". Voyons voir ça...

Notes

[1] la composition se trouve ici

Lire la suite...

samedi 29 novembre 2008

Reportage de terrain

Libération sonne le tocsin au sujet du traitement subi aujourd'hui par l'ancien PDG de ce journal, Vittorio de Filippis, dont l'édifiante matinée est narrée par le menu dans cet article. Le récit est intéressant, car détaillé et raconté par quelqu'un qui a l'habitude de rapporter des faits. Un reportage de terrain à son corps défendant, en quelque sorte. Si je ne puis en garantir l'authenticité dans les moindres détails (je n'y étais pas, et je n'oublie pas que le témoin est partie prenante), je reconnais qu'ils sonne vrai à mes oreilles : tout ce qu'il raconte m'a déjà été raconté par des clients, que ce soit des abonnés des comparutions ou des gens tout à fait insérés qui un jour ont eu le malheur de prendre de haut un policier que ce n'était pas le jour de contrarier. Bienvenue dans le quotidien du pénal. Vous allez découvrir pourquoi nous, avocats de la défense, sommes des indignés permanents, et que ce n'est pas si difficile de le rester si longtemps.

Chaussons un instant les lunettes du juriste et voyons ce qui s'est passé.

Le prélude est une banale affaire de diffamation s'inscrivant dans un contentieux nourri entre le journal et Xavier Niel, PDG de Free SAS. Xavier Niel a attaqué Libération en diffamation à son encontre à de nombreuses reprises et a, d'après Libération, perdu toutes les procédures, exceptée une toujours en cours, qui est à l'origine de notre affaire.

Entre juin et novembre 2006, Libération a publié un article ayant provoqué à nouveau l'ire du probablement meilleur PDG qu'on ait vu depuis bien longtemps. Je donne cette fourchette car c'est durant ces 5 mois que Vittorio de Filippis a été PDG de la société Libération et directeur de la publication, c'est-à-dire pénalement responsable de tout ce qui y était publié. C'est pour ça qu'il est poursuivi. Il n'est pas l'auteur de l'article.

Une plainte avec constitution de partie civile est donc déposée contre la société Libération et contre le directeur de la publication.

Lorsqu'un juge d'instruction est saisi d'une plainte pour un délit de presse, son rôle est très limité. Il doit s'assurer que la prescription est interrompue tous les trois mois (une simple demande de réquisitoire interruptif au parquet suffit, ce qu'on appelle un soit-transmis), et vérifier la réalité des faits de publication : cet article a bien été publié ? Il contenait ces propos ? Qui est le directeur de la publication ? Et ça s'arrête là. Le reste, y compris et surtout l'offre de preuve et l'exception de bonne foi doit faire l'objet des débats devant le tribunal. Une instruction en diffamation se résume souvent à une enquête de police et une mise en examen devant le juge d'instruction.

Ce qui s'est passé ici. L'instruction a suivi son petit bonhomme de chemin, un peu tranquillement sans doute puisqu'elle traîne depuis deux ans déjà sans que quiconque ait été mis en examen.

Finalement, le juge d'instruction change, et le nouveau a envie de boucler rapidement. Il convoque donc Monsieur de Filippis en vue d'un interrogatoire de première comparution (IPC), le nom technique de la mise en examen. Que s'est-il passé exactement ? Je l'ignore, mais il y a eu un raté. Visiblement, une au moins, vraisemblablement plusieurs convocations (en recommandé) ont été envoyées à M. de Filippis, au siège de Libération, où il ne travaille plus. Ces convocations ont été transmises aux avocats de Libération, qui d'après l'un d'entre eux ont même pris contact avec le juge pour indiquer qu'ils assisteraient le journal et son ancien directeur de la publication. Mais pour une raison que j'ignore, M. de Filippis n'a visiblement pas répondu aux convocations par courrier. Ce qui a eu l'heur d'agacer le juge d'instruction qui a décidé d'appliquer le Code de procédure pénale dans toute sa rigueur.

Quand un juge d'instruction a très envie de voir quelqu'un qui ne défère pas à ses convocations, il peut demander à la force publique d'aller s'enquérir des nouvelles de ce monsieur et de s'assurer qu'il ne se perde pas en chemin en le conduisant immédiatement devant lui dans les plus brefs délais (24 heures max, 48 heures s'il est arrêté à plus de 200 km du siège du tribunal, 6 jours s'il est dans les DOM TOM). C'est ce qu'on appelle un mandat d'amener.

L'article 122 du CPP définit le mandat d'amener : « Le mandat d'amener est l'ordre donné à la force publique de conduire immédiatement devant lui la personne à l'encontre de laquelle il est décerné.»

L'article 134 précise que « L'agent chargé de l'exécution d'un mandat d'amener, d'arrêt et de recherche ne peut s'introduire dans le domicile d'un citoyen avant 6 heures ni après 21 heures. »

Et en effet, d'après l'intéressé, cité par Libé :

« J’ai été réveillé vers 6h40 ce matin par des coups frappés sur la porte d’entrée de ma maison, raconte-t-il. Je suis descendu ouvrir et me suis trouvé face à trois policiers, deux hommes et une femme portant des brassards, et j’ai aperçu dans la rue une voiture de police avec un autre policier à l’intérieur. »

L'article 123 du CPP précise que « Le mandat d'amener (…) est notifié et exécuté par un officier ou agent de la police judiciaire ou par un agent de la force publique, lequel en fait l'exhibition à la personne et lui en délivre copie. »

Et l'article 125 dit quant à lui que « Le juge d'instruction interroge immédiatement la personne qui fait l'objet d'un mandat de comparution.

« Il est procédé dans les mêmes conditions à l'interrogatoire de la personne arrêtée en vertu d'un mandat d'amener. Toutefois, si l'interrogatoire ne peut être immédiat, la personne peut être retenue par les services de police ou de gendarmerie pendant une durée maximum de vingt-quatre heures suivant son arrestation avant d'être présentée devant le juge d'instruction ou à défaut le président du tribunal ou un juge désigné par celui-ci, qui procède immédiatement à son interrogatoire ; à défaut, la personne est mise en liberté. »

Là, première anomalie procédurale :

«Habillez-vous, on vous emmène», répliquent-[les policiers] en lui interdisant de toucher à son portable dont l’alarme-réveil se déclenche. (…) Les policiers emmènent le journaliste au commissariat du Raincy.

7h10. Au commissariat, des policiers lui lisent les motifs de son interpellation. (…) Après lecture du document, Vittorio de Filippis demande à plusieurs reprises la présence des avocats du journal.

Le juge d'instruction n'étant pas en état de recevoir l'intéressé à 6h40 du matin en raison d'une confrontation en cours avec son oreiller, il est légitime que la police le conduise au commissariat. Néanmoins, c'est dès son interpellation que le mandat aurait dû être notifié et délivré en copie, puisque c'est en vertu de l'obéissance due à ce mandat que M. de Filippis devait suivre les policiers. Or ce ne serait donc qu'une fois arrivé au commissariat que M. de Filippis a eu connaissance et s'est vu délivrer copie du mandat d'amener. Il y a là un hiatus d'une demi heure qui est anormal.

Après lecture du document, Vittorio de Filippis demande à plusieurs reprises la présence des avocats du journal. Réponse: «Ils ne seront pas là.»

La réponse complète étant : l'article 133-1 du CPP ne vous permet que de faire prévenir vos proches ou de voir un médecin. Donc nous laisserons vos avocats dormir. Ils seront convoqués à la diligence du greffier du juge d'instruction.

Nous voici au riant dépôt du palais, à 8h30. M. de Filippis raconte :

«On contrôle mon identité puis on m’emmène dans une pièce glauque, avec un comptoir en béton derrière lequel se trouvent trois policiers dont un avec des gants (…). Derrière eux, un mur de casiers qui contiennent les effets des personnes «en transit». On me demande de vider mes poches, puis de me déshabiller. Dans mes papiers d’identité, ils isolent ma carte de presse et la mentionnent dans l’inventaire de mes effets. A aucun moment, jusqu’alors, je n’avais mentionné ma qualité de journaliste».

«Je me retrouve en slip devant eux, ils refouillent mes vêtements, puis me demandent de baisser mon slip, de me tourner et de tousser trois fois.»

Deuxième irrégularité. Cette fouille corporelle est, je le crains aussi illégale qu'usuelle en ces lieux.

Car devinez quoi ? La loi est aussi sourcilleuse sur l'inviolabilité du domicile que des orifices corporels même si, pudique, elle se contente d'être muette là-dessus. Mais c'est en vain que vous chercheriez un quelconque texte normatif donnant aux forces de l'ordre le pouvoir de s'assurer quand elles le désirent que vous n'avez vraiment mais alors VRAIMENT rien à cacher.

Hormis des cas expressément prévus par la loi (douanes, détenus…) qui ne s'appliquent pas ici, le seul support textuel est une circulaire (article C.117 de l'instruction générale relative à l'application du code de procédure pénale), mais ce texte n'a aucune valeur normative. La jurisprudence assimile quant à elle la fouille corporelle à une perquisition, qui suppose une enquête de flagrance, une commission rogatoire ou le consentement écrit de l'intéressé (art. 56, 92 et 76 du CPP respectivement), que la fouille soit réalisée par un officier de police judiciaire (art. 56 du CPP) ou par le juge d'instruction en personne, le cas échéant accompagné du procureur (art. 92), ce qui serait cocasse dans notre hypothèse, et que la perquisition vise à découvrir des éléments relatifs au délit poursuivi (art. 56 du CPP), et j'avoue que j'ignore comment on peut cacher une diffamation à l'endroit qui nous intéresse — Heu, en tout cas qui intéresse la police— ; quant au moyen de commission de l'infraction, ce serait faire injure à l'intelligence de la police que d'insinuer qu'elle pourrait penser qu'une rotative de presse a été dissimulée à cet endroit.

Précisons que la jurisprudence exclut du domaine de la perquisition la palpation de sécurité, qui consiste à s'assurer que l'individu n'est porteur d'aucun objet dangereux pour lui même ou pour autrui. Mais la palpation de sécurité exclut que le slip du palpé se trouve au niveau de ses chevilles (sauf s'il est porteur d'un baggy).

Le journaliste s’exécute puis se rhabille, mais on lui a retiré ses lacets, sa ceinture, la batterie de son portable. Et tous ses papiers et effets.

Soit les objets susceptibles d'être dangereux pour lui même ou pour autrui.

Deux heures passent au cours desquelles il est à nouveau fouillé des fois qu'une arme de poing ait poussé à cet endroit là.

«Je signale alors que j’ai déjà été fouillé d’une manière un peu humiliante deux heures plus tôt et je refuse de baisser mon slip à nouveau. Bien que comprenant l’absurdité de la situation et mon énervement, ils me répondent que c’est la procédure et qu’ils doivent appeler la juge devant mon refus. Celle-ci leur répond que soit je respecte la procédure et dans ce cas-là elle m’auditionnera et je serai libéré; soit j’assume mes actes».

Si cela est avéré, je crains que le juge ne se soit trompé. La procédure n'impose nullement cette inspection poussée et qui plus est itérée, et donc ne prévoit nulle sanction en cas de non respect. Assumer ses actes ne pouvait donc qu'être la menace de poireauter au dépôt les 24 heures de rétention au maximum avant de devoir être remis en liberté ; mais ce délai n'a jamais été prévu pour être une sanction en cas de soumission insuffisante ni une marge de manœuvre laissée à l'appréciation du juge. La procédure prévoit même que le juge doit entendre « immédiatement » la personne amenée devant lui sauf impossibilité. La volonté de garder son slip au même niveau que sa dignité (qui se porte haut) ne caractérise pas à mon sens une telle impossibilité. D'autant plus que la diffamation n'est punie que d'une peine d'amende : la détention provisoire est donc impossible. Le juge n'avait pas d'autre choix que de remettre M. de Flilippis en liberté à l'issue de l'interrogatoire qui devait avoir lieu dès que possible.

10 h 40. Dans le bureau de la juge, les gendarmes lui retirent les menottes.

Art. D.283-4 du code de procédure pénale.

La juge, qui «au départ», selon Vittorio de Filipis, «a l’air un peu gêné», lui signifie qu’elle l’a convoqué parce qu’elle a déjà procédé à de nombreuses convocations par courrier dans le cadre de l’affaire Niel et qu’il a toujours été «injoignable».

Le journaliste lui répond alors que, comme pour chacune des affaires qui concernent des articles écrits par des journalistes de Libération, il transmet les courriers aux avocats du journal. Et il demande alors à parler à ceux-ci. «La juge me demande leur adresse, puis me lit une liste d’adresses d’avocats dans laquelle j’identifie celles de nos avocats».

Puis Vittorio de Filippis refuse de répondre à toute autre question. La juge s’énerve, hausse le ton. Mais, en l’absence de ses avocats, le journaliste refuse tout échange verbal avec elle.

Way to go.

Le juge a dû lui proposer l'assistance d'un avocat commis d'office, c'est obligatoire. Mais si le déféré demande à être assisté d'un avocat, celui-ci doit être convoqué et attendu le temps nécessaire à sa venue. C'est aussi obligatoire.

La juge lui fait signer le procès-verbal de l’entretien et lui notifie sa mise en examen pour «diffamation». Elle lui demande s’il sera joignable d’ici à la fin du mois de décembre.

Ça sent le mandat d'amener le soir de Noël… (Just kiddin').

Ensuite, les deux gendarmes reconduisent Vittorio de Filipis à travers les méandres des couloirs du TGI — «mais cette fois je ne suis plus menotté». Ils lui rendent ses papiers et ses effets. Et le libèrent.

Bien obligés, il faut dire.

Ce genre de traitement, aux limites de la légalité et parfois au-delà, nos clients les subissent tous les jours. Nous protestons, sans relâche. Nous rappelons que la loi ne prévoit pas un tel traitement, que l'article 803 du code de procédure pénale rappelle que le principe est : pas de menottage, sauf pour entraver une personne dangereuse ou prévenir un risque d'évasion (devinez quoi ? Tous présentent un risque d'évasion), que rien ne permet aux policiers de soumettre des gardés à vue à ce genre d'humiliation indigne.

Sans le moindre effet.

Cette affaire, frappant un journaliste, uniquement parce qu'il a été pendant six mois directeur de la publication d'un quotidien ayant publié un article qui a déplu et qui si ça se trouve n'était même pas diffamatoire, et qui s'il l'était l'expose au pire à une amende de 12.000 euros, va attirer un temps l'attention des médias sur ce scandale quotidien qui ne provoque qu'indifférence parce que d'habitude, le monsieur qui tousse avec son slip autour des chevilles, il s'appelle Mohamed, ou il a une sale tête.

À quelque chose malheur est bon : cela rappelle que ces lois qu'on ne trouve jamais assez dures quand elles frappent autrui, elles s'appliquent à tout le monde. Et un jour, elles peuvent aussi s'appliquer à vous. Vous verrez comme elles vous protègent, ce jour là.

jeudi 27 novembre 2008

Odile

…Cette jeune femme s’avance, minuscule entre ses deux gardes, son ciré jaune trop grand boutonné jusqu’en haut malgré la chaleur moite répandue par la salle pleine, un pantalon bleu dégueulasse et trop large lui pendant de la taille,(…).

Odile a tenté de voler une paire de chaussettes Puma dans un grand magasin, d’une valeur de neuf euros cinquante.

Comme à chaque fois, elle s’est fait prendre par les services de sécurité, à la sortie.

Elle est passée en comparution immédiate, ce qui signifie qu’on l’a jugée tout de suite après sa garde à vue, non pas bien sur qu’il y ait eu urgence ou que le délit soit grave, mais parce qu’elle a quatorze mentions, toutes similaires, vols et tentatives, sur son casier judiciaire, et qu’elle était en état de récidive légale, et comment.

Ce qui est arrivé à Odile, vous le saurez sur le très beau blog de mon confrère Maître Mô (découvert via Aliocha).

Ah, et pour ceux qui se posent la question, Odile présente des symptômes de la schizophrénie.

mercredi 26 novembre 2008

Coeur de métier

Par Anatole Turnaround, magistrat.



Ils ne veulent plus.

Les policiers. Et les gendarmes.

Ils ne veulent plus amener les prisonniers au tribunal.

C’est pas leur coeur de métier, ils disent. Et leur coeur de métier, ils veulent se recentrer dessus.

Arrêter le gamin de quatorze ans qui vend du shit et mettre une garde à vue de plus dans les statistiques, oui. Mais amener le gardé à vue de quatorze ans devant le substitut de permanence pour la prolongation de garde à vue, ils ne veulent plus. Ca prend trop de temps.

Arrêter le sans-papiers et avoir une chance d’inscrire une reconduite à la frontière de plus dans les stats, oui. Mais le conduire devant le juge des libertés pour l’éventuelle prolongation de sa rétention avant l’avion pour l’Afrique, veulent plus. Trop cher en temps de fonctionnaire.

Amener le détenu provisoire devant le juge des liberté pour statuer sur la prolongation de la détention. Ca va plus être possible, M’sieudames les juges, désolés. C’est que, voyez-vous, nous n’acceptons plus les charges indues. Indues, oui c’est comme ça qu’ils disent. Ils disent aussi abusives.

C’est pour 2009. Le parlement en débat en ce moment. Il s’agit de décharger les policiers et les gendarmes, qui seront bientôt tous rattachés au même ministère de l’intérieur, de la mission d’escorter les personnes arrêtées ou détenues jusqu’au palais de justice afin qu’un magistrat examine leur situation dans les cas où la loi le prévoit.

Evidemment, voilà une nouveauté qui n’apparaîtra pas à visage découvert. Un pays évolué et démocratique comme la France ne peut pas, ouvertement, modifier le code de procédure pénale ou le code des étrangers, pour supprimer les rencontres obligatoires entre les personnes arrêtées et les juges. Ces rencontre sont prévues pour permettre un contrôle de la contrainte publique et protéger les libertés individuelles en cas de dérapage. Non, impossible pour la France d’afficher une régression de l’état de droit, surtout au moment où nos voisins nous regardent faire, en cette matière, avec un oeil de plus en plus critique.

Une habile solution a donc été trouvée.

On ne touche pas la loi, mais on facture les escortes aux juges. "Qui commande paie", ils disent. Si le juge veut voir le prisonnier, son tribunal devra payer. Et les tribunaux sont pauvres. Jusqu’à maintenant, le coût d’une escorte (deux policiers où gendarmes et un véhicule pendant quelques heures) était assumé par le ministère de l’intérieur (pour la police), ou le ministère de la défense (pour ces militaires que sont les gendarmes). Gros budgets (32 milliards d'euros pour la défense, 16,23 milliards pour l’intérieur), pas de problème pour payer. Alors évidemment, la justice qui est beaucoup moins riche (6,66 milliards), va avoir du mal à absorber. Et c’est là qu’est le stratagème: on ne supprime pas, mais on met à la charge de quelqu’un qui ne pourra pas payer, et ça va disparaître tout seul.

Comment-comment, Anatole, mais vous nous contez des sornettes ! Si les gardés à vue, retenus administratifs, détenus provisoires et autres justiciables entravés n’étaient pas présentés à leur juge conformément à la loi, leurs avocats feraient annuler les procédures et tout le monde serait remis dehors ! Jamais nos gouvernants n’accepteront une telle chose.

Si-si ! Ils peuvent le faire, grâce à une deuxième astuce. On fera toujours les audiences, mais sans le prisonnier.

Par vi-sio-con-fé-rence. Magie des électrons, merveille de la modernitude. Vous aimerez forcément cette belle idée d'un député chargé de trouver comment libérer les forces l'ordre des corvées judiciaires indues.

Je donne un exemple. Une personne soupçonnée de meurtre est détenue depuis un an et le juge d’instruction demande une prolongation de la détention pour achever son enquête. Le JLD va décider après avoir entendu les parties.

Aujourd’hui, le mis en examen est extrait de sa cellule, à la demande du juge des libertés, par une escorte de deux policiers (si la prison est en ville) ou deux gendarmes (si la prison est à la campagne) qui vont le chercher avec leur voiture, le conduisent au palais, attendent pendant qu’il rencontre son avocat avant l’audience, l’accompagnent à l’audience et repartent avec lui à l’issue.

Demain, le détenu sera extrait de sa cellule pour être conduit dans une autre pièce de la prison. On l’installera en face d’une énorme armoire sécurisée comprenant un ordinateur, un écran, un micro et une caméra, qui lui permettront de débattre de son cas avec le procureur, le juge et la greffière qui seront, eux, au palais de justice face à un autre écran, une autre caméra et un autre micro. L’avocat aura le choix d’aller soit à la maison d’arrêt, soit au tribunal. Dans ce cas, il pourra s’entretenir avec son client par visioconférence, avant les débats. Je vous laisse imaginer le sentiment de confidentialité qu’éprouvera le client lorsqu’il devra s’adresser à son défenseur par le truchement du matériel vidéo et informatique de la prison, puis du matériel du palais de justice, sans savoir qui pourrait l'écouter ou l'enregistrer ...

Ca sera obligatoire pour l’intéressé, qui n’aura pas son mot à dire. Obligatoire aussi pour l’avocat, évidemment. Et pour le juge ? Oui, le juge qui trouverait important, pour le dossier, pour la vérité, pour le symbole, de garder le contact humain avec l’homme dont le sort est entre ses a mains ? Un juge qui voudrait voir, entendre, sentir et ressentir? Qui penserait que sa justice doit être incarnée dans un visage de chair et non de cristaux liquides ?

Et bien ce juge là se fera engueuler.

Certes, dans les textes, il a le choix. Mais dans la réalité, le président et le procureur du tribunal lui reprocheront son étrange croyance que rencontrer le prisonnier en chair et en os ajoute quelque chose à un dialogue par web-cam. On lui reprochera surtout les factures d’escorte adressées au tribunal par Messieurs les policiers et gendarmes.

Et on lui reprochera de faire perdre du temps aux mêmes policiers et gendarmes, qui voulaient se recentrer sur leur coeur de métier, qui passe quand même avant le coeur du métier du juge.

Moins d'argent, donc moins d'écoute et moins d'humanité ? Moins de justice et plus de police?

Chacun son coeur de métier.

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