Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 11 avril 2008

Billet avec bonus même pas cachés

Par Dadouche et Fantômette



On peut désormais, sur n'importe quel DVD, connaître les pensées profondes du réalisateur, des acteurs principaux voire de l'accessoiriste plan par plan.

Ne reculant devant aucune innovation technologique, nous vous proposons une expérience unique : vivre une audience d'assistance éducative avec, en bonus, les commentaires in petto du juge et de l'avocat.


Mode d'emploi : en noir, le récit de l'audience, reconstituée à partir de plusieurs vrais dossiers et notes d'audience. En rose, les pensées « live » du juge, en vert celle de l'avocat.


Pour vous mettre en condition, plantons le décor, qui commence bien avant le jour de l'audience :


J – 20


Le juge prend pour la première fois connaissance du dossier lorsqu’il atterrit sur son bureau.

C'est une nouvelle situation, signalée par l'Aide Sociale à l'Enfance et transmise par le Substitut des mineurs qui a agrafé une belle requête.


Killian, deux ans et demi, est régulièrement témoin de disputes violentes entre ses parents, qui sont décrits comme instables. Son père, Kevin, toxicomane, est récemment sorti de prison. Il ne parvient pas à trouver de travail. Il a des accès de violence, essentiellement dirigés contre sa compagne et leurs meubles. Il se dit volontaire pour des soins, mais n'honore pas les rendez-vous fixés.


Sa compagne, Maëva, a eu Killian à 18 ans. Elle n'a aucune formation professionnelle et a du mal à se mobiliser pour son insertion. Elle a déjà quitté Kevin plusieurs fois et avait même intégré un foyer mère/enfant. ça a tenu quinze jours. Leur situation sociale est précaire : en instance d'expulsion en raison des multiples tapages et interventions de la police, leur RMI de couple a été suspendu pour non présentation aux rendez-vous avec les référents.


Ils ont une relation fusionnelle, rythmée par les disputes, les séparations et les réconciliations.


Ils sont très attachés à Killian, qui est décrit comme un petit garçon bien intégré à la crèche, souriant, tonique. Il commence cependant à montrer des signes inquiétants d'agressivité. Il raconte parfois que « Papa tape Maman ». A la maison, il teste beaucoup les limites et pousse parfois à bout sa mère qui oscille entre les cris pour se faire obéir et une forme de laisser-faire.

Le signalement est complété par un courrier de l'OPAC qui relate les troubles de voisinage causés par Kevin et signale que Killian vit « des situations de nature à le perturber et à nuire à son épanouissement ».


Le couple n'a pas répondu aux dernières propositions de rendez-vous pour mettre en place une aide éducative à domicile.


Dadouche décide de les convoquer, en même temps que l'assistante sociale qui a rédigé le signalement.


J – 13


Maëva reçoit la convocation.

Soudain prise d’angoisse, elle se souvient de l’avocat que son père avait consulté quand il s’était fait licencier. Il a retrouvé le nom dans l’annuaire, et elle prend rendez-vous, affolée d’apprendre qu’il ne peut pas la recevoir tout de suite, mais qu’il va falloir attendre, presque une semaine…



J – 7


Le jour dit, avec une demi-heure d’avance, Maëva est au rendez-vous, avec Killian qu’elle n’a pas pu faire garder. Ce n’est pas l’avocat de son père qui la reçoit finalement. Il la croise juste dans la salle d’attente et lui présente rapidement une avocate en disant: « c’est Maître Fantômette qui se charge des audiences devant le Juge pour Enfants.» Maëva hoche la tête, mais elle n’en mène pas large et ça se voit.


Le rendez-vous dure une bonne heure et demie, et au bout de vingt minutes, il faut appeler la secrétaire à l’aide pour qu’elle s’occupe du petit.


Maëva fond en larmes trois fois. Fantômette est parée, elle a toujours une boite de mouchoirs en papier dans son tiroir de droite. Elle attend, patiemment, que Maëva se calme, et puis reprend l’entretien, pose des questions, prend des notes.


Tout sort, par à-coup : son histoire incertaine avec Kevin (« on n’est plus ensemble, ah ça non, mais par contre il passe m’aider, tous les jours »), Killian (« C’est ma raison de vivre, je ne veux pas qu’on me le prenne »), ses projets (« je me suis inscrite à des cours de remise à niveau, à l’AFPA »), ses peurs, ses espoirs. Elle ne cesse de rechercher l’approbation (« j’ai eu raison, non ? Vous êtes d’accord ? »), et la compréhension (« Je crois bien que tout le monde aurait fait comme moi, en fait. Non ? »).


D’expérience, l’avocate adopte l’attitude de neutralité bienveillante qui s’impose, celle qui permet à la fois la distance nécessaire à la bonne analyse du dossier, et la confiance entre l’avocat et son client. Elle rassure un peu (« Je ne crois pas qu’on en soit à se poser la question d’un placement, vous savez »), mais reprend parfois Maëva, aussitôt sur la défensive, quand elle tente une explication contredite par le dossier (« Tous les voisins vous détestent ? Vraiment ? Quand ils appellent la police, parce qu’ils vous entendent crier, vous ne pensez pas qu’ils essayent peut-être de venir à votre aide ? »). Et puis, l’avocate évoque l’idée d’une mesure d’assistance éducative. Après avoir protesté, Maëva admet du bout des lèvres que Killian et elle-même pourraient avoir besoin d’une aide extérieure, mais elle se ferme ensuite, l’air épuisé, et c’est le moment de clore l’entretien.


Pour être honnête, ce rendez-vous n’a pas vraiment rassuré Maëva, malgré la conclusion encourageante de l’avocate qui termine en disant : « Dites-vous qu’on va simplement essayer de voir tous ensemble ce qui serait le mieux pour Killian. »



Jour J : l'audience

C'est la cinquième audience de la journée pour le juge. Repensant au placement ordonné lors de la troisième, elle soupire et se dirige vers la salle d'attente. 

[Bon, j'espère que tout le monde est là cette fois, pas comme l'audience d'avant où l'avocat avait un quart d'heure de retard]

[Miracle ! L’audience commence quasiment à l’heure. Avec un peu de chance, je ne serai pas en retard à mes rendez-vous ce soir].

Kevin, Maëva et Killian la suivent dans son bureau, accompagnés par l'avocate de Maëva [Tiens, ils ont engagé une nouvelle à la SCP Patrons et associés ? La valse des collaborateurs a encore frappé]. Est également présente Mme Dubonsecours, l'assistante sociale de secteur qui a rédigé le signalement.

Le juge se présente et explique à Kevin et Maëva les raisons de leur présence.

« Je suis Dadouche, juge des enfants. Je vous ai fait venir à la demande du Procureur, pour parler de la situation de Killian. Le but de l'audience d'aujourd'hui est de faire le point sur la situation et les éléments transmis par les services sociaux et de voir si une mesure peut être mise en place pour vous aider ».

Kevin commence à s'agiter sur sa chaise et ouvre la bouche pour protester. [Il a l'air un peu nerveux le jeune homme. Essayons tout de suite de le rassurer].

« Personne ne met en cause votre affection pour Killian. Il n'est pas question de maltraitance ou quoi que ce soit de ce genre. Les inquiétudes viennent plutôt du fait que Killian, qui est encore tout petit, vit dans un climat un peu agressif. D'après les éléments qui ont été recueillis, c'est parfois un peu agité chez vous. [Ouf… le Juge n’en rajoute pas ... Tant mieux. Cela devrait les aider à se calmer un peu tous les deux et à comprendre que je n’ai pas menti lorsque j’ai expliqué qu’on était tous là dans l’intérêt de Killian]. « Il y a déjà eu des violences au moins verbales. [C'est pas la peine d'en faire trois tonnes, si la police est intervenue plusieurs fois, c'est pas parce qu'ils se jouaient la sérénade.] La question, c'est comment Killian peut réagir au milieu de tout ça et comment vous le protégez de vos conflits d'adultes ? [Adultes, tu parles, elle a l'air d'avoir 15 ans et elle fait 45 kilos toute mouillée. Et lui je pense qu'il a pas fumé que des Marlboro avant de venir] Il semble que ces derniers temps il est lui même assez agité [Et encore, elle ne l’a pas vu sauter partout sur les fauteuils de ma salle d’attente]. Je crois que la crèche vous a d'ailleurs alertés à ce sujet. Et le fait que vous ne veniez pas aux rendez-vous proposés par l'assistante sociale et la puéricultrice ne nous permet pas d'être rassurés, puisqu'elles n'ont pas pu avoir accès à Killian. »

La juge donne la parole à Maëva, en lui demandant comment elle trouve que Killian va, si elle a remarqué une agitation particulière, si elle comprend les inquiétudes des services sociaux. [Allez Maëva, respirez un grand coup, et exprimez-vous clairement, posément, je vous l’ai dit et répété, l’enfant ne va pas partir encadré par deux assistantes sociales ce soir…].

Maëva : « Il y a des choses sur lesquelles je ne suis pas d'accord. [aïe aïe aïe…] [Ouh là, elle est encore plus nerveuse que lui, elle a un débit de mitraillette] D'abord, on ne vit plus ensemble depuis trois semaines. [Ca fait donc la cinquième séparation, et évidemment juste après le signalement.][Bon, la séparation présente tout de même un aspect positif, le père s’éloigne s’il sent que c’est allé trop loin. Si seulement, le dossier donnait des raisons de croire que c’est une séparation mûrement réfléchie … Hummm, non, le Juge n’y croit pas, je l’ai vu au regard qu’elle lui a lancé. Bon, autant assumer l’incertitude qui règne à cet égard dans mes observations.] Monsieur vient voir son fils et le garde pendant que je suis en formation. [Ouais, encore une séparation pas vraiment séparée quoi][oui, bon, autant évoquer clairement l’ambiguïté de cette séparation, après tout. En même temps, ils sont encore très jeunes tous les deux, ils peuvent aussi évoluer sur leur relation de couple].

« C'est vrai que c'était très tendu entre nous, mais quand il y avait des disputes, j'essayais de rassurer Killian. Les gens du voisinage racontent n'importe quoi, ils ne nous aiment pas [soupir intérieur- surtout rester impassible]. Je suis tout à fait capable de m'occuper de mon fils et de lui offrir ce que je n'ai pas eu. [Bon, encore une jeune femme elle-même un poil carencée qui ne vit que par son statut de mère... Ah mais oui, je me souviens : ma greffière qui est là depuis 20 ans m'a dit qu'elle l'avait connue comme mineure. Je vois d'ici le tableau : pas de modèle parental fiable, elle improvise comme elle peut sur la base de “je ne ferai pas comme ma mère”]

« J'ai eu une travailleuse familiale, mais je n'aime pas avoir quelqu'un chez moi [Elle a sûrement besoin d’aide, et Killian a besoin qu’elle soit aidée, mais il faudra du temps pour qu’elle accepte de croire dans la bonne volonté de ceux qui viendront, et beaucoup de patience et de diplomatie de la part des intervenants. Hmmm, pourtant j’hésite à le dire franchement, c’est à double tranchant…], j'avais l'impression qu'elle me surveillait. [C'est pas gagné pour une intervention éducative] La procédure d'expulsion du logement a été suspendue. C'est vrai que Killian est un peu dur en ce moment, mais ça va aller mieux maintenant.[C'est parti pour la méthode Coué].

« C'est vrai que quand il fait des bêtises, comme je ne dors pas beaucoup, je le gronde parfois fort, et après je m'en veux alors j'essaye de me faire pardonner. » [Pourquoi j'ai l'impression d'avoir déjà vécu cette audience 15 fois ? Le gamin doit être complètement paumé pour comprendre quand il a fait une bêtise si elle le gronde pour ensuite lui acheter un cadeau.]


Kevin : « Les seules choses vraies, c'est ce qui me concerne [Bon, voilà Papa macho et culpabilisé qui veut « assumer »alors que le reste du temps il assure pas un cachou]. Je suis parti pour protéger ma femme et mon fils [Très bien, il l’a dit de lui-même. Mais il faudra que je le souligne]. Je n'ai jamais frappé mon fils. C'est vrai qu'il y a un climat de violence et que Killian m'a vu frapper sa mère.

« L'assistante sociale nous a beaucoup aidés au début à régler certaines factures. Moi j'ai fait des erreurs, mais pas ma femme. S'il y a un placement, notre vie est morte. [Il a l'air un peu exalté le Monsieur. Je comprends pourquoi il y a autant de hauts et de bas dans leur relation] On pourrait m'interdire de m'approcher de l'appartement. » [En gros c'est comme pour les soins : il sait que ce qu'il faudrait faire, mais il n'arrive pas à le faire tout seul].


L'assistante sociale rappelle qu'elle intervient auprès de la famille depuis longtemps : « Pendant plus d'un an, on a pu bien travailler ensemble [penser à le rappeler, c’est vrai que ça a bien fonctionné pendant un bon moment], mais depuis quelques temps, on a très régulièrement des informations signalantes en provenance de sources diverses (crèche, voisins, OPAC). Monsieur a conscience qu'il a besoin de soins, mais il ne parvient pas à s'inscrire dans une véritable démarche.[Elle a l'air de marcher un peu sur des œufs. Il y a du y avoir une ou deux séances sportives dans son bureau quand elle leur a dit qu'elle avait fait un signalement] Madame semble minimiser les difficultés et ne se rend plus à nos rendez-vous. [Oui, c'est bien ça.]

« Killian paraît de plus en plus insécurisé et aucun de ses parents ne semble actuellement en mesure de le rassurer. Madame souhaiterait sans doute être aidée, mais se sent remise en cause par les interventions. Il n'y a aucune inquiétude sur la prise en charge matérielle de Killian, mais ses parents commencent à avoir du mal à lui poser des limites et à lui donner des repères [Hum… les termes sont prudemment choisis. Elle prendrait sans doute moins de gants si elle ne croyait pas du tout à la possibilité de nouvelles interventions auprès d’eux].

« Ils ne perçoivent pas combien le climat de violence peut le perturber dans sa construction. C'est parfois difficile pour Madame de trouver un juste milieu entre crier après Killian et l'étouffer de câlins. » [Oh, ça commence à sentir l'AEMO tout ça...]


Pendant que ses parents parlent, Killian trotte partout dans la pièce. Sa mère lui court après et ne le lâche plus, pendant qu'il se tortille sur ses genoux et se met à hurler en rougissant de colère. [Ca commence à faire long pour le petit. Maëva me lance des coups d'œil inquiets, comme si j'allais décider de placer le gamin juste parce qu'il fait une colère.]


Enfin, l'avocate de Maëva prend la parole :

«[Allez, on évacue déjà les aspects problématiques du dossier…] La situation de ma cliente et de son ami est difficile, ils le reconnaissent tous deux [Il a fallu les y aider un peu, d’accord, mais l’essentiel, c’est qu’ils l’admettent]. A l’heure actuelle, ils sont séparés. Bon... Nous avons constaté qu’il demeure une certaine incertitude sur l’avenir de leur couple. C’est leur histoire à eux, après tout. Malgré cela, il s’agit bien là d’un élément positif, qui démontre l’existence de bons réflexes de protection. [C'est vrai qu'il a eu le réflexe de s'éloigner] [Maintenant, on recadre sur le problème qui nous occupe].

« Monsieur l’indique lui-même, les difficultés viennent d’abord de lui. Il veut assumer ses erreurs, c’est un bon point de départ. [D’accord, c’est seulement un point de départ, mais qui ne se retrouve pas dans toutes les affaires. N’ignorons pas sa bonne volonté, même si elle est mise à l’épreuve dans la pratique].

« Le positionnement de Madame vis à vis de Killian est constant. Elle est en phase de réinsertion professionnelle ce qui la positionne de plus en plus comme responsable du foyer. Les deux parents  [insister un peu sur le mot : parent. C’est un petit message pour vous deux, là, les inquiets, à côté de moi. C’est en tant que parent que vous êtes ici] sont très angoissés, aujourd'hui, par peur d'un placement, et Madame se sent remise en cause dans son rôle de mère. Ceci dit, l’aide de l’assistante sociale a longtemps été bien vécue et bien acceptée. Monsieur l’a rappelé d’ailleurs.

« Et puis il y a, encore une fois, un élément constant et très positif dans ce dossier, vous l’avez justement souligné, c’est le fait que les parties ont à cœur l’intérêt de Killian. Je pense que Madame peut entendre la nécessité d'une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert [hop, petit coup d’œil vers Maëva, qui entrouvre la bouche, vite, continuer dans le même souffle], dans l’intérêt de Killian. » [nouveau coup d’œil à Maëva… elle hésite un peu ? elle a choisi de se taire…] [Elle a dû négocier sec avant l'audience pour leur faire comprendre qu'elle ne pouvait pas dire que tout allait bien. Oh M... j'entends la voix du substitut des mineurs dans le bureau de ma greffière. C'est pas bon signe ça.]

La juge termine de prendre ses notes…

[Le seul avantage de ne pas avoir de greffier à l'audience, c'est que j'ai le temps de finir de réfléchir à la décision et à la façon de l'annoncer. Bon, sur les conditions de développement psychologique et affectif, je pense que j'ai de quoi intervenir. Une enquête sociale ne servirait à rien puisque j'ai déjà beaucoup d'éléments dans le rapport et que le problème n'est pas dans la prise en charge matérielle. Une mesure d'investigation et d'orientation éducative, ça ne me paraît pas non plus nécessaire : ça va prendre six mois et 3000 euros pour me dire que le conflit parental est insécurisant pour Killian, que Maëva a une relation fusionnelle avec son fils et que tout le monde a besoin d'un soutien éducatif. Le seul scoop, ça sera s'ils se remettent ensemble. De toutes façons, je parie que dans un mois Kevin réemménage et que trois semaines après j'ai une note de situation pour me faire part d'une nouvelle intervention de la police. Bon, je vais partir sur une AEMO pour un an, on verra comment la situation évolue. Ils pourront peut être accompagner la séparation et aider Maëva à mettre en place des réponses éducatives un peu cohérentes. S'ils pouvaient l'inciter à entamer un suivi psy, ça pourrait être utile pour digérer sa propre histoire. Il y a sûrement des choses à creuser par rapport à ça.]

[Alors… voyons… je ne capte aucune onde particulière d’hostilité… Elle a écouté tout le monde aussi attentivement. Peut-être un peu d’agacement à l’audition de Kevin… Bon, il est l’élément inconnu. Je penche pour une AEMO. Ce n’est pas un mauvais moment pour la tenter qui plus est : Ils sont actuellement séparés, Maëva tente une formation, le petit reste bien intégré à la Crèche...]

…et reprend la parole : « Comme je le disais tout à l'heure, votre attachement pour Killian n'est absolument pas remis en cause et il n'y a aucune inquiétude sur les soins que vous lui apportez. [Ca ne les détend pas tout à fait. Allez, une couche de plus.] Comme le soulignait Maître Fantômette, c'est une décision responsable que vous avez pris de vivre séparément pour le protéger Mais tout ça n'est sans doute pas très clair dans sa tête [OK, c’est une AEMO]. [Comment arriver à leur faire comprendre qu'à deux ans et demi, une dispute d'adulte, c'est comme Gulliver qui piétine les Lilliputiens...] Si les voisins ont pu être impressionnés par vos disputes au point d'appeler la police, imaginez ce que ça a du faire comme impression à un tout petit garçon dans la pièce juste à côté.

« Il n'a jamais été question d'un placement, mais je pense qu'il est nécessaire que vous puissiez être accompagnés par un éducateur, pour vous aider à réfléchir aux façons de protéger Killian de tout ça et à gérer son agressivité actuelle. [Ils ont l'air soulagés, mais je vois bien que Maëva n'est pas ravie. Bon, elle ne m'a pas parlé du fait qu'elle a elle-même été suivie, et l'assistante sociale n'a pas l'air au courant. Si j'en parle maintenant, ça va arriver comme un cheveu sur la soupe. Mieux vaut voir si ça émerge au cours de la mesure. On va rester sur la violence et les réponses éducatives].

« Par exemple, il va falloir trouver comment lui expliquer que Papa et Maman se sont séparés, que Papa n'habite plus à la maison, mais qu'il est quand même là souvent pour s'occuper de lui. Ca peut aussi être l'occasion de réfléchir avec l'éducateur aux façons de réagir pour lui poser des limites qu'il comprenne. [Bon, le Juge prend le temps d’expliquer clairement sa mesure, et de leur fixer des objectifs, ils vont peut-être se sentir partie prenante… avec un peu de chance. Je ferai un courrier à Maëva pour le debriefing, la semaine prochaine, ce soir, je ne vais pas avoir le temps] Ce n'est pas parce que vous le grondez quand il fait une bêtise que vous ne l'aimez pas, au contraire. Et lui ne va pas vous détester pour ça. Le service chargé de la mesure prendra rapidement contact avec vous, et on refera le point ici dans un an pour voir s'il y a encore besoin d'un soutien ou si on peut arrêter la mesure. » [Bon, ça va, j'ai le temps de rédiger le jugement avant la dernière audience. Damned, le substitut mineur passe la tête dans l'encadrement de la porte. Ca sent l'OPP ou le déferrement...Bon ben tant pis, le jugement je le ferai ce soir.][Quelle heure est-il ? Humm, j’ai tout juste le temps de courir à l’audiencement pour consulter le dossier correctionnel de la semaine prochaine, voir si le rapport d’expertise psychologique est enfin rentré… Voyons, qui dois-je recevoir ce soir déjà ? M. Lindécis, je crois. A quelle heure déjà ? Il faut que je rappelle le Cabinet…]

lundi 31 mars 2008

La réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature

Par Gascogne


Corporatisme, mélange des genres, il n'est guère que la consanguinité qui n'ait été mise en avant pour justifier d'une réforme de la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature.

La commission "Balladur" en a fait la proposition (modification "relativement modeste", selon le Pr ROLIN ! j'espère qu'il me permettra d'être relativement peu en accord avec lui sur ce point...), et le projet de loi constitutionnelle est dans les tuyaux. Le citoyen lambda s'en moque comme de sa première chemise, et le magistrat lambda est prêt à se mettre en grêve (qui lui est pourtant interdite, au moins en ce qui concerne les mouvements visant à entraver le fonctionnement des juridictions) pour éviter cette réforme (je ne doute pas une seconde que les avocats suivront le mouvement). Pourquoi donc ?

Le Conseil Supérieur de la Magistrature n'est pas seulement l'organe en charge de la discipline des magistrats, qui publie chaque année une sorte d'état des lieux des instances disciplinaires, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler par ailleurs. C'est également une instance chargée de la nomination des magistrats. En outre, la constitution (art. 64) lui donne pour mission d'assister le Président de la République dans son rôle de garant de l'indépendance de la magistrature. Il a eu dans ce cadre l'occasion d'émettre des avis.

Il est présidé par le Président de la République, le vice-président en étant le Garde des Sceaux (ce qui est pour le moins discutable en terme de séparation des pouvoirs).

Le CSM est composé majoritairement de magistrats (12), élus notamment dans le cadre d'élections professionnelles, dans lesquelles les syndicats de magistrats voient leur représentativité affirmée. Les autres membres composant les instances de ce Conseil sont des membres nommés par les autorités politiques (un membre nommé par le Président de la République, un par les Président de l'Assemblée Nationale, et un par le Président du Sénat, et enfin un membre nommé par le Conseil d'Etat en son sein). Le Conseil est au final composé de deux sections distinctes, l'une pour le siège, et l'autre pour le parquet, 6 magistrats se répartissant dans chacune des formations, les quatre personnalités extérieures siégeant dans les deux. Cette distinction vient du fait que les magistrats du siège et ceux du parquet ont des statuts différents.

La discussion actuelle concernant la composition du CSM porte sur la présence majoritaire ou non des magistrats. En effet, certains députés de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire dite d'Outreau ont pu se laisser aller à dire que la débacle de ce dossier était notamment due au fait que les magistrats se contrôlaient entre eux, via le Conseil Supérieur de la Magistrature, instance disciplinaire du corps. Notons au passage le mélange des genres entre instances d'appel, voire de cassation, et instances disciplinaires (pas étonnant que certains voient leur élection invalidée avec une si mauvaise maîtrise des règles de procédure...).

Je passerai sur les trois propositions de la commission "Balladur" tenant à la présidence du CSM, à ses attributions ainsi qu'à sa saisine en matière disciplinaire, intéressantes mais peu critiquables en soi, pour ne m'en tenir quà la proposition n° 70 tendant à élargir la composition du CSM.

En page 81 du rapport, consultable sur le site de la commission, cette sage instance nous sert le poncif du corporatisme alimenté par son insuffisante ouverture sur l'extérieur. Une affirmation valant mieux qu'une démonstration, surtout pour des choses aussi évidentes, le rapport ne développe pas plus. Par contre, il propose que les personnalités extérieures deviennent majoritaires, le Président de la République nommant le président du CSM, au lieu de le présider, comme actuellement. Les autres membres seraient deux conseillers d'Etat, un représentant de la profession d'avocat, un professeur d'université et deux personnes désignées par le président de l'Assemblée Nationale et celui du Sénat. Le nombre de magistrats ne varierait pas. Au total, donc, 6 magistrats et 7 personnalités extérieures, dont le président du Conseil.

En quoi cela peut-il poser problème ? En terme de nomination des magistrats, le CSM nomme les premiers présidents de cour d'appel, les présidents de tribunaux de grande instance, ainsi que les magistrats du siège à la Cour de Cassation. En outre, il donne un avis concernant tous les magistrats du siège, dont la Chancellerie propose la nomination via la fameuse "transparence" dont a parlé Dadouche, le Ministère de la Justice ne pouvant passer outre cet avis (ce qu'il peut par contre faire pour le parquet, et qu'il fait de plus en plus depuis quelques années).

Donner à une instance composée majoritairement de personnalités désignées par la pouvoir exécutif la possibilité de nommer ou de faire nommer les magistrats du siège rend donc l'emprise de ce même pouvoir accrue. Tel juge qui voudra se voir nommer à tel poste aura donc tout intérêt à ne pas déplaire au pouvoir en place. La reprise en main se poursuit...et Montesquieu, Voltaire ou Rousseau doivent se retourner dans leur tombe.

Je crois qu'au final, ce qui me dérange le plus n'est pas que le pouvoir politique nous crache son "corporatisme" à la figure, mais qu'il fasse croire au justiciable qu'il sera le grand gagnant de cette réforme (classée dans le rapport de la commission dans le chapitre "des droits nouveaux pour les citoyens"). Il n'est qu'en pays totalitaire que la justice est la main aveugle du pouvoir. Le citoyen n'y a jamais gagné quoi que ce soit.

lundi 17 mars 2008

Glasnost

Par Dadouche



Depuis quelques jours, les petites souris des tribunaux (il paraît qu'à Bobigny ce sont de gros rats) entendent à tout bout de champ parler de "transparence".

Interrogatif : « est-ce que la transparence est sortie ? »
Faussement détaché : « Des nouvelles de la transparence ? »
Aigri : « Ils se sont endormis sur la transparence ou quoi ? »
Prétentieux : "j'ai eu des infos, il paraît que la transparence est pour demain"

Non, il ne s'agit pas d'allusions à la maigreur diaphane de la Princesse aux Petits Pois (dont on se demande comment elle va tenir le coup entre la mairie et le ministère si elle ne passe pas de toute urgence à 3000 calories par jour).

LA Transparence, comme l'équinoxe ou les soldes, revient deux fois par an (parfois plus, mais ce sont de mini transparences). C'est le projet de mutations de magistrats proposé par la Chancellerie, ensuite soumis à l'avis du Conseil Supérieur de la Magistrature, pour aboutir à des nominations par décret du Président de la République. Pour plus de références textuelles, voir notamment ici et

Elle concerne toutes les nominations de magistrats à l'exception des postes relevant du pouvoir de proposition du CSM (Premier Président de la Cour de cassation, Premier Président de Cour d'appel, président de TGI, conseiller et conseiller référendaire à la Cour de cassation) ou pourvus en Conseil des ministres (Procureur Général près la Cour de cassation, Procureur Général près d'une Cour d'appel).

Rappelons que pour les magistrats du siège l'avis du CSM doit être conforme. C'est à dire que si le CSM émet un avis non conforme, la nomination ne peut avoir lieu.
Pour les magistrats du Parquet, l'avis du CSM ne lie pas la Chancellerie, qui peut donc « passer outre » un avis défavorable.
On a ainsi pu récemment observer des mutations en plusieurs temps :
1 - proposition de nomination à un poste du siège (au hasard, président de chambre à la cour d'appel de Paris) sur la transparence de printemps (parue en mars pour nomination en septembre)
2 - avis non conforme
3 - proposition de nomination à un poste du parquet d'un niveau équivalent (au hasard, avocat général à la cour d'appel de Paris) sur la transparence d'hiver (parue en novembre ou décembre pour nomination en février)
4 - avis défavorable
5 - nomination « passant outre » l'avis défavorable.

Rappelons également que les magistrats du siège sont inamovibles. Ceux du Parquet un peu moins (surtout les Procureurs Généraux). Les magistrats du siège ne peuvent donc être nommés sans leur consentement à une affectation nouvelle, même en avancement.

Plusieurs mois avant la date prévue, les magistrats qui souhaitent une mutation s'entraînent au Loto en cochant des cases sur un formulaire recensant pour chaque grade tous les postes existants (juge d'instance à Mont de Marsan, juge d'instruction à Saint Nazaire, substitut du procureur général à Bourges, conseiller à la cour d'appel de Versailles, etc...).
Compte tenu du fait que certains magistrats s'obstinent encore et toujours à avoir une vie privée, un petit espace est prévu pour préciser si la demande de mutation est liée à celle d'un autre magistrat voire pour écrire en tout petit quelle raison impérieuse vous pousse à vouloir être absolument nommé au TGI de Framboisy. Certains poussent l'audace jusqu'à faire un courrier d'accompagnement développant les raisons de leur choix.

Puisque tout le monde fait ses demandes en même temps, il n'y a par hypothèse aucune information sur les postes susceptibles de se libérer, sauf celles glanées ça et là auprès de copains d'autres juridictions.
Chacun à sa méthode : juste les postes dont on a envie, juste ceux dont on a besoin, juste ceux sur lesquels on pense avoir une chance en fonction des précédentes transparences détaillées (pour ce terme, voir plus bas), au pif, le plus possible pour en avoir au moins un, le moins possible pour être sûr de ne pas avoir celui sur lequel on sera le seul postulant parce que personne ne veut y aller. C'est selon le degré d'optimisme, de rationalité ou de désespoir de chacun.

Quand tout le monde a transmis sa grille dûment cochée en espérant décrocher le gros lot, une opération mystérieuse commence au bureau des mouvements de la Chancellerie : l'élaboration de la transparence.

Les fantasmes les plus fous circulent sur les techniques employées : un logiciel malveillant qui devine précisément quel était votre dernier choix et vous l'attribue, la technique ancestrale de l'escalier (on jette tout sur les marches et on prend en premier ce qui surnage), un copinage éhonté (j'ai été en poste avec quelqu'un qui est de la même promo que l'ancienne voisine de bureau de la sous chef du bureau des mouvements).
En réalité, c'est plus vraisemblablement un travail de bénédictin pour arriver à élaborer une réaction en chaîne qui peut avoir des conséquences d'amplitude nucléaire.
Illustration :
Si Gascogne décide de rejoindre Paris pour ergoter à loisir avec Eolas sur les grandeurs et décadences de la garde à vue, il va bien falloir nommer quelqu'un sur son poste. Coup de bol, Lincoln est candidat. Oui mais Lincoln est au Parquet. Et il n'y a plus des masses de candidats au Parquet. Si on nomme Lincoln, on va mettre qui à sa place ? Probablement un auditeur de justice sortant de l'ENM. Problème, Lulu a aussi demandé le poste de Gascogne, et elle a plus d'ancienneté que Lincoln. Et elle, son poste a été demandé par plusieurs personnes. Donc on va mettre Lulu. Mais comment choisir celui qui va la remplacer ? Sont en lice Lincoln, Dadouche et Parquetier. Problème : ils sont tous de la même promo. Comment on choisit ? Parquetier a demandé 75 postes dans toute la France, dont certains vacants sur lesquels il est le seul candidat (juge d'instance à Rocroi, il faut vraiment vouloir quitter le Parquet à tout prix...) On va pas gâcher quand même. Donc, une fois Parquetier expédié à Rocroi, restent deux candidats. Lincoln a précisé dans sa demande qu'il cherche à se rapprocher à moins de 100 kilomètres de sa douce pour avoir enfin l'espoir de partager avec elle autre chose que des week-ends SNCF. Dadouche ne fait pas état de telles contraintes. Exit Dadouche, qui garde une chance sur d'autres postes.

Quand on sait qu'une transparence peut comporter 8 à 900 mouvements, soit 10 % du corps, sur des postes dont certains suscitent plusieurs dizaines de candidatures et d'autres presque aucune, on réalise le casse-tête que ça peut être.

Après beaucoup de rendez-vous sollicités par des magistrats avides de mobilité, de coups de téléphone fiévreux d'autres tout aussi avides mais moins courageux qui veulent savoir en quelle position ils sont pour tel poste, d'instructions venues d'en haut pour faciliter telle ou telle nomination et une quantité respectable de paracétamol, le mouvement est prêt.

Sauf que. Il doit être approuvé par les plus hautes instances du Ministère (voire plus haut pour certains postes sensibles). Donc on attend, on réajuste, on fignole, on rechange tout.

Enfin, la transparence est prête. Généralement avec une semaine à un mois de retard sur la date prévue. Dans les juridictions, la pression monte. Les tasses de café volent. Les petits livres rouges sont déchiquetés. On attend.

Ceux qui espèrent bouger consultent intranet toutes les trois minutes.
A peu près tous les abonnés de Thémis, la liste de discussion professionnelle, vérifient leurs mails quinze fois par jour.
Jusqu'à ce qu'Elle tombe.
Et là tout s'arrête. On appelle ceux qu'on connaît qui sont dessus. On la regarde d'un oeil distrait parce qu'on a rien demandé. On la scrute pour calculer avec combien de postes vacants la juridiction va se retrouver. On prend des nouvelles des copains de promo perdus de vue (tiens, Michel et Isabelle partent l'un en Bretagne, l'autre outre-mer, il y a du divorce dans l'air). Ou on s'en fout.

Et puis on attend la transparence détaillée. Celle qui comporte non seulement la liste des nominations projetées, mais aussi la liste de toutes les candidatures, par ordre d'ancienneté, pour chaque poste.
Les rumeurs ancestrales chuchotent que c'est de là que vient le terme de transparence : c'est la transparence des candidatures.

Pour les déçus, c'est l'heure des calculs. Recours ou pas recours ? Telle est la question.
Chaque magistrat peut en effet faire des observations qui sont transmises au Conseil Supérieur de la Magistrature. En général, c'est pour faire valoir qu'on méritait (ou nécessitait) plus que le petit camarade d'être nommé à ce poste précis.

Le recours est une arme à double tranchant : le Conseil, convaincu par les observations, peut rendre un avis défavorable ou non conforme, mais il n'a pas de pouvoir de substitution. C'est à dire qu'il ne peut pas proposer en lieu et place la nomination de l'observant.
Résultat, le partant ne part plus, alors que son remplaçant arrive, et que celui qu'il devait remplacer, lui, s'en va. C'est le bordel. On imagine l'accueil réservé quelques mois plus tard à l'observant qui aura finalement réussi à se faire nommer sur un poste resté vacant à cause de lui par les collègues qui se seront répartis le boulot...

Et l'attente recommence, avec son cortège de dilemmes cornéliens (avertir ou pas les enfants qu'on va déménager ? le conjoint doit-il commencer tout de suite à prospecter pour un nouveau boulot ? faut-il s'inscrire tout de suite au stage de changement de fonctions du mois de juin ? Est-ce qu'on pourra écluser les piles avant de partir ? Le pot de départ, je le fais avant ou après l'avis du CSM ? A partir de quand je peux décemment appeler mon presque prédécesseur pour me renseigner sur le service qu'il a ? est-ce que les collègues vont accepter que je pose mes vacances en août ?)

D'abord, on attend l'avis du CSM, qui a plein de boulot et doit examiner tous les dossiers des proposés (et en principe des observants).

Ensuite, on attend le décret, qui peut seul officialiser la nomination. Et ça peut prendre longtemps, très longtemps.

Voyons l'exemple du calendrier de la transparence pour une prise de poste en septembre 2007 : date limite des candidatures mi-novembre 2006, transparence le 1er mars 2007, avis du CSM le 22 juin, décret de nomination le 18 juillet.

A l'heure qu'il est, on attend toujours celle qui devait « tomber » le 15 mars au plus tard promis juré craché.

C'était le billet nécessaire du professeur Dadouche dans la rubrique : c'est quoi la vraie vie d'un magistrat ?.
De prochaines leçons porteront sur la technique du découpage de post-it en huit, les joies de l'assemblée générale et la variabilité selon les fonctions du concept de « service allégé ».
Et bientôt, une réflexion sur l'influence de la composition du CSM sur l'indépendance de la magistrature compte tenu de son pouvoir en matière de nomination.


Dernière minute : Ca y est, ELLE est tombée pendant ma quinzième relecture anti-faute de frappe.

Mes félicitations à tous ceux qui y figurent. Ma sympathie à ceux qui espéraient y figurer.

Et dédicace spéciale à celui qui passe du côté obscur de la Force...

jeudi 13 mars 2008

Une vie

Par Gascogne


Geneviève a 57 ans. A peu de choses près, elle a l'âge de ma mère.

Elle est mariée, son homme est fonctionnaire d'Etat. Les revenus ne sont pas mirobolants, et les fins de mois sont souvent difficiles. Mais qui sait se limiter n'est jamais déçu.

Geneviève a quatre grands enfants, de deux pères différents. Comme beaucoup, elle a connu un divorce et un remariage. Ses enfants ont plutôt bien réussi dans la vie, deux d'entre eux ont fait des études supérieures. Je sais bien qu'il ne faut jamais, au grand jamais, succomber aux charmes de l'empathie, lorsque l'on est juge, mais je me dis que cette famille pourrait parfaitement être la mienne.

Elle a une très bonne copine, Christine, qu'elle connaît depuis plus de dix ans. C'est sa meilleure amie. C'est sa seule véritable amie. Philippe, le mari de Geneviève, l'aime bien, Christine.

Mais pourquoi vous parler de cette bucolique petite famille ?

Parce que j'ai fait placer Geneviève, Philippe et Christine en garde à vue hier. Les chefs de poursuite sont "aide, assistance et protection de la prostitution d'autrui" et "partage des produits de la prostitution".

Christine vend son corps depuis l'âge de 29 ans. Elle en a 51 aujourd'hui. Geneviève a toujours dit à son mari qu'elle travaillait dans un salon de massage. Et son mari l'a toujours cru, ou a fait mine de le croire.

Les revenus sont en baisse depuis quelques années, et on comprend que ce n'est pas la crise économique qui est en cause. Mais vous savez quoi ? Geneviève est fière...Oh, pas de se prostituer, ça non. Encore moins de s'en expliquer devant des officiers de police judiciaire, sur ordre d'un juge d'instruction. Elle se doutait bien que ce jour arriverait, mais quand il est là, c'est difficile. Non, Geneviève est fière d'avoir pu payer leurs études à ses enfants, et qu'ils ne s'en soient pas trop mal sortis.

Et elle est fière de son mari, qui l'aime malgré tout.

Elle dit qu'elle va arrêter, que maintenant ça suffit.

Pour Christine, la situation est plus complexe. Elle n'a jamais rien fait d'autre dans sa vie. Et elle est seule, immensément seule. Elle le dit clairement, si elle sort, elle recommencera.

Je viens de raccrocher mon téléphone. Les enquêteurs m'ont fait leur rapport. Je lève les gardes à vue. Je lirai le dossier tranquillement au retour de la commission rogatoire. L'infraction ne me semble pas tenir : la prostitution n'est pas interdite en France, seul le proxénétisme l'est, et je ne suis pas certain que les critères, tant légaux que jurisprudentiels, soient réunis en l'espèce. Je laisse Geneviève et sa copine retourner à leurs activités, à l'heure où d'autres de leur âge ont des journées plus banales.

Je m'en retourne moi-même à mon quotidien. Un autre fax de garde à vue vient de tomber. Une nouvelle histoire d'humanité.

Je ne suis même pas sûr que Maupassant en aurait fait une histoire. La vie de Jeanne était finalement bien plus triste. Mais au moins, c'était un roman...

mercredi 12 mars 2008

Et dans cette attente

Par Fantômette


L’impression d’attente commence immédiatement, dès l’arrivée aux portes de la prison.

Patiemment, quoique un peu frissonnante, car il est tôt et j’ai laissé mon manteau dans ma voiture, pour ne pas qu’il m’encombre en détention, je toque du doigt sur une vitre si épaisse et fumée, que non seulement je ne distingue pas mon interlocuteur, mais j’ignore même s’il s’en trouve un qui me fait face. Je ne vois que mon propre reflet.

Je toque une nouvelle fois, ma robe d’avocat roulée en boule sous le bras, le dossier des détenus que je viens défendre, dans la main. Check list : mon stylo, ma carte professionnelle, ma désignation d’office…

J’ai le temps de vérifier une troisième fois depuis ce matin, que tout est en ordre.

Une voix désincarnée, un peu artificielle, sort d’un petit haut-parleur qui crachote.

- Oui ?
- Fantômette. Je suis l’avocat de permanence pour la commission de discipline de ce matin.

J’agite ma commission d’office et mon permis de communiquer en direction de l’endroit où je situe à peu près mon interlocuteur. Encore un moment d’attente silencieuse. Un léger ‘clic’ sur ma gauche m’indique que la porte d’entrée – la première – vient de se déverrouiller. Je découvre enfin l’agent de l’administration pénitentiaire, qui s’adresse à moi.

- Bonjour, Maître. Vous avez votre désignation ? Votre carte professionnelle ?

Je présente les documents demandés, que je glisse dans un petit tiroir de métal, qu’il ouvre de mon côté, puis referme soigneusement, avant de l’ouvrir du sien. Il les consulte attentivement, et les range dans un petit casier en bois, avant de me tendre un badge plastifié qui indique « Avocat ».

- Vous avez un téléphone portable ? Une clé USB ?

Ces objets sont interdits en détention. Je secoue la tête négativement. Mon téléphone est resté dans la voiture, avec mon sac.

Je dépose mon dossier, ma robe, mon stylo et le badge dans une caisse en plastique que je place sur le tapis roulant pour les passer aux rayons x. J’avance sous le portique de métal, comme sous le regard d’un sphinx. Silence. De l’autre côté du portique, je récupère ma robe en vrac, les dossiers, le stylo, et le badge que j’accroche soigneusement à ma veste.

Je patiente à une autre porte, qui se débloque soudainement, et me retrouve de nouveau à l’extérieur. Une brève marche m’amène dans les locaux administratifs de la maison d’arrêt, où je me signale à l’accueil.

- Bonjour. Fantômette, avocat de permanence pour la commission de discipline.
- Bonjour, Maître. Je vais leur signaler que vous êtes là.

Le milieu carcéral est un milieu criblé de règles, où même les règles de courtoisie font l’objet d’une attention pointilleuse. Ainsi, en prison, tout le monde se dit bonjour. Je salue courtoisement toutes les personnes que je croise : surveillants, détenus, éducateurs, personnel administratif. Je franchis une troisième porte, après avoir sonné au bouton d’appel et patienté encore. Greffe judiciaire.

- Bonjour. Fantômette, l’avocat de permanence pour la commission de discipline.
- Bonjour. Il y a une commission de discipline ce matin ?

J’opine du chef.

- M. Malandrin a demandé à être assisté d’un avocat.
- Bien. J’appelle le chef de détention, il va venir vous chercher.

Malgré le chemin parsemé de portes déjà parcouru, je ne suis pas encore à proprement parler entrée en détention. Je n’y entrerai pas seule. Je patiente sagement, assise dos au mur, que le chef de détention, ou un surveillant envoyé par ses soins, vienne me chercher et m’emmène au quartier disciplinaire, où siège la commission[1].

- Bonjour, Maître.
- Bonjour.
- On y va.

Quartier des détenus. Quel que soit le temps qu’il fait à l’extérieur, il y règne toujours une certaine obscurité. Les détenus installent des cartons ou du papier journal devant les barreaux des fenêtres et puis, de toute façon, il y a peu de fenêtres.

Nous avons à nouveau franchi des portes, des grilles, monté des escaliers, franchi de nouvelles portes, de nouvelles grilles.

Il est encore tôt. La commission siège à partir de 8h30, et je suis arrivée en avance. Nous croisons des détenus, peu nombreux à cette heure-ci. Ils nous saluent, jettent un coup d’œil rapide à la robe que j’ai toujours sous le bras, et que je n’enfilerai qu’arrivée devant la salle d’audience. Je reste dans le sillage du surveillant.

Arrivés enfin au quartier disciplinaire, on me fait signe de m’installer dans le poste de surveillance aux épaisses parois vitrées et au mur constellé de notes de service. En face, la salle où siégera la commission. Une dizaine de mètres carrés, une table sur une estrade pour la commission, un poste informatique à droite, un bureau d’écolier à gauche, pour la défense.

Un trait sur le sol, face à l’estrade, fait office de barre virtuelle.

L’attente, à nouveau, que l’on amène le détenu, qu’il passe à la fouille. Puis, je le reçois dans une autre petite salle dont je referme soigneusement la porte. A mon tour de me faire attendre, et la commission m’attendra, sans s’impatienter.

L’affaire de M. Malandrin est très banale. Il est accusé d’avoir insulté un surveillant qui le pressait de rentrer dans sa cellule. Le surveillant a établi un compte-rendu d’incident (oui, ça s’appelle un CRI), qu’il a transmis au chef de détention. Ce dernier a décidé de poursuivre, au vu des éléments rapportés, comme de sa propre petite investigation. C'est la première fois que M. Malandrin est convoqué devant la commission disciplinaire. Les faits sont à peu près reconnus.

Je dis à peu près, parce que… :

- En fait, ça ne s’est pas exactement passé comme ça. Je vais vous expliquer. J’étais juste en train de boire un verre d’eau, tranquillement. Et là le surveillant…

Je n’ai toujours pas bien compris pourquoi, mais je l’ai souvent constaté, « ce qui s’est vraiment passé » conservera de toute façon la même qualification au regard du règlement intérieur de la prison et fera encourir la même sanction disciplinaire au détenu.

- Vous me dites que vous n’auriez jamais utilisé... hum... autant de mots ? Vous vous souvenez de ce que vous lui avez dit exactement ?
- Ah oui, très bien. Je me suis énervé. Je l’ai traité de pauvre con, ça oui, ça c'est exact. Mais le reste non, jamais.
- Vous comprenez que de toute façon, on vous reproche de l’avoir insulté, et entre autre de l'avoir traité de pauvre con. C’est ça qui est interdit, vous le savez bien. On peut rectifier les faits si vous voulez devant la commission, mais une insulte reste une insulte, ça ne changera rien pour vous.
- Ah si, ça change. Sinon, ce n’est pas la vérité. On peut pas les laisser dire ce qu’ils veulent.

Sinon, où va-t-on effectivement.

Une injure à surveillant, c’est une faute disciplinaire du 2ème degré. Comme pour les infractions de droit pénal, les fautes disciplinaires sont classées en trois catégories, du 1er degré, le plus grave (exercer des violences physiques à l’encontre d’un membre du personnel, ou d’un détenu, participer à une évasion,...), au troisième degré, (négliger l’entretien de sa cellule, entraver les activités de travail, formation, loisirs, jeter des détritus par les fenêtres…). Pour les premières, les sanctions peuvent aller jusqu’à 45 jours de confinement en cellule disciplinaire. Pour les secondes la sanction ne peut dépasser 15 jours de confinement.

Les poursuites disciplinaires ne sont pas exclusives de nouvelles poursuites pénales. Le cumul des deux procédures n’est pas rare, et il est systématique dans les cas, par exemple, de violences physiques sur un membre du personnel.

La commission de discipline se compose de trois membres, tous trois issus de l’administration pénitentiaire. Elle est normalement présidée par le directeur, ou l’un de ses délégués.

Le Directeur n’a pas plus compris que moi l’intérêt de rectifier les paroles qui ont été réellement prononcées. Il a soupiré, et secoué la tête, et puis soupiré à nouveau, et nous avons compris, M. Malandrin et moi, que ce n’était pas très bien parti.

Du coup, M. Malandrin change un peu son fusil d’épaule, et profite de la présence du Directeur pour se plaindre de n’avoir toujours pas de travail aux ateliers, alors qu’il en a fait la demande il y a longtemps.

- Vous comprenez, M. le Directeur, je serai plus tranquille si je pouvais travailler.
- Vous ne vous y prenez pas de la bonne manière, si ce que vous voulez, c’est une place aux ateliers. Vous pensez peut-être que je vais vous récompenser pour avoir insulté un surveillant qui ne faisait que son travail ?
- En fait, ça ne s’est pas exactement passé comme ça. Je vais vous expliquer…

Moi, j’attends encore, tranquillement. Devant la commission de discipline, comme devant n’importe quelle juridiction pénale, la plaidoire, c'est l’occasion de se pencher très sérieusement et très concrètement sur un objectif à atteindre. Punir, réformer, dissuader. En quoi telle ou telle sanction aidera ou n’aidera pas à atteindre l’un ou l’autre de ces objectifs.

La mise à l’isolement n’est pas la seule sanction possible. Le détenu peut se voir interdire de recevoir des subsides, privé de cantine, confiné en cellule individuelle ordinaire (jamais rencontré en pratique : les cellules ordinaires ne sont que rarement individuelles). Les sanctions peuvent être assorties d’un sursis.

Et puis, peut-être plus devant la commission de discipline que devant n'importe quelle autre juridiction pénale, il faut prendre soin de la parole que notre client nous a confié. J'ai probablement relayé des mensonges devant la commission de discipline. J'ai probablement relayé de la mauvaise foi. Ne pas prendre le risque de s'en rendre coupable, c'est prendre un risque qui me paraît plus grave.

Après m’avoir écoutée, la commission invite le détenu à reprendre la parole. Puis, n’ayant nulle part où se retirer pour délibérer, elle nous fait signe de nous retirer. Ils délibèrent en quelques minutes, et nous rappellent pour rendre leur verdict. Il est raisonnablement clément, 10 jours d'isolement avec sursis. M. Malandrin est invité à signer le procès-verbal d’audition, que je signe également.

Puis, c’est le chemin du retour. Attendre aux mêmes portes, au mêmes grilles, mais ça parait toujours moins long dans ce sens là. Le chef de détention me laisse au greffe judiciaire de la prison, une fois sortie de détention.

- Au revoir, Maître.
- Au revoir.

Nous nous saluons une nouvelle fois, toujours aussi poliment, puis je poursuis ma route, une porte, deux portes, trois portes, la sortie.

Et le parking, presque désert - qui me semble toujours infiniment plus vaste que lorsque je m’y suis garée le matin même.

Notes

[1] Pour une visite guidée du quartier disciplinaire, je vous renvoie à ce billet d'Eolas.

lundi 3 mars 2008

Propaganda !

Par Dadouche



Non, ce billet n'est pas destiné à évoquer à l'élection triomphale du nouveau président russe ou les merveilleuses conférences de presse du porte parole de la Ministre de la Justice, mais à vous informer d'une réalité méconnue.

Sachez le, les magistrats sont l'un des remparts de la démocratie.

Non ?

Si.

Dans les communes de plus de 2500 habitants pour les élections municipales et dans les circonscriptions électorales pour les élections cantonales sont instituées des commissions de propagande composées d'un magistrat (qui la préside), d'un fonctionnaire désigné par le préfet, d'un fonctionnaire désigné par le trésorier-payeur général et d'un fonctionnaire désigné par le directeur départemental des postes et télécommunications.

Leur rôle est d'assurer l'envoi et la distribution de tous les documents de propagande électorale.

Mais si, vous savez, cette grosse enveloppe maronnasse qui contient les professions de foi et bulletins de chaque candidat.

La commission doit d'abord s'assurer, avant la mise sous pli, que les bulletins et circulaires sont conformes au code électoral. Puis, une fois la mise sous pli effectuée par les petites mains de la mairie, s'assurer que lesdits plis contiennent bien les documents de propagande de chaque candidat.

Pour la plupart des élections, cette tâche est dévolue aux juges d'instance, spécialistes du contentieux électoral.
Mais comme il y a beaucoup de communes et de cantons, cette année, les autres sont mis à contribution dans certaines juridictions.
Depuis quelques jours, de nombreux magistrats français se baladent donc dans les trous les plus reculés du départementles joyaux de nos belles provinces. Enfin, ceux qui sont assez bêtes consciencieux pour réunir vraiment la commission plutôt que conférer par téléphone avec les autres membres.

Imaginez vous petite souris dans la salle des mariages de la mairie de Framboisy[1].

Gascogne, président de la Commission, est assisté de Mr Rondecuir, représentant du Préfet, Mr Timbré, postier de son état, et de Madame Cheik-Amblan, émissaire du TPG.

Après avoir mesuré la taille du bulletin (article R30 du Code Electoral), vérifié qu'il est imprimé d'une seule couleur sur papier blanc (même article), étudié les couleurs employées dans la circulaire (la profession de foi), qui ne doit pas comprendre une combinaison des trois couleurs bleu-blanc-rouge, à l'exception de l'emblème d'un parti (article R 27 du Code Electoral), et pesé le tout (grammage entre 60 et 80 grammes au mètre carré), la commission vérifie les mentions figurant sur les bulletins et circulaires.

Et là, c'est le drame.

Face à la liste d'ouverture « Framboisy en Rose et Vert » qui rassemble Fantômette, Langelot, les Cinq Jeunes Filles et les Six Compagnons, deux autres listes ont déclaré leur candidature.

Le Furet a décidé en effet de se lancer en politique sous l'étiquette « Fantômette, Go Home », flanqué de ses comparses habituels Alpaga et Bulldozer.
Il a malheureusement confié à ce dernier le soin de s'occuper de l'impression du bulletin de vote. Et Buldozer, qui a des lettres, a trouvé que c'était bien plus logique de faire une liste alphabétique. C'est ainsi qu'Alpaga se retrouve tête de liste, contrairement à l'ordre de présentation déclaré à la Préfecture de Marne et Oise.
Le bulletin, non conforme aux dispositions de l'article R 117-4 du Code Electoral, est écarté de la mise sous pli et ne sera donc pas expédié aux électeurs.

De son côté, le Masque d'Argent dirige d'une main de fer la liste « Avec le Sire de Framboisy » et son pseudonyme figure donc tout en haut du bulletin. Patatras et Fatalitas ! Il a déclaré sa candidature sous son réel patronyme : de Maléfic.
Si rien n'empêche de déclarer sa candidature sous son patronyme en indiquant le pseudonyme qui figurera sur le bulletin, encore faut-il le préciser.
Les bulletins ne peuvent en effet comporter d'autre nom de personne que celui des candidats (article R 30 du Code Electoral).
La Commission hésite longuement, sous l'oeil menaçant d'Eric, représentant du candidat qui assiste à ses travaux avec voix consultative. Finalement, le bulletin est lui aussi exclu de la mise sous pli.

Les procès verbaux sont signés, et la commission prend le chemin de Moucheton-Nay pour le même cérémonial, avant d'achever son périple à Goujon-Sur-Epuisette.

Dans quelques jours, la Commission reviendra pour une autre tâche d'une haute technicité : prendre au hasard des enveloppes maronnasses dans les cartons remplis par les employés de la mairie pour vérifier si le bulletin de la liste «Framboisy en Rose et Vert » et les circulaires des trois listes y ont bien été insérés.

Le jour de l'élection, Lulu prendra le relais de Gascogne pour présider la commission de contrôle des opérations de vote, qui circule dans les bureaux des communes de plus de 20,000 habitants pour vérifier que tout se passe bien.

Bon, c'est pas tout ça, maintenant il va falloir les lire, les circulaires qui remplissent l'enveloppe maronnasse.

PS : Reconnaissance éternelle à ma marraine, qui m'a offert mon premier « vrai » livre  Fantômette et le Régent, qui, en plus d'une envie irrépréssible de visiter le Louvre pour voir le Régent « en vrai », m'a donné le goût de la lecture, ce qui a indiscutablement contribué à mes cinq années d'études supérieures, à ma réussite au concours de l'ENM et par voie de conséquence à l'octroi du privilège de vérifier la couleur des bulletins de vote.

Notes

[1] les fans de Fantômette (pas la nôtre mais celle de Georges Chaulet) se plongeront avec délice dans ce site

vendredi 22 février 2008

Tranche de greffe

Par Gwenwed.


Décidément, Gascogne inspire du monde, avec son rêve de vie d'avocat ! Pour ne pas être en reste, c'est une greffière en chef de tribunal d'instance[1], qui signe Gwenwed en commentaires, qui nous propose une incursion d'une semaine dans la peau d'un chef de greffe. Le greffier en chef, c'est le chef des greffiers, qui ne sont pas les secrétaires des tribunaux. Certes, ils rédigent, mais ils sont indépendants des magistrats car leur rôle est d'authentifier le jugement en le signant et en le revêtant du sceau de la République, baptisé à tort "la Marianne"[2], sans lequel le jugement n'est qu'un bout de papier A4. Il est aussi surintendant des finances du tribunal : c'est lui qui gère le budget, passe les commandes et règle les factures. Quand il le peut, vous allez voir. Il reçoit les minutes des jugements, c'est à dire les originaux des archives. Enfin, il est investi de tâches quasi-juridictionnelles puisque depuis 1993, il délivre les certificats de nationalité française, reçoit les consentements à l'adoption, appose les scellés, délivre les procurations pour voter etc. Mais je ne veux pas déflorer le sujet.

Nous sommes lundi matin, le réveil a sonné, une bonne douche, une tasse d'Assam bien serré, et c'est parti...

Eolas


Lundi :

8h : j’arrive au tribunal à pas mesurés : le verglas sur le parvis rend chaque pas risqué.

Une greffière est déjà là. A pied d’œuvre depuis 7h, comme chaque jour. Elle a gardé manteau et écharpe. « Bonjour, j’espère que tu as prévu les mitaines il n’y a pas de chauffage ».

Hum, je savais bien que j’aurais dû rester au lit. Le coup de la panne de chaudière dès le lundi matin, ça motive pour la semaine !

Me voilà partie, téléphone portable à la main (le mien, bien sûr, la juridiction ne disposant d’aucun « sans fil ») au deuxième sous-sol. Plantée devant la chaudière, j’appelle le chauffagiste qui tente un diagnostic en ligne et me promet de passer dans la semaine. Je négocie : la palais est ancien, un vrai nid à courants d’air. Nous allons geler sur place, ça ferait désordre. Il comprend. Si quelqu’un est là, il veut bien venir entre midi et deux. Qu’à cela ne tienne, je pique-niquerai sur mon bureau, mon clavier n’est plus à quelques miettes près…

8h30 : première étape de la journée, la lecture des mails : les JO du week-end d’abord, puis les messages de boulot. La Cour d’appel convoque tous les directeurs de greffe à une réunion budgétaire jeudi après-midi. Encore une demi-journée de travail perdue en perspective…

9h : le courrier est là. Je l’ouvre et constitue des piles pour chaque agent. Laborieux, certes, mais cela permet d’avoir un œil sur l’activité du tribunal et de garder à l’esprit que quand mes fonctionnaires me disent qu’elles sont débordées, c’est un très doux euphémisme. La pile des tutelles est de loin la plus dense. La mienne est bonne deuxième : demandes d’attestations de non-PACS de la part des notaires, de certificats de nationalité…

Deux lettres de rappel viennent rejoindre leurs camarades dans une volumineuse pochette : annualité budgétaire oblige, tous les paiements ont été arrêtés mi-décembre. Nous sommes mi-février et les crédits de l’année n’ont toujours pas été débloqués. Les factures s’accumulent donc. En outre, je ne peux passer aucune commande : le greffe vis sur les réserves de fournitures réalisées en fin d’année, mais plus pour longtemps : le chômage technique nous guette et je soupçonne mes greffières d’apporter leur propre papier toilette pour parer toute pénurie.

Peut-être la réunion budgétaire augure-t-elle de bonnes nouvelles ? Dans le doute, je prépare toutes mes factures : elles doivent pouvoir partir dès que le feu vert aura été donné. Idem pour les commandes les plus urgentes.

J’entame donc mon tour des bureaux : qui a besoin de quoi ? Pochettes roses pour les tutelles, jaunes pour le civil, surligneurs pour le magistrat ( « de marque, si possible, les premiers prix ne survivent pas trois jours » ), enveloppes : grandes, petites, avec ou sans fenêtre…

La fonctionnaire de l’accueil m’interpelle entre deux bureaux : une procuration de vote à signer. Les municipales approchent…

12h : sandwich dans une main, catalogue de fournitures dans l’autre, je peaufine mes commandes en attendant le chauffagiste.

14h : les couloirs du tribunal commencent à retrouver une température décente. On m’appelle à l’accueil : une « natio[3] ». Petite juridiction oblige, de l’accueil à la délivrance, le service nationalité, c’est moi.

Un couple souhaite constituer un dossier de demande de nationalité française par mariage. Elle, 23 ans, est russe. Lui, 71 ans, est français. Ils ont célébré leurs deux ans de mariage la semaine dernière et lorsqu’il parle d’elle, il dit « cette dame ». C’est dire s’ils sont intimes.

Je leur explique que la loi a changé et qu’il faut désormais quatre années de mariage et que même alors, rien n’est acquis : il y a un dossier assez lourd à constituer, des enquêtes pour s’assurer de la communauté de vie et de la « réalité des liens affectifs » : une procédure d’au minimum un an. Il lui jette un regard accusateur : « on m’avait dit que c’était pour deux ans ».

Je retourne à mon budget : il faut impérativement que je peaufine mes demandes pour pouvoir défendre mon bout de gras, ou plutôt mon quignon, à la réunion de jeudi…. Entre le téléphone et les procurations, difficile de rester concentrée. A 18h, je me résous à transférer mes tableaux budgétaires sur ma clé USB : je ferai ça à la maison…

Mardi :

E-mails, courrier… le rituel recommence. La pile des comptes annuels de gestion de tutelle commence sérieusement à monter ; ce sont mille dossiers, au total, qu’il va me falloir étudier comme chaque année : vérifier les dépenses, les comptes bancaires, s’assurer que le tuteur ne détourne pas l’argent de son protégé, qu’il demande bien l’autorisation du juge pour chaque dépense importante… Un travail de titan, souvent mené à bien à la faveur de l’accalmie estivale.

Téléphone… « Madame Lampoix, pour une nationalité », m’annonce-ton.

« Bonjour Madame, voilà, j’ai voulu refaire ma carte d’identité pour les élections, et la mairie me demande …. Aahh, attendez, je l’ai noté là….

J’anticipe, la suite, je la connais par cœur :

- un certificat de nationalité française ?

- oui, c’est ça. Alors, c’est quoi ? Je suis française, moi, j’ai 52 ans et on ne m’a jamais rien demandé avant ! C’est nouveau ?

Le juge entrouvre la porte. Je lui fais signe d’entrer…

- non, madame, le certificat de nationalité n’a rien de nouveau, ce sont les instructions données aux préfectures qui ont changé. Cette demande est devenue systématique si vous ou vos parents êtes nés à l’étranger.

Commencent le jeu de question réponse classique :

- Où êtes vous née ?

- A Tananarive (argh, Madagascar, je sais pas pourquoi, je sens que je vais ramer ! )

- Et vos parents ?

- Ma mère à Hanoï et mon père à N’Djamena … ( qu’est-ce que je disais ! ).

Impossible d’en savoir plus par téléphone. Je lui énonce une première liste de pièces dont je vais avoir besoin, lui précise qu’il en faudra peut-être d’autres après étude de son dossier. Je sens qu’elle panique, qu’elle ne comprend pas. Elle me répète qu’elle a toujours eu des papiers français, ses parents aussi : son père était militaire dans l’armée française, son grand-père également.

Je la rassure. Si les pièces dont elle dispose sont insuffisantes pour déterminer comment elle est française, on fera jouer la possession d’état sur deux générations. Elle aura de toute façon son certificat la semaine prochaine. Rendez-vous est pris après demain, pour qu’elle me remette son dossier, je veux pouvoir trier les pièces avec elle pour pouvoir lui demander sur le champ des précisions, si besoin.

Je raccroche. Le magistrat me regarde, embarrassé : «M. Dubois m’a appelé : je le connais un peu, il a fait des travaux chez moi. Il s’inquiète de n’avoir toujours pas été payé pour le changement de vitre début janvier… » . Effectivement, l’artisan avait accepté d’intervenir en urgence après que quelques fêtards du nouvel an aient pris la juridiction pour cible et brisé la plus haute vitre de la porte du palais : échafaudage, lourde grille en fonte à déposer puis reposer, la note est salée et je n’ai toujours pas l’ombre d’un euro sur mon budget. Je promets de l’appeler et m’engage à faire passer sa facture en premier lorsque les crédits seront débloqués. Ce genre de retard met souvent en péril les petits artisans qui ont peu de trésorerie, et pourtant, les instructions sont de faire passer en priorité les sociétés d’électricité ou de gaz, qui appliquent automatiquement les intérêts moratoires en cas de retard…

14h : Téléphone : « Bonjour, office HLM de Troupaumé, je souhaiterais parler au greffier en chef s’il vous plait. ». Là, pour tout vous dire, j’ai une furieuse envie de me planquer sous le bureau et de dire que, non, désolé, de greffier en chef, ici, il n’y en a plus, vous savez, avec la réforme de la carte judidciaire et tout ça… Car je sais d’avance le cauchemar qui me guette. La bête noire du greffier en chef de tribunal d’instance : l’apposition de scellés.

Quand j’entends ce dernier mot, une sorte de mécanisme d’autodéfense se met en route et je repasse mentalement tous les arguments dissuasifs dont je dispose (et je vous assure que je fais de mon mieux pour en enrichir la liste à chaque appel !).

De quoi s’agit-il concrètement ? Sur le papier, c’est simple : quelqu’un est mort et, au choix, n’a pas d’héritier connu ou a au contraire une descendance qui rêve de tout rafler avant son frère / sa mère / sa cousine (rayez la mention inutile). On me demande donc de venir inventorier les biens du défunt et d’apposer des scellés afin d’éviter que des biens ne « disparaissent ».

Pourquoi est-ce un cauchemar ? Parce que, déjà, ça n’a rien d’agréable d’aller fouiller les tiroirs d’un mort qu’on ne connaît ni d’Eve, ni d’Adam. Ensuite et surtout, parce que dans l’immense majorité des cas, il s’agit de personnes démunies, qui vivaient seules, dans des conditions d’hygiènes douteuses. Je vous passe les détails et les anecdotes.

Et l’office HLM, dans tout ça, me direz-vous ? Il veut récupérer son appartement, pardi ! Il souhaite donc être autorisé à « cantonner » les biens dans un garde-meuble pour libérer le logement.

Après un échec flagrant de mes échappatoires, je me résous à apposer. Je m’enquiers cependant de l’état du logement. Heureusement ! L’office m’informe que le défunt a été découvert dans sa baignoire 10 jours après son décès et que les insectes grouillent. Je vous laisse imaginer. Je vais faire venir un service de désinsectisation et de nettoyage. L’apposition attendra la semaine prochaine….

Mercredi :

C’est le jour des enfants. Je sais d’avance que je vais être interrompue fréquemment par des demandes de nationalité. Quant aux procurations, je continue de plus belle à distribuer des autographes. Il faudrait quand même qu’on m’explique pourquoi cette attribution n’est pas délégable aux greffiers…

10h : Un jeune garçon m’attend pour constituer un dossier d’acquisition de nationalité par « naissance et résidence ». Rien de complexe : il suffit de prouver que ses parents sont en situation régulière, qu’il est né en France et qu’il y a résidé les cinq dernières années. Des certificats de scolarité font l’affaire. Il me tend son acte de naissance. Surprise ! Les parents, de nationalité algérienne, sont tous deux nés en France. L’enfant a donc toujours été français. Cela n’a semble-t-il pas effleuré les services de la préfecture, qui lui ont délivré un « titre républicain d’identité », équivalent, pour les mineurs, du titre de séjour. Le dossier de déclaration de nationalité devient donc une demande de certificat de nationalité.

10h15 : Encore un jeune homme, 17 ans. Il vient « pour le service militaire ». La première fois, j’avoue que j’ai eu du mal à saisir. En fait, il vient demander un certificat de nationalité française, qui lui permettra de ne pas aller faire son service militaire en Turquie. Il a acquis la nationalité par naissance et résidence à l’âge de treize ans.

Liste des pièces en main, je lui explique ce dont j’ai besoin.

- Votre déclaration de nationalité…

- J’ai pas ça, madame !

- Mais si, vous l’avez. C’est inscrit sur votre acte de naissance. Vous êtes venu ici quand vous aviez 13 ans pour devenir français.

- Moi chuis français, m’dame, chuis né en France !

Et de lui expliquer que, non, il n’est pas français parce qu’il est né en France, mais bien parce qu’il a souscrit une déclaration de nationalité…

- Vous l’avez certainement. C’est un papier très important, qui prouve que vous êtes français, vous ne pouvez pas l’avoir perdu. Demandez à votre maman, elle l’a forcément gardé.

Il traduit mes propos à sa mère, qui fouille dans son sac et sort une pochette. Bien sûr qu’elle l’a gardée. Elle l’a même faite plastifier pour qu’elle ne soit pas abîmée. Bien plus que son fils elle connaît la valeur de ce sésame.

19h30 : j’ai enfin bouclé mes tableaux budgétaires pour la réunion de demain. Je les donne pour info au juge, qui est encore là,. Au milieu d’une chaîne de montagne constituée de dossiers de tutelle, de saisies des rémunérations et de contraventions de 5è classe, il lui reste peut-être un demi mètre carré pour écrire : le bureau ancien dont il dispose est certes très joli, mais loin d’être fonctionnel…

Jeudi :

Je tente de traiter un maximum de choses avant de partir à la Cour (2h30 de route aller-retour, plus la durée de la réunion qui ne va pas manquer de s’éterniser...).

Les demandes de congés pour les vacances de Pâques : j’ai juste à officialiser, l’organisation s’est faite comme toujours autour du café du matin. Tout le monde s’est mis d’accord sans problème. J’ai la chance d’être à la tête d’un greffe qui roule tout seul, ou presque.

Une greffière m’appelle pour un problème informatique. Je revêts une de mes multiples casquettes : celle de « CLI », correspondant local informatique. Quelques bidouillages plus tard, l’affaire est réglée, mais on me demande au téléphone. Les services des statistiques du ministère ont constaté des divergences entre les chiffres que j’ai envoyés, comme chaque mois, et ceux relevés automatiquement sur nos logiciels. Je suis aimablement priée de procéder à un « comptage manuel ». Ca attendra.

A peine raccroché, cela sonne à nouveau. Encore une apposition de scellés. Décidemment, ce n’est pas ma semaine. Cette fois c’est le notaire qui me demande de venir, le lendemain matin à 10h. Je lui explique que généralement, c’est moi qui fixe les rendez-vous aux justiciables et non l’inverse. « Je suis désolé, c’est un peu particulier…

- mais encore ?

- tous les enfants sont dans la maison de leur père, décédé hier. Chacun surveille l’autre. Le seul point sur lequel ils sont d’accord, c’est qu’ils veulent que l’apposition soit faite immédiatement après la levée du corps.

- charmant … va pour demain 10h».

Reste à savoir qui va partager cette réjouissance avec moi : il faut y aller à deux. J’essaie de changer de fonctionnaire à chaque fois. Une fois la volontaire désignée, je m’échappe pour ne pas être en retard à la Cour.

14h : La réunion devrait commencer, mais pour l’instant, nous sommes trois.

14h30 : La ponctualité ne paie pas. A tout seigneur tout honneur, on commence par le budget de la Cour d’Appel, puis celui des TGI du ressort les TI ne passeront qu’ensuite. Une bonne nouvelle tout de même, 30% du budget vont être alloués. Nous allons enfin pouvoir payer les factures et passer les commandes les plus urgentes.

On examine les demandes « de programme » (c'est-à-dire d’investissement, par opposition aux demandes « de base »). Deux heures à entendre parler de télésurveillance, portiques de sécurité et caméras. Deux portiques pour la Cour : c’est le budget annuel de mon TI.

16h45, c’est enfin mon tour. Je n’ai qu’une demande. La même depuis trois ans : j’aimerais une rampe d’accès handicapés sur le parvis. J’ai fourni deux devis. « Il en faut trois ». J’ai ceux des années précédentes. Je tente de leur faire comprendre qu’au bout de 3 ans, les artisans en ont marre de se déplacer et de perdre du temps à refaire toujours les mêmes devis alors que les travaux ne sont jamais réalisés. Alea jacta est. Réponse dans quelques semaines. Je n’ai guère d’espoir. Je reprends la route pour rejoindre mes pénates, en pensant à tout ce que j’aurais pu faire si j’étais restée au bureau.

Vendredi :

9h : Pliées de rire, la greffière et moi comparons nos tenues de combat pour l’apposition de scellés : survêtement de la belle époque où « Macumba » dominaient le top 50 et tennis qui se souviennent de la victoire de Noah à Rolland-Garros pour elle, combinaison façon Valérie Damidot, mais en pire, pour moi : on sent l’expérience. Un coup d’œil à la mallette pour être sûres de ne rien oublier : les gants, si c’est sale, le Vicks, si ça sent mauvais, la cire, la Marianne, le ruban rouge, les étiquettes, le dossier, les ciseaux, le marteau et les clous, si la cire ne tient pas…

10h : Nous suivons péniblement les instructions du notaire pour trouver la maison et le corbillard que nous croisons est un bon présage : nous sommes moins perdues qu’on ne le pensait.

11h30 : Après plus d’une heure d’inventaire soigneux, en présence de tous les membres de la fratrie qui se regardent en chiens de faïence, j’appose l’ultime cachet de cire à l’endroit le plus discret de la porte : les étiquettes « respect à la loi », se traduisent en langage cambrioleur par « entrez donc, servez-vous, il n’y a personne ». Je ramène mon butin pour le coffre-fort du greffe : les clefs de la maison, les papiers d’identité, chéquiers, quelques euros en liquide.

13h : Une de mes fonctionnaires me demande l’autorisation de partir une heure plus tôt pour aller chez le médecin. Elle m’assure qu’elle restera plus tard le soir. Précision inutile. Elle reste toujours plus tard le soir. Comme tous ici, elle ne compte pas ses heures. Nous discutons un long moment. Elle m’explique ses problèmes de santé, me parle à mots couverts de ses appréhensions à l’idée de prendre prochainement sa retraite après presque 20 années dans le même greffe.

14h : Je fais des comptes d’apothicaire, tentant d’utiliser le plus stratégiquement possible les quelques euros débloqués par la Cour : paiement du vitrier en premier, comme promis. Puis des factures dont l’échéance est proche ou dépassée. Il me reste encore quelques sous, mais pas suffisamment pour ma commande de fournitures. Je la reprends : au sein de cette liste où tout est urgent, je vais encore devoir « prioriser ».

17h : Je m’échappe tôt aujourd’hui, une pile de comptes de tutelles sous le bras. Je me ravise et les repose sur mon bureau : j’ai la ferme intention de profiter de mon week-end. Les élections se profilent et avec elles les permanences du dimanche dans un TI désert…

Notes

[1] Vous savez, ces juridictions inutiles dont 200 viennent d'être supprimés pour rapprocher la justice du citoyen...

[2] Le sceau est fixé par un arrêté du 8 septembre 1848 :une femme assise, effigie de la Liberté, tient de la main droite un faisceau de licteur et de la main gauche un gouvernail sur lequel figure un coq gaulois, la patte sur un globe. Une urne portant les initiales SU rappelle la grande innovation que fut l'adoption du suffrage universel direct en 1848. Aux pieds de la Liberté, se trouvent des attributs des beaux arts et de l'agriculture. Le sceau porte comme inscription "République française" et sur le pourtour la mention de l'autorité qui la détient ("Tribunal de grande instance de Framboisy", "préfecture du Blog Maritime", etc...)

[3] Un dossier relatif à la nationalité française. NdEolas.

jeudi 21 février 2008

Nul n'est censé ignorer la loi...

Le Maître des lieux étant en code rouge, j'en profite pour squatter la coloc' et participer à l'éducation juridique des foules, avec un décret qui vient de sortir au JO du jour et dont la teneur est la suivante :

"Article 1

I. ― L'article R. 15-33-61 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de l'article 9 du décret n° 2007-1388 du 26 septembre 2007 susvisé conserve sa numérotation et le I de l'article 1er du décret n° 2007-1538 du 26 octobre 2007 susvisé est abrogé.
II. ― Les articles R. 15-33-62 à R. 15-33-66 du même code, dans leur rédaction résultant de l'article 9 du décret n° 2007-1388 du 26 septembre 2007 susvisé, conservent leur numérotation.
III. ― L'article R. 15-33-68 du même code, dans sa rédaction résultant de l'article 9 du décret n° 2007-1388 du 26 septembre 2007 susvisé, devient l'article R. 15-33-76 figurant dans une section 2 du chapitre Ier du titre II du livre Ier intitulée :

« Section 2

« De la convocation des officiers de police judiciaire ayant procédé à une déclaration d'adresse »

IV. ― Les articles R. 15-33-61 à R. 15-33-69 du même code, dans leur rédaction résultant de l'article 1er du décret n° 2007-1538 du 26 octobre 2007 susvisé, deviennent les articles R. 15-33-67 à R. 15-33-75 et les références aux articles R. 15-33-61, R. 15-33-62, R. 15-33-65 et R. 15-33-66 figurant dans ces dispositions sont respectivement remplacées par des références aux articles R. 15-33-67, R. 15-33-68, R. 15-33-71 et R. 15-33-72.
V. ― L'article R. 261-1 du même code dans sa rédaction résultant de l'article 19 du décret n° 2007-1388 du 26 septembre 2007 susvisé conserve sa numérotation et l'article R. 261-1 résultant de l'article 2 du décret n° 2007-1538 du 26 octobre 2007 susvisé devient l'article R. 261-2 ; dans cet article, la référence à l'article R. 15-33-62 est remplacée par la référence à l'article R. 15-33-68.

Article 2

I. ― A l'article R. 15-33-29-4 du code de procédure pénale, la référence à l'article R. 15-33-61 est remplacée par la référence à l'article R. 15-33-29-3.
II. ― Au 6° de l'article R. 61-8 du même code, le mot : « nationale » est supprimé.
III. ― Au 3° de l'article R. 121-2 et au 3° de l'article R. 121-4 du même code, après les mots : « responsabilité parentale », sont ajoutés les mots : « ou de contrôle de l'exécution de la peine de sanction-réparation ».

Article 3

Dans le premier alinéa des articles R. 2212-15, R. 2213-60, R. 2512-15-11 et R. 2512-15-12 du code général des collectivités territoriales, la référence à l'article R. 15-33-61 du code de procédure pénale est remplacée par la référence à l'article R. 15-33-29-3 de ce même code."

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Voilà voilà voilà...Si quelqu'un y comprend quelque chose, je suis preneur...Et dire qu'il y a des gens payés pour pondre des textes pareils...

mercredi 20 février 2008

Far Far Away, conte pour enfants pas sages

Par Dadouche



Il était une fois, dans la Province des Petis Pois de la Fédération de Far Far Away, un prince bien malheureux. Il était le benjamin des rejetons du Roi Procureur, et s'était vu confier LE fief dont personne ne voulait. Substitut Charmant, c'est le nom de notre valeureux héros, était Baron des Mineurs.
Pas un jour ne passait sans qu'il enviât son frère ainé, le Vice-Roi Comptable, qui avait reçu en apanage le Duché de la Banque et du Commerce. Même le cadet, le Prince Maton, Comte des Cachots, lui paraissait certains jours avoir un sort plus enviable.
Car la tâche que le Roi avait confiée à Substitut Charmant avec le Domaine des Mineurs, c'était de s'occuper desdits mineurs. Pas pour leur conter des histoires le soir à la veillée, ni pour les emmener jouer à la soule. Non, il devait les empêcher de faire des bêtises et de troubler la tranquillité des autres domaines.

Il était aidé dans sa tâche par la Fée Dadouche, qui vivait à l'autre bout du Royaume.
Substitut Charmant aurait préféré avoir affaire au Maréchal Gascogne, avec qui il aurait au moins pu jouer à la soule, mais tous ses frères se les disputaient déjà, lui et son pôle de Mousquetaires.
Non seulement la Fée Dadouche n'était pas toujours de bonne humeur à cause de ses insomnies, mais en plus, pour parvenir chez elle avec les mineurs turbulents, il fallait traverser le Labyrinthe de 45.

Lire la suite...

mardi 19 février 2008

La vraie vie (rêvée) des avocats

Par Fantômette


En réponse également au billet de Gascogne. Même dans ses pires cauchemars, un magistrat ne saurait totalement appréhender la tragique vérité sur la vraie vie rêvée des avocats...

Lundi :

J’arrive vers 8h30 au Cabinet. La porte est fermée à clé, les secrétaires ne sont pas encore arrivées.

Premier réflexe de la journée : l’agenda. Je devrais écrire l’Agenda. L’AGENDA. La Bible du Cabinet. L’agenda est une drogue, l’agenda, c’est ma caféine et mon tranquillisant. C’est le garant du travail accompli et de celui qui reste à faire. Je le consulte tous les matins en arrivant, tous les soirs en repartant. Entre deux, je vais de temps en temps y refaire un petit tour.

Il faut dire que les agendas d’avocats, c’est un peu comme netvibes et autres gestionnaires de flux rss. Ils se réactualisent en permanence, comme on dit sur le web 2.0, c’est-à-dire que vous pouvez être parfaitement à jour de votre travail à 10h30 et dangereusement à la bourre à 10h45.

Tenez, par exemple, ça y est. Horreur des horreurs. Le fax termine de cracher 15 pages d’écritures adverses haineuses en vue de l’audience de demain matin. Evidemment, c’est devant le tribunal d’instance de Tatahouine-Sur-Seine, bien connu pour le peu de patience qu’il démontre quotidiennement à l’égard des avocats qui demandent des renvois.

Et cet après-midi, j’ai une correctionnelle. Or donc, coulez mes larmes, car mon client est libre, ce qui signifie que je ne passerai pas dans les premières affaires (en correctionnelle, les affaires prioritaires sont celle où les prévenus sont détenus).

Je sors donc à 17h, et à 18 heures, je reçois la petite madame Michel, qui a non seulement perdu son chat, mais aussi son travail (« je veux porter plainte, Maître ! » « vous voulez contester votre licenciement devant les Prud’hommes ? ») son mari (« je veux porter plainte, Maître ! » « vous voulez qu’on introduise une requête en divorce ? ») toutes ses économies (« je veux porter plainte, Maître ! » « vous voulez qu’on prépare un dossier de surendettement ? »), sa santé (« je veux… » « Stop ! Madame Michel, je vais vous adresser à un excellent docteur, heu, confrère, qui est plus particulièrement spécialisé dans les... heu… cas comme les vôtres »).

Mardi :

9h30, Tatahouine-sur-seine. La salle est presque pleine. Mon affaire est appelée, évidemment, je demande un renvoi.

- Je vois, Maître, que cette affaire revient déjà sur un renvoi. Ah, oui, et je remarque que sur le bulletin d’audience, j’avais pris soin de préciser « dernier renvoi ».

Je me mords la langue pour ne pas répondre ce que tout le monde sait : après le « dernier renvoi », il reste encore « l’ultime renvoi ». Et puis, le dernier des ultimes renvois. Ensuite, heu… je crois qu’il doit encore y avoir un renvoi dans l’intérêt d’une bonne administration de la Justice, et puis, le renvoi dans l’intérêt de ne pas avoir la mort par combustion spontanée de l’avocat du demandeur par excès d’énervement sur la conscience.

- Monsieur le Président, j’ai reçu ces conclusions hier matin seulement, et elles présentent de nouvelles demandes reconventionnelles. Mon client n’a pas eu le temps d’en prendre connaissance, et n’a pu approuver mes écritures en réponse (in petto : que je n’ai pas non plus eu le temps matériel de rédiger, mais je vais m’y mettre en rentrant).

- Mmmoui. La procédure est orale devant le tribunal d’instance. Vous pourriez y répondre oralement, et tant pis pour l’avocat du défendeur qui n’aura pu s’y préparer (regard sévère dans sa direction : le collaborateur dudit avocat a la bonne grâce de rougir, mais son regard clair est celui de l’avocat qui se présente devant le tribunal avec un dossier en état).

- Certes, Monsieur le Président. Toutefois, je souhaiterais pouvoir solliciter de mon client de nouvelles pièces, les arguments soulevés sont tout à fait nouveaux…

Je croise les doigts des deux mains, bien cachées dans mes grandes manches noires.

- Bon. Mme le Greffier, une date de renvoi… Affaire renvoyée au 8 avril prochain. Notez Mme le Greffier qu’il s’agit d’un ultime renvoi.

Ouf. Je sors en vitesse de la salle après un remerciement murmuré au tribunal, un rapide salut à l’avocat adverse. J’ai une petite demi-heure de voiture jusqu’à mon Cabinet, je n’arrive que vers 11 heures, à temps pour jeter un coup d’œil au courrier du jour, que les secrétaires classent dans les dossiers correspondants, et préparer quelques courriers en réponse.

"Oui, je m’occupe de votre affaire…, j’attends la réponse de l’avocat adverse…, veuillez trouver ci-joint copie des pièces que je reçois ce jour…, merci de prendre contact avec mon cabinet en vue d’un prochain rendez-vous."

L’après-midi, Patron n°1 débarque dans mon bureau, alors que j’attaque ma deuxième assignation en contentieux locatif.

- Fantômette, je te confie un nouveau dossier.

Dossier sensible, dossier urgent, dossier adressé par un Confrère/ami/connaissance, bref, recommandé à mon attention. L’idéal serait de l’avoir traité pour avant-hier.

- Tu comprends, c’est un dossier délicat, très subtil, tout à fait pour toi. Tu me montreras ton projet d’ici ce soir. Je compte sur toi.

Galvanisée par l’évidente manifestation de confiance de Patron n°1, toutes affaires cessantes, je me lance sur le dossier en question. Je dépouille l’assignation (nous sommes en défense), je sors mon code, mon legifrance, mon dictionnaire permanent, je vérifie les textes visés, les pièces versées. Je prépare un courrier pour le client pour l’interroger sur deux-trois points en suspens, et un projet d’écritures en réplique que je laisse sur le bureau de Patron N°1.

Je redescends jeter un coup d’œil à l’agenda.

Mercredi :

Le mercredi est souvent une journée un peu off en ce qui concerne les audiences. Je peux en profiter, soit pour (tenter de) remplir mon quota d’heures de formation continue, soit pour faire des démarches un peu chronophages, mais tout à fait nécessaires : aller consulter un dossier pénal pour lequel j’ai été commise d’office au tribunal, ou aller voir un client en détention.

A peine rentrée, en tout cas, je constate avec plaisir que j’ai manqué à tout le monde, car on m’attrape au vol pour me renvoyer aussi sec au tribunal.

C’est urgent, des confrères de Créteil doivent impérativement signifier des conclusions aujourd’hui. Ils sont trop loin pour se déplacer, nous allons (c’est-à-dire, je vais) les dépanner. Par confraternité. Je m’y prête de bonne grâce parce qu’il se trouve que j’ai également un dossier sur Créteil, et tôt ou tard, c’est évident, je les solliciterai pour qu’ils me rendent la pareille.

Je repars pour le tribunal de grande instance où je parviens à signifier les conclusions dans les temps. J’en profite pour passer par l’Ordre des Avocats où je « relève la toque ». La toque d’un avocat est sa boîte aux lettres personnelle auprès du Tribunal. Il s’agit très concrètement d’un casier numéroté, où se déversent quotidiennement des courriers et actes de procédure qui nous sont adressés par d’autres avocats et par le tribunal : conclusions, bulletins d’audience, convocations, retours de dossiers et évidemment, jugements.

Les bras chargés de nombreux courriers que les secrétaires pourront commencer de dépouiller dès ce soir, je rentre avec la satisfaction du devoir accompli.

A temps pour recevoir Monsieur et Madame Tropressé, qui souhaitent divorcer. Madame a traîné Monsieur jusqu’ici qui n’en voit pas l’utilité puisqu’ils sont d’accord sur tout, et qu’il sait de source sûre qu’il suffit dorénavant d’aller consulter un notaire.

Je rectifie joyeusement sa vision erronée des choses, mais il me regardera d’un air méfiant tout au long du rendez-vous.

Jeudi :

Expertise, à Paris. Pas de chance, il pleut, et pas de chance encore, c’est un rendez-vous en extérieur. En la présence d'un Expert désigné par le tribunal, nous allons vérifier la présence de fissures sur un mur d’immeuble jouxtant une importante opération de construction immobilière. J’interviens pour le syndicat des copropriétaires de l’immeuble en question.

Une quinzaine de participants, dont une bonne moitié d’avocats grelottent sous la pluie en fixant le mur gris. L’avocat du Maître de l’Ouvrage, c’est-à-dire de l’affreux promoteur immobilier qui vient fissurer l’immeuble de mes clients à coups de marteaux piqueurs, est planté à dix mètres du mur et indique à très haute voix : « Moi, en tout cas, je ne vois aucune fissure, Monsieur l’Expert ».

J’ai le nez collé sur le mur de la copropriété, je distingue très nettement les grains de sable qui composent son mortier. « Moi, Monsieur l’Expert, j’en vois, regardez la longue fissure, ici. Elle remonte jusque là. J’ai l’impression que quand j’appuie dessus l’immeuble bouge, non ? »

S’ensuit une longue dispute sur la question de savoir si l’on peut qualifier les fissures de fines ou filiformes. L’avocat du promoteur propose sournoisement de les qualifier d’invisibles, tandis que je m’interroge ouvertement sur la nécessité de les qualifier. Après tout, des fissures, ce sont des fissures.

Je rentre frigorifiée, heureusement, Patron n°2 m’a laissé une tasse de thé au chaud.

Patron n°2 adopte un tout autre style que Patron n°1 pour me confier des dossiers.

- Fantômette, tu peux venir voir une seconde ? Voilà, je voudrais avoir ton avis sur le dossier Toutseul contre Restedumonde. Je m’interroge. Peut-être n’ai-je pas abordé le dossier sous le bon angle, mais j’ai du mal à sortir de ma vision initiale. Ce dossier a besoin d’un regard neuf. Tu me diras ce que tu en penses ?

- Vous voulez juste que j’y jette un coup d’œil ? je demande, légèrement méfiante.

- On en rediscutera quand tu auras regardé ça de plus près.

Evidemment c’est un code – que je casse aussitôt - et qui signifie, oui, tu y jettes juste un coup d’œil, et puis ensuite, tu te chargeras de ce dossier. Définitivement.

Je prends le dossier à deux mains, et le regard de Patron n°2 s’illumine pendant qu’il annonce : « attends, tiens prends aussi ces deux là ». Flûte. J’avais pas vu qu’il y avait marqué Toutseul contre Restedumonde tome 1 (correspondance et procédure). Patron n°2 me tend les tomes 2 (nos pièces) et 3 (pièces adverses).

Je regagne mon bureau en ployant sous le faix.

Vendredi :

Branle bas de combat. Un de nos clients vient d’apprendre que son débiteur est en procédure collective. Le Cabinet dans son ensemble se joint pieusement à la secrétaire devant son écran pour vérifier si nous sommes dans les temps pour procéder à la déclaration de créance. Infogreffe délivre son verdict : il nous reste jusqu’à lundi. Rien de trop.

Je me dissimule habilement derrière le photocopieur, le temps pour Patron n°1 de s’approprier le dossier.

Je rejoins mon bureau et allume mon ordinateur. J’ai une bonne trentaine de messages en attente. J’ai un dossier de plaidoiries à préparer pour lundi devant la cour d’appel. J’ai des conclusions à rédiger pour jeudi. Et l’agenda peut encore se remplir d’ici ce soir.

Je m’y attaque avec énergie et y passe la matinée. Entrecoupée d’appels téléphoniques imparfaitement filtrés. Monsieur Tropressé veut savoir pourquoi il n’est toujours pas convoqué devant le juge aux affaires familiales. Mme Michel a retrouvé son chat (« Je suis bien contente pour vous, Mme Michel ! Vous avez appelé mon Confrère ? »). M. Toutseul veut savoir pourquoi c’est moi qui lui répond et pas Patron n°2. Loyalement, j’explique que je travaille sous l’étroit contrôle de Patron n°2, mais que s’il a des questions, il peut aussi bien me les poser.

La journée passe trop vite, et je rentre chez moi très fatiguée.

Je me réveille soudain en sursaut. Etait-ce un rêve ? Non. J’ai dormi tout le week-end. On est lundi.

C’est reparti.

lundi 18 février 2008

Tranche de vie

Inspirée par Gascogne, Lulu, juge d'instruction, a laissé un long commentaire pour narrer une semaine de la vie d'un juge d'instruction, commentaire que j'élève avec l'autorisation de son auteur à la dignité de billet tant il serait dommage qu'il passât inaperçu.

Eolas


Dimanche: la juge d’instruction que je suis élabore mentalement la liste de tout ce qu’elle va devoir faire pendant la semaine. Le programme serait faisable, si seulement les journées pouvaient durer 30 heures et non pas 24. Surtout que je prends la permanence demain à 9 heures pétantes et que les imprévus ne sont pas exclus, surtout que la substitut de permanence au parquet cette semaine est réputée pour être le chat noir de la juridiction. Dès qu’elle prend la perm, les cadavres s’accumulent et les plaintes pour viols aussi.

Histoire de m’avancer, j’ai pris deux ou trois dossiers à étudier ce week-end, afin de préparer les quelques interrogatoires de la semaine: une mise en examen dans une affaire de bagarre. Les déclarations des témoins et des mis en causes sont contradictoires et confuses, l’alcool qui imbibait tous les protagonistes de ces événements n’a pas contribué à clarifier les différentes versions des faits. Puis une confrontation dans une affaire de moeurs, des faits qui remontent à presque quinze ans, une nièce qui accuse son oncle. Un grand classique. Les déclarations de la victime me semblent crédibles, mais une fois de plus c’est parole contre parole et je sens que l’on s’achemine irrémédiablement vers le non-lieu. Puis une audition de mineur victime (victime de quoi, devinez...) mercredi, le jour des enfants dans mon cabinet. C’est déjà suffisamment pénible pour les loupiots de devoir expliquer une fois de plus ce qu’ils ont vécu, et à un juge en plus, alors j’évite de les convoquer un jour d’école pour qu’ils n’aient pas des explications embarrassantes à fournir à leurs petits camarades. Puis une affaire d’accident du travail, un dossier intéressant. Enfin un interrogatoire de curriculum vitae, truc pas très passionnant s’il en est, mais qui permet de mieux connaître la personnalité du mis en examen dans des affaires criminelles.

Bref, ces quelques dossiers qui s’entassent m’occupent une partie non négligeable du dimanche, pourtant radieux. Mon cher et tendre n'est pas ravi mais il est habitué.

Lundi: Arrivée à huit heures, mon premier réflexe est de brancher la cafetière, sans laquelle je ne pourrais assurément pas tenir toute la semaine. Je jette un coup d’oeil sur une grosse pile dans un coin de mon bureau, ce sont les dossiers qui attendent que je les “sorte” (ordonnance de non-lieu ou de renvoi). Je n’ose pas regarder une autre grosse pile, ce sont les commissions rogatoires qui sont rentrées et que je n’ai pas encore eu le temps de lire. Et que je lirai quand j’aurai le temps, c’est-à-dire pas dans les trois prochains mois. Dans un moment d’incommensurable optimisme, je me dis que je pourrai peut-être faire baisser ces deux piles cette semaine.

Bon. Je prépare une commission d’expertise, un examen psychologique sur une victime dans une affaire de moeurs. Puis je vais moi-même faire les copies des PV que je destine à l’expert. La pénurie de fonctionnaires de greffe est telle qu’une partie non négligeable du temps de travail des magistrats est occupée par des tâches telles que des photocopies. Entre-temps, ma greffière est arrivée. Elle est déprimée, il y a de quoi, les piles sur son bureau sont plus élevées que sur le mien. Son téléphone commence à sonner, ça ne s’arrêtera pas de la journée. Des justiciables qui veulent savoir où en est leur dossier. Des familles de détenus qui veulent savoir comment obtenir un permis de visite. Des avocats qui appellent parce qu’en dépit de multiples demandes, ils n’ont toujours pas la copie du dossier MACHIN. Et des gens qui n’ont rien à voir avec nous mais qui veulent absolument savoir où en est le dossier BIDULE sous prétexte qu’ils sont l’employeur de Monsieur BIDULE. Et qui s’indignent que ma greffière leur oppose le secret de l’instruction.

Mon “client” de 10 heures est là, pour l’affaire de bagarre. Son avocat, commis d’office, aussi. Il vient tout juste d’être désigné et prend une demi-heure pour lire le dossier et s’entretenir avec le jeune homme qui accepte de répondre à mes questions. Sa version des faits diffère notablement de celle de sa garde à vue, mais bon de toute façon, je ne suis plus à quinze versions des faits près. Il a un lourd casier, notamment pour des faits de violences, et surtout deux témoins et un autre mis en cause, plus sobres que les autres, affirment qu’il a été un participant actif de la bagarre. Je le mets en examen et lui annonce d’ors et déjà que nous aurons le plaisir de nous revoir dans les semaines qui viennent, pour une confrontation. Lors de laquelle je tenterai de débrouiller l’écheveau.

Le reste de la matinée est occupé par la lecture du courrier des détenus, par de la paperasserie diverse et par une visite impromptue de la substitut de permanence qui m’annonce une présentation à 14 heures. Super, je ne pense pas que ce sera cette semaine que les piles sur mon bureau baisseront.

J’en suis déjà à trois cafés.

Pause déjeuner avec les collègues. Puis retour au cabinet, pour faire la connaissance de Monsieur TARTEMPION, à l’encontre duquel le parquet a décidé d’ouvrir une information judiciaire. Ça prend un peu de temps, de faire sa connaissance, car on attend l’avocat commis d’office qui est parti voir un gardé à vue puis plaider un dossier aux prud’hommes. Je ne lui en veux pas à l’avocat, il est aussi débordé que moi et comme cela, je peux lire la procédure. Enfin quand tout le monde est prêt (pas avant 16 heures), je commence la première comparution de Monsieur TARTEMPION auquel on reproche des attouchements sur la fille de sa compagne. Un grand classique également. Monsieur TARTEMPION reconnaît les faits mais m’explique le plus sérieusement du monde que la gamine était consentante voire à l’initiative de tout cela (8 ans la gamine); il ne fait visiblement pas attention au fait que son avocate lui écrase discrètement le pied car elle sait bien elle, que les juges n’aiment pas, mais alors pas du tout, ce genre de discours.

Mise en examen, puis placement sous contrôle judiciaire. Pas de saisine du JLD. Ce n’est pas l’envie qui m’en manque, mais Monsieur TARTEMPION n’a aucun antécédent judiciaire, en matières d’agression sexuelles ou autres. Il ira dormir ailleurs que chez sa compagne et de toute façon je ne peux plus invoquer le trouble à l’ordre public pour demander une détention dans une affaire correctionnelle. Et donc, dans une affaire d’agression sexuelle.

Le temps de sortir toute la paperasse, il est déjà 18 heures. Ma greffière s’envole, l’heure sup qu’elle vient de faire ne fait que s’ajouter à de nombreuses autres, qu’elle récupérera Dieu sait quand. Pour ma part, je me plonge dans le dossier du lendemain que je n’ai pas eu le temps de peaufiner. Comme souvent, ce sont les parquetiers et les juges d’instruction qui fermeront le palais.

Mardi: Rebelote. Mais après une nuit difficile car je me suis retournée pendant des heures en me demandant si j’ai bien fait de mettre Monsieur TARTEMPION dehors, s’il ne va pas s’en prendre de nouveau à des petiots, en dépit de l’interdiction que je lui ai signifié de fréquenter les mineurs de moins de quinze ans. Vers 4 heures du matin, j’ai sombré dans un sommeil agité, j’ai rêvé que je comparaissais devant une commission parlementaire et que Monsieur HOUILLON habillé en Grand Inquisiteur me reprochait de ne pas avoir su faire fonctionner ma boule de cristal.

Bon, tout ça pour dire que je n’arrive pas au palais dans une forme éclatante. Et que ce n’est pas encore aujourd’hui que j’entamerai mon sevrage à la caféine. Enfin tout cela me donne un air rogue qui doit faire peur à tout le monde, avocats compris. Tant mieux, on ne me dérangera pas pour des broutilles.

Ma confrontation de 10 heures entre la nièce et son tonton se passe dans une ambiance tendue, comme souvent en pareil cas. Et chacun campe sur ses positions, comme souvent en pareil cas. Mon souci majeur dans de telles circonstances est d’éviter que les gens en viennent aux mains, ce qui serait pourtant très facile car mon bureau n'est pas très grand et que les parties et les avocats sont serrés comme des sardines, en face de moi. Deux mètres à peine (mais deux avocats) séparent le mis en examen de la partie civile. Mais la confrontation s’achève sans incident.

Je passe le reste de la journée à peaufiner une ordonnance de mise en accusation. Il ne faut pas que le dossier traîne, le mis en examen est en détention provisoire depuis près d’un an. Et il attendra probablement plus de six mois sa comparution devant la Cour d’assises. Vers 16 heures, je reçois la visite de la substitut de perm avec deux OPJ, des gendarmes de la B.R. locale (brigade des recherches). Je les salue chaleureusement, c’est l’avantage des petites et moyennes juridictions, on finit par bien connaître les gendarmes et policiers avec lesquels on bosse. Le parquet m’ouvre une information judiciaire pour trafic de stups, après lecture rapide des PV et quelques explications complémentaires, je délivre une CR (commission rogatoire) générale et une CR aux fins d’écoute téléphonique aux gendarmes, qui repartent prestement pour mettre en place cette écoute. Il s’agit, une fois de plus, d’un trafic d’héroine, J’ai été surprise, à mon arrivée dans cette juridiction, de l’importance des trafics de drogues dites dures alors que le secteur est plutôt rural.

Enfin, cela fait un dossier de plus. Pas grave, j’en ai déjà plus de 90.

Je reçois justement un coup de fil du commissariat local qui m’annonce qu’il souhaite procéder à des interpellations le lendemain dans le cadre d’une de mes commission rogatoires, pour trafic de stupéfiants. J’ai bien autre chose à faire cette semaine et les policiers aussi mais voilà, le brave toutou stups, qui a un emploi du temps de ministre, n’est disponible que demain mercredi. Va pour demain, donc.

Mercredi: Coup de fil du commissariat aux aurores pour confirmer les placements en garde à vue annoncés.

10 heures. Comme à chaque fois qu’un mineur vient pour audition dans mon cabinet, je deviens Steven Spielberg. C’est-à-dire que je me débats avec la webcam, pour m’assurer que l’audition sera filmée. Je ne vois pas très bien l’intérêt du truc, puisque personne ne visionne ces enregistrements et que l’audition fait l’objet d’un PV de retranscription mais en bon petit soldat, je me plie à la procédure. Pour une fois, je n’ai pas oublié le mot de passe et je n’ai pas fait buggé l’enregistrement, je suis en progrès. Sauf qu’à la fin de l’audition, je n’arrive pas à enregistrer l’audition sur le DVD prévu à cet effet, sous l’oeil goguenard de l’avocat du gamin (mes mésaventures avec cette caméra sont devenues célèbres dans le barreau local). Zut alors. Tant pis, je verrai ça plus tard avec notre correspondant informatique.

A part ça, l’audition ne se passe pas trop mal, le loupiot est stressé au début puis se détend quand il se rend compte que la juge n’est pas un monstre à sang froid (avec ce qu’il entend à la télé sur les juges..).

Le soir, je joue les prolongations et file au commissariat pour prolonger les gardes à vue de ceux qui ont été interpellés le matin-même dans mon affaire de stups. Pas besoin d’être grand clerc pour se rendre compte qu’ils sont tous toxicomanes et que les quelques bénéfices qu’ils ont pu faire dans ce trafic ont été engloutis dans leur consommation de poudre. En tout état de cause, il y a encore des choses à creuser et je leur indique à tous qu’ils vont encore passer 24 heures chez leurs amis policiers.

Jeudi: je passe la matinée avec un cadre dirigeant de l’entreprise dans laquelle est survenu un grave accident du travail. Audition très longue et très technique, comme presque toujours dans ce genre de dossier. Et comme presque toujours, ledit cadre ne comprend pas très bien ce qu’il fait dans mon cabinet. S’il y a eu des erreurs et des dysfonctionnements, me dit-il en substance, ils ne me sont pas imputables. Ils sont du fait de l’entreprise ou d’autres salariés.

Ses réponses à mes questions sont satisfaisantes et son avocat fait quelques observations pertinentes. Et puis aussi, cette affaire se situe dans le cadre de la loi du 10 juillet 2000 et de l’article 121-3 du Code pénal, qui m’indique en substance que je dois rechercher si le salarié a commis une faute caractérisée. Ce qui ne me semble finalement pas le cas en l’espèce. Je décide donc de placer ce cadre sous statut de témoin assisté, plutôt que de le mettre en examen.

Je devine déjà que cette décision ne plaira pas à la victime mais je ne peux pas mettre en examen quelqu’un juste pour lui faire plaisir. C’est en tout cas ce que je lui expliquerai quand je la rencontrerai.

Le reste de la journée se déroule dans la même frénésie que d’habitude. La brigade de gendarmerie de TROUFIGNY LES OIES m’appelle pour m’indiquer que Monsieur NARIENCOMPRIS, mis en examen pour violences conjugales, est retourné vivre chez sa femme. En dépit de son contrôle judiciaire qui le lui interdit. Et que manifestement, les baffes pleuvent à nouveau. Je ne suis pas ravie: j’avais déjà rappelé à l’ordre Monsieur NARIENCOMPRIS il y a quelques mois. Je délivre donc un mandat d’amener pour que les pandores m’amènent Monsieur NARIENCOMPRIS à la première heure demain.

Une fois de plus, je termine la soirée au commissariat pour prolonger les gardes à vue de mes présumés dealers-toxicomanes. J’en ai fait relâcher entre-temps et après lecture des PV, je décide finalement de m’en faire présenter un le lendemain, le plus impliqué.

Vendredi: Je n’ai plus de dosettes pour ma machine à expresso. Je suis donc de TRES, TRES mauvaise humeur.

J’interroge brièvement Monsieur NARIENCOMPRIS qui me dit en gros, qu’il a bien le droit de faire ce qu’il veut, d’aller où il veut si ça le chante, y compris chez sa femme. Je lui indique que dans ces conditions, je peux bien saisir le JLD pour révocation de son CJ si ça me chante aussi. Ce que je fais.

Un peu plus tard, je mets en examen mon “stupeux” que je place sous contrôle judiciaire. L’enquête est quasiment terminée, c’est avant tout un consommateur, une détention provisoire ne se justifie pas à mon avis. Je sens bien que les policiers ne sont pas contents. Mais quand comprendront-ils qu’il y a des critères à respecter pour placer quelqu’un en détention provisoire? Et que la réussite d’une enquête ne dépend pas du nombre de mandats de dépôts prononcés?

Dans la foulée, je procède à l’interrogatoire de CV de Monsieur TRUCMUCHE qui répond à mes questions sur sa vie, son oeuvre. Comme Monsieur TRUCMUCHE a eu une vie sentimentale et professionnelle agitée, je vais devoir envoyer des CR aux quatre coins de la France pour vérifier ses déclarations. Misère...

Et pendant ce temps-là, les piles n’ont pas baissées.. Des commission rogatoires sont rentrées, que je n’ai pas lues, des expertises sont rentrées, que je n’ai pas lues. J’ai 150 personnes à rappeler, ma greffière a fait barrage tant qu’elle a pu.

Pourtant ce vendredi-soir, c’est décidé, je m’autorise un extra, je quitte le palais à 17 heures 30. Non sans m’être assuré auprès du parquetier de permanence qu’à priori, le week-end sera calme. Et que je ne devrai pas m’être en examen un Monsieur TARTEMPION bis à 8 heures dimanche matin. Deux jours de relâche ou presque. Il faut bien en profiter: de toute façon ce sera tout pareil la semaine prochaine....

dimanche 17 février 2008

Vis ma vie

Par Gascogne.


Tout comme Tchouang Tseu nous racontait l'histoire de Tchéou qui ne savait pas s'il rêvait qu'il était un papillon, ou s'il était un papillon rêvant qu'il était Tchéou, me voilà par je ne sais quel tour de magie plongé dans une robe d'avocat.

Ma semaine commence sur les chapeaux de roue. Ou bien est-ce la précédente qui finit mal ? Toujours est-il que je dois partir ce dimanche à pas moins de 80 km pour un gardé à vue qui me réclame. Le planton de garde me reçoit plutôt froidement. Il doit voir en moi un grand ami des délinquants, un empêcheur d'arrêter en rond. L'OPJ me raconte rapidement l'histoire. Mon client m'en donne une autre version. Pas crédible. Quand comprendront-ils qu'il est dans leur intérêt de ne pas me mentir ? Je conçois qu'ils ne voient en moi qu'un "baveux", un type qui a fait des études, comme le proc' ou le juge, un gars bizarre qui met une robe pour travailler, mais quand même. Je n'ai qu'une demi-heure, et pas le moindre procès verbal sous les yeux, pour tenter de démêler les fils de l'histoire, et voir où se situe l'intérêt de celui qui m'a appelé à l'aide. Je sens que nous allons nous revoir dans la semaine, mais pas à mon cabinet...

Lundi : Pourquoi les juges ne trouvent-ils rien de mieux que de coller toutes les audiences possibles et imaginables en même temps ? Ils pensent que les avocats ont le don d'ubiquité, sans doute. Je cours, robe sous le bras, vers les différents bâtiments qui abritent qui une audience de prud'hommes, qui les juges aux affaires familiales, qui le tribunal de commerce. Surtout, ne pas s'emmêler les pinceaux dans les dossiers. Si je demande une prestation compensatoire à un conseiller prud'homal, il risque de mal le prendre.

Mardi : J'ai rendez-vous avec mes clients, mais je dois aussi assister mon gardé à vue devant le juge d'instruction, une espèce d'ours mal léché, et je n'ai pas intérêt à être en retard...Ma secrétaire décommande, sous les vivas des clients pour qui leur dossier a nécessairement plus d'importance que les autres. Devant le juge, je lui présente ce qui est censé n'être que de brêves observations, pour tenter de le dissuader de saisir le JLD. Peine perdue. Nouvelle plaidoirie devant ce dernier, nouvel échec. Mon client part en détention provisoire. Visiblement, il ne m'en veut pas, il me remercie même pour mes efforts. Par contre, sa famille, qui attend dehors, est beaucoup moins réceptive à mes explications. Je passe encore un mauvais moment.

Mercredi : Audience au tribunal d'instance. Le juge est un vice-président blanchissant qui croit utile de faire de l'humour sur mon dos...Les confrères se bidonnent, je tente de faire bonne figure. Heureusement qu'il n'y a plus grand monde dans la salle d'audience. C'est le problème des avocats comme moi, sans épaisseur humaine...Heu, pardon, jeunes dans le métier. Je passe dans les derniers, l'ordre protocolaire voulant que passent en premier les confrères extérieurs, puis le bâtonnier en exercice, puis les anciens bâtonniers, puis les avocats dans l'ordre d'ancienneté d'inscription au barreau. Bref, encore une demi-journée à attendre, perdue pour les autres dossiers. Espérons que l'après midi sera plus calme, que je puisse rédiger quelques conclusions. Si le téléphone me laisse un peu de répit.

Jeudi : mes clients se pressent dans la salle d'attente. Je reçois un couple et leurs deux enfants. Ils sont convoqués chez le juge des enfants dans quelques jours. Monsieur fait visiblement un concours du plus grand porteur de piercings et de tatouages. Madame installe sans rien me dire un tapis de jeu et laisse le petit dernier jouer au sol avec un ordinateur pour enfants qui imite à la perfection les bruitages de "la guerre des étoiles". Et quand j'ai le malheur le toucher la tête brune de crasse de sa progéniture, je me fais envoyer sur les roses...Tout juste si elle ne me traite pas de pédophile. Je leur explique que le juge des enfants va décider soit de placer leurs enfants, soit de nommer un éducateur pour les assister, mais la seule réponse que j'obtiens est que si la moindre personne approche, ils ont tous les fusils qu'il faut à la maison. Ca promet.

La cliente suivante veut a-bso-lu-ment obtenir un droit de garde et d'hébergement sur le Yorkshire que son ex-mari a gardé. Comment lui dire sans la vexer que si le ridicule ne tue pas, je tiens quand même un tant soit peu à ma réputation ? Et je ne vous parle même pas de lui faire comprendre qu'en droit, son chien est un meuble, et qu'on ne se partage pas la garde d'un meuble.Tout au plus dissout-on la communauté...

La journée s'écoule sous les complaintes. Quelques cas juridiques ou humains intéressants, mais ils ne sont pas majoritaires. Je me sens récipiendaire de toutes les détresses humaines.

Vendredi : la fin de semaine sera-t-elle plus calme ? Que nenni. Je pars en correctionnelle juge unique "circulation". C'est le juge d'instruction de mardi qui préside. Ca promet. Les savons volent autant que les suspensions de permis, et voilà le tour de mon client. Il a cru bon, alors qu'il conduisait sa camionnette, de s'arrêter pour prêter main forte à des gendarmes qui intervenaient sur un accident de la circulation. En soi, c'est plutôt le geste d'un citoyen modèle. Le problème est qu'il avait un taux d'alcoolémie de quasiment deux grammes d'alcool par litre de sang. En plus, il refuse de reconnaître l'infraction, et je jongle donc dans mes explications entre des arguments tous plus recevables les uns que les autres. Je n'ose pas de front demander la relaxe, comme mon client me l'a pourtant demandé. Je veux bien avoir un mandat impératif, mais il y a des limites, que je n'ai pas réussi à faire comprendre à mon prévenu. Pour lui, il me paye, donc j'obeis...Le président se bidonne, condamne, et passe à un autre dossier. Mon client veut que j'aille immédiatement faire appel. Il veut se ridiculiser une fois de plus à la Cour. Je jetterais bien l'éponge en le dirigeant vers un confrère, mais n'est-ce pas l'abandonner un peu ?

J'allais terminer ma semaine de permanence pénale par l'assistance d'un mineur devant le juge des enfants (un juge chevelu qui semble sortir tout droit d'une bande dessinée de Lucky Luke, version frères Dalton), quand je me réveille en sursaut dans mon lit. Cette course infernale n'était qu'un cauchemar. Ma robe n'est pas celle d'un avocat, et mes contraintes ne sont pas les mêmes. Je n'ai pas de clients mécontents à gérer, je n'ai en face de moi "que" des justiciables. Je peux me rendormir tranquille, en pensant tout de même à la vie infernale de tous ces avocats qui m'entourent.

jeudi 7 février 2008

Toute première fois

On parle souvent de l'avocat qui plaide pour la première fois devant une Cour d'Assises. Il m'a d'ailleurs été rapporté que tout avocat plaidant son premier dossier criminel passait nécessairement aux toilettes du tribunal pour soulager son estomac. Mais a-t-on seulement pensé au pauvre petit juge sortant de l'Ecole Nationale de la Magistrature, et plus précisément de son stage en juridiction, et qui se retrouve début septembre, suite à sa prestation de serment de magistrat et à son installation, en train de présider une audience ? A-t-on seulement pensé à ce pauvre substitut à la session d'Assises de l'automne et à qui on a envoyé un dossier criminel à étudier pendant ses congés alors qu'il est retourné quelques jours chez ses parents ?

En ce qui me concerne, j'ai eu la chance de présider dés mon arrivée en juridiction une audience correctionnelle juge unique "généraliste", c'est à dire comportant des dossiers pouvant aller des violences entre conjoints à des vols divers et variés, en passant par des conduites en état alcoolique (art. 398-1 du cpp).

Me voilà donc suant sang et eau à préparer mon audience quelques jours auparavant. Savoir que vous avez, seul, la responsabilité de juger d'autres personnes, et éventuellement de les envoyer en prison, soit ultérieurement, soit même tout de suite si la peine est supérieure à un an (on appelle ça un mandat de dépôt à l'audience) a de quoi vous rendre un peu nerveux. Et aujourd'hui, c'est pire, ce seuil de un an ayant été aboli pour les récidivistes.

Mes trente cinq dossiers sont truffés de nullités. La collègue que je remplace a accordé tout un tas de renvois au mois de septembre. Quel heureux hasard...Les convocations sont rédigées en dépit du bon sens, les procédures sont plus que légères, bref, je me dis que l'audience va être rock and roll. En plus, je ne connais pas les avocats du barreau, et la réciproque est tout aussi exacte. Certains vont vouloir me tester, sans être parano...

J'attends dans la salle des délibérés. Mais que fait la substitut (elle est de ma promo, mais quand même...) ? La voilà qui arrive, toute aussi stressée que moi. La greffière (trente ans de boutique), est déjà dans la salle. L'huissier me fait un petit signe de la tête, qu'il passe par la porte de la salle des délibérés. Tout est prêt. L'adrénaline est au plus haut.

Je sonne. Zut, c'est la lumière de la salle. Je sonne à nouveau. C'est assez long ? Bon, quand faut y'aller, faut y'aller. Je rentre dans la salle d'audience, la peur au ventre, tous les regards tournés vers moi. Surtout, ne pas se prendre les pieds dans la robe et se vautrer devant la salle pleine.

"Le Tribunal, veuillez vous levez !" s'exclame l'Huissier. Ah oui, c'est bien de moi dont il parle...La salle d'audience est la salle d'Assises. Particularité, les jurés sont placés autour de la cour. Je me retrouve donc tout seul au milieu de quatorze fauteuils. La greffière et la substitut me paraissent être à des kilomètres.

Mais où diable se trouve le magistrat que j'assiste ? Ah non, c'est vrai, je ne suis plus auditeur. C'est bien moi qui préside. Un souvenir me revient à l'esprit. J'ai l'impression de me retrouver à ce moment fatidique où, venant d'obtenir mon permis de conduire, je conduisais pour la première fois la voiture de mes parents, seul au volant, sans moniteur à côté de moi. Grand moment de solitude...

Je bafouille un "veuillez vous asseoir". Les dossiers de renvoi , tout d'abord. A leur grand étonnement, je demande aux avocats le motif du renvoi. Habitués qu'ils sont à ce que le renvoi soit de droit, je dois passer pour l'enquiquineur du coin (ou le jeune juge qui se la pète, c'est selon).

Viens le premier dossier. Le prévenu me paraît tout aussi nerveux que moi. Je lis la prévention, en écorchant la moitié des mots. Je tente d'expliquer le sens des phrases si violemment juridiques. Regard vide du prévenu...S'enchaînent questions, explications, réquisitions et plaidoiries. Le dossier est mis en délibéré.

Les dossiers se suivent sans se ressembler.

Tard dans l'après-midi, voici un détenu. Il comparaît pour divers vols. Il n'est pas passé en premier car l'audience à deux rôles, un à 13 h 30, le second à 16 heures. J'instruis. Viennent les questions tenant à sa détention : "pour quel motif et depuis quand êtes-vous détenu ?" Réponse : "Ch'sais pas...". Je me tourne, agacé, vers son avocat. Il n'en sait pas plus. Et évidemment, pas de fiche pénal dans ce capharnaüm que constitue son dossier. La substitut requiert quatre mois ferme, mandat de dépôt à l'audience. Je me demande ce qui lui prend, ce mandat de dépôt étant impossible, à l'époque. L'avocat plaide la clémence. Je mets le dossier en délibéré.

Me voilà seul dans la grande salle de délibéré des Assises. Je griffonne mes décisions sur les chemises roses des dossiers. Viens mon détenu. Je me demande encore pourquoi ma collègue, pourtant fine procédurière, m'a demandé un mandat de dépôt que je ne peux prononcer. Quelque chose me tracasse dans ce dossier. J'arrive enfin à trouver la fiche pénale. Et là, horreur, je constate que ce dossier est en fait un renvoi de comparution immédiate. L'inconscient de ma collègue du parquet ne s'y était pas trompé...Je monte voir, complétement affolé, le président du tribunal. Ca tombe bien, il discute avec la proc'. Constat d'échec : "Mon cher Monsieur, vous allez devoir le remettre dehors". Je suis livide, les chefs de juridiction se bidonnent : "Bienvenue dans la vrai vie...".

Je n'ai même pas le temps de prévenir la substitut, qui est restée dans la salle. Cris de joies du prévenu, qui ressort libre, et devra se représenter à une autre audience. La greffière me dira ensuite qu'elle avait bien vu le problème, mais qu'elle n'a pas voulu me le dire, de peur que cela me vexe...

L'audience se termine à minuit. Je suis vidé...Et je crois que je garderai longtemps le souvenir de ma première présidence d'audience correctionnelle.

vendredi 18 janvier 2008

Fenêtre sur prétoire

Par Gascogne


Alors qu'une chaîne de télévision par satellite, « Planète Justice », vient d'être lancée il y a quelques mois, le procureur général de la cour d'appel de Paris, Laurent Le Mesle, a relancé l'idée de faire entrer les caméras dans les prétoires. Se pose une fois de plus la question de la place des médias dans le processus judiciaire.

Médias et justice ont toujours connus des relations très complexes. Qui se sert de qui, qui peut faire quoi ? Peut-on laisser des caméras entrer dans les prétoires, doit-on tout cacher à la presse au nom du secret de l'instruction, où peuvent se rencontrer droit à l'information et droit à l'intimité ?

Dans les années 80, une alliance objective s'est faite jour entre la justice pénale et la presse pour permettre l'instruction des dossiers politico-financiers. Sans ce mariage a priori contre nature, les dossiers politiques tels que le dossier dit "Urba-Gracco", et tous les autres dossiers de financement des partis politiques, n'auraient sans doute pas pu aller à leur terme. Il faut en effet savoir que le ministère public, c'est à dire le procureur, contrôle la saisine du juge d'instruction, c'est à dire les infractions sur lesquelles ce magistrat a le droit d'enquêter. Et le ministère public est organiquement rattaché au Garde des Sceaux, d'où dans certains dossiers des difficultés à instruire lorsque le juge découvre des infractions nouvelles, par exemple lors d'une perquisition. C'est là que la presse a pu jouer un rôle particulièrement important, la pression médiatique étant bien souvent le meilleur des alliés pour obtenir un supplément d'information.

L'alliance objective s'est modifiée dans les années 2000, la presse et les politiques oeuvrant de conserve pour porter des coups à l'institution judiciaire, le point d'orgue ayant été atteint avec l'affaire dite d'Outreau.

Alors jusqu'où peut-on laisser les journalistes investir les prétoires ? Les audiences, civiles comme pénales, étant par nature publiques, afin de laisser la population exercer une forme de contrôle sur la justice, la question n'a pas réellement lieu d'être pour celles-ci, encore que les enregistrements audio-visuels, à défaut des journalistes, y soient interdits. Elle se pose essentiellement sur la phase d'enquête, puisque celle-ci est par essence secrète, et que les journalistes ne supportent pas le secret. Elle se pose également dans le cadre de la possibilité, pour le moment seulement historique, de faire entrer des caméras dans les prétoires.

La loi autorise le procureur de la République a communiquer avec la presse, afin principalement d'éviter la propagation de fausses nouvelles. Ni les juges, ni les policiers ou les gendarmes, soumis au secret professionnel, n'ont cette possibilité. Il est également à noter que les avocats sont eux-mêmes soumis au secret professionnel, conformément à l'art. 5 du décret du 12 juillet 2005. Les ténors du barreaux que l'on peut apercevoir devant les caméras de télévision livrer des éléments du dossier d'instruction commettent une infraction pénale, prévue et réprimée par l'article 226-13 du Code Pénal, mais dans les faits fort peu poursuivie.

Concernant l'enquête, si des phases de publicité se voient de plus en plus mises en place, par exemple dans le cadre des débats devant le juge des libertés et de la détention, aucune enquête sérieuse ne pourrait aboutir sans une part importante de secret. Des actes d'enquête effectués au vu et au su de tous auraient peu de chances de porter leurs fruits. Avertit-on les suspects lorsqu'on les place sous écoute téléphonique ou lorsqu'on envisage une perquisition chez eux ?

Le deuxième problème posé par la médiatisation des procédures, notamment pénales, est le droit au respect de la vie privée, qui se trouve totalement occulté. Le droit à l'information ne saurait obliger quiconque a voir étalé sur la place publique, qui son divorce (pas de point Eolas, par pitié), qui sa mise en examen pour agressions sexuelles sur mineur de quinze ans.

Enfin, le dernier point, et qui n'est pas des moindres, est qu'une justice rendue sous la pression ne peut être une bonne justice. Quand les media prennent fait et cause pour ou contre une partie, la nécessaire sérénité des débats et des décisions s'en trouve grandement amoindrie.

Le seul point positif que je vois à l'entrée de cameras dans les salles de justice serait de faire connaître un peu mieux au citoyen télespectateur le fonctionnement de sa justice. Car quand je lis (rarement, c'est mieux pour mon ulcère) les commentaires sous les articles de presse paraissant sur internet et traitant de justice, je perds parfois espoir dans les actions de formation auprès du public que les magistrats effectuent dans les lycées ou en d'autres occasions. Mais tant que j'exercerai mon métier avec passion, et que j'aurai l'impression de rendre service à la communauté à laquelle j'appartiens, je continuerai à expliquer, et expliquer encore cette justice à laquelle je suis tant attaché.

samedi 12 janvier 2008

De l'art de la communication en temps de grève

Par Dadouche


Différents mouvements de protestation ont illustré les difficultés, pour une profession, à communiquer sur la légitimité de ces mouvements, toujours perçus comme corporatistes.
Ici même, les discussions parfois houleuses sur la réaction des avocats au projet de réforme du divorce et, par delà, sur l'utilité de leur intervention dans certaines procédures ont montré que les explications les plus pédagogiques restent parfois incomprises.

Le mouvement de grève de certains barreaux, qui conduit à renvoyer en masse des affaires qui devront en tout état de cause être jugées à un moment ou à un autre, va obérer un peu plus la situation déjà difficile des juridictions et conduit à des situations humainement difficiles pour certains justiciables.
Mais de quels autres moyens d'action les avocats disposent-ils ?

Certaines professions sont mieux loties que d'autres.

Aux Etats-Unis, les « writers » (scénaristes, dialoguistes, auteurs de blagues pour émission de télé) sont en grève depuis le 5 novembre 2007 pour obtenir une plus grosse part des recettes provenant de la vente de DVD et de la diffusion de films et d'émissions de télévision sur Internet.
Parmi les dégâts collatéraux, l'arrêt de la production de nombreux films et séries télévisées, ainsi que le torpillage de la cérémonie des Golden Globes.

Avec le soutien du syndicat des acteurs, très solidaire du mouvement (particulièrement à l'approche des négociations sur le renouvellement de leurs propres contrats), une campagne intitulée « Speechless » a été lancée sur Internet, pour illustrer dans de petits films l'importance des mots dans cette industrie de l'image.

Les 30 épisodes peuvent être vus ici.

En voici une petite sélection :

Episode 16 : Amy Ryan et Patricia Clarkson jouent les pages jaunes




Episode 14 : Susan Sarandon et Chazz Palminteri font du blabla





Episode 1 : Holly Hunter aux prises avec une hot line d'auteurs délocalisée (pour anglophones)





On peut aussi découvrir Woody Allen prenant le thé, Laura Linney qui tente d'écrire elle même, un casting sur scénario inexistant, un parloir peu animé ou un jeu de mime

Qu'attend le CNB pour solliciter Gérard « Depardiou » ou Catherine Deneuve ? Ils ont bien des avocats non ?

mercredi 26 décembre 2007

Les Bonnes Résolutions - cuvée 2008

Par Gascogne.


J'adore chaque année me dire que je repars du bon pied et que je vais faire plein de bonnes choses.

Et j'aime encore plus, chaque année, ne pas tenir mes bonnes résolutions.

Comme il n'y a pas de raisons que ça change, en voici quelques unes pour l'année qui vient.

1°/ Commencer le traditionnel régime du mois de janvier post fêtes et excès de foie gras (avec un Pouilly-Fumé, miam...), s'y tenir deux ou trois semaines, et se dire que finalement, c'est trop dur de se priver des bonnes choses.

2°/ Dans la lignée du précédant, se (re)mettre au sport.

3°/ Cesser d'être désagréable avec son entourage personnel et professionnel sous pretexte des bonnes résolutions 1 et 2.

4°/ Couper mes post-its en 12 et cesser d'importuner le Greffier en Chef avec de basses questions matérielles.

5°/Arrêter d'être désagréable avec les avocats (enfin, certains d'entre eux, mais j'ai des circonstances atténuantes).

6°/ Arrêter d'être désagréable avec ma hierarchie (c'est là que je m'aperçois que je suis très désagréable, comme garçon...).

7°/ Cesser d'être radin sur les articles 700 et 475-1 (on peut toujours rêver).

8°/ Appliquer avec respect et déférence les excellentes lois pénales qui permettent de mieux vivre en société, et arrêter de râler sous pretexte qu'il y en aurait une nouvelle tous les quinzes jours.

9°/ Stopper toutes critiques envers les collègues, les avocats, les greffiers, les huissiers, les notaires, les gendarmes, les policiers, les journalistes, les politiques, les administrations...(pfff...Elle va être dure à tenir, celle-la).

10°/ Arrêter de jouer avec les collègues du parquet et du siège à caser un mot impossible (Nabuchodonosor, Pingouin, etc) à l'audience (certains avocats jouent aussi, mais c'est plutôt avec des paroles de chanson à insérer dans les plaidoiries).

11°/ Cesser d'écrire des âneries sur les blogs.

12°/ Ne pas m'y prendre au dernier moment pour les cadeaux de Noël (c'est chaque année pareil).

Voilà mes douze bonnes résolutions pour 2008. Une par mois, je devrais tenir...

lundi 24 décembre 2007

Abécédaire judiciaire

Par Dadouche


A comme Avocat :
Bouc émissaire quand le juge est déjà pris
(Mon avocat devait s’en occuper/ne m’avait pas prévenu/m’avait dit le contraire/m’a mis sur la paille)

B comme Boule de cristal :
Accessoire dont sera dotée la promotion Albus Dumbledore de l’ENM

C comme Cour de Cassation :
Langage commun : cimetière de procureurs généraux pachydermiques
Langage présidentiel : boîte de petits pois

D comme Désistement :
Bonne nouvelle pour le juge.

E comme Erreur judiciaire :
Jugement qui me donne tort.

F comme Féminisation :
80 % de filles à chaque nouvelle promo de l’ENM.

G comme Greffier :
L’Alpha et l’Oméga des juridictions

H comme Holographie :
Technique à l’étude pour se passer (enfin) de juge.

I comme Innocence :
Présumée, sauf celle du juge.
« Il faut que le juge paye » (un ministre de l'intérieur)

J comme Juge des Victimes :
Objet Judiciaire Non Identifié

K comme Kilométrage :
Considérablement augmenté par la réforme de la carte judiciaire

L comme LOLF :
Explication désormais rituelle à tous les problèmes budgétaires.
« c’est à cause de la Lolf qu’il faut maintenant couper les post-it en 8 » (le greffier en chef de Gascogne)

M comme Moyens :
Insuffisants.

N comme Noël :
Cauchemar du juge des enfants, qu’on regarde comme s’il venait d’égorger Bambi s’il refuse un droit de visite le 25 décembre.
(Mais Madame le juge, c’est Noël)

O comme Outrage à l’intelligence du tribunal :
C'est à cause de mon sirop pour la toux qui contient de l’alcool que j'avais une alcoolémie de 3g par litre de sang. (un prévenu qui n'a pas fini de tousser)

P comme Plancher :
Avenir du Parquet si tout le monde continue à s’essuyer les pieds dessus ou à le rayer de ses dents pointues.

Q comme « Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? » :
Cri du cœur de l’avocat désigné par son Bâtonnier pour assister un plaignant d’habitude

R comme Récidive :
Perseverare diabolicum

S comme Sceaux :
Gardés.

T comme Tome :
Unité de mesure du dossier d’instruction
« J’peux pas, j’ai un quinze tomes à régler » (un substitut chargé de l’éco-fi)

U comme Urgent :
Caractéristique principale du rapport au parquet général

V comme Vitesse :
Jamais la bonne. Les comparutions immédiates sont toujours trop rapides, les instructions toujours trop lentes.

W comme Warrant Agricole :
On sait que ça existe, on ne veut surtout pas savoir ce que c’est. Voir aussi bail emphytéotique.

X comme X :
Classement de la plupart des interrogatoires d’instruction et des sessions d’assises

Y comme Yssingeaux : Tribunal d’instance « impacté ». RIP

Z comme Zygomatiques : Peu sollicités en ce moment.

dimanche 16 décembre 2007

Incroyables audiences

Par Dadouche


Il y a quelque années déjà, l'ENM a organisé une session de formation intitulée « Justice et Cinéma ». La liste des films évoqués était passionnante : Douze hommes en colère, Témoin à charge, Music Box et tant d'autres films de procès. Il était même question de séries télé avec Law and Order (bizarrement traduit New York District par TF1) et ses multiples franchises.

Déçue, déçue, déçue. Que des films sérieux, alors que le cinéma a souvent détourné avec talent la procédure judiciaire dans des scènes parfois loufoques.

Dans ces temps moroses, où on ne peut pas tellement rigoler dans les vraies audiences, voici une liste de quelques audiences inattendues (disponibles en DVD, c'est bientôt Noël).

Manon des Sources (le vrai, celui réalisé par Pagnol dans les années cinquante avec Jacqueline Pagnol dans le rôle de Manon, Raymond Pellegrin en instituteur et Rellys dans le rôle d'Ugolin) :
Manon est accusée d'avoir éconduit violemment un jeune homme du village qui la serrait d'un peu près (c'est sa faute, elle lui avait chanté Carmen), et d'avoir piqué les melons d'Ugolin. Les gendarmes viennent l'arrêter et un procès s'improvise, avec le MDL/C qui se prend pour le juge, le maire en procureur et l'instituteur qui prend la défense de sa belle. Un moment d'anthologie quand Raymond Pellegrin, grandiloquent, s'exclame « on a voulu nous violer » ou quand il explique aux vieilles pies du village que « un faux témoignage, ça peut vous mener en prison » (les vieilles demeurent impassibles). « Ca peut même vous coûter de l'argent » (là elles s'affolent).
Avec en super bonus, dans un autre style, le "sermon de l'Adolphin" et le jeu des poils.

Comment Tuer Votre Femme (How to Murder Your Wife, USA 1964):
Jack Lemmon, dessinateur de comics et célibataire endurci, se réveille un matin un peu pâteux et marié à Virna Lisi. Pour se défouler des angoisses de la vie conjugale, il dessine son héros préféré en train de tuer sa femme et de la couler dans le béton. Un jour, Virna Lisi disparaît et Jack Lemmon est accusé de meurtre. Comme tout l'accuse, il n'a pas d'autre solution que de démontrer au cours du procès que n'importe quel homme normalement constitué tuerait sa femme sans hésitation s'il pouvait le faire juste en appuyant sur un bouton et en étant sûr de ne jamais être soupçonné. Oui c'est un film profondément misogyne, et alors ?

Les Hommes Préfèrent les Blondes (Gentlemen Prefer Blondes, USA 1953):
Indescriptible mais en voici les ingrédients : deux Américaines à Paris, une tiare disparue, une brune qui se fait passer pour une blonde, un détective amoureux, un rouge à lèvre à la lidocaïne, l'attaque du python dans la jungle, des mines de diamants, une croisière avec l'équipe olympique de gymnastique, le tout sur fond de comédie musicale (Diamonds are a Girl's best friends). Et une scène de procès comme on en voit peu.

La Revanche d'une Blonde (Legally Blonde, USA 2001):
Elle Woods, blonde de chez blonde, décide d'aller faire son droit à Harvard pour suivre son copain qui l'a plaquée pour insuffisance de neurones. Lui même n'est pas un prix Nobel de physique en puissance, mais passons. Grâce à sa science capillaire, Elle fait acquitter son idole, la reine de la vidéo anticellulite, accusée de meurtre.

L'Extravagant Mr Deeds (Mr Deeds Goes to Town, USA 1936):
Gary Cooper, héritier inattendu d'une énorme fortune et joueur de tuba, commence à distribuer ladite fortune à tout va. Voyant leur filer entre les doigts l'argent dont ils espéraient bien profiter, ses hommes d'affaires demandent sa mise sous tutelle en arguant de toutes ses bizarreries. Longfellow Deeds finit par se défendre notamment en expliquant que jouer du tuba l'aide à se concentrer, tout comme le juge qui remplit les « o » ou l'expert-psy qui griffonne.

vendredi 14 décembre 2007

Message de service

Par Gascogne


Un panneau lumineux au dessus d'une autoroute encombrée indique : "Attention : Code orange chez Maitre Eolas"

jeudi 6 décembre 2007

Vol au dessus d'un nid de Magistrats

Par Gascogne.


Le Conseil Supérieur de la Magistrature vient de rendre son rapport pour l'année 2006, dans lequel se trouvent notamment les décisions disciplinaires rendues concernant les magistrats du siège ainsi que les avis au Garde des Sceaux concernant les magistrats du parquet, le ministre de la Justice étant la seule autorité habilitée à sanctionner ces derniers.

On y trouve pour l'année 2006 huit décisions concernant les magistrats du siège, et deux avis pour les parquetiers. Petit tour d'horizon.

- Retrait des fonctions de président d'un tribunal de grande instance pour "attitude autoritaire et cassante, propos humiliants et décisions brutales (...), questions et commentaires choquants sur le physique et la vie privée de candidates à l'embauche, (...) familiarité déplacée, réflexions grossièrement impudiques (on notera la délicatesse du vocabulaire) et gestes équivoques à l'égard de sa propre secrétaire."

- Révocation sans suspension des droits à pension pour un juge des enfants ayant procédé à des attouchements sur des mineurs, tant dans le cadre de ses fonctions que dans celui de directeur d'un centre de vacances.

- Retrait des fonctions de président de TGI et déplacement d'office pour "négligences récurrentes dans le traitement des affaires soumises à sa décision" et "désintérêt dans le gestion administrative et budgétaire du tribunal".

- Déplacement d'office pour "retards importants et permanents dans le prononcé des jugements et affaires soumises à son examen".

- Réprimande avec inscription au dossier pour une juge d'instruction s'étant abstenue de communiquer régulièrement à son président de chambre d'instruction les notices trimestrielles puis semestrielles (on notera dans cette affaire avec un certain intérêt que les excès de langage, réactions imprévisibles et propos déplacés à l'égard des avocats, qui lui étaient reprochés, n'ont pas été retenus par le CSM comme une faute disciplinaire, "pour regrettables que ces vives réactions soient"...).

- Abaissement d'échelon et déplacement d'office pour "appétence à l'alcool" (Compris, ED ?).

- Retrait des fonctions de juge d'instruction (décidément...) et déplacement d'office pour "retards significatifs" dans le traitement des dossiers, enquêtes hors de tout cadre procédural (pour qu'il n'y ait pas de confusion possible, il ne s'agit pas de RVR), communications inconsidérées à un journaliste, ou encore gestion de biens d'une personne ayant gagné au loto dans l'intérêt assez personnel d'un ami (je n'invente rien...).

- Fin des fonctions de juge de proximité pour avoir omis de signaler une précédente révocation de ses fonctions dans la police nationale suite à une condamnation pour violences avec arme.

Les deux avis concernant les parquetiers portent sur un déplacement d'office pour propos racistes à l'audience et mise à la retraite d'office pour une substitut dépressive ne venant que rarement aux audiences et même à son travail.

Pour ceux qui se poseraient la question, ces procédures disciplinaires ne sont évidemment pas exclusives de poursuites pénales.

Et pour ceux qui se demanderaient pourquoi cette petite synthèse concernant des collègues que je ne connais pas mais qui me semblent parfaitement charmants, c'est simplement que je ne supporte plus de lire ça et là que les magistrats sont de grands irresponsables.

Pour une lecture plus exhaustive de l'ensemble des décisions disciplinaires du conseil.

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