…n'a pas besoin que nous la révisions.
C'est à ce cri de ralliement
Que de bon matin tout le parlement
S'est rendu sans la moindre pagaille
En son séjour de Versailles.
Depuis le matin, on annonce la débâcle ;
On décompte et recompte ; en ce jour les oracles
Ne sont pas des pythies qui font tourner des tables :
Les véritables haruspices se sont mués en comptables.
Las, le Chambellan du roy avec une girouette a pris langue,
Et au moment de crier "nenni", après des chefs la harangue,
Alors qu'on voyait la loi choir — voyez, déjà elle boîte !
Une bouche au moins est restée coite.
— Haro sur Iago, qu'il porte la marque de Caïn[1] ;
Gageons qu'au lieu de trente deniers, il aura un maroquin,
Car c'est que tout augmente, ajoutent, perfides, des voix sinistres[2] ;
Qui députent et cumulent à tout va, faute d'avoir pu être ministres.
On crie vengeance, on sonne l'hallali, on parle d'exclusion ;
Et on oublie qu'on a tout de même modifié la Constitution.
D'une voix ? De deux voix ? De l'arithmétique on a la passion,
Mais on daube ce qui est arrivé à nos institutions.
En ce jour a toutefois parlé nul autre que le Souverain.
Et de tout ce tumulte, que reste-t-il, trois fois hélas ?
Beaucoup de bruit et de mots, mais sur le fond, rien ;
Hormis, bien sûr, sur le blog de maître Eolas.
Anonyme du XXIe siècle.
Un peu de prose, après cette minute de poésie, pour revenir sur l'adoption de la réforme de la Constitution, hier par le Congrès.
Tout d'abord, qu'est ce que la Constitution ?
La Loi Fondamentale : le texte sur lequel repose tout l'édifice de la République, rien que ça. Elle est essentiellement l'expression d'un peuple souverain s'associant pour former une Nation, et créer un État chargé de défendre leurs droits et libertés. C'est elle qui dit que nous sommes en République, que notre drapeau est bleu blanc rouge, que notre hymne est la marseillaise, que notre devise est “Liberté, Égalité, Fraternité” et que notre langue est le français et pas le kikoo-lol.
C'est elle également qui définit le rôle et le mode de désignation de chacun (président de la République, Gouvernement, parlement), au moins dans les grandes lignes.
En la forme, c'est une loi, la loi du 4 octobre 1958, mais une loi constitutionnelle. La spécificité d'une loi constitutionnelle n'est pas dans son contenu (on peut y mettre tout et même n'importe quoi, le précédent président ne s'en est pas privé avec l'obligation de tenir un référendum pour toute nouvelle adhésion à l'UE) mais dans la forme de son adoption. Hé oui, la forme, la procédure, toujours, car c'est là le siège des libertés et de la défense des droits.
Une loi constitutionnelle doit être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées, et ratifiée soit par référendum (c'est le principe), soit par le Congrès, formé des deux assemblées, Assemblée nationale et Sénat siégeant ensemble, à une majorité des trois cinquièmes (soit 60%). Le choix appartient au Président de la République. Qui dit ça ? Mais pardi : la Constitution (article 89).
Une Constitution doit être courte et stable. C'est pourquoi nous rallongeons sans cesse la nôtre et la révisons à un rythme effréné. Il est hors de question de faire comme tout le monde. Nous en sommes ainsi à la 24e modification en 50 ans, et la 14e en dix ans (pour comparer, la Constitution des États-Unis a été révisée 15 fois en plus de deux siècles).
Il est d'ailleurs amusant de relever que le Président qui a le plus respecté la Constitution est François Mitterrand, qui n'y a pas touché hormis en 1992, pour permettre la ratification du Traité de Maastricht (avec l'abandon de la souveraineté monétaire, principalement), les révisions de 1993 (Régime de la responsabilité pénale des ministres, et droit d'asile) étant le fait d'Édouard Balladur.
Ces prolégomènes étant terminés, qu'avons-nous décidé hier ? Oui, je dis nous, car la Constitution étant l'expression du peuple souverain, c'est nous qui avons parlé hier.
Le contenu de la réforme
C'est un texte un peu fourre-tout, il faut bien le dire. Alors que chaque révision de la Constitution porte sur un point précis, là, on avait un peu de tout. Volonté de toilettage et de réforme diront les uns, prix de la négociation nécessaire pour les autres.
Le texte de loi fait pas moins de 21 pages. Certains changements sont d'importance, d'autres ne sont que cosmétiques.
Dans les changements importants, je mettrai d'abord le droit du Président de la République de s'adresser au Congrès. Certes, me direz-vous, ce n'est qu'un discours. À cela, je répondrai non : c'est avant tout un symbole.
Le discours sur l'état de la République
Chose surprenante, aucun texte n'a jamais interdit au président de la République de s'adresser en personnes aux assemblées, sous la Ve à tout le moins. C'est une tradition fort ancienne, qui remonte au début de la IIIe république. Souvenons-nous qu'après le départ d'Adolphe Thiers, Mac-Mahon s'est installé du bout des fesses sur le fauteuil présidentiel, uniquement afin de le tenir au chaud le temps de choisir le titulaire du royal postérieur qui s'y assiérait comme roi. Las, le séant le mieux placé était en même temps le plus serré, et la République usucapa le fauteuil.
De cette époque, nous avons gardé la tradition de l'irresponsabilité politique du président. Il ne peut être renversé par les assemblées dans l'exercice normal de ses fonctions. Il faut qu'il y faillisse gravement pour cela. Cette irresponsabilité s'accompagnait comme contrepartie d'une certaine impuissance (politique seulement, comme le président Félix Faure l'a démontré au mépris de sa vie). Le pouvoir était entre les mains du premier ministre, appelé alors président du Conseil (des ministres). C'est là le schéma des monarchies parlementaires européennes (Angleterre, Espagne, Pays-Bas, Danemark…) où le Chef de l'État est un roi qui ne joue aucun rôle politique sauf circonstances exceptionnelles (comme c'est le cas en Belgique où le roi Albert II a pris une vraie décision politique en refusant la démission du premier ministre Yves Leterme). C'est le cas aussi des Républiques parlementaires comme la République Fédérale d'Allemagne, l'Italie, Israël et comme c'était le cas de la France sous les IIIe et IVe républiques. Le Président ne pouvait donc monter à la tribune de l'assemblée, car y monter, c'était s'exposer au risque d'en redescendre sans son mandat (et encore, la tradition de la République romaine était un peu plus radicale). L'immunité de l'orateur s'allie mal avec la souveraineté de l'assemblée. Une autre cause de cette tradition était d'éviter toute pression du chef de l'État sur les représentants du peuple, puisque l'État n'est que l'émanation du peuple.
Désormais, le président pourra aller causer les yeux dans les yeux des parlementaires (je rappelle que la tribune est surélevée).
Cela existe dans d'autres pays, notamment les États-Unis, avec le fameux discours annuel sur l'État de l'Union. L'Espagne a adopté ce rendez-vous annuel solennel, avec le discours sur l'état de la Nation (le terme d'union, s'agissant de l'Espagne, est particulièrement audacieux). C'est, je pense, ce qu'a à l'esprit notre président bien-aimé. Ce discours n'est pas suivi d'un vote, on n'est pas à la Star Ac'. Il sera suivi d'un débat, mais hors la présence du président.
De prime abord, ce n'est qu'un discours. Ça mettra en émoi les services Politique des rédactions, obligera le service public à déprogrammer Des chiffres et des lettres, mais juridiquement, ça ne prête pas plus à conséquence, dira-t-on. Voire.
Jamais la France n'a connu un tel rendez-vous, surtout s'il devient régulier, une sorte de point fait sur l'année écoulée et les chantiers de l'année à venir. Jusqu'à présent, ce qui en faisait office, c'était le DPG, le discours de politique générale du premier ministre nouvellement nommé, qui vient faire la liste des promesses qu'il ne va pas tenir et demande si le parlement lui fait confiance pour manquer à sa parole. Vu la stabilité des premiers ministres, qui va aller grandissant avec l'alignement des mandats du président et de l'assemblée, le DPG est un événement isolé. Que le président vienne régulièrement devant le parlement faire le bilan de ce qui a été fait et reste à faire, et le DPG perd tout sens. Inéluctablement, on se dirige vers une décollation de l'exécutif : je ne vois pas à ce qui, à moyen terme, sauvera le premier ministre, si on lui retire son seul moment de bravoure. On sait ce qu'il est advenu de sa responsabilité : depuis la jurisprudence Pompidou, plus aucune motion de censure n'est passée, et la jurisprudence Galouzeau a achevé de démontrer que sa responsabilité politique est une farce (à moins qu'en l'espèce, ce ne soit le premier ministre lui-même qui n'ait été une farce). Bref, une modification symbolique qui peut être lourde de conséquences sur l'équilibre des institutions. Une Constitution est une machine complexe, et toucher à un levier peut avoir des effets imprévus.
L'exception d'inconstitutionnalité
S'il devait y avoir une bonne raison de voter oui, c'était celle là. Enfin, enfin, je cesserai de rougir face à mes homologues juristes du monde entier expliquant que chez nous, le peuple souverain n'avait pas le droit de s'émouvoir d'une liberté prise par le législateur avec la Constitution. Désormais, ce point peut être soulevé par voie d'exception devant le Conseil d'État ou la Cour de cassation qui pourront alors saisir le Conseil constitutionnel d'une question préjudicielle[3] Les deux hautes cours constitueront un filtre. Je parie que le Conseil d'État, d'ici quelques années, nous pondra un grand arrêt où il se permettra de trancher lui-même les questions qui ne posent aucune difficulté, en s'abstenant de saisir le CC et en prononçant lui-même l'inconstitutionnalité. À vos GAJA. Sur la question de l'exception d'inconstitutionnalité, voyez la fin de ce billet.
L'examen en séance publique des projets de loi tels qu'amendés par les commissions
Un projet de loi (émanant du gouvernement, sinon on parle de proposition de loi) est d'abord examiné en Commission. Ces commissions parlementaires, permanentes, ont un rôle très important. Le texte est décortiqué, un parlementaire est nommé rapporteur de la commission, et devient LE spécialiste du texte, et une vraie discussion, approfondie et technique a lieu. Las, loin des caméras de télévision, les travaux des commissions n'étant pas public même si un compte rendu est publié. Les amendements déposés sur le texte sont examinés et la commission peut en adopter certains. Jusqu'à présent, le projet de loi était cependant discuté tel que déposé par le gouvernement, même après son passage en commission. Le vote de la commission ne servait qu'à signaler les amendements bien vus par l'assemblée et susceptibles d'être adoptés. Désormais, ces amendements adoptés modifieront le texte tel que débattu en séance publique. Les commissions ont un vrai droit d'amendement, ce qui les renforce considérablement. Il ne se passera pas longtemps avant qu'un ministre ne regrette cette modification. Qui a dit HADOPI ?
Le droit de veto parlementaire des certains postes de hauts fonctionnaires
La liste sera fixée ultérieurement, mais pour ces très hauts fonctionnaires (je suppute le premier président de la cour de cassation, le vice-président du Conseil d'État, et le premier président de la cour des comptes entre autres ; quid du Conseil constitutionnel ? Et, au hasard, du procureur de la République de Nanterre ?), la désignation sera soumise pour avis public à des commissions parlementaires permanentes ; si le total des "non", toutes assemblées confondues, atteint les trois cinquièmes, la nomination est refusée. Là encore, le parlement peut exercer un vrai contrôle de l'exécutif. À lui de le faire.
La possibilité de contourner le référendum obligatoire pour la Turquie tout nouveau pays entrant
Finalement, le cadeau empoisonné de Chirac a survécu, mais les deux assemblées peuvent adopter une résolution (c'est une autre nouveauté de cette réforme, déjà en germe par le traité de Lisbonne : des textes non législatifs exprimant la volonté d'une assemblée) aux trois cinquième décidant d'approuver cette adhésion par le Congrès, avec une majorité des trois cinquièmes. Donc : il n'y aura pas de référendum sur l'adhésion des futurs états membres des Balkans et d'Europe de l'est, sauf éventuellement pour la Turquie (et encore, je n'y crois pas, la France ne pourra se permettre de bloquer un traité d'adhésion qu'elle aura nécessairement signé, et provoquer une crise diplomatique avec l'Union européenne et la Turquie, vu la qualité des arguments qui seront invoqués par les nonistes— une vieille tradition, là aussi).
La ratification expresse des ordonnances
Je le mentionne pour les juristes, mais disons que c'est une anomalie sévère qui est corrigée. Jusqu'à présent, quand le parlement habilitait le gouvernement à agir dans le domaine de la loi par un texte qu'on appelle une ordonnance, il fallait que le parlement ratifie ces ordonnances, à peine de caducité. Or il suffisait pour cela de déposer un projet de loi ratifiant les ordonnances, inutile qu'il soit voté. Désormais, ce sera le cas, il faudra enfin que le parlement assume ses responsabilités de délégataire. J'applaudis.
La réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature
Gascogne en avait déjà parlé. Les magistrats deviennent minoritaires. Plus exactement, à égalité avec les membres désignés par les politiques (deux par chaque président : de la République, de l'Assemblée, du Sénat) : six de chaque côté. Au milieu, pour faire pencher la balance en cas de division des simarres contre les complets-vestons : un avocat et un conseiller d'État. Je reviendrai, moi ou Gascogne, sur cette réforme, après l'adoption de la loi organique.
En vrac
Signalons aussi l'augmentation du nombre de commissions parlementaires, l'information du Parlement sur les opérations militaires extérieures avec son approbation si elles durent plus de quatre mois, la plus grande maîtrise par les assemblées de leur ordre du jour. Tout cela concourt à un renforcement du rôle du parlement, et c'est à porter au crédit du président de la République : c'est un homme qui aime la confrontation, et il ne s'est pas glissé avec délectation dans les charentaises du président intouchable avec un parlement docile. Il a donné au parlement les moyens d'un vrai pouvoir de contrôle, cela s'imposait, pensè-je. Le président de la République ne peut exercer plus de deux mandats électifs. Il est vrai que nous n'avons jamais réélu un président deux fois (notons qu'à ce jour, seul VGE aurait survécu jusqu'au bout de ce troisième terme), donc pour trois mandats, et que de prime abord, cela peut sembler bien inutile. Toutefois, le rabaissement du mandat présidentiel à cinq ans en 2001 et le rajeunissement des candidats à la dernière élection montre que l'hypothèse de quinze ans de présidence est devenue possible. Était, de fait ; désormais : le record de Mitterrand est devenu imbattable.
Poudre aux yeux
Il n'est pas de bonne loi qui ne contienne des dispositions inutiles. Celle-ci ne manque pas à la règle, et contient des modifications qui soit n'ont guère de sens, soit sont inapplicables, soit n'ont aucun intérêt. Ça sent les négociations P2P (President To Parlementaire).
— Le référendum d'initiative populaire.
Tellement encadré (initiative d’un cinquième des membres du Parlement —185—, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales—4,5 millions—, ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an) qu'il n'est qu'une virtualité.
— La limitation de l'usage du “49-3”.
Sur ce qu'est le 49-3, voir cet article. Désormais, son usage sera limité à une loi par session (en principe, une session par an, sauf sessions extraordinaire convoquée par le président de la République - nous sommes en session extraordinaire), sauf les lois de financement (budget et sécurité sociale) qui sont les lois à 49-3 par excellence. La concomitance des élections présidentielles et législative et le système majoritaire rend l'hypothèse d'un parlement rebelle peu probable. Bref, l'exécutif n'a pas cédé grand'chose.
— Limitation du recours à l'urgence législative.
Une loi doit être adoptée en des termes identiques par les deux assemblées. En principe, une loi est discutée deux fois par chaque assemblée (on parle de première lecture, deuxième lecture). En cas de désaccord persistant, le texte est envoyé en commission mixte (des députés et des sénateurs…) paritaire (…en nombre égal). Un texte de compromis est élaboré. S'il n'est pas adopté en des termes identiques, le texte repart en aller et retour (on parle de navette) sauf si le Gouvernement siffle la fin de la partie et décide que c'est l'assemblée nationale qui aura le dernier mot. Jusqu'à présent, si le Gouvernement estime qu'il y a urgence (parce que voilà) le texte part en CMP dès la fin de la première lecture. Ça limite la possibilité du dialogue entre assemblées, et les parlementaires n'aiment pas qu'on les bouscule (surtout les sénateurs, c'est connu).
Hé bien fini l'urgence !
Vous y avez cru, hein ? Désormais on parlera… de procédure accélérée. Deux mots au lieu d'un seul, voilà la réforme. Ha, oui, la conférence des présidents de groupe peut s'y opposer, et l'urgence tombe si les deux conférences des présidents s'y opposent conjointement. Ce qui est aussi improbable qu'une scène d'action dans Derrick.
— La réforme du Conseil Économique et Social.
C'est un organe qui ne sert à rien (désolé pour mes lecteurs qui y travaillent), une machine à produire des rapports que personne ne lit et à caser des obligés. Désormais… il s'appellera le Conseil Économique, Social et Environnemental. Fin de la réforme.
Je m'arrête là, n'ayant pas la prétention de l'exhaustivité, mais les détails de procédure parlementaire n'intéresseront que des personnes qui en connaissent déjà le contenu. Je ne me sens pas la compétence pour en juger le bien-fondé et l'efficacité (quoi que je reste dubitatif devant l'examen des propositions de loi par le Conseil d'État : qui fera le Commissaire du Gouvernement ? L'auteur de la proposition ? Ça pourrait être drôle).
À voir sur ce sujet, en plus bref, et aussi sur les à-côtés, et notamment pourquoi réunir ce Congrès maintenant malgré l'opposition des socialistes : Ceteris Paribus.