Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Commentaire judiciaire

Une décision de justice et son explication détaillée.

Fil des billets - Fil des commentaires

mercredi 7 novembre 2007

Le référé contre Wikipédia

Le 29 octobre dernier, le tribunal de grande instance de Paris a eu à statuer en référé sur une affaire concernant Wikipédia, la version française de l'encyclopédie collaborative, dans une affaire qui peut intéresser tous ceux qui publient sur internet. Voici la copie de cette décision, hébergée sur l'indispensable Juriscom.net.

Je passerai rapidement sur le lamentable édito du Monde relatant cette affaire. Jules s'est occupé de lui tailler un costard et c'est effectivement un parfait exemple de maljournalisme : l'auteur n'a pas compris la décision, ce qui est pardonnable, mais lui fait dire ce qu'elle ne dit pas pour appuyer des revendications corporatistes, ce qui l'est moins.

Les faits étaient les suivants :

Wikipédia est une encyclopédie collaborative qui est gérée par un système dit de wiki, c'est à dire que toute personne peut librement créer ou modifier un article. Certains articles faisant l'objet de vandalisme peuvent être protégés provisoirement, mais le principe est la liberté de modification. En effet, le wiki garde en mémoire toutes les modifications apportées, et il est très aisé de revenir à une version antérieure si une erreur ou un dommage est commis. La décision de suppression d'un article est en revanche prise collectivement, après un débat ouvert.

Un internaute anonyme (mais dont l'adresse IP a été enregistrée) a créé un article parlant d'une société commerciale, la société S. Cet article désignait nommément trois cadres de cette société et révélait, en des termes laudatifs, l'homosexualité prétendument assumée de ces cadres et des conséquences que cela avait sur la bonne ambiance de travail.

Ces trois cadres ont découvert cet état de fait et se sont émus de ce qu'ils ont considéré comme une atteinte à leur vie privée. Si certes il leur était loisible d'effacer ces mentions dans l'article en cause, elles figureraient néanmoins dans l'historique et pourraient être rétablies en première page par quiconque d'un simple clic de souris.

Ils se sont alors adressé à l'entité qui héberge matériellement wikipédia sur ses serveurs, soit la Fondation Wikimedia, association de droit américain, de l'Etat de Floride plus précisément, seule capable d'assurer l'effacement définitif de ces données. Deux e-mails ont été envoyés à la Fondation demandant le retrait des passages incriminés, sans effet.

Ils ont alors saisi en référé le tribunal de Paris afin d'obtenir le retrait de ces mentions et une somme d'argent à valoir sur des dommages-intérêts obtenus par une procédure au fond. Mais au fond de quoi ?

C'est ici qu'une première explication s'impose sur le référé. Le référé est une mesure provisoire que l'on demande en urgence parce que son principe ne se heurte à aucune contestation sérieuse. Elle est très rapide à obtenir (ici, la demande a été présentée le 8 octobre et la décision rendue le 29) mais ne saurait régler un litige. Elle sert à faire en sorte d'éviter que le délai nécessaire à la justice pour statuer sur le fond du litige (d'où le terme de "procédure au fond") ne nuise trop à une partie.

Ici, les trois cadres voulaient que la mention de leur homosexualité soit effacée de Wikipédia, avant d'aller régler leur compte avec les responsables de cette atteinte à leur vie privée ; et, estimant que le principe de leur victoire était acquis, demandaient à ce que le juge leur accorde par avance une fraction de cette somme correspondant à la partie non contestable de leur préjudice.

Première difficulté : à qui s'adresser pour cela ? En effet, juridiquement, Wikipédia n'existe pas. Wikipédia est un ensemble de fichiers informatiques, pas une personne avec qui on peut dîner. Tout comme Le Monde est un assemblage de feuilles de papier où des signes sont imprimés à l'encre dans un premier temps, avant de se retrouver sur les doigts du lecteur. Mais Le Monde est un journal, soumis au droit de la presse (la loi du 29 juillet 1881) et a un directeur de la publication responsable de tout ce qui est imprimé. Le fait que le journal soit électronique ne change rien à l'affaire : il y a publication non pas quotidienne mais continue au fur et à mesure que les articles sont rédigés. LeMonde.fr est ainsi un journal publié par la société Le Monde Électronique, et le directeur de la publication est au jour où j'écris ces lignes Madame Dao Nguyen, directrice générale de la société.

Mais Wikipédia ? Hé bien, pour Wikipédia, ce ne sont pas les mêmes règles qui s'appliquent, car Wikipédia n'est pas un journal. Ce n'est pas un scoop, mais ça a échappé au journaliste du Monde. Wikipédia est un site internet qui héberge des écrits composés librement par des internautes. Cela exclut l'application du droit de la presse, car la responsabilité du directeur de la publication s'explique par le fait qu'il contrôle a priori tout ce qui est publié. Exit donc la loi de 1881.

C'est donc vers la loi du 21 juin 2004 qu'il faut se tourner, la fameuse LCEN, Loi sur la Confiance dans l'Économie Numérique. Ha, la LCEN. Elle est en partie à l'origine de mon blog, car lors des débats de cette loi, il y a eu une telle propagande sur l'internet, un peu à l'instar de celle lors de la loi DADVSI, où se multipliaient des textes catastrophistes annonçant la censure généralisée d'internet (voyez ce bandeau qui fleurissait sur les blogs) alors que précisément cette loi visait à protéger ceux qui hébergeaient des textes qu'il n'avaient pas écrits, que j'ai réalisé que le manque d'information et de culture juridique de mes contemporains les rendaient vulnérables à la manipulation.

Que dit cette loi ? Cette loi distingue trois intervenants dans l'internet : le fournisseur d'accès à internet (celui qui vous demande 29,99 euros par mois sauf s'il porte le nom d'une couleur auquel cas c'est plus cher pour la même chose), qui n'est en principe pas responsable de ce qui transite sur l'internet ; l'éditeur, qui est l'auteur des textes ou images publiés, et est responsable mais peut dans certains cas décider de rester anonyme ; et enfin l'hébergeur, celui qui stocke les signaux et permet à l'éditeur de publier ces textes. L'hébergeur est en principe aussi irresponsable, mais sa responsabilité peut être engagée dans des conditions strictes prévues par la loi. Il devient civilement responsable de ce qu'il héberge à deux conditions : s'il est établi qu'il a connaissance du caractère illicite du contenu ET s'il n'a pas agi promptement pour ôter ce contenu illicite. La loi prévoit une façon irréfutable d'établir la connaissance du caractère illicite du contenu par l'hébergeur : il suffit de lui envoyer une notification par lettre recommandée comportant des mentions déterminées[1].

La loi impose la mention de l'hébergeur sur tout site, mais sinon, il peut être retrouvé aisément par un Whois.

La Wikimedia Foundation est l'hébergeur du site Wikipédia. C'est à elle que se sont adressés nos trois cadres fin septembre, par courrier électronique resté sans suite. Les trois demandeurs se sont alors tournés vers le juge des référés, en lui demandant de constater que l'article litigieux portait atteinte à leur vie privée et était diffamatoire[2] ; de constater que malgré ces deux e mails, la Fondation n'a pas ôté ces contenus, devenant alors civilement responsable ; d'ordonner à la Fondation le retrait de ces passages ; de lui ordonner de communiquer les coordonnées exactes du rédacteur du texte incriminé ; et la condamner à leur payer à chacun 15.000 euros de provision sur dommages-intérêts pour diffamation outre 3000 euros chacun pour frais de procédure.

La Fondation Wikimedia a réagi à cette assignation (oui, on peut assigner devant un tribunal français une entité américaine, ce n'est absolument pas un problème) en ôtant le texte incriminé. Pour sa défense, elle soulève un point de procédure intéressant pour les juristes, mais qui sera rejeté, je ne compliquerai donc pas ce billet en l'abordant. Elle réplique sur le reste qu'elle a ôté le contenu litigieux le 17 octobre 2007, qu'elle n'est pas tenue à une obligation de surveillance de ses contenus en application de la LCEN, qu'on le lui a pas notifié de contenu illicite en respectant le formaliste prévu par la LCEN, et qu'elle ne dispose d'aucun élément d'identification du rédacteur hormis l'adresse IP qui, s'agissant d'un rédacteur anonyme, est accessible à tous, et renvoie au fournisseur d'accès concerné l'identification du rédacteur fautif.

Ce à quoi le juge va répondre ceci.

Sur le retrait du contenu : il constate que le retrait a été effectué, la demande des trois cadres est donc devenue sans objet. On ne débat pas du retrait de ce qui a déjà été retiré.

Sur la responsabilité de la Fondation Wikimedia : le juge relève que les e-mails envoyés fin septembre ne remplissent pas les conditions prévues par la LCEN. Il n'y a pas de preuve de leur réception effective, ils ne mentionnent pas les textes légaux sur lesquels s'appuient la dénonciation du contenu, qui est une mention essentielle pour permettre à l'hébergeur de vérifier le bien fondé de la réclamation. Donc, conclut le juge, il n'est pas évident, comme ce doit l'être dans le cadre d'un référé, que la Fondation Wikimedia soit bien civilement responsable.

De plus, la deuxième condition n'est pas non plus établie : celle du retrait tardif du contenu litigieux. Le juge constate que le retrait est antérieur à l'audience, et que la Fondation ne peut nier avoir eu connaissance de la réclamation par la réception de l'assignation. Or le laps de temps entre ces deux événements est plutôt bref, et crée une contestation sérieuse sur ce caractère tardif. Le juge ne tranche pas cette contestation : il constate qu'elle existe, ce qui exclut qu'il statue en référé.

Enfin, sur l'identification du rédacteur indélicat : le juge constate qu'en effet, la Fondation Wikimedia n'a que l'adresse IP de celui-ci, et que seul son fournisseur d'accès peut fournir cette information, ce qui met la Fondation hors de cause.

Le juge déboute donc les trois demandeurs de leurs demande, hormis de celle de retrait qui, elle, est sans objet.

C'est une application orthodoxe de la LCEN, qui vise à protéger les hébergeurs contre les conséquences d'une responsabilité entendue trop largement. Ils n'ont pas la maîtrise de ce qu'ils publient, sauf à interdire toute publication immédiate, ce qui serait antinomique à la liberté d'expression et à ce qu'est le réseau mondial. A rebours de ce qu'affirme le monde, la diffamation et la divulgation de la vie privée n'est pas impune sur internet. Le rédacteur, quand il sera identifié, aura du mal à échapper à une condamnation. Si la Fondation n'avait pas rapidement ôté le contenu litigieux, ou si la réclamation avait été faite dans les formes sans être suivie d'effet, la Fondation aurait bel et bien engagé sa responsabilité.

C'est simplement un régime différent qui s'applique aux sites dont le contenu est modifié en temps réel par leur éditeur, parce que ces sites ne sont pas des journaux.

Voilà tout ce qu'a dit le juge des référés dans son ordonnance.

Notes

[1] Il s'agit de la date de la notification ; si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement ; les nom et domicile du destinataire ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social ; la description des faits litigieux et leur localisation précise ; les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ; la copie de la correspondance adressée à l'auteur ou à l'éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l'auteur ou l'éditeur n'a pu être contacté.

[2] La mention diffamatoire étant bien celle de l'homosexualité, réelle ou supposée, des requérants... Erreur de ma part : la mention diffamatoire étant que l'un des demandeurs aurait pu adopter ses deux enfants que du fait de son militantisme homosexuel.

vendredi 14 septembre 2007

La relaxe de Georges Frêche

Le pétulant président de la région Septimanie Languedoc Roussillon a été relaxé hier par la cour d'appel de Montpellier, dans le cadre des poursuites dont il faisait l'objet pour injure à caractère racial, pour avoir traité les dirigeants d'une association de Harkis de « sous-hommes ». Il avait pourtant été condamné en première instance à une très lourde amende de 15.000 euros.

courd'appel de Montpellier, photo de l'auteur

Pour mémoire, les propos incriminés étaient exactement les suivants :

Vous [les deux représentants de l'association de Harkis] êtes allés avec les gaullistes (...) Ils ont massacré les vôtres en Algérie (...). Ils les ont égorgés comme des porcs. Vous faites partie de ces harkis qui ont vocation à être cocus jusqu'à la fin des temps (...). Vous êtes des sous-hommes, vous êtes sans honneur.

Les raisons de la relaxe, si Libération rapporte correctement les faits (et rien ne me permet de douter du contraire) prêtent à sourire, sauf les parties civiles, qui l'ont pris comme une gifle. Vous savez que le droit et la morale sont des choses distinctes. En voici une parfaite illustration, ainsi qu'une éblouissante démonstration des âneries que peut faire le législateur à voter tout et n'importe quoi plutôt que de faire des lois, des vraies.

Le texte qui incrimine les injures raciales est l'article 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cette loi est le texte essentiel et central en matière de délits de presse, c'est à dire des délits constitués par des propos tenus publiquement.

Cet article punit de peines pouvant aller jusqu'à 6 mois de prison et 22.500 euros d'amende

l'injure commise, dans les conditions prévues à l'alinéa précédent[c'est à dire sans être précédée de provocations], envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

Traiter quelqu'un de sous-homme, sans honneur, et ayant vocation à être cocu jusqu'à la fin des temps est injurieux, ça ne prête guère à discussion.

La question de droit qui se pose est : le terme Harki désigne-t-il une origine, une ethnie, une nation, une race ou une religion ? Si la réponse est négative, ce n'est pas une injure raciale mais une injure tout court, prévue par l'article 33 alinéa 1, punie seulement de 12.000 euros d'amende.

La distinction est ici tout sauf anodine. Les règles de procédures en matière de presse sont draconiennes, et elles imposent à la partie poursuivante, parquet ou particulier, de qualifier correctement les faits. Dire qu'une diffamation est une injure, ou qu'une injure est une injure raciale, et le tribunal ne pourra que relaxer : la requalification des faits lui est interdite, contrairement au droit pénal commun.

Les destinataires de ces propos fleuris voulant que soit reconnue l'injure à leur communauté plus qu'à leur personne ont opté pour la qualification d'injure raciale. Fatalitas.

Car un Harki ne désigne pas une ethnie, une nation, une race ou une religion. Le mot harki désigne le soldat qui appartient à une harka, une troupe indigène. Par extension, on désigne ainsi les Français d'origine algérienne qui ont servi dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie, et leurs descendants. Ils ne sont pas une nation, ils sont aussi Français que Georges Frêche, et si cela se jugeait au mérite, peut être le seraient-ils plus encore. Ils ne sont pas une religion : ils sont quasiment tous musulmans ordinaires. Ils ne sont pas une ethnie, ils sont arabes ou kabyles, comme les algériens d'aujourd'hui ; seul un choix politique les distingue.

L'erreur peut paraître grossière. Elle est pourtant bien pardonnable, car ils ne se sont pas trompés : ils ont été trompés. Et par nul autre que le législateur.

La présidence antérieure à l'actuelle a été marquée, quelle que soit la tendance politique au pouvoir, à la multiplication de lois mémorielles, proclamant de manière grandiloquente la reconnaissance de tel fait, la condamnation morale de tel autre, mais ces lois sont juridiquement approximatives, pour être gentil. Citons ainsi la loi n°2001-70 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 (vous pouvez la lire, ça ne prend pas trop de temps), la loi Taubira du 21 mai 2001, et la droite ne voulant pas être en reste à son retour aux affaires, la loi du 23 février 2005 et son célèbre article 4 parlant du rôle positif de la colonisation, texte abrogé à la va-vite par un décret, le gouvernement ayant demandé au Conseil constitutionnel de constater que ce texte relevait en fait du domaine du décret, pour pouvoir l'envoyer à la poubelle tel un vulgaire CPE.

Et c'est à nouveau cette extraordinaire loi du 23 février 2005 qui est à l'origine du pataquès d'aujourd'hui.

Car que dit cette loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ?

Rien, et c'est là le problème.

Détaillons.

L'article premier est ainsi rédigé (je graisse). Sortez vos mouchoirs.

La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française.

Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au processus d'indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu'à leurs familles, solennellement hommage.

Les harkis sont bien concernés par la loi, ils sont désignés par le passage en gras.

L'article 2 est de la même veine : il les "associe" à l'hommage national prévu chaque 5 décembre aux anciens combattants des guerres de décolonisation.

L'article 3 crée une fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie.

L'article 4, modifié, est ainsi rédigé :

Les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite.

La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l'étranger est encouragée.

Réjouissons-nous : la colonisation n'aura pas la place qu'elle ne mérite pas, et la coopération culturelle n'est pas découragée.

Et voilà maintenant l'article 5, qui a scellé le sort des harkis et exonéré Georges Frêche.

Sont interdites :

- toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d'ancien membre des formations supplétives ou assimilés ;

- toute apologie des crimes commis contre les harkis et les membres des formations supplétives après les accords d'Evian.

L'Etat assure le respect de ce principe dans le cadre des lois en vigueur.

Voilà la base légale sur laquelle se sont appuyés les plaignants dans leurs poursuites contre Georges Frêche.

Oui, mais... Relisez bien le texte.

Vous avez remarqué ? L'injure est interdite. Mais sous peine de quelles sanctions ? Aucune. Cette loi ne crée nul délit. Elle proclame une interdiction.

On objectera que cette formulation renvoie à l'article 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881, tant elle lui ressemble. C'est le raisonnement qu'a fait le tribunal correctionnel de Montpellier, semble-t-il. Or, juridiquement, ça ne tient pas.

La loi pénale est d'interprétation stricte : c'est l'article 111-4 du code pénal, et un principe fondamental du droit. Seuls sont réprimés par l'article 33 les faits figurant à l'article 33. Ou alors, il fallait que le législateur précisât : « sont punies des peines prévues par l'article 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d'ancien membre des formations supplétives ou assimilés ».

Interdire quelque chose, en droit, ne veut pas dire grand'chose. Une règle doit prévoir sa sanction, sous peine d'être lettre morte. Le droit civil, comme l'est le droit des contrats, en fera aisément son affaire : tout contrat qui viole une interdiction légale est frappé de nullité : nul ne peut en exiger l'exécution, et ses effets doivent être anéantis. Car le code civil prévoit comme sanction générale d'une obligation illicite la nullité : c'est l'article 1131.

Mais le droit pénal ne supporte pas le bricolage. Tout ce qui n'est pas assorti de sanctions pénales ne peut fonder une condamnation. Une interdiction sans sanction n'est qu'une interdiction morale, et pas du droit.

Bref : la loi du 23 février 2005 n'a aucun effet juridique, sauf la création d'une fondation. C'est un pur texte démagogique, offert comme gage par la droite à un électorat fidèle, une déclaration grandiloquente qui caresse dans le sens du poil, et, comme l'ont découvert ces plaignants, n'est que du vent dès qu'on la présente à un juge.

Georges Frêche n'a donc pas de quoi pavaner avec cette relaxe (je ne doute pas un instant que ça ne l'empêchera pas de le faire). La cour ne lui donne nullement raison, sauf sur un point. Sur ce coup là, les harkis se sont fait cocufier par la République une fois de plus.

mardi 21 août 2007

Peine, récidive et sursis, un cas pratique

La presse a rapporté les ennuis judiciaires de l'un des frères de l'actuel garde des sceaux. Le Monde (avec le concours de l'AFP) nous donne les éléments suivants :

La cour d'appel de Nancy a condamné, mardi 21 août, Jamal Dati, le frère de la garde des sceaux, Rachida Dati, à un an de prison ferme pour trafic de stupéfiants.

M. Dati s'était vu infliger en février six mois d'emprisonnement avec sursis par le tribunal correctionnel de Verdun, mais le ministère public avait fait appel de cette condamnation. Ses trois co-prévenus ont été condamnés à six mois fermes pour deux d'entre eux, à huit mois de prison dont trois mois fermes pour le troisième.

Agé de 34 ans, il avait déjà été condamné en 2001 à trois ans d'emprisonnement, dont dix-huit mois fermes, pour trafic d'héroïne dans la région de Chalon-sur-Saône. Il avait déjà été condamné en 1995 à une amende pour usage de stupéfiants, puis en 2001 à trois ans de prison dont dix-huit mois assortis du sursis, avec mise à l'épreuve, pour trafic de drogue. Tout en réclamant une aggravation de la peine prononcée en première instance, l'avocat général avait laissé entrevoir la possibilité d'un aménagement de peine qui permettrait à ce père d'un garçon de 2 mois de conserver son emploi de tuyauteur.

Notons rapidement que visiblement, il n'a pas bénéficié d'une intervention ou d'une bienveillance particulière du fait de son nom de famille puisque sa peine a été doublée en appel. Un lecteur, qui a pris soin de préciser que ce n'était pas une demande de consultation juridique, me dit sa surprise, s'attendant à ce qu'il soit condamné à 18 mois, soit la période couverte par le sursis de sa précédente peine, et se demandant si le prévenu n'était pas en état de récidive.

Voilà un très bon cas pratique pour réviser les règles de récidive et des sursis.

Tout d'abord, le frère de Madame Dati était bien en état de récidive légale. En effet, la condamnation de 2001, qui constitue le premier terme de la récidive, était pour trafic de stupéfiant, délit passible de dix années d'emprisonnement, et le second terme est bien un délit passible de plus d'un an d'emprisonnement (en l'espèce dix) commis dans les dix années suivant l'exécution de la peine: c'est la récidive générale et temporaire de l'article 132-9 du Code pénal. Le parquet qui a engagé les poursuites (bien avant l'élévation de la soeur du prévenu à de si hautes fonctions, donc inutile de chercher une intervention occulte ici ; cette hypothèse est assez fréquente en fait) n'avait pas visé la récidive, tout simplement parce qu'il n'envisageait pas un seul instant d'aller requérir dans les strates de peines ouvertes par la récidive (jusqu'à vingt années de prison...).

Le frère de Madame Dati n'encourait de toutes façons pas les foudres de la loi portée par sa soeur, car les faits commis en récidive étaient antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi. Mais sinon, c'eût été quatre années qu'aurait dû prononcer à tout le moins le tribunal (délit puni de dix années d'emprisonnement). Et là, pas d'aménagement de peine possible.

S'agissant de la fraction de la peine assortie du sursis prononcée en 2001, elle était réputée non avenue ; soit, si c'est un sursis simple, que cinq années s'étaient écoulées depuis sa sortie de prison (mais ça a dû se jouer de peu dans cette hypothèse...), soit, si c'était un sursis avec mise à l'épreuve, par l'écoulement du délai d'épreuve qui ne pouvait à l'époque excéder trois années. Ce sursis ne pouvait donc être révoqué.

Enfin, en prononçant un an ferme non assorti d'un mandat de dépôt (que la cour ne pouvait décerner pour une peine n'excédant pas un an, le condamné étant libre), la cour permet la mise en place d'un aménagement de peine, comme l'avait suggéré l'avocat général. Cela s'applique à toutes les condamnations à de la prison ferme n'excédant pas un an (la même limite que la possibilité de décerner mandat de dépôt, ce n'est pas un hasard). Le condamné sera convoqué par le juge de l'application des peines qui envisagera avec lui un aménagement de la peine évitant une incarcération pure et simple qui lui ferait perdre son travail : ce sera probablement soit un placement sous surveillance électronique, soit une conversion en sursis avec obligation d'accomplir un TIG [Mise à jour, après rappel à l'ordre : pas de conversion pour les peines supérieures à six mois], soit une semi-détention (il dormira en prison et sortira dans la journée pour se rendre à son travail, et pourra bénéficier de permissions de sortie le week end). Le JAP peut aussi fractionner l'exécution de la peine sur les périodes de congé du condamné pendant trois ans.

En conclusion, le prévenu échappera très probablement à la prison ferme, mais ce ne sera pas grâce à sa soeur, seulement à la compréhension des juges. Dont tout le monde peut bénéficier, ce qui semble-t-il ne sera pas un luxe dans les temps qui viennent.

vendredi 17 août 2007

Le tribunal de Nice inaugure la loi sur la récidive... sur un cas d'école

La loi sur la récidive est passée sur les fonts baptismaux du journal officiel et est désormais connue sous le doux sobriquet de loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, et si vous êtes vraiment très intime, JUSX0755260L.

Elle est parue au journal officiel du 11 août, soit samedi dernier, et est donc entrée en vigueur dimanche à zéro heure (depuis une ordonnance de février 2004, il n'y a plus de délai d'un jour franc entre la publication de la loi et son entrée en vigueur).

Et lundi, le tribunal de Nice s'est vu décerner par la presse les lauriers du premier tribunal à faire application de cette loi. Sans vouloir retirer un quelconque mérite aux très honorables juges niçois, je ne suis pas sûr que des 181 tribunaux correctionnels de France, celui de Nice soit bien le premier à avoir prononcé une telle peine, le critère retenu pour attribuer ce titre n'étant pas précisé (Ordre de l'affaire au rôle ? Heure du prononcé ?). Je pense que sa localisation sur la côte d'azur a dû aider à attirer l'attention des journalistes sur cette affaire en cette période estivale.

Deux voleurs récidivistes ont été arrêtés, sans nul doute pour des faits commis dimanche après zéro heure, qualifiés de vol aggravé par deux circonstances : la réunion (ils étaient deux) et l'effraction (bris de la vitre d'une voiture). Butin conséquent : 7000 euros (l'essence est hors de prix à Nice, visiblement) outre un téléphone, un lecteur MP3 et des sacs. Le tribunal,saisi en comparution immédiate, a retenu la récidive, soit qu'elle soit dans la citation, soit que le parquet n'ait demandé à l'audience, soit que le tribunal l'ait soulevé d'office, du fait des 18 condamnations ornant le casier judiciaire des prévenus.

Le tribunal a donc prononcé une peine de trois années d'emprisonnement ferme, avec maintien en détention. Ce qui est exactement la peine plancher du nouveau dispositif : le vol aggravé par deux circonstances fait encourir sept années d'emprisonnement, donc le plancher est à trois ans. C'est ce qu'a requis le parquet, et qu'a prononcé le tribunal. La loi les y invitait et surtout les dispensait de toute motivation autre que "Vu l'article 132-19-1 du Code pénal..." Et je vous laisse imaginer le désarroi de mon confrère qui devait établir qu'en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de ses auteurs ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par ceux-ci, une peine plus légère s'imposait.

Y a-t-il à redire sur cette application de la loi ?

Pas grand chose, car comme mes lecteurs le savent désormais fort bien, ce n'est pas sept années qu'encouraient les prévenus, mais quatorze, puisque la récidive double le maximum encouru.

Nous avons donc deux prévenus qui comparaissent devant un tribunal correctionnel pour la dix neuvième fois, une au moins de leurs dix huit mentions précédentes étant due à un vol pour fonder la récidive, qui encourent donc jusqu'à quatorze ans de prison et qui en prennent trois, soit 21% du maximum encouru.

Nice n'est pas réputé être un tribunal indulgent, inspiré en cela par sa cour d'appel dont la simple évocation fait trembler les pénalistes parisiens (moi-même, je suis pris d'un frisson en écrivant ces lignes, et ça ne peut pas être le temps qu'il fait, nous sommes en plein mois d'août).

Je doute donc, mais en appelle ici à mes confrères Niçois (au fait : où trouvez vous le courage de faire appel ?), que le tribunal, sans la loi sur la récidive, eut fait preuve d'une plus grande bienveillance dans le quantum de sa peine. Il n'est même pas impossible que la loi proposant ici une solution toute faite ait dissuadé le tribunal d'aller voir plus haut dans l'échelle des peines si l'inspiration ne les y attendait pas. Il aurait été intéressant de savoir quelles avaient été les peines préalablement prononcées et pour quels faits. Le tribunal en fait toujours mention, en tout cas des dernières, lors des débats. Mais pour cela, i laurait fallu qu'un journaliste soit présent dans la salle...

En fait, cette affaire est si caricaturale (18 condamnations, c'est quand même rare) qu'elle ne saurait démontrer le bien fondé ou au contraire le risque d'effet pervers de cette loi. Attendons de voir si le risque qu'évoque un parquetier se réalise :

Que feront les juges quand, par exemple, une personne comparaîtra pour 3 ou 4 vols à l'étalage - vol simple en récidive ? Il serait étonnant qu'ils condamnent, pour un délit mineur, le voleur à une peine plancher d'un an ferme. Ce que désormais les textes prévoient...

Assurément, ce magistrat voulait dire pour son troisième ou quatrième vol à l'étalage : le fait d'être cité pour plusieurs délits différents ne crée pas ipso facto la récidive, car vous le savez désormais presque aussi bien que lui, il faut que le premier terme soit une condamnation antérieure et définitive. Mais le simple fait qu'un parquetier rechigne à l'idée d'invoquer le nouvel article 132-19-1 du code pénal pour une telle hypothèse me conforte dans ma conviction que la récidive sera aisément oubliée dans la citation, ou serait-elle présente que le tribunal trouverait aisément des circonstances dans l'infraction, des éléments de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci pour justifier d'écarter cette application trop mécanique.

Illustration de ce qui est un de mes dadas : ne touchons jamais au pouvoir du juge de corriger l'application de la loi. Cela nous met à l'abri de lois se voulant automatiques, et qui automatiquement finissent tyranniques.

Technorati Profile

vendredi 10 août 2007

La décision du conseil constitutionnel sur les peines plancher

Comme annoncé, voici le détail de la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs. Appellation trompeuse, car elle ne renforce pas la lutte mais uniquement la répression. Comme pour la loi sur le service minimum, vous allez voir que la loi ne va pas aussi loin que les discours électoraux semblaient l'annoncer.

On parlait de rupture ; pour le moment, le président plie mais ne rompt point. Ici en tout cas, je m'en réjouis.

La loi se divise en trois volets, chacun ayant fait l'objet d'une contestation : les peines minimales pour les majeurs récidivistes, la suppression de l'excuse de minorité pour les mineurs de 16 ans ou plus en cas de récidive, et l'impossibilité pour un détenu condamné refusant une injonction de soin de bénéficier de la libération conditionnelle.

1. Les peines minimales pour les majeurs récidivistes.

La loi s'appliquera dès sa promulgation à tous les faits commis en récidive après l'entrée en vigueur de cette loi. Elle prévoit que quand le tribunal déclare un prévenu coupable de faits commis en état de récidive légale (sur la définition de la récidive, voir ce billet) et faisant encourir au moins trois années d'emprisonnement, il doit prononcer une peine égale au minimum à :

- un an si le délit est puni de trois années d'emprisonnement (exemple : vol simple, violences volontaires entraînant au moins 8 jours d'incapacité totale de travail sans séquelles définitives) ;
- deux ans si le délit est puni de cinq années d'emprisonnement (exemple : agression sexuelle, escroquerie, séquestration de moins de sept jours, vol commis dans un train ou une gare, violences avec arme OU en réunion entraînant au moins 8 jours d'incapacité totale de travail sans séquelles définitives) ;
- trois années si le délit est puni de sept années d'emprisonnement (exemple : agression sexuelle sur mineur de 15 ans, extorsion, escroquerie aggravée, vol avec violences entraînant moins de 8 jours d'incapacité totale de travail sans séquelles définitives) ;
- quatre années si le délit est puni de dix années d'emprisonnement (exemple : trafic de stupéfiant, violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une séquelle définitive, vol avec violences entraînant au moins 8 jours d'incapacité totale de travail sans séquelles définitives.

De même, quand une cour d'assises rend un verdict de culpabilité pour une accusation de faits commis en état de récidive légale, elle doit prononcer une peine au minimum égale à :

- cinq années si le crime est puni de quinze années de réclusion criminelle (exemple : vol en bande organisée, viol, violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner) ;
- sept années si le crime est puni de vingt années de réclusion criminelle (exemple : vol à main armée, viol sous la menace d'une arme ou par plusieurs personnes, séquestration de plus de sept jours) :
- dix années si le crime est puni de trente années de réclusion criminelle (exemple : meurtre, empoisonnement, vol à main armée en bande organisée) ;
- quinze années si le crime est puni de la réclusion criminelle à perpétuité (exemple : assassinat, viol accompagné de tortures et actes de barbarie).

Vous aurez remarqué que le législateur suit le barème posé dans le code pénal.

La loi prévoit une dérogation au principe de la peine plancher : la juridiction peut prononcer une peine inférieure à ces seuils et, en matière délictuelle, une peine autre que l'emprisonnement en motivant son jugement en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.

En cas de deuxième récidive de crime, la cour d'assises peut encore passer outre la peine plancher si elle considère que l'accusé présente « des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion » ; si c'est un délit de violences volontaires, un délit commis avec la circonstance aggravante de violences, un délit d'agression ou d'atteinte sexuelle ou un délit puni de 10 ans d'emprisonnement, le tribunal correctionnel devra là aussi relever de telles garanties.

Les autres délits commis en deuxième récidive gardent le même régime que la première récidive, mais je vous laisse imaginer la difficulté qu'il y a pour un avocat à expliquer à un tribunal que son client qui en est à son troisième ou quatrième vol a commis l'infraction dans des circonstances qui justifie que le tribunal déroge à la règle, ou qu'il a des garanties de réinsertion satisfaisantes. J'entends le procureur pouffer d'ici...

Pourquoi alors prévoir une possibilité, pour un meurtrier jugé pour son troisième homicide, d'aller en dessous de dix années d'emprisonnement ? Parce qu'il y a des meurtriers applaudis par tout le monde. Les médecins qui euthanasient un patient commettent un meurtre, et sont jugés par les cours d'assises. Ils sont parfois acquittés contre l'évidence, ou sinon condamnés au minimum légal : un an avec sursis. Ces praticiens revendiquent souvent leur geste, et sont même soutenus par la famille de la victime. Les peines plancher appliquées aveuglément à leur cas impliqueraient qu'au deuxième patient, ce serait une peine de dix ans sans sursis au minimum. Je ne suis pas sûr que c'est ce que veut l'opinion publique. Le législateur n'ayant pas le courage de légiférer sur cette douloureuse question, c'est la moindre des choses qu'il laisse une porte de sortie à ceux qui font le sale boulot.

Un détail qui a son importance : dans le cas de la récidive de délits, la peine plancher est toujours inférieure à cinq années, c'est à dire qu'elle peut par ailleurs être assortie du sursis simple ou avec mise à l'épreuve si le prévenu remplit les conditions. Pour ces conditions, voyez ce billet. Oui, je finirai par faire de vous des pénalistes accomplis.

Enfin, pour que la peine plancher s'applique, il faut que la récidive soit mentionnée dans la décision, ce qui suppose que le parquet ait poursuivi en visant la récidive, ou, si on le découvre à l'audience en lisant le casier judiciaire, que le tribunal, à la demande du parquet, de la partie civile ou d'office, requalifie les faits en ajoutant la récidive. Il peut parfaitement arriver à l'audience que tout le monde regarde ailleurs et que la récidive ne soit pas visée dans le jugement, ce qui sera un moyen très pratique d'écarter l'application de cette loi sans devoir recourir à une motivation spéciale, mais il faudra que toutes les parties soient d'accord, une peu comme dans la correctionnalisation judiciaire.

Le Conseil constitutionnel écarte les arguments des parlementaires qui estimaient que cette loi était contraire au principe d'individualisation des peines en relevant que la loi prévoit la possibilité de déroger à cette règle pour des motifs d'individualisation et que la récidive supposant une certaine gravité des faits, la loi ne porte pas non plus atteinte au principe de la nécessité de la peine.

Il va toutefois apporter une précision qui n'est pas contenue dans la loi et qui pourra voir son importance. Il décide par ce qui ressemble à une réserve d'interprétation que les peines planchers ne sont pas applicables aux faits commis par une personne atteinte au moment des faits d'un trouble psychique ou neuropshychique ayant altéré son discernement, c'est à dire aux déments léger (les déments complets sont irresponsables pénalement). C'est une précision heureuse. Un kleptomane chronique échappera à cette règle (mais pas à la condamnation) en démontrant son état. Là, le Conseil va très loin dans l'interprétation. Ce genre de précision aurait plus eu la place dans un amendement parlementaire, et le Conseil, sans en avoir l'air, tape sur les doigts du législateur d'avoir laissé passer une telle boulette. Sans être dans le secret des dieux, qu'il me soit permis de voir ici la patte de Guy Canivet, ancien premier président de la cour de cassation, à qui ce détail n'a probablement pas échappé.

2. Sur l'excuse de minorité.

L'ordonnance du 2 février 1945 (qui n'a plus de 1945 que la date, ce texte étant parmi les plus instables du droit français) pose les règles applicables aux poursuites des mineurs. Elle prévoit (articles 20-2) que le mineur de plus de 13 ans peut être condamné à une peine de droit commun, mais qu'il bénéficie toutefois de l'excuse de minorité, qui réduit de moitié le maximum encouru. Le voleur de 14 ans risque donc 18 mois de prison au maximum, le meurtrier 15 ans au maximum, et l'assassin 20 ans (la loi considère que la moitié de la perpétuité, c'est 20 ans, ce qui est singulièrement pessimiste sur l'avenir de l'humanité). Pour le mineur de 16 ans ou plus, la juridiction pénale peut décider d'écarter l'excuse de minorité, dans le cas où elle envisage de prononcer une peine supérieure à la moitié du maximum encouru (deux années pour un vol simple, puni de trois années d'emprisonnement, par exemple).

La loi examinée par le Conseil constitutionnel déclare applicable aux mineurs récidivistes de 13 ans ou plus la règle des peines plancher que nous venons d'étudier, à ceci près que les planchers sont réduites de moitié : l'excuse de minorité s'applique aussi ici.

[Paragraphe mis à jour] : De plus, elle ajoute un cas où le tribunal pour enfants peut décider de passer outre l'excuse de minorité : « 1° Lorsque les circonstances de l’espèce et la personnalité du mineur le justifient ; 2° Lorsqu’un crime d’atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne a été commis en état de récidive légale ; 3° Lorsqu’un délit de violences volontaires, un délit d’agression sexuelle, (ce qui est le droit actuel, voici l'ajout en italiques : ) un délit commis avec la circonstance aggravante de violences a été commis en état de récidive légale.»

La juridiction doit toutefois motiver sa décision d'écarter l'excuse de minorité, sauf dans l'hypothèse du 3° où elle en est dispensée mais elle n'est pas obligée de motiver sa décision de l'appliquer quand même, contrairement à ce qui est prévu pour les majeurs. L'obligation de motiver l'application de l'atténuation de peine n'apparaît que pour une deuxième récidive, dans les hypothèses 2° et 3°.

Enfin, précise la loi, seule une peine peut constituer le premier terme de la récidive, et non les mesures ou sanctions éducatives prévues par l'ordonnance du 2 février 1945.

Comme vous voyez, on est loin, très loin de "la suppression de l'excuse de minorité pour les mineurs récidivistes" du candidat Sarkozy. Ca me rappelle le coup de la suppression de la double peine par le même...

Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel fait là aussi rapidement un sort au recours des parlementaires :

Considérant que les dispositions critiquées maintiennent le principe selon lequel, sauf exception justifiée par l'espèce, les mineurs de plus de seize ans bénéficient d'une atténuation de la peine ; que, si cette dernière ne s'applique pas aux mineurs de plus de seize ans lorsque certaines infractions ont été commises une nouvelle fois en état de récidive légale, la juridiction peut en décider autrement ;

ajoutant que le principe demeure qu'une mesure éducative est prononcée, la peine n'étant qu'exceptionnelle. Bref, que ce texte aura très rarement vocation à s'appliquer, ne concernant qu'un mineur ayant commis tellement de faits graves qu'après une batterie de mesures éducatives sans effet, il aura été condamné définitivement une première fois (il peut faire appel), puis une deuxième fois (il peut encore faire appel), puis comparaît une troisième fois, tout en étant encore mineur ; ce qui suppose qu'il a probablement commencé sa carrière criminelle in utero.

3. L'injonction de soin.

Je passerai rapidement sur ce point. C'est une mesure sans lien direct avec la récidive, qui prévoit qu'une injonction de soin peut être prononcée par un juge lors de la condamnation ou au cours de l'exécution de la peine, et que ne pas s'y soumettre empêche de bénéficier de la libération conditionnelle et des réductions de peine. Les parlementaires critiquaient l'automaticité de cette mesure alors que le texte prévoit expressément qu'elle doit être prononcée par un juge et que dans la seule hypothèse où elle est posée comme un principe, le juge peut néanmoins y déroger, bref qu'il n'y avait aucune automaticité.




Je n'aime toujours pas cette loi ; mais elle a été sérieusement castrée par rapport aux effets d'annonce, et surtout elle respecte le pouvoir d'adaptation de la sanction par le juge. Elle aura des conséquences sur les peines prononcées, c'est certain. Le juge condamnant un récidiviste pourra se permettre de viser le nouvel article 132-19-1 du Code pénal et prononcer la peine plancher sans se casser la tête outre mesure. Il faudra que nous, avocats de la défense, lui démontrions l'intérêt qu'il y a à se casser un peu la tête en cours de délibéré, et lui proposer la motivation idoine "clefs en mains". A nous de nous adapter, mais qui d'entre nous a choisi ce métier pour sa facilité ?

De plus, nous avons un moyen de pression, dont le parquet tiendra compte. Je pense aux comparutions immédiates. Là, je m'adresse plus à mes confrères, et aux magistrats. Pardonnez, si vous n'êtes pas praticien du pénal, le caractère un peu abscons des observations qui vont suivre.

Les CI ont leur lot de récidivistes. La tentation sera grande pour le tribunal de saisir la perche tendue par le législateur pour prononcer la peine plancher par un jugement sommairement motivé. Et là, nos clients sont confrontés à au moins un an de prison ferme (on est en comparution immédiate, le maintien en détention est fréquent, et pour de tels quantum, c'est de facto la règle).

Conséquence : si le parquet vise la récidive, il faudra dire au prévenu de refuser d'être jugé tout de suite. Il est inacceptable de défendre un prévenu encourant très probablement un, deux, trois ou quatre années d'emprisonnement ferme, "à poil", c'est à dire sur le seul dossier du parquet (C'est une expression de pénaliste, chers confrères, gardez votre robe...). Il nous faudra démontrer au tribunal que les circonstances de l'infraction, la personnalité de son auteur ou ses garanties d'insertion ou de réinsertion justifient de prononcer une peine inférieure à ces seuils voire une peine autre que l'emprisonnement. Pour ça, on a besoin de pièces, il n'y a pas de mystère. Or les délais de renvoi sont largement inférieurs même au premier plancher : l'audience de jugement doit avoir lieu dans les six semaines, ou deux mois si le délit est puni de sept ans ou plus, c'est à dire que le prévenu encourt trois ou quatre ans fermes (art. 397-1 du CPP). Il n'y a pas photo : on échange un mois et demi à deux mois de détention certaine contre une condamnation à trois ou quatre ans au moins.

Donc, si le parquet ne veut pas se retrouver avec des comparutions immédiates se résumant à des débats sur la détention, et des audiences de renvoi surchargées, il devra choisir les cas où il veut invoquer les peines plancher, en les réservant aux cas les plus graves, et "oublier" la récidive pour des B1 encore étiques. Donnant donnant. Et si un parquetier un peu sournois ne visait pas la récidive dans la citation, mais la soulevait lors de l'audience, après renonciation au délai pour préparer sa défense, non seulement le quantum de la peine prononcée justifie un appel qui ne pourra pas faire obstacle à une libération de fin de peine comme c'est le cas pour les peines légères, donc risque de surcharger les chambres des appels correctionnels, rarement saisies après une CI, mais en plus la réaction des avocats sera de conseiller à leurs clients de refuser d'être jugé tout de suite chaque fois que le B1 révèle une récidive même si le parquet ne l'a pas visé dans sa citation. Toujours donnant donnant.

Un peu de coordination tactique au sein des barreaux ne fera pas de mal ici, même si le peu d'enthousiasme de la part des magistrats avec qui j'ai discuté de cette loi me laisse à penser qu'un tel rapport de force ne sera pas souvent nécessaire.

Bref, soupirons face à ce nouveau dispositif qui va encore un peu compliquer la vie des magistrats et des avocats, sans avoir d'influence notable sur la récidive, en attendant le prochain dispositif-annonce.

Sauf à, ce qui serait un effet amusant, les conséquences du visa de la récidive que je viens d'expliquer poussent le parquet à "l'oublier" un peu plus souvent pour éviter des renvois ou des débats sensiblement plus longs, ce qui aurait pour effet mathématique de faire baisser les statistiques de la récidive, et permettrait donc au gouvernement de triompher de ses résultats à bon compte, sans que la réalité n'ait changé en quoi que ce soit.

mercredi 8 août 2007

L'affaire "La Rumeur"

Le 11 juillet dernier, la cour de cassation a rendu un arrêt cassant l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 22 juin 2006, qui avait relaxé le président d'EMI et l'un des membres du groupe de rap "La Rumeur" du chef de diffamation à l'encontre d'une administration.

Les faits étaient les suivants.

La société Electronic & Musical Industry Musique France (EMI) a édité en 2002 l'album d'un group de rap appelé "La Rumeur", album dont le titre est "L'Ombre sur la mesure". Cet album était distribué avec un livret intitulé "La Rumeur Magazine" où figurait un article intitulé "Insécurité sous la plume d'un barbare".

Dans cet article, écrit par le chanteur du groupe, Mohamed Bourokba, dit "Hamé", on pouvait lire entre autres les passages suivants (l'intégralité de l'article peut être lu ici) :

Les rapports du ministre de l'intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu'aucun des assassins n'ait été inquiété ;

(...)

La justice pour les jeunes assassinés par la police disparaît sous le colosse slogan médiatique Touche pas à mon pote ;

(...)

La réalité est que vivre aujourd'hui dans nos quartiers c'est avoir plus de chance de vivre des situations d'abandon économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l'embauche, de précarité du logement, d'humiliations policières régulières ;(...)

Le ministre de l'intérieur de l'époque, que des mauvaises langues accusaient d'aspirer à de plus hautes fonctions, avait porté plainte pour diffamation publique envers une administration publique, en l'espèce la police nationale.

La 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris avait relaxé les prévenus, confirmée en cela par la 11e chambre de la cour d'appel de Paris, qui a estimé que le premier et le deuxième passages ne mettent pas en cause la police nationale, mais l'ensemble des acteurs politiques et sociaux des vingt ou trente dernières années, et que les propos litigieux ne peuvent caractériser le délit de diffamation en raison de leur imprécision et de leur caractère outrancier.

La cour de cassation reprend sèchement la cour d'appel de Paris, en objectant que constitue une diffamation envers une administration publique ne pouvant être justifiée par le caractère outrancier du propos, l'imputation faite aux forces de police de la commission, en toute impunité, de centaines de meurtres de jeunes des banlieues. Donc, estime la cour de cassation, la cour d'appel de Paris a méconnu le sens et la portée de la loi du 29 juillet 1881 réprimant la diffamation en son article 29. L'arrêt est donc cassé, c'est à dire annulé, et l'affaire sera jugée à nouveau par la cour d'appel de Versailles.

Philippe Bilger approuve, lui qui a été longtemps procureur à la 17e chambre du tribunal de Paris, en précisant que cet arrêt de la cour de cassation est « d'une insigne et triste banalité », et s'agaçant des réactions outrancières que cette décision aurait selon lui causé. On peut supposer qu'il pense entre autre à ce commentaire collectif du goupe sur son site : « Dans un pays, aujourd'hui, toujours tenté par un retour à une censure d'état digne des pages les plus honteuses de son histoire, on vous laisse imaginer le pire. »

Bon, que dit cet arrêt, au juste ?

Philippe Bilger a raison de souligner qu'il est très banal. La chambre criminelle de la cour de cassation s'est d'ailleurs abstenue de mentionner cet arrêt sur son site parmi les décisions dignes d'intérêt (elle a rendu le même jour un très bel arrêt en matière des droits de la défense que tout avocat pénaliste lira avec intérêt) et cet arrêt ne sera pas publié non plus dans les diverses publications de la cour.

En effet, la diffamation publique implique de tenir publiquement des propos imputant à une personne identifiée ou identifiable, ou une administration publique identifiable, des faits de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération. Contrairement à l'injure, qui consiste en des propos outrageants ne contenant l'imputation d'aucun fait, la diffamation suppose des faits précis pouvant faire l'objet d'un débat quant à leur réalité ou non. En effet, dans certains cas et à certaines conditions (pour les connaître, relisez vos classiques), apporter la preuve de la réalité du propos diffamatoire permet d'échapper à la sanction.

La différence est parfois subtile, car un propos à première vue diffamatoire peut, par son caractère outrancier, exclure tout débat contradictoire et dégénérer en injure[1]. Or les règles de procédure protègent celui qui est poursuivi pour diffamation alors qu'il a injurié ou vice versa : il sera relaxé.

La cour d'appel de Paris a fondé sa relaxe sur deux arguments. D'une part, les propos ne viseraient pas une administration publique, mais « l'ensemble des acteurs politiques et sociaux des vingt ou trente dernières années », foule trop vaste et aux contours trop imprécis (vingt, ou trente dernières années ?) pour être un tout identifiable. D'autre part, les propos tenus par le chanteur seraient tellement outranciers et imprécis qu'en fait, il s'agissait d'une injure et que la qualification retenue était erronée.

Vous voyez, la cour d'appel n'a à aucun moment approuvé le texte litigieux. Elle s'est contentée de dire que ce texte injuriait un peu tout le monde, ce qui n'est pas une diffamation de la police.

Une telle analyse, certes très favorable à la liberté d'expression ne résistait pas à l'examen. Les trois passages cités au début mentionnent expressément la police, ce qui exclut l'argument de la victime non identifiable.

Le premier parle de centaines de jeunes de banlieue assassinés (ce qui implique la préméditation), le deuxième reprend l'allusion, ce qui est un crime donc par essence susceptible de débat contradictoire, tandis que le troisième parlant d'humiliations régulières, implique que la police se livre habituellement à des abus de pouvoir sur des bases discriminatoires, ce qui est un délit. Ils n'ont rien d'outrancier dans leur formulation (comme l'est le célèbre "CRS=SS !"). D'ailleurs, lors du procès devant la 17e chambre du tribunal, le chanteur a lu à la barre une liste de noms de jeunes morts des suites de violences policières. Elle faisait une vingtaine de noms, soit 180 de moins que le minimum nécessaire pour parler de "centaines", mais cela implique bien que l'auteur assume l'accusation, et ne visait donc pas à injurier mais bien à imputer des assassinats à la police nationale, ce qui caractérise la diffamation.

La cour de cassation n'était pas ici confrontée à un problème de droit très compliqué. Les propos litigieux sont diffamatoires, et non injurieux, et ils sont précis. La cour d'appel ne pouvait pas relaxer sur ces fondements. Sa décision ne pouvait qu'être cassée.

La personnalité du ministre de l'intérieur a conduit ses adversaires politiques à contester cette décision pour des motifs politiques. C'est ainsi que le débat est vicié d'entrée. Les conseillers à la cour de cassation ne sont pas aux ordres d'un ministre fut-il devenu président de la République, et leur décision est juridiquement parfaitement fondée, tout étudiant ayant fait du droit de la presse aurait pu prévoir le sens de cette décision.

La seule décision politique a été de déposer plainte au début. Elle est l'exercice d'un choix entre la tolérance et la liberté d'expression et le respect et l'honnêteté dues à la police. On peut critiquer le choix qui a été fait, même si personne n'accusera le ministre de l'époque d'incohérence avec ses idées à cette occasion. On peut pousser un peu dans la mauvaise foi en rappelant ses propos tenus lors de l'affaire des caricatures du prophète ("je préfère l'excès de liberté d'expression à l'excès de censure") en considérant que condamner une diffamation est nécessairement un excès.

Mais juridiquement, cette décision est irréprochable. Les juges ne peuvent apprécier l'opportunité de l'action dont ils sont saisis. Ils doivent trancher en droit, c'est ce qu'ils ont fait.

Notes

[1] Exemple : Papa, prête moi ta voiture. - Non, mon fils, tu n'as pas le permis. - Pfff, t'es vraiment un nazi.

mardi 10 juillet 2007

CNE, suite : Ceteris Paribus veut signer le certificat de décès.

Ceteris Paribus, dont je salue la résurrection du blog après un long sommeil, veut avoir le monopole de la vie après la mort et émet une respectueuse opinion dissidente à mon billet d'hier et insiste pour débrancher le respirateur du CNE.

Voilà qui me permet un commentaire un peu plus détaillé, la citation de l'arrêt de la cour m'ayant conduit à faire un billet fort long, et contraint à limiter mes commentaires.

Son argument le conduisant à être le fossoyeur du CNE est le suivant : la question principale n'est pas celle du motif de licenciement (doit-il être réel et sérieux, ne pas être abusif, ou être simplement valable ? Doit-il être notifié préalablement ou révélé devant le juge ?) mais celle de la procédure. L'article 7 de la convention 158 interdit le licenciement pour motifs personnels ou de travail sans que le salarié n'ait été eu la possibilité de s'expliquer. Si l'ordonnance du 2 août 2005 n'exclut pas la procédure spéciale en matière disciplinaire, elle en dispense bel et bien l'employeur pour des motifs liés au travail, ce qui caractérise la violation de la convention 158, et donc impose de signer le certificat de décès.

If I may answer...

Avec tout le respect que j'ai pour Ceteris Paribus, et il sait qu'il est grand, le raisonnement qu'il fait ici est un pur raisonnement de droit public appliqué à un problème de droit privé (ce qui me fait penser que ma note en la matière devient urgente). Le publiciste a l'habitude de juger de la légalité d'un acte, et de l'anéantir si ce principe de légalité n'est pas respecté. Le juge administratif, et en dernier lieu le Conseil d'Etat a le pouvoir de réduire à néant jusqu'aux décrets et ordonnances du gouvernement. Et c'est ce que fait Ceteris Paribus ici : il prend l'ordonnance du 2 août 2005, qui crée le CNE, il la compare à une norme supérieure (une convention internationale), constate que la première ne respecte pas les règles de la seconde, et en déduit l'illégalité de la première.

Le droit privé est plus souple dans son raisonnement, et c'est la rigidité dont fait preuve la cour d'appel de Paris que je critique précisément. Pour ma part, je pense qu'une interprétation de l'ordonnance du 2 août 2005 à la lumière de la convention 158 était possible, l'incompatibilité n'étant pas absolue. En l'espèce, il suffisait d'exiger de l'employeur, qui sait pourquoi il rompt le contrat, que préalablement à une rupture pour cause de travail, il donne à son salarié la possibilité de s'expliquer, sans avoir pour autant besoin de respecter les formalités de l'entretien préalable, qui ne sont pas exigées par la convention 158.

S'il rompt un CNE pour motifs lié au travail, et n'apporte pas la preuve qu'il a mis le salarié en mesure d'apporter ses explications (même par e-mail : "Cela fait trois jours que j'attends les contrats du dossier Ceteris et que vous me dîtes que vous me les enverrez le lendemain, mais je n'ai toujours rien reçu ; pourriez vous m'expliquer les raisons de ce retard ? La semaine dernière, j'ai déjà dû attendre deux jours pour une simple lettre à la société Paribus. Ca commence à faire beaucoup, je vous ai déjà manifesté mon mécontentement. J'attends vos explications avant de prendre une décision vous concernant."), il sera condamné pour un licenciement non valable au sens de l'article 7 de la convention 158.

On m'objectera que le CNE devient une usine à gaz, puisqu'il faut, outre le texte de l'ordonnance, tenir compte d'un autre texte et appliquer le premier en l'adaptant au second. Je suis d'accord. C'est le résultat inévitable de l'empilement de textes qui semble être la seule forme de réforme que les gouvernements successifs ont été capables de faire. Tout nouveau texte crée des zones d'ombre que les premières jurisprudences permettent d'éclairer. Les règles de compatibilité seront donc posées par la jurisprudence, et la chambre sociale de la cour de cassation a du pain sur la planche pour encore longtemps.

Mais franchement, la solution de la cour d'appel de Paris est-elle meilleure, qui écarte l'ordonnance en bloc, requalifie le CNE en CDI et constate que la rupture est automatiquement fautive pour l'employeur faute de lettre de licenciement motivée ? Et condamne un employeur à 15.000 euros de dommages intérêts pour un CNE qui a duré deux mois ?

Mise à jour : Perseverare diabolicum, Ceteris Paribus itère ses remontrances.

mardi 26 juin 2007

Essayons de comprendre

J'ai été surpris de voir au zapping d'une célèbre chaîne cryptée un de mes confrères marseillais, ayant pourtant un certain passif au pénal, exposer face aux caméras de télévision son impuissance à expliquer à ses clients la décision du juge des libertés et de la détention de Marseille de placer sous contrôle judiciaire le policier qui conduisait le véhicule qui a tué un garçon de 14 ans qui traversait sur un passage piéton. Il est vrai qu'il n'était pas présent lors du débat contradictoire qui se tient à huis clos, hors la présence de l'avocat des parties civiles.

Ayant un peu moins d'années de métier que lui, et étant d'une confraternité qui a fait ma réputation jusqu'au tribunal d'instance de Gonesse, je me propose de le lui expliquer, et en même temps à vous, chers lecteurs, avant que des mauvais esprits ne vous soufflent que seule la profession du mis en examen explique une telle décision. Elle a joué, sans nul doute, mais elle seule n'explique pas tout.

A titre préalable, je vous propose une piqûre de rappel : j'avais proposé fut un temps un petit jeu de rôle vous permettant de vous glisser dans la peau d'un juge des libertés et de la détention (JLD), et la solution réelle donnée à ces cas se trouve ici. Ces billets vous apprendront tout ce que vous avez à savoir sur une audience de JLD.

Maintenant, essayons de nous mettre à la place de ce juge.

L'affaire est grave : un adolescent de 14 ans est mort. Le procureur de la république a ouvert une information judiciaire, confiée au cabinet de votre collègue le juge Machin, qui vient de mettre le policier en examen. C'est d'ailleurs le juge Machin qui vous demande d'envisager le placement en détention du policier, car il estime, comme le procureur qui a pris des réquisitions en ce sens, que le contrôle judiciaire est insuffisant. D'ailleurs, le parquet est présent dans votre bureau pour vous le rappeler et vous demander le placement sous mandat de dépôt.

Le JLD a lu le dossier ; pas nous. Nous en savons ce que la presse a pu révéler : le véhicule roulait fort vite, largement au dessus de la vitesse autorisée en ville. Il se rendait sur un lieu d'intervention, mais l'enquête de police a révélé que cette intervention ne revêtait aucune forme d'urgence qui pouvait justifier que le véhicule s'affranchisse des règles normales de conduite. La victime traversait sur un passage piéton. Le feu gardant le passage était-il rouge ou vert ? Les témoignages divergent sur ce point. Le conducteur a-t-il fait usage de sa sirène pour signaler son arrivée ? Là aussi, les témoignages divergent.

Le JLD a devant lui le mis en examen, il peut l'interroger, il l'entend parler des faits ; pas nous. Nous ne pouvons donc nous reposer là dessus. Tout ce que nous savons est qu'il a 22 ans, est policier stagiaire, c'est à dire en fin de phase de formation. On peut aisément en déduire qu'il n'a aucun casier ni même de signalement négatif au STIC.

Rappelons ici la règle :

La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle constitue l'unique moyen :
1º De conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes et leur famille, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ;
2º De protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement ;
3º De mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé.

« L'unique moyen » : s'il y a un autre moyen, il ne faut pas décerner mandat de dépôt.

Alors, voyons. Peut-on craindre que ce jeune homme aille maquiller les preuves ? Non, les constatations ont déjà été faites sur place, cette affaire étant considérée comme prioritaire. Qu'il fasse pression sur les témoins ? Un policier stagiaire de 22 ans ? Alors que les témoins ont déjà été entendus pendant la garde à vue ? Ca peut paraître douteux, non ?

Pression sur la victime, sans commentaire, hélas. Concertation frauduleuse avec ses complices ? Il était seul au volant, il est seul responsable.

Protéger la personne mise en examen ? Quelle que soit la douleur de la famille de la victime, ce serait lui faire injure que de soupçonner qu'elle pourrait exercer des représailles. Tout indique que c'est une famille sans histoire et honnête.

Garantir son maintien à disposition de la justice ? Peut-on sérieusement redouter que ce jeune homme prenne la fuite à l'étranger pour échapper aux conséquences de son acte ? Mettre fin à l'infraction ? Trop tard, hélas. Prévenir son renouvellement ? Là encore, qui peut croire qu'il va recommencer à conduire imprudemment en ville après ce qui s'est passé ?

Reste le dernier argument, et je parie que c'est autour de celui-ci que le débat a été le plus animé : mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé. Là, on est en plein dedans. Il y a un trouble à l'ordre public, car il y a eu mort d'homme, à cause de l'imprudence d'un policier, dépositaire de l'autorité publique ; ce fait divers a attiré l'attention des médias nationaux, et l'émotion publique est forte. Il est même possible que la décision de requérir un mandat de dépôt vienne du chef du parquet en personne, j'ai nommé Madame Rachida Dati, Garde des Sceaux. La détention provisoire est-elle le seul moyen de mettre fin à ce trouble ? Oui ! a dû s'exclamer le procureur, pensant aux caméras et micros qui l'attendent et à la famille de la victime. Non ! a dû clamer l'avocat de la défense : outre les obligations pouvant assortir le contrôle judiciaire, il y a en plus les mesures administratives qui ont été prises : le policier est mis à pied, et se verra probablement interdire l'accès aux fonctions de policier. Il ne ressortira pas comme si de rien n'était reprendre le volant d'une voiture de police. Le trouble public aura donc pris fin, conclura l'avocat de la défense.

Vous voyez, il n'y a pas de solution évidente. Le mandat de dépôt ou le contrôle judiciaire étaient deux solutions envisageables. Que la liberté l'emporte dans ce cas est tout à fait normal.

Mais surtout, il y a un ultime argument, qui a dû je pense être soulevé par l'avocat de la défense et qui était de nature à faire basculer définitivement l'esprit du juge en faveur de la liberté.

C'est qu'une loi du 5 mars 2007, tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale, entre en vigueur le 1er juillet, c'est à dire dimanche prochain, qui modifie ce fameux 3° de l'article 144 du code de procédure pénale. Dimanche à zéro heure, ce texte deviendra le suivant :

La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de (...) Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l'affaire. Toutefois, le présent alinéa n'est pas applicable en matière correctionnelle.

A partir de dimanche, la loi ne permet plus de placer quelqu'un en détention provisoire à cause du trouble à l'ordre public, cet argument n'étant valable qu'en matière criminelle. Bref, si le JLD avait placé sous mandat de dépôt en raison du trouble à l'ordre public, qui est le seul motif qui pourrait être valablement retenu, la chambre de l'instruction saisie par la voie de l'appel n'aurait pas eu d'autre choix que de remettre ce policier en liberté, à cause de la disparition du fondement légal de l'emprisonnement.

Qu'un juge rechigne à prendre une décision privant un homme de sa liberté, décision qui six jours plus tard sera devenue illégale, est-ce vraiment incompréhensible ? Fallait-il emprisonner quand même ce jeune homme, en se disant "tant pis, légalement, c'est border line mais ça soulagera peut être la famille de la victime ?"

Il est loisible à chaque citoyen de commenter voire critiquer une décision de justice. Personne n'est obligé d'approuver le JLD de Marseille. Mais reconnaissons lui quand même à l'unanimité qu'il a très probablement bel et bien statué en droit, et n'a pas été aveuglé par la profession de l'auteur des faits.

jeudi 21 juin 2007

La Cour de Cassation met le holà à l'adoption au sein des couples homosexuels

Ce billet traînait dans mes cartons depuis longtemps : il aurait dû être publié en février dernier. Et puis vous savez ce que c'est, un coupable à faire sortir de prison, un innocent insolvable que je dois renoncer à défendre, et on oublie.

En voici le texte, mis à jour.


Les médias se sont faits l'écho d'une décision de la cour d'appel d'Amiens du 14 février 2007 ayant autorisé une femme à adopter les enfants de sa compagne, opération qui avait pour objet, après une partie de billard à trois bandes, d'aboutir à ce que chacune des deux femmes exercent l'autorité parentale sur les enfants. Pour ceux qui aiment les débats contradictoires, voici un point de vue, et un autre.

D'autres cours d'appel saisies d'affaires similaires avaient refusé cette adoption comme contraire à l'intérêt de l'enfant (citons par exemple celle de Paris), d'autres l'avaient déjà accepté (la cour d'appel de Bourges). Comme à chaque fois que différentes cours d'appel ont un avis différent sur une question de droit, il appartient à la cour de cassation de statuer et de trancher le différend.

C'est ce qu'a fait le 20 février dernier la première chambre civile de la cour de cassation, en refusant la légalité de cette pratique.

Le mécanisme était à chaque fois le suivant : l'hypothèse de départ est qu'une personne homosexuelle a des enfants. Il s'agit la plupart du temps, bien évidemment, d'une femme, qui généralement est allée à l'étranger se faire pratiquer une insémination artificielle là où cette pratique médicale est légale y compris pour des personnes célibataires, comme en Belgique.

L'hypothèse serait plus compliquée pour les hommes, ce qui supposerait que la filiation ne soit pas établie à l'égard de la mère et que celle-ci renonce définitivement à toute action.

Une fois ses enfants nés, la mère consent une adoption simple au profit de sa compagne. Cette adoption simple, qui se fait devant notaire, a pour effet de transférer à la compagne l'autorité parentale. La mère biologique n'a plus cette autorité sur ses enfants.

Dans un deuxième temps, la compagne adoptante demande au juge des affaires familiales de consentir une délégation de son autorité parentale au profit de sa compagne. Ainsi, la mère récupère ce qu'elle vient de céder, la délégation d'autorité parentale ne faisant pas disparaître celle du délégant, et nous nous retrouvions dans une situation où les deux partenaires exerçaient une autorité parentale constatée par une décision de justice.

Première remarque ici : l'affirmation selon laquelle l'adoption est interdite aux homosexuels en France apparaît comme étant un raccourci. Aucun texte n'interdit expressément l'adoption aux homosexuels, la difficulté dont il est fait état concerne en réalité l'adoption plénière[1] de pupilles de l'Etat, et donc confiés à un organisme d'Etat (l'Aide Sociale à l'Enfance, ASE, qui relève du conseil général) ou un organisme de droit privé agréé, enfants dont l'adoption est préalablement soumise à un agrément délivré par l'ASE (article L.225-1 du Code de l'action sociale et des familles). L'administration a pour pratique constante de refuser l'agrément aux couples homosexuels, le conseil d'état ayant validé cette pratique. Dans l'hypothèse où les parents sont encore en vie, ils peuvent tout à fait consentir à une adoption par un homosexuel, l'article 348 du code civil ne posant aucune restriction sur ce point. Simplement, l'adoption, plénière ou simple, ne peut être demandée que par une personne ou un couple marié (art. 343 du Code civil), ce qui exclut de fait qu'un couple d'homosexuels puisse adopter tous les deux le même enfant (jurisprudence des mariés de Bègles, déjà traité en ces pages). Mais en conséquence, pour qu'un homosexuel puisse adopter, il faut que le ou les parents y consentent.

Dans notre affaire, c'est précisément ce qui s'était passé. La cour de cassation relève pudiquement que la mère a donné naissance le 12 septembre 2001 à deux enfants qu'elle a reconnus et « qui n'ont pas de filiation établie à l'égard de leur père ». Il s'agit donc très probablement d'une insémination artificielle, ce que la naissance de jumeaux tend à rendre encore plus plausible.

Quelques mois plus tard, elle a consenti par acte notarié à l'adoption simple de ses deux enfants par sa compagne, et a demand au tribunal de grande instance de prononcer l'adoption, ce qu'il a refusé.

La mère et sa compagne ont fait appel, et la cour d'appel de Paris a confirmé cette annulation le 6 mai 2004. Les deux compagnes se sont pourvues en cassation, elles contestaient l'appréciation des conseillers de la cour d'appel qui considéraient que cette adoption ne servait pas l'intérêt des enfants, alors que selon elles il était conforme à l'intérêt des enfants d'établir par la voie de l'adoption simple un double lien de filiation avec deux personnes vivant au foyer familial et unies par un pacte civil de solidarité, et que la délégation de l'autorité parentale qui s'en suivrait n'était pas antinomique avec l'adoption simple, le code civil exigeant simplement pour une délégation d'autorité parentale que « les circonstances le justifient ». Or le double lien de filiation né de l'adoption simple était une circonstance de nature à justifier une délégation de l'autorité parentale.

La cour de cassation n'est pas séduite par l'argumentation déployée par les demanderesses. Elle approuve au contraire la cour d'appel par un attendu lapidaire : pour la cour de cassation, la cour d'appel a retenu a juste titre que la mère des enfants perdrait son autorité parentale sur eux en cas d'adoption, et que il n'était ni établi ni même allégué par les demanderesses qu'en l'espèce les circonstances exigeaient une telle délégation d'autorité parentale. La cour de cassation approuve donc la cour d'appel d'avoir relevé que l'adoption d'un enfant mineur ayant pour but de transférer l'autorité parentale de la mère à l'adoptant, il était antinomique et contradictoire avec cette démarche d'indiquer son intention de demander à ce que l'adoptant restitue cette autorité parentale par voie de délégation.

La cour de cassation sanctionne ici un défaut de logique dans l'argumentation des demanderesses : s'il est dans l'intérêt de l'enfant que leur mère biologique exerce sur eux l'autorité parentale, autant qu'elle la garde, plutôt que la transférer à sa compagne. Cette autorité parentale par ricochet n'est pas établie dans l'intérêt de l'enfant, mais dans l'intérêt des deux compagnes, qui souhaitent établir un double lien de filiation sur ces enfants.

Notons au passage que cet arrêt a lui aussi un jumeau, rendu le même jour, et cassant cette fois un arrêt de la cour d'appel de Bourges, qui avait admis la validité de la délégation post-adoption comme conforme à l'intérêt de l'enfant au motif que

[les demanderesses] ont conclu un pacte civil de solidarité en 2001, et qu’elles apportent toutes deux à l’enfant des conditions matérielles et morales adaptées et la chaleur affective souhaitable ;

alors que, selon la cour,

Cette adoption réalisait un transfert des droits d’autorité parentale sur l’enfant en privant la mère biologique, qui entendait continuer à élever l’enfant, de ses propres droits,

ce qui ne peut être considéré comme conforme à l'intérêt de l'enfant.

Ce que la cour de cassation sanctionne ici est un détournement de l'institution de l'adoption dans le but d'établir un lien de filiation entre les deux partenaires d'un couple homosexuel et les enfants de l'un d'entre eux. Un tel lien de filiation n'a rien de juridiquement aberrant en soi, mais l'état du droit civil français exige qu'une loi intervienne sur le sujet. La cour de cassation, comme d'habitude en matière d'homosexualité, met le législateur face à ses responsabilités. Les institutions du droit civil existant n'ont pas vocation à être tordues à toute force pour satisfaire des revendications sur lesquelles le législateur n'a pas jugé utile de se pencher ; si cela ne convient pas aux citoyens, ils auront dans quatre mois [Mise à jour] : cinq ans l'occasion de désigner des représentants plus intéressés par la question.

Pour conclure, l'arrêt rendu la Saint-Valentin dernière par la cour d'appel d'Amiens me semble donc promis à un funeste destin si le parquet général de la cour d'appel d'Amiens s'est pourvu en cassation, ce que j'ignore, mais c'est probable, puisque l'affaire venait sur appel du procureur de la République.

Notes

[1] Le code civil distingue l'adoption plénière, qui fait de l'adopté le parfait équivalent de l'enfant de l'adoptant et rompt à jamais les liens de filiation antérieurs, et l'adoption simple, qui ne brise pas le lien de famille, et transfère l'autorité parentale. L'administration ne fait que des adoptions plénières, car elle ne propose à l'adoption que des enfants totalement abandonnés, qu'on appelle du joli nom de pupilles de l'Etat.

jeudi 3 mai 2007

Pourquoi le fraudeur de la gare du nord ne fera pas appel

Avec un contraste saisissant par rapport au battage médiatique d'alors, le fraudeur de la gare du nord dont l'interpellation avait entraîné de graves désordres à la fin du mois de mars a été jugé hier par le tribunal correctionnel de Paris. D'où l'intérêt de renvoyer le jugement à une date ultérieure, pour que les esprits soient calmés. La presse était présente, néanmoins, et Libération propose un petit résumé d'audience comme ce journal sait si bien les faire (on a l'ambiance mais pas le droit).

Les qualifications retenues étaient : violences volontaires aggravées (des coups ayant entraîné 6 jours d'incapacité totale de travail, contravention de 5e classe, mais sur un agent de la RATP, ce qui en fait un délit), rébellion (résister par la violence à une personne chargée d'une mission de service public) et menaces de mort.

Le prévenu a été condamné à six mois de prison ferme.

C'est une peine se situant dans la fourchette haute de ce qui est habituellement prononcé : le casier judiciaire du prévenu mentionnait sept condamnations, mais aucune qui ne constituait une récidive semble-t-il. Le tribunal a-t-il tenu compte des événements postérieurs à son arrestation ? Sans nul doute. Quand bien même il n'était pas mêlé aux faits qui ont suivi, un tribunal ne juge pas une rébellion sans conséquence et une rébellion qui aboutit au saccage de plusieurs commerces et à de graves violences contre des policiers de la même façon.

Une condamnation sévère, sans être démesurée.

Pourtant, le condamné ne fera pas appel. Pourquoi ?

C'est probablement en accord avec son avocat, qui a dû faire le calcul suivant.

En cas d'appel, le client est maintenu en détention. Vu le trouble exceptionnel à l'ordre public causé par l'infraction, il n'y a aucune chance pour une mise en liberté. Par contre, il y a de fortes chances que le parquet général oriente cette affaire vers l'autre 10e chambre, avec un risque non négligeable d'aggravation s'il n'y a pas des motifs solides de faire appel. Je précise que "Je trouve que la peine est trop sévère" n'est pas considéré comme un motif sérieux de faire appel, la cour d'appel estimant que les juges du tribunal sont plus qualifiés pour la jauger que le prévenu lui même. En tout état de cause, avec les délais d'audiencement, l'appel sera jugé dans six mois, soit quand le prévenu sera libérable, l'effet suspensif de l'appel l'ayant privé du bénéfice des réductions de peine (puisqu'il est en détention provisoire, et non en exécution de peine).

Autre branche de l'alternative : pas d'appel. Dans 10 jours, la peine devient définitive. Il bénéficiera des réductions de peine, 7 jours par mois soit 42 jours. Il a été incarcéré le 30 mars, de mémoire, donc a déjà effectué un mois. Ca nous fait donc :

30 mars + 6 mois : 30 septembre. Moins 42 jours de réduction de peine : date de sortie le 18 août. Avec la grâce du 14 juillet, il devrait bénéficier d'un mois supplémentaire : sortie le 18 juillet. Soit dans deux mois et demi. Sachant qu'à mi peine, soit mi-juin, il pourra solliciter du juge d'application des peines une libération conditionnelle, s'il a un bon dossier pour cela (ce que j'ignore). Il a un mois et demi pour monter son dossier, chercher un travail, réunir les justificatifs, ce ne sera pas trop long.

Bref, son avocat l'a très bien conseillé en lui disant de ne pas faire appel.

C'est aussi à ça que nous servons. A montrer à nos clients que l'appel n'est pas forcément la solution, et à évaluer les conséquences des choix que la procédure nous offre pour évaluer lequel est le plus conforme à l'intérêt bien compris de notre client.

vendredi 23 mars 2007

Le prophète, oui, les policiers, non ? (Ou : l'affaire Placid)

Au lendemain de la relaxe de Charlie Hebdo dans l'affaire des caricatures, je voudrais aborder une autre affaire qui circule sur internet, et que plusieurs lecteurs m'ont signalée : l'affaire Placid, ou de la caricature porcine de la police.

Le 18 janvier dernier, la 11e chambre de la cour d'appel de Paris (celle-là même qui examinera un éventuel appel dans l'affaire Charlie Hebdo) a condamné l'auteur, l'éditeur et l'illustrateur d'un livre, à des peines d'amendes pour diffamation envers une administration publique, en l'espèce notre police nationale bien-aimée, au comportement toujours irréprochable.

C'est du dessinateur, Placid, que l'on parle surtout, puisqu'il a été également condamné pour la couverture de cet ouvrage, qui pourtant semble d'un premier abord verser dans l'art de la caricature pour qui la justice a d'habitude les yeux de Chimène, et dont la condamnation entraîne une chaîne de solidarité chez de nombreux dessinateurs.

Quelques explications s'imposent sur cette affaire, dont vous vous ferez ainsi votre opinion de manière éclairée.

Clément S., magistrat (quel joli prénom pour un magistrat...), membre du syndicat de la magistrature, plutôt marqué à gauche, a écrit un livre se voulant un guide du citoyen face à un contrôle d'identité. Cédant sans doute à certaines sirènes de la mercatique, le livre adopte un ton provocateur, puisqu'il est intitulé "VOS PAPIERS !", sous titré : "Que faire face à la police ?". Le dessin de couverture est dans cet esprit, puisqu'il représente un policier guère sympathique. Enfin, à l'intérieur, l'auteur impute expressément à la police dans son ensemble et de manière systématique la pratique de contrôles "au faciès", pratique au demeurant totalement illégale.

Le ministère public, saisi d'une plainte déposé par le ministre de l'intérieur, engage des poursuites contre l'éditeur, ès qualité de directeur de la publication, et l'auteur, en tant que complice de diffamation pour l'imputation des contrôles au faciès.

Je précise d'emblée que les faits remontant à 2001, c'est Daniel Vaillant, ministre socialiste, qui a déposé plainte, pas le futur ex ministre futur président (ou pas)[1].

Le ministère public poursuit également l'éditeur, toujours ès qualité de directeur de la publication, et le dessinateur en tant que complice, pour injure envers une administration publique pour le dessin de couverture.

Voici le corps du délit (notez la bave aux lèvres, elle jouera son rôle) :

En 2005, la 17e chambre du tribunal de Paris relaxe tout le monde en retenant la bonne foi pour la diffamation, et, pour l'injure, avait estimé que ce dessin, certes peu sympathique envers la police,

donnant à un représentant de la loi un visage à la frontière de l'homme et de l'animal, dénué de toute prétention au réalisme anatomique, mais suggérant une certaine faiblesse intellectuelle derrière l'affirmation agressive d'une autorité sure d'elle-même, relève du genre de la caricature. Il illustre la couverture d'un ouvrage militant qui entend dénoncer les conditions dans lesquelles les forces de l'ordre procéderaient, contre l'esprit de la loi, à des contrôles d'identité abusifs. Il participe donc, non pas de la stigmatisation de l'administration elle-même, mais des pratiques imputées à ses membres, ou à certains d'entre eux, par la caricature d'un fonctionnaire de police représenté non pas en tant que tel, mais en tant qu'il fait usage sans discernement ni humanité, des prérogatives que lui donne la loi en matière de contrôles d'identité. stigmatisait . Le parquet fait appel. Le 18 janvier, l'arrêt est rendu et, infirmant le jugement, condamne tout le monde.

Le dessin ne portaient donc, selon le tribunal, pas atteinte à la dignité des policiers et ne révélaient aucune intention de nuire.

Le parquet a fait appel, et le 18 janvier dernier, la cour d'appel de Paris a infirmé ce jugement et au contraire condamné les prévenus.

Et voici le résumé de la décision en question. Les gras sont de moi.

Sur la diffamation :

Les prévenus, respectivement directeur de publication et magistrat, sont poursuivis pour diffamation publique et complicité de diffamation publique envers une administration publique à la suite de la publication d'un livre, écrit par le magistrat, sous l'égide d'un syndicat de magistrats, relatif aux pratiques des contrôles d'identité effectués par la police. Les propos poursuivis imputent à l'ensemble des services de police des pratiques arbitraires et discriminatoires par la mise en oeuvre de contrôles d'identité "au faciès", c'est-à-dire fondés sur l'origine ethnique supposée des personnes contrôlées. Imputer à la police, non pas des dysfonctionnements ponctuels, mais la commission délibérée et à grande échelle d'infractions pénales de discrimination porte atteinte à l'honneur et à la considération de la police nationale. Les propos sont donc diffamatoires.

Voilà ce qui est reproché à l'auteur : avoir imputé ces pratiques, clairement illégales puisque discriminatoires, à l'ensemble de la police. La cour ne nie pas que de tels contrôles existent. Ce serait absurde. Mais dire que certains policiers font de tels contrôles n'a rien de répréhensible. D'ailleurs, démonstration : je l'affirme ici. Voyez si je vais être poursuivi. Mais les propos de l'auteur ne visait pas une catégorie restreinte de policiers, mais la police dans son ensemble. Dès lors, c'est la police qui était diffamée.

Mes lecteurs qui ont lu mon commentaire du jugement dans l'affaire Monputeaux savent que celui qui tient des propos diffamatoires, comme l'étaient ceux du blogueur prévenu dans ladite affaire, peut échapper à toute condamnation s'il démontre qu'il a agi de bonne foi. C'est précisément ce qu'ont tenté de faire l'auteur et l'éditeur, en vain.

Les prévenus ne peuvent bénéficier de la bonne foi. Le but de l'ouvrage apparaît légitime puisqu'il consiste à informer les lecteurs de l'état de la législation sur les contrôles d'identité et de leurs droits. Il n'existe pas d'animosité personnelle du rédacteur du livre envers la police nationale. En revanche, le fondement sérieux de l'allégation n'est pas établi. S'il existe un débat sur la pratique des contrôles d'identité, il n'est pas démontré qu'il existerait des pratiques illégales de grande ampleur de la police en la matière. L'ouvrage qui se présente comme un guide juridique, exigeait un effort particulier de rigueur. Le propos réducteur est d'autant moins légitime que l'auteur du livre est un magistrat judiciaire qui connaît la réalité des compétences des services de police. De plus, le livre a été publié au nom d'un syndicat de magistrats, et cette référence accréditait l'exactitude des propos y figurant. Enfin, l'auteur n'a pas fait preuve de prudence dans l'expression en affirmant sans réserve et de manière péremptoire l'existence d'une pratique reprochée à l'ensemble de la police nationale. L'usage d'un ton polémique est en totale contradiction avec le but affiché de l'ouvrage.

Les prévenus sont donc condamnés. Notez au passage que la qualité de magistrat (du parquet, à l'époque de la publication...) de l'auteur de l'ouvrage est retenu à charge contre le prévenu, pour écarter la bonne foi. Voilà pour les rumeurs de corporatisme judiciaire (bon, il y en aura toujours pour dire que les magistrats de la cour étaient à l'Union Syndicale des Magistrats...).

Maintenant, sur le dessin. Les prévenus sont cette fois l'éditeur et le dessinateur.

Un dessin, qui figurait en première et dernière page de couverture du livre, représente un policier affligé d'un groin et coiffé d'une casquette de gardien de la paix, prononçant les mots "vos papiers". Le dessin comporte la légende "Que faire face à la police ?". Ce dessin constitue une caricature et le genre de la caricature n'autorise pas les représentations dégradantes.

Le policier est représenté comme un être à la limite entre l'homme et l'animal par sa figure porcine, ayant la bave aux lèvres, montrant les dents et ayant les yeux exorbités. Le personnage exprime ainsi l'agressivité voire la haine et la représentation du policier est dégradante. La volonté délibérée de donner une image humiliante et terrifiante de la police est donc établie et le dessin vise l'institution de la police nationale dans son ensemble. Il était totalement dépourvu de légitimité dès lors qu'il se trouve en contradiction avec le style du livre, qui est dépourvu de vocation humoristique ou pamphlétaire. En outre, ce livre a été publié sous l'égide d'un syndicat de magistrats, qui n'ignorait pas le caractère extrêmement provocateur du dessin. Ce syndicat aurait dû faire preuve d'une plus grande retenue dans l'illustration du sujet traité et dans la représentation de la police. Le dessinateur avait reçu du syndicat la commande du dessin et il savait que celui-ci servirait à illustrer l'ouvrage en question. Les faits ont donc été commis en connaissance de cause. Les délits (injure et complicité d'injure) sont ainsi caractérisés.

L'éditeur est condamné pour les deux délits à une amende de 800 euros ; l'auteur à une amende de 1000 euros (outre le fait qu'il peut faire l'objet d'une procédure disciplinaire) et le dessinateur à une amende de 500 euros.

L'auteur a formé un pourvoi en cassation, l'éditeur, je ne sais pas, le dessinateur, je sais que non.

Evidemment, le mot "censure" est abondamment invoqué dans cette affaire. A tort. Le retrait du livre n'a pas été ordonné (mais en cas de réédition en l'état, les délits seraient à nouveau commis). Les deux décisions, même celle condamnant, reconnaissent implicitement la réalité du comportement dénoncé et estiment légitime la démarche de l'auteur. C'est l'analyse du texte et du dessin qui diverge.

On peut regretter cette décision de la cour d'appel ; j'avoue en être, aimant la liberté d'expression jusque dans ses excès. Mais je ne dis pas le droit, j'en propose juste une interprétation plus ou moins imaginative selon la détresse de mon client.

S'en indigner est en revanche injustifié. La même dénonciation et la même information auraient pu être données avec un ton plus modéré, sans perdre de leur pertinence, au contraire même. Gardons nous en tout cas d'invoquer des mots trop forts, il n'y en a eu que trop dans cette affaire. Dans les pays où la censure existe vraiment, dénoncer publiquement les méfaits de la police fait encourir bien pire que mille euros d'amende.

POUR EN SAVOIR PLUS :
- Le Syndicat de la magistrature propose les copies intégrales de ces décisions sur cette page (ce sont les PDF à la fin du communiqué).

-Le dessinateur a écrit cette lettre ouverte où il exprime son désarroi.

Notes

[1] Quelque chose me dit que ma formule est un peu confuse...

jeudi 22 mars 2007

Le jugement de l'affaire Charlie Hebdo

Tout beau, tout chaud, voici le texte quasi intégral du jugement rendu ce jour par la 17e chambre.

LE RAPPEL DES FAITS

Le 30 septembre 2005, le quotidien danois JYLLANDS-POSTEN a publié un article intitulé “Les visages de Mahomet “, accompagné de douze dessins.

Flemming ROSE, responsable des pages culturelles de ce journal, a expliqué avoir souhaité opposer une réaction éditoriale à ce qui lui était apparu relever d’une autocensure concernant l’islam à la suite de l’assassinat du cinéaste Théo VAN GOGH ; il a plus spécialement évoqué la difficulté pour l’écrivain danois Käre BLUITGEN de trouver un dessinateur acceptant d’illustrer un livre pour enfants consacré à la vie du prophète MAHOMET - un seul ayant consenti à le faire mais en conservant l’anonymat ; ce qui l’a conduit à s’adresser aux membres du syndicat danois des dessinateurs de presse en les invitant à dessiner MAHOMET tel qu’ils se le représentaient.

À la suite de cette diffusion initiale, plusieurs manifestations et autres publications ont eu lieu dans le monde. Ainsi, une première manifestation de protestation a rassemblé 3 000 personnes au Danemark le 14octobre 2005 ; un journal égyptien a ensuite publié certains de ces dessins sans réaction des autorités de ce pays. A la fin de l’année 2005 et au début de l’année 2006, des organisations islamiques ont dénoncé la diffusion des caricatures du prophète MAHOMET et de nombreuses manifestations violentes se sont déroulées, notamment au Pakistan, en Iran, en Indonésie, en Libye ou au Nigéria, au cours desquelles des manifestants ont brûlé le drapeau danois ou s’en sont pris aux représentations diplomatiques, certains d’entre eux ayant trouvé la mort à l’occasion de ces rassemblements de rues.

Il convient de relever, à cet égard, que plusieurs personnes ont mis en doute la spontanéité de certaines de ces manifestations, en faisant notamment valoir que des “imams autoproclamés” avaient délibérément ajouté aux douze dessins d’origine des représentations outrageantes du prophète, versées aux débats par la défense, qui le montraient avec une tête de cochon ou comme un pédophile.

Le 1er février 2006, le quotidien FRANCE SOIR a publié à son tour les caricatures danoises, ce qui a entraîné le licenciement de son directeur de la publication, Jacques LEFRANC.

Par assignations en référé à heure indiquée en date du 7 février 2006, cinq associations, dont les deux parties civiles à présent poursuivantes, ont notamment demandé au président du tribunal de grande instance de Paris de faire interdiction à la société éditrice de CHARLIE HEBDO de mettre en vente l’hebdomadaire dont la parution était prévue pour le lendemain. Par ordonnance du 7 février 2006, ces assignations ont été déclarées nulles pour violation des prescriptions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 invoqué tant en défense que par le ministère public.

C’est dans ces circonstances que le mercredi 8 février 2006, le journal CHARLIE HEBDO a publié un “NUMERO SPECIAL” (n° 712) presqu’intégralement consacré aux “caricatures de MAHOMET A la une de ce numéro, sous le titre: “MAHOMET DEBORDE PAR LES INTEGRISTES”, figure un dessin de CABU montrant un homme barbu se tenant la tête dans les mains en disant: “C'est dur d’être aimé par des cons... ".

En pages 2 et 3 de cette publication, les douze caricatures parues au Danemark, de styles et de portées extrêmement différents, sont reproduites en petit format en haut et en bas d’un encadré, avec pour titre : "CACHEZ CES DESSINS QUE JE NE SAURAIS VOIR", sous lequel figurent, d’une part, un texte émanant de L’ASSOCIATION DU MANIFESTE DES LIBERTES (AML) intitulé “Pour la liberté d’expression ! ” et, d’autre part, un dessin de WOLINSKI qui présente un homme barbu hilare ayant en mains un document titré “CARICATURES”, avec cette légende : “Mahomet nous déclare c'est bien la premièrefois que les Danois me font rire !” . A droite, sur deux colonnes, “L'EDITO par Philippe Val intitulé : "Petit glossaire d’une semaine caricaturale", rassemble les réflexions du directeur de la publication de l’hebdomadaire sous diverses rubriques : Prophète Mahomet, Le droit à la représentation, Rappel historique, Troisième Guerre mondiale, La bombe dans le turban, Liberté d’expression, Amalgame, Tabou, Racisme, Victimes, Immobilité.

Les pages suivantes présentent, sur le même thème central, de nombreux autres dessins (notamment de TIGNOUS, CHARB, RISS, HONORE, LUZ, WOLINSKI, SINE) et articles (intitulés par exemple "2005, bon cru pour le blasphème", "Des points communs entre une pipe et un prophète", "Chasse Dieu à coups de pied, il revient enturbanné ", "Spinoza, reviens ! ").

Ainsi, en page 4 du journal, un article de Caroline FOUREST, sous le titre « TOUT CE FOIN POUR DOUZE DESSINS ! », est annoncé de la manière suivante : « Les journaux qui ont 'osé' publier les caricatures de Mahomet se voient menacés de représailles, tout comme les Etats ou leurs ressortissants considérés comme complices du blasphème. Face à cette déferlante de violence, Charlie tente d’analyser la polémique et ses conséquences. Histoire de montrer que la liberté d’expression doit être plus forte que l’intimidation ».

La journaliste y explique pourquoi, selon elle, Charlie, « comme d'autresjournaux français et européens, a décidé de publier ces dessins. Par solidarité. Pour montrer que l'Europe n'est pas un espace où le respect des religions prime sur la liberté d’expression. Parce que la provocation et l’irrévérence sont des armes pour faire reculer l'intimidation de l'esprit critique dont se nourrit l'obscurantisme ».

En France, plusieurs autres organes de la presse écrite ou audiovisuelle ont diffusé les dessins danois, dont le magazine L’EXPRESS.

Au Danemark, le procureur de VIBORG a pris la décision, confirmée par le procureur général, de ne pas engager de poursuites pénales à l’encontre du quotidien JYLLANDS-POSTEN. Sept associations locales ont alors saisi le tribunal d’AARHUS qui, le 26 octobre 2006, a rejeté les demandes formées à l’encontre de Carsten JUSTE, rédacteur en chef, et Flemining ROSE, responsable des pages culturelles du journal, en relevant notamment que si on ne pouvait « évidemment pas exclure » que trois des dessins - dont un est poursuivi dans le cadre de la présente procédure « aient été perçus comme calomnieux par certains musulmans », il n’était pas établi que « l'intention ayant conduit à leur publication ait été d’offenser les lecteurs ou d’exprimer des opinions de nature à discréditer (...) les musulmans aux yeux de leurs concitoyens ».

SUR CE, LE TRIBUNAL:

SUR LA PROCÉDURE: (...)

Mes lecteurs me pardonneront de sauter ce passage, qui répond à des moyens peu pertinents sur le déroulement de la procédure, qui seront tous écartés par le tribunal.

SUR L’ACTION PUBLIQUE:

Les parties civiles soutiennent principalement que malgré les nombreuses caricatures qui, selon elles, heurtent délibérément les musulmans dans leur foi, elles limitent les poursuites à trois d’entre elles, à savoir à celle de CABU publiée en couverture de l’hebdomadaire CHARLIE HEBDO et à deux des dessins danois reproduits en page 3. Ces trois dessins caractériseraient le délit d’injures publiques à l’égard d’un groupe de personnes, en l’occurrence les musulmans, à raison de leur religion, dès lors que la publication litigieuse s’inscrirait dans un plan mûrement réfléchi de provocation visant à heurter la communauté musulmane dans ses croyances les plus profondes, pour des raisons tenant à la fois à une islamophobie caractérisée et à des considérations purement commerciales.

Le prévenu fait, pour sa part, essentiellement valoir que l’illustration de couverture, propre à la tradition satirique du journal, ne vise que les intégristes musulmans, tandis que les deux autres caricatures, initialement publiées au Danemark, se sont trouvées au centre de l’actualité mondiale durant plusieurs semaines et ne visent qu’à dénoncer les mouvements terroristes commettant des attentats au nom du prophète MAHOMET et de l’islam, et non la communauté musulmane dans son ensemble. Philippe VAL soutient en outre qu’un nombre considérable de musulmans a défendu avec force la publication de ces caricatures, protestant contre l’instrumentalisation politique de ceux qui prétendaient parler en leur nom et réduire au silence tous ceux qui étaient davantage attachés à la liberté d’expression et à la laïcité qu’à un dogmatisme étroit.

- En droit:

Le tribunal va indiquer les règles de droit qui s'appliquent en l'espèce, et comment il les interprète.

Attendu que les présentes poursuites pénales sont fondées sur l’article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 qui définit l’injure comme “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’ aucun fait”, et sur l’article 33, alinéa 3, de la même loi qui punit « de six mois d’emprisonnement et de 22 500 € d’amende l’injure commise (...) envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » ;

Qu’il convient de rappeler que les dessins sont visés par l’article 23 de la loi sur la liberté de la presse, au même titre que tous les supports de l’écrit, de la parole ou de l’image, et que l’intention de nuire est présumée en matière d’injures ;

Attendu que les règles servant de fondement aux présentes poursuites doivent être appliquées à la lumière du principe à valeur constitutionnelle et conventionnelle de la liberté, d’expression ;

Attendu que celle-ci vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes dans une société déterminée, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent, ainsi que l’exigent les principes de pluralisme et de tolérance qui s’imposent particulièrement à une époque caractérisée par la coexistence de nombreuses croyances et confessions au sein de la nation ;

Attendu que l’exercice de cette liberté fondamentale comporte, aux termes mêmes de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des devoirs et des responsabilités et peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique et qui doivent être proportionnées au but légitime poursuivi; que le droit à une jouissance paisible de la liberté de religion fait également l’objet d’une consécration par les textes supranationaux ;

Attendu qu’en France, société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions quelles qu’elles soient et avec celle de représenter des sujets ou objets de vénération religieuse ; que le blasphème qui outrage la divinité ou la religion, n’y est pas réprimé à la différence de l’injure, dès lors qu’elle constitue une attaque personnelle et directe dirigée contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse ;

Attendu qu’il résulte de ces considérations que des restrictions peuvent être apportées à la liberté d’expression si celle-ci se manifeste de façon gratuitement offensante pour autrui, sans contribuer à une quelconque forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain ;

J'aime beaucoup l'expression "favoriser le progrès dans les affaires du genre humain".

Les règles du jeu sont ainsi posées. Maintenant, le tribunal va les appliquer au cas qui lui est soumis.

- En fait:

Attendu qu'eu égard au droit applicable, il y a lieu d’examiner, pour chacun des trois dessins poursuivis, s’il revêt un caractère injurieux au sens de la loi sur la presse et quelles personnes il vise, puis de déterminer si le prononcé d’une sanction constituerait une restriction excessive à la liberté d’expression ou au contraire serait proportionné à un besoin social impérieux ; qu’il importe, pour ce faire, d’analyser tant les dessins eux-mêmes que le contexte dans lequel ils ont été publiés par le journal ;

Attendu que CHARLIE HEBDO est un journal satirique, contenant de nombreuses caricatures, que nul n’est obligé d’acheter ou de lire, à la différence d’autres supports tels que des affiches exposées sur la voie publique;

Attendu que toute caricature s’analyse en un portrait qui s’affranchit du bon goût pour remplir une fonction parodique, que ce soit sur le mode burlesque ou grotesque ; que l’exagération fonctionne alors à la manière du mot d’esprit qui permet de contourner la censure, d’utiliser l’ironie comme instrument de critique sociale et politique, en faisant appel au jugement et au débat ;

Attendu que le genre littéraire de la caricature, bien que délibérément provocant, participe à ce titre de là liberté d’expression et de communication des pensées et des opinions ; que, du fait de l’excès même de son contenu volontairement irrévérencieux, il doit être tenu compte de l’exagération et de la subjectivité inhérentes à ce mode d’expression pour analyser le sens et la portée des dessins litigieux, le droit à la critique et à l’humour n’étant cependant pas dépourvu de limites ;

Le tribunal examine ensuite chacune des trois caricatures.

Attendu que la première caricature publiée en couverture du journal est un dessin de CABU montrant un homme barbu, qui représente à l’évidence le prophète MAHOMET, se tenant la tête dans les mains, en disant “C’est dur d’être aimé par des cons...” ;

Attendu cependant que ce dernier terme, s’il constitue bien une expression outrageante, ne vise que, les “intégristes” expressément désignés dans le titre :

“MAHOMET DEBORDE PAR LES INTEGRISTES” ;

Attendu que c’est à tort que les parties civiles poursuivantes prétendent que ce dernier mot ferait seulement référence à un degré plus ou moins élevé de respect des dogmes, renvoyant à l’obscurantisme supposé des nombreux musulmans blessés par la publication renouvelée des caricatures danoises ; qu’en effet, les intégristes ne peuvent se confondre avec l’ensemble des musulmans, la Une de l’hebdomadaire ne se comprenant que si ce terme désigne les plus fondamentalistes d'entre eux qui, par leur extrémisme, amènent le prophète au désespoir en constatant le dévoiement de son message ;

Attendu que ce dessin ne saurait, dans ces conditions, être considéré comme répréhensible au regard de la prévention ;

Prévenu : 1 ; Parties civiles : 0.

Attendu que les deux autres caricatures poursuivies font partie de celles initialement, publiées par le journal danois JYLLANDS-POSTEN et reproduites en pages 2 et 3 de CHARLIE HEBDO ;

Que l’une est censée représenter le prophète MAHOMET accueillant des terroristes sur un nuage et s’exprimant dans les termes suivants : « Stop stop we ran out of virgins! », ce qui, d’après les parties civiles, peut être traduit par: « Arrêtez, arrêtez, nous n'avons plus de vierges » et se réfère au Coran selon lequel celui qui accomplit certains actes de foi sera promis, au paradis, à la compagnie de jeunes femmes vierges ;

Attendu que ce dessin évoque clairement les attentats-suicides perpétrés par certains musulmans et montre le prophète leur demandant d’y mettre fin ; que, néanmoins, il n’assimile pas islam et commission d’actes de terrorisme et ne vise donc pas davantage que le précédent l’ensemble des musulmans en raison de leur religion ;

Prévenu : 2 ; Parties civiles : 0.

Attendu que le dernier dessin incriminé montre le visage d’un homme barbu, à l’air sévère, coiffé d'un turban en forme de de bombe à la mèche allumée, sur lequel est inscrite en arabe la profession de foi de l’islam : « Allah est grand, Mahomet est son prophète » ; qu’il apparaît d’une facture très différente et beaucoup plus sombre que les onze autres caricatures danoises, elles-mêmes pourtant très diversifiées tant dans leur style qu’en ce qui concerne le sujet précisément traité ; qu’il ne porte nullement à rire ou à sourire mais inspire plutôt l’inquiétude et la peur ;

Attendu que, dans l’éditorial jouxtant ce dessin, Philippe VAL a notamment écrit :

« Quant au dessin représentant Mahomet avec une bombe dans le turban, il est suffisamment faible pour être interprété n'importe comment par n'importe qui, et le crime est dans l’oeil de celui qui regarde le dessin. Ce qu'il représente, ce n'est pas l’islam, mais la vision de l’islam et du prophète que s'en font les groupes terroristes musulmans » ;

Que le prévenu a maintenu à l’audience que ce dessin n’était, à ses yeux, que la dénonciation de la récupération de l’islam par des terroristes et qu’il ne se moquait que des extrémistes ;

Attendu que cette interprétation réductrice ne saurait être retenue en l’espèce ;

Attendu qu’en effet, dans son article publié en page 4 du même numéro de CHARLIE HEBDO, Caroline FOUREST admet volontiers que, parmi les dessinateurs danois, « ""un seul fait le lien entre le terrorisme et Mahomet, dont se revendiquent bel et bien des poseurs de bombes..."" » et que « ""ce dessin-là soulève particulièrement l’émoi"" »;

Attendu que l’un des témoins de la défense entendus par le tribunal, Abdelwabab MEDDEB, écrivain et universitaire, a insisté sur le caractère problématique de cette caricature en lien avec une longue tradition islamophobe montrant le prophète "belliqueux et concupiscent" ; qu’il a en outre déclaré que ce dessin pouvait être outrageant et constituer une manifestation d’islamophobie, dès lors que son interprétation est univoque en ce qu’il réduit un personnage multidimensionnel à un seul aspect ;

Qu’un autre témoin, Antoine SFEIR, politologue et rédacteur en chef des Cahiers de l’Orient, s’est dit ému à la vision de ce dessin, comprenant que l’on puisse en être choqué ;

Voilà l'explication tant attendue par des commentateurs sur pourquoi ce dessin est quant à lui susceptible de constituer une injure.

Attendu que la représentation d’une bombe formant le turban même du prophète symbolise manifestement la violence terroriste dans nos sociétés contemporaines; que l’inscription de la profession de foi musulmane sur la bombe, dont la mèche est allumée et prête à exploser, laisse clairement entendre que cette violence terroriste serait inhérente à la religion musulmane ;

But des parties civiles.

Ha, mais le juge de touche a levé son drapeau ?

Attendu que si, que par sa portée, ce dessin apparaît, en soi et pris isolément, de nature à outrager l’ensemble des adeptes de cette foi et à les atteindre dans leur considération en raison de leur obédience, en ce qu’il les assimile - sans distinction ni nuance - à des fidèles d’un enseignement de la teneur, il ne saurait être apprécié, au regard de la loi pénale, indépendamment du contexte de sa publication ;

Qu’il convient, en effet, de le considérer dans ce cadre factuel, en tenant compte des manifestations violentes et de la polémique suscitées à l’époque, mais aussi de sa place dans le journal ;

Ha, on demande l'arbitrage vidéo.

Attendu que, relativement à la publication des caricatures de Mahomet, CHARLIE HEBDO ne s’est pas prévalu d’un objectif d’information du public sur un sujet d’actualité, mais a clairement revendiqué un acte de résistance à l’intimidation et de solidarité envers les journalistes menacés ou sanctionnés, en prônant « la provocation et l'irrévérence » et en se proposant ainsi de tester les limites de la liberte d’expression, que cette situation rend CHARLIE HEBDO peu suspect d' avoir, comme le prétendent les parties civiles, été déterminé à publier ces caricatures dans une perspective mercantile au motif qu’il s’agissait d’un numéro spécial ayant fait l’objet d’un tirage plus important et d’une durée de publication plus longue qu’à l’ordinaire ;

Attendu que la représentation du prophète avec un turban en forme de bombe à la mèche allumée a été reproduite en très petit format parmi les onze autres caricatures danoises, au sein d’une double page où figuraient également, outre l’éditorial de Philippe VAL, un texte en faveur de la liberté d’expression adressé à CHARLIE HEBDO par l’ASSOCIATION DU MANIFESTE DES LIBERTES (AML) rassemblant « des hommes et des femmes de culture musulmane qui portent des valeurs de laïcité et de partage », ainsi qu’un dessin de WOLINSKI montrant MAHOMET hilare à la vue des caricatures danoises ;

Attendu, surtout, que le dessin en cause, qui n’est que la reproduction d’une caricature publiée par un journal danois, est inclus dans un numéro spécial dont la couverture éditorialise l’ensemble du contenu et sert de présentation générale a la position de CHARLIE HEBDO, qu’en une telle occurrence il ne peut qu’être regardé comme participant à la réflexion dans le cadre d’un débat d'idées sur les dérives de certains tenants d’un islam intégriste ayant donne lieu a des débordements violents ;

Attendu qu’ainsi, en dépit du caractère choquant, voire blessant, de cette caricature pour la sensibilité des musulmans, le contexte et les circonstances de sa publication dans le journal CHARLIE HEBDO apparaissent exclusifs de toute volonté délibérée d’offenser directement et gratuitement l’ensemble des musulmans, que les limites admissibles de la liberté d’expression n’ont donc pas été dépassées, le dessin litigieux participant du débat public d'intérêt général né au sujet des dérives des musulmans qui commettent des agissements criminels en se revendiquant de cette religion et en prétendant qu’elle pourrait régir la sphère politique ;

Que le dernier dessin critiqué ne constitue dès lors pas une injure justifiant, dans une société démocratique une limitation du libre exercice du droit d'expression ;

Et le but est finalement refusé pour hors jeu.

La conclusion est donc la relaxe, et le débouté des parties civiles de l'ensemble de leurs demandes.

Parties civiles dont voici la liste exacte, hormis le nom des particuliers :

Association DÉFENSE DES CITOYENS ;
SOCIÉTÉ DES HABOUS ET DES LIEUX SAINTS DE L’ISLAM (la Mosquée de Paris) ;
UNION DES ORGANISATIONS ISLAMIQUES DE FRANCE (UOIF) ;
LA LIGUE ISLAMIQUE MONDIALE ;
ASSOCIATION PROMOTION SÉCURITÉ NATIONALE (APSN) ;
Association Politique HALTE A LA CENSURE, LA CORRUPTION, LE DESPOTISME, L’ARBITRAIRE.

Vous noterez parfois un curieux décalage entre l'intitulé de l'organisation et le sens de la démarche.

L'audience est levée.

mercredi 14 mars 2007

Mariage homosexuel : la cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par les époux putatifs

Par un bref et lapidaire arrêt, la première chambre civile de la cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par les époux putatifs dans la fameuse affaire du mariage homosexuel de Bègles.

- Pardon, Maître...

- Oui, ma lectrice bien-aimée[1] ?

- Que veut dire donc ce mot de putatif que vous employâtes à deux reprises, accolé au mot "mariage" ?

- Le mariage putatif, chère lectrice, est dit du mariage annulé en justice mais qui, par un adoucissement jurisprudentiel, continue à produire certains effets de droit. Par exemple, les enfants nés dans un mariage annulé n'en restaient pas moins légitimes, à l'époque à présent révolue, mais pas depuis si longtemps, ou on distinguait les filiations légitimes, naturelles et adultérines. Je ne puis appeler les époux de Bègles époux : l'annulation du mariage me le prohibe. Si j'ajoute l'épithète putatif, je respecte la loi et leur rends néanmoins le titre d'époux pour lequel ils se sont tant battus. Puisqu'ils se sont battus pour le symbole, je leur offre une victoire symbolique.

- Je reconnais bien là votre délicatesse qui a fait votre réputation sur Technorati. Mais continuez, continuez, je bois vos paroles.

- Alors, Je tâcherai de vous enivrer sans vous soûler. C'est donc la première chambre civile de la cour de cassation qui a statué, chambre qui tient ses audiences les mardi et mercredi, et qui est compétente entre autres pour les affaires relevant de l'état des personnes. Deux arguments étaient soulevés contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, que j'avais déjà commenté en son temps.

- Oui, je m'en souviens fort bien. La modestie vous fait taire le fait que vous aviez annoncé cette nullité avant même que le mariage ne soit célébré, nous gratifiant à cette occasion d'un jeu de mot qui a fait la réputation de votre blog dans toutes les salles de garde de l'Assistance Publique.

- Tout cela ne nous rajeunit pas. Et bien, apportons une nouvelle pierre à l'édifice, qui ne sera toutefois pas la dernière.

- Et comment cela ? Le Monde annonce pourtant que la cour de cassation a définitivement annulé le mariage de Bègles ?

- Le Monde va un peu vite en besogne, même si l'avenir lui donnera probablement raison. Mais chaque chose en son temps : voyons ce qui a été dit, avant de voir ce qui sera fait. Les époux putatifs soulevaient donc deux arguments, que l'on appelle des moyens de cassation en procédure civile. Le premier moyen, cité en italique dans le texte de l'arrêt, visait à dénier au procureur de la République de Bordeaux le droit de demander au tribunal de grande instance de cette ville d'annuler ce mariage.

- Ha ? Et pourquoi n'aurait-il pu ?

- Parce que, arguaient nos mariés éphémères, l'article 184 du Code civil permet au ministère public d'agir en nullité d'un mariage quand celui-ci a violé l'un des articles du Code civil énuméré par ce même article 184, soit portant sur la condition d'âge des époux, le défaut de consentement de l'un des époux, l'absence physique de l'un des époux à la célébration, la bigamie, et la trop proche parenté. Or ici, aucun de ces cas de nullité n'était invoqué par le ministère public.

- Le moyen semble sérieux.

- Il succombe néanmoins, la cour de cassation relevant que le ministère public avait fait opposition à ce mariage, et qu'il a été néanmoins célébré par l'officier d'état civil : dès lors que ce mariage a été célébré illégalement malgré la voie de droit employée par le parquet, le parquet tirait de l'article 423 du nouveau code de procédure civile qualité à agir pour atteinte à l'ordre public.

- Ainsi, c'est le maire qui a célébré la noce qui a donné par son comportement les moyens au ministère public de la faire annuler ? La morale ne semble pas froissée par cette solution.

- Peu me chaut : le droit ne l'est point, et c'est ce qui compte à mes yeux ; quant à ce qui compte à mon coeur, cela n'a point sa place dans un prétoire.

- J'aime quand vous faites votre bourru. Vous n'êtes pas crédible, mais c'est mignon. Et quel était le second moyen ?

- Vous parlez déjà comme un avocat aux Conseils, chère amie ! Le deuxième moyen se divisait en cinq arguments, qu'on appelle des branches (le premier moyen se divisait ainsi en deux branches : d'une part, violation de l'article 184 du Code civil et d'autre part, violation de l'article 423 du nouveau Code de procédure civile). Ce moyen est le plus intéressant car il porte au fond du droit, et non sur la recevabilité de l'action. Voici les cinq arguments des époux putatifs :

  1. Le Code civil ne mentionne nulle part expressément la condition de différence de sexe.
  2. Refuser le mariage aux personnes de même sexe porte atteinte à leur droit à une vie privée et familiale normale protégée par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et constitue une discrimination fondée sur le sexe prohibée par l'article 14 de la même convention.
  3. Exclure les coupes homosexuels car ils ne seraient pas naturellement féconds contrevient au droit au mariage protégé par l'article 12 de cette même convention et constitue une discrimination fondée sur le sexe prohibée par l'article 14 (notons que cet argument n'a à aucun moment été retenu par la cour d'appel de Bordeaux).
  4. L'article 12 de la CEDH protège le droit au mariage de l'homme et de la femme, sans exiger que les deux époux soient nécessairement de sexe différent, dès lors la décision de la cour d'appel viole les articles 12 et 14 de la CEDH (notons que la jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme dit expressément le contraire).
  5. Enfin, la position de la cour d'appel de Bordeaux violerait l'article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[2], qui ne vise aucunement une condition de sexe.

- Tiens ? Cette Charte est en vigueur ?

- Et non, chère lectrice, car un couple de pays de l'Union dont je tairai le nom a rejeté le Traité portant Constitution pour l'Europe qui l'intégrait dans le droit européen, dans la fameuse deuxième partie. Et figurez vous que presque deux ans après, il en est qui chantent encore victoire.

- Le goût de certains pour l'absence de garanties de leurs droits me laisse sans voix.

- Nul n'est plus prisonnier que l'esclave heureux de son sort, ma chère. La cour de cassation rejette en bloc cette argumentation, en posant lapidairement que « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme ; que ce principe n’est contredit par aucune des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui n’a pas en France de force obligatoire ».

- La cour de cassation a beau avoir un nom féminin, je ne la trouve pas bavarde.

- C'est une vieille tradition. Mais il est néanmoins aisé de comprendre. Le mariage est l'union d'un homme et d'une femme : ici, la cour de cassation interprète le droit, comme c'est sa mission première. Elle pose clairement que selon le Code civil actuel, le mariage s'entend de l'union de l'homme et de la femme.

- Et d'où sort-elle ce sens ?

- Du dictionnaire. Ce n'est pas à la cour de cassation de changer le sens des mots, c'est au législateur de changer les mots.

- Et sur les arguments tirés de la CEDH ?

- La Cour européenne des droits de l'homme refuse de faire du droit au mariage entre personnes du même sexe un droit protégé par l'article 12. Son interprétation est pour le moment que le mariage s'entend de l'union de l'homme et de la femme. Si un pays veut légaliser une telle union, libre à lui, bien sûr. Mais la cour refuse de l'imposer aux pays ayant ratifié la convention.

- Qu'en conclure ?

- Que le législateur ne peut plus se défausser sur les juges. C'est à lui de modifier la loi ou d'expliquer pourquoi il s'y refuse. Bref, le débat doit avoir lieu au parlement et non dans la prétories. Cela tombe bien, les législatives, c'est dans trois mois.

- Me permettez-vous une question ?

- Une, dix, cent ou mille, je suis votre serviteur.

- Galant homme. Vous disiez que cette pierre n'était pas la dernière ?

- Non, en effet. Nos déboutés peuvent porter l'affaire devant la cour européenne des droits de l'homme, puisqu'ils ont invoqué devant les tribunaux français la violation d'au moins un des articles de la CEDH. Ils ont six mois pour ce faire.

- Et qu'adviendra-t-il ?

- Ils seront très probablement déboutés. La cour a une position claire sur la question de l'article 12. Mais si la cour revirait de jurisprudence, tout pourrait recommencer.

- Comment cela ?

- La loi française prévoit une possibilité de demander la révision d'un procès à la suite d'une condamnation de la France pour violation de la CEDH. La mariage de Bègles n'est donc pas définitivement mort. Même si je ne parierais pas grand chose sur lui.

- Merci, cher Maître. Je vous quitte édifiée.

- Chère Madame, je suis le plus heureux des architectes.

Notes

[1] Qu'il soit permis à votre serviteur, à l'instar de Pierre de Siorac, la fantaisie de s'imaginer lu par une lectrice plutôt qu'un lecteur, quand bien même mes lecteurs du sexe forts sont ici fort bienvenus.

[2] Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice.

jeudi 22 février 2007

Pourquoi Dieudonné ne sera pas pénalement condamné pour injure raciale (apostille au billet précédent)

Un ajout s'impose au billet précédent pour expliquer une conséquence purement procédurale qui sera probablement exploitée avec un brin de mauvaise foi par les partisans de l'humoriste. Je préfère prévenir et armer votre sens critique.

La lecture de l'arrêt et l'activation de mon réseau de taupes m'a confirmé que dans cette affaire, le parquet général ne s'est pas pourvu en cassation, et ce dès la première décision de la cour d'appel de Paris.

En conséquence, l'action publique est éteinte. C'est à dire que Dieudonné ne peut plus être reconnu coupable du délit et se voir infliger une peine, le parquet n'ayant pas contesté sa relaxe.

Seule l'action civile, exercée par les associations en cause (la LICRA et le consistoire central union des communautés juives de France), continue, et c'est de cette action seule qu'est saisie la cour d'appel de Versailles.

Explications : la loi distingue, et à raison, l'action publique, celle de la société, exercée par le ministère public, qui vise à voir prononcer une peine à l'égard de celui qui a commis une infraction, et l'action civile, de la victime, qui vise à obtenir réparation de son préjudice sous forme de dommages-intérêts. L'amende est une peine, elle est versée à l'Etat, les dommages-intérêts sont une indemnité, ils sont versés à la victime.

La victime peut décider de porter son action devant les juridictions civiles suivant les règles du code de procédure civile, et ce même si le ministère public a de son côté décidé d'engager des poursuites (en pratique, cette dernière hypothèse est rare car peu intéressante) ; elle peut également mettre en mouvement l'action publique, c'est à dire saisir le juge pénal même contre la volonté du ministère public (cela peut se faire par deux moyens : citation directe devant le tribunal ou plainte avec constitution de partie civile devant un juge d'instruction). Enfin, si le ministère public poursuit de son propre chef, la victime peut intervenir à l'audience en se constituant partie civile devant le tribunal saisi par le parquet. Dans ces deux derniers cas, très fréquents en pratique, le tribunal juge en même temps l'action publique du parquet et l'action civile de la victime. Mais il s'agit néanmoins de deux actions différentes.

Ainsi, en cas d'appel, chaque partie qui entend contester le jugement doit faire appel. A défaut, la décision rendue devient définitive à son égard. Peu importe que cela aboutisse à des décisions en apparence contradictoires (le prévenu est relaxé définitivement mais condamné à indemniser les victimes, ou à l'inverse, la victime a été déboutée de son action, mais le prévenu est finalement reconnu coupable et puni) car il s'agit d'actions différentes : l'objet est le même mais pas les parties. Juridiquement, l'infraction est constatée par une juridiction, elle est établie. Seulement, toutes les conséquences légales ne peuvent plus en être tirées.

Exemples : A est condamné à six mois de prison, la victime se voit allouer 500 euros de dommages intérêts alors qu'elle en demandait 1000. A peut faire appel soit de l'action publique, soit de l'action civile, soit des deux. Si A fait appel de l'action publique, la cour d'appel pourra confirmer les six mois ou diminuer la peine. S'il fait appel de l'action civile, la cour pourra confirmer les 500 euros ou diminuer la somme. Si le parquet fait appel (il ne peut faire appel que de l'action publique, il n'est pas partie à l'action civile), la cour d'appel pourra confirmer les six mois ou augmenter la peine. Si la partie civile fait appel, la cour pourra confirmer le montant des dommages-intérêts ou les augmenter. Ces hypothèses sont cumulatives : si le prévenu fait appel de l'action publique et le parquet aussi, la cour pourra diminuer, augmenter ou confirmer.

Dans notre hypothèse, le ministère public a jeté l'éponge en 2004, quand le premier arrêt de la cour d'appel de Paris a confirmé la relaxe. Seules les parties civiles ont fait appel.

En conséquence, la cour d'appel de Versailles ne pourra que constater que les éléments du délit sont réunis et condamner Dieudonné à payer des dommages intérêts et frais de procédure à ces associations, mais aucune condamnation pénale ne sera prononcée, et rien ne figurera sur son casier judiciaire.

Dieudonné ou certains de ses partisans pourront ainsi affirmer qu'il n'a jamais été reconnus coupables de ce délit. Vous pourrez alors leur répliquer que ce n'est dû qu'à l'absence du pourvoi du parquet général de Paris, mais que l'infraction a bien été reconnue comme établie par la cour de cassation en assemblée plénière et par la cour d'appel de Versailles statuant sur intérêts civils, et ils seront bien feintés. Et à un dîner mondain, ça en jette.

mercredi 21 février 2007

Dieudonné a-t-il été condamné pour injure raciale ?

C'est la question qu'on peut se poser à lire les compte-rendus contradictoires ici et là.

Ici, par exemple, c'est Libération, qui titre Des propos de Dieudonné jugés racistes, ou Le Monde qui déclare "Dieudonné reconnu coupable d'"injure raciale" par la Cour de cassation (pas de lien, article déjà payant).

Là, c'est le site des Ogres, qui n'a jamais caché son soutien à l'humoriste, qui affirme tout de gob : Dieudonné n’a pas été condamné - Les médias mentent.

Qui a raison, qui a tort ?

Sur ce coup là, tout le monde.

Le plus en tort est Le Monde, qui se trompe en disant que Dieudonné a été reconnu coupable. Mais il ne se trompe que par anticipation. Libération commençait bien, son titre était correct, et patatra, le lancement est inexact :

La Cour de cassation a estimé vendredi que l'humoriste s'était rendu coupable d'injure raciale.

Les Ogres enfin, s'ils ont techniquement raison de dire que Dieudonné n'a pas été condamné, font dans la mauvaise foi quand ils affirment que les médias mentent, et que ce n'est "que l'avis d'une cour de cassation (sic)", voulant pour preuve de leur démonstration que quiconque serait bien en peine de dire à quelle peine l'humoriste a été condamné.

Qu'en est-il ?

Les faits étaient les suivants : l'humoriste Dieudonné a tenu les propos suivants dans le magazine Lyon Capitale, dans un article intitulé : Dieudonné, humoriste et candidat aux élections présidentielles - Dieudonné existe-t-il ?

Juifs et musulmans pour moi, ça n'existe pas. Donc, antisémite n'existe pas, parce que juif n'existe pas. Ce sont deux notions aussi stupides l'une que l'autre. Personne n'est juif ou alors tout le monde ... pour moi, les juifs, c'est une secte, une escroquerie. C'est une des plus graves parce que c'est la première. Certains musulmans prennent la même voie en ranimant des concepts comme "la guerre sainte" ...

Le ministère public a engagé des poursuites à l'encontre de l'humoriste en le citant devant le tribunal correctionel de Paris pour les délits d'injure publique raciale et de provocation à la discrimination raciale.

Le tribunal correctionnel de Paris a relaxé Dieudonné ; le parquet et les associations parties civiles ont fait appel. Le 30 juin 2004, la cour d'appel de Paris a confirmé la relaxe sur les deux chefs de poursuite, en estimant "qu'en dépit de l'emploi des termes "secte et escroquerie", le contexte de l'entretien en cause laisse apparaître qu'en critiquant d'autres religions en des propos également vifs, le prévenu a seulement manifesté son hostilité au principe même du fait religieux et qu'ainsi, les invectives proférées ne s'adressent pas à la communauté juive en tant que telle". Les parties civiles forment alors un pourvoi en cassation.

Bien leur a pris car dans un arrêt du 15 mars 2005, la chambre criminelle de la cour de cassation, si elle rejette le pourvoi sur la relaxe du chef d'incitation à la discrimination raciale, qui devient définitive, casse la relaxe pour injure raciale, en estimant qu'en statuant ainsi, alors que les propos litigieux mettaient spécialement en cause la communauté juive, présentée comme "une des plus graves escroqueries" parce que "la première de toutes", la cour d'appel aurait dû constater que le délit était constitué.

Le 9 février 2006, coup de théâtre : la cour d'appel de Paris, statuant à nouveau mais composée naturellement de juges différents (on dit en fait conseillers quand on parle de juges de cours d'appel) fait de la résistance et relaxe Dieudonné pour le délit d'injure raciale, car selon elle, "replacés dans leur contexte, les termes "les juifs, c'est une secte, c'est une escroquerie" relèvent d'un débat théorique sur l'influence des religions et ne constituent pas une attaque dirigée contre la communauté juive en tant que communauté humaine".

Un nouveau pourvoi est formé, et cette fois, comme la cour d'appel de renvoi n'a pas suivi la décision de la cour de cassation, la décision est portée devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation, c'est à dire tous les magistrats réunis.

Une pause s'impose.

La cour de cassation ne juge qu'en droit. Elle n'examine que l'application du droit par les juges, les faits sont acquis, ce sont ceux retenus par les juges ayant statué en dernier. Elle ne peut que rejeter le pourvoi, et approuver ainsi la décision qui a été attaquée, ou casser[1], c'est à dire annuler cette décision, auquel cas elle doit renvoyer devant une juridiction équivalente pour qu'elle statue à nouveau, si c'est nécessaire.

Exemples : A est condamné à 40 ans de réclusion criminelle pour meurtre. Il fait un pourvoi dans lequel il dit qu'il est innocent. La cour de cassation rejettera cet argument car la culpabilité est une question de fait, elle ne peut revenir là dessus. On parle de pouvoir souverain des juges du fond dès lors qu'on est dans le domaine que la cour de cassation refuse d'examiner comme ne relevant pas du droit. Mais par contre, le code pénal prévoit que le meurtre est puni au maximum de trente années de réclusion criminelle. Là, la décision est contraire au droit. La cour cassera donc l'arrêt de la cour d'assises et renverra le dossier pour être jugé à nouveau devant une nouvelle cour d'assises (où l'accusé pourra cette fois faire valoir son innocence).

Deuxième exemple : Une cour d'appel condamne B, qui est sans cesse en retard à son travail, à payer des dommages-intérêts à son employeur. B se pourvoit en cassation. La cour estime qu'un salarié en retard relève du pouvoir de sanction de l'employeur, qui peut aller jusqu'au licenciement, mais ne peut donner lieu à dommages-intérêts, qui s'assimilerait à une amende infligée par l'employeur, ce que la loi interdit. Elle casse donc l'arrêt, mais ce faisant, elle estime que le problème est résolu : la condamnation à des dommages intérêts est anéantie, c'est en fait comme si la cour d'appel les avait refusé. Elle casse donc sans renvoi, mettant fin à l'affaire.

La cour d'appel qui examine l'affaire après une cassation peut parfaitement prendre une décision identique à la première cour d'appel. Si un nouveau pourvoi est formé, l'affaire est jugée par l'assemblée plénière de la cour de cassation.

Les décisions d'assemblée plénières ont une autorité morale considérable et une autorité légale encore plus forte puisque quand elle est réunie sur un pourvoi après une première cassation, ce qui est l'hypothèse d'une résistance des juges du fond, si elle casse à nouveau l'arrêt, sa décision en droit s'imposera aux juges de la cour d'appel.

Revenons en à notre humoriste pas très drôle sur ce coup là.

Les faits ne sont pas en discussion : Dieudonné a bien tenu ces propos là. La question est : s'agit-il de propos outrageants s'adressant à une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (article 33 de la loi du 29 juillet 1881) ?

La cour de cassation, dans son arrêt d'assemblée plénière du 16 février 2007, répond par l'affirmative, en répliquant aux conseillers de la cour d'appel de Paris que "l'affirmation "les juifs, c'est une secte, une escroquerie. C'est une des plus graves parce que c'est la première", ne relève pas de la libre critique du fait religieux, participant d'un débat d'intérêt général mais constitue une injure visant un groupe de personnes en raison de son origine, dont la répression est une restriction nécessaire à la liberté d'expression dans une société démocratique", cette dernière phrase répondant à l'argumentation du comédien invoquant la liberté d'expression protégée en ces termes par l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme.

Chat échaudé craint l'eau froide, et le quai de l'Horloge bat froid le quai des Orfèvres. C'est donc la cour d'appel de Versailles qui statuera en dernier lieu sur cette affaire. Les conseillers siégeant dans les écuries de la reine n'auront cette fois pas le choix : ils ne pourront que dire que les propos objet des poursuites constituent bien une telle injure. Mais une peine devant être prononcée et des réparations accordées, décisions relevant du pur fait et du fameux pouvoir souverain, ce renvoi était indispensable. Ce qui fait dire aux Ogres que Dieudonné n'a pas été condamné puisqu'aucune peine n'a été prononcée. "Pour le moment", doit-on à la vérité d'ajouter.

Donc, non, Dieudonné n'a pas encore été condamné pour injure raciale, la cour de cassation n'ayant pas ce pouvoir. Oui, il a été relaxé trois fois dans cette affaire (une fois par le tribunal de Paris, deux fois par la cour d'appel de la même ville), mais l'humoriste ne pourra pas échapper à la condamnation à la prochaine audience, ce qui révèle qu'on est en présence d'un peu plus "qu'un simple avis d'une cour de cassation", mais d'une décision juridique que personne ne peut plus contester.

Notes

[1] Terme qui vient du droit romain, où les jugement étaient gravées sur des tablettes d'argile, qui étaient brisées quand le jugement était annulé.

mercredi 7 février 2007

Le pourvoi de José Bové et autres rejeté

la chambre criminelle de la cour de cassation a rejeté aujourd'hui le pourvoi de José Bové (mais aussi Noël Mamère, injustement spolié de sa gloire médiatique sur ce coup là), dans l'affaire de la destruction en réunion d'un champ de maïs transgénique.

Le pourvoi soulevait trois arguments, tous rejetés.

Le premier critiquait l'annulation par la cour d'appel du jugement donnant acte à 230 personnes de leur comparution volontaire pour les mêmes faits aux fins d'être condamnées aux côtés du moustachu (pas Noël Mamère, l'autre). En effet, devant le tribunal correctionnel de Toulouse, 230 personnes étaient venues à l'audience et ayant déclarées qu'elles avaient participé aux faits, avaient demandé à être jugées par la même occasion. La cour d'appel a annulé le jugement sur ce point en précisant que le tribunal ne pouvait pas les juger faute pour le procureur de la république ou la victime d'avoir préalablement mis en mouvement l'action publique. Un principe fondamental du droit est qu'un juge ne peut "s'autosaisir", c'est à dire décider de son propre chef de juger telle personne, même si celle ci est d'accord. Il y a des exceptions (en matière de tutelles et de protection des mineurs), mais pas en matière pénale.

La cour de cassation approuve la cour d'appel d'avoir déclaré que la seule comparution volontaire de ces personnes ne mettait pas en mouvement l'action publique faute de réquisitions en ce sens.

Le deuxième critiquait la cour d'appel pour avoir rejeté une exception de nullité, c'est à dire une demande préalable visant à voir annulée la procédure, qui invoquait le fait que le procureur de la République avait ouvert une enquête de flagrance uniquement à l'égard de deux prévenus qui ont été immédiatement identifiés et placés en garde à vue tandis que les autres étaient simplement cités à comparaître. La cour de cassation le rejette en expliquant que le procureur a le choix du type d'enquête qu'il fait mener parmi celles que la loi lui propose, et qu'aucune discrimination n'a ainsi été opérée entre les prévenus qui comparaissent à la même audience et dans les mêmes conditions.

Le troisième invoquait enfin l'état de nécessité, dont j'ai abondamment parlé à l'occasion d'une affaire similaire aussi funeste pour les prévenus. L'état de nécessité était fondé selon les prévenus sur le principe de précaution, et sur le fait que les prévenus n'auraient eu d'autre choix que la nécessité impérieuse de détruire ce champ, l'impossibilité d'engager un débat public sur la question caractérisant un déficit démocratique rendant nécessaire l'action engagée. Quand on sait que certains des prévenus sont des parlementaires, on sourit à voir invoquer un déficit démocratique. Il est vrai que si les parlementaires sont au champ plutôt que dans l'hémicycle, le débat ne risque pas de progresser... Sans craindre la contradiction, les demandeurs au pourvoi invoquaient également la charte de l'environnement ajoutée depuis les faits à la Constitution pour légitimer leur action, ce qui tendrait plutôt à démontrer que le déficit démocratique en la matière est plutôt relatif.

La cour d'appel, approuvée en cela par la cour de cassation, balaye l'argumentation tirée de l'état de nécessité avec des motifs ma foi fort intéressants. Ainsi sur la nécessité de protéger de l'éventuelle pollution génétique par pollénisation, on apprend que seul 10% du maïs planté, le coeur du champ, était transgénique, les 90% restants étant destinés à servir de barrière pour capter le pollen éventuellement émis ; que les plants mâles étaient enfermés dans des poches pour les isoler, poches qui ont été détruites par les faucheurs volontaires, causant ainsi le dommage qu'ils prétendaient prévenir, d'autant que certains plants ont été traînés hors du champ par les manifestant eux même. Pour le surplus, elle rappelle que les manifestants avaient des voies de droit pour faire valoir leurs arguments, et que la Charte de l'environnement, en bon gadget législatif, n'est pas invoquable devant un tribunal.

La condamnation est donc définitive, mais comme je l'expliquais précédemment, José Bové n'a aucune chance d'être incarcéré avant les élections présidentielles, malgré sa volonté en ce sens confirmée ce matin encore.

On ne plaindra jamais assez la dure vie des militants révolutionnaires dans un pays démocratique. Les murs des prisons sont construits pour les maintenir à l'extérieur.

Ps : Oui, je sais j'ironise sur Bové, c'est mal, je vais m'en prendre plein la figure par ses trolls bio. C'est pas grave, j'ai des faucheurs volontaires de commentaires OGM (Objectivement Grossiers ou Malpolis).

vendredi 29 décembre 2006

L'affaire "Radiateur", ou la responsabilité d'un webmestre du fait d'un commentaire.

Le 6 mars prochain, le tribunal correctionnel de Saint-Nazaire aura à étudier une affaire très intéressante de responsabilité d'un webmestre du fait d'un commentaire laissé par une tierce personne, dont la solution pourra sans difficulté se transposer aux blogues, à une réserve près toutefois, que j'aborderai tout à l'heure.

Les faits en eux même sont simples.

L'association "Alternatives Pour une Nouvelle Économie de l'Emploi" (APNÉE) a été créée en 2004 en vue d'aider et soutenir des chômeurs tant dans leur recherche d'emploi que dans leur parcours administratif vis à vis de l'Assurance chômage que de l'ANPE.

Elle a créé à cette fin le site Actuchomage. Ce site n'est pas un blogue à proprement parler, mais y ressemble, en ce qu'il publie des billets d'actualité, de conseils et de témoignage qui peuvent être commentés à l'instar des billets d'un blogue comme celui que vous me faites l'honneur de lire en ce moment.

Pour mémoire, courant janvier 2006, plusieurs agences de l'ANPE ont été détruites ou endommagées par des incendies criminels.

Le 27 janvier 2006, Christophe T., agent de l'ANPE mécontent des consignes qu'il dit avoir reçu de sa hiérarchie visant à augmenter le nombre de radiations des listes de chômeurs afin de permettre au gouvernement de présenter à peu de frais de bons chiffres pour le chômage, laisse sous un billet d'Actuchômage un commentaire signé « Radiateur » et ainsi rédigé :

le feu à l'anpe, j'informe les enervés qui crament les anpe qu'il en reste encore : donc suivez le guide :

(suivent les coordonnées de l'agence de Saint-Nazaire où il exerçait)

Qui sème la misère récolte la colère. Les mots ne sont jamais trop forts quand il s'agit de qualifier le traitement actuel des chomeurs. Dans la réalité d'une anpe vous assistez au reprise de fin de stock, les gl2, gl3 (radiations), convocations. C'est comme une usine capitaliste normale avec des numéros de produits correspondant à des humains. J'ai lu ici et là l'évocation du STO et je confirme qu'il y a de cruelles ressemblances..."

Ce message a été signalé à la police qui a aussitôt diligenté une enquête qui a permis d'identifier l'auteur du commentaire et le webmestre du site, Yves B., président de l'association APNÉE, rédacteur en chef du site Actuchomage selon ses propres déclarations, et ayant qui plus est une formation de journaliste, et modérateur des commentaires du site.

Voilà la réserve que j'annonçais en avant-propos. Yves B. n'est pas un blogueur amateur, mais, quand bien même il ne tire pas de revenus de son activité sur Actuchômage, anime un site quasi-professionnel, qui diffuse des informations, aide les chômeurs, et surtout, il a une formation de journaliste, qui a dû lui lui inculquer la B.A.BA de la loi de 1881 sur la presse. Il sait ce qu'est un directeur de la publication et quelle est sa responsabilité, et cetet qualité peut changer le regard que portera sur lui le tribunal.

Après une brève instruction, Yves B. a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Saint Nazaire pour Provocation publique (non suivie d'effet, ce que l'ordonnance de renvoi ne précise pas) à la commission de délits, en l'espèce destruction volontaire par moyen dangereux pour les personnes. Peine maximale encourue : 5 ans de prison et 45.000 euros d'amende. Christophe T. a lui également été renvoyé comme complice de ce délit.

Ici, une pause s'impose.

Pourquoi Yves B. va-t-il être jugé comme l'auteur de cette provocation, alors que c'est Christophe T. qui a écrit le message et que celui-ci n'est prévenu que comme complice ?

Là, je vous invite à lire mon billet "Blogueurs et responsabilité". C'est le droit de la presse qui s'applique ici, comme à toute publication au public. Le responsable pénal est le directeur de la publication, c'est à dire celui qui décide de la publication et met à disposition les moyens techniques pour ce faire. Celui qui a rédigé le texte litigieux n'a fait que prêter assistance à la commission du délit. Il n'est donc que le complice.

La portée de cette distinction est cependant doublement limitée. La jurisprudence permet depuis longtemps de ne poursuivre que le complice et de laisser en paix le directeur de la publication, et si le complice encourt la même peine que l'auteur principal, rien n'interdit de le sanctionner plus sévèrement que ce dernier.

Fin de la pause.

Je laisserai de côté la responsabilité pénale de Christophe T. Ses propos sont univoques, et donnent l'adresse de l'agence où il travaille.

Celle d'Yves B. est plus intéressante. Que lui est-il reproché exactement ? L'ordonnance de renvoi le précise ainsi : il aurait directement provoqué à la commission d'infractions :

étant directeur de publication du site internet www.actuchomage.org, moyen de communication au public par voie électronique, (…) en s’abstenant de supprimer un message consultable sur ledit forum dont il avait eu connaissance et dont le contenu était : «J’informe les énervés qui crament les ANPE qu’il en reste encore donc suivé(sic) le guide ANPE de XXX : (adresse)», appelant ainsi directement à la commission d’un incendie volontaire, cette attitude d’abstention étant constitutive de la fixation du message préalablement à sa diffusion.

En effet, l'instruction a établi, à en croire l'ordonnance de renvoi, qu'Yves B. a eu connaissance de ce commentaire le jour où il a été mis en ligne, mais ne l'a pas immédiatement mis hors ligne. Il aurait déclaré ne pas avoir pris conscience immédiatement du caractère délictueux de ce message, mais néanmoins, il a aussitôt verrouillé le sujet, c'est à dire fermé les commentaires, si j'ai bien compris. Bon, il y a à mon sens une contradiction entre les propos et les actes : si Yves B. n'a pas eu conscience du caractère délictueux de ces propos, pourquoi avoir aussitôt verrouillé le sujet et décidé d'en parler aux autres responsables du site ? Ses collègues auront quant à eux moins d'états d'âme et effaceront le commentaire le 29 dans l'après midi, soit 48 heures après sa mise en ligne.

Je suis pour ma part chiffonné par l'étrange tournure de l'ordonnance de renvoi. Qualifier une attitude d'abstention postérieure à la publication de fixation du message préalable à sa diffusion me paraît juridiquement et même d'un point de vue logique paradoxal.

Car en matière de publication au public par voie électronique (c'est comme ça que le législateur appelle un site web, ils sont rigolos, au parlement), l'article 93-3 de la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle a lieu de s'appliquer :

Au cas où l'une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse[1] est commise par un moyen de communication au public par voie électronique, le directeur de la publication ou, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article 93-2 de la présente loi[2], le codirecteur de la publication sera poursuivi comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au public.

A défaut, l'auteur […]sera poursuivi comme auteur principal.

Le juge d'instruction, par son raisonnement, invite le tribunal à considérer qu'une abstention d'effacer un commentaire délictueux, abstention si durable qu'elle en devient fautive, équivaut à la condition de fixation préalable à sa communication au public. En toute bonne interprétation stricte de la loi pénale, le tribunal ne devrait pas pouvoir suivre ce raisonnement.

En tout cas, le tribunal va devoir clairement trancher la question de la responsabilité du webmestre d'un site qui autorise tout le monde à publier un texte en commentaire (comme sur ce même blogue) et qui, reconnaissant avoir eu connaissance de l'existence d'un message délictueux, ne l'a pas spontanément effacé. A ma connaissance (donc sous toutes réserves), cela n'a jamais été tranché. Cette décision est donc appelée à avoir une portée bien plus large que la seule affaire "Radiateur".

En effet, si le tribunal exonère Yves B. de sa responsabilité du fait qu'il n'y a pas eu fixation préalable à la publication, cela revient à délivrer les blogueurs de l'obligation de surveiller leurs commentaires. Victoire de la liberté d'expression, mais risque d'abus.

Mais ce n'est pas la conséquence la plus importante. Car il y a un cas où il y a fixation préalable du commentaire à la publication : c'est la modération des commentaires. Dans ce cas, les blogueurs modérant leurs commentaires endosseraient la responsabilité de leur teneur alors que ceux ne modérant pas les commentaires seraient absous par la lecture généreuse mais rigoureuse de l'article 93-3 de la loi de 1982. Bref, ce serait la fin de la modération, qui succomberait à son vice de conception (et qui explique ma réticence à en user ici, sauf provisoirement pour cause de brame de trolls) : valider un commentaire pour qu'il soit publié revient peu ou prou au webmestre de le ratifier, de l'approuver, non pas sur le fond, mais d'apposer un contreseing disant : je ne m'oppose pas à ce qui est dit dans ce commentaire et suis d'accord pour qu'il soit publié.

Parce que ça, quand on y réfléchit, ce qu'on appelle du doux nom de modération, c'est exactement ce qu'on appelle de la censure : pas de publication sans accord préalable. Confortable, sans doute, mais qui désormais aura un prix. Messieurs les censeurs, bonsoir.

Le 6 mars prochain, je retiendrai mon souffle...


Edit 21:56 : Merci à Clems (je n'aurai jamais cru devoir écrire ça un jour !) qui me signale un jugement du 21 juillet 2005 du TGI de Lyon qui a effectivement statué dans un sens conforme à mon analyse, mais dans un cas où le directeur de la publication avait été diligent : il avait supprimé le message litigieux dans les 24 heures de la demande de la société s'estimant diffamée. Ici, il n'y a pas eu suppression, mais pas de demande non plus, l'affaire ayant été directement traitée par la police. Il n'y a donc pas désert de jurisprudence (quoiqu'un jugement a une autorité doctrinale plutôt modeste...). Si quelqu'un a d'autres références, je suis preneur et complèterai le billet au fur et à mesure. Merci de les mettre en commentaires (non modérés...).

Notes

[1] Ce qui inclut le délit de provocation à la commission d'infractions.

[2] Hypothèse où le directeur de publication jouit d'une immunité parlementaire.

mercredi 20 décembre 2006

Pourquoi Seznec n'a-t-il pas été réhabilité ?

Je m'étais contenté dans mon premier billet sur le sujet de parler de la seule procédure de révision, n'ayant pas eu le temps de parcourir à loisir l'arrêt de la cour de révision.

Mais les points de vue partisans se multipliant, et, faute de pouvoir démontrer l'inanité de la décision, attaquant les juges l'ayant rendu quand ce n'est pas la justice en général, il me paraît opportun de faire un résumé du fond de la décision cette fois ci, pour que, sans avoir à lire l'arrêt, vous puissiez comprendre que la décision qui a été rendue n'a rien de scandaleux, et que l'on doit à la vérité de l'admettre : l'innocence de Seznec n'est pas aussi évidente que ses défenseurs le disent.

Qu'il soit clair ici que je ne prends pas partie dans un dossier que je ne connais pas en détail. Je n'ai pas d'opinion arrêtée sur le sujet, je ne suis ni parent, ni allié ni au service d'une partie. Je ne me fais ici que le porte-parole de la cour de révision. Mais je dois à l'honnêteté d'ajouter que mes doutes sur la culpabilité de Seznec ont été sérieusement ébranlés par la lecture de cet arrêt.

Récapitulons les faits, ce qui est déjà un sacré défi.

Les faits.

Le 25 mai 1923, Guillaume Seznec, entrepreneur de sciage mécanique à Morlaix, et Pierre Quéméneur, conseiller général du Finistère et négociant, prennent la route de Paris à bord d'une voiture de marque Cadillac, après avoir passé la nuit à Rennes, Hôtel de Paris. Le but de leur voyage est de négocier une vente à grande échelles de véhicules Cadillac, abandonnés par les troupes américaines après la guerre. D'après Seznec, Quemeneur devait rencontrer le lendemain à huit heures un certain Chardy, ou Sherdly. L'affaire était très prometteuse.

Quéméneur avait indiqué à sa famille qu'il serait de retour le 28. On ne le revit jamais. Seznec revint à Morlaix, avec l'automobile, le 27 mai au soir, seul.

La famille Quéméneur s'inquiéta et alla voir Seznec pour lui demander des nouvelles. Il leur dit qu'à cause de pannes de la voiture, il avait laissé Quéméneur à la gare de Dreux, où il avait pris le train pour Paris. Pour calmer leur inquiétude, il suggéra qu'il avait peut-être dû aller en Amérique.

Le 13 juin, un télégramme signé Quéméneur fut envoyé du Havre, principal port de départ vers l'Amérique, disant « Ne rentrerai Landerneau que dans quelques jours tout va pour le mieux - Quéméneur ».

Le 20 juin, un employé de la gare du Havre découvrit une valise avec des papiers au nom de Quéméneur. Sa famille fut avisé.

Le 22 juin, une instruction pour disparition suspecte fut ouverte à Brest. Dans le cadre de cette instruction, la valise fut saisie. Elle contenait notamment une promesse de vente dactylographiée (ce qui à l'époque est rare) portant sur un manoir situé à Plourivo, appartenant à Quéméneur, au bénéfice de Seznec et pour une somme ridicule : 35000 francs de l'époque, soit 35000 euros.

Le 26 juin, Seznec est entendu par les gendarmes. Il explique que cette promesse de vente a été rédigée par Quéméneur et lui a été consentie contre la remise de 4040 dollars or qu'il venait de changer à Brest, les 35 000 euros représentant le solde du prix de vente. Cette remise a eu lieu sans témoin. Quéméneur aurait souhaité avoir des fonds liquides pour traiter l'affaire qui l'appelait à Paris, sans que Seznec n'en sût plus, son rôle s'étant limité à recevoir pour Quéméneur des courriers adressés sur des enveloppes à en-tête de la chambre de commerce américaine de Paris.

Il raconte le détail du voyage vers Paris, et le fait que la voiture étant en panne, il avait laissé Quéméneur à Dreux et était rentré... à Morlaix. Rappelons que Dreux est à 80 km de Paris et 486 km de Morlaix...

L'instruction

L'instruction va découvrir les faits suivants :

Huit témoins les ont vu ensemble à Houdan, à 60km de Paris, où ils se sont renseignés sur l'heure du dernier train pour Paris ; celui-ci étant parti, ils ont repris la route ensemble. Quéméneur n'avait donc pas quitté Seznec à Dreux.

Un témoin a vu Seznec seul au volant de sa voiture, au petit matin du jour suivant, à la Queue Lez Yvelines, à 15 km d'Houdan sur la route de Paris. Ce témoin l'a aidé avec sa voiture en panne. Seznec a reconnu ce fait.

Le 12 juin, Seznec est parti en voiture (confirmé par son épouse), il a laissé sa voiture dans une ferme à Plouaret.

Le 13 juin, jour de l'envoi du télégramme signé Quéméneur, Seznec était au Havre. Il y a acheté la machine à écrire qui a servi à taper la promesse de vente. Cinq témoins ont confirmé ces faits. Il utilisait un nom d'emprunt lors de ce séjour. La boutique était proche du bureau de poste d'où le télégramme a été expédié.

Le même jour, il a été vu dans la soirée à la gare Montparnasse à Paris, à 21 heures, où il prenait le train pour Plouaret (deux témoins l'ont aidé à déposer un colis pesant, la machine à écrire probablement).

Le 14 juin au matin, il a récupéré sa voiture à Plouaret au petit matin, soit dans l'heure qui a suivi l'arrivée du train où il a été vu la veille.

Le 20 juin, deux témoins l'ont vu à la garde du Havre, porteur de la valise retrouvée plus tard avec les papiers de Quéméneur.

Le 6 juillet, la machine à écrire ayant servi à rédiger les promesses de vente a été découverte au cours d'une perquisition dans la scierie de Seznec.

Des experts vont examiner la machine et conclure qu'elle a bien servi à rédiger les promesses de vente, et dire que les mentions manuscrites prétendues écrites par Quéméneur sont en fait de la main de Seznec.

Ajoutons que dans la valise du Havre, il y avait aussi un carnet mentionnant des dépenses, notamment des billets de train Dreux-Paris et Paris-Le Havre, mais que les prix étaient erronés, ce qui exclut que ce soit le relevé de ses dépenses fait par Quéméneur. Ce d'autant que l'enquête va rapidement montrer, comme nous le verrons, que ce n'est pas à Dreux que Quéméneur est censé avoir pris le train, mais à Houdan, ce que Seznec sera obligé de reconnaître. Mais n'anticipons pas.

Les recherches du dénommé Chardy sont restées vaines, et la police en a conclu qu'il était inventé.

Le procès

Le procès s'est tenu à Quimper ; il a duré huit jours au cours desquels 124 témoins ont été entendus dont 26 par la défense.

Le jury a déclaré Seznec coupable de faux en écriture privé pour les deux promesses de vente et de meurtre sur la personne de Quéméneur, rejetant la préméditation (dans le cas contraire, la peine de mort aurait été prononcée).

les arguments développés en faveur de la révision et la réplique de la cour

1. La remise en cause des témoins d'Houdan.

L'instruction ayant révélé que Seznec et Quéméneur étaient à Houdan, Seznec changera de récit et dira s'être trompé et que c'est à Houdan et non à Dreux qu'il a laissé Quéméneur, vers 21 heures, après avoir soupé au restaurant « Le Plat d'Etain », à temps pour le dernier train pour Paris et qu'il l'a laissé, vivant, devant le café de la gare. Cela ne correspond pas au récit des témoins d'Houdan, qui précise qu'ils sont arrivés vers 21 heures, ont acheté une lanterne pour l'arrière de la voiture, ont soupé au Plat D'Etain, et ont demandé la route de Paris avant de se remettre en route tous les deux.

A l'appui de la version Seznec, les demandeurs soulignent que le témoignage de Jean Gérard, entendu six fois, donne bien 20 heures comme arrivée de Seznec à Houdan. Ils cherchent ensuite à écarter les déclarations des autres témoins, qui attestaient que Seznec et Quéméneur étaient arrivées bien plus tard, trop tard pour le train, ont dîné sur place et sont repartis ensemble.

La cour réplique à cela que Jean Gérard s'appelle en fait Paul Jeangirard et n'a été entendu en fait que trois fois, sous entendant que si les demandeurs veulent donner toute foi à ces témoignages, qu'ils commencent par bien les lire (ça fait mal, ces allusions...) ; qu'au-delà de l'heure qu'il indique, il y a des éléments concrets qui permettent de penser que ce qu'il a vu a eu lieu plus tard : ainsi, il a dit qu'il avait fini de souper, or il a déclaré qu'il soupait à vingt heures ; qu'au moment de l'arrivée de Seznec et Quéméneur, il avait dû allumer la lumière en raison de la pénombre, et que quand il leur a suggéré d'aller dîner Plat d'Etain, son épouse a fait remarquer qu'à cette heure là, il n'était pas sûr qu'ils fussent servis ; que les employés du restaurant ont tous témoigné que les deux hommes avaient dîné sur place et que lors de leur arrivée, les chaises étaient déjà renversées sur les tables comme à la fin de chaque service.

Les demandeurs ont également soulevé que le passage à l'heure d'été ayant suivi les faits pouvait expliquer que les témoins se trompassent. La cour écarte ce fait comme n'étant pas nouveau, puisqu'un supplément d'information a été ordonné dès 1923 sur ce point.

Ils soulèvent également que Quémeneur aurait passé un coup de fil depuis le Plat d'Etain, ce qui suppose qu'il y fut avant 21 heures, heure à laquelle le service téléphonique était interrompu. La cour l'écarte en relevant que cet élément n'est apparu qu'en 1930 des déclarations d'un « homme de lettre », Charles Huzo, et que ni les témoins ni Seznec n'avaient jamais parlé d'un coup de fil que Quéméneur. Cette affirmation n'est pas étayée.

Ils contestent également que les horaires des trains mentionnés sur le registre des cheminots à la date du 25 mai soient les bons, car ce registre mentionne à cette date une gelée nocturne alors que la station de Trappes avait relevé cette nuit là une température de 4,3°c. La cour leur répond que Trappes est à plus de trente kilomètres d'Houdan, que Seznec lui même a à neuf reprises maintenu que le 25 mai, il était à Houdan, a acheté une lanterne et laissé Quéméneur. J'ajoute qu'il est précisé plus hautcd'ans l'arrêt que deux des témoins ayant vu arriver les voyageurs à 21 heures étaient dans leur jardin, en train de protéger leur plante de crainte d'une nouvelle gelée nocturne.

Les demandeurs soulèvent que les témoins ayant assisté au départ ne relatent pas un léger choc de la voiture de Seznec avec une barrière, dont Seznec avait fait état, prouvant qu'ils ont pas assisté au départ de la voiture. La cour leur répond de relire avec profit le témoignage de Maurice Garnier, employé du chemin de fer, qui le relate avec précision.

Le ministère public y va de son grain de sel et soulève pour sa part qu'il n'y avait pas de café sur la place de la gare à Houdan, tandis qu'il y en avait bien un à Dreux, et donc, que les deux voyageurs n'ont pu se séparer à Houdan, ce qui serait un fait nouveau. La cour lui rétorque qu'un ingénieur des travaux publics de l'Etat a dressé un plan de la place de la gare à Houdan où est mentionné un café de la gare, et qu'à côté y figure une croix tracée de la main de Seznec quand le juge d'instruction lui a demandé de désigner l'endroit où il aurait laissé Quéméneur.

Exit donc la contestation des témoins d'Houdan.

2. Le témoignage de Pierre Dectot.

Un témoin, Pierre Dectot, circulant à vélo, aurait vu Seznec seul à 23 heures, ce 25 mai, en panne d'essence et lui aurait proposé de l'aide, ce qui, d'une suppose que le crime aurait eu lieu entre 22h10 (départ d'Houdan) et 23 heures, et que Seznec aurait fait disparaître le corps, qui n'a jamais été retrouvé, ce qui serait assurément trop court et de deux invalide le témoignage de l'automobiliste qui l'a vu à la Queue Lez Yvelines le lendemain à 5h30.

Mais la cour relève que rien ne démontre plus aujourd'hui qu'en 1923 que c'est bien Seznec qu'il a vu. Seznec lui même a toujours déclaré n'avoir aucun souvenir qu'un cycliste lui aurait proposé de l'aide ; de plus le témoin précisait avoir été ébloui par les phares alors qu'il résulte des témoins d'Houdan et des déclarations de Seznec lui même qu'une seule lanterne fonctionnait, et mal, faute d'ampoule de rechange.

Dès lors, le témoignage de Pierre Lectot est écarté par la cour comme il le fut par la cour d'assises de Quimper en 1923.

3. la machination policière.

C'est là le point principal de l'argumentation, qui repose sur l'argument suivant : la surabondance même de preuves accusant Seznec prouve qu'il y a eu machination.

On notera donc qu'en suivant ce raisonnement, seuls sont assurément coupables ceux dont rien ne prouve la culpabilité...

Voici la machination selon les demandeurs : Un dénommé Boudjema Gherdi a été identifié par Seznec dès 1926, grâce à des récits recueillis en détention à Saint Martin de Ré, comme étant le fameux Chardy. Colette Noll, résistante déportée, a identifié, tardivement il est vrai, Gherdi comme étant un traître l'ayant livrée à la police allemande, où travaillait Pierre Bonny, révoqué de la police en 1935, désigné par les requérants comme « l'agent essentiel de l'enquête » et l'auteur de la machination. Pierre Bonny sera d'ailleurs fusillé en 1944 pour collaboration. Bonny et Gherdi pouvaient donc être complices, Gherdi assassinant Quéméneur, et Bonny faisant porter le chapeau rond à Seznec, le tout étant lié à l'affaire que voulait traiter Quéméneur, qui était en fait un trafic de Cadillac très lucratif mais illégal vers l'Union soviétique, piste délaissée par les enquêteurs.

La cour réplique à cela que Bonny n'était pas « l'agent essentiel », mais policier stagiaire et secrétaire du commissaire Vidal, en charge de l'enquête ; que sur 500 pièces, son nom n'apparaît que sur quatre procès verbaux, établis soit par Vidal, soit par Doucet, un autre commissaire, et signés par eux, et sur cinq rapports.

De plus, Quéméneur avait déjà fait des affaires avec les Cadillacs, mais l'avait toujours fait au grand jour. Il avait de même fait état de ses projets à ses proches, au maire de Landerneau, et à son banquier.

La piste des affaires louches est affaiblie par le fait que les enveloppes utilisées à l'époque par la chambre de commerce américaine de Paris ne correspondaient pas à celles décrites pas Seznec. Enfin, aucune preuve n'existe de l'implication de Quéméneur, Gherdi ou Bonny dans un tel trafic, des investigations ayant déjà été menée dans les archives ministérielles, par la cour de révision précédemment saisie. Rien n'établit que Gherdi ait collaboré sous l'occupation, et en faire le correspondant parisien de Quéméneur dans cette affaire de trafic, alors qu'il ne savait ni lire ni écrire et que son affaire de pièces détachées avait cessé en 1922 quand le dépôt de voitures américaines du Champ-De-Mars a été démantelé ne repose sur aucun élément.

Enfin, la machination policière suppose que Bonny se soir rendu au Havre dès le 13 juin pour expédier le télégramme signé Quéméneur, soit à une date où aucune enquête de police n'est encore menée.

La cour se lance ensuite dans un méthodique démontage des témoignages invoqués qui sont tous soit indirects, soit circonspects. Deux exemples illustrent bien cet aspect.

Jemma Martin, entendue en mars 2002 sur commission rogatoire, a déclaré qu'à l'époque de son apprentissage à l'hospice de Quintin, qu'elle situait en 1954, une religieuse lui avait déclaré tenir de la mère Borromée, supérieure de la communauté, décédée depuis lors, que celle-ci avait rencontré Seznec, le 13 juin 1923, dans une gare dont le nom n'avait pas été précisé mais qui, pensait Jemma Martin, ne pouvait être que celle de Saint-Brieuc. Ce témoignage ne fait que rapporter des dires d'une personne les tenant d'une précédente et comporte un élément subjectif sur un point essentiel : la gare ne pourrait être que celle de Saint-Brieuc.

En 1993, Louise Héranval, vendeuse à la boutique où la machine à écrire a été achetée, a affirmé devant des journalistes qu'elle n'avait pu formellement reconnaître Seznec, qui ne lui avait été présentée que dans un couloir très sombre. Mais 38 ans plus tôt, elle avait soutenu le contraire, et la procédure révèle qu'elle a été confrontée à Seznec dans le bureau du juge d'instruction et aux assises de Morlaix, où elle l'a reconnu à chaque fois. Elle a été entendu par les magistrats de la cour de révision saisie en 1993 mais a déclaré n'avoir plus aucun souvenir, et pour cause : elle fut diagnostiquée d'un Alzheimer qui évoluait depuis... 1991.

Je ne reprendrai pas la litanie des témoignages écartés, mais si vous voulez lire l'arrêt, cherchez le paragraphe « - concernant les témoignages tendant à établir l'existence d'une machination policière : ».

Derniers points soulevés par les demandeurs, la contestation des expertises dactylographique et graphologiques, cette dernière ayant attribué à Seznec les mentions manuscrites sur les promesses de vente. La cour balaye les conclusions des deux experts invoqués par la défense, non pas en rappelant, si ce n'est incidemment, que cinq experts internationaux ont déjà conclu sur ce point, mais en rappelant que la question de savoir qui a écrit ces mentions n'est pas si importante, dès lors que Seznec reconnaît être le signataire, et que son caractère mensonger ne fait aucun doute. En effet, relève la cour, il est plus que douteux que Seznait ait jamais eu 4040 dollars or, lui qui avait emprunté 15 000 francs à Quéméneur fin 1922, gagé par sa Cadillac, et 5030 francs à sa domestique. Aux enquêteurs qui lui ont demandé combien pesaient ces pièces, il a répondu 500 grammes, alors que leur poids était de 6,744 kg : il a décrit la boite qu'il avait fabriqué lui même pour les contenir : reconstruite, elle ne pouvait contenir que 133 pièces de 10 dollars, quand la somme était prétendument de 99 pièces de 20 et 206 de 10. Comment donc aurait-il payé la première part du prix de vente ?

Ces promesses de vente ont été rédigées sur du papier timbré vendu par le buraliste de Morlaix. Une feuille identique a été trouvée chez Seznec. Or l'acte a été rédigé fortuitement à Brest, et Quéméneur vivait à Landerneau. Comment pouvait-il avoir sur lui deux feuilles vendues exclusivement à Morlaix ?

Reste l'expertise sur la machine à écrire, la Royal-10.

Un expert de la défense conclut que la même machine a bien fait les deux exemplaires, mais que l'exemplaire remis par Seznec présente des similitudes de doigté avec des fac-similés tapés le 6 juillet lors de la découverte de la machine par le commissaire Cunat, de la 13ème brigade mobile de Rennes, qui a entendu Seznec le 26 juin. Il serait l'auteur de l'un des faux, selon l'expert.

La machination policière ! La revoilà, mais la cour finit d'achever cette théorie en en démontrant l'absurdité : elle suppose donc que dès le 13 juin date de l'achat de la machine au Havre, alors qu'aucune enquête n'a été ouverte sur la disparition de Quéméneur qui n'est pas encore certaine, la machination policière était déjà en place : que les policiers conjurés aient provoqué les faux témoignages du vendeur de la machine et de ses trois employés, et aient envoyé le télégramme signé Quéméneur à 16h35 pour conforter leur faux témoignage, ce à une date où les policiers ignoraient l'existence d'une promesse de vente dactylographiée, forme rare à l'époque, promesse qui ne leur sera révélée que 13 jours plus tard à Paris. Une fois qu'ils auraient découvert qu'il y avait une promesse de vente, ils en auraient donc confectionné deux fausses, dont une par Cunat à Rennes, exemplaire qui aurait été authentifié en connaissance de cause par Vidal à Paris, ce qui suppose une collaboration au plus haut niveau de ces deux services : on est loin de la conspiration du secrétaire stagiaire Bonny. Plus extraordinaire encore, il eût fallu que les policiers suggérassent à leurs faux témoins le nom de Ferbour comme nom d'emprunt utilisé par Seznec au Havre, nom qui le 13 juillet s'avéra être celui d'un ami de Seznec, voyageur de commerce, dont les policiers ne pouvaient avoir entendu parler et qui à sa connaissance était le seul à porter ce nom là dans tout l'ouest de la France.

Ceci n'est qu'un pâle résumé de l'arrêt, qui est un travail extraordinaire de méticulosité et de démontage des témoignages invoqués par les demandeurs à la révision. Je vous encourage à le lire, surtout si des questions vous viennent à la lecture de ce billet : vous y trouverez probablement les réponses.

Et encore une fois, gardez bien à l'esprit que la cour de révision ne refaisait pas le procès de Seznec, mais cherchait à évaluer si des éléments inconnus du jury en 1924 et révélés postérieurement sont de nature à faire naître un doute sur sa culpabilité.

La cour ne dit pas : Seznec était coupable. Cela a déjà été dit.

Elle conclut que rien ne fait naître de doute à ce sujet. Et je voudrais que ceux qui considèrent cette vérité comme une évidence, parce que les larmes de Denis Le Her-Seznec sont sincères, parce que Tri Yan l'a chanté, parce qu'un policier parisien qui accuse un breton ne peut qu'être un menteur, parce que la justice ne peut que se tromper quand elle refuse de céder à l'opinion publique, je voudrais que ceux là écoutent un peu ce qui a été dit.

Traîter la justice de sourde, aveugle et folle, n'est ce pas plus facile que d'admettre que l'on est soi même autiste ?

jeudi 14 décembre 2006

L'affaire Seznec, ou la mémoire de Guillaume ne sera pas déchargée (en tout cas cette fois)

La Cour de cassation siégeant comme cour de révision a rejeté aujourd'hui la demande en révision présentée par Marilyse Lebranchu.

Loin de moi l'idée de dire que la Cour s'est trompée ou non. Silas Day-Lewa approuve la décision de la Cour de s'en tenir à un strict légalisme plutôt que de rendre une décision symbolique qui aurait fait plaisir à beaucoup sans faire de tort à personne de vivant.

N'étant pas historien et totalement étranger à cette affaire, je voudrais juste expliquer en quoi consiste cette procédure de révision en vous expliquant ce qui s'est passé et pourquoi il apparaît très difficile d'imaginer une nouvelle requête.

  • La révision n'est pas l'appel.

Un condamné à une infraction allant de la contravention de la 5e classe (1500 euros d'amende maximum, 3000 exceptionnellement en cas de récidive), jusqu'au crime peut faire appel dans les dix jours de la connaissance qu'il a de sa condamnation pour demander à être rejugé par une cour d'appel. Cela me fait penser que la question de cette connaissance par le condamné de sa condamnation mériterait un billet à part entière qui ferait le bonheur des étudiants en procédure pénale et de mes lecteurs curieux.

Notons également au passage que les condamnés pour crime (encourant des peines de 15 ans de réclusion jusqu'à la perpétuité, quand ce n'était pas pire encore) n'ont le droit de faire appel de leur condamnation que depuis la loi du 15 juin 2000. Aussi étonnant que cela paraisse, un condamné à mort n'avait pas droit de faire appel de sa condamnation. Quand on sait qu'il était à Paris un président réputé pour revenir avec une condamnation à mort après trois quart d'heure de délibéré...

Quand la voie de l'appel n'est pas ou n'est plus ouverte, soit que l'infraction est jugée sans appel (contravention de la 1e classe...), soit que la condamnation ait été prononcée en appel, la seule voie de recours restant est le pourvoi en cassation.

La particularité de ce pourvoi est qu'il ne vise qu'à remettre en cause l'application de la loi par la juridiction ayant statué en dernier. On ne peut contester les preuves : elles ont été appréciées souverainement par les juges. Il faut impérativement soulever une violation de la procédure ou une mauvaise application de la loi. La cour de cassation casse, c'est à dire annule la décision, et renvoie l'affaire pour être à nouveau jugée devant une juridiction équivalente (tribunal de police, cour d'appel...) mais naturellement autre que celle ayant statué. En effet, la cour ne peut juger les faits, ce qui suppose d'apprécier à nouveau les preuves. C'est ce qui rend les arrêts de la cour de cassation si intéressants pour le juriste : statuant en droit, ses solutions sont toujours transposables à d'autres affaires. C'est là l'essence de sa mission : unifier l'interprétation du droit. C'est pourquoi il n'y a qu'une seule cour de cassation (Quai de l'Horloge, à Paris 1er).

Quand le pourvoi en cassation est rejeté, la condamnation devient définitive. L'accusé devient coupable, la présomption d'innocence n'existe plus, on est passé à la preuve de la culpabilité. Il faut savoir mettre fin à un procès.

Le président de la République a le droit de grâce, qu'il tient de la Constitution, mais la grâce ne fait que dispenser de l'exécution de la peine, en tout ou partie. Elle ne fait pas disparaître la condamnation.

Néanmoins, il serait insupportable qu'une décision que tout le monde sût fausse ne pût être remise en cause. Cette voie de recours exceptionnelle, donc restrictive, s'appelle la demande en révision.

Le vocabulaire précis est donc : l'appel, le pourvoi en cassation, et la demande en révision.

  • Une voie de recours exceptionnelle.

Cette procédure est régie par les articles 622 à 626 du Code de procédure pénale. Elle n'est ouverte que dans quatre cas.

  1. Pour les seules condamnations pour homicide, si « des pièces propres à faire naître de suffisants indices » (sic) démontrant que la victime serait en vie. La tournure n'est pas très gracieuse. Des pièces ne font pas naître des indices, elles SONT des indices ; ce qu'elles font naître sont des doutes.
  2. Si deux condamnations ont été prononcées condamnant deux personnes différentes pour les mêmes faits. C'est le cas le plus facile, mais devenu quasiment impossible aujourd'hui, puisque cette contradiction démontre nécessairement l'innocence d'un des condamnés.
  3. Si un des témoins ayant déposé contre le condamné est condamné pour faux témoignage pour cette déposition.
  4. Enfin, si se produit ou se révèle un fait nouveau ou un élément inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné.

La demande rejetée aujourd'hui relevait de ce quatrième cas : un témoin affirme que la personne que Seznec disait aller voir à Paris avec la victime Quemeneur existait bel et bien, alors que l'enquête initiale avait conclu que c'était une invention de Seznec.

Ce n'est pas tout que ces conditions soient remplies. Encore faut-il avoir qualité pour agir, c'est à dire faire partie des gens que la loi habilite à présenter une telle décision.

Il s'agit :

  1. Du condamné lui même, ou de son représentant légal s'il est mineur ou sous tutelle ;
  2. S'il est mort, par conjoint, ses enfants, ses parents, ses légataires universels ou à titre universel ou par ceux qui en ont reçu de lui la mission expresse. On pense au célèbre « Réhabilitez-moi ! » lancé par Ranucci à son avocat au moment d'être emmené vers la guillotine. Cette liste est exhaustive : Denis Seznec, petit-fils de Guillaume, ne peut pas présenter lui-même de demande en révision ; seule sa mère pouvait.
  3. Le Garde des Sceaux, en tout temps. C'est donc Marilyse Lebrachu qui avait, à la demande de Denis Seznec, signé la demande le 30 mars 2001.
  • Une procédure en deux temps.

La demande est adressée à la commission de révision de la cour de cassation. Elle est composée de cinq magistrats de la cour, dont le président est impérativement choisi au sein de la chambre criminelle, celle qui juge tous les pourvois en matière pénale.

Cette commission a des pouvoirs d'enquête et joue un rôle de filtrage. Elle peut interroger les parties prenantes et les témoins, ordonner des expertises ou des investigations policières. Une fois ses investigations terminées, et les observations des avocats et du ministère public ouïes au cours d'une audience qui peut être publique si une partie le demande, elle peut rejeter la demande, rejet qui n'est pas susceptible de recours, ou saisir la chambre criminelle statuant comme cour de révision. Il s'agit de la chambre criminelle en entier, soit pas moins de trente trois conseillers. Cette décision s'appelle un avis, puisqu'elle ne juge pas mais dit que la commission est d'avis qu'il y a lieu de saisir la cour de révision.

C'est ce qui s'est passé le 11 avril 2005, au cours d'une audience publique à la demande de Denis Seznec, lors de laquelle l'avocat général avait clairement pris partie pour une révision du procès, allumant les plus grands espoirs chez les héritiers de Seznec.

Une fois la cour de révision saisie, elle peut à son tour procéder aux mêmes mesures d'enquête. Concrètement, elle désigne un conseiller rapporteur, qui s'occupe du travail et dirige les débats lors de la délibération. Ce conseiller était Jean-Louis Castagnède, qui présidait la cour d'assises de Bordeaux lors du procès Papon.

Quand le dossier est en état d'être jugé (on dit « en état » tout court), une audience a lieu où le demandeur en révision peut présenter ses observations en personne ou par avocat, ainsi que la victime si elle le souhaite, et bien sûr le ministère public.

Cette audience est publique. Elle s'est tenue le 5 octobre dernier.

La cour met ensuite sa décision en délibéré. La décision est prise par les trente trois magistrats.

  • A quoi peut aboutir une demande en révision ?

La cour de révision peut tout d'abord rejeter la demande. C'est l'hypothèse la plus simple : circulez, il n'y a rien à innocenter.

Elle peut au contraire décider que la demande était fondée. Là, deux possibilités s'ouvrent à elle.

S'il est encore possible d'organiser un débat contradictoire, c'est à dire où toutes les parties pourront à nouveau faire valoir leur argument, l'affaire est renvoyée devant une juridiction de même nature que celle ayant statué. On revient alors à une situation proche de la cassation de la décision sur pourvoi.

Si ce n'est pas possible, du fait du décès des parties, d'une amnistie, de la démence d'une partie, ou autre, la cour juge l'affaire au fond dans sa décision. Elle annule les condamnations qui lui paraissent injustifiées, ou si les intéressés sont décédés, elle « décharge la mémoire des morts ».

Aujourd'hui, la cour a choisi la première branche de l'alternative : elle a rejeté la demande.

  • Et maintenant ?

Ayant moi même un peu de sang breton, je suis têtu comme une mule. Je ne doute pas dès lors que les héritiers de Guillaume Seznec, plus bretons que moi, ne soient encore plus obstinés et continueront leur combat.

Mais les obstacles sont difficiles à surmonter, et vous les connaissez désormais, cher lecteurs.

D'une part, il faudra trouver des éléments nouveaux au sens d'inconnus par la cour d'assises du Finistère qui a jugé l'affaire le 4 novembre 1924. La demande nouvelle pourra s'appuyer sur les éléments déjà soumis à la cour lors de cette demande, mais il en faudra d'autres. 82 ans après les faits, cela sera très difficile.

D'autre part, il faudra convaincre le Garde des Sceaux de présenter la demande, seul lui pouvant désormais le faire.

Vous voilà désormais équipés pour lire le (très long) arrêt de la chambre criminelle du 14 décembre 2006, affaire n°05-82.943, arrêt n°5813.

Vous verrez, maintenant que vous avez les armes pour décoder la procédure, ça se lit comme un roman policier.

mercredi 15 novembre 2006

Corrigeons Le Monde...

Le Monde publie un bref article sur l'arrêt rendu hier par la cour de cassation. Si le factuel est correct, dès que la journaliste s'aventure sur le terrain juridique, on assiste à une succession d'approximations, due à une méconnaissance de la matière juridique hâtivement dissimulée derrière un vocabulaire technique inadapté. Heureusement, je veille.

(…) En France, des évêques s'étaient dits blessés que soit ainsi utilisé "un évènement fondateur de la foi chrétienne". En leur nom, l'association Croyances et libertés avait alors saisi en référé le tribunal de grande instance de Paris et demandé le retrait de l'affiche.

En France, nul ne plaide par procureur. L'association Croyances et Libertés ne représente qu'elle-même et ne peut agir au nom des évêques ou de quelques uns. Cette association agissait ainsi en son nom propre.

Le 10 mars, les magistrats lui donnaient raison et prononçaient une interdiction d'affichage de cette campagne constituant "un acte d'intrusion agressive et gratuite dans le tréfonds des croyances intimes". (…)

Il s'agissait d'une ordonnance de référé, rendue par le président du tribunal de grande instance statuant seul.

Susciter la controverse permet à une marque dont les investissements publicitaires sont limités de bénéficier de retombées médiatiques avantageuses. L'agence Air s'appuyait également sur le triomphe du livre de Dan Brown, le Da Vinci Code, et poussait plus loin la féminisation de La Cène : Jésus et onze de ses disciples devenaient des femmes et l'homme dénudé représentait le double masculin de Marie-Madeleine. Toutefois, Marithé et François Girbaud ne pensaient pas que l'interdiction de l'affichage serait prononcée. La société décida de faire appel. La cour d'appel confirma le jugement. La cour de cassation vient de le casser considérant que cette interdiction allait à l'encontre du principe de la liberté d'expression.

Non, non et non. L'interdiction de l'affichage reposait sur l'injure supposée faite à certaines personnes (les catholiques). La cour casse en soulignant que parodier un événement religieux fût-il fondateur n'est pas une injure, qui suppose une attaque directe et non un froissement des susceptibilités. En encore plus clair, ce que Le Monde aurait pu utilement dire est que la Cour de cassation confirme que le blasphème n'est pas illicite en France.

- page 4 de 6 -

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.