Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 29 juillet 2008

Flash back...

Par Gascogne


Nous avions eu à l'aube de l'été 2006 un très intéressant débat sur le fait de savoir si un ancien braqueur pouvait ou non devenir avocat.

L'intéressé vient juste de prêter serment devant la Cour d'Appel de Paris, après un véritable parcours du combattant, nous apprend Libération du jour.

A noter que selon le journal, c'est à l'unanimité des quarante membres du Conseil de l'Ordre que l'inscription a été prononcée. Les avocats parisiens semblent plus ouverts que leurs collègues des autres Barreaux français.

A moins qu'ils ne lisent plus ce blog...

lundi 21 juillet 2008

Affaire R.M. c/ Allemagne : la loi allemande sur la rétention de sûreté devant la cour européenne des droits de l'homme

Par Fantômette


Le 1er juillet dernier s’est tenue devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme une audience qui devrait intéresser au plus haut point aussi bien les partisans que les opposants à la loi sur la rétention de sûreté, dont vous trouverez des commentaires notamment ici, et .

Il est inévitable que la loi française soit tôt ou tard déférée devant la cour européenne des droits de l’homme. La décision du conseil constitutionnel, que l’on qualifiera aimablement ici de décision « en demi-teinte », a réussi à laisser insatisfaits aussi bien les inévitables piliers de comptoir les partisans d’une réponse ferme - et si possible définitive - au problème de la récidive, que les amis des assassins les partisans d’une réponse pénale plus mesurée.

La loi allemande présente suffisamment de similitudes avec la loi sur la rétention de sûreté pour laisser penser que la décision à venir, quelle qu’elle soit, offrira d’intéressants arguments aux deux camps en présence, et ceci très rapidement, les juridictions nationales se référant depuis fort longtemps, tant aux principes posés par la convention européenne des droits de l'homme, qu'à la jurisprudence de la cour.

Comment se présentait l’affaire en l’espèce ?

RM a été condamné par le tribunal régional de Marburg en 1986, pour tentative de meurtre et vol, à une peine de 5 ans d’emprisonnement.

Son parcours laisse penser qu’il a toujours présenté d’importants troubles psychiques, puisqu’il alterne depuis sa majorité pénale séjours en prison et séjours en hôpital psychiatrique[1].

En plus de sa peine d’emprisonnement, le tribunal a également ordonné le placement du condamné en "détention de sûreté", placement jugé nécessaire au vu de la "forte propension du requérant à commettre des infractions portant gravement atteinte à l’intégrité physique"[2].

C’est ce fameux "placement en détention de sûreté", qui évoque grandement notre propre mesure de "rétention de sûreté".

Le droit pénal allemand connaît, comme le droit pénal français, la distinction classique entre les peines (Strafen) et les mesures de sûreté (Maßregeln der Besserung und Sicherung). L’objectif de ces mesures est double, et vise aussi bien à la réhabilitation du condamné, qu’à préserver l’ordre public, en écartant les personnes dangereuses.

La mesure de détention de sûreté, qui se rajoute à la peine d’emprisonnement mais ne s’y confond pas, fait naturellement partie des mesures de sûreté.

Le droit pénal allemand prévoit que la durée de cette mesure de détention doit être proportionnelle à la gravité des infractions commises ou susceptibles d’être à nouveau commises (sic), comme à la dangerosité du condamné. Précisons enfin qu’à la date de la condamnation du requérant, le maximum légal d’une détention de sûreté ne pouvait excéder 10 ans.

En 1991, après avoir purgé l’intégralité de sa peine d’emprisonnement, le condamné commence sa détention de sûreté, et en 2001, dix ans plus tard, donc, il saisit la Cour Régionale de Marburg d’une demande de libération.

Sa demande est rejetée.

Le coeur de cette affaire relève en effet d'un problème d’application de la loi dans le temps, qui n’est pas sans rappeler celui posé par la loi française sur la rétention de sûreté.

Par une loi du 26 janvier 1998, entrée en vigueur le 31 janvier 1998[3], une réforme a supprimé le maximum légal d’une détention de sûreté, détention qui, non seulement peut désormais excéder 10 ans, mais pourra même désormais ne jamais prendre fin.

Désormais, au bout de dix années de détention, la cour[4] ne met fin à cette mesure que s’il n’y a plus de risque que le détenu commette des infractions, provoquant de graves préjudices physiques ou moraux à d’éventuelles victimes [5].

Le détenu relève désormais de ces dispositions, qui lui ont été déclarées immédiatement applicables, malgré le fait que tant les faits que sa condamnation étaient largement antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. L’argumentation des juridictions allemandes, similaire à l’argumentation du conseil constitutionnel, consiste à opérer la traditionnelle distinction entre peine et mesure de sûreté, réservant au seul bénéfice des premières l’application du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

Après avoir épuisé toutes les voies de recours internes, qui ont toutes rejeté ses arguments, le 24 mai 2004[6] RM a saisi la cour européenne des droits de l’homme.

Il fonde son recours sur les deux points suivants, dont nous attendrons avec impatience qu’ils soient soigneusement examinés par la cour de Strasbourg :

  • L’article 5.a de la convention européenne des droits de l’homme qui dispose :

"Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf ...s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;"

  • Et l’article 7.1 de cette même convention :

"Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise."

Ci-dessous, pour ceux, dont je fais partie, qui n’ont jamais assisté à une audience devant la cour européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales : Mesdames et Messieurs, chers lecteurs, amis magistrats, et chers confrères, levez-vous…

La Cour !

L’affaire a été mise en délibéré. Aucune date n’a pour le moment été communiquée, à ma connaissance, pour la publication de l’arrêt sur le site.

Il faut préciser que depuis que le requérant a saisi la Cour, il a pu bénéficier d'une mesure de libération, son état psychatrique ayant évolué positivement selon les experts. La libération est assortie de mesures de contrôle.


PS : le nom du requérant figure en toute lettre à de multiples endroits sur le site de la cour européenne, et il est maintes fois cité dans les débats. Néanmoins, le Conseil de celui-ci a formellement requis que la Cour veuille bien ne publier l'arrêt à venir qu'en préservant l'anonymat de son client. L'arrêt pourrait être un arrêt de principe - en fait, il devrait être un arrêt de principe. Il fera probablement l'objet d'une large publicité, laquelle ne pourrait qu'être préjudiciable à RM, et nuire à ses perspectives de réinsertion. La Cour n'a évidemment pas tranché sur cette demande. J'ai pris le parti dans le billet de prendre néanmoins les devants, et de ne me référer au requérant que par le biais de ses initiales. Je vous remercie de bien vouloir vous en tenir à cette règle en commentaires.

Notes

[1] C’est d’ailleurs alors qu’il était encore suivi dans le cadre d’un séjour en HP qu’il a tenté de commettre un homicide volontaire sur une bénévole de l’établissement.

[2] oui, je sais. C’est rédigé ainsi dans le résumé des faits publiés sur le site de la CEDH.

[3] Alors donc que le condamné purge son temps de détention de sûreté

[4] dont il semble qu’elle soit automatiquement saisie à l’expiration de ce délai, si j’interprète correctement l’article 67.D-3 du code pénal allemand.

[5] La traduction officielle anglaise présente sur le site est la suivante : the court shall declare the measure terminated if there is no danger that the detainee will, owing to his criminal tendencies, commit serious offences resulting in considerable psychological or physical harm to the victims…

[6] oui, je sais, c’est un peu long. D’aucun se gausseront de voir la cour européenne condamner très régulièrement le France – et bien d’autres Etats – pour le délai déraisonnable dans lequel certaines affaires sont jugées. Il est permis de déplorer que la cour elle-même ne puisse mettre ses affaires en état plus rapidement, sans pour autant admettre que les juridictions nationales en fassent autant.

mercredi 16 juillet 2008

Aux méritants du 14 juillet

Par Gascogne


L'on apprend dans la presse de cette semaine que sur le contingent des promus à l'ordre de la légion d'honneur figure, outre quelques personnalités comme Ingrid BETANCOURT, Jacques SEGUELA ou Dany BOON, une dame se nommant Nicole CHOUBRAC. Fort bien pour elle, me direz-vous...Et Gascogne aurait-il abusé d'exposition solaire pour parler de cela ? Non, mon indice 60 se porte bien, merci. Ce qui me dérange, c'est que Mme CHOUBRAC est magistrate. Rien n'interdit à un magistrat d'être décoré, mais cette possibilité m'a toujours posé question. Non pas parce qu'il s'agirait de "hochets de la République", dont je pourrais me sentir jaloux, mais parce que ce genre de récompense peut prêter à interprétation.

Comment ça, me direz-vous (si, si, je suis sûr que vous me le direz, et j'ai envie de vous faire participer, amis lecteurs). Reprenons notre exemple : s'il a attiré mon attention, c'est que Mme CHOUBRAC n'est pas n'importe qui. Outre le titre de vice-présidente au Tribunal de Grande Instance de Nanterre depuis le 1er février 2004, elle est en charge des fonctions de juge aux affaires familiales. Et surtout, elle s'est occupée du divorce de certaines personnalités, du fils de Richard Anthony à l'actuel Président de la République.

Je ne remets absolument pas en cause les compétences professionnelles de cette personne, que je ne connais pas par ailleurs. En outre, elle est nommée sur le contingent du Ministère de la Justice au milieu de bien d'autres professionnels du droit. Ce qui me gêne, c'est l'impression de mélange des genres. Récompense-t-on pour "services rendus" ? Et dans ce cas, lesquels ?

Les juges ne peuvent pas d'un côté hurler à l'atteinte à l'indépendance du pouvoir judiciaire, et de l'autre accepter les récompenses de l'exécutif, à plus forte raison lorsque le membre de l'exécutif en question a été partie à une procédure jugée par la récompensée. C'est sans aucun doute très flatteur pour l'égo et reconnaissant pour le travail effectué, mais c'est très dangereux du point de vue des symboles.

De plus, comment expliquer que ce qui est interdit au membre du pouvoir législatif (art. 12 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires[1]) soit autorisé pour les magistrats ? Une proposition de loi récente avait bien été présentée à l'Assemblée nationale, mais n'avait pas été suivie d'effet.

Comme j'ai pu le raconter, un membre "politique" du Conseil Supérieur de la Magistrature avait répondu à un membre magistrat de ce même Conseil qui déplorait le plus que faible budget de la justice : "tant que vous n'accepterez pas le collier, vous n'aurez pas la soupe". J'ai toujours en moi la crainte que pour les moins affamés d'entre nous, un hochet ne suffise.


Mise à jour du 20 juillet : Merci à Fantômette de m'avoir signalé que la Cour Européenne des Droits de l'Homme a pris une résolution concernant l'éthique de ses juges, où le problème des décorations est abordé : c'est ici.

Notes

[1] Art. 12. - Les membres des assemblées parlementaires ne peuvent être nommés ou promus dans l’ordre national de la Légion d’honneur ni recevoir la médaille militaire ou toute autre décoration, sauf pour faits de guerre ou actions d’éclat assimilables à des faits de guerre.— Disposition reprise à l’article R.22 du code de la Légion d’honneur et de la médaille militaire et, partiellement, à l’article 17 du décret n° 63-1196 du 3 décembre 1963 s’agissant de l’ordre national du Mérite.

lundi 14 juillet 2008

Les avocats, les magistrats et leur Révolution

Par Fantômette


Comme il n'aura échappé à personne, aujourd'hui, c'est le 14 juillet, jour de fête nationale et commémoration de la prise de la Bastille de la Fête de la Fédération. Si cette commération est avant tout devenue l'occasion d'une revue des armées qui, à l'instant où je vous écris [1], mobilise toutes les chaînes de télévision, l'histoire du 14 juillet 1789 n'imposait pas qu'il en soit ainsi.

La révolution française a bien des sources, que je n'ai ni la compétence, ni le désir, d'énumérer ici. Les économistes en distinguent les prémisses dans l'évolution d'une économie qui fait apparaître une classe bourgeoise, marchande et financière, éduquée et ambitieuse. Les philosophes se régalent d'en attribuer tout le mérite à la philosophie des Lumières, une philosophie qui a indubitablement bénéficié également des progrès techniques de l'imprimerie qui en ont permis une large diffusion.

Mais les juristes n'étaient naturellement pas en reste, à une époque où avocats et magistrats marchaient souvent de conserve, et ce pour le plus grand embarras du pouvoir souverain.

A l'époque, l'ancêtre de l'institution judiciaire, c'est le Parlement. Une vénérable institution, exerçant au nom du souverain, une justice déléguée. En théorie.

Car depuis longtemps, les magistrats ont de la ressource. Le Parlement, en-dehors de ses fonctions juridictionnelles, est également le gardien des sceaux royaux. Il lui appartient par conséquent d'enregistrer édits et ordonnances rendus par le pouvoir souverain. Mais que se passerait-il, se sont un beau jour demandé certains esprits libres malins si nous refusions d'apposer les sceaux sur des textes dont la teneur ne nous sied guère ?

Sitôt dit, sitôt fait : ce fut l'apparition de la pratique dite du "droit de remontrances". Le Parlement, chagriné de voir son souverain régulièrement se fourvoyer dans des décisions mal venues, s'est mis, de temps à autre, à refuser d'enregistrer les ordonnances royales, voire à les amender.

Ce droit de rémontrances est d'abord utilisé avec parcimonie, et notamment, bizarrement, lorsque le régime est affaibli. Louis XIV, par exemple, ne s'est jamais vu infliger une quelconque remontrance [2]. Ce droit fut rétabli maladroitement par le Duc d'Orléans qui souhaitait s'attirer les bonnes grâces du Parlement et s'emparer de la régence à la mort de Louis XIV, et qui va rapidement s'en mordre les doigts.

Le pouvoir, dont les caisses sont vides, veut faire passer des édits pour assainir les finances et lever des taxes ? Remontrances. Le Régent tente de rattraper le coup et de réglementer le droit de remontrances ? Remontrances. Deux magistrats sont arrêtés. Les avocats se mettent en grève. Le duc d'Orléans doit céder.

Les finances, avec tout cela, sont toujours dans un état catastrophique. L'Etat cède à prix d'or à la Compagnie des Indes le monopole du commerce avec l'Asie. Remontrances. Les magistrats sont sanctionnés[3], et dans la foulée, nouvelle grève des avocats, dont le mot d'ordre claque comme un slogan du SAF : "L'avocat libre ne peut plaider que devant un Parlement libre".

La grande épreuve de force entre le Parlement et Louis XV laissera toutefois l'avantage à ce dernier. Le Parlement ancienne version est renversé, par une grande réforme des institutions, mise en place par le chancelier Maupéou, qui jette les bases de l'organisation judiciaire moderne [4] par des édits des 20 novembre et 1er décembre 1770, 23 janvier et 13 avril 1771. Le droit de remontrances est maintenu, mais le dernier mot appartiendra au roi, qui pourra imposer l'enregistrement de ses édits lors des lits de justice. Création de charges pour les avocats, dont l'avantage majeur sera qu'elles pourront lui être retirées s'il se met en grève. Interdiction d'arrêter le service de la justice. Nomination des magistrats par l'Etat, ces derniers se voient retirer leurs charges vénales, mais non leurs offices acquis.

Le Parlement s'insurge logiquement, et refuse d'enregistrer ces édits. Un lit de justice est organisé. Le roi ne cède pas. Furieux, les magistrats se retirent et cessent le travail. Louis XV n'est ni Louis XIV, brutal, ni Louis XVI, indécis. Il suit logiquement l'esprit de sa réforme, confisque les offices des magistrats concernés et charge son chancelier d'en désigner les remplaçants.

Mais où sont passés les avocats, si prompts à défendre des magistrats qui, rappelons-le, le plus souvent, sortent de leurs rangs ?

Maupéou, habile, a compris qu'il fallait, pour faire plier le Parlement, briser la solidarité qui existait entre magistrats et avocats. Sollicités par Maupéou, qui leur présente une réforme que peu contestent sur le fond[5], ces derniers retirent leur soutien à l'ancien Parlement et rallient le Parlement Maupéou, non sans créer au passage une profonde division entre avocats, qui laissera des traces jusqu'après la Révolution. En novembre 1771, la plupart des avocats prêtent serment devant le nouveau Parlement[6].

Avocats divisés, petits pois éparpillés, était-ce la fin des haricots[7] ?

Que nenni, c'était sans compter sur ce grand benêt naïf de Louis XVI. Qui, le 12 novembre 1774, dans le but louable de réconcilier tout le monde et de s'attirer l'amabilité de ceux qu'il souhaitait obliger, rétablit l'ancien Parlement dans l'ensemble de ses prérogatives, sous cette réserve que le droit d'enregistrement sera réservé à la Grand Chambre du Roy, et que le droit de grève restera interdit. Puis, il rappelle les anciens magistrats limogés. Ces derniers ne vont pas lui démontrer pour autant toute la reconnaissance à laquelle il aurait pu s'attendre.

Le 30 novembre 1774, 18 jours après que ces magistrats se soient vus réintégrés, le Parlement refuse d'enregistrer... l'ordonnance du 12 novembre 1774. Oui, celle-là même qui vient de le rétablir. L'ambiance n'est pas fameuse. Le Parlement exerce son droit de remontrances, et proclame que nulle loi ne peut être enregistrée sans avoir préalablement reçue l'accord du Parlement, et ce - pour faire bonne mesure - en toute matière.

Le pouvoir ne réagit pas.

Entre 1775 et 1789, l'opposition systématique du Parlement et du Roi va bloquer totalement la marge de manoeuvre du souverain. L'immobilisme de ce dernier provoque l'escalade des prises de position du Parlement[8] Toute décision du Parlement, si elle est critiquée par le roi, provoque les manifestations des magistrats. S'ils sont sanctionnés[9], le barreau se met aussitôt en grève, et l'Etat est paralysé.

Dans un dernier effort pour revenir en arrière, le Roi convoque un lit de justice à Versailles, et indique vouloir créer une chambre d'enregistrement au sein du Parlement. Dans la crainte de provoquer de nouveaux troubles, il met le Parlement en vacances, mais en vain. Les magistrats sont furieux et inondent le pays de libelles, qui contribuent à échauffer les esprits. Les avocats se mettent à leur tour en grève, et bloquent une nouvelle fois tout l'appareil institutionnel.

Le roi cède, encore.

Dépassé peut-être, dans l'impasse la plus complète certainement[10], le Roi convoque alors les Etats Généraux, le 23 septembre 1788.

Cette décision, qui le place déjà sur un chemin qui s'avèrera bien sombre en ce qui le concerne, a cependant un effet un peu inattendu et va précipiter un nouveau divorce entre avocats et magistrats. Les magistrats, en effet, veulent convoquer des Etats Généraux classiques, dans lesquels noblesse de robe et clergé sont sur-représentés par rapport au Tiers Etat. Les magistrats font partie de la noblesse de robe, ce qui n'est pas le cas des avocats.

Ces derniers rompent avec les magistrats, et décident de défendre leurs propres droits, ceux de la bourgeoisie. L'avocat entre en politique. Il se trouve une nouvelle solidarité auprès des justiciables. Il couvre à son tour le pays de libelles vengeurs, pourfendeurs des privilèges et de toutes les noblesses. Il est le porte-parole des citoyens mécontents, rédige les cahiers de doléance, et commence par dominer le Tiers Etat avant, rapidement, de se trouver lui-même submergé, emporté par un mouvement dont l'ampleur n'avait peut-être jamais été prévisible.

Le 17 juin 1789, il s'agit là d'un petit coup d'état, des députés se réunissent et fondent l'Assemblée Nationale Constituante, au sein de laquelle siègent de nombreux avocats.

Le 14 juillet 1789, le peuple prend la Bastille, où la petite histoire raconte qu'il ne restait que quatre détenus.

C'est presque la fin du Parlement, qui se réunit une dernière fois en septembre 1790, date à laquelle il enregistre sans résistance les lois des 17 et 24 août 1790, instituant une organisation judiciaire dans la lignée de la réforme Maupéou.[11] La procédure pénale est également profondément remaniée - elle aura hélas du mal à s'exercer pleinement dans les années qui suivront. L'infâme ordonnance de Villers-Coterets - qui datait d'août 1539 [12] est abrogée, qui avait mis en place une procédure inquisitoriale, secrète et prévoyant l'obtention des aveux par la torture. L'inculpé n'avait alors aucun droit à un avocat, ni à l'instruction, ni à l'audience.

L'avocat est désormais présent aux côtés des accusés.

Viendra rapidement pour lui le temps où nombre d'entre eux auront grand besoin de son éloquence et de son soutien. A partir de 1790, mes confrères se lanceront avec peine, mais avec courage, dans la défense pénale qui vient de leur être ouverte. A leurs risques et périls. Je laisse cette histoire là en suspend... Peut-être pour un autre 14 juillet ?


PS : Je suis avocate, non historienne, et je ne me suis donc lancée dans la rédaction de ce billet que soutenue moralement et matériellement par deux ouvrages : l'Histoire des avocats en France de Bernard Sur, et mon fidèle Dictionnaire de la Culture Juridique - deux ouvrages indispensables quoique clairement non eligibles à la catégorie lecture en tongs. Merci de me signaler d'éventuelles erreurs, qui resteraient naturellement de mon fait.

Notes

[1] mais pas à l'instant où vous me lisez, le décalage temporel étant provoqué par ma stupéfiante capacité à relire quinze mille fois un texte en trouvant toujours un léger quelque chose à modifier.

[2] Par personne qui aurait eu l'occasion de s'en vanter par la suite, en tout cas.

[3] par le biais d'un exil - le mot n'est pas trop fort - à Pontoise.

[4] Sont notamment mises en place des juridictions de première instance et des juridictions d'appel, les Conseils Supérieurs, qui remplacent les anciens parlements de province. Ce sont les ancêtres de nos Cours d'Appel.

[5] notamment pour ce qui concerne la réorganisation judiciaire, la question du droit de remontrance concernant bien plus les magistrats que les avocats

[6] Parmi lesquels Tronchet, oui, celui-là même du code civil.

[7] Désolée, je n'ai pas pu résister.

[8] Ainsi, le 7 août 1787, pour la première fois, me semble t-il, dans l'histoire judiciaire française, le Parlement va déclarer illégale la transcription d'office par le roi ! Il ne s'agit plus là d'un refus d'enregistrement, mais bien d'un contrôle de légalité des actes du roi par le parlement. Le pouvoir n'y réagira pas davantage.

[9] Toujours généralement par le biais d'un exil, à Pontoise, voire à Troyes !

[10] Je vous rappelle que les caisses sont vides. La guerre d'indépendance américaine coûte chère, et les blocages systématiques empêchent la levée de nouvelles taxes

[11] Créations des Justices de Paix, des Tribunaux de première instance, et d'un double degré de juridiction. Apparaissent également les tribunaux de commerce, et un tribunal de cassation.

[12] Oui, à l'époque, les réformes de la procédure pénale ne se succèdaient pas au rythme effrené que nous connaissons désormais

samedi 12 juillet 2008

Ton juriste en tongs à la plage

Par Dadouche



C'est l'été. Calendairement parlant en tout cas, parce que du point de vue météorologique, ça peut se discuter.
Pour certains, c'est donc les vacances. Et l'occasion de se plonger sans vergogne dans les romans de plage. Chacun place ce qu'il veut dans cette catégorie, mais pour beaucoup, cela peut se résumer en "ouvrages qui tiennent dans une poche, qui distraient, que l'on peut délaisser le temps d'un baignade sans perdre le fil du récit".
Bien sûr, pour d'autres, c'est les oeuvres complètes d'Eolas reliées pleine peau de Troll, mais après tout les psychopathes aussi ont droit à des vacances.
Les romans policiers, et particulièrement ceux de la collection Grands Détectives chez 10/18, rentrent assurément dans ma définition personnelle du roman qu'on lit toute l'année à la plage, à la montagne, au coin du feu ou dans un bain plein de bulles.
Hors sujet sur ce blog de juristes obsédés me direz-vous ? Non : certains de ces héros ne sont ni détective, ni psychanalyste, ni libraire, ni colporteur, ni moine herboriste, ni journaliste/héritier ou marchand d'art. Ils sont juristes.

Le premier, par ordre d'apparition éditoriale chez 10/18, est le très chinois Juge Ti, héros de Robert Van Gulik.
Jen-Tsie TI a véritablement vécu de 630 à 700, sous la dynastie T'ang. On découvre dans les romans, outre la société chinoise de l'époque, la fonction de magistrat (qui tient à la fois du juge, du commissaire de police et du préfet), et un système judiciaire fondé sur l'aveu, forcément obtenu sous la torture, et où la personnalisation de la peine tient souvent dans le choix du mode d'exécution.

Soeur Fidelma de Kildare, créée par Peter Tremayne est une contemporaine irlandaise du Juge Ti.
Religieuse de l'Eglise celtique d'Irlande, elle est surtout dálaigh, avocate de haut rang des anciennes cours de justice d'Irlande, formée pendant de nombreuses années aux subtilités de la loi des brehons, codifiée au Vème siècle.
Souvent accompagnée de Frère Eadulf, moine saxon lui même ancien gerefa (juge), Fidelma parcourt au gré de ses aventures l'Irlande mais aussi les royaumes gallois, poussant même jusqu'à Rome, résolvant au passage enquêtes criminelles et crises diplomatiques. Le système judidique décrit est notamment très protecteur des femmes, tout comme l'Eglise à laquelle appartient Fidelma, qui mit plusieurs siècles à se plier aux standards romains.
Les curieux anglophones peuvent cliquer ici pour en découvrir davantage...

C'est au Ier siècle (après JC), sous le règne de Vespasien, que se situent les enquêtes de Marcus Aper, avocat romain d'origine gauloise, un des héros du Dialogue des orateurs de Tacite, ressuscité par Anne de Leseleuc.
La civilisation gallo-romaine expliquée au (plutôt jeune) lecteur, dans l'un des berceaux de l'éloquence et de la rhétorique judiciaire.

Un juge aveugle peut être un visionnaire. C'est ce que prouve Sir John Fielding, magistrate au tribunal de Bow Street au XVIII ème siècle. Les fictions de Bruce Alexander retracent les avancées que ce personnage bien réel, qui avait succédé à son demi-frère le romancier et magistrate Henry Fielding, a permises dans les techniques judiciaires. On lui doit un embryon de police judiciaire avec les Bow Street Runners, qui ne se contentent plus d'appréhender contre prime les suspects désignés par les victimes, mais sont salariés du tribunal et procèdent à des investigations. Il faisait publier dans la presse des descriptions de criminels recherchés et d'objets volés, annonçait ses audiences pour susciter des témoignages et s'est comporté comme un juge d'instruction, actif dans la recherche de la vérité, davantage que comme le magistrate traditionnel, simple récipiendaire des déclarations des victimes.
Pour plus d'éléments historiques, il y a cet article en anglais, mais les romans retracent bien cette démarche, ainsi que sa conviction que la lutte contre la délinquance passait, outre l'efficacité policière, par l'éducation et la lutte contre les inégalités.

Si le rabbin est un figure essentielle de la vie juive et une autorité religieuse en tant que ministre du culte, ce titre était anciennement délivré aux érudits jugés aptes à enseigner la Loi aux profanes et à siéger au sein du Beth Din, tribunal jugeant selon la loi religieuse. Et c'est bien en cette qualité d'érudit juriste, formé aux subtilités du pilpoul, forme de logique talmudique, que le Rabbin David Small, créé par Harry Kemelman, s'attache à exercer ses fonctions au sein de la communauté juive conservatrice de Barnard's Crossing (Massachussets) à partir des années 60, même si ses ouailles attendent souvent de lui un peu plus de sens politique. Ses dialogues (fréquents, compte tenu de sa propension à se trouver mêlé à des affaires criminelles de diverse importance) avec le catholique chef de la police Lanigan sont le prétexte à de passionnantes explications sur la religion juive, décrite davantage comme une éthique de vie qu'une affaire de foi.

Voilà donc quelques juristes devenus enquêteurs, par leurs fonctions ou par la force des choses, et propices au bronzage. Quand on vous dit que le droit est partout...
Il y en a probablement beaucoup d'autres, chez d'autres éditeurs, n'hésitez pas à les signaler...

jeudi 10 juillet 2008

De grâce...

Par Gascogne


Moi qui adore passer mon temps libre à critiquer le gouvernement et ses lois pénales, à tel point que d'aucuns ont pu voir dans ce blog le faux-nez d'un journal d'opposition, je m'en vais vous conter aujourd'hui pourquoi je suis entièrement d'accord avec une mesure déjà prise l'année dernière et qui devrait être reconduite cette année : la disparition de la grâce du 14 juillet.

Un petit mot technique tout d'abord : la confusion est souvent faite entre grâce et amnistie. Les deux mesures sont pourtant bien distinctes.

L'amnistie est prévue à l'article 133-9 du Code Pénal. Elle efface les condamnations, et en conséquence leurs effets, à savoir la peine prononcée. Il est interdit d'y faire référence. C'est une loi qui prévoit les infractions ou quanta de peine amnistiés. La loi, traditionnellement votée après une élection présidentielle, peut également prévoir que les mesures d'amnistie s'appliqueront par mesures individuelles. C'est ainsi que la loi du 3 août 1995 a pu prévoir dans son article 13 que les personnes qui se sont distinguées de manière exceptionnelle dans les domaines humanitaires, culturels, scientifiques ou économiques pouvaient en bénéficier. Le domaine sportif a été rajouté dans la loi d'amnistie du 6 août 2002. Certains journaux satiriques de la famille des anatinae ont pu en déduire que cet ajout avait été fait dans le seul intérêt d'un célèbre sportif ceinture rouge et blanche et quadruple champion du monde de son état, très proche du Président de la République, et en indélicatesse à cette époque avec la justice.

La grâce quant à elle est une résurgence de l'Ancien Régime et du droit de grâce royale. C'est l'article 17 de la constitution du 4 octobre 1958 qui octroie ce droit au Président de la République. L'article 133-7 du Code Pénal dispose que "la grâce emporte seulement dispense d'exécuter la peine". La condamnation subsiste donc, et peut par exemple servir de premier terme à la récidive, mais le condamné n'exécutera pas la totalité de la peine.

Habituellement, le décret de grâce signé par le Président de la République pour le 14 juillet permettait à chaque condamné à une peine d'emprisonnement ferme en cours d'exécution de bénéficier de 15 jours de remises par mois dans la limite maximum de quatre mois. Si la personne était déjà incarcérée, elle pouvait donc voir sa date de fin de peine se rapprocher, et même sortir immédiatement de détention. Si la personne n'était pas encore incarcérée, elle pouvait voir sa peine purement et simplement ne pas être exécutée.

Le but de la grâce est essentiellement de désengorger les prisons.

Outre la violation manifeste de la séparation des pouvoirs, l'exécutif pouvant revenir sur une décision judiciaire, je n'ai jamais vu que des aspects négatifs à cette mesure.

Le condamné en attente d'exécution pouvait connaître un certain sentiment d'impunité, les tribunaux passant pour des tigres de papiers.

De plus, pour les détenus, les sorties de détention peuvent par ce biais se faire sans aménagement, alors que ces derniers sont les meilleurs moyens de lutte contre la récidive. Et une question essentielle se pose alors : si un condamné sortant avant sa fin de peine grâce à une décision du Président de la République récidive durant la période où il aurait dû être incarcéré, le Président doit-il payer pour sa faute ?

Enfin, la pratique du décret de grâce pouvait aboutir dans la période pré-estivale à des calculs d'apothicaires peu recommandables de la part des tribunaux : je veux qu'il fasse deux mois, je vais dont lui en mettre quatre...

Si les aménagements de peine doivent être multipliés pour faciliter la réinsertion des condamnés, et éviter la récidive, la grâce en tant que mode de gestion de la population pénale est à l'antipode de cette politique pénale.

Pour cette raison, je ne peux que rendre grâce au Président Sarkozy d'avoir rompu avec cette tradition.

mardi 8 juillet 2008

les mystères de l'OPP

Par Dadouche



J'ai déjà évoqué à plusieurs reprises (par exemple ici) l'OPP, l'Ordonnance de Placement Provisoire, qui peut être la hantise du juge des enfants ou du substitut des mineurs quand on lui demande de la prendre un vendredi soir à 18 heures.
Un récent article de Libération évoque une OPP prise par le parquet de Nanterre. Je n'entrerai pas dans le détail de cette situation, que je ne connais pas, et au sujet de laquelle l'article donne essentiellement le point de vue des parents. Mais c'est l'occasion de rappeler le fonctionnement de cette procédure, humainement jamais facile à mettre en oeuvre, qui entraîne le placement en quelques heures d'un mineur.

D'abord le principe : le juge des enfants ne prend aucune décision sans audience préalable, avec convocation de la famille.

C'est le premier alinéa de l'article 1184 du Code de Procédure Civile : Les mesures provisoires prévues au premier alinéa de l'article 375-5 du code civil, ainsi que les mesures d'information prévues à l'article 1183 du présent code, ne peuvent être prises, hors le cas d'urgence spécialement motivée, que s'il a été procédé à l'audition, prescrite par l'article 1182, du père, de la mère, du tuteur, de la personne ou du représentant du service à qui l'enfant a été confié et du mineur capable de discernement.
Les convocations pour cette audience doivent être adressées 8 jours au moins avant la date de celle-ci (article 1188 CPC)
La décision prise par le juge des enfants à l'issue de cette audience est alors en principe un jugement.

Si cette procédure permet d'agir relativement vite, il est cependant des cas où une intervention immédiate peut être nécessaire.
Rappelons qu'en tout état de cause le juge des enfants intervient lorsque la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises (article 375 du Code Civil)et que chaque fois qu'il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel (article 375-2).
Les situations où une Ordonnance de Placement Provisoire peut être nécessaire supposent donc quelque chose de plus que l'existence d'un danger.

Deux hypothèses :

- le juge des enfants est déjà saisi de la situation du mineur
Une mesure d'action éducative en milieu ouvert ou une mesure d'investigation est déjà en cours et des éléments apparaissent brusquement, qui rendent indispensables un placement le jour même. Exemples parmi de nombreux autres : le mineur est hospitalisé à la suite de violences subies au domicile, les parents ont mis à la porte leur ado dont ils ne supportent plus les provocations, ...
Les dispositions de l'alinéa 1er de l'article 375-5 du Code Civil permettent alors au juge des enfants d'intervenir en urgence et de confier provisoirement, par ordonnance, le mineur à une structure habilitée. Il doit dans sa décision caractériser, outre les motifs qui rendent le placement nécessaire, l'urgence qui empêche de respecter la procédure habituelle de convocation préalable.
L'alinéa 2 de l'article 1184 du CPC dispose alors que : Lorsque le placement a été ordonné en urgence par le juge sans audition des parties, le juge les convoque à une date qui ne peut être fixée au-delà d'un délai de quinze jours à compter de la décision, faute de quoi le mineur est remis, sur leur demande, à ses père, mère ou tuteur, ou à la personne ou au service à qui il était confié.
A l'issue de cette audience, un jugement est rendu qui peut soit maintenir la décision de placement soit y mettre un terme.

- le juge des enfants n'est pas encore saisi de la situation
C'est le Procureur de la République qui est destinataire d'un signalement urgent, qui peut émaner de l'Aide Sociale à l'Enfance, d'un service hospitalier, de l'Education Nationale, des services de police. Il peut s'agir d'un mineur en fugue trouvé sur le ressort, d'un mineur victime de mauvais traitement, d'un mineur étranger isolé (sans doute la majorité des situations dans les plus grosses juridictions), d'un mineur dont les deux parents sont en garde à vue et pour lequel il n'y a pas de solution familiale... Les situations sont multiples.
Les dispositions de l'article 375-5 du Code Civil permettent alors au Procureur de confier le mineur provisoirement à une structure, à charge pour lui de saisir le juge des enfants dans un délai de 8 jours par requête.
L'alinéa 3 de l'article 1184 du CPC dispose alors que :Lorsque le juge est saisi, conformément aux dispositions du second alinéa de l'article 375-5 du code civil, par le procureur de la République ayant ordonné en urgence une mesure de placement provisoire, il convoque les parties et statue dans un délai qui ne peut excéder quinze jours à compter de sa saisine, faute de quoi le mineur est remis, sur leur demande, à ses père, mère ou tuteur, ou à la personne ou au service à qui il était confié.
C'est le cas décrit dans l'article de Libération : l'OPP a été prise par le Parquet le 26 juin, on peut raisonnablement penser que la requête a été faite le même jour, et l'audience est prévue le 10 juillet, dans le délai de 15 jours.

Ce délai de 15 jours prévu dans les deux hypothèses, qui paraît toujours trop long aux premiers intéressés, permet non seulement au juge d'organiser matériellement l'audience (libérer un créneau dans son emploi du temps, faire adresser les convocations en temps utile) mais également de rassembler davantage de renseignements que ceux qui ont conduit à la prise de décision en urgence.
Comment en effet éclairer la prise de décision finale si on ne dispose pas d'autres éléments que ceux que l'on avait lorsqu'on a pris la décision en urgence ? Les observations réalisées durant le placement peuvent être précieuses, des dispositions peuvent être prises par la famille durant ce délai (par exemple hospitalisation d'un parent, reprise d'un traitement, départ d'un conjoint violent).
Une OPP n'est pas nécessairement suivie d'un placement à plus long terme. Elle peut permettre de procéder à des investigations complémentaires, de calmer une situation de crise. Elle peut aussi, même si elle n'est pas utilisée dans ce but, être un électrochoc qui permet des changements dans une situation complexe.
Elle peut également avoir des conséquences désastreuses, en braquant durablement les parents qui se sentent stigmatisés.

Vous l'aurez compris : ce qui caractérise l'OPP c'est l'urgence, la nécessité d'agir sans délai.
Je ne connais aucun magistrat qui aime statuer par OPP : agir en urgence, c'est presque toujours le signe qu'on a pas su repérer une situation de crise qui couvait. Par ailleurs, une décision sans audience préalable est toujours insuffisamment éclairée et mal comprise par les premiers concernés.
La réflexion est permanente sur le sujet de l'urgence : faut-il intervenir ? faut-il faire jouer un soi-disant principe de précaution ? est il préférable que le Parquet prenne l'OPP ou qu'il saisisse le juge des enfants immédiatement et lui laisse le soin d'en apprécier l'opportunité ? comment agir dans l'urgence et non dans la précipitation ?
Les réponses sont différentes selon chaque situation. Elles peuvent dépendre par exemple de l'âge des mineurs concernés : un bébé est plus vulnérable qu'un enfant plus âgé, qui peut alerter sur sa situation. La protection de la sécurité physique immédiate peut plus fréquemment nécessiter d'agir sans délai que les hypothèses de carences éducatives, même graves. L'intention affichée des parents de s'éloigner au plus vite pour éviter une intervention des services de protection de l'enfance peut également justifier une intervention en urgence, de même que l'existence de précédents de violence au sein de la famille.

Je ne tenterai pas de faire croire que toutes les OPP apparaissent justifiées a posteriori. Mais il est facile de refaire le match une fois qu'il est terminé.

Par ailleurs, aux grands principes qui guident l'action des magistrats viennent se mêler des réalités matérielles et humaines. Quand un enfant qu'on n'a pas placé assez vite s'est retrouvé à l'hôpital, on a tendance ensuite à faire jouer un principe de précaution dans des situations tangentes. Quand on entend, après un dramatique fait-divers, que "le juge doit payer", on est tenté d'ouvrir le parapluie un peu plus vite. Quand on a déjà vingt-cinq audiences prévues dans la semaine, on est secrètement soulagé que le Parquet prenne l'OPP et rédige sa requête quelques jours plus tard pour laisser le temps de caser cette audience imprévue dans les délais légaux. Quand on voit arriver une requête avec demande d'OPP, que l'Aide Sociale à l'Enfance n'attend à l'autre bout du fax que ladite OPP pour organiser le placement, qu'on sait que passé une certaine heure la décision sera plus compliquée à mettre en oeuvre, qu'on sort d'une audience houleuse et qu'on se prépare à la suivante qui ne sera guère plus tranquille, on prend le temps de lire les éléments de façon approfondie voire de décrocher son téléphone pour obtenir une précision supplémentaire, mais pas forcément de rédiger deux pages pour caractériser la nécessité d'intervenir en urgence

Enfin, chacun a une conception de l'urgence, tout comme chacun a une conception du danger. Il y a des situations qui n'appellent pas de longs débats, d'autres qui sont bien plus complexes. Il faut savoir résister aux appels insistants du chef de service de l'Aide Sociale à l'Enfance, du service d'AEMO ou du substitut des mineurs : "Mais comment, untel n'est toujours pas placé ?" ou "On attend toujours votre OPP pour la situation Trucmuche". Il faut parfois savoir dire non. Mais quelle que soit la décision, on a toujours peur de se planter, et on suscite toujours des réactions. Et on se plante parfois, dans un sens ou dans l'autre.

Je n'ai pas trouvé de statistiques récentes sur le nombre de décisions prises en urgence, mais mon expérience personnelle me conduit à constater qu'elles ne concernent finalement qu'une part très réduite des décisions de placement, dans la juridiction de taille moyenne dans laquelle j'exerce, où les cabinets des juges des enfants sont chargés mais dans une mesure encore gérable, où le dialogue est constant avec le substitut des mineurs et les services éducatifs, et où le Conseil Général met quelques moyens dans la Protection de l'Enfance, dont il a la responsabilité (on peut toujours mieux faire, mais c'est pire ailleurs).[1]

Ce billet n'ayant pas vocation à commenter la situation qui a donné lieu à l'article de Libération ni à servir de défouloir à tous ceux qui "connaissent quelqu'un dont les enfants...", mais à expliquer la procédure appliquée en l'espèce, tout commentaire d'une décision judiciaire particulière sera considéré comme un troll, quel que soit l'intérêt des réflexions développées, et traité en conséquence.

Notes

[1] Pour ceux qui veulent pousser la réflexion sur cette notion d'urgence et les contradictions dans lesquelles peuvent se débattre les juges des enfants à ce sujet, j'ai trouvé cet article rédigé par un sociologue en 2006 pour une revue spécialisée, qui soulève des questions intéressantes. Je précise que les données de l'enquête effectuée par l'auteur remontent aux années 1996-2000, soit avant les lois de 2002 et 2007 qui ont pour la première renforcé notablement le contradictoire dans la procédure d'assistance éducative et pour la deuxième créé des dispositifs qui offriront à terme davantage de solutions intermédiaires que l'alternative AEMO/Placement.

vendredi 4 juillet 2008

Merci

Par Gascogne


La séquestration en pays étranger pourrait être tout au plus un sujet de concours en droit international privé. Figurez vous que c'est surtout ce soir un sujet d'actualité. Et la compassion politique n'a jamais été quelque chose qui me touche, d'autant plus que la démagogie n'est jamais loin. Pourtant, ce soir, les nouvelles me rendent tellement joyeux que je me trouve pour la première fois depuis longtemps en osmose avec le monde politique international, mais également national. Alors merci à tous ceux, de la lumière ou de l'ombre, qui ont permis d'alléger mon cœur ce soir. Je suis désolé mon cher Maître de squatter la coloc' (je me sens autant irrespectueux de mon hôte que des principaux intéressés de ce qui ce passe en ce moment), mais j'avais besoin de m'exprimer sur ces quelques lignes.
Salut Ingrid, et salut à ses enfants et sa famille. Votre combat m'a touché, ce qui n'est pas bien grave, mais surtout, il n'a pas été vain.


Ajout 11h07, par Eolas : Je ne saurai vous en vouloir. Ce blog est aussi là pour ça. Elle est libre, en parfaite santé, libérée sans effusion de sang, à la suite d'une opération audacieuse menée de main de maître par les forces colombiennes, qui en prime a humilié les FARC. Ajoutez de la neige et c'est Noël.

J'ai suivi l'arrivée des ex-otages en direct sur une chaîne hispanophone, qui s'intéressait moins à Ingrid Bétancourt qu'à tous les otages ensemble, et l'un d'entre eux, pourtant fort jeune, s'est présenté au micro et a expliqué qu'il était policier et avait été enlevé… il y a dix ans. La France n'était pas encore championne du monde de football, Lionel Jospin caracolait en tête des sondages, Chirac était donné pour mort et enterré après la dissolution, quand la vie s'est arrêtée pour lui. N'oublions pas les autres otages libérés en même temps qui ont été captifs plus longtemps encore. Donnez-moi donc ce magnum de champagne, c'est votre troisième, et trinquons ensemble, à la liberté.


Ajoût 4 juillet : une photo de la fête donnée au château pour fêter ça (désolé pour l'aspect Private Joke. Mais vendredi, c'est permis). Je rouvre les commentaires, mais Troll Detector™ a été dressé pour attaquer sans sommation les théories du complot. À bon entendeur… Et avec la musique qui accompagne :

Dans les caves du Château de maître Eolas, aménagées en boîte de nuit, Maitre Eolas met le feu au dance floor en se déhanchant langoureusement avec un élégant pantalon mauve à patte d'éph' et des chaussettes jaunes assorties ; Gascogne dans le pogo comme un fou. Sur le bord de la piste, Dadouche les regarde, Fantômette à ses côtés, une flûte de champagne à la main. Dadouche dit : 'Bon, il va falloir calmer Gascogne, ça ne lui réussit jamais de pogoter après un magnum de champagne.' Elle ajoute : 'Sinon, comment va Augustissime ?'. Fantômette jette un coup d'oeil à sa droite, où est assise une mémé à moustache, le sac à main sur les genoux, qui fait ostensiblement la gueule. Fantômette répond : 'Comme d'hab.'

mardi 1 juillet 2008

Modernisation des institutions

Par Gascogne


On y arrive...

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mardi 24 juin 2008

Welcome back

Par Dadouche



La relation de ses mésaventures par Eolas vous avait émus.

Vous vous demandiez ce qu'il allait devenir.

Vous souhaitiez son retour.

Le Ministre vous a entendus.

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lundi 23 juin 2008

Petits Pois de Paris

Par Dadouche



Lors de sa (brillante, évidemment) intervention sur France Inter le 16 juin, dont j'avais souligné la pertinence ici, la Garde des Sceaux avait annoncé une grande réunion de tous les juges d'application des peines.
C'est donc le 19 juin (au plus tôt) que nos collègues juges d'application des peines et magistrats du parquet chargés de l'exécution des peines ont reçu une "invitation" à se rendre à Paris le 25 juin à 16 heures.

L'Union Syndicale des Magistrats, le Syndicat de la Magistrature et même FO-Magistrats ont appelé les magistrats ainsi aimablement conviés à décliner, tout aussi aimablement, cette invitation destinée à "présenter le projet de loi pénitentiaire, et plus spécialement les mesures prévues en matière d'aménagement des peines".

Serait-ce une nouvelle fronde des petits pois ? Les prémices d'un gouvernement des juges ?

Que nenni. Pourquoi ? Je vais vous l'écrire.

- les magistrats, alors que la période dite de vacation ou de service allégé n'a pas commencé, ont quelques occupations dans leurs juridictions. Des audiences sont prévues, des piles de jugements attendent d'être rédigés, des masses de procédures doivent être traitées.
Les audiences sont prévues longtemps à l'avance, les rendez-vous des juges d'application des peines également. Etre averti quelques jours avant (pour ceux qui l'ont été dès le 19 juin) permet difficilement de s'organiser pour courir à la Chancellerie. Ca fait du travail en plus pour le greffe, pour reconvoquer les rendez-vous décommandés ou les audiences reportées.
Je ne parle même pas de l'agrément, pour les collègues de nos riantes régions, de devoir revoir en catastrophe leur organisation familiale pour être à Paris en fin d'après midi (et donc pas chez eux avant très tard le soir ou le lendemain)

- A l'heure où on coupe les post-it en huit dans certaines juridictions, où les dépenses de représentation du Ministère sont en augmentation, où le budget de la justice place la France dans le peloton de queue du Conseil de l'Europe, est-il bien utile d'organiser un grand raout dont l'utilité reste très discutable, s'agissant d'un projet de loi, par nature susceptible de modifications substantielles ?
En effet, même si cela surprendra peut-être notre Ministre, les magistrats travaillent avec la Loi. Pas avec les projets, les peut être, les bientôt. Non, avec le droit positif.
Qu'on nous ponde donc des décrets lisibles une fois les lois votées et promulguées, des circulaires compréhensibles, et ça nous aidera à faire notre travail. Qu'on ne nous fasse pas venir à grand renfort de publicité pour un show médiatique sans aucune utilité pour notre activité juridictionnelle.
Ce d'autant plus que des conférences semestrielles sont organisées dans chaque cour d'appel pour évoquer les aménagements de peine avec l'ensemble des magistrats concernés.

- Il paraît pour le moins paradoxal qu'il faille toutes affaires cessantes se précipiter pour apprendre comment vider les prisons alors que la loi sur les peines planchers, qui ôte au juge une part importante de son pouvoir d'appréciation, a contribué à les remplir.

- les magistrats ne sont pas des préfets (corps par ailleurs tout à fait estimable mais au rôle assez différent), convocables à merci pour servir les opérations de communication de la Ministre.
Les pressions qui sont semble-t-il actuellement exercées par certains chefs de juridiction pour "convaincre" les magistrats concernés de déférer à cette convocation malvenue laissent mal augurer de l'avenir.

Chers collègues, je ne suis pas sûre que les petits pois supporteront bien le voyage le 25 juin. Particulièrement par cette chaleur.
Restez donc au frais chez vous.

dimanche 22 juin 2008

Vous avez un message

par Dadouche et Fantômette


De : Dadouche à : Fantômette
le 19 juin à 00 h 18
Objet : Calendrier à revoir

J'en ai marre ! Pendant que les garçons dissertent sur la virginité des anges et la non-rétroactivité des lois, je suis engloutie sous les audiences à cause des vacances. Deux mois à caser en un, j'ai l'impression de travailler à la chaîne.
Tu crois qu'on pourrait lancer un referendum pour supprimer le mois de juin du calendrier ?


De : Fantômette à : Dadouche
le 19 juin à 9 h 14
Re : calendrier à revoir

Et encore, toi, tu restes à ton bureau - même si quinze heures d'affilée. Pense à ces armées de collaborateurs qui hantent les couloirs des tribunaux, hagards, et la robe à l'envers, un gobelet vide à la main. Tous exténués, tous.

Tiens, hier j'avais un train à 6h00, pour une audience à Farandole-sur-Mer. Je me suis plantée, j'ai fait l'aller-retour avec mon billet pour Frénésie-les-Neiges, où je plaidais aujourd'hui. Pas de contrôleur sur l'express de Farandole-sur-Mer, heureusement, je ne suis pas sûre que l'amende passait en note de frais. Et j'ai du longuement argumenter avec le contrôleur sur le train de Frénésie-les-Neiges pour lui faire admettre que si, pour être valable, un billet doit avoir été composté une fois, rien dans le règlement ne l'obligeait à considérer qu'un billet composté deux fois, dans deux gares différentes, soit moins valable.

Tous nos dossiers de postulation viennent pour clôture dans les quinze jours qui viennent. A la seule idée que mes patrons vont m'envoyer demander un renvoi à septembre pour au moins un dossier sur cinq, la faiblesse me gagne.

Dadouche, tu as raison. Il faut supprimer le mois de juin. Mais pas par référendum.
Par pitié.

Ce qu'il nous faut, c'est une bonne loi rétroactive d'application immédiate (en plus ça nous fera gagner du temps).

Qu'en penses-tu ?


De : Dadouche à : Fantômette
le 19 juin à 23 h 24
Objet : ménage d'été

Non, la rétroactivité immédiate aussi c'est déjà pris. Il faut trouver autre chose d'innovant, une vraie-réforme-que-les-Français-attendent.

Remarque, je me plains du mois de juin, mais quand je regarde mon programme de l'été...
Quand je pense qu'on appelle ça la période de service allégé !
Moi je le trouve en général aussi léger qu'une tartiflette. Une fois j'étais en même temps juge d'instruction, juge des enfants, juge de l'application des peines, le tout sur fond de comparution immédiate. Un peu plus et je faisais concierge.

Et c'est pas cet été qu'on devait repeindre le séjour que les garçons ont laissé tout dégueulassé après un France-Angleterre ? On s'était juré de profiter du "service allégé" pour faire tout ce qu'on peut pas faire pendant l'année parce qu'on a jamais le temps.

En fait plus j'y pense, plus je trouve que le pire c'est septembre, quand tu as le teint cireux trois jours après le retour.
Des fois on se demande si c'est la peine de partir.

Renseigne toi auprès de tes patrons sur les mythes et légendes du barreau, je vais en faire autant à la cour d'appel, on entendra peut être parler d'un artefact ancestral secret pour éviter le syndrome de la pile-du-retour-de-vacances-plus-grosse-que-celle-qu'on-s'est-échiné-à-écluser-avant-de-partir.

Ou sinon Véronique va nous expliquer comment nous organiser pour que ça n'arrive plus.

PS : j'espère qu'au moins tu as pris une glace sur la plage à Farandole-Sur-Mer ?


De : Fantômette à : Dadouche
le 20 juin à 23 h 04
Objet : RE : ménage d'été

Bon sang, oui, la peinture du séjour. On avait dit, finalement, on peindrait tout en pourpre.

Ah, les vacations judiciaires. "Tu verras, au mois d'août, c'est mort, il ne reste aucune affaire Fantômette." Aucune affaire, ha ha ha. Sauf les urgences.

Mon contrat de collaboration prévoit que je dois prendre quatre semaines de congé pendant les vacations judiciaires d'été, mais une règle implicite, d'une valeur manifestement supérieure, prévoit a) qu'un patron, qu'il soit n°1 ou 2, prend tous ses congés au mois d'août, et b) qu'un avocat au moins doit rester au cabinet en permanence.

Depuis deux ans, tout le mois d'août seul maître à bord, j'ai droit aux immeubles qui s'effondrent, enlèvements internationaux, divorces avec mesures urgentes, saisie sur compte bancaire du client institutionnel (qui ne peut plus payer ses salariés)... Naturellement, il faut y rajouter les comparutions immédiates... Les permanences garde à vue où tu tentes de trouver le commissariat dans un paysage dantesque, qui n'est plus qu'un immense chantier de travaux public...

L'année dernière, un client m'a appelée en catastrophe pour m'apprendre qu'il soupçonnait son débiteur d'organiser son insolvabilité. Il m'a demandé de bien vouloir mettre en place une procédure de saisie sur son navire (Oui. Un navire. Le type n'avait apparemment pas de compte en banque mais il avait un stupide bateau). J'ai cru que j'allais mourir ensevelie sous l'encyclopédie Jurisclasseur Huissiers de Justice et qu'on ne retrouverait mon corps qu'en septembre, quand Patron n°1 se rendrait compte que nos dossiers de postulation sont clôturés ou radiés les uns après les autres parce que personne n'a été demander de renvoi.

Au sujet de la pile-du-retour-de-vacances mystérieusement réévaluée à pile-de-départ-de-vacances fois deux, mes patrons me confirment l'existence d'une astuce, mais à l'effet rebond redoutable, qui consiste à repousser le mois de septembre au mois d'octobre. Ils disent : dis à ton amie d'embaucher un collaborateur et qu'il aille demander des renvois (ils n'ont pas du retenir que t'étais magistrate).

Que dit la Cour d'Appel ?

Re : PS : J'ai pas eu le temps de prendre de glace à Farandole-sur-Mer. Comme d'habitude dès que je me déplace à plus de 200 km de Framboisy, je tombe sur un bataillon de confrères parisiens qui me démontrent par a + b que compte tenu de la configuration du terrain, des mouvements de tectonique des plaques et de la courbure de la terre, Paris est plus éloigné de Farandole-sur-Mer que Framboisy, et ils me passent devant.


De : Dadouche à : Fantômette
le 21 juin à 00 h 12
Objet : Eurêka

Bon, à la Cour d'appel je suis tombée pendant la sieste (ils sont au chômage technique à cause du corporatisme-égoïste-des-avoués-qui-veulent-protéger-leur-monopole), personne n'a pu me renseigner.

Mais j'ai une autre idée : l'alcool.
On est un peu vieilles pour se lancer selon les critères ministériels, mais si je demande ma mut' à Reims et que tu poses ta plaque là bas, on devrait se dégoter un bon petit producteur de Champagne pour trinquer au mariage de Raymond Domenech et oublier le calendrier.

Au fait, bonnes vacances.


De : Fantômette à : Dadouche
le 21 juin à 00 h 54
Objet : sous les Palais la plage

Excellente idée. On m'a justement recommandé un petit producteur très bien - celui qui vient de décrocher le marché des cantines scolaires, tu en as peut-être entendu parler.

Bonnes vacances à toi. Je te rejoins dès que j'ai terminé de poser les jauges sur la pile de dossiers-à-voir-en-septembre.

lundi 16 juin 2008

Merci Bernard

Par Dadouche



Rachida Dati était ce matin l'invitée du 7/10 de France Inter, où elle a répondu aux questions d'auditeurs (après avoir peu répondu à celles de Nicolas Demorand).

A 8 h 48, Bernard, de l'Eure, lui a tenu à peu près ce langage : "pourquoi cet acharnement contre les jeunes ? L'aménagement de la majorité pénale, le nouvelle révision de l'ordonnance de 45, la multiplication des CEF, la construction d'EPM qui sont pleins à peine terminés de construire... N'est-ce pas là qu'il faut donner la priorité à la réinsertion ?

Dans la réponse de la Ministre, les informations suivantes, qu'il ne paraît pas inutile de compléter :

-il n'y a aucune surpopulation carcérale des mineurs

C'est vrai (au plan national, parce que localement ça dépend où).
Encore heureux, compte tenu du nombre de places ouvertes cette année. En effet, 4 établissements pénitentiaires pour mineurs ont été ouverts, chacun d'une capacité d'environ 60 places.

- depuis un an le nombre de mineurs détenus a diminué de près de 4 %

Si l'on observe ici les dernières statistiques mensuelles relatives aux mineurs écroués, on constate que le nombre de mineurs détenus a oscillé entre 600 et 825 durant les deux dernières années. Au 1er mai 2008, ils étaient 771, soit dans la moyenne. Au 1er mai 2007, ils étaient 712.

- la plupart des mineurs considérés comme primo-délinquants, quand ils sont jugés pour la première fois, ont en réalité déjà commis des infractions, majoritairement 20, 30 ou 40 affaires.

J'aimerais connaître les statistiques qui permettent cette affirmation, qui contredit complètement l'expérience de nombreux juges des enfants. Les Parquets n'ont pas attendu la circulaire prise en 2007 par Mme la Ministre pour poursuivre les mineurs auteurs d'infractions pénales.
J'ai pris mes fonctions de juge des enfants en 2006 et, dans la juridiction où j'exerce, les mineurs étaient déjà systématiquement poursuivis s'ils avaient déjà fait l'objet d'une ou deux mesures alternatives, voire immédiatement pour les faits d'atteintes aux personnes.

- le taux de réponse pénale [1] est passé de 87 à 92 % depuis 1 an.

C'est vrai. Et ça ne fait que suivre l'évolution constatée depuis plusieurs années.
On apprend en effet dans l'annuaire statistique de la justice 2007 que ce taux a progressé pour les mineurs de 77, 1 % en 2001 à 85, 5 % en 2005.
Précisons que dans le même temps le taux de réponse pénale général (majeurs et mineurs confondus) est passé de 67, 3 à 77,9 %.

- la délinquance des mineurs a diminué depuis 1 an, parce que dès la première infraction il y a une réponse.

En valeur absolue, le nombre d'affaires poursuivables impliquant des mineurs a augmenté entre 2001 et 2006, passant de 139 579 à 148 592.
Mais dans le même temps, la part des mineurs dans la délinquance n'a cessé de diminuer, passant de 10,5 % en 2001 à 9,7 % en 2006, comme on l'apprend dans le passionnant rapport de l'Assemblée Nationale sur l'exécution des décisions pénales concernant les mineurs.
Que les plus matheux d'entre vous me corrigent si je me trompe, mais cela signifie me semble-t-il que la délinquance des mineurs, et ce depuis plusieurs années, progresse moins vite que la délinquance des majeurs.

Si on rajoute une autre variable, celle de la part d'affaires poursuivables dans le nombre d'affaires traitées chaque année par les parquets, qui ne fait que croître (26, 9 % en 2001, 30,2 % en 2005) notamment grâce à un meilleur taux d'élucidation, on a le sentiment que la délinquance n'augmentait pas tant que ça, notamment celle des mineurs.

Encore faut-il définir ce que l'on entend par "réponse". Là encore, le très fouillé rapport de l'Assemblée Nationale sur l'exécution des décisions pénales concernant les mineurs démontre qu'aucune évaluation qualitative de l'effet de cette réponse n'est actuellement possible. La réponse ne peut pas simplement consister à passer devant le juge et attendre 2 mois que la mesure éducative décidée soit mise en place. Mais c'est un autre débat...

- les mineurs qui sont dans les CEF ne sont pas des enfants comme on peut les imaginer dans l'inconscient des uns et des autres mais ont pour la plupart commis des actes de nature criminelle

D'après les chiffres de l'édifiant rapport de l'Assemblée Nationale sur l'exécution des décisions pénales concernant les mineurs, 722 mineurs ont été pris en charge dans des CEF en 2006. La même année, 729 mineurs ont été incarcérés.
Sachant que ce sont environ 500 mineurs qui sont chaque année condamnés pour crime en France (529 en 2005), que ceux poursuivis pour les crimes les plus graves sont incarcérés et que bon nombre de ceux qui restent ne font pas l'objet d'un placement en CEF , peut on raisonnablement soutenir que la majorité des mineurs placés en CEF le sont à la suite d'actes criminels ?
Non. Cela contredit par ailleurs complètement mon expérience de terrain : parmi tous les mineurs que je suis qui ont eu à séjourner dans un CEF, aucun n'avait commis de faits criminels. La grande majorité sont en réalité des multiréitérants de délits du type extorsion, vol avec violences, violences aggravées, trafic de stupéfiants etc...
Il y a dans les CEF des mineurs poursuivis pour des actes criminels. Ce ne sont pas "la plupart" des mineurs placés dans ces établissements.

- la plupart des mineurs pris en charge dans les CEF sont alcooliques depuis l'âge de 8 ans ou 11 ans

Bon ben là, je ne sais pas quoi dire, les bras m'en sont tombés (il faut dire qu'ils ne tenaient déjà plus très bien après tout ça)...
De nombreux mineurs (et pas que des délinquants) ont des consommations abusives d'alcool et de toxiques. Le rapport de la Défenseure des Enfants "Adolescents en souffrance : plaidoyer pour une véritable prise en charge" fait ainsi état des statistiques suivantes : 22 % des 15-16 ans consomment du cannabis une fois par mois ; à 15 ans un jeune sur trois déclare avoir déjà été ivre ; 28 % des 15-19 ans disent avoir été ivres quatre fois dans l'année ; 30 à 40 % des premières relations sexuelles ont lieu sous alcoolisation.

Là encore, je ne peux faire état que de mon expérience personnelle (cela dit, des mineurs délinquants, je pense que j'en ai croisé plus que la Ministre), mais si effectivement de nombreux mineurs placés en CEF ont des consommations d'alcool et de toxiques, parler d'alcoolisme dès 8 ou 11 ans pour la plupart d'entre eux me paraît une généralisation pour le moins surprenante.

En cette saison du bac, c'était mon commentaire composé de la parole ministérielle.
Sujet de philo de l'année prochaine : "Peut-on croire n'importe qui ou dire n'importe quoi ?"

Merci Bernard (de l'Eure).

Notes

[1] rapport entre le nombre d'affaires effectivement poursuivies ou faisant l'objet d'une alternative aux poursuites et celui des affaires poursuivables, c'est à dire des infractions pénales caractérisées dont l'auteur a été identifié

mercredi 11 juin 2008

Projet de loi pénitentiaire : Chéri, j'ai inventé l'eau tiède ?

Par Gascogne


J'ai entendu et lu dans de nombreux média, ce matin, que le projet de loi pénitentiaire, serpent de mer que les professionnels attendent depuis des décennies, serait dans les tuyaux. Des fuites savamment orchestrées ont permis à l'AFP d'avoir une copie du projet, qui s'est ainsi retrouvé dans la plupart des journaux. Aucun avant projet n'a bien sûr été communiqué aux syndicats professionnels, la presse restant le principal contact du Ministère.

J'ai tout d'abord tiqué lorsque j'ai entendu à la radio que l'objet principal de la loi était une extension du placement sous "bracelet électronique" afin d'éviter la détention provisoire. Renseignements pris sur le site du Nouvel Observateur, qui en publie les principaux points, le nouveau texte reprendrait le principe que "toute personne mise en examen doit demeurer libre", lequel existe déjà dans le Code de Procédure Pénale. Il ajouterait que la personne mise en examen pourrait toutefois être assignée à résidence sous surveillance électronique.

Pourtant, lorsqu'on lit l'actuel article 138 du Code de Procédure Pénale, on peut y découvir que la loi du 9 septembre 2002 a prévu l'assignation à domicile sous surveillance électronique comme une obligation du contrôle judiciaire : "Le contrôle judiciaire astreint la personne concernée aux obligations suivantes : 2° Ne s'absenter de son domicile ou de la résidence fixée par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention qu'aux conditions et pour les motifs déterminés par ce magistrat ; L'obligation prévue au 2° peut être exécutée, avec l'accord de l'intéressé recueilli en présence de son avocat, sous le régime du placement sous surveillance électronique, à l'aide du procédé prévu par l'article 723-8. Les articles 723-9 et 723-12 sont applicables, le juge d'instruction exerçant les compétences attribuées au juge de l'application des peines."

Donc, sauf disposition dont les journalistes ne parlent pas, ce qui reste tout à fait possible, il s'agit là d'un effet d'annonce. La seule disposition intéressante consiste en une "simplification" du placement sous bracelet électronique, qui est il est vrai un peu compliqué actuellement (enquête sociale, accord obligatoire de l'intéressé et des personnes vivant au foyer, vérifications tenant à la ligne téléphonique...). Reste à savoir ce que cela recouvrira.

Il est ensuite indiqué que les possibilités d'aménagements de peine sont étendues aux peines ou reliquats de peine allant jusqu'à deux ans d'emprisonnement, contre un an actuellement (art. 723-15 du CPP). L'objectif est louable, bien qu'il fasse partie de ces injonctions contradictoires que le législateur lance de plus en plus souvent aux juges pénaux : incarcérez toujours plus (lois sur la récidive, peines planchers), mais éviter une exécution pure et simple de ces peines. J'y vois tout de même une réserve de taille. Tous les travailleurs sociaux et les JAP vous diront qu'un aménagement de peine au delà de six mois est très difficile à tenir pour le condamné. En effet, autant la personne incarcérée subit passivement sa peine en prison, autant dans le cadre d'un aménagement de peine, par exemple une semi-liberté ou un placement sous surveillance électronique, le condamné doit faire l'effort de participer à sa restriction de liberté, en rentrant tous les soirs dans son quartier de semi-liberté, ou en ne sortant pas de chez lui. Ce qui, au bout de quelques mois, peut devenir très difficile, participer à son propre enfermement n'étant pas nécessairement très naturel.

Autre nouveauté : l'obligation, sauf opposition du condamné ou risque de récidive, d'exécuter sous forme de placement sous bracelet électronique les peines inférieures ou égales à six mois et dans les cas où il reste quatre mois à exécuter (a priori, ce ne sont pas des conditions cumulatives, qui seraient difficiles à remplir). Une fois de plus, on ne fait pas confiance au juge qui doit décider sans possibilité de choix. Une "compétence liée" de plus. Peut-être bientôt le transfert de ce genre de mesures à l'administration.

Au titre des mesures tenant au fonctionnement des prisons, on trouve une limitation des jours de placement en cellule disciplinaire à 21 jours, et jusqu'à 40 jours pour les violences physiques, contre 45 jours actuellement pour les fautes du premier degré (art. D 251-3 du CPP).

Enfin, la loi pénitentiaire reviendrait une fois de plus sur l'encellulement individuel, principe qui s'est transformé en exception depuis de nombreuses années, ce qui ne devrait pas changer puisque la nouvelle loi prévoit, tout comme la précédente du 12 juin 2003 (art. 716 du CPP), une possibilité de dérogation pour les cinq années à venir. La France devrait encore écoper de quelques condamnations devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme.

Je passe sur les dispositions concernant la prise en charge des détenus à leur arrivée, ainsi que les missions du personnel pénitentiaire, lesquelles, de ce que je peux en lire, ne bouleversent en rien ce qui existe actuellement.

Au final, je ne doute pas que la grande loi pénitentiaire prévoira surtout plus de moyens pour faciliter la réinsertion, et donc l'absence de récidive, des détenus. Actuellement, un Conseiller d'Insertion et de Probation, élément central de la prise en charge des détenus, gère entre 120 et 150 dossiers de personnes condamnées.


Mise à jour du 12 juin 2008 :

La Chancellerie est réactive : un décret vient d'être publié au JO de ce jour concernant l'encellulement individuel et l'allongement des durées de parloir, deux dispositions qui doivent il me semble faire partie de la loi pénitentiaire. Les textes d'application avant les textes à appliquer, si ça ce n'est pas de l'efficacité...

Décret n° 2008-546 du 10 juin 2008 relatif au régime de détention et modifiant le code de procédure pénale

samedi 7 juin 2008

A trop vouloir bien faire...

Par Gascogne


Je n'ai jamais été un grand adepte de la théorie du complot. Tout au plus mon pessimisme naturel me fait-il voir le mal là où il n'est pas forcément. Mais je ne peux m'empêcher de penser qu'à tout le moins, à vouloir jouer avec le feu, on finit par se brûler.

M. WARSMANN, député UMP fort au fait de la chose judiciaire, a introduit dans le texte soumis au parlement, dans le cadre de la réforme des institutions, un amendement visant à modifier l'article 11 de ce texte. Cet amendement a été adopté.

En voici la teneur : « Sauf motif déterminant d’intérêt général, la loi ne dispose que pour l’avenir. »

Comme son nom l'indique si bien, l'exposé de la motivation de cet amendement est plus que sommaire : « Trop souvent, les textes de loi adoptés par le Parlement ont une portée rétroactive. Ceci ne facilite ni la sécurité juridique ni la stabilité de notre droit. Il convient donc ici de reprendre la proposition formulée par le « comité Balladur » en érigeant en principe constitutionnel la non-rétroactivité de la loi. »

D'un point de vue législatif, c'est l'article 2 du Code Civil qui pose le principe : « La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif. »

Le Code Pénal n'est pas en reste et prévoit les principes d'application de la loi pénale dans le temps dans ses articles 112-1 à 112-4.

Le droit conventionnel prévoit également le principe général de la non rétroactivité des lois pénales, notamment la convention européenne des droits de l'homme, dans son article 7.

Inscrire dans la constitution, norme supérieure, le principe de non rétroactivité de la loi n'est donc pas en soi choquant. Même le grand Jean Carbonnier dans son introduction au droit civil indiquait que le législateur pouvait bien défaire se qu'il s'était imposé par le biais de la loi. Le problème est que l'ouvrage de Carbonnier date de 1955, avant la mise en place du Conseil Constitutionnel dans le cadre de la constitution de 1958.

Et si l'on s'en réfère à de récentes décisions dudit Conseil, Le principe de non rétroactivité de la loi pénale a une valeur constitutionnelle. Quel est donc dés lors l'intérêt de l'amendement Warsmann ?

Peut-être tient-il dans la formulation de cet amendement, qui est tout sauf neutre (« Sauf motif déterminant d'intérêt général... »), le droit étant, on le sait bien, la science des exceptions.

Comme on a pu l'entendre encore et encore depuis quelques temps, l'intérêt des victimes ne serait-il pas justement un « motif déterminant d'intérêt général » ?

Une loi comme celle sur la rétention de sûreté ne pourrait-elle ainsi devenir rétroactive ?

Et, ce que le rapport Lamanda ne pouvait faire, le législateur constitutionnel n'est-il pas en train d'y parvenir, sans trop de bruit ?

Je ne fais bien entendu que me poser des questions. Mais je crains d'en connaître les réponses.

vendredi 6 juin 2008

Comment la liberté est cachée dans le jugement de Lille

Par Equével, magistrat du siège.


—Dialogue—

Taton: Groscrate, je t’ai entendu hier défendre l’annulation par nos juges du mariage d’une jeune fille à qui son mari ne pardonnait pas de lui avoir caché qu’elle avait accordé les dernières faveurs à un autre, avant le mariage. Je ne comprends pas que tu défendes cette décision qui me rappelle les temps anciens et barbares où les jeunes filles étaient strictement surveillées, avant d’être livrées à un mari qu’on avait choisi pour elle, quand elles n’étaient pas en plus cruellement mutilées dans leur intimité. Approuverais-tu ce jugement liberticide si on reprochait à la jeune épouse dissimulé à son mari qu’elle n’était pas excisée?

Groscrate: Excisée! Je reconnais bien là ton goût pour la dialectique de l'extrême, Taton. Ton argument frappe, il est vrai, mais il frappe à coté de sa cible. Ce qui est excessif n'est il pas insignifiant ? Ce qui aboutit à des résultats choquants dans de rares hypothèses doit-il être rejeté même s'il est utile dans la majorité des cas? Faut-il abattre la forêt lorsqu'un seul arbre menace ta maison?

Taton: Tu dis vrai, Groscrate, mais nos juges peuvent-ils s'appuyer sur la barbarie pour détruire les mariages formés selon les lois de la Cité?

Groscrate: Prends patience, Taton, et examine plutôt ceci: conviendras-tu que les époux doivent pouvoir se choisir librement et que leur union doit être assise sur leur assentiment éclairé?

Taton: Oui, j'en conviens aisément.

Groscrate: Conviendras-tu qu'un époux trompé par l'autre sur ses qualités doit pouvoir être délié d'un engagement qu'il n'aurait pas donné si on ne lui avait masqué la vérité?

Taton: J'en conviens aussi, cela est juste, à condition toutefois que le mariage soit protégé du caprice d'un époux et ne puisse être annulé que pour des raisons sérieuses.

Groscrate: C'est pour cela, Taton, que nos lois ne permettent d'annuler le mariage que pour une erreur sur les qualités essentielles de l'autre époux.

Taton: Cela est bon, Groscrate, mais qui va décider ce qui est essentiel et ce qui ne l'est pas?

Groscrate: Tu poses la question dont tout dépend, Taton. Avant d'y répondre, ceci : n'est-il pas bon que les lois de notre cité reconnaissent aux citoyens la liberté de gouverner leur vie comme bon leur semble, à condition toutefois qu'ils n'en n'usent pas pour nuire à autrui?

Taton: Oui, cela ne doit pas être autrement.

Groscrate: Dans le cas du mariage, ne penses-tu pas qu'un époux doit être libre de chercher l'époux qui lui convient selon sa propre fantaisie?

Taton: Assurément!

Groscrate: Et ce même si cette fantaisie apparaît ridicule ou condamnable aux autres citoyens?

Taton: Même dans ce cas, Groscrate ! Mais à condition, comme tu me l'as enseigné, que cela ne nuise pas à autrui.

Groscrate: Penses tu alors que la loi doit interdire aux citoyens de rechercher une femme vierge?

Taton: Cela ne se pourrait ! Vouloir une vierge est un désir bien étrange. Mais l'interdire serait une autre étrangeté! Qu'un homme veuille une vierge n'oblige nulle femme à le rester pour lui!

Groscrate: Tu veux dire, Taton que vouloir une femme vierge ne peut être condamné car c'est faire usage de sa liberté sans nuire à autrui?

Taton: Oui, Groscrate, la femme doit être libre d'user de son corps avant le mariage si elle le trouve bon, comme l'homme doit être libre de pouvoir s'en renfrogner. L'inverse est vrai aussi. Et ce n'est pas au législateur, ni au juge de nous dire qui nous voulons épouser ou ne pas épouser, selon notre fantaisie.

Groscrate: Mais ne diras-tu pas que la liberté ne peut exister sans la connaissance?

Taton: Oui, Groscrate, nous le savons depuis longtemps.

Groscrate: Mais ne dira-tu pas aussi que la connaissance vraie suppose la loyauté?

Taton: Oui, Groscrate, nous le savons depuis longtemps. Comment prendre une décision libre si on nous a menti?

Groscrate: Et ne diras-tu pas alors que le futur époux qui trompe l'autre sur une qualité essentielle selon sa fantaisie, manque à la loyauté, prive son futur époux de la connaissance vraie, et lui retire la liberté qu'il doit avoir pour consentir valablement au mariage?

Taton: Oui Groscrate, je pense comme toi qu'un mariage ne saurait prospérer lorsqu'il est bâti hors de la liberté. Je comprends maintenant que chacun doit être libre de se marier ou pas, et d'épouser tel ou telle, selon son goût et sa fantaisie, selon sa morale ou sa religion. Nos lois ne doivent pas commander ou prohiber les critères dont l'époux et l'épouse font dépendre leur choix, même si ce critère heurte notre entendement. Vouloir la liberté de tous, n'est-ce pas accepter d'être heurté par l'usage qu'en peuvent faire les autres. Que la morale et la religion soient laissées aux philosophes et aux prêtres, que nous sommes libre d'écouter ou de fuir! Qu'en revanche ni la loi ni les juges, auxquels nous sommes soumis, ne s'en préoccupent autrement que pour garantir notre liberté de penser et de croire selon notre goût.

Groscrate: Tu veux-dire que lorsqu'un époux ment à l'autre sur une chose qu'il savait essentielle pour celui-ci, le juge saisi de l'annulation du mariage doit y faire droit sans se mêler de dire si l'époux trompé avait le droit de trouver cette chose essentielle?

Taton: Oui, Taton. La liberté de se marier selon notre fantaisie n'oblige personne à se plier à cette fantaisie. Cette liberté ne menace personne. Ce serait une mauvaise chose de la limiter en décidant à la place des époux ce qui doit présider à leur choix et ce qui ne doit pas y présider.

Groscrate: Je te quitte, Taton. C'est aujourd'hui qu'Elisabitha Badinthyos doit boire la ciguë et je ne veux pas rater ça.

mercredi 4 juin 2008

SAV de l'instruction

Billet sans hymen juridiquement modifié dedans

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jeudi 29 mai 2008

Festival de prétoire ou l'art de plaider

Par Gascogne


Puisque l'on m'y invite, que la période s'y prête, et qu'une attaque en piqué sur les présidents d'audience ne pouvait rester sans réponse, quand bien même j'en partage l'essentiel au fond, voici la remise des prix, après délibération intensive du jury, concernant les plus belles plaidoiries ou effets de manche entendus ici ou là :

- L'épitoge de la mise en scène est décernée à : l'ensemble des avocats dont l'intervention en garde à vue permet un changement complet de comportement du mis en cause. Celui qui ne connaissait même pas la plaignante d'un viol, se souvient miraculeusement qu'il a bien eu une relation sexuelle avec elle, mais qu'elle était consentante. Celui qui commençait à reconnaître les faits, crie à la pression et au complot des plaignants. A l'inverse, celui qui était enferré dans ses contradictions se met à reconnaître les faits.

- L'épitoge du meilleur scénario à ces avocats qui déforment les déclarations faites en interrogatoire par leurs clients, par le biais de questions, afin de tenter de faire coller celles-ci avec leur ligne de défense : "vous avez indiqué tout à l'heure à monsieur le juge que vous connaissiez bien la victime, mais ne vouliez-vous pas plutôt dire que vous ne la connaissiez pas ?".

- L'épitoge du meilleur acteur à l'avocate pénaliste qui, changeant de magistrat, change d'attitude, et s'indigne du comportement du juge d'instruction, qui, horresco referens, n'a pas procédé à l'interrogatoire de son client avant le passage devant le juge des libertés et de la détention (cet interrogatoire est interdit, sauf accord du déféré après garde à vue, afin qu'il puisse préparer sa défense), ou encore de tel autre qui à l'audience dénonce la reconnaissance des faits par sa cliente devant le juge d'instruction, alors qu'elle ne reconnaissait pas les faits en garde à vue, cette reconnaissance n'ayant pourtant eu lieu que suite à une demande d'entretien supplémentaire du collaborateur de la récipiendaire, qui, agacé d'avoir fait tant de kilomètres pour un dossier de faible importance, a demandé une suspension en disant au juge qu'il se faisait fort d'obtenir immédiatement des aveux circonstanciés de sa cliente.

- L'épitoge "Un certain regard" pour cet avocat qui s'étonne d'une qualification criminelle dans le cadre d'une tentative de meurtre, puisque "la victime n'est pas morte", ou encore qui plaide le sursis à l'emprisonnement devant le tribunal de police. Attribuée également, par décision spéciale du jury, à cet avocat qui écorche sans arrêt le nom de son client, et qui lui attribue en cours de plaidoirie le nom de la victime.

- L'épitoge spéciale pour l'ensemble de son oeuvre à cet avocat qui ne sait pas plaider sans éructer ni invectiver tantôt les magistrats professionnels, tantôt les jurés, qui ne peuvent visiblement qu'être des "connards" pour avoir condamné son client.

- Enfin, celle que tout le monde attend : l'épitoge d'or...(roulement de tambours et longues secondes de silence) : attribuée à cette avocate d'une grande ville, fort connue, venant plaider devant la cour d'assises d'une petite ville, un dossier où la question de la responsabilité pénale de son client est posée, les psychiatres n'étant pas d'accord entre eux, et qui, après une plaidoirie très fine de son collaborateur sur la personnalité de l'accusé, dit aux jurés qu'elle aurait préféré avoir neuf psychiatres face à elle, mais que ce n'est malheureusement pas le cas, et que ce n'est certainement pas neuf jurés de ce beau département (rural, aurait-elle sans doute voulu ajouter), qui vont contredire par leur décision ce que des professionnels de la psychiatrie ont indiqué dans leur rapport.

Le jury ne pouvait pas terminer son oeuvre sans vous faire part de ces quelques perles et maladresses, non récompensées par un prix, mais qui méritent d'être citées :
- L’avocat de la défense : "Nous sommes ici devant une Cour d’Assises, nous ne sommes pas là pour faire du droit."
- Me D. : "Monsieur le Président, vous savez ce qu'est la dépendance alcoolique."
- Me B. : "Je vous demande de prononcer contre mon client une amende assortie d'une mise à l'épreuve."
- Me A. à propos des déclarations de sa cliente : "Ça paraît tellement énorme comme mensonge que ça pourrait être la vérité".
- Me C. avocat de la défense : "Les faits sont malheureusement reconnus..."
- Me T. partie civile : "Les faits sont établis puisqu'ils ne sont pas reconnus."
- Me O. : "Si par extraordinaire vous n'entriez pas en voie de condamnation..."
-Me E., défendant un homme poursuivi pour avoir attaqué un autre à la machette, trois doigts sectionnés : "Monsieur le président, il va vous falloir trancher…"

Et pour que la magistrature ne soit pas en reste, prix spécial du jury pour ce parquetier :

- Le procureur, à un prévenu s'appelant M. LACROTTE : "Vous savez ce qui vous pend au nez, M. LACROTTE."

dimanche 11 mai 2008

Soyez plus compétents que la Garde des Sceaux (je plagie le Maître des lieux si j'veux)

Par Gascogne


« Dans l'oeil de Match » était un site internet que je ne connaissais pas il y a quelques jours. Ce haut lieu d'études sociales vaut pourtant le détour, notamment lorsqu'il interroge Rachida Dati sur les tragiques évènements du moment, et particulièrement l'assassinat d'une jeune suédoise en forêt de Chantilly.

On comprend vite que le rédacteur de l'article a quelques a priori. Ce qui étonne bien plus, c'est la manière dont la Garde des Sceaux y répond. Dés les premières lignes, tant l'interviewer que l'interviewée font fi de la présomption d'innocence. Lorsque la ministre indique que Bruno Cholet, principal suspect dans cette affaire, était sous « surveillance judiciaire » (un sursis avec mise à l'épreuve pour détention d'arme et exercice illégal du métier de taxi), le journaliste enchaîne d'un lapidaire « cela ne l'a pas empêché de commettre un nouveau crime... ». La réponse de la Ministre allait-elle apprendre à l'impudent le respect de la présomption d'innocence, a fortiori avec un suspect qui ne reconnaît pas les faits ? Absolument pas. Outreau est visiblement bien loin pour tout le monde...

La suite de la discussion porte sur la possibilité de forcer un condamné à se soigner. La Ministre indique que grâce à sa loi du 10 août 2007, un auteur d'infractions de nature sexuelle qui refuse de se soigner ne bénéficiera plus de réductions de peine ni de libération conditionnelle. Belle manière, une fois de plus, de sous entendre que les juges de l'application des peines laissaient auparavant sortir par avance de dangereux prédateurs sexuels sans leur imposer la moindre obligation de soins, ce qui est tout sauf exact.

L'on apprend dés le paragraphe suivant la conception que la Ministre se fait de notre système judiciaire : « Il est absolument insupportable que des délinquants sexuels dangereux récidivistes soient remis en liberté au seul motif qu'ils ont purgé leur peine ». Et dire que les magistrats, comme les personnels pénitentiaires, computent à qui mieux mieux les délais afin d'éviter la moindre journée de détention arbitraire...Visiblement, la date de fin de peine n'est plus un critère juridique de sortie de détention.

Nous apprenons par la suite que grâce aux deux lois « Dati », les réductions de peine automatiques sont supprimées, car « il est incompréhensible pour les Français qu'un condamné n'exécute pas la totalité de sa peine ». Sauf à ce qu'un décret soit venu en douce tenter de modifier les textes, les articles 721, 721-1 et 721-2 du Code de Procédure Pénale n'ont pas fait disparaître le système du crédit de réduction de peine, qui diminue automatiquement la peine prononcée, même si la loi du 25 février 2008 a rajouté comme motif de retrait de ce crédit l'absence de soins, motif qui était déjà auparavant pris en compte par tous les JAPs de France et de Navarre. Soit la Ministre est bien mal renseignée, soit elle anticipe sur la prochaine loi pénitentiaire qu'elle nous promet.

Enfin, un dernier point que je soumets en toute humilité à la sagacité de « ma » Ministre : elle indique avoir rencontré de nombreux délinquants sexuels qui refusaient les soins considérant qu'ils ne souffraient d'aucune pathologie. En ce qui me concerne, j'ai rencontré de nombreux psychiatres qui estimaient que les violeurs et autres criminels sexuels ne relevaient pas de la catégorie des malades mentaux. Et seule une maladie pouvant, par principe, se soigner, le débat sur l'obligation de soins est peut-être moins simpliste que la Garde des Sceaux et son interviewer semblent feindre de le penser.

Mais je ne doute pas que mon interprétation vient d'un esprit pervers et fatigué par une permanence de fin de semaine chargée : ces rencontres avec le gratin de la presse sont soigneusement préparées par les conseillers de la Ministre. Sauf à croire qu'ils ont déjà tous démissionné.

vendredi 18 avril 2008

De la hierarchie des normes (et du respect des institutions ?)

Par Gascogne


Le decret n° 2008-361 du 16 avril 2008 "relatif notamment (sic) aux décisions d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental" vient d'être publié au journal officiel de ce jour.

Sept articles viennent y expliquer comment va s'appliquer cette loi, qui, comme l'a assurément annoncé une toute nouvelle secrétaire d'Etat, ne se range pas du côté des assassins.

Un article 5 s'est cependant sournoisement inséré dans ce texte. Si les deux chapitres du décret (chapitre I : dispositions relatives aux décisions d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental - chapitre II : dispositions diverses) corroborent l'en-tête du texte, cet article 5 vient donner tout son sens au "notamment" que les services de la Chancellerie ont cru devoir ajouter. En effet, il dispose que "conformément aux dispositions de l'article 122-2 (2°) du code pénal, les articles 706-11 à 706-140 et D 47-27 à D 47-32 du code de procédure pénale, résultant de la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental et du présent décret, sont immédiatement applicables aux procédures en cours."

Visiblement, le ministère de la justice a d'ores et déjà balayé d'un revers de decret la décision du 21 février 2008 du conseil constitutionnel. En effet, celui-ci a cru bon de préciser dans son dixième considérant : "Considérant, toutefois, que la rétention de sûreté, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement ;"

Or, viser les "procédures en cours", sous entendu "non encore jugées", permet d'appliquer immédiatement la loi sur la rétention de sûreté aux personnes qui feront l'objet d'une condamnation postèrieure à la date de publication de cette loi, pour des faits commis antérieurement.

Un décret peut donc non seulement modifier une loi, mais encore plus aller à l'encontre d'une décision du Conseil Constitutionnel, violant ainsi la constitution elle-même. Mais j'attends bien entendu les avis éclairés pour me contredire et me démontrer que tout cela n'est que la lecture d'un texte tronquée par un pessimisme sans limite...

J'invite dans l'attente instamment le premier président de la Cour de Cassation, M. LAMANDA, à ne pas presser ses services à rendre son rapport, commandé par le président de la République pour contourner la décision du Conseil Constitutionnel rendre applicable la loi, avant la fin du mois de mai, comme il a indiqué il y a quelques jours qu'il le ferait : le premier ministre, la garde des sceaux et la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative l'ont devancé.


Mise à jour du 19 avril par Eolas : Grâce à notre dévouée aliocha, qui marche dans les pas des Albert Londres, Gunther Wallraff et autres Robert Namias, nous apprenons qu'il s'agirait d'une faute de frappe et qu'un rectificatif sera publié au JO très rapidement. Toujours est-il qu'au JO de ce jour, aucun rectificatif n'est paru. Il demeure que, faute de frappe ou pas, en l'état, ce décret dit bien que les articles 706-53-13 et suivants du CPP entrent en vigueur immédiatement, et que c'est le texte tel qu'il est publié qui est applicable. Ainsi, cela fait 23 ans que la loi Badinter sur les accidents de la circulation est reproduite dans les codes avec deux horribles fautes de grammaire, dont une qui modifie le sens du texte.

Mille merci à aliocha d'avoir pris le temps et la peine de faire ces démarches, un vendredi soir qui plus est.

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