Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Parce qu'il y a des billets qui restent généraux.

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samedi 6 janvier 2007

L'avant projet de loi sur le droit au logement opposable décortiqué

La taupe est un animal guère réputé pour sa fidélité ; une de ces volages talpae europaea a succombé comme la première étudiante de première année venue au charme de la crinière poivre et sel du professeur Frédéric Rolin et a sa façon romantique de parler de la jurisprudence société du granit porphyroïde des Vosges (Conseil d'Etat, 1912), et lui a roucoulé [1] à l'oreille la teneur du futur projet de loi (on appelle cela un avant projet de loi, qui ne devient projet de loi tout court qu'une fois déposé sur le bureau de l'une des deux assemblés parlementaires).

Le pur coup de communication se confirme tristement.

Lien vers le texte de l'avant projet.
Analyse détaillée du texte. Pour lecteurs avertis.
Synthèse de l'analyse. Tout public.

S'il est une chose à retenir de cet avant projet pour démontrer l'inanité du mécanisme, c'est que le droit de saisir le juge administratif, coeur du droit opposable, est soumis au feu vert d'une commission, et surtout que les indemnités ainsi obtenues au terme de plusieurs annés de procédure ne seront pas versées au mal logé mais à un Fonds public d'aménagement urbain qui vise à financer des travaux d'équipement des collectivités locales. Pour résumer, les collectivités locales se verseront de l'argent à elles mêmes, sauf que viendra se déduire de ce jeu d'écriture le coût de fonctionnement des commissions...

Il faudrait que le gouvernement réalise qu'à l'heure des blogues, ce genre de poudre de perlimpimpin ne marche plus.

Notes

[1] Oui, mes taupes roucoulent, je les nourris exclusivement à base d'OGM.

jeudi 4 janvier 2007

La période des bêtisiers

C'est une tradition aux périodes de fêtes de faire un bilan de l'année écoulée en se moquant de ses bêtises, et surtout de celles des autres.

Et c'est, sur un registre un peu différent, ce que nous propose Madame la Professeure[1] Diane Roman, qui enseigne le droit public à la faculté de droit de Tours.

Elle a confectionné un bêtisier de ses étudiants, qui fera surtout rire les juristes, mais les fera rire aux éclats. Je précise à la décharge des étudiants tourangeaux qu'ayant eu l'occasion de corriger moi même des copies de droit d'étudiants parisiens, ils n'ont aucun monopole ni apanage sur les énormités.

Je vous livre dès ici ma préférée :

« Par exemple, la liberté d’aller et venir met en cause deux libertés : la liberté d’aller et [la liberté] de venir. Un compromis doit être fait entre les deux libertés pour éviter les conflits »…

Un rond-point fera-t-il l'affaire ?

Le reste est sur les étrennes que nous propose la professeure[2] Roman.

Notes

[1] Mes fidèles lecteurs savent que je répugne à céder à la mode de la féminisation des noms de fonction ; néanmoins Madame Roman précise dans sa présentation sur son blogue qu'elle a un goût marqué pour cette fantaisie, ce que la courtoisie et la galanterie m'obligent à respecter l'espace de ce billet qui lui rend hommage.

[2] Merci Firefox 2 et son correcteur d'orthographe intégré de me donner raison par un soulignement rouge...

mardi 2 janvier 2007

L'heure des bilans

C'est un classique que de faire des bilans et des réveillons à chaque passage à une nouvelle année.

Ayant sacrifié à cette deuxième tradition, et ayant respecté ma réputation de m'attaquer à des Moulins-A-Vent, il me reste à me mettre en conformité avec la première.

Ce blogue semble être arrivé à une vitesse de croisière, sa croissance continuelle ayant fait place à des pics liés à l'actualité et aux sujets traités.

Il est passé d'une moyenne de 5700 visiteurs par jour en décembre 2005 à 7500 en décembre 2006.

C'est la loi DADVSI qui m'a encore une fois apporté mes pics de fréquentation, le record étant la journée du 28 juillet 2005, sur ce billet commentant la décision du Conseil constitutionnel, avec 14 613 visiteurs uniques.

Juste après vient l'affaire du CPE, qui a amené ici le 6 avril dernier 14 130 visiteurs uniques, la semaine du 3 avril ayant fait monté ma moyenne de visiteurs unique à plus de 10 000.

Cela démontre que mon travail d'explication et de vulgarisation est ce qui plaît le plus, en tout cas attire le plus les lecteurs. Mais je crains de perdre un de mes meilleurs pourvoyeurs d'audience au mois d'avril prochain...

2007 sera une année de changements sur ce blogue. Il a deux ans sous cette forme là, un petit coup de jeune ne lui fera pas de mal. Affaire à suivre, mais c'est pour bientôt.

Que dire de plus, si ce n'est bien sûr que je vous souhaite à toutes et à tous une excellente année 2007.

mercredi 29 novembre 2006

De quelques quiproquos

Dans la foulée mon billet d'hier, Gascogne et d'autres lecteurs narraient quelques répliques involontairement amusantes, qui font beaucoup rire les juristes mais pas les justiciables.

Les voici, et, afin de réparer cet injuste partage du rire, avec quelques explications. J'en rajouterai une de mon cru qui m'a collé un formidable fou rire.

Un justiciable à qui il expliquait qu'il était incompétent a essayé de le rassurer du mieux qu'il pouvait "Mais non, ne dites pas ça, je suis sûr que non...".

La première chose que doit faire un juge quand on lui présente une affaire (on dit qu'on le "saisit") est de vérifier qu'il est bien le juge qui a le pouvoir de trancher cette affaire. Ce pouvoir s'appelle la compétence. C'est un principe fondamental, puisque c'est la principale limite au pouvoir des juges. La compétence est double : territoriale d'abord ; un juge n'est compétent que sur un territoire géographique délimité, qu'on appelle un ressort (un juge de Bordeaux ne peut juger une affaire qui a eu lieu à Marseille entre marseillais). Matérielle ensuite : le juge des affaires familiales de Marseille, qui est bien compétent territorialement, ne peut juger cette affaire qui relève du juge répressif. Gascogne, qui est juge d'instruction, se disait incompétent soit parce que les faits n'ont pas eu lieu dans son ressort, soit parce qu'ils ne constituent manifestement pas une infraction. Le justiciable a cru qu'il s'agissait d'une confession d'un magistrat en plein doute sur ses qualités professionnelles et a voulu gentiment le consoler.

Un autre auquel il demandait quelles étaient ses charges m'a répondu : "ben, ma femme...".

Une charge désigne les dépenses mensuelles auxquelles on est tenu de faire face sans pouvoir y échapper : loyer, électricité, eau, remboursement de crédit, pension alimentaire, etc. Un juge doit connaître les ressources et les charges d'un justiciable dans plusieurs circonstances : pour fixer le montant d'une amende, d'une pension alimentaire en les comparant aux ressources et charges de l'autre parent, ou d'une consignation lors du dépôt d'une plainte ou d'un placement sous contrôle judiciaire, ce qu'on appelle abusivement la "caution" dans les séries américaines. Ici, notre justiciable a cru qu'on lui demandait ce qui lui pesait dans sa vie...

Enfin, un juge aux affaires matrimoniales demandant au divorçant :
- Quel est votre régime matrimonial ?
- Euh...Deux fois par semaine, M'sieur l'juge...

Le régime matrimonial désigne les règles qui s'appliquent aux patrimoine des époux à la suite de leur mariage. Il y a la communauté réduite aux acquêts, qui est le plus courant puisqu'il s'applique à défaut de contrat signé devant un notaire préalablement au mariage, qui signifie que tous les biens acquis par les époux du jour du mariage à sa dissolution leur appartiennent à chacun par moitié, peu importe qui les a payé, sauf ce qu'ils reçoivent par héritage ou donation ; la communauté universelle, où tous leurs biens leur appartiennent par moitié, la séparation de bien, où aucun patrimoine commun (qu'on appelle communauté) n'existe, et enfin la participation aux acquêts, qui est une séparation de bien pendant le mariage, et se dissout comme une communauté réduite aux acquêts. C'est le régime des avocats et des notaires, qui seuls peuvent le comprendre.

Je ne pense pas avoir besoin d'expliquer quel sens avait donné le justiciable à cette question.

J'ajoute mon anecdote, entendue dans un greffe de juge aux affaires familiales.

Un époux se présente, après que son divorce a été prononcé. Il souhaite savoir ce qu'il faut faire ensuite.
Question de la greffière : « Vous avez reçu la grosse ? »
Réponse : « Non, ma femme et moi ne nous voyons plus depuis un an. »

Quand un jugement est rendu, il en est fait un exemplaire original qui est revêtu de la formule exécutoire et qui est adressé aux parties. C'est une formule[1] qui ordonne à la force publique d'exécuter ce jugement, et qui permet notamment à un huissier de pratiquer des saisies, et à l'avocat de faire mentionner le divorce en marge de l'acte de mariage. On appelle ce jugement une grosse, car du temps où la justice était manuscrite, il était rédigé en grosses lettres aisément lisibles, tandis que la copie conservée dans le registre du tribunal était écrite en petites lettres pour gagner de la place. On l'appelait la minute, du latin minus, petit. Ainsi, aujourd'hui encore, quand nous recevons une copie certifiée conforme, elle porte la mention "Extrait des minutes du tribunal de grande instance de Paris".

La greffière voulait donc savoir s'il avait reçu l'original du jugement qui seul permet de mentionner la dissolution du mariage sur les registres de l'état civil. Visiblement, l'épouse de ce monsieur souffrait d'embonpoint...

Vous voyez, rien que pour ça, je suis attaché à notre langage abscons.

Notes

[1] « En conséquence, la République Française, mande et ordonne à tous Huissiers de Justice sur ce requis de mettre la dite décision à exécution, aux Procureurs Généraux et aux Procureurs de la République près les Tribunaux de Grande Instance d'y tenir la main, à tous Commandants et Officiers de la Force Publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis. En foi de quoi, la présente décision a été signée par le Président et le Greffier.»

mardi 28 novembre 2006

Pourquoi parlons-nous chinois ?

Le reproche sans doute le plus entendu à l'encontre des juristes est celui de l'emploi d'un vocabulaire abscons, obscur, rempli de latin et de termes de vieux françoué, ce qui, ajouté à l'usage de la robe, prête le flanc à l'accusation de complot obscurantiste contre l'intelligence. Bref, si nous parlons un français incompréhensible, c'est pour ne pas être compris, afin que nos services soient indispensables, non comme juristes mais comme simple truchement.

C'est un reproche que je lis régulièrement dans les commentaires, parfois a contrario quand un lecteur a la gentillesse de me dire que moi, au moins, je parle dans un français compréhensible par tous, y compris par les défaillants de la communication que sont les informaticiens.

Quoiqu'il m'en coûte de rejeter un compliment, je me dois de réfuter l'affirmation car elle repose sur une mineure erronée : celui que le langage du droit serait volontairement obscur.

Au contraire, il est diaphane. Pour les juristes.

A titre préalable toutefois, je précise que je parle bien du français juridique, pas du jargon : celui-là, comme tous les jargons techniques et administratifs, est effectivement incompréhensible à cause de l'emploi de sigles, d'abréviations et de tournures françaises impropres, et doit être fustigé, mais en tenant compte d'une circonstance atténuante : il n'est généralement destiné qu'à un public restreint qui lui le saisira sans difficulté.

Ainsi quand un confrère me dit : « Je vous laisse, j'ai un JLD », il me dit en fait qu'il doit assister un mis en examen dans un débat contradictoire devant le Juge des Libertés et de la Détention. Vous comprenez donc à quoi sert le jargon : à faire court entre gens qui se comprennent. C'est pardonnable, mais seulement entre adultes consentants, et je proscris ce genre de choses ici (même si j'avoue que de temps en temps un sigle m'échappe, mais je prends soin de l'expliciter la première fois qu'il apparaît).

Je souhaite parler ici du vrai français juridique, celui du Code civil, qui est plus fourbe. Foin de sigles ou de tournures bancales. Tout y est écrit avec un sujet, un verbe, un complément, certes souvent des propositions subordonnées relatives ou conjonctives, mais pas de doute c'est du français. Or quand on le lit, si les mots ont un sens, leur juxtaposition n'en a plus aucun.

J'ai connu ça. Je me souviens de l'attaque de panique que j'ai ressentie lorsque, béjaune du droit, tout fier de ma collante du bac et de mon duvet sous le nez, j'étais entré, arrogant, à la bibliothèque de la faculté, et m'étais saisi d'un Code civil que j'avais ouvert au hasard afin de voir si ce qui m'attendait était si terrible.

Et là, j'ai lu ceci.

La représentation a lieu à l'infini dans la ligne directe descendante.
Elle est admise dans tous les cas, soit que les enfants du défunt concourent avec les descendants d'un enfant prédécédé, soit que tous les enfants du défunt étant morts avant lui, les descendants desdits enfants se trouvent entre eux en degrés égaux ou inégaux.

Et là je me suis dit : au secours.

C'est ce sentiment d'incompréhension qui est ressenti par le lecteur qui tente de s'intéresser au droit, et qui est reproché à faute aux juristes, puisque, par définition, le droit concernant tout le monde, il faudrait qu'il fût compréhensible par tous.

C'est tout à fait exact, et le Conseil constitutionnel n'hésite pas à censurer des textes qu'il juge trop obscur, comme contraire à la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui précise que la loi est l'expression de la volonté générale, ce qui suppose que cette volonté soit compréhensible par tous en général.

Cependant, il y a loin de la coupe aux lèvres. Le droit est une science, qui suppose nécessairement un langage technique. Ce langage doit être précis, afin de permettre au juge devant trancher un litige de comprendre parfaitement les demandes des parties et sur quoi elles reposent, et d'exposer les raisons de sa décision. Et quand la liberté est en jeu, ou même des sommes d'argent parfois considérables, l'exigence de pédagogie s'efface derrière celle de la rigueur technique. Qui accepterait d'être condamné à payer une somme qu'il ne doit pas parce qu'il serait trop compliqué d'expliquer pourquoi il ne la doit pas ?

En fait, la difficulté d'aborder le droit est dû au fait que, comme pour tout langage technique, chaque mot a un sens et un seul. Ne venez pas reprocher au juriste de parler d'antichrèse si vous ne reprochez pas à votre garagiste de parler de carburateur au lieu de "truc sous le bitoniau, là, non pas là, là, juste à côté".

Et quand le français est impuissant à donner un mot adéquat, on va le chercher là où on le trouve. Ce qu'aujourd'hui, les informaticiens vont chercher dans l'anglais, les médecins dans le grec, les juristes vont le puiser dans le latin, la langue du droit puisque le droit est une invention romaine.

Le droit est une science de qualification : on donne à une situation de fait ou une manifestation de volonté une qualification juridique, puis on applique à cette situation les conséquences que le droit lui attache. Dès lors, chaque mot a son importance. Tout étudiant en droit vous dira que l'on remplit des traités et des encyclopédies sur les conséquences juridiques attachées à cette simple phrase : « Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »[1], ou que cette phrase mystérieuse : « En fait de meuble, possession vaut titre »[2] est la pierre angulaire de nos rapports patrimoniaux.

Le juriste commence ses années d'étude à apprendre le sens de ces mots (c'est surtout l'objet de la première année de droit), puis étudie ces conséquences (c'est l'étude des matières juridiques : droit des biens, des obligations, des personnes, de la famille, pénal, commercial, administratif...).

Voilà pourquoi les textes semblent de prime abord incompréhensibles : le sens des mots n'est pas celui que le langage courant, en perpétuelle évolution en fonction des usages et des modes, lui a donné. Ce n'est pas le français juridique qui est compliqué, c'est le français courant qui l'est devenu.

Ainsi, des mots comme "objet", "chose", "exception", "souche", "fente", "degré", "branche" et "interne" ont des sens juridiques précis qui sont fort loin du sens courant. Par exemple, couper en deux une branche en droit des successions vous conduira devant la cour d'assises pour de multiples assassinats.

Reprenons ainsi ma géhenne de première année.

La représentation a lieu à l'infini dans la ligne directe descendante.

Il eût fallu, pour que j'évitasse la migraine, lire les articles du Code dans l'ordre, puisque les définitions sont données plus haut. Je me trouvais ainsi en droit des successions.

La représentation est une règle successorale, qui veut que quand un enfant est mort avant son père, ses enfants héritent de sa part de la succession, mais pas plus. Ainsi, A a trois fils, B, C et D. B a deux enfants, E et F, et meurt. Par la suite, A décède à son tour. Son patrimoine est divisé en parts égales entre ses trois fils. B est mort, mais ses enfants viennent en représentation de leur père. C, D, E et F sont donc tous quatre héritiers, mais l'héritage ne sera pas divisé en quatre parts égales : si C et D ont chacun un tiers de la succession, E et F ont chacun la moitié de la part de leur père, soit un sixième, comme si leur père était vivant pour recueillir la succession. Cette règle vise à garantir l'égalité entre enfants.

Dire qu'elle a lieu à l'infini dans la ligne directe descendante signifie que peu importe combien de générations séparent A des descendants venant en représentation, que ce soit ses enfants, petits enfants, arrière petits enfants, ou arrière arrière petits enfants, la représentation n'est jamais écartée. On ne cesse pas d'être héritier par l'éloignement des générations.

Elle est admise dans tous les cas, soit que les enfants du défunt concourent avec les descendants d'un enfant prédécédé, soit que tous les enfants du défunt étant morts avant lui, les descendants desdits enfants se trouvent entre eux en degrés égaux ou inégaux signifie que peu importe qu'un enfant soit décédé avant ses frères s'il laisse des enfants : la part qui lui serait revenu passe à ses enfants, ses frères ne peuvent dire que puisqu'il est mort avant son père, aucune part de cet héritage ne lui revient. Et il en va de même si le frère mort ne laisse que des petits enfants. Tant qu'il a au moins un descendant vivant, sa part d'héritage est maintenue.

Allez, un exemple : dans notre hypothèse précédente, A meurt très vieux. Tellement vieux que E est lui même mort avant lui, de même que son fils G, qui laisse deux enfants, H et I. Viennent à la succession : B et C (qui ne doivent plus être très frais), chacun pour un tiers ; F en représentation de B, pour la moitié de la part de B, car B a laissé deux héritiers, ce qui lui fait un sixième. Le sixième de E passe à son fils G, qui est mort, mais viennent en représentation H et I, arrières petits fils de A. Ils se partagent le sixième qui revenait à G, soit un douzième chacun. Faisons les comptes : (1/3 pour C) + (1/3 pour D) + (1/6 pour F) + (1/12 pour H) + (1/12 pour I) font bien trois tiers.

Vous voyez, ce n'est pas bien compliqué, mais il m'a fallu 458 mots pour l'expliquer. Le droit en utilise 55. Imaginez que les jugements fissent cela pour chaque terme juridique employé.

Dans la plupart des audiences, nous sommes entre juristes : des juges, des avocats, le cas échéant un procureur. Nous pouvons nous embarquer dans des controverses juridiques passionnantes, mais incompréhensibles pour qui n'a pas la formation adéquate. Peu importe en l'occurence.

Là où le bat blesse, c'est quand un particulier est présent.

Devant une juridiction civile, c'est bien souvent le goûter des requins. Le particulier ayant voulu économiser des frais d'avocat servira d'amuse gueule aux hommes de robe. J'ai vécu ça devant un tribunal d'instance où une personne qui avait voulu faire transporter une voiture par bateau en Afrique, voiture qu'il avait préalablement remplie d'électro-ménager, avait retrouvé sa voiture consciencieusement pillée une fois à destination. Il avait assigné la société de transport, qui avait assigné en garantie l'armateur du navire, qui avait assigné en garantie le port d'arrivée, qui était responsable du déchargement (on dit aconier). Le pauvre homme s'était retrouvé devant son tribunal de banlieue face à trois avocats spécialistes du droit maritime, dont deux venus du barreau du Havre, très réputé en la matière. Vous imaginez sa tête quand ils ont invoqué une loi de 1966, le Code de commerce, une convention internationale pour soutenir un déclinatoire de compétence, une fin de non recevoir tirée de la forclusion, et une clause d'irresponsabilité tirée du contrat d'affrètement. Mais ce qu'il a payé n'est pas tant son ignorance du vocabulaire que son ignorance du droit. Quand on va à la bataille avec un lance pierre, on se prend quand même des obus.

Devant une juridiction pénale, c'est différent. Par définition, le prévenu ou l'accusé sont présents, les victimes aussi. Il est important qu'elles comprennent ce qui se passe, mais il est tout aussi important que la procédure soit respectée et qu'une défense efficace soit présentée. Ces deux derniers points ne peuvent se faire qu'en recourant au langage juridique et en citant les textes. Voilà tout l'art du président : arbitrer entre les explications au prévenu et à la victime, et le nécessaire débat juridique. A l'avocat d'expliquer à son client, ce que parfois nous oublions de faire.

Mais pour conclure, je tiens à pointer du doigt le responsable de l'aggravation récente de la profondeur de ce fossé d'incompréhension. Si le droit est une langue d'une finesse translucide digne du cristal de bohème, il est un éléphant dans notre magasin, c'est le législateur, toujours lui, qui préfère voter dix lois plutôt qu'une augmentation de l'AJ.

Car s'il fait la loi, il est loin de la comprendre. Soucieux de compréhension, mais formé lui même au jargon technocratique plus qu'au vocabulaire juridique, il croit souvent remplir sa mission de clarté en substituant trois mots là ou un seul suffisait, et pense que rien ne vaut une loi pour simplifier une situation.

Ainsi, le législateur a-t-il occis en 1993 le mot inculpé pour lui substituer "mis en examen". Le mot inculpé avait pris un tour ignominieux contraire à la présomption d'innocence. Voyez comme treize ans plus tard, l'expression "mis en examen" n'implique aucune idée de soupçon. Et encore le projet initial prévoyait-il de remplacer l'inculpation par une procédure en deux temps : la "mise en cause" puis la "mise en examen". Tout va bien, puisque finalement, le mis en cause est devenu témoin assisté. C'est plus clair, sauf que le témoin assisté n'est pas un témoin mais bien un suspect. De même que le délit d'ingérence, défini en un mot jugé incompréhensible, est devenu le délit pas plus clair de "prise illégale d'intérêt", en quatre mots, avec cette intéressante précision que ce délit serait donc illégal, merci de l'avoir indiqué.

De même, dans le projet de loi sur la réforme des tutelles, actuellement pendant devant le Sénat, on lit dans l'exposé des motifs cette phrase confondante de sottise (je graisse) :

L'article premier consiste à supprimer du code civil la notion désuète et, avouons-le, assez humiliante d'« incapable majeur » en la remplaçant par celle de « majeur protégé ».

Le terme incapable, en droit, a un sens précis : est incapable celui à qui la loi ne permet pas d'accomplir valablement seul un acte juridique, comme s'engager par contrat. Le mineur est incapable par le seul effet de la loi. Le sénile est incapable par décision du juge.

Ici, le législateur prend le terme d'incapable dans son sens courant, portant jugement de valeur désobligeant : Par exemple, Jacques Chirac est politiquement un incapable ; cela n'empêche qu'il est juridiquement capable.

Il y a des traités de droit sur les incapacités. Il s'agit d'une notion claire, connue, et qui existe depuis des siècles. Et voilà qu'un beau jour de 2006, Monsieur Nicolas About, sénateur génial, s'avise que ce mot, est, « avouons-le », désuet et assez humiliant, que les hommes sont décidément bien bêtes de l'employer depuis 3000 ans, et qu'il faut le remplacer par « majeur protégé », deux mots au lieu d'un, et qui laisse supposer qu'il existe à l'inverse des majeurs exposés au danger avec la bénédiction du code civil.

Heureusement, nous pouvons nous gausser en lisant ce formidable exercice de déni : « Cette modification n'est pas seulement terminologique. Elle permet d'éviter de pointer une incapacité, qui stigmatise la personne, faisant de la mise sous tutelle comme une sanction. Elle recentre la mesure du juge sur la notion de protection de la personne. » Mais si, bien sûr, elle n'est que terminologique, cette modification, puisqu'un majeur protégé reste un incapable, et que « éviter de pointer une incapacité qui stigmatise » et « recentrer une mesure sur une notion », ce n'est pas du droit, mais de la gesticulation législative.

Ou : comment le politiquement correct parlementaire saccage la rigueur du vocabulaire juridique, en rendant le droit encore plus complexe.

Conclusion : ce n'est pas demain que le droit sera plus compréhensible, sauf sur mon blogue.

Notes

[1] Article 1382 du Code civil.

[2] Article 2279 alinéa 1 du Code civil

lundi 20 novembre 2006

L'arrêt de la première Chambre civile de la cour de cassation du 14 novembre 2006

Voici en intégralité le texte de l'arrêt rendu par la Cour de cassation dans l'affaire Marithé et François Girbaud (Société GIP) contre Association Croyances et Libertés. Les gras et italiques sont ceux de la Cour, les italiques indiquant la thèse du pourvoi et non la décision de la cour de cassation.

Ce billet intéressera surtout les juristes, je le crains.

Lire la suite...

mercredi 8 novembre 2006

Encore un blogueur licencié

J'ai retiré le billet que j'avais écris sur ce thème, car une de mes nombreuses taupes (ça commence à me coûter cher en litière, cet élevage) dans le monde de l'édition celle-ci[1] m'informe que j'avais particulièrement raison de dire que la personne dont je parlais n'était pas à lire au premier degré. Je n'ai rien contre la fiction, mais quand elle avance à visage découvert.

Et n'étant pas journaliste de télévision tournant un documentaire politiquement engagé sous couvert d'information, je n'ai pas à être instrumentalisé au service de la promotion d'un roman, ni à induire mes lecteurs en erreur en croyant les éclairer.

Désolé pour ce billet sybillin, qui sera compris par ceux qui avaient lu le premier billet.

Notes

[1] Oui, je suis pire qu'Echelon.

jeudi 2 novembre 2006

L'avis du Conseil d'Etat du 19 octobre 2006

Comme annoncé précédemment, voici le texte de l'avis secret du Conseil d'Etat portant sur la création d'une nouvelle faute disciplinaire pour les magistrats. Merci, eu égard à la confidentialité de ce document, de vous auto-détruire dans les cinq secondes...


N° 373.704
Mme DENIS-LINTON ,
Rapporteur

CONSEIL D'ETAT

    Section de l'intérieur

EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS DE L'ASSEMBLEE GENERALE

                Séance du jeudi 19 octobre 2006



NOR : JUSX0600155L

NOTE




Le Conseil d'Etat, saisi d'un projet de loi organique relatif à la formation et à la responsabilité des magistrats modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature, lui a donné un avis favorable sous réserve de la disjonction de son article 4 qui tend à compléter l'article 43 de ce statut.

Cet article 43 énonce en termes généraux les devoirs professionnels des magistrats dont la violation constitue pour ces derniers une faute disciplinaire. Rien ne s'oppose à ce qu'il soit complété pour en préciser les termes, notamment pour faire mieux apparaître l'étendue de ces devoirs.

En revanche, en qualifiant de faute disciplinaire la « violation délibérée des principes directeurs de la procédure civile ou pénale », le projet de loi organique, loin de clarifier la définition de cette faute, introduit un risque de confusion entre l'office des juges d'appel et de cassation et celui du juge disciplinaire. L'appréciation du comportement professionnel ne serait en effet pas dissociable de celle du bien-fondé des recours portés, dans la même affaire, devant le juge d'appel ou de cassation. En l'absence de précisions appropriées sur les conditions dans lesquelles l'activité juridictionnelle d'un magistrat pourrait donner lieu à la constatation d'une faute disciplinaire, la disposition en cause est de nature à porter atteinte aux principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire.

Le Conseil d'Etat relève que si le Conseil supérieur de la magistrature statuant en matière disciplinaire et le Conseil d'Etat statuant au contentieux ont déjà admis que pouvaient être de nature à justifier une sanction disciplinaire les manquements graves et réitérés aux devoirs de son état que constituaient les violations par un magistrat des règles de compétence et de saisine de sa juridiction, c'est après avoir constaté que les faits ainsi reprochés avaient été établis dans des décisions juridictionnelles devenues définitives.


Cette note a été délibérée et adoptée par le Conseil d'Etat dans sa séance du jeudi 19 octobre 2006.

Le Vice-Président du Conseil d'Etat, signé : J.M. SAUVÉ

Le Conseiller d'Etat, Rapporteur,signé : M. DENIS-LINTON

Le Secrétaire Général du Conseil d'Etat, signé : P. FRYDMAN

La Taupe de Maître Eolas Planquée Sous La Table : Signé [mention retirée pour des raisons de sécurité].


Quelques explications : la Constitution prévoit que les projets de projet de lois sont soumis pour avis au Conseil d'Etat (d'où son nom de CONSEIL : il est le conseil juridique du gouvernement, qui en a bien besoin). Le gouvernement lui a donc soumis le projet de loi organique modifiant la responsabilité des magistrats en lui demandant : « J'y vais, ou je vais faire une connerie, là ?». Le Conseil d'Etat lui répond en termes diplomatiques : « Heu, c'est plutôt le deux, chef... ».

Le gouvernement avait en effet eu l'idée de créer une nouvelle faute disciplinaire s'appliquant aux magistrats. Sur le principe, le Conseil d'Etat dit : pas de problème, on peut préciser les devoirs et obligations des magistrats.

Mais la faute en question serait la « violation délibérée des principes directeurs de la procédure civile ou pénale ». Le Conseil d'Etat lui fait remarquer que quand un magistrat commet une telle faute, le justiciable a déjà un recours : l'appel ou le pourvoi en cassation. Encore faut-il que la juridiction saisie du recours constate bien qu'il y a eu une telle violation.

Et précisément, quand un magistrat a délibérément violé ces principes directeurs du procès civil ou pénal, et que cela a été constaté par une décision définitive, c'est à dire que l'affaire elle même est tranchée et terminée, le CSM, approuvé par le Conseil d'Etat siégeant cette fois dans sa formation de juridiction administrative, prononce d'ores et déjà des sanctions disciplinaires contre le magistrat fautif. La nouvelle faute n'est donc pas une nouvelle faute.

Bref, tout ce qu'apporterait cette loi serait de permettre d'engager des poursuites disciplinaires contre un magistrat avant que l'affaire où la faute a été commise ait été tranchée définitivement, ce qui, manque de chance, serait une violation de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance de la justice, puisque l'exécutif, en déclenchant des poursuites, prendrait clairement partie dans une affaire pendante et ferait pression sur l'autorité judiciaire, ce qui, en République, ne se fait pas.

En conclusion, annonce le Conseil d'Etat, voter une telle disposition serait courir à l'annulation par le Conseil constitutionnel.

D'où la retraite en rase campagne du gouvernement : cette disposition est retirée, et, pour sauver la face, il annonce qu'elle sera réintroduite par voie d'amendement parlementaire, dès que quelqu'un aura trouvé comment la formuler de façon à ce que personne ne se rende compte qu'elle ne changera rien à l'état du droit.

mardi 24 octobre 2006

De la responsabilité comparée des avocats et des magistrats

L'annonce de l'examen en Conseil des ministre de ce jour d'un projet de loi de réforme de la justice, outre qu'elle me fait retenir mon souffle, tétanisé par la peur, me rappelle à mes devoirs. Un des volets de cette loi réformera la responsabilité des magistrats, ce qui me rappelle que j'avais commencé à parler de ce thème et que j'avais laissé ce sujet orphelin.

Je rectifie cet oubli et pour éviter un trop grand éclatement, vais traiter le sujet de manière synthétique en comparant directement les deux systèmes en un seul billet. Cela vous permettra de vous faire une opinion mieux étayée quant à ce projet de loi, dont je présenterai bientôt les grandes lignes.

La responsabilité professionnelle des avocats et des magistrats dans l'exercice de leurs fonctions peut revêtir trois aspects, étant d'ores et déjà posé ici qu'en dehors de leurs fonctions, avocats et magistrats sont des citoyens ordinaires.

Ces aspects, que je traiterai en commençant pas les plus similaires pour finir par les plus différents, sont : la responsabilité pénale (l'avocat ou le magistrat commet un délit dans l'exercice de ses fonctions), la responsabilité déontologique ou disciplinaire (l'avocat ou le magistrat commet un manquement aux principes essentiels de sa profession sans que cela soit forcément un délit réprimé par le code pénal), et la responsabilité civile (l'avocat ou le magistrat commet une faute qui cause à autrui un préjudice qu'il y a lieu de réparer).

La responsabilité pénale des avocats et des magistrats.

Le régime est ici très similaire : tous deux sont pleinement responsables des délits qu'ils commettent dans l'exercice de leurs fonctions. Ils peuvent être mis en examen, renvoyés devant le tribunal correctionnel ou la cour d'assises (encore que l'hypothèse d'un crime commis dans l'exercice des fonctions est rare et concerne plus le magistrat, qui peut commettre un faux en écriture publique aggravé, article 441-4 du code pénal, puni de quinze ans de réclusion criminelle), et même être placé en détention provisoire. Et ça arrive.

Objectivement, l'avocat est mieux loti. Je ne connais pas de qualification criminelle qui puisse être liée à l'exercice de ses fonctions (abattre un confrère en plein prétoire n'est pas lié aux fonctions d'auxiliaire de justice, encore que dans le cas d'un avocat intarissable et ennuyeux, cela se plaide...), et il jouit même d'une immunité, dite « immunité de la robe ». En effet, l'avocat est protégé, dans ses écritures judiciaires (assignation, conclusions, citation...) et dans ses plaidoyers contre les délits d'injure, de diffamation et d'outrage. C'est l'article 41 al. 3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui pose cette immunité (que nous partageons avec les parlementaires). La cour de cassation a récemment jugé que cette immunité s'appliquait même quand les écritures mettent gravement en cause la probité du magistrat qui a rendu la décision attaquée en des termes particulièrement outrageants : Crim. 11 oct 2005. La liberté de parole de la défense d'une valeur supérieure à la répression des abus de la liberté d'expression.

Hormis cette immunité, tout délit commis par un avocat ou un magistrat dans l'exercice de ses fonctions est passible des tribunaux répressifs selon le droit commun.

Léger avantage à l'avocat donc en cette matière.

La responsabilité disciplinaire des magistrats et des avocats.

L'un et l'autre sont tenus de par leurs fonctions au respect d'un certain nombre de principes dont la transgression donne lieu à une action disciplinaire pouvant aboutir à des sanctions.

Le droit disciplinaire se distingue du droit pénal par le fait que le premier peut reposer sur des textes posant des principes vagues et généraux laissant un grand pouvoir d'appréciation à l'autorité disciplinaire, tandis que le droit pénal doit s'interpréter strictement et que tout doute profite au prévenu.

Les valeurs essentielles des magistrats sont à l'article 43 al. 1 de l'ordonnance 58-1270 du 23 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire.

Quand je parle de principes vagues...

Les poursuites sont engagées par le Garde des Sceaux, qui saisit le CSM[1] pour qu'il prononce une sanction si le magistrat est du siège (c'est à dire est un juge), afin de préserver l'indépendance des juges du pouvoir exécutif, ou pour un avis s'il est du parquet (c'est à dire est un procureur), la sanction restant du ressort du ministre en vertu de la subordination hiérarchique de celui-ci.

Les sanctions qui peuvent être prononcées sont, par ordre de gravité : 1° La réprimande avec inscription au dossier ;
2° Le déplacement d'office ;
3° Le retrait de certaines fonctions ;
4° L'abaissement d'échelon ;
4° bis L'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximum d'un an, avec privation totale ou partielle du traitement ;
5° La rétrogradation ;
6° La mise à la retraite d'office ou l'admission à cesser ses fonctions lorsque le magistrat n'a pas le droit à une pension de retraite ;
7° La révocation avec ou sans suspension des droits à pension.

Notons pour ceux qui ne manquent pas de souligner qu'Untel, juge de son état, aurait été immanquablement viré s'il avait été salarié et avait commis une faute, que le droit du travail interdit toute sanction aboutissant à une perte ou une diminution de salaire (hormis le licenciement, qui donen droit à l'assurance chômage et n'interdit pas de chercher un autre emploi), et qu'en aucun cas un salarié ne peut perdre son droit à toucher sa retraite, quand bien même eût-il assassiné son employeur. Un magistrat peut se retrouver révoqué sans droit à pension, c'est à dire condamné au RMI puis au minimum vieillesse, la fonction publique lui étant définitivement fermée.

Pour l'avocat, ce n'est pas très différent. La loi est plus claire en apparence sur les principes essentiels, qui l'emportent en nombre sur ceux des magistrats.

Ils se trouvent actuellement dans le décret du 12 juillet 2005, article 3 :

L'avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.

Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d'honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.

Il fait preuve, à l'égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.

Le décret ajoute plus loin l'obligation de respecter le secret professionnel, et plusieurs obligations spécifiques, toutes passibles de sanctions disciplinaires : loyauté avec la partie adverse, respect du contradictoire, déférer aux commissions d'office, etc.

L'autorité de poursuite est le bâtonnier de l'ordre qui reçoit les plaintes, les instruit (il mène une enquête pour recueillir les éléments de preuve sur les faits imputés) et transmet le dossier au Conseil de discipline, qui en province a une compétence régionale, tandis qu'à Paris l'Ordre a des formations de jugement spécifiques (rappelons que la moitié des avocats de France sont au Barreau de Paris, ce qui justifie qu'il ait des règles adaptées à sa taille pantagruélique). Les décisions du Conseil de discipline sont susceptibles d'appel devant la première chambre de la cour d'appel. Le procureur général de la cour d'appel peut mettre en mouvement l'action disciplinaire en saisissant directement le conseil de discipline qui doit statuer sous quinze jours. Si l'instance n'a pas statué dans ce délai, le conseil de discipline est réputé avoir rejeté la demande de sanction et le procureur général peut saisir la cour d'appel d'un recours contre ce refus. Cela arrive. Nous sommes donc sous le contrôle des juges, et c'est normal. Notons que les audiences où sont jugés les recours disciplinaires sont tenues en la forme solennelle : magistrats en robe rouge, toutes lumières allumées, et ce sont cinq (ou sept ?) magistrats qui composent la cour et non trois.

Les sanctions pouvant frapper un avocat sont, en ordre de gravité (article 184 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991) :

1° L'avertissement ;
2° Le blâme ;
3° L'interdiction temporaire, qui ne peut excéder trois années ;
4° La radiation du tableau des avocats, ou le retrait de l'honorariat.

L'avertissement, le blâme et l'interdiction temporaire peuvent comporter la privation, par la décision qui prononce la peine disciplinaire, du droit de faire partie du conseil de l'ordre, du Conseil national des barreaux, des autres organismes ou conseils professionnels ainsi que des fonctions de bâtonnier, pendant une durée n'excédant pas dix ans .

L’instance disciplinaire peut en outre, à titre de sanction accessoire, ordonner la publicité de toute peine disciplinaire.

La radiation interdit définitivement l'exercice de la profession, mais n'interdit pas de percevoir la retraite pour peu que l'avocat ait cotisé la durée légale minimale (qui est, tenez vous bien, de quinze années), puisqu'il est soumis au droit commun des professions libérales : ce sont ses cotisations et non sa qualité qui lui ouvre droit à pension.

Terminons en soulignant que la commission d'une infraction pénale par un magistrat ou un juge[2] avocat, même dans le cadre de leur vie privée, est une faute disciplinaire pouvant donner lieu, OUTRE la sanction pénale, à une peine disciplinaire. Les procureurs généraux saisissent ainsi systématiquement les conseils de discipline quand un avocat est poursuivi pour conduite en état d'ivresse.

Je dirais égalité ici, encore que le nombre de décisions rendues en matière disciplinaire soit proportionnellement beaucoup plus important chez les avocats que chez les magistrats. Ces derniers mettront cela sur nos turpitudes, pour ma part, je pense que le système disciplinaire marche chez les avocats, alors que chez les magistrats, il laisse encore à désirer. Tous les magistrats connaissent un collègue qui traite ses dossiers avec une lenteur désespérante, se débrouille pour refiler le boulot aux autres quand il siège en juridiction collégiale ou est au parquet, tombe malade dès qu'on lui donne du travail et quand il est nommé ailleurs, laisse un cabinet sinistré où des dossiers sont prescrits, désordonnés, ou disparus. Je ne parle pas de ceux qui sombrent en dépression au point de devenir inapte à leurs fonctions. Ils sont rares, mais le système n'est pas fait pour éliminer ces éléments insuffisants une fois qu'ils ont prêté serment. Je ne crois pas qu'aucune organisation syndicale ne s'opposerait à un meilleur contrôle, sanctionnant les insuffisances et récompensant mieux les éléments méritants (qui se reconnaissent au fait qu'ils lisent mon blog), à condition qu'il offre des garanties pour ne pas servir de moyen de pression sur les magistrats. Mais la méthode utilisée en matière de réformes de la justice est rarement la concertation, l'opposition professionnelle étant invariablement mise sur le compte du dorporatisme. La nouvelle loi en sera une nouvelle illustration.

La responsabilité civile des avocats et magistrats.

C'est là que les régimes sont le plus différents, à l'avantage cette fois du magistrat.

J'ai déjà traité de la responsabilité civile des avocats ici.

Résumons : un avocat qui commet une faute causant un préjudice à son client est tenu de l'indemniser. Pour cela, il contracte par l'intermédiaire de son ordre une assurance obligatoire. Les cas les plus fréquents sont l'avocat qui laisse s'écouler un délai à l'issue duquel son client est privé du droit d'agir (on appelle cela être forclos) : par exemple, qui ne fait pas appel de la condamnation de son client dans le délai de dix jours malgré les instructions qu'il a reçues en ce sens.

L'avocat est dans ce cas soumis au droit commun et peut être assigné en justice. Tout au plus peut-il demander à ce que l'affaire soit jugée par un tribunal voisin du barreau où il exerce.

Par contre, un magistrat qui commet une faute qui cause un préjudice à un justiciable (j'exècre ce mot mais il est parfois bien pratique) n'est pas tenu à réparation et surtout ne peut pas être assigné en justice par la victime de cette faute.

Cette immunité, qui n'est que relative, est souvent mal interprétée.

Il ne s'agit pas de faire des juges des entités omnipotentes et irresponsables, libres d'abuser de leurs fonctions et de les remplir avec négligence sans que quiconque puisse trouver à y redire. Il faut être idiot ou candidat à la présidentielle pour affirmer de telles inepties.

Les juges remplissent une mission des plus difficiles : dire le droit (juris dictio) en interprétant la loi et en prenant des décisions qui engagent l'autorité de l'Etat puisqu'il peut recourir à la force pour les exécuter. Ils privent certains citoyens de leur liberté ou de leurs biens, fut un temps de leur vie, ou tranchent des conflits portant sur des sommes considérables. Pour que cette mission puisse être remplie, le juge doit être indépendant, c'est à dire à l'abri de toute pression. Des criminels. Des puissances financières. Des politiques. Des procéduriers. C'est à ce prix que les citoyens pourront avoir confiance dans leur justice. Quels que soient les sujets de mécontentement que nous pouvons avoir à l'égard de nos juges, en France, nous pouvons saisir un juge en ayant confiance dans le fait qu'il tranchera de manière impartiale et selon le seul droit. Il y a beaucoup d'habitants d'autres pays qui nous envient cela comme un privilège, eux pour qui un procès est décidé par qui fait le plus beau cadeau au juge ou qui peut le menacer de mort à son domicile.

Comment se traduit cette nécessaire indépendance ? Pas par l'irresponsabilité. Par le fait que l'Etat assume directement cette responsabilité. Si un juge commet une erreur fautive, c'est à dire dont on peut établir qu'il n'aurait pas dû la commettre compte ten udes éléments qu'il avait à sa disposition, l'Etat indemnisera la victime de ce dysfonctionnement (ce mécanisme fera l'objet d'un billet à part entière). Exactement comme l'Etat assume les dégats que causent les militaires au cours de manoeuvres, ou les travaux publics. Un plaideur ne peut pas se retourner au civil contre son juge. Il ne le pourra que si le juge a commis un délit dans l'exercice de ses fonctions, puisqu'il s'agit de responsabilité pénale. Je me souviens qu'il y a quelques années, Robert de Niro avait porté plainte contre un juge d'instruction qui l'avait fait interpeler sans ménagement au cours d'un tournage. Je ne me souviens pas des suites, mais je crois me souvenir que le juge avait été cité en correctionnelle.

Le juge ne s'en tire pas aussi facilement, toutefois. Si l'erreur qu'il a commise révèle une faute, le juge peut voir une action disciplinaire engagée, et l'Etat peut exercer également ce qu'on appelle l'action récursoire, c'est à dire lui demander de rembourser les sommes que l'Etat a dû verser à la victime de sa faute[3].

Concrètement, cette action est rarissime. Pour tout dire, je n'ai pas trouvé trace d'une seule action récursoire engagée contre un juge. Il demeure que cette possibilité existe : le juge n'est pas à l'abri de devoir supporter les conséquences financières d'une erreur grossière qu'il commettrait. A l'Etat d'assumer ses resposnabilités et d'utiliser les moyens que la loi lui donne, plutôt que de réformer la loi sans jamais l'appliquer comme il a tendance à le faire, préférant les effets d'annonce au journal de TF1 qu'au journal officiel.

Je concluerai en insistant sur un dernier point.

La moindre erreur n'est pas fautive pour un juge. Pour un avocat non plus d'ailleurs.

Les juges sont humains, peuvent se tromper, et sans commettre de faute. Des erreurs judiciaires, il s'en commet des centaines chaque jour : le parquet classe sans suite une plainte fondée, un juge relaxe un coupable faute de preuve. Ce sont des erreurs : le plaignant se sent abandonné, le coupable relaxé me félicite chaleureusement. Elles ne sont pas fautives : le procureur a estimé que les faits dénoncés n'étaient pas suffisamment établis ou que l'auteur ne pouvait être identifié (par exemple, une plainte d'une jeune femme qui a été pelottée dans le métro...), et le juge qui a relaxé faute de preuve a correctement fait son travail. Il arrive d'ailleurs que des juges relaxent tout en étant au fond d'eux convaincus que le prévenu était bien coupable.

Notes

[1] Le CSM tient u nrecueil des décisiosn rendues depuis 1946, accessible en ligne ici. Les décisions P concernent le parquet, S le siège, c'est à dire les juges.

[2] Erreur de plume signalée par Gascogne, merci à lui.

[3] Précision à la suite d'une remarque de Paxatagore en commentaires : cette action récursoire existe à l'égard de tous les fonctionnaires, elle n'est pas réservée aux magistrats. Il me confirme que cette action n'est jamais exercée.

mardi 17 octobre 2006

Méta-blogage

Décidément, je fais beaucoup dans le conseil de lecture ces temps-ci. Mais, via Embruns, qui lui même le tient de Phnk, je découvre ce blogue « Que fait la police ? », le blog d'un policier qui raconte son quotidien. Les billets sont bien écrits, l'auteur a un vrai talent, et les récits sonnent vrais (je ne connais pas l'auteur dont je découvre le blogue aujourd'hui, je n'ai donc aucun moyen de vérifier qu'il est réellement policier, mais après tout, qui vous dit que je suis vraiment avocat ?). Vous allez voir, c'est moins glamour que Julie Lescaut.

Encore un point de vue du monde judiciaire, différent du mien, donc complémentaire. Cette fois ci, c'est le début de la chaîne qui est concerné, avec en outre le maintien de l'ordre, ce qu'on appelle dans les facultés la police administrative, qui ne donne pas lieu à procédure mais est une mission essentielle.

J'espère que le ministère de l'intérieur ne sera pas aussi frileux que d'autres et laissera faire ce fonctionnaire, car ce genre de démarche, qui existe déjà en Angleterre et aux Etats-Unis, est plus à même d'améliorer l'image de la police et l'estime que lui portent les citoyens que de coûteuses campagnes de communication.

Bienvenue dans la blogosphère, cher Thomas, et longue vie à votre blogue.

Mise à jour 12h22 : Je dois porter la poisse. Thomas vient de fermer son site, dans l'attente d'une réponse de sa hiérarchie sur la conformité de sa démarche à la déontologie policière. En espérant que ce ne soit que (très) provisoire. Ce n'est pas en fermant leur gueule blogue que les citoyens feront avancer la République. Aux dernières nouvelle, le souverain, c'était toujours le peuple.

lundi 16 octobre 2006

Fabulons...

En ces temps de disette de billets,
Le peuple des souris piaille famine.
Le chat par les plaideurs est occupé,
et les rongeurs font grise mine.

Pas le moindre poulet à savourer ?
Pas de souriceau irrespectueux
qui publiquement prendra sa fessée ?
Raminagrobis est-il oublieux ?

« Non point, dit de sa tanière
L'érudit homme de loi,
Mais c'est qu'un pauvre hère
subit l'ire d'un rugueux magistrat.

« Je suis marri, et ne veux vous déplaire ;
Souffrez donc que pour calmer votre faim,
Je vous propose un plat de janissaire,
Qui sous d'autre cieux vous fera un festin.

« Le maître queux est un mien cousin,
Qui manie la plume comme Thalie.
Si nous avons quelques lieux en commun,
A le lire parfois d'envie je pâlis. »

Le peuple se réjouit à ouïr cette poésie :
« Mais où donc dégusterons nous ce divin loukoum ?
Où se trouve cette ambroisie ? »

« Mais voyons, c'est chez Jules, de Diner's Room... »

vendredi 13 octobre 2006

Salon littéraire

Madame Michèle Bernard-Requin, conseillère[1] à la cour d'appel de Paris, que mes lecteurs connaissent pour l'avoir vue dans "10e chambre, instants d'audience", le documentaire de Raymond Depardon, vient de publier un livre, intitulé « Juges accusés, levez-vous ! ».

Ce livre est né du documentaire précité, auquel il fait souvent référence. Madame Bernard-Requin a participé à de nombreux débats publics après la projection de ce documentaire, et ce contact direct lui a beacoup plu et l'a convaincue de la nécessité de développer ses réponses et obervations.

L'événement qui l'a déterminée à achever cet ouvrage fut l'affaire d'Outreau et particulièrement l'audition du premier juge d'instruction dans cette affaire, moment d'hallali qui a profondément choqué la magistrate.

Estimant que l'hostilité d'un peuple envers ses juges est la ruine d'une nation (elle ne le dit pas avec cette grandiloquence, qui est ma marque de fabrique) et que le mécontentement observé repose essentiellement sur une méconnaissance des citoyens de la réalité judiciaire, elle a écrit cet ouvrage, au ton très personnel, qui est en même temps qu'un plaidoyer pour la magistrature, un cri d'amour pour sa profession.

Michèle Bernard-Requin est une magistrate remarquable, devant laquelle j'ai eu l'honneur de plaider à plusieurs reprises (une des audiences que je raconte sur ce blog a eu lieu devant sa présidence), qui a commencé par être avocate, avant d'être procureur à Paris, puis de devenir juge, positio nqu'elle n'a plus quittée, en présidant la 1e chambre du tribunal, puis en siégeant à la première chambre de l'instruction (compétente pour les demandes d'extradition, elle a participé à l'arrêt Battisti), avant de présider des assises, fonctions qu'elle exerce encore ce jour. Elle a donc une vision extraordinaire du prétoire puisqu'elle a occupé toutes les fonctions hormis greffier et gendarme d'escorte. Elle a une volonté d'aller vers le public, de faire passer sa connaissance du milieu judiciaire aux antipodes de l'image caricaturale du magistrat reclu dans son monde. C'est marrant, mais ça me fait penser à un blogue tenu par un avocat... Madame le président, à quand votre blogue ? Le parquet a déjà le sien, après tout.

Mes lecteurs qui manifestent un intérêt pour la chose judiciaire et qui ont apprécié 10e chambre y trouveront une lecture très intéressante, que je leur recommande fortement. Je pense que lorsque j'aurai achevé cette lecture, je reviendrai sur ce livre pour approfondir certaines observations de l'auteur.

Je précise que j'ai acheté ce livre, et que le lien que je donne vers Amazon ne donne lieu à aucune rémunération pour moi.

Notes

[1] Les juges judiciaires prennent le titre de conseiller quand ils siègent non plus dans un tribunal mais dans une cour ; les juges administratifs sont quant à eux conseillers dès le départ.

mardi 10 octobre 2006

Apostille à « ça se passait comme cela ».

Mon billet d'hier, qui visait avant tout à commémorer un anniversaire, a comme c'était prévisible dégénéré en débat sur la peine de mort, les arguments de ceux qui se sont crus à l'endroit de les exposer me reprochant de faire de l'affectif par ce texte et d'oublier les victimes. S'il est un procès que je ne leur ferais pas, c'est celui de l'originalité.

Alors puisqu'il faut dire des évidences...

Oui, ce billet joue sur le registre de l'émotion. C'était le but. Pas par calcul : pour faire passer l'émotion que je ressens. L'écriture, ça sert à ça, à part rédiger requêtes et placets. Le but de ce texte n'est pas de démontrer l'absurdité ou l'ignominie de cette peine. Elle est abolie depuis 25 ans et je suis bien persuadé que je ne la reverrai jamais appliquée de mon vivant, et quand mes petits enfants auront l'âge que j'ai aujourd'hui, cette simple idée aura rejoint au rebut de l'histoire la question, le bagne et la mort civile. Ce récit n'est pas une argumentation, c'est un récit. Désolé pour la tautologie, mais cela a je le crains échappé à certains.

Ce récit raconte du point de vue d'un avocat le chemin qui mènait de la condamnation à l'exécution. Pourquoi du point de vue d'un avocat ? Parce que je suis avocat. Encore une tautologie, mais les mal-comprenants ont été légion.

J'ai déjà plaidé en défense aux assises. C'est une expérience épuisante. La préparation du dossier nécessite des heures de concentration, le suivi des audiences une rigueur de chaque instant, prendre la parole devant un jury est mille fois plus impressionnant que n'importe quel grand oral, et l'attente des heures durant du verdict est une petite mort. Et à chaque fois, je n'ai pu m'empêcher de penser que des confrères ont été à ma place et se battaient en plus contre l'ombre de la mort, sans la chandelle de l'appel. Je ne sais pas comment ils ont fait face à ce poids qui m'aurait écrasé. Je leur voue une admiration éperdue, sans bornes. Souvent dans les nuits qui précèdent l'audience j'ai fait le cauchemar que mon client était condamné à mort, que je devais un jour moi aussi me rendre à la Santé, ou à Fresnes, où ont en dernier lieu été entreposé les Bois de Justice, doux nom administratif de la guillotine, sans que jamais ils y aient servi. Les derniers moutons se sont abattus aux Baumettes, à Marseille.

C'est ce cauchemar que je raconte, transposé dans les années 70 où il était réalité. C'est ce à quoi j'ai échappé grâce à la loi du 9 octobre 1981. Ceux qui ont été touchés par ce récit ne se sont pas trompés : je l'ai écrit guidé par l'émotion, non par le calcul. Quel calcul, d'ailleurs ? On ne parle du rétablissement qu'à l'approche de chaque élection présidentielle. Ne rêvez pas : plus jamais on ne tuera en France. Trouverait-on une majorité suffisante pour voter cette loi, un gouvernement décidé à se mettre l'Europe à dos, à exposer son pays à l'opprobre du monde entier, à dénoncer la convention européenne des droits de l'homme, tout ça pour satisfaire les pulsions morbides de ses électeurs, il ne se trouverait jamais assez de jurés et de magistrats pour voter cette peine par deux fois, puisque désormais l'appel existe.

Oubliè-je les victimes ? Procès en sorcellerie qu'on m'a déjà fait mille fois et qu'on me refera dix mille fois. Non, je n'oublie pas les victimes. Je cite le nom d'Olibrius, qu'un commentateur plus prompt à trancher qu'à lire à hâtivement confondu avec le complice. La procédure est ainsi faite que la victime n'est pas associée au châtiment. Elle est l'une des dernières à s'exprimer au procès, avant l'avocat général qui parle au nom de la société, avant l'avocat de la défense, avant l'accusé qui a toujours la parole en dernier. Olibirus est mort puisque Quidam est condamné pour son assassinat. La famille d'Olibirus n'a pas été invité à l'exécution, depuis 1939 qu'elles ne sont plus publiques, les familles des victimes n'assistaient jamais à ces moments, et je ne crois pas qu'aucune en ait jamais exprimé le souhait. Les plus assoiffés de sang sont généralement des gens qui ne connaissaient ni l'auteur ni la victime.

J'aurais pu faire commencer mon récit deux ans plus tôt lors du crime, puis narrer l'instruction, et le procès par le menu. Et personne n'aurait lu cet interminable billet dont tout le début eût été hors sujet. Ne pas parler des victimes, ce n'est pas nier leur souffrance. Mais cette souffrance, quelle que soit la sympathie (du grec : souffrir avec) qu'elle génère en vous, n'est pas un argument en faveur de la peine de mort, sauf à ce que vous démontriez que la souffrance compense la souffrance, alors que tout le monde sait bien qu'elle s'additionne et ne se soustrait point.

Aucun des ardents partisans de cette peine, trop empressés à dénoncer mes manipulations imaginaires, n'a seulement eu la clairvoyance de relever que j'avais volontairement écarté l'argument abolitionniste le plus fort : celui du risque de l'erreur judiciaire. Quidam dans mon récit est coupable, ça n'est à aucun moment mis en doute. Même son avocat, lorsqu'il défend le recours en grâce, ne soulève pas cet argument. Oui, Quidam a tué Olibrius. C'est incontestable et incontesté. Je ne voulais pas créer de comité de soutien à Quidam ou d'association pour sa réhabilitation.

Mais mquand bien même serait-ce un assassin, le mettre à mort reste ignoble.

Quidam pleure en allant au supplice, sa mère pleure, et son avocat est bouleversé. Scandale chez les partisans du mouton, et d'invoquer encore le chagrin des victimes. Le chagrin, comme les souffrances, ne se soustraient pas mais s'additionnent, et si la mère d'Olibrius trouvait du réconfort dans les larmes de la mère de Quidam, malgré tout le respect que j'aurais pour sa souffrance, je dirais qu'elle ne vaut guère mieux que l'assassin de son fils, qui lui ne tire aucun plaisir de son chagrin.

Ces larmes de Quidam, qu'elles gênent les "rétablissionistes", pour qu'aussitôt ils invoquent celles d'Olibrius pour les balayer ! Car souvent, un argument invoqué est que l'assassin, le criminel est un "monstre froid", un "prédateur", un "animal", bref, "n'est pas humain". Toute trace d'émotion humaine chez lui est une idée insupportable, un sacrilège, une hérésie. Désolé, la réalité est têtue. Le condamné est un être humain. Il est terrifié à l'approche de la mort, terreur accentuée par son caractère inéluctable, car il sait quil n'a nulle pitié à attendre des gens qui l'entourent. Il ressent des émotions. Et il a une famille qui l'aime. C'est donc qu'il y a quelque chose à aimer chez lui. Le nier ne l'empêche pas d'être vrai.

La victime ! La victime ! Elle aussi avait des émotions, elle aussi a dû être terrifiée à l'idée de la mort, elle aussi a vu avec horreur qu'elle n'avait aucune pitié à attendre de Quidam. Et c'est vrai. Mais j'ai la faiblesse de croire la société moralement supérieure à un assassin. Et donc refuser de se comporter comme lui.

D'autant plus moralement supérieure qu'elle assume ses responsabilités. Son rôle est de garantir et protéger les droits de ses citoyens : la liberté, la propriété et la sûreté. En n'empêchant pas Quidam d'assassiner Olibrius, la société a failli à sa mission. Dès lors, de quel droit, pour réparer sa faute, perpétrerait-elle ce qu'elle devait empêcher Quidam de faire ? On nage en plein dans l'absurdité, et l'absurdité, pour justifier une mort, est un argument un peu trop léger.

Que la société sanctionne Quidam, oui. Qu'elle l'empêche de nuire, mille fois oui. Qu'elle indemnise sur les deniers publics la famille Olibrius au nom de la solidarité nationale, cent mille fois oui. C'est ce qu'elle fait désormais, mais depuis 1977 seulement (est-ce un hasard ? Dès que l'Etat a commencé à indemniser les victimes, il a cessé de tuer), cette indemnisation n'étant devenue digne de ce nom que depuis 1991.

Car l'ombre de la guillotine servait principalement à l'Etat pour se cacher derrière. La famille Olibrius aurait vu (au sens figuré) Quidam coupé en deux (au sens propre) ; mais elle n'aurait pas reçu le moindre centime d'ancien franc pour réparer la perte de cet être cher et surtout de faire face à la perte matérielle des revenus. L'Etat, en tuant en notre nom, s'estimait dégagé de toute obligation à l'égard des victimes. Comme c'est commode. Et c'est encore en leur nom qu'on veut faire à nouveau oeuvre de salubrité publique et reprendre des pratiques d'un autre temps. Et c'est moi qui méprise les victimes ?

Voilà ce que j'avais à ajouter à ce récit, n'ayant pas pensé sur le coup à devoir ainsi m'en expliquer tant il m'apparaissait clair dans son propos, qui n'était pas de déclencher un débat qui n'a pas lieu d'être. Néanmoins merci à ceux qui ont donné leur opinion : la mienne en est sortie revigorée.

vendredi 6 octobre 2006

La fin du blog de Bereno

A la demande du principal intéressé, je retire ce billet.

Bereno m'a contacté pour me dire combien il était touché de la réaction de ses lecteurs et sensible aux propositions d'aide, qui sont venues de beaucoup de directions et parfois de gens influents.

Après avoir posément réfléchi à la question, il souhaite ne pas donner de suites à cette affaire. Il a d'autres préoccupations plus importantes à ses yeux que ce blogue, qui était avant tout une activité para-professionnelle, et plutôt que d'y ajouter des tracas à cause de cette affaire, il préfère lui accorder la seule mesure qui lui semble s'imposer : un haussement d'épaules.

Donc, merci à tous ceux qui appellent à protester, à interpeler ses élus, à reprendre les billets de l'intéressé, mais il nous demande de ne pas le faire. Et nous devons respecter sa volonté.

Voici, pour conclure, les détails que mes divers contacts ont pu m'apprendre : ce n'est pas le principe du blogue tenu par un inspecteur du travail qui a posé problème, ni tel ou tel employeur qui se serait reconnu, mais UN billet en particulier qui a déclenché cette réaction. Ce billet ne contenait pas à mon avis de quoi fouetter un chat, et Dieu sait que j'aime fouetter les chats, mais dérangeait l'administration qui souhaitait ne pas faire de vagues à propos de ce qui était relaté dans le billet. Ce sont donc des motifs d'opportunité politique[1] qui ont amené cette démande, disons insistante.

Bereno m'indique qu'il continuera à lire mon blogue, ce qui me le rend définitivement et irrésistiblement sympathique.

Bon vent donc et bon courage. Il a mon adresse e-mail et s'il y a du neuf, il sait où me trouver : dans la Manche, non loin des moulins à vent.

Notes

[1] Vous trouverez une définition de la notion d'opportunité politique sur cette page.

vendredi 15 septembre 2006

C'était mieux avant

Les thèmes de l'insécurité et de son corollaire, l'enfance délinquante, vont sans nul doute faire les beaux soirs des gazettes en cette période pré-électorale où la surenchère vise plutôt un électorat, disons conservateur.

Centres à encadrement militaire par cì, centre éducatif fermé par là.

Mal du XXIe siècle, vous dira-t-on, jamais les jeunes n'ont été aussi inciviques, désobéissants, rebelles, irrespectueux, que sais-je encore ?

Pour vous permettre de juger de la pertinence de ce cliché, je vous convie à lire avec moi quelques articles du Code civil original, tel que promulgué le 13 Germinal An XI et imprimé par les soins de J.J. Marcel, directeur de l'Imprimerie de la République. Les gras sont de moi, puissent les mânes de J.J. me pardonner cette modification.

TITRE IX De la puissance paternelle [1]

371. L'enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère.

(...)

375. Le père qui aura des sujets de mécontentement très graves sur la conduite d'un enfant, aura les moyens de correction suivans.

376. Si l'enfant est âgé de moins de seize ans commencés, le père pourra le faire détenir pendant un temps qui ne pourra excéder un mois ; et, à cet effet, le président du tribunal d'arrondissement[2] devra, sur sa demande, délivrer l'ordre d'arrestation.

377. Depuis l'âge de seize ans commencés jusqu'à la majorité[3] ou l'émancipation, le père pourra seulement requérir la détention de son enfant pendant six mois au plus ; il s'adressera au président dudit tribunal qui, après en avoir conféré avec le Commissaire du Gouvernement[4] délivrera l'ordre d'arrestation ou le refusera et pourra, dans le premier cas, abréger le temps de la détention requis par le père.

378. Il n'y aura, dans l'un et l'autre cas, aucune écriture ni formalité judiciaire, si ce n'est l'ordre même d'arrestation, dans lequel les motifs n'e nseront pas énoncés.
Le père sera seulement tenus de souscrire une soumission de payer tous les frais, et de fournir les alimens convenables[5].

379. Le père est toujours maître d'abréger la durée de la détention par lui orodnnée ou requise. Si après sa sortie l'enfant tombe dans de nouveaux écarts, la détention pourra être de nouveau ordonnée de la manière prescrite aux articles précédents.

Deux simples observations pour nourrir votre réflexion :

La première : si il y a deux siècles et deux ans, le législateur, qui en l'espèce était une commission de quatre avocats et magistrats, a ressenti le besoin de conserver dans le droit civil la fameuse lettre de cachet, c'est peut être que nos jeunes sauvageons d'aujourd'hui ne font guère d'ombre à ceux d'alors ; et il est intéressant de constater qu'alors que le choix politique était de donner les pleins pouvoirs au père, le choix fait aujourd'hui est d'accuser les parents d'être responsables de la déliquescence civique du temps. L'art de la réforme, c'est souvent de passer d'une erreur à l'autre.

La deuxième : vous avez ri du caractère surané de ce texte ? Et bien figurez vous que l'article 371 qui ouvre ce titre est encore en vigueur.

Notes

[1] On parle aujourd'hui d'autorité parentale.

[2] du tribunal de grande instance.

[3] Fixée à cette époque à vingt et un ans.

[4] Le procureur de la République.

[5] Aliment, qui s'écrivait sans t à l'époque, désigne non pas la nourriture mais l'argent nécessaire à l'entretien global de l'enfant : nourriture, vêtement, bois de chauffage...

lundi 28 août 2006

Il est de retour

Où l'auteur signale son retour et fait le point sur ce qui lui tient à coeur.

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jeudi 20 juillet 2006

La lettre de licenciement de Petite Anglaise

Où l'auteur publie et décortique la pièce centrale du procès du siècle et propose à ses lecteurs de se faire leur opinion, ou de partager la sienne.

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mardi 18 juillet 2006

Petite Anglaise virée pour son blog

Ca y est, je suis à nouveau en pétard.

J'apprends aujourd'hui que Petite Anglaise, une blogueuse drôle, spirituelle et intelligente, que j'ai découvert grâce au Pyjamas de Satin, a été licenciée de son travail en France par un cabinet de comptabilité dont je tairai le nom par charité.

Ce blog est en anglais et du plus pur style de british humor qui me fait pardonner à ce pays sa bière chaude et ses nombreuses victoires sur le XV de France. Elle y raconte sa vie d'expatriée à Paris, de jeune mère, de jeune femme, bref de tout ce qui la rend aussi unique que vous et moi.

Et voilà que la société qui avait la chance de l'avoir dans son registre du personnel l'a mise à pied à titre conservatoire avant de décider de son licenciement pour cause réelle et sérieuse (une faute grave a un temps été envisagée). Pour Petite Anglaise, le coup est dur, même si elle ne se départit pas pour autant de son sens de la dérision :

In the meantime I stuck to the safest anecdotes, seething with frustation at not being able to write about that One Single Horrible Thing which was preying on my mind, night and day, causing dramatic (and not entirely unwelcome) weight loss, panic attacks and sleepless nights[1].

Pourquoi cette décision définitive ? La question mérite d'être posée puisque JAMAIS Petite Anglaise n'a mentionné le nom de son employeur. D'après un article du Telegraph (je n'ai pas tout lu de son blogue, hélas), les seules mentions de la société qui l'employait sont une description de la quintessence d'une société commerciale britannique avec "un portrait de la reine dans un cadre, du chocolat Cadbury's, du thé Tetley et une bière après le travail", qui sont en effet des éléments rendant impossible de distinguer une boîte anglaise d'une autre (encore que Tetley est une société indienne et non anglaise) ; le récit d'une fête de noël où elle décrit un incident diplomatique quand un des employés fait exploser son cracker[2] avant le Senior Partner et son épouse ; la diffusion d'une vue imprenable de son décolleté un jour qu'elle aidait à mettre en place une vidéoconférence, et, élément sans doute le plus à charge, une description dudit senior partner comme étant de la vieille école, "portant des bretelles et des fixe-chaussettes, va dans des Gentlemen's clubs à Londres et appelle les secrétaires des dactylos. Quand je lui parle, je ne peux m'empêcher d'imiter son exquis accent d'Oxford." Shocking, indeed.

Son employeur l'a reconnue car elle a publié une photo d'elle sur son blog. Ce qui tend à démontrer primo que ce qu'elle a décrit de son travail n'a jamais permis de l'identifier, et que secundo ses billets faisaient bien rire le senior partner jusqu'au jour il s'est rendu compte que c'était de lui même qu'il riait. Le Cabinet lui reproche de l'avoir rendu identifiable par cette publication d'une photo d'elle, car des clients la rencontraient, d'avoir médit sur l'entreprise, et d'avoir utilisé de son temps de travail pour son blog (Que Dieu m'en préserve).

Voici Petite Anglaise licenciée et assignant son employeur devant les prud'hommes.

Et Dixon Wilson[3] se ridiculisant en virant une de ses employées pour des motifs dont chacun peut constater la futilité en lisant le blog incriminé. Comment se tirer une balle dans le pied, à voir cette réaction impulsive et un rien paniquée face à la découverte que les employés, notamment les femmes, d'une part ont une vie privée en dehors du travail, et d'autre part ont un esprit critique qui s'exerce même au travail.

Si l'intelligence n'a pas totalement déserté cette entreprise, elle conclura rapidement un accord transactionnel et fermera ce dossier avant que sa réputation ne soit durablement affectée. Et si un décideur d'un concurrent de Dixon Wilson lit ces lignes, qu'il sache qu'il a une opportunité exceptionnelle de recruter quelqu'un de vraiment talentueux, d'une intelligence vive et dotée d'un vrai coup de plume. Merci de m'envoyer vos propositions, je transmettrai à l'intéressée.

En attendant, j'apporte mon entier soutien à Petite Anglaise. Si quelqu'un fait un logo, je l'affiche ici.

PS : je ne connais pas personnellement Petite Anglaise, étant seulement un lecteur occasionnel et muet de son blog. Je l'ai contactée directement pour la première fois aujourd'hui pour lui faire part de mon intention d'écrire sur sa mésaventure.

Notes

[1] : Pendant que l'incident se décantait, je me suis tenue aux anecdotes les plus sures, frémissante de frustration de ne pouvoir écrire sur la Seule et Unique Chose Horrible qui me préoccupait l'esprit, jour et nuit, provoquant une considérable (mais pas entièrement malvenue) perte de poids, des attaques de panique et des nuits blanches

[2] : Sorte de paquet en forme de gros bonbon qui contient un assortiment de cotillons et friandise qui s'ouvre avec un bruit de pétard quand on tire simultanément sur les deux extrémités.

[3] : Réflexion faite, je suis avocat, la charité est une faute professionnelle.

Sacré Christian

Où l'auteur fait siennes les préoccupations morales d'un élu, et s'assure de la cohérence des actes et des propos d'icelui.

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vendredi 30 juin 2006

Immersion totale

Je suis désolé d'avoir raté l'annonce d'immersion totale, nouvelle émission de France 2 qui hier proposait un véritable procès d'assises qui a pu exceptionnellement être filmé, les participants ayant de plus accepté de commenter le déroulement du procès. Je n'en ai vu qu'un petit morceau mais le résultat avait l'air de qualité et surtout c'est un document assez rare qui eût mérité que j'attirasse votre attention.

Je me console en plaçant un imparfait du subjonctif.

Las, il ne semble pas y avoir de rediffusions et le site de France 2 ne le propose pas en streaming.

L'avez-vous vu ? Qu'en avez-vous pensé ?

Mise à jour : A vos magnétoscopes ! Ce document est rediffusé ce soir à partir d'1h35. De toutes façons, il n'y a rien de bien à la télé demain soir...

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