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jeudi 4 décembre 2008

La réforme de la justice des mineurs (acte II)

Par Justice, juge des enfants mineurs.




Voilà, nous avançons à grand pas. La commission Varinard vient de déposer son volumineux rapport (bonne lecture à tous ...) ; ses propositions deviennent officielles. C'est désormais à la Garde des sceaux de trancher.

Je sais que je vais encore frustrer du monde (on est tous des frustrés, ne vous inquiétez pas !) mais il ne s'agit pas pour moi de commenter toutes les idées émises dans ce rapport (j’ai tout parcouru mais mon temps est un peu limité aussi...). Un bon aperçu a été fait dans un autre billet. Il y a des choses intéressantes, c'est certain, d'autres un peu plus surprenantes. Bref, excusez encore, je voudrai au contraire me centrer sur ce qui "dérange", c'est à dire ce qui sort du lot, apparaît inhabituel, voire a priori incroyable.



En numéro un : les enfants de 12 ans pourraient aller en prison

La rumeur n'est désormais plus une rumeur. Il s'agit bien d'une proposition formulée à la GDS.
La proposition : “La fixation d’un âge de responsabilité pénale à douze ans permet, en matière criminelle, d’appliquer aux mineurs âgés de douze à seize ans le traitement pénal applicable à ce jour aux seuls mineurs âgés de treize a seize ans.

Ainsi, en matière criminelle, un mineur âgé de douze ans au moment des faits pourra être condamné par un tribunal des mineurs et se voir appliquer une peine. De même, dans l’hypothèse ou le placement sous contrôle judiciaire n’aura pas paru suffisant, ce mineur pourra être placé en détention provisoire, dans les limites aujourd’hui applicables aux mineurs de 13 à 16 ans (une durée de six mois qui peut être prolongée, une seule fois et a titre exceptionnel, d’une durée de six mois).”

Elle mérite sa position "numéro un" non seulement par son écho médiatique mais surtout par ce qu'elle viendrait signifier (les 2 étant intiment liés évidemment).

Nous avons déjà beaucoup débattu à ce sujet ; je n'y reviendrai donc pas. Personnellement, je reste sur ma position et encore pardon pour les frustrations liées aux explications non fournies sur : « pourquoi un gosse de 12 ans est immature et ne peut être jugé comme un plus grand ». Cela fait appel à la psychologie, à l'éducatif, au médical, au juridique, au bons sens également. Voilà pourquoi c'est trop long ...



En numéro 2 : le tribunal correctionnel pour les mineurs (de mieux en mieux !)



Depuis quand ne parle-t-on plus de tribunal Correctionnel pour les mineurs ? Eh bien, ma bonne dame, il faut remonter loin dans la mémoire collective ... (ça, ce n’est jamais très bon en matière de mineurs, vu les déboires et les erreurs commises dans le passé pour réprimer toujours plus sévèrement). Moi je n’étais pas né mais je m’en souviens car c’est le texte fondamental en matière de droit des mineurs que j’applique au quotidien : je veux parler de l’ordonnance du 2 février 1945. Cela fait donc 63 ans que les mineurs n’ont plus de liens avec les Tribunaux pour majeurs.

Petit retour en arrière (toujours nécessaire en cas de réforme proposée).

Jusqu’au XVIIIème siècle, l’enfant ne bénéficie pas d’un régime pénal spécifique et peut être condamné comme un majeur par les mêmes tribunaux.

Le Tribunal Correctionnel, avec le Code Pénal de 1810[1], reste la juridiction compétente pour eux et est composée par 3 magistrats. La loi du 28 avril 1832 vient même l’autoriser à juger certains crimes commis par les mineurs.

Art.68 du Code Pénal de l’époque : “ L’individu âgé de moins de 16 ans qui n’aura pas de complices présents au-dessus de cet âge, et qui sera prévenu de crimes autres que ceux que la loi punit de la peine de mort, de celle des travaux forcés à perpétuité, de la peine de déportation ou de celle de la détention, sera jugé par les tribunaux correctionnels...

Les peines peuvent être sévères et on estime au milieu du XIXème s. que 50% des mineurs jugés par ces juridictions sont condamnés à une peine supérieure ou égale à un an.

Grâce à la loi du 22 juillet 1912, des règles particulières, à consonance éducative, sont instaurées spécifiquement pour les mineurs (obligation d’enquêter sur son histoire familiale). Le mineur est désormais jugé par une chambre spéciale du tribunal de première instance, le tribunal pour enfants et adolescents. Toutefois, ce

« Tribunal pour enfants n'était qu'une fiction. Le Tribunal Correctionnel ordinaire se constituait en tribunal pour enfants ou en chambre du conseil mais sa composition ne variait pas. En outre les magistrats restaient soumis à la loi du roulement et passaient un ou deux ans, quelquefois moins, au tribunal pour enfants » (Hélène CAMPINCHI, avocate à la cour de Paris in « Revue de l'Education Surveillée » n°778 ;1 – mars 1946)



Il faut attendre 1945 pour que notre pays, conscient de la spécificité des problèmes touchant les mineurs, créé un Juge des Enfants :

“Le Garde des Sceaux, ministre de la justice, désigne au sein de chaque tribunal de grande instance un magistrat qui prend le nom de Juge des Enfants” (art. 4, version initiale de l’ordonnance)

et une juridiction réellement particulière, le Tribunal Pour Enfants :

“Les mineurs de 18 ans[2] auxquels est imputée une infraction qualifiée crime ou délit ne seront pas déférés aux juridictions pénales de droit commun, et ne seront justiciables que des Tribunaux Pour Enfants” (art.1)

Que se passe-t-il quand une affaire concerne un mineur et un majeur ? Dès 1945, il est prévu que

“lorsque le mineur de 18 ans est impliqué dans la même cause qu’un ou plusieurs inculpés âgés de plus de 18 ans, la poursuite qui le concerne sera disjointe”.

Depuis 1951, il est désormais prévu, dans l’intérêt des victimes, d’unifier l’action civile :

“lorsqu’un ou plusieurs mineurs sont impliqués dans la même cause qu’un ou plusieurs majeurs, l’action civile contre tous les responsables peut être portée devant le tribunal correctionnel ou devant la cour d’assises compétente à l’égard des majeurs. En ce cas, les mineurs ne comparaissent pas à l’audience mais seulement leurs représentants légaux” (art.6 Ord. 2 février 1945).

Si le mineur n’a pas encore été déclaré coupable, le tribunal correctionnel peut alors surseoir à statuer sur l’action civile.

Personnellement, je n’ai jamais vu appliquer cet article. C’est dommage car il faciliterait les démarches de la victime, l’exécution de la décision (en prévoyant la solidarité entre les condamnés majeurs et mineurs) et elle garantirait la cohérence des décisions. En effet, le Juge des Enfants n’est pas forcément informé des sommes allouées par le tribunal correctionnel à la victime. Il peut donc avoir une appréciation différente.



Voici la proposition :

Création d’un tribunal correctionnel pour mineurs spécialement composé.
Composé d’au moins un juge des mineurs, le tribunal correctionnel pour mineurs sera compétent : - pour les mineurs devenus majeurs au moment du jugement, les mineurs poursuivis avec des majeurs et les mineurs de 16 à 18 ans en état de nouvelle récidive. Il ne pourra alors être saisi que par le juge des mineurs ou le juge d’instruction. - pour les infractions commises par des jeunes majeurs au cours de l’année suivant leur majorité. Il sera dans cette hypothèse saisi par le juge d’instruction ou par le parquet.”

Cette proposition, je le dis, est des plus surprenante. Je ne disconviens pas de l’intérêt d’une progressivité de la sanction (ce que l’on fait au quotidien) mais j’y vois ici un retour en arrière sans précédent. Non seulement le mineur n’est plus jugé par une juridiction spécialisée pour mineurs (si elle est composée d’un seul juge des enfants, ce n’est pas une juridiction spécialisée ; par ailleurs le Juge des Enfants pourra ne rien connaître de la situation du jeune) mais en plus on permet son jugement avec des majeurs ... Et pourquoi pas demain, dans ces conditions, ne pas prévoir d’incarcérer ensemble majeur et mineur de plus de 16 ans ?

Cette proposition est inutile. Le Tribunal Pour Enfants a toute possibilité d’appliquer les sanctions et peines prévues par la loi. Par ailleurs, si l’on veut réellement favoriser le sort des victimes, commençons par appliquer l’article 6...

Numéro trois : la Cour d’Assises des mineurs compétente pour le tout.

La proposition :

En revanche, le caractère spécialisé de la cour d’assises des mineurs ainsi que la plénitude de juridiction dont elle dispose qui lui permet de juger de faits commis par un même accuse antérieurement et postérieurement à sa majorité et des affaires mixtes mettant en cause des mineurs et des majeurs a été rappelé. Cette réalité a conduit la commission à préconiser qu’elle traite des faits commis par un mineur avant et après ses seize ans si la decision de renvoi l’a saisie de l’ensemble de ces faits.

Actuellement, que se passe-t-il lorsqu’un mineur a commis un crime de l’âge de 15 ans à l’âge de 17 ans ? Vous l’aurez compris, il s’agit dans ces hypothèses de faits de nature sexuelle (viols) et non de crimes de sang (sauf à imaginer un mineur meurtrier en série ...).

Une instruction est obligatoirement menée par un juge d’instruction et, si les charges sont suffisantes, le mineur est renvoyé devant le Tribunal Pour Enfants (pour les faits commis avant ses 16 ans) et devant la cour d’Assises des Mineurs (pour les faits commis postérieurement).

Il n’y a pas d’ordre. Le mineur peut être jugé par la Cour d’Assises avant ou après le procès devant le Tribunal Pour Enfants.

Dernièrement, le Tribunal Pour Enfants que je présidais a ainsi passé une journée entière à entendre des témoins, des experts, le mineur, la famille alors que la Cour d’Assises avait déjà condamné le mineur pour des faits qui étaient dans la continuité complète de ceux commis avant l’âge de 16 ans (mêmes victimes).

Perte de temps incroyable sachant, en plus, que les peines prononcées sont généralement confondues entre elles après pour n’en former qu’une seule[3]...

Cette proposition est intéressante car elle a le mérite de donner plénitude de juridiction à une juridiction déjà spécialisée (la cour d’assises des mineurs), composée de 2 Juges des Enfants et de jurés. Elle évitera des procès à répétition où souvent les mêmes éléments sont débattus (on peut évidemment difficilement passer sous silence ce qui s’est passé avant et après 16 ans ...).



Numéro 4 : le tribunal pour mineurs à juge unique.



La proposition :

Le tribunal des mineurs siégeant a juge unique sera compétent pour le jugement des délits pour lesquels la peine encourue est inférieure ou égale a 5 ans d’emprisonnement. Cependant, les mineurs comparaissant en détention provisoire et les mineurs en état de récidive légale devront obligatoirement être poursuivis devant la juridiction collégiale. Le renvoi devant la juridiction collégiale est de droit sur demande du mineur. Le tribunal des mineurs siégeant à juge unique pourra prononcer des sanctions et des peines.

La commission considère que le tribunal des mineurs statuant à juge unique, tel qu’elle l’a défini, aura vocation à juger une part importante des dossiers, actuellement orientés en chambre du conseil. Le procureur de la République disposera alors de la possibilité de prendre des réquisitions dans des affaires qui aujourd’hui ne lui sont pas soumises et de faire usage plus utilement de son droit d’appel. En effet, le tribunal des mineurs siégeant a juge unique devrait permettre d’audiencer plus facilement ces affaires que devant le tribunal des mineurs siégeant en collégialité.

D’une part, en l’absence des assesseurs, le tribunal des mineurs statuant a juge unique ne suppose que la réunion du personnel judiciaire habituellement présent dans les palais de justice. Ainsi, les audiences du tribunal des mineurs statuant à juge unique pourront être fixées a un rythme plus soutenu.”



Je ne comprends pas le raisonnement[4]. “La commission considère que le tribunal des mineurs statuant à juge unique, tel qu’elle l’a défini, aura vocation à juger une part importante des dossiers, actuellement orientés en chambre du conseil”. Les dossiers orientés actuellement en audience de cabinet et vers le Tribunal Pour Enfants ne se ressemblent pas. Dans le premier cas, on souhaite prononcer des mesures éducatives (parce que les mineurs les méritent), dans le second cas plutôt des peines (même si les mesures éducatives restent possibles). Je ne vois donc pas bien pourquoi créer ces nouvelles audiences à juge unique.

les audiences du tribunal des mineurs statuant a juge unique pourront être fixées a un rythme plus soutenu”. Les assesseurs nous font perdre du temps, c’est cela ? Si c’est cela (car ça y ressemble) disons le, plutôt que de faire croire que Juge des Enfants seul sera bien plus performant. Ah oui, j’oubliais ! Il ira forcément plus vite car :
- un vol avec effraction, c’est 5 ans d’emprisonnement encouru (donc juge unique) ;
- un vol avec effraction et en réunion, c’est 7 ans (donc présence de 2 assesseurs).
Le temps d’examen du dossier dans les 2 cas doit et devra être le même, sous peine de faire de “l’abattage” comme cela arrive dans certaines audiences pour majeurs.



Numéro 5 : élaboration d’un code spécifique.



Il serait intitulé “Code de la justice pénale des mineurs” recouvrant ainsi l’ensemble des dispositions de droit pénal et de procédure pénale applicables aux mineurs.

Jusqu’à présent, les Juges des Enfants ouvraient leur code pénal (celui qui est applicable aux majeurs) et cherchaient vers la fin l’ordonnance du 2 février 1945, figurant parmi de multiples autres textes.

Il est évident que nous étions attachés à ce texte, non pas pour son appellation vieillotte mais pour son symbole. 1945 marque un tournant historique dans le droit des mineurs.

Malheureusement, très régulièrement, on nous servait la même soupe ! “Mais les mineurs de 1945 ne sont plus les mineurs d’aujourd’hui ...”. Ah, bon j’avais pas remarqué ...Et le citoyen de 1958, il ressemble à celui d’aujourd’hui ?

Autant dire que cette connotation ancienne (bien que le texte ait toujours été adapté à son époque[5]) facilitait le message public tendant à discréditer le droit des mineurs et à militer pour sa réforme en profondeur.

Ce code aura le mérite de regrouper tous les textes concernant le droit pénal des mineurs et donnera ainsi, au moins en apparence, le sentiment de “neuf” ou de “modernité”.

Notes

[1] NdEolas : Abrogé en 1994, remplacé par un nouveau code entré en vigueur le 1er mars 1994.

[2] Je rappelle que la majorité pénale à 18 ans date de 1906, avant elle était à 16 ans. NdA.

[3] NdEolas : quand une juridiction confond des peines, elle ne se trompe nullement. La confusion de peine (du latin fondre ensemble) consiste à ordonner que des peines prononcées par des juridictions différentes pour des faits distincts mais non commis en récidive s'exécuteront simultanément et non successivement.

[4] NdEolas : Moi, je le comprends trop bien.

[5] NdEolas : L'ordonnance de 1945 a été réformée 34 fois en 63 ans, dont 12 fois ces dix dernières années, les dernières fois en août 2007, mars 2007 (deux fois, le même jour !), janvier 2005 et mars 2004 rien que par l'actuelle majorité.

mercredi 3 décembre 2008

Programme télé

Par Dadouche


Jeudi 4 décembre à 23 h 05, France 2 diffuse un documentaire consacré à l'assistance éducative, la justice civile des mineurs.

Il s'intitule Au tribunal de l'enfance et a été réalisé auprès de deux juges des enfants lyonnais (avec l'aval de la PJJ of course).

Je ne l'ai pas vu, mais il peut être intéressant, à l'heure où l'opinion ne voit nos mineurs que sous le prisme de la délinquance, de comprendre un peu mieux le rôle que le juge des enfants joue dans la protection de l'enfance, qui occupe la majeure partie de son temps.

Pour ceux qui veulent réviser en attendant, je renvoie sans vergogne à mes précédentes productions (featuring Fantômette) :

- une conversation avec un beau lecteur
- une audience "dans la tête de"...
- les mystères de l'OPP expliqués aux mekeskidis

mardi 2 décembre 2008

Est-ce bien raisonnable ?

Par Dadouche


Ayant depuis peu lancé mon propre élevage de taupes, je dispose, tout frais tout chaud, du rapport de la Commission Varinard [1]de Réforme de l'ordonnance du 2 février 1945 relative aux mineurs délinquants, intitulé « Entre modifications raisonnables et innovations fondamentales : 70 propositions pour adapter la justice pénale des mineurs ».

Bon, soyons modeste, vu les fautes de frappe et la mise en page défaillante du document dont je dispose, ce n'est pas la version qui atterrira sur la bureau de la Garde des Sceaux (que mille bénédictions pleuvent sur ses invitations à déjeûner). Mais presque.

Rappelons à titre liminaire la mission assignée à cette commission :

La lettre de mission adressée par la Ministre au Président de cette commission assigne au groupe de travail trois axes de réflexion :

  • assurer une meilleure lisibilité des dispositions applicables aux mineurs,
  • renforcer la responsabilisation des mineurs notamment en fixant un âge minimum de responsabilité des mineurs et en assurant une réponse pénale adaptée et une sanction adéquate graduée et compréhensive par tous,
  • revoir la procédure et le régime pénal applicables aux mineurs.

Alors, il dit quoi ce rapport "raisonnable" ? Je vais le détailler ci-dessous.
Ce ne sont pas des appréciations de fond, mais uniquement des éléments factuels, éclairés éventuellement par la situation existante, pour nourrir le débat au delà des gros titres

En ce qui me concerne, j'y trouve des propositions intéressantes, voire pour certaines attendues des praticiens. D'autres me laissent plus dubitative.

Il est intéressant de noter que la commission s'est fixée comme objectif de formuler des propositions "raisonnables", adjectif qui traduit précisément la volonté de la commission de proposer des réformes efficaces mais constitutionnellement acceptables et susceptibles d’être comprises par le plus grand nombre dans un domaine qui suscite les passions.
En principe donc, pas de révolution, mais des "innovations fondamentales". Voyons voir ça...

Notes

[1] la composition se trouve ici

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lundi 1 décembre 2008

La réforme du droit des mineurs (Acte I)

Par Justice, juge des enfants, qui avait déjà pris la plume lors de la journée du 23 octobre


La commission mandatée par la garde des sceaux, Rachida Dati, pour réformer la justice des mineurs n’a pas encore rendu son rapport et pourtant, déjà, certaines de ses préconisations (et pas des moindres) sont connues à en croire la presse

Fuite volontaire pour lancer d’ores et déjà le débat et sonder le pouls de l’opinion publique ou fuite involontaire ?

Nous ne le saurons pas. A chacun de se faire son opinion... Quoi qu’il en soit, la garde des Sceaux tranchera et elle annonce un projet de loi pour juin 2009, donc avant la rentrée des classes ... Ceci est bien évidemment une pointe d’humour de ma part car nous avons compris (on n'arrête pas de nous le dire) que nous ne parlions plus d’enfants mais de mineurs !

Et pourtant ... Enfants, vous avez dit enfants ?

Si le juge des enfants et le tribunal pour enfants ont de bonnes changes de changer de noms (pour juge des mineurs et tribunal pour mineurs), on parle bien d’enfants en ce moment avec les moins de 13 ans...

Ils font la une, ces 3407 enfants (sur 85.596) dont le Juge des Enfants a été saisi en 2006 (source : les chiffres clés de la Justice - octobre 2007)

Ceux de 12 ans pourraient aller en prison. Voici la proposition que l'on lance à l'opinion ! Pour la convaincre ? Parlons des mineurs de 12 ans criminels ... Qui va contester qu'un criminel de 12 ans ne doit pas être condamné, comme quiconque, à une peine de prison.

Et bien moi !

Oui, notre démocratie s'est contruite sur des fondamentaux. Des fondamentaux éprouvés qui font sa force. On n'incarcère pas un malade mental (même si l'on voit périodiquement que l'on aimerait bien ...), on ne juge pas un mineur comme un adulte (même si on s'en rapproche de plus en plus à partir de 16 ans ...). Les raisons sont profondes ; trop longues à exposer ici.

Sur les mineurs, l'autre fondamental est qu'un mineur de 13/16 ans ne peut, au maximum, qu'être condamné à la moitié de la peine qui serait prononcée pour un majeur. C'est ce qui est dit depuis 1945 et qui se justifie pas l'immaturité de ces jeunes en cours de construction.

Un enfant (excusez le lapsus !) ... un mineur, disais-je, en dessous de 13 ans ne peut pas encourir une peine. Donc, pas de prison ; seulement des mesures éducatives pour s'occuper d'eux intensément (évidemment, dans la réalité, ce n'est pas le cas faute de moyens suffisants ... mais ça, c'est un autre problème)

Pourquoi ? Parce qu'il y a une limite à fixer sinon on va enfermer des gamins alors qu'ils sont avant tout victimes de leurs conditions d'éducation (vous connaissez bcp d'enfants de 12 ans que l'on peut qualifier de gros délinquants sans que les regards ne se tournent vers leurs parents ??? eh bien non. C'est pour cela que le juge intervient aussi dans le domaine de l'assistance éducativeet qu'il peut aussi prononcer des mesures éducatives au pénal) et que la société a le devoir de les sauver. Comment ? en leur rappelant la loi, les règles et en les rééduquant (le mot est vilain) par des moyens éducatifs.

La prison n'a jamais été un moyen éducatif permettant à un jeune de réapprendre les valeurs et d'avancer vers l'avenir.

Elle est malheureusement nécessaire parfois. Mais de grâce, laissez ces enfants de 12 ans en dehors du système carcéral et ne laissez pas croire que tout est fichu pour eux à cet âge.

Mais ce sont des criminels, me direz vous ?

Parmi les 203 700 mineurs mis en cause par la police en 2006, 1,3 % étaient impliqués dans des actes criminels. Chaque année, une cinquantaine d'adolescents de moins de treize ans sont condamnés pour crimes, et environ 500 jeunes de 13 à 18 ans.

(Source : l’article du monde susmentionné).

D’où provient ce chiffre d’une cinquantaine de mineurs de moins de 13 ans qui auraient été reconnus coupables de crime ? Nul ne le sait. De quels crimes parle-t-on ? Parce que des enfants qui ont été abusés et qui abusent à leur tour, cela existe et j'en ai vus, comme tous les juges des enfants. Des braqueurs ou des assassins à cet âge, ça devient rarissime...

Je croyais, de façon simpliste, que la commission allait (seulement) fixer un âge en deçà duquel l'enfant ne pourrait pas être pénalement responsable d'une infraction. C'est une demande légitime de l'Europe de fixer un âge fixe et non pas variable en fonction du discernement (comme c'est le cas en france).

Au lieu de faire juste ça, on propose de pouvoir condamner des gamins de 12 ans et d'abandonner le volet éducatif du juge des enfants au pénal au profit des départements ...

mercredi 26 novembre 2008

RSVP

Par Dadouche



Madame le Ministre,

Des rumeurs insistantes dans les juridictions font état de ce que vos services chercheraient actuellement des magistrats "de base" pour venir partager un repas avec vous Place Vendôme.

Pour vous éviter la peine d'une convocation invitation (on ne sait jamais), il me paraît préférable de vous indiquer d'ores et déjà que ma charge de travail ne me laissera pas le loisir de m'y rendre, et que j'ai autre chose à faire de mon temps libre qu'à poser devant un objectif pour servir une opération de communication destinée à faire croire qu'un quelconque dialogue existe toujours entre vous et les magistrats.

Par ailleurs, alors que le budget de la justice française fait figurer notre pays en queue de peloton du Conseil de l'Europe, je serais particulièrement gênée de lui faire supporter le coût de mon déplacement à Paris, si modique soit-il en seconde classe.
Je préférerais que cette somme puisse être affectée à une participation au financement d'un nouveau photocopieur pour mon tribunal.

Si vous entendiez malgré tout me convier, comme pourrait le laisser penser la désignation de "volontaires" dans certaines juridictions, je vous serais obligée de bien vouloir m'indiquer les bases légales de cette convocation.

Enfin, si vous souhaitez par ces rencontres conviviales comprendre un peu mieux l'état d'esprit et les aspirations des magistrats, je me permets de vous diriger vers ces billets, dont la lecture vous sera sans doute édifiante.

Je vous prie d'agréer, Madame le Ministre, l'expression de ma considération la plus respectueuse.

Dadouche

PS : ne vous inquiétez pas, cette année je ne vous embêterai pas avec une liste de Noël. Je n'y crois vraiment plus.

vendredi 14 novembre 2008

Peut-on choisir son juge ?

Oui, mais seulement si l'on n'est pas un justiciable comme les autres...

Lire la suite...

mardi 4 novembre 2008

Carte judiciaire : pendant les soldes, les travaux continuent (ou l'inverse)

Par Gascogne


Pendant la crise, la Chancellerie poursuit son travail de fond. Un decret portant réforme de la carte judiciaire vient d'être publié au journal officiel du 31 octobre 2008. Jusque là, rien de bien étonnant me direz-vous. Un peu tout de même, puisque ce décret abroge en son article 4 les décrets du 15 février 2008 et du 6 mars 2008 (vous savez, ceux qui réformaient la carte judiciaire) ainsi que celui du 15 mars 1991 fixant le siège et le ressort des greffes détachés des tribunaux d'instance.

Là où les choses deviennent étonnantes, c'est que les tableaux joints à ce texte et qui fixent les ressorts des tribunaux d'instance et des greffes détachés, ne changent quasiment rien aux tableaux déjà annexés aux deux précédents décrets, abrogés.

On abroge donc pour réinstaurer la même chose...

Quelques collègues mal intentionnés se demandent s'il ne s'agit pas d'un moyen de court-circuiter les recours contre les précédents décrets, pendants devant le Conseil d'Etat. On a pu en effet entendre dire que l'absence de concertation, et notamment de réunion des comités techniques paritaires, pourtant obligatoires en la matière, faisaient partir les précédentes décisions gouvernementales à l'abattoir. Or, ces réunions ont finalement eu lieu début septembre.

Un nouveau texte pour éviter une bérézina judiciaire ? Mais qui va devoir payer cette faute ?

Autre élément intrigant, on ne parle plus de suppression de juridiction, mais de disparition du ressort de compétence. Simple problème sémantique ?

Trêve de mauvais esprit, un fol espoir s'est emparé d'un certain nombre de magistrats, et notamment des juges directeurs de tribunaux d'instance : le nouveau décret allait au moins permettre de supprimer par anticipation les tribunaux qui posent actuellement bien plus de problèmes qu'il n'apportent de solutions au cours de la justice d'instance (et oui, aussi étonnant que cela puisse paraître, les magistrats pourtant confits de conservatisme, sont majoritairement favorables à la réforme de la carte judiciaire, mais sûrement pas celle qui nous a été vendue avec les manières de matamore que l'on sait).

Raté : très peu de fermetures anticipées (au 31 décembre 2008) dans ce texte. Je n'ai relevé que deux tribunaux d'instance (Barbezieux et Cognac) et un greffe détaché (Voiron), mais au milieu de ces 55 pages de décret caractères 8, je peux me tromper...

Prenons un exemple. Soit le tribunal d'instance de Framboisy. Il comporte un juge. Sur le ressort du TGI de Framboisy, cette fois, se trouve également le tribunal d'instance de Poméranie. Malheureusement pour lui, il fait partie des tribunaux devant être supprimés, puisqu'il ne se trouve qu'à quelques kilomètres de Framboisy, et n'apporte dés lors aucune valeur ajoutée à la carte judiciaire. Rajoutez au cocktail un greffe détaché (c'est à dire sans juge à demeure mais avec des fonctionnaires : les justiciables peuvent donc y faire leurs démarches, et des audiences foraines s'y tiennent) situé à Trifouillis-sous-Bois. Le bâtiment est dans un tel état de délabrement que cela fait bien longtemps que les fonctionnaires ont été rapatriés sanitaires à Framboisy. Bref, les locaux sont vides, et le greffe doit également être cartejudiciarisé.

Tout le monde est d'accord pour une fermeture anticipée qui n'intervient pourtant pas (le cas est véridique, et malheureusement pas isolé).

Quelles sont les conséquences de cette situation ?

Elles sont simples : à Framboisy, le justiciable qui vient, mettons, déposer une demande en injonction de payer, a le choix entre six saisines : juge de proximité de Framboisy, juge d'instance de Framboisy, juge de proximité de Poméranie, juge d'instance de Poméranie, juge de proximité de Trifouillis-sous-Bois ou juge d'instance de Trifouillis-sous-Bois. Se trompe-t-il sur sa saisine qu'il y aura incompétence de la juridiction.

La situation oblige d'ailleurs nos collègues de l'instance à saisir, par le biais de commissions rogatoires lorsque des actes sont à effectuer sur le ressort de compétence voisin, le collègue qui s'avère être dans la plupart des cas un voisin de bureau.

Je vous épargne les détails sur le travail des greffiers, le fonctionnaire en charge des injonctions de payer pour reprendre cet exemple devant établir six enregistrements, six rôles d'audience, sur des serveurs informatiques différents, et bien sûr établir les sacro-saintes statistiques pour toutes ces juridictions (Fieffégreffier en parlera bien mieux que moi).

Ou quand un simple décret réussit finalement à marier Kafka et Ubu.

P.S. : le statut de petits pois des magistrats est visiblement officialisé. Outre les ministres de la justice, de l'intérieur et de l'outre-mer, le ministre de l'agriculture est en charge de l'application de ce texte.

mercredi 22 octobre 2008

54 euros

Par Dadouche



54 euros, c'est au moins 2 lots de 12 blocs de post-it

54 euros, c'est 25 paires de collants

54 euros, c'est une nuit d'hôtel pas trop cher à Paris

54 euros, c'est un millième du salaire mensuel d'un animateur télé

54 euros, c'est un buste de Ron Weasley en robe de soirée

54 euros, c'est presque une paire de jolies chaussures pour enfant

54 euros, c'est la somme que la Croatie a dépensé par habitant en 2006 pour sa justice[1].

54 euros, c'est 1 euro de plus que ce que la France a dépensé par habitant en 2006 pour sa justice[2].

Notes

[1] voir le tableau page 8

[2] voir le même tableau

jeudi 16 octobre 2008

Vu à la télé

Par Dadouche



20 h 55 : je m'installe devant ma télé.
Le programme est alléchant : Rachida Dati dans "A vous de juger". Arlette Chabot nous annonce "la ministre dont on parle le plus", celle dont "les dossiers soulèvent des polémiques".
Une remarque tout de même en passant à l'intention de France 2 : au tribunal, quand une femme "dans un état intéressant" se présente à la barre, on lui propose au moins une chaise. Enfin moi, ce que j'en dis....

S'ensuit une vingtaine de minutes sur "la femme et son oeuvre", avec des questions insistantes (et parfaitement déplacées) sur son état.

Enfin, on aborde les choses sérieuses. Et là, c'est l'illumination.
Je crois que j'ai enfin compris le malentendu.

Nous, magistrats, bêtement, quand on entend "Garde des Sceaux", on pense rédaction de projets de loi et de décrets, politique pénale, réflexion sur les équilibres de la procédure, budget, fonctionnement des juridictions, dialogue avec le personnel judiciaire et les auxiliaires de justice. On pense utile quoi.
Le ministre place Vendôme, au conseil des Ministres et au Parlement à faire son job et nous dans nos tribunaux à essayer de faire le nôtre, et les sauvageons seront bien gardés.

Mais quand la Garde des Sceaux décrit sa fonction, elle donne la fiche de poste d'une VRP de la compassion, de la championne des victimes, de la terreur des malfaisants, de la reine du terrain : protéger les Français, sanctionner les multirécidivistes, rapprocher les Français de leur justice. C'est Rachida d'Arc, qui a entendu les voix de Nicolas Sarkozy.

"Ma place est sur le terrain".
La ministre cite quelques déplacement essentiels à sa fonction : la rencontre au centre hospitalier de Bordeaux avec une enfant violée qui a perdu sa mère et que la Justice est là pour protéger, la visite à la maison des adolescents, une visite (quand même) à la cour d'appel de Douai. En tout 120 déplacements depuis 18 mois.
Ce qu'elle aimerait qu'on dise d'elle ? "Elle a renforcé la justice, elle nous a protégés, elle a sanctionné les délinquants".

En fait, la Garde des Sceaux n'est pas ministre de la Justice. Elle EST la Justice. ELLE protège, ELLE sanctionne, ELLE assume.
Bon, entendons nous bien, quand elle protège, c'est du lourd. On ne parle pas de violence routière, de vols à l'arraché ou de petit trafic de shit. Non, son créneau, ce sont les pédophiles dangereux, les meurtriers en série, les vrais monstres.
D'ailleurs, elle voit des criminels partout, puisqu'elle nous ressert son antienne sur "les seuls mineurs incarcérés sont ceux qui ont commis des actes criminels". Il faut croire que le ressort où j'exerce est peuplé de mineurs qui ont violé, tué ou braqué, puisqu'il y en a en permanence à la maison d'arrêt. Curieux, moi j'ai plutôt prononcé des condamnations pour des vols aggravés, des violences, des extorsions, des mises en danger de la vie d'autrui ou des incendies.

Passons, relever toutes les erreurs ou approximations prendrait trop de temps.

Quelques perles tout de même : les mineurs en CEF sont alcooliques depuis l'âge de 11 ans (celle là est en récidive), la moitié des magistrats se sont mis en grève en 2000, "les mineurs ne vont en prison que pour des affaires criminelles, c'est le code qui le dit".

Il y a eu des fulgurances.... à la conclusion décevante : si la délinquance des mineurs continue à augmenter malgré la fermeté mise en oeuvre depuis 18 mois, contrairement à la délinquance des majeurs qui est en net recul grâce aux peines planchers, c'est parce que le texte n'est pas adapté, trop vieillot, fait pour les enfants de la guerre et non pour ceux de 2008. Ca ne peut évidement pas être (comme Elisabeth Guigou a osé le prétendre avec indécence en parlant de son fils adolescent alors qu'on lui parlait des criminels qui peuplent les prisons et les centres éducatifs) parce que pour les mineurs ce qui marche le mieux c'est l'éducatif (qui n'exclut pas l'autorité et la fermeté), et que ça marche encore mieux quand il y a des éducateurs pour faire de l'éducatif.

Soyons justes, une annonce intéressante tout de même : un code de la justice des mineurs. Ca ne sera pas du luxe d'avoir tout dans le même texte. Après, faut voir le contenu...

Et puis, elle a parlé de nous, les magistrats.
Bien forcée, puisque les deux principaux syndicats annoncent des actions la semaine prochaine à cause notamment des multiples atteintes à l'autorité judiciaire.
Alors là, les conseillers en com' ont bien travaillé.
Le congrès de l'USM (première organisation syndicale des magistrats, qui revendique 2000 adhérents et près de 65% des voix aux élection professionnelles), auquel tous les Gardes des Sceaux se sont rendus depuis des décennies, devient "une réunion de 90 magistrats à Clermont-Ferrand". Et elle, elle a préféré aller sur le terrain qu'assister à une réunion dans une cabine téléphonique. On voudrait juste savoir sur quel terrain elle était le 10 octobre dans l'après midi.
On évoque une certaine brutalité ? Elle répond exigence.
La carte judiciaire ? Ce sont les magistrats eux mêmes qui l'ont proposée. Traduction : des commissions alibi ont été réunies en urgence pendant l'été pour faire semblant de consulter alors que le projet était prêt depuis longtemps.
Le Procureur de Boulogne sur Mer a obtenu une mutation qu'il sollicitait depuis plusieurs années après un avis de non lieu à sanction rendu par le CSM ? En langue ministérielle ça se dit : "J'ai pris mes responsabilités, j'ai demandé au magistrat de quitter ses fonctions".
Sans parler du message subliminal qui suit : pour le Juge Burgaud, s'il n'y a rien, ça ne sera pas ma faute mais celle du CSM.

A la fin, j'ai fatigué. A 22 heures, j'ai éteint.
Pas envie de me taper Tapie en prime.

Le Bilan

Sur 1h10 d'émission, plus de 20 minutes sur "sa vie-son oeuvre-ses origines".
Des mots clés : victimes, mutirécidivistes, terrain, criminels.
Des mots absents (notamment dans la bouche d'Arlette Chabot) : budget, rapport de la CEPEJ, respect de l'autorité judiciaire.
Une empoignade avec Elisabeth Guigou sur le thème "mes chiffres sont meilleurs que les tiens et toi aussi t'en as bavé".
Un nom : Nicolas Sarkozy.

Moi j'aime bien la télé de service public.

dimanche 12 octobre 2008

Le dégoût

Par Dadouche



Attention ! Que ceux qui considèrent les magistrats comme d'indécrottables corporatistes impunis à qui on devrait infliger au centuple les avanies qu'ils font quotidiennement subir aux honnêtes citoyens par leur incompétence s'éloignent immédiatement de leurs écrans et cliquent sur un autre site, sous peine de d'étrangler de rage en hurlant « et ça continue, ils n'ont rien compris, vivement des comités de salut public et des centres de rééducation pour les robes noires à épitoge simarres ».
Qu'ils aillent plutôt se défouler sur le site du Figaro, dont les colonnes consacrées à l'actualité judiciaire semblent ne plus servir qu'à discréditer chaque jour un peu plus l'institution judiciaire et ceux qui la servent (voir par exemple ici et .)

Lire la suite...

jeudi 9 octobre 2008

De quelques idées reçues sur le prétendu laxisme des magistrats

Par Gascogne


Le syndicat de policier "Synergie Officiers" nous a déjà habitué à des déclarations fracassantes à l'égard des magistrats (un petit exemple sur les JLD dans le contentieux des étrangers, ou encore récemment sur une remise en liberté contestée par les policiers). La nouvelle sortie de ce syndicat dans la presse n'étonne pas vraiment le monde judiciaire. Par contre, elle agace prodigieusement.

Quelques éléments doivent être rappelés à nos amis policiers de ce si sympathique syndicat.

Le premier, et pas des moindres, est que la critique publique d'une décision de justice est un délit puni tout de même de 6 mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende (art. 434-25 du Code Pénal). Dés lors, avant de donner des leçons aux magistrats sur la manière de faire respecter la loi aux sauvageons des banlieues, un respect de la loi par ces mêmes syndicalistes serait-il de nature à démontrer que ce n'est pas deux poids et deux mesures : la loi dans toute sa rigueur pour les délinquants d'habitude, le laxisme le plus extrême pour les policiers qui s'expriment.

Le second concerne la notion même de sanction. Une peine d'emprisonnement ferme avec mandat de dépôt à l'audience n'est pas le seul et unique moyen de sanctionner un comportement. Il suffit de se plonger quelque peu dans le Code Pénal pour se rendre compte que le législateur a entendu privilégier diverses sanctions pénales, dont certaines dites "alternatives" à l'enfermement, pour ne laisser la peine de prison, qui plus est à "exécution immédiate" qu'en dernier ressort. Dés lors, affirmer que le sentiment d'impunité résulte du fait que les juges laxistes ne prononcent pas assez de mandats de dépôt à l'audience est d'un simplisme démagogique à toute épreuve. Beccaria doit s'en retourner dans sa tombe.

Ensuite, concernant le choix des procédures ("certaines personnes ne sont même pas déférées !"), l'action publique appartient encore aux procureurs. Je sais bien que cela énerve certains officiers et commissaires de police (l'ex syndicat majoritaire des commissaires, le SCHPNF, alias le Schtroumpf tant ce sigle est imprononçable, avait en son temps proposé que l'action publique relève au moins en partie des commissaires de police), mais cette réforme n'est pas encore à l'ordre du jour. Que les personnels de police les plus critiques passent le concours de la magistrature, et nous pourront discuter de l'opportunité d'une politique pénale.

Mais ce n'est pas tant la critique en soi qui agace le plus. Ce ne serait que saine participation démocratique si les syndicalistes de "Synergie Officiers" balayaient un peu devant leur porte. Car ils oublient tout de même de préciser que dans un certain nombre de cas, s'il n'y a pas de défèrement, c'est que la gestion policière du dossier a laissé à désirer : garde à vue nulle (rarement une semaine à la permanence téléphonique du parquet sans une levée de garde à vue pour nullité substantielle), compte rendu peu clair, actes d'enquête non effectués...Ce même syndicat (du moins me semble-t-il) avait en son temps proposé qu'un "observatoire des bavures judiciaires" soit mis en place. Le parallélisme des formes pourrait imposer que les magistrats se mettent à publier toutes les nullités de procédure faites par la police.

Faire incarcérer une personne, et aller devant une juridiction de jugement alors même que la procédure est bancale pourrait certes permettre aux enquêteurs de penser que le parquet "les soutient" (encore que je n'ai pas vu dans la loi où il était inscrit qu'il s'agissait là d'une des fonctions du parquet), mais ne serait pas digne du fonctionnement d'une justice démocratique. Les procureurs ne sont pas notés aux "crânes".

Que l'on ne se trompe pas sur mon agacement : après pas mal d'années passées dans diverses fonctions pénales, je sais parfaitement bien que la majorité des policiers fait très bien ce pour quoi elle est payée, à savoir interpeller les auteurs d'infractions pénales et procéder les concernant à une enquête en bonne et due forme.

Cela représente pour les policiers une masse de travail considérable. Pour les magistrats également. Raison pour laquelle les poursuites et les décisions qui sont prises par la suite, tant par les magistrats du parquet que par ceux du siège, méritent bien mieux que les approximations démagogiques de quelques excités pour lesquels la frustration le dispute à l'incompétence.

mardi 7 octobre 2008

Les mathématiques de l'insécurité

Par Fantômette


Le 24 juin dernier, le Figaro titrait glorieusement sur le palmarès de la violence, "ville par ville".

"Où court-on le plus de risques de se faire agresser ? Quelles sont les communes les plus sûres ?" Tendez-vous déjà la main vers votre tube de lexomil ?

Le Figaro poursuit inexorablement : "D’après les chiffres incontestables de la PJ".

Nous y voilà. Les chiffres. Incontestables. Forcément.

Qu’un chiffre soit incontestable, cela pourrait déjà se discuter. Que son interprétation le soit, cela ne se discute même plus.

Alors dans le but de faire de vous, chers lecteurs, des lecteurs avertis qui en vaudront plusieurs, quelques complexités à garder à l’esprit toutes les fois où l’on vous parlera des "chiffres de la délinquance" et plus particulièrement des "chiffres incontestables".

Qu'est-ce que l'on compte ?

Pour commencer, de quoi parle t’on exactement ? Qu’est-ce que l’on compte ? Le nombre d’infractions dites-vous ? Ce n’est pas si simple.

Pour mieux comprendre, imaginez une série de cercles concentriques, qui dessinent une cible.

Le cercle extérieur, le plus large, représente le fameux "chiffre noir du crime". Si l’on admet que ce chiffre représente l’ensemble de toutes les infractions commises, sur une période donnée et sur un territoire donné, il augmente lorsque vous vous garez sans mettre d’argent dans l’horodateur. Lorsque vous resquillez en prenant le métro. Lorsque vous trouvez un billet de dix euros par terre, et que vous l’empochez[1].

Ce chiffre noir est inconnu et risque fort de le rester. Combien d’infractions sont-elles réellement commises par an en France ? On ne le sait pas.

Mesurer l'activité policière

Le second cercle, plus petit, correspond quant à lui à des données plus quantifiables. Il ne répond pas à la question de savoir combien d’infractions ont été commises, mais plutôt de savoir combien d’infractions ont été signalées ou constatées.

Ah, me direz-vous, il s’agit du nombre de plaintes. Celles-ci, du moins, peut-on les compter. C’est exact. Les dénonciations, également. Ceci dit, de nombreuses infractions ne feront pas l’objet de plainte. Il existe des infractions sans victime, au sens juridique du terme : la consommation de substances illicites, la conduite sans permis, le défaut d'assurance... Celles-ci seront découvertes sur la seule initiative de la police.

Nous pouvons donc, direz-vous, compter le nombre d’infractions dont la police et la gendarmerie auront eu connaissance, que ce soit par le biais d’un dépôt de plainte, ou par ses propres activités d’investigation.

D’accord. Cela nous donnera un chiffre donné.

Remarquez que ce chiffre nous donnera donc, non pas une image de la criminalité en tant que telle, mais bien plutôt une image de l’activité répressive de la police et de la gendarmerie. Et si les deux ne sont pas sans lien, sans doute faut-il se garder d’y voir un lien trop étroit.

Qu’un commissaire dynamique sache donner à ses troupes un peu de cœur à l’ouvrage, les envoie dans les quartiers sensibles, et stimule leur motivation : voilà "les chiffres incontestables de la délinquance" qui montent. Cela révèle t-il pour autant une hausse de la délinquance ? Pas nécessairement. En fait, toutes choses étant égales par ailleurs, si l’on remplace un commissaire un peu dépassé par un commissaire extrêmement efficace, on peut même imaginer que la délinquance va baisser dans son secteur (quitte à passer dans le secteur voisin). Pourtant, en faisant son travail très efficacement, il fait augmenter les chiffres de la délinquance, et créera, selon toute probabilité, du sentiment d’insécurité.

Qu’un gouvernement, soudainement soucieux d’offrir un meilleur accueil aux usagers du service public de la police, crée de nouvelles structures pour recueillir des plaintes, dans de meilleures conditions, et y forme ses agents, voilà les "chiffres incontestables" de la délinquance qui montent.

Que des campagnes soient lancées pour inciter les victimes de tel ou tel type d'infractions à porter plus systématiquement plainte, et les "chiffres incontestables", infatigablement, reprennent leur ascension.

Faut-il en déduire quoi que ce soit relativement au chiffre noir ? Augmente t-il ? Peut-être. Mais rien ne le prouve. Il pourrait aussi bien baisser. Les "chiffres incontestables" n’en augmenteraient pas moins.

Mesurer l'activité des juridictions

A l’intérieur de ce second cercle, le troisième cercle représente une autre catégorie de chiffres, qui nous informent sur l'activité des juridictions. Il pourra s'agir de compter le nombre de condamnations prononcées sur une période donnée, ou encore, plus généralement, le nombre de réponses pénales apportées, l'expression englobant aussi bien les condamnations classiquement prononcées par les tribunaux de police, tribunaux correctionnels et cours d'assises, que les réponses apportées par le biais des procédures alternatives au procès[2].

Ce chiffre-là est inférieur au précédent[3].

En effet, pour commencer, une plainte transmise au parquet ne fera pas systématiquement l’objet d’un jugement, faute, par exemple, d’avoir identifié l’auteur de l’infraction. L’infraction peut également avoir été mal caractérisée, ou bien, si un fauteur de trouble a dûment été dénoncé, le parquet peut estimer que les charges pesant contre lui sont insuffisantes[4]

La plainte pourra ainsi faire l’objet d’un classement sans suite, faculté ouverte au ministère public par l’article 40 du code de procédure pénale.

Imaginons une circulaire émise à l’intention du Parquet, sollicitant les procureurs de poursuivre avec fermeté tel ou tel type d’infraction, de ne pas les classer sans suite, de les orienter de préférence vers les tribunaux et non les voies alternatives, et voilà le chiffre incontestable de la délinquance, aimablement fourni par les juridictions pénales, qui augmente.

Toute instruction de ce type, qui ira dans le sens d’une poursuite plus systématique, d’une "réponse pénale" plus systématique, fera évidemment augmenter les mesures de l’activité judiciaire pénale[5]

Mais qu'est ce que cela signifie, au regard du "chiffre noir" de la délinquance ? Augmente t-il ? Diminue t-il ? Qui peut le dire ?

Un disciple optimiste du grand Beccaria serait en droit de voir dans l'augmentation du nombre de poursuites engagées et menées à terme, une raison de supposer que l'on prévient dans le même temps une délinquance potentielle, par le mécanisme dit de prévention générale. Plus la répression est active et visible, plus elle dissuade. C'est fort possible. Cela signifierait alors que plus les tribunaux poursuivent, et plus l'on a des raisons de supposer que le chiffre noir diminue.

Ce n'est pourtant pas souvent l'impression que le public retirera de l'idée que "les chiffres incontestables" de la délinquance augmentent.

Mesurer l'activité de l'administration pénitentiaire

Dernier cercle, et dernier chiffre, qui contribue probablement à créer du sentiment d'insécurité : celui qui concerne la population carcérale.

Le nombre de détenus augmente. Qu'est-ce que cela signifie ?

Il y a toujours deux explications possibles à l'accroissement ou à la diminution d'une population donnée. Elle s'accroit si le nombre de naissances augmente, et si le nombre de décès diminue. Inversement, lorsque le nombre de naissances diminue, ou lorsque le nombre de décès augmente, la population décroit. Il en va de même de la population carcérale. Remplacez seulement la naissance par l'incarcération, et le décès par la sortie de prison.

Deux origines possibles, donc, évidemment non exclusives l'une de l'autre, à l'augmentation sensible de la population carcérale. Plus de personnes qui entrent. Mais aussi, moins de personnes qui sortent. Ajoutez à cela une politique pénale qui tend à prononcer des peines plus longues d'incarcération, et vous disposez là d'une explication qui pourrait suffire à expliquer le phénomène de surpopulation carcérale, sans qu'il soit besoin d'extrapoler sur les variations supposées d'un chiffre noir, plus que jamais obscur et mystérieux.

Et destiné à le rester.

Notes

[1] Oui, c'est un vol.

[2] Passage devant le délégué du procureur, médiation pénale, composition pénale, notamment

[3] Je laisse de côté les affaires dans lesquelles les plaignants saisissent directement les juridictions pénales par le biais notamment des citations directes, relativement bien moins nombreuses.

[4] Ainsi, en 2005, sur près de 4.900.000 infractions traitées, 8,4% d'entre elles ont été classées sans suite pour motif juridique, ce qui recouvre notamment des hypothèses où l'infraction est inexistante ou n'est pas caractérisée. Un peu plus de 60% sont classées pour défaut d'élucidation. 22% d'entre les infractions restantes, dites poursuivables, seront classées sans suite pour un motif d'opportunité (le plaignant a pu se désister de sa plainte, être désinteressé spontanément. L'infraction peut être de très faible gravité, le préjudice inexistant...) Source : Annuaire statistique de la Justice 2007.

[5] Entre 2001 et 2005, le nombre de classements sans suite opéré par le parquet est passé de 434.475 à 323.594, faisant passer le taux de classement sans suite des affaires poursuivables de 32,7% à 22,1%. Il est intéressant de noter que cette diminution a notamment concernée les affaires classées sans suite pour le motif du peu d'importance du préjudice causé ou du trouble à l'ordre public. Source : Annuaire statistique de la Justice 2007.

lundi 29 septembre 2008

Ca va bien, oui, mais ailleurs...

Par Gascogne


Mme le Garde des Sceaux (que dix mille robes Dior lui soient octroyées) a décidemment une conception très spéciale de la justice : elle convoque les procureurs généraux comme de vulgaires préfets de justice pour leur remonter les bretelles pour des décisions qu'ils ne prennent pas, elle veut baillonner toute velléité de liberté de parole tant chez les magistrats que chez les avocats, elle souhaite pouvoir choisir qui doit distribuer la bonne parole aux pioupious de l'école, elle s'étonne des lois qui fonctionnent bien mais qui ne fonctionnent pas bien, tout bien réfléchi, tout comme d'ailleurs elle demande qu'appel soit formé sur une excellente décision protectrice des victimes.

A bien l'entendre, on comprend mieux pourquoi elle réagit ainsi : dans une interviouve donnée à la télévision israélienne lors de son récent voyage (en Français, comme quoi il est effectivement normal que les chargés de formation de l'Ecole maîtrisent la langue de Shakespeare, la formation en 1997 étant visiblement défaillante), elle compare à trois reprises en moins d'une minute (à 10'30 environ) les systèmes judiciaires israéliens et français, pour constater les différences, puisqu'en Israël, les juges et les procureurs sont indépendants, et la cour suprême est indépendante (il suffit de voir sa jurisprudence, paraît-il). Si, si, cela paraît extrêmement étonnant, mais c'est comme cela.

Que le bon peuple dorme tranquille, ici, tout est sous contrôle.

Allez, je m'en retourne à mon train train, je prépare la citation directe de Me Eolas pour outrage à la Dame (que dix mille angelots accompagnent ses pas).

mardi 23 septembre 2008

Combien ça vaut ?

Par Dadouche



« A la majorité de 8 voix au moins, la Cour et le jury réunis condamnent X à la peine de.... ».
Cette formule quasi rituelle annonce la réponse à la question que se posent (peut-être pas en ces termes, mais dans l'esprit) tous ceux qui participent à une décision pénale : combien ça vaut ?
Elle est ici formulée crûment, elle résonne comme un réflexe d'épicier, elle paraît faire litière de toute la complexité d'une affaire criminelle et d'un procès d'assises, et pourtant on ne peut mieux le résumer.
Combien vaut une vie humaine ? Certaines ont-elles plus de valeur que d'autres ? Le passé d'un homme peut-il excuser un crime ou en atténuer les justes conséquences ? Doit-on souffrir à la hauteur des souffrances que l'on a infligées ? Pourquoi 10 ans plutôt que 15 ? 1 plutôt que 12 ? perpétuité plutôt que 5 dont une partie avec sursis ? La personnalité de l'accusé doit-elle prendre le pas sur la gravité intrinsèque des faits ? Ou l'inverse ?
Est-ce qu'un meurtre « vaut » plus qu'un viol ? Est-ce que la mort de la victime « vaut » plus qu'une tentative ? est-ce que quinze braquages, "ça vaut" plus que douze ? Et combien d'années par braquage ? Est-ce qu'il y a un barême, une échelle absolue des valeurs ?

Le remarquable article de Pascal Robert-Diard a suscité parmi les commentateurs des interrogations, des assertions, et quelques divagations sur les peines prononcées par les cours d'assises.

On retrouve en vrac les questions ou affirmations suivantes :
- pourquoi 12 ans, alors qu'un meurtre c'est 30 ans ?
- depuis un bon nombre d'années les cours d'assises, lorsqu'il y a un doute, au lieu d'acquitter, condamnent à demi: 7 ans, 10 ans pour un meurtre...
- en cas de doutes graves et sérieux, on acquitte, en cas de doutes légers, on condamne à demi-peine, en cas d'absence totale de doute, on condamne lourdement.
- pour un même meurtre (tuer quelqu'un d'une balle de coup de fusil dans la cervelle, après une dispute), on peut recevoir huit, douze ou trente ans, en fonction"de la personnalité de l'auteur et des circonstances des faits",il devient difficile de prévoir. On a l'impression que le jugement se fait "à la tête du client".

Signalons d'abord qu'Eolas et Anaclet de Paxatagore (message personnel : Paxa ! Reviens !) avaient, dans un temps que seuls des lecteurs ante jugement de Lille peuvent connaître, consacré un fort intéressant billet à quatre mains sur le juge et la peine, dans lequel ils rappelaient (notamment) que la peine résulte à la fois de la gravité intrinsèque des faits et du parcours du délinquant.

J'avais moi même tenté dans un billet-fiction de retracer dans les grandes lignes comment une cour d'assises peut, dans son délibéré, déterminer une peine.

Le documentaire Cour d'assises : crimes et châtiments diffusé par France 3 ce soir, qui suscitera lui aussi j'en suis sûre de nombreux commentaires, donne à voir trois crimes, trois criminels [1], trois peines.

Tous encouraient la réclusion criminelle à perpétuité.

Jeannot R. est condamné pour tentative d'assassinat sur son épouse, séquestration et violences avec arme contre les gendarmes à 10 ans de réclusion (15 ans requis)
David A. est condamné pour le meurtre de son père à 5 ans d'emprisonnement dont 3 ans et demi assortis d'un sursis avec mise à l'épreuve (6 ans requis)
Benjamin C. est condamné pour meurtre aggravé à 30 ans de réclusion (perpétuité requise).

A titre liminaire, rappelons que si on se pose cette question, c'est que l'on considère la culpabilité acquise. Dans un délibéré, on n'aborde la question de la peine qu'une fois que l'on s'est prononcé sur la culpabilité.
Chaque intervenant dans un procès pénal a sa réponse sur ce que "ça vaut", en fonction des intérêts qu'il représente.

Le premier à se poser la question du « combien ça vaut », c'est le législateur.
C'est lui qui fixe dans le code pénal la peine maximale qui peut être prononcée par une juridiction pénale pour une infraction donnée.
Ici, qu'il s'agisse de la tentative d'assassinat, du meurtre d'un ascendant ou du meurtre avec torture et acte de barbarie, le législateur a décidé que « ça vaut » le plus en prévoyant la réclusion criminelle à perpétuité.
C'est la fonction dissuasive de la peine : on espère effrayer les criminels en puissance en leur promettant un dur châtiment s'ils contreviennent aux lois de la société.

C'est ensuite à l'avocat général de résoudre l'équation impossible : dans cette affaire précise, pour cet accusé, quelle est la peine qui garantira au mieux les intérêts de tous et notamment ceux de la société.
C'est à lui qu'est revenu, dans les trois affaires montrées dans le documentaire, la tâche de rappeler que c'est à la vie humaine qu'on a attenté.
Même si c'est la vie d'un tyran domestique, qui a battu sa femme et ses enfants impunément pendant des décennies à coups de « Mirza ».

Des réquisitions particulièrement clémentes, s'agissant d'une victime haïssable, ne risqueraient-elles pas de sous-entendre qu'il y a des vies qui ne méritent pas d'être protégées ? A quelle durée d'emprisonnement évalue-t-on la vie humaine ?
L'avocat général doit aussi s'interroger sur l'avenir : la société doit-elle être protégée durablement du criminel ? S'agissant de Benjamin C., c'est clairement une peine d'élimination qui a été requise contre un jeune homme qui présente une personnalité dangereuse. S'agissant de Jeannot R., plus tout jeune, peut-être bien aussi.
Le rôle de l'avocat général est cependant plus complexe que cela et ne se limite pas à la défense des intérêts de la société. Mais il est certainement celui qui les a le plus à l'esprit.

Les avocats tentent également de répondre à cette question, que ce soit en défense de l'accusé ou au soutien des intérêts de la partie civile.
La partie civile ne requiert pas de peine. Elle fait cependant souvent savoir quel degré de sévérité elle attend de la cour. Il arrive, dans des drames familiaux, que l'avocat plaide une relative clémence, pour sauvegarder les intérêts et l'avenir commun de tous.
Il arrive, plus souvent, qu'il souligne l'horreur du crime et s'attache à rappeler à la cour et aux jurés que la peine a une fonction rétributive et doit être une sanction à la hauteur des souffrances infligées. Et c'est ce que fait l'avocat de la famille de la victime de Benjamin C.
L'avocat de l'accusé doit quant à lui (quand il plaide la peine et non l'acquittement) mettre en perspective les faits commis par son client avec l'histoire personnelle de celui-ci. Non seulement son passé, qui peut comporter des éléments d'explication du passage à l'acte, mais aussi son avenir, qui dépendra étroitement de la décision. Les « paliers » se situent souvent à des durées symboliques : celle qui implique un retour en prison, celle qui prive d'un espoir de réinsertion sociale rapide, celle qui élimine durablement voire définitivement.

Enfin, c'est à la Cour et aux jurés d'apporter la réponse, singulière à chaque affaire, à cette question lancinante : « combien ça vaut  ?».
Ils doivent avoir à l'esprit les intérêts de tous et ne trahir ni ceux de l'accusé, ni ceux de la victime, ni ceux de la société. La quadrature du cercle quoi.
Chaque jury d'une même session est unique. Chaque session d'assises comporte un panel différent de jurés potentiels. Chaque semaine de la session (voire chaque affaire) voit siéger des assesseurs différents. Chaque cour d'assises a son président. Et chacun a son idée sur ce que « ça vaut ».

Il n'y a aucune réponse absolue. C'est vertigineux. Mais c'est bien comme ça.

Parce que chaque affaire est unique. Chaque criminel est singulier. Chaque plaidoirie ou réquisitoire porte différemment.

Bien sûr, les magistrats professionnels, qui siègent régulièrement aux « assiettes » ont en tête des points de référence. Chacun se souvient que, pour des faits « du même genre » la cour avait prononcé telle peine. Mais pourquoi « ça vaut » 10 ans plutôt que 5 ? Pourquoi 15 plutôt que 12 ?

Parce que c'était lui, parce que c'était eux. Parce que c'était cette audience, cet accusé, ce jury, cet avocat, parfois cette actualité.

S'il n'y a en fait aucune réponse in abstracto à ce "combien ça vaut", on peut néanmoins apporter des éléments aux interrogations rappelées plus haut :

- pourquoi 12 ans, alors qu'un meurtre c'est 30 ans ?

Parce que la peine est individualisée en fonction non seulement des circonstances de fait mais aussi de la personnalité de l'auteur (et parfois de la victime), de son âge, de ses perspectives de réinsertion. Qui imaginerait condamner Jeannot R. ou David A. à la perpétuité qu'ils encouraient ?

Il ne faut pas non plus se leurrer. Comme le souligne Florence Aubenas dans le documentaire, certains sont plus égaux que d'autres devant la justice.
Ceux qui parviennent à verbaliser, ceux qui présentent bien, ceux qui ont un avocat expérimenté et parviennent à s'en remettre à lui, ceux qui ont fait leur paix avec eux-mêmes, ceux qui expriment des regrets, pour tous ceux là, "ça vaut" moins que pour ceux qui dissimulent leur peur derrière une apparente arrogance, ceux qui ne trouvent pas les mots qu'il faut ou qu'on attend d'eux, ceux qui ne peuvent eux mêmes croire à ce qu'ils ont fait et nient des évidences, ou ceux qui n'ont (et souvent à tort) pas confiance dans leur avocat commis d'office et à l'aide juridictionnelle parce que "si c'est gratuit c'est que c'est moins bien".
C'est aussi le rôle des magistrats professionnels, qui voient défiler toute l'année en correctionnelle, en surendettement ou encore en assistance éducative les petits cousins de ces accusés difficiles, de désamorcer l'impression laissée aux jurés.
C'est parfois difficile...

-depuis un bon nombre d'années les cours d'assises, lorsqu'il y a un doute, au lieu d'acquitter, condamnent à demi: 7 ans, 10 ans pour un meurtre...

Cette affirmation ne repose sur rien.
Je ne dis pas qu'il n'arrive jamais qu'un juré vote la culpabilité alors qu'il n'a pas d'intime conviction, parce qu'il voit que c'est l'opinion générale. C'est regrettable, c'est trahir son serment, mais c'est humain. Comme il est humain, trois jours après le délibéré, de se réveiller en sueur en se demandant si on n'a pas fait une erreur.
En revanche, les mécanismes de vote et de majorité me paraissent limiter considérablement le risque de décisions de culpabilité malgré un doute réel.
Une peine de 7 ou 10 ans d'emprisonnement pour un meurtre n'a en soi aucune signification à cet égard. Sauf peut-être que le cours de la vie humaine a baissé, tandis que celui de l'innocence abusée a grimpé en flèche, si l'on en croit les peines régulièrement supérieures à 10 ans de réclusion prononcées pour des viols sur mineurs.
Par ailleurs, il faut se rappeler que la culpabilité n'est pas nécessairement votée à l'unanimité (elle doit recueillir 8 voix sur douze) [Et dix sur quinze en appel - NdEolas]. Quoi de plus normal que les jurés ou magistrats qui ont pu voter "non" à cette première question s'attachent, dans la suite du délibéré, à faire descendre autant qu'ils le peuvent la peine finalement prononcée ?

- en cas de doutes graves et sérieux, on acquitte, en cas de doutes légers, on condamne à demi-peine, en cas d'absence totale de doute, on condamne lourdement.
Il me semble que le documentaire de France 3 apporte un démenti éclatant à cette affirmation si étayée...

- pour un même meurtre (tuer quelqu'un d'une balle de coup de fusil dans la cervelle, après une dispute), on peut recevoir huit, douze ou trente ans, en fonction"de la personnalité de l'auteur et des circonstances des faits",il devient difficile de prévoir. On a l'impression que le jugement se fait "a la tête du client".

C'est exactement ça, à ce léger détail près qu'aucun meurtre n'est jamais le même, dans ses ressorts ou dans ses protagonistes.
Et pourtant, beaucoup de greffiers d'assises peuvent prédire, avec une marge d'erreur infime, à la fin des débats, la peine qui sera finalement prononcée.

On ne sait sans doute toujours pas "combien ça vaut", mais j'espère qu'on comprend un peu mieux comment on calcule.

Notes

[1] dans la dernière affaire, je ne mentionnerai que Benjamin C., seul majeur des deux criminels et ne pouvant donc prétendre à une atténuation de la peine en vertu de l'excuse de minorité

vendredi 19 septembre 2008

Parquet flottant

Par Gascogne


Par un arrêt non encore publié en date du 18 septembre 2008, la chambre criminelle de la Cour de Cassation vient de porter un nouveau coup aux dispositions nationales régissant la vie de nos parquets.

Au départ de cette bien sombre histoire est une disposition législative que le monde entier nous envie mais dont il faut bien reconnaître qu'elle est assez spécifique. Trop, même. Il s'agit de l'article 505 du Code de Procédure Pénale. Selon ce texte, le procureur général près la cour d'appel (le sous-chef des parquetiers) dispose d'un délai d'appel de deux mois en matière correctionnelle. Jusque là, rien de bien transcendant. La spécificité de ce texte réside dans le fait que le condamné moyen, tout comme d'ailleurs le procureur de la République près le tribunal de grande instance (le sous-sous-chef), ne disposent quant à eux que d'un délai de 10 jours pour faire appel de ces décisions (art. 498 du même Code).

Ces dispositions signifient donc en pratique que si le procureur de Tataouine les Oies, pris la tête sous les piles, a laissé passer le délai d'appel d'un dossier (dix jours, c'est court), il pouvait toujours aller faire repentance tête basse (le poids des piles) auprès de son chef adoré pour lui demander de faire appel. Après sévère remontrance et humiliation publique, l'erreur était ainsi corrigée.

Le problème est que la personne poursuivie ne pouvait se retourner vers personne. Si elle laissait passer son délai d'appel, il était trop tard. La décision était exécutoire. Elle pouvait certes écrire un petit courrier au procureur général, mais on imagine assez bien l'empressement de celui-ci pour faire appel d'une décision qu'il trouvait bonne, puisque condamnant lourdement l'insolent innocent.

Cette différence des appels n'est pas neutre : en effet, lorsque seul le condamné fait appel, ce que l'on nomme un appel principal, la cour ne pourra pas aller au delà de ce que le tribunal a prononcé. Par contre, si le procureur fait appel, la cour retrouve la possibilité de se prononcer dans le cadre du maximum fixé par la loi. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les procureurs font systématiquement ce que l'on nomme un appel incident lorsque le condamné ose contester la première décision.

La Cour Européenne des Droits de l'Homme (cette instance castratrice des parquets, comme déjà signalé) a condamné la France sur cette base en estimant que l'article 6 de la convention, qui traite notamment de l'égalité des armes entre les parties, était violé (malgré de savantes recherches, je n'ai pas retrouvé l'arrêt en question : si quelqu'un peut mettre un lien en commentaire, je lui en serai éternellement reconnaissant et débiteur). La Cour de Cassation vient de lui emboîter le pas en estimant qu'il convenait désormais que les cours d'appel considèrent les appels du procureur général intervenant plus de dix jours après la décision contestée comme irrecevables. C'est une application pure et simple de la suprématie de la norme européenne sur la loi française, puisque l'article 505 du CPP n'est en rien abrogé.

Il semblerait que les délices de la distinction entre décision exécutoire (après dix jours) et décision définitive (après deux mois) soient en passe de ne plus être enseignés à l'ENM...

Encore un sujet pour le 13 heures de TF1 sur la disparition de nos spécificités nationales...

jeudi 28 août 2008

And the Winner is ?

Par Gascogne


Dans un arrêt en date du 10 juillet 2008, la Cour Européenne des Droits de l'Homme vient à nouveau de condamner la France pour violation de l'article 5 § 1 de la convention.

L'affaire soumise à la sagesse de cette Haute Assemblée est une procédure assez rare ayant donné lieu à retentissement médiatique certain : il s'agissait de l'arraisonnement au large des îles Canaries du bateau nommé "Winner", battant pavillon cambodgien, et dans lequel une quantité moins que négligeable de stupéfiants avait été retrouvée. Suite à l'intervention des forces militaires françaises, après accord du gouvernement cambodgien, le bateau avait été détourné sur Brest. Une information judiciaire était finalement ouverte, et plusieurs membres de l'équipage ont au final été condamnés par la Cour d'Assises spéciale (i.e. composée uniquement de magistrats professionnels) de Loire Atlantique a des peines très lourdes.

Les requérants ont soulevé deux points précis : ils ont été gardés treize jours en mer hors de tout cadre légal avant d'être placés en garde à vue à Brest, et en outre n'ont pas été présentés dans les meilleurs délai à un magistrat. Le premier argument (le deuxième, en fait, dans l'ordre de l'arrêt), est écarté par la Cour, qui précise qu'il est normal de tenir compte du temps de trajet entre l'arraisonnement et l'arrivée au port, alors même que le gouvernement cambodgien avait donné son aval à l'abordage. On ne peut qu'être d'accord avec la Cour, sauf à considérer qu'un héliportage de procureur à bord du bateau est envisageable, comme cela a pu se faire dans d'autres circonstances.

C'est la condamnation sur la base du deuxième argument qui a provoqué un certain remous dans la magistrature française : la Cour Européenne des Droits de l'Homme affirme en effet tout simplement que les magistrats du parquet français, les "procureurs"...ne sont pas membres de l'autorité judiciaire. Rien de moins.

Beaucoup de collègues y ont vu la porte ouverte à une réforme de plus, dont on parle depuis quelques temps, à savoir la séparation du siège et du parquet. Etant pourtant particulièrement opposé à cette séparation, je ne suis pas loin de penser que cet arrêt est au contraire plutôt positif.

Les juges de Strasbourg considèrent dans le paragraphe 61 de leur décision que si l'entière procédure d'abordage, d'interpellation puis de placement en garde à vue se déroule bien sous le contrôle du procureur de la République, celui-ci "n'est pas une autorité judiciaire au sens de la jurisprudence de la Cour (...) : il lui manque en particulier l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié."

C'est une gifle bien pire que celle qu'un élève peut recevoir de son professeur après insulte. Et le pouvoir politique pourrait bien voir là une occasion en or de revenir sur sa marotte du moment.

Je suis personnellement opposé à cette séparation : le magistrat du parquet reste en France, de part son statut, un magistrat. Cela signifie qu'il est constitutionnellement garant des libertés individuelles (art. 66 de la constitution), tout comme son collègue du siège. Si une garde à vue est illégale, il est de son devoir d'en ordonner la levée. Si une procédure est nulle, il doit le relever à l'audience. Si les éléments ne sont pas suffisants dans un dossier, il doit requérir le non lieu devant le juge d'instruction, la relaxe ou l'acquittement devant la juridiction de jugement, quelle que soit l'opinion personnelle qu'il a pu se forger sur la personne mise en cause.

Retirez le statut de magistrat aux membres du parquet, et vous vous retrouverez avec des préfets de justice, soumis comme les autres à la pression des chiffres. Après les instructions vers les commissaires de police pour enregistrer tant de gardes à vue par mois, et celles vers les préfets pour obtenir tant d'expulsions, des instructions pour obtenir tant de condamnations mensuelles ne tarderaient plus à venir.

Si je suis plutôt en désaccord avec mes collègues pessimistes suite à cet arrêt de la CEDH, c'est que j'ose espérer que l'influence européenne existe sur notre société, et qu'un jour les procureurs bénéficieront enfin de la fin de cette relation quasi-incestueuse entre l'exécutif et le judiciaire. On peut espérer que cet arrêt serve de pression en ce sens, à l'heure où la France préside à la destinée européenne, notamment en matière de justice. Reste à savoir quand le politique sera prêt à se priver de ce moyen bien pratique, de diriger une politique pénale, ce qui n'est pas contestable en soit, mais également de bénéficier d'un véritable bouclier judiciaire qui nous range à égalité avec l'Italie berlusconnienne au rayon des pays où la séparation des pouvoirs n'est pas assurée.

mercredi 20 août 2008

Brice, le faucheur de Tchétchènes

Par Serge Slama, Maître de Conférences en droit public à l’Université Evry-Val-d’Essonne ; code HTML relu et corrigé par OlivierG.


Ambiance musicale :


Vous avez lu l’histoire des visas de sortie de Charlie. Comment il les a fait vivre. Comment ils sont morts, ressuscités puis de nouveau morts.
Ca vous a plus hein. Vous en d’mandez encore.
Et bien. Ecoutez l’histoire…
L’histoire des visas de transit aéroportuaires anti-réfugiésfraudeurs tchétchènes de Brice.
Comment il les a fait vivre.
Comment ils sont morts.
Et surtout comment il les a ressuscités par un prodigieux holdup juridique.
Avec l’aval du polic’man du Palais Royal.

Les Tchétchènes et Somaliens ennuient Brice et son ami Bernard

Alors voilà.
Avec son petit-ami Bernard
Un gars qui, autrefois était honnête, loyal et droit.
Brice avait un ennui.

L’ennui c’est que 474réfugiés fraudeurs tchétchènes ont réussi, à l’occasion d’une escale à l’aéroport de Roissy, à solliciter l’asile à la frontière en décembre 2007.

Cela a obligé Brice à les maintenir, dans des conditions inhumaines, pendant près d’un mois dans des aérogares puis dans un hangar de 1 600 m2 réquisitionné pour l’occasion.

Cela ennuyait Brice car il venait juste de déclarer – sans rire – à Jeune Afrique que s’il y a de moins en moins de demandeurs d’asile sollicitant l’asile en France c’est que la situation du monde s’est s’améliorée.

Qu’est-ce qu’on n’a pas écrit sur lui ? En réalité c’est un doux utopiste.

Mais il faut croire que c’est la société qui l’a abîmé.

Lire la suite...

Dictionnaire judiciaire : compassion

Par Gascogne


Du latin cum patior, "je souffre avec".

Il ne saurait y avoir de bon jugement provenant d'un juge qui souffrirait de ce mal. Tout au plus acceptera-t-on un juge faisant montre d'empathie, phénomène plus neutre, mais pas de compassion.

A ceux qui trouvent le monde judiciaire choquant, cette entrée en matière ne va pas arranger les choses. Et pourtant...La compassion est l'antichambre du jugement de valeur. J'écarte le droit au nom des mes sentiments, et je m'appuie sur la souffrance, de la victime, ou du demandeur, pour lui donner raison, au nom d'un pseudo-soulagement que je lui apporterais, et que je m'autoriserais par là-même. Quitte à violer la loi.

Or, si la sagesse populaire occidentale nous informe que la colère est mauvaise conseillère, particulièrement pour un juge, la sagesse orientale tend à penser que tous les sentiments sont néfastes. Il n'est que de relire le tao të king pour s'en convaincre.

Pourquoi cette incursion philosophico-sentimentale dans le monde judiciaire ?

Parce que je viens d'ouvrir un album photographique. Pas n'importe lequel. Pas l'un de ceux qui pourraient atterrir dans la presse pipole...Pas même dans un magazine comme "le nouveau détective" (enfin, je ne pense pas). Je viens d'ouvrir, et quasiment de refermer aussitôt, l'album photographique des opérations d'autopsie d'un petit garçon de 18 mois. Première photo en pyjama blanc sur une table en inox. Le reste, je vous l'épargne.

Et j'ai un haut-le-coeur, même encore en écrivant ces lignes. J'ai commis l'erreur de laisser mon ordinateur allumé. Il l'est toute la journée, ceci expliquant cela. Et en même temps que mon cerveau se révulsait de ce qu'il voyait, mais que ma raison professionnelle tempérait ce vague à l'âme, ma vision latérale m'indiquait que mon pitchoun de 10 mois me regardait sur l'écran. Aucun poids des mots, mais un certain choc des photos qui m'a fait refermer très vite l'oeuvre photographique gendarmesque.

Je commence à comprendre pourquoi certains collègues préfèrent ne rien mettre dans leur bureau qui leur rappelle leur vie à l'extérieur du tribunal. Moi qui croyait naïvement que c'était pour incarner un peu plus la rigueur de notre mission.

Cela fait-il de moi un mauvais juge ? Je ne le pense pas, du moins si j'arrive à exiler ces sentiments loin de ma gestion du dossier. S'agissant d'une "simple" "recherche des causes de la mort", cela ne devrait pas être trop difficile. Mais s'il s'était agi d'un dossier de meurtre, et que je préparais l'interrogatoire du meurtrier ? Pourrais-je encore instruire à décharge ?

J'ai choisi ce métier pour tout un tas de raisons que je ne comprends pas forcément moi-même. Je me doutais que l'arrivée dans ma vie d'un braillard changerait la donne. Mais pas à ce point là.

dimanche 3 août 2008

Reconstitution (et plus si affinités)

Par Gascogne


La reconstitution est un acte de procédure important, voire incontournable, dans le cadre d'une instruction préparatoire, et même parfois dans le cadre d'enquêtes, préliminaires ou de flagrance. Dans les dossiers criminels autres que les viols (pour des raisons faciles à comprendre), le juge d'instruction convoque le mis en examen, la partie civile (si elle est vivante...) les avocats des parties, avise le procureur qui, le plus souvent, se rend également sur le lieux, et fait refaire aux parties les gestes qui furent les leurs au moment de la commission de l'infraction. L'intérêt de cet acte est de constater in situ si la version des uns et des autres est bien compatible avec la réalité du terrain.

Le problème qui se pose parfois, avec les fonctionnaires de police (les gendarmes sont bien plus conciliants), est de savoir qui doit jouer le rôle des participants, et particulièrement de la victime. On évite en effet en règle générale de remettre la victime face à son agresseur, le côté traumatisant de la chose paraissant évident, sauf à y voir une catharsis psychanalitique que personne n'a encore osée (mais en ces temps de victimologie développée, je m'attends à tout). On prévoit également un remplaçant au cas où le mis en examen ferait sa mauvaise tête (ça ne m'est arrivé qu'une fois, mais j'ai su être conciliant en expliquant au mis en examen qu'en son absence, je ne pourrai que m'en tenir à la version de son co-mis en examen qui le chargeait bien comme il faut...La déontologie des magistrats n'interdit pas la chafouinerie, par moments).

Il y a quelques années, des fonctionnaires de police du nord-est de la France avaient estimé qu'il n'était pas dans leurs attributions de fournir un « acteur » pour procéder à ce genre d'acte. La solutions trouvée par certains collègues de l'instruction était de faire appel à des intermittents du spectacle.

Outre le fait que refuser de donner suite à une réquisition judiciaire n'est rien de moins qu'un délit (cf notamment les articles 60-1 et 60-2 du CPP, ainsi que les articles qui y renvoient concernant l'instruction préparatoire), ce qui ne va pas sans poser problème pour un commissaire de police, faire travailler des acteurs dans le cadre d'un dossier couvert par le secret professionnel pose également question.

Le ministère de la justice semble cependant enclin à favoriser la lutte contre le chômage des intermittents du spectacle. Le cas est certes différent du problème posé par la reconstitution, puisque l'on ne touche plus là le problème du secret professionnel, mais il paraît tout de même suffisamment étonnant pour être signalé.

Dans le cadre d'un appel d'offre en date du 12 juin 2008, l'ENAP, basée à Agen (le site est ici) a proposé un emploi inhabituel pour cette école : elle a recherché un intermittent du spectacle pour jouer le rôle d'un détenu suicidaire et/ou présentant des troubles du comportement dans le cadre de la formation des surveillants pénitentiaires.

Il semblerait que l'on ne se soit pas bousculé au portillon agenais puisque seule une offre a été reçue. Pourtant, à 49 800 € la prestation, j'aurais été partant. Malheureusement, le ministère n'a pas pensé aux magistrats neurasthéniques pour tenir le rôle.

Dommage, ça aurait mis du beurre dans les épinards au moment des départs en vacances...

mardi 29 juillet 2008

Passe-passe (tour de) : (expression populaire) entourloupe d'une illusioniste

Par Dadouche



Certains, pris dans la torpeur estivale, l'ignoraient peut-être : le Conseil Supérieur de la Magistrature, dans sa composition disciplinaire à l'égard des magistrats du parquet, a rendu le 18 juillet un avis selon lequel il n'y a pas lieu à prononcer de sanction contre Gérald Lesigne, Procureur de la République de Boulogne-sur-Mer et avocat général au procès d'Outreau.

L'avis est disponible in extenso grâce à Pascale Robert-Diard.
Pour résumer, le CSM est d'avis que les griefs formulés par le garde des Sceaux à l'encontre de Gérald Lesigne ne sont pas constitutifs de fautes disciplinaires sauf "la présentation péremptoire, parcellaire et réitérée de faits ne rendant pas compte du contenu réel du dossier", qualifiée de "manquement au devoir de rigueur qu'impose l'état de magistrat et tout particulièrement celui de chef de parquet". Cette faute ayant été commise antérieurement à la loi de 2002 qui a amnistié (entre autres) les faits passibles de sanction disciplinaires non contraires à l'honneur, à la probité et aux bonnes moeurs (pas que pour les magistrats, hein, c'est applicable également aux fautes disciplinaires de tout salarié ou fonctionnaire), elle ne peut donner lieu à sanction.

Les articles 58-1 et suivants de l'Ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature traitent de la discipline des magistrats du Parquet.
L'article 65-1 dispose que "Lorsque le garde des sceaux, ministre de la justice, entend prendre une sanction plus grave que celle proposée par la formation compétente du Conseil supérieur, il saisit cette dernière de son projet de décision motivée. Après avoir entendu les observations du magistrat intéressé, cette formation émet alors un nouvel avis qui est versé au dossier du magistrat intéressé. La décision du garde des sceaux, ministre de la justice, est notifiée au magistrat intéressé en la forme administrative. Elle prend effet du jour de cette notification."
En gros, le garde des Sceaux peut prendre une décision de sanction plus grave que celle proposée par le CSM, mais doit d'abord redemander l'avis de celui-ci.[1]

On apprend aujourd'hui, de source bien informée, que : "Le maintien de M. Lesigne dans ses fonctions de procureur à Boulogne-sur-Mer n'est pas une réponse à la hauteur de ces traumatismes. La Garde des sceaux a souhaité qu'il quitte la juridiction de Boulogne-sur-Mer et la cour d'appel de Douai. M. Lesigne quittera donc ses fonctions à la tête du parquet du tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer et la cour d'appel de Douai dans les prochains mois."

C'est là que l'intoxiqué des chaînes d'info en continu s'imagine avoir été enlevé par des extra-terrestres qui lui ont effacé 24 heures de mémoire vive : comment a-t-il pu louper l'annonce d'une demande de nouvel avis au CSM, qui permet juridiquement au garde des Sceaux de prononcer une sanction contre cet avis ?

Et c'est là que l'on s'aperçoit que le garde des Sceaux a sacrifié aux mânes de Jean-Eugène Robert-Houdin, dans un petit tour de passe-passe de communication.

En effet, aucune sanction n'est prononcée contre Gérald Lesigne, qui a lui même sollicité sa mutation pour, selon la rumeur, un poste de substitut général.
Ce qui, dans le communiqué ministériel, devient (roulement de tambour) : "La Garde des sceaux a souhaité qu'il quitte la juridiction de Boulogne-sur-Mer et la cour d'appel de Douai. M. Lesigne quittera donc ses fonctions."

J'ai mon avis sur l'avis du CSM, et je n'entends pas relancer ici le débat sur la responsabilité des magistrats ou le bien-fondé ou non d'une sanction en l'espèce.
Je ne conteste même pas le fait que, sur le fond, il est sans doute préférable que le Procureur de Boulogne-sur-Mer, à ce poste depuis 1996, se dirige vers d'autres contrées
Mais la procédure disciplinaire a été tout bonnement détournée, profitant du souhait (réel et ancien) de Gérald Lesigne de quitter ses fonctions à Boulogne-sur-Mer.
Il n'est pas anodin de noter que, si Gérald Lesigne occupe statutairement un poste du premier grade[2] en tant que Procureur de la République dans cette juridiction (car classé comme tel lorsqu'il y a été nommé), il s'agit de fait d'un poste de responsabilité supérieure que la Chancellerie classifie désormais comme un poste "hors hiérarchie".[3] Gérald Lesigne, qui a occupé des fonctions de chef de parquet dans une juridiction "HH" (comme on dit affectueusement chez nous), sera donc, sous couvert d'une mutation "à égalité", nommé sur un poste en réalité inférieur[4]

Ça a la couleur d'une sanction disciplinaire, la saveur d'une sanction disciplinaire, l'habillage d'une sanction disciplinaire, mais officiellement ça n'est pas une sanction disciplinaire
La différence est de taille : le Conseil d'Etat n'aura aucune occasion de fourrer son nez avisé dans cette histoire.

En résumé : chapeau l'artiste et Welcome to Cabaret.

J'aurais quant à moi préféré que l'illusionniste se fît plutôt dompteuse et assumât pleinement son désir de satisfaire aux attentes des foules en sollicitant un nouvel avis du CSM et en prononçant, le cas échéant, selon la procédure prévue par la Loi, la sanction disciplinaire qui lui semblait adaptée.
Quitte à faire claquer son fouet devant les magistrats estomaqués et à aller, plus courageusement, fourrer sa tête dans la gueule du Conseil d'Etat.

Notes

[1] En chipotant, on pourrait d'ailleurs s'interroger sur la possibilité de prononcer "une sanction plus grave que celle proposée" alors que l'avis ne propose aucune sanction puisqu'il n'y a selon le CSM pas de faute disciplinaire. J'avoue, je n'ai pas eu le temps de chercher de jurisprudence sur ce point et l'ordonnance de 58 ne semble même pas envisager la possibilité que le Garde ait saisi à tort le CSM, puisque son article 65 ne prévoit que le cas d'un "avis sur la sanction que les faits reprochés lui paraissent entraîner" et non le cas où il estime que les faits n'entraînent pas de sanction.

[2] le corps judiciaire est composé de trois grades : second grade, premier grade et hors hiérarchie

[3] La réforme du statut de 2001 ayant modifié la proportion de chaque grade au sein du corps, un certain nombre de postes ont été selon l'expression consacrée "repyramidés" dans le grade supérieur, mais ce surclassement ne s'applique pas automatiquement à celui qui est en poste lorsqu'il est décidé, mais seulement à son successeur.

[4] Je sais, c'est pas très clair, je crois qu'il faut que je m'attèle à un billet sur le grade et la fonction dans la magistrature, en douze tomes reliés pleine peau vu la complexité.

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