Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Actualité du droit

Le droit fait parfois la Une des journaux. Il y a gros à parier qu'il se retrouvera alors ici.

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vendredi 10 mars 2006

Pan ! Sur le bec !

On n'est jamais mieux poignardé que par ses associés. Ceteris Paribus sous couvert de me passer séné et rhubarbe, m'offre en fait la cigüe à la suite de mon billet précédent.

Son analyse précise certains points et relève des erreurs factuelles qui démontrent que pénaliste et constitutionnaliste sont deux spécialités différentes.

J'ai donc signalé dans le billet d'origine les points erronés et vous en propose une synthèse ici qui ne saurait vous dispenser d'aller lire le billet original.

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jeudi 9 mars 2006

Le DADVSI Code (7) : O Draconian députés ! O Lame Constitution !

Ce billet a dû subir une sérieuse mise à jour ce qui a entraîné la nécessité de raturer quelques paragraphes. L'usage des blogues est de ne pas retirer un texte qui a été rectifié sur un autre blog sous peine de faire perdre tout intérêt au billet rectificateur. Désolé donc pour l'aspect brouillon, j'en suis le seul responsable.

"Ca s'en va et ça revient, c'est fait de tous petits riens..." Quoi donc ? Mais l'article premier projet de loi DADVSI, voyons.

Ce qui au début n'était qu'une saynète cocasse devient une farce en plusieurs actes et multiples tableaux, rendons hommage au ministre de la culture.

Souvenez vous : le 21 décembre, contre toute attente à commencer par celle du gouvernement, l'assemblée nationale adopte un amendement ouvrant la voie à la licence globale.

Cet amendement n°152 ajoutait à l'article premier de la loi un alinéa précisant :

De même, l'auteur ne peut interdire les reproductions effectuées sur tout support à partir d'un service de communication en ligne par une personne physique pour son usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à l'exception des copies d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde, à condition que ces reproductions fassent l'objet d'une rémunération telle que prévue à l'article L. 311-4.

Cet amendement eut les conséquences que l'on sait : suspension des travaux parlementaires, réveillon gâché chez les Donnedieu de Vabres, montée au créneau des artistes contre le téléchargement des baguettes des boulangers, site internet lancé sans une goutte de champagne.

La discussion reprenait donc cette semaine, sereine, apaisée.

Bon, pour la discussion, on a voulu faire simple, le ministre a retiré du projet l'article premier, qui ajoutait deux alinéas à l'article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle qui prévoit les cas où un auteur ne peut s'opposer à la représentation ou à la reproduction partielle ou totale de son oeuvre. Aux cinq cas existant (représentation dans le cercle de famille, copie privée, courte citation, la parodie et l'accès à une base de données électronique), cat article premier en ajoutait deux : la reproduction transitoire lors de la transmission par voie informatique, qui est faite à l'insu de l'utilisateur, et les opérations permettant de rendre l'oeuvre accessible aux handicapés.

Pourquoi cette hostilité soudaine à l'égard des handicapés ? Parce que retirer l'article premier faisait disparaître automatiquement l'amendement sur la licence globale, qui passait à la poubelle avec les sourds et les aveugles, on ne fait pas d'omelette sans casser les oeufs.

Dès cette annonce, des observateurs éclairés s'interrogeaient sur le fondement de ce retrait d'un article et un seul.

En effet, le règlement de l'assemblée nationale prévoit à l'article 84 que le gouvernement peut retirer un projet de loi en cours de discussion tant qu'il n'a pas été adopté. Mais là, il ne s'agit que du retrait d'un petit bout.

Jean-Louis Debré, président de l'assemblée nationale, indiquait en ces termes pourquoi ce procédé lui semblait légal (je grasse) :

La question du retrait de l'article premier a été évoquée ce matin en Conférence des présidents et l'est à nouveau cet après-midi. Je souhaiterais donc apporter quelques précisions. L'article 84 de notre Règlement dispose que les projets de loi peuvent être retirés par le Gouvernement à tout moment jusqu'à leur adoption définitive par le Parlement. En vertu du principe selon lequel qui peut le plus peut le moins, il est de jurisprudence constante que le Gouvernement, qui peut retirer l'ensemble d'un projet de loi, peut également en retirer une partie, c'est-à-dire un ou plusieurs articles. Il existe de nombreux cas de ce type - le premier remontant à 1960 - et la procédure a d'ailleurs été validée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 26 juillet 1984. La circonstance que l'Assemblée ait commencé l'examen de l'article premier et ait déjà adopté des amendements ne fait pas obstacle à son retrait. Là encore, il existe des précédents à une telle situation. Parallèlement, le Gouvernement a déposé un amendement portant article additionnel qui propose une solution alternative à ce que l'Assemblée avait adopté dans le cadre de l'article premier. Je tiens à souligner que cette solution ne réduit nullement les droits de l'Assemblée.

La jurisprudence constante, les juristes connaissent bien, c'est celle qu'on invoque neuf fois sur dix en espérant que le juge nous croira sur parole. Ca ne marche plus depuis belle lurette, les juges connaissant leur matière répondant en souriant "Ha, oui, la fameuse jurisprudence constante, celle qui vous dispense de citer des arrêts...". [Mise à jour : en fait, jurisprudence constante désigne dans le jargon parlementaire les usages non écrits fermement établis. Cf ce billet ]

Et bien voyons voir ce qu'elle raconte, cette jurisprudence constante.

"Le premier cas remontant à 1960" : il ne peut s'agir que de la décision 59-5 DC du 15 janvier 1960 sur le règlement de l'assemblée nationale. Or sa lecture attentive laisse le lecteur sur sa faim : rien n'est dit sur le retrait partiel d'un texte, le Conseil sanctionnant au contraire une modification du règlement sur le vote bloqué permettant le saucissonnage d'un texte en limitant le vote bloqué à quelques articles : le vote bloqué c'est tout ou rien. Cette décision va plutôt dans un sens contraire à celui du gouvernement.

"la procédure a d'ailleurs été validée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 26 juillet 1984". Ha, une date. Il s'agit donc de la décision 84-175 DC sur une modification du règlement du Sénat. Bon, on cherche où cette procédure a été validée, puisque cette décision valide une réforme du règlement du Sénat qui ne touche à aucun des articles portant sur le retrait d'un projet de loi par le gouvernement, à savoir les articles 24 à 28, seuls les articles 10, 16, 20, 39, 42, 43, 44, 47 bis, 48, 49, 74, 76, 78, 79, 82, 100 et 108 étant modifiés et un article 110 ajouté. [Mise à jour : il s'agit en fait de la décision 84-172. Cf ce billet ]

La jurisprudence constante se réduit comme peau de chagrin.

En fait, il s'avère que ce type de retrait n'est arrivé qu'une fois en 1961, sur un texte qui n'a pas été soumis au Conseil constitutionnel. Donc, on ne sait pas si ce retrait partiel serait conforme à la Constitution.

[Mise à jour :]Ce type de retrait a en fait été expressément validé par le Conseil constitutionnel en 1984 mais il existe de sérieux motifs de penser que cette jurisprudence n'est plus d'actualité. Cf ce billet.

Le Conseil constitutionnel semble même avoir fait savoir qu'il ne considérerait certainement pas ce type de procédé comme conforme à la constitution, faisant encourir à la loi le risque d'être déclarée entièrement anticonstitutionnelle.

RDDV a déjà eu à manger son chapeau dans cette affaire, mais là, c'était toute sa garde robe qu'il risquait de devoir avaler.

Hier soir, donc, spectaculaire volte face, le ministre annonce que le projet de loi discuté inclura l'article premier, y compris donc la licence globale. Enfin, spectaculaire, il faudra être attentif pour déceler l'annonce, qui n'échappera pas à l'opposition (je grasse).

M. le Ministre - Ce que je souhaite à présent, c'est que le débat sur les articles aille à son terme. Le Gouvernement agira en toute transparence et dans le plus grand respect du Parlement, puisque c'est à lui que revient le pouvoir de décider.

J'entends s'exprimer sur vos bancs plusieurs interrogations et je veux qu'il n'y ait aucune ambiguïté, de sorte que les dispositions du texte que vous serez amenés à voter soient claires et compréhensibles par tous. A cet effet, je juge opportun que nous examinions tous les sous-amendements présentés à la suite de l'amendement du Gouvernement. Ensuite, je vous proposerai de ré-évoquer les amendements qui n'ont pas été traités à l'article premier...

M. Patrick Bloche - C'est insensé !

M. Didier Migaud - Incroyable !

M. le Ministre - Au terme de cette démarche, j'ai bon espoir que nous ayons fait le point sur l'ensemble des sujets qui vous préoccupent et que votre Assemblée soit parfaitement éclairée... (Rires sur plusieurs bancs des groupes socialiste, communiste et républicain et UDF) Libre à ceux qui en prendront la responsabilité d'entacher cette démarche de clarté de manœuvres de procédures...

Gageons que le Sénat sera plus docile pour éliminer la licence globale.

Ha, et ces débats ont révélé une information qui intéressera certains de mes lecteurs :

M. Bernard Carayon - Moi, je suis sous Linux. Je dois être le seul à utiliser les logiciels libres dans cette enceinte !

Ce n'est pas sympa pour le ministre de la culture, dont le site lestelechargements.com tourne sous Dotclear.

vendredi 3 mars 2006

La cour de cassation promulgue la loi DADVSI

La cour de cassation vient de jeter un pavé dans la marre en cassant l'arrêt rendu le 22 avril 2005 par la cour d'appel de Paris dans l'affaire dite "Mullholland Drive". Et cet arrêt contient, caché dans un recoin, un bout de phrase qui fera sûrement gloser des juristes des pages et des pages, et qui a donc tout naturellement échappé à la presse grand public.

Re-situons le débat.

L'acquéreur d'un DVD du film de David Lynch Mullholland Drive fut pris au dépourvu quand, voulant effectuer une copie de sauvegarde dudit DVD en fut empêché par un dispositif anti-copie rendant la partie numérique de l'oeuvre aussi inaccessible que l'était déjà sa partie visuelle. Fort marri, il alla crier son ire chez UFC-Que Choisir ? qui lui fit bon accueil et les compères décidèrent de concert d'aller chanter pouille en justice contre le producteur, l'editeur et le diffuseur de l'oeuvre pour atteinte au droit à la copie privée.

Le tribunal de grande instance de Paris les débouta de leurs prétentions le 30 avril 2004, les condamnant en outre à 8000 euros de frais de justice.

Ni une ni deux, les plaideurs portèrent leur querelle devant la cour d'appel, espérant trouver Quai des Orfèvres les cinéphiles qui leur firent défaut Boulevard du Palais.

Grand bien leur fit, car la 4e chambre de la cour, le 22 avril 2005[1] réduisit à néant ledit jugement, accueilli à bras ouvert la demande de notre cinéphile informaticien évincé et lui accorda 150 euros de dommages intérêts, 30000 à UFC et 1500 euros de frais de procédure. Surtout, la cour, emporté par son amour du 7e art, et préférant peut être Apollon à Thémis, fit interdiction au producteur et à l'éditeur du film d'apposer quelque dispositif anti-copie que ce soit sur leurs DVD. Les déboutés invoquèrent alors Mars et partirent en guerre contre cet arrêt du côté du Quai de l'Horloge.

Très grand bien leur fit car les Conseillers de la première chambre civile [2] firent choir la foudre de Zeus sur l'arrêt rendu de l'autre côté de l'Île de la Cité.

Et cet arrêt, en la forme, a de quoi retenir immédiatement l'attention des juristes : il est court, ne cite pas le pourvoi, commence par un visa suivi d'un chapeau et casse l'arrêt qu'il examine : ce sont tous les indices des arrêts de principe destinés à marquer pour longtemps la jurisprudence de la cour.

Descendons de l'Olympe du droit et soyons le Prométhée de la procédure :

La cour rappelle à titre de prolégomène les faits :

Attendu que, se plaignant de ne pouvoir réaliser une copie du DVD “Mulholland Drive”, produit par les Films Alain Sarde, édité par la société Studio canal et diffusé par la société Universal Pictures vidéo France, rendue matériellement impossible en raison de mesures techniques de protection insérées dans le support, et prétendant que de telles mesures porteraient atteinte au droit de copie privée reconnu à l’usager par les articles L. 122-5 et L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle, M. X... et l’Union fédérale des consommateurs UFC Que choisir ont agi à l'encontre de ceux-ci pour leur voir interdire l’utilisation de telles mesures et la commercialisation des DVD ainsi protégés, leur demandant paiement, le premier, de la somme de 150 euros en réparation de son préjudice, la seconde, de celle de 30 000 euros du fait de l’atteinte portée à l’intérêt collectif des consommateurs ; que le Syndicat de l’édition vidéo est intervenu à l’instance aux côtés des défendeurs ;

Puis vient le visa.

Le visa est la liste des textes de loi que la cour va interpréter. Rappelons que la cour de cassation a comme mission première d'unifier l'interprétation de la loi ; ce visa indique donc expressément que c'est sous cette aune que devra désormais être mesuré l'article concerné.

Ce visa, le voici :

Vu les articles L. 122-5 et L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des dispositions de la directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, ensemble l’article 9.2 de la convention de Berne ;

Tiens, tiens ? Ca ne vous dit rien ? La directive citée est précisément celle dont la transposition est en cours avec le projet de loi DADVSI. La cour de cassation va interpréter le code de la propriété intellectuelle en tenant compte de cette directive alors même que la loi de transposition n'est pas adoptée. Je n'oserais affirmer que c'est une première, mais je le crois ; en tout cas c'est une évolution notable (Monsieur le Professeur Rolin, pouvez vous éclairer ma lanterne, car jouer les Prométhée sans feu m'est insupportable). [Mise à jour : Paxatagore, Nemesis de mes erreurs, apporte des précisions fort utiles sur son blog et en commentaires. La cour de cassation a déjà interprété des textes internes à la lumière d'une directive européenne en voie de transcription. Il n'y a pas nouveauté ici, à ceci près que la copie privée fait partie de la marge de manoeuvre laissée aux Etats et que le projet de loi en discussion la protège. La cour de cassation ne se contente pas d'appliquer la partie de la directive qui est claire et ne laisse aucun choix aux Etats membres. Mais à sa décharge, elle casse un arrêt qui fait interdiction au producteur, à l'éditeur et au distributeur de mettre des dispositifs anticopie sur les DVD, ce que la directive autorise expressément. La cour pouvait difficilement laisser passer ça.]

Une directive européenne n'a en effet aucun effet juridique direct en droit interne, elle ne fait qu'imposer aux Etats membres de la transposer dans leur législation interne avant une certaine date, date qui en l'espèce est dépassée depuis longtemps[3]. La cour de cassation prend acte de la carence du législateur, trop occupé à boire du champagne punch au Palais de Tokyo, et décide de tenir compte de ce texte dans son interprétation pour anticiper sur la marche du législateur. En cela, elle se rapproche de ce que fait le Conseil d'Etat depuis longtemps et prend sur elle d'intégrer dans la législation française une directive non transposée par le biais de l'interprétation de la loi. Rien que ça rend cet arrêt très important, au-delà du seul problème de droit d'auteur.

Vient ensuite le chapeau.

Le chapeau est un paragraphe qui pose l'interprétation des textes visés par la cour de cassation. En somme, la cour joint le geste à la parole, et annonçant qu'elle va interpréter le code de la propriété intellectuelle "à la lumière de la directive", elle nous révèle aussitôt quelle est cette interprétation.

Attendu, selon l’article 9.2. de la convention de Berne, que la reproduction des œuvres littéraires et artistiques protégées par le droit d’auteur peut être autorisée, dans certains cas spéciaux, pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur ; que l’exception de copie privée prévue aux articles L. 122-5 et L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle, tels qu’ils doivent être interprétés à la lumière de la directive européenne susvisée, ne peut faire obstacle à l’insertion dans les supports sur lesquels est reproduite une oeuvre protégée, de mesures techniques de protection destinées à en empêcher la copie, lorsque celle-ci aurait pour effet de porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre, laquelle doit s’apprécier en tenant compte de l’incidence économique qu’une telle copie peut avoir dans le contexte de l'environnement numérique ;...

Traduction : la directive DADVSI que le législateur n'a pas été fichu de transcrire en temps et en heure permet expressément de s'opposer à la copie même privée d'une oeuvre, et la convention de Berne, qui elle est en vigueur, prévoit qu'il est permis de s'opposer à une telle copie quand ellle porte atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ou cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur. Ce n'est qu'une question de temps pour que ce qu'ont fait le producteur et l'éditeur ne devienne légal, et même ça devrait déjà l'être depuis longtemps. Et bien voilà, je fais comme si ça l'était d'ores et déjà.

Voici la règle posée. Maintenant, la cour va l'appliquer aux faits de l'espèce.

D'abord, faites entrer l'accusé, la cour expose comment la cour d'appel a statué. Pour faciliter la lecture, je mets en italique les propos qui sont ceux de la cour d'appel et de cette cour seulement :

Attendu que pour interdire aux sociétés Alain Sarde (le producteur), Studio canal (l'éditeur) et Universal Pictures vidéo France (le distributeur) l’utilisation d’une mesure de protection technique empêchant la copie du DVD “Mullholland Drive”, l’arrêt, après avoir relevé que la copie privée ne constituait qu’une exception légale aux droits d’auteur et non un droit reconnu de manière absolue à l’usager, retient que cette exception ne saurait être limitée alors que la législation française ne comporte aucune disposition en ce sens ; qu’en l’absence de dévoiement répréhensible, dont la preuve en l’espèce n’est pas rapportée, une copie à usage privé n’est pas de nature à porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre sous forme de DVD, laquelle génère des revenus nécessaires à l’amortissement des coûts de production ;

Vient ensuite la sentence de mort de l'arrêt de la cour d'appel de Paris :

Qu’en statuant ainsi, alors que l’atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre, propre à faire écarter l’exception de copie privée s'apprécie au regard des risques inhérents au nouvel environnement numérique quant à la sauvegarde des droits d'auteur et de l’importance économique que l’exploitation de l’oeuvre, sous forme de DVD, représente pour l’amortissement des coûts de production cinématographique, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

C'est carrément une violation de la loi que retient la cour de cassation, c'est fort et cinglant.

La cour de cassation et la cour d'appel sont toutefois d'accord sur un point, qui n'est pas nouveau mais qu'il est bon de rappeler : la copie privée n'est pas un droit, mais une exception au principe de l'interdiction de toute copie de l'oeuvre. Cette exception cesse dès lors que d'autres intérêts protégés par la loi sont remis en cause, et c'est exactement le cas selon elle en matière de copie de DVD. Interdire tout dispositif anti copie, tout DRM pour parler clairement, c'est pour la cour de cassation sacrifier les intérêts légitimes de l'auteur en compromettant l'exploitation normale de l'oeuvre qui se retrouverait immédiatement disponible au téléchargement à grande échelle (car juridiquement, la distinction entre une copie privée réalisée en local à partir d'un DVD ou en réseau P2P est sujette à controverse : la cour d'appel de Montpellier, à laquelle s'est ralliée le tribunal de grande instance de Paris, ne la fait pas, tandis que Pontoise et Meaux la font). Et en plus de cette atteinte, la loi va bientôt expressément autoriser les DRM et même aurait dû le faire il y a de ça trois ans.

En somme, la cour de cassation a commencé à appliquer la loi DADVSI, avant même qu'elle ne soit votée.

Notes

[1] Arrêt disponible sur Juriscom.net

[2] Civ.1e, 28 février 2006, pourvois n°05-15.824, et 05-16.002

[3] La directive devait être transposée avant le 22 décembre 2002

vendredi 10 février 2006

Le DADVSI Code (6) : Un petit Graal de champagne ?

Je reçois à l'instant une invitation strictement personnelle mais sans mon nom (joie de l'anonmymat) à un pince-fesse organisé par le Ministère de la culture le 22 février prochain au Palais de Tokyo, pour lancer le nouveau site de propagande d'information sur le débat en cours : LESTELECHARGEMENTS.COM.

L'objet du site est une profession de foi : "un nouveau site où auteurs et internautes s'entendent sur le téléchargement ". Notez l'obligation de résultat.

Puisque le succès de l'opération est d'ores et déjà certain, il faut le fêter dignement.

Ce sera le cas

en présence de Renaud Donnedieu de Vabres, Ministre de la culture et de la communication, d'internautes, d'animateurs de sites de téléchargements¹ de musique et de films², d'élus, d'auteurs, d'interprètes, de comédiens, de réalisateurs, de techniciens du son, de la lumière, de créateurs de jeux vidéo et… de tous ceux qui aujourd'hui sont concernés par l'impact du téléchargement sur le droit d'auteur.

Fort bien, mais alors pourquoi une invitation strictement personnelle, avec une pièce d'identité exigée à l'entrée ?

Bon, ma curiosité et mon goût pour le champagne étant les plus forts, je pense que je vais accepter l'invitation, bien que je ne sais pas trop dans quelle catégorie je me trouve. Internaute ? Comédien, peut être, eu égard à ma profession ?

Rien que pour savoir, je pense que je vais y aller.

1 : Notez le S du pluriel.
2 : Sharman Networks ?

mercredi 8 février 2006

L'autre Outreau

Mes deux billets sur Outreau ont eu le don d'attirer des Monsieur Prud'homme qui commentant pour la première, et j'espère la dernière fois sur ce blogue, déversent leur bile sur ma modeste personne en voyant dans mon affirmation que toute cette affaire relève d'un fonctionnement normal de l'institution judiciaire une sorte de défense corporatiste revenant à dire que tout s'était fort bien passé dans la meilleure machine judiciaire du monde.

Loin de là. Quand j'entends Fabrice Burgaud répéter sans cesse qu'il n'a fait qu'appliquer les règles du Code de procédure pénale, je partage la crainte que mon confrère Jean-Yves Le Borgne a exprimé cet après midi sur La Chaine Parlementaire : j'ai bien peur que ce ne soit vrai. Et c'est là mon seul propos : le fonctionnement normal de la machine judiciaire n'est pas satisfaisant, voilà ce qu'a montré une fois de plus cette affaire.

Oui, une fois de plus, car contrairement à ce qui est souvent dit ces temps ci, Outreau n'est pas une révélation, ni même un cas unique.

Dominique Barella, secrétaire général de l'Union Syndicale des Magistrats (syndicat majoritaire et modéré) rappelait qu'en 2004, c'est 832 personnes qui ont bénéficié d'un non lieu ou ont été relaxé ou acquitté après avoir effectué de la détention provisoire. Aucune de ces détentions n'a à ma connaissance été demandée par Fabrice Burgaud. 832, cela fait plus de deux par jour… Le député Georges Fenech, ancien juge d'instruction, pose un autre chiffre effrayant : sur 2002, ce serait en tout, en cumulant les durées des détentions provisoires ayant précédé les décisions de non lieu, relaxe ou acquittement, 534 années de détention provisoire pour rien qui ont été effectuées. J'ignore comment il a effectué ce calcul, je vous le donne tel quel.

Et puisqu'il faut raviver notre mémoire si courte, rappelons que nous avons déjà connu une affaire digne de celle d'Outreau.

Le 1er septembre 1998 s'est ouvert un procès gigantesque, celui dit du réseau Chalabi. Quatre années d'intruction menée par le juge Jean-Louis Bruguières, 100 tomes, soit des milliers de pages de procès verbaux, 138 prévenus, dont 27 détenus, à tel point que le gymnasse de l'Ecole Nationale de l'Administration pénitentiaire sera aménagée en salle d'audience pour 1,5 millions d'euros pour les deux mois que durera le procès.

Et le 22 janvier 1998, 51 prévenus sur 138 ont été reconnus totalement étrangers à ce réseau. Sur ces 51, 20 ont été toutefois reconnus coupables d'infractions mineures sans lien avec un réseau terroriste, et 31 ont été reconnus innocents de toute infraction. Certains avaient passé quatre ans en détention provisoire.

Il n'y a pas eu de commission d'enquête parlementaire. Pas de demande de la tête du juge Bruguières, qui exerce encore aujourd'hui à la section antiterroriste où il est en charge des dossiers les plus délicats. Pas de demande de suppression de la fonction du juge d'instruction.

Il est vrai que les prévenus n'avaient pas vraiment l'accent ch'ti.

Alors si vous voulez mon avis (sinon, qu'est ce que vous faites sur mon blogue ?), lâchons un peu les basques du juge Burgaud, ce salaud idéal et providentiel, et demandons nous pourquoi nous avons accepté que ce scandale fait en notre nom à tous perdure aussi longtemps.

vendredi 3 février 2006

Affaire Garfieldd, suite et fin

Via Embruns, j'apprends la sanction finalement prononcée à l'encontre de Garfieldd :

Exclusion temporaire d'une année, dont six mois avec sursis.

En pratique : il est suspendu jusqu'à la fin de l'année scolaire, et retrouvera un poste en septembre. Cette exclusion implique suspension de son traitement.

Laurent retranscrit la réaction de l'intéressé, qui à mon sens s'adresse à tous ceux qui ont réagi sous ma lettre à Gilles. Je la recopie donc ici : vous avez du courrier.

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mercredi 18 janvier 2006

Lettre à Gilles

Mise à jour (19 janvier 2006) : eu égard à la quantité de réactions suscitées par cette affaire, je mets ce billet (et lui seul) sous Creative Commons By-nc-nd 2.5. J'autorise la reproduction partielle ou intégrale de ce texte à qui le souhaite, sous réserve de ne pas le modifier, et à condition de citer l'auteur et la source.

Creative Commons License
Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons.


Monsieur le ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche,
Cher Gilles,

Pardonne moi de te tutoyer, mais on est sur les blogs, ça se fait très naturellement. Demande à Nicolas, il est au courant.

Je me permets de t'écrire directement via mon blog, car il est important, pour la suite de mon propos, que tu saches ce qu'est un blog.

Un blog, ou plutôt un blogue, c'est ça. Un site internet, où le maître des lieux écrit ce qu'il veut, sous son vrai nom ou sous un pseudonyme, et où ses billets apparaissent directement en page d'accueil, le plus récent en premier.

C'est super à la mode, sans doute un peu trop. Tes conseillers en communication te diront que c'est l'avenir. C'est pas vrai. Ton directeur de cabinet, qui ne s'y connaît pas trop en internet, te dira que ce n'est qu'une mode. C'est pas vrai non plus. C'est à la mode, oui, mais l'effet de mode passera ; les blogues, eux resteront.

En attendant, ils sont là. C'est une nouvelle forme d'expression directe entre citoyens, qui jouera désormais un rôle important en politique, comme aux Etats-Unis, où ils ont joué un rôle très important lors des dernières présidentielles. Et ils ont une capacité de pression médiatique qui te surprendrait.

Ton ami Renaud l'a récemment découvert à ses dépens. Il a présenté un projet de loi, un peu pressé par la Commission européenne, pas super motivé, puisque c'est son prédécesseur Jean-Jacques qui en était à l'origine. Beaucoup de blogueurs étaient contre. Ils l'ont dit, l'ont fait savoir. Le bourdonnement (on dit "buzz" pour faire branché) a pris de l'ampleur, les textes ont circulé, les blogueurs se sont inquiétés, ont pétitionné. Et la discussion a vite mal tourné, le projet a été déshonoré en séance publique au point que le ministre l'a pudiquement retiré. Pour rattraper le coup, il a invité quelques blogueurs sinon influents du moins fort lus à déjeûner, pour apaiser la tempête qui s'était levée sans qu'il s'en rende compte. A tel point que maintenant, Nicolas lui pique la vedette, et même le Président en a parlé dans ses vœux.

Je ne voudrais pas qu'il t'arrive la même chose, or c'est sur le point de te tomber dessus. Le "buzz" est en train d'enfler, l'essaim est en colère, et il va rapidement s'en prendre à toi car c'est toi qui a donné le coup de bâton dans la ruche, sans vraiment t'en rendre compte.

Voilà : tu as signé il n'y a pas longtemps une décision individuelle contre un proviseur, prononçant sa révocation. Je ne te cite pas son nom, tu le retrouveras facilement : c'est rare, une révocation, quand même. Et c'est grave. Tu as condamné un proviseur à mort : il n'a plus le droit d'être proviseur, ou enseignant, ou fonctionnaire. Chômage, sans indemnités ni ASSEDIC bien sûr, bref : le RMI. Il a 48 ans, et une longue carrière sans histoire à son actif.

Et pourquoi tu as signé cette révocation ? Tu l'as fait sans penser à mal, puisque tu as suivi l'avis de la commission mixte paritaire nationale, et tu as dû être défavorablement impressionné par le fait qu'on y parlait de pornographie et d'homosexualité, sur un site internet, alors que la personne en question dirige un lycée. Les faits sont déplaisants, tu as fait confiance à la commission, tu as signé, et tu t'es occupé des dossiers importants à tes yeux, et dieu sait s'il y en a dans ton ministère.

Seulement voilà, tu as été mal informé, et du coup, mal inspiré.

Ce proviseur, permets moi de lui laisser son titre, est un blogueur. Pas un blogueur influent, mais un blogueur fort lu, et lu par des blogueurs influents. Il y a des centaines, peut être des milliers de gens qui ont lu son blogue. Et en plus, sur internet, rien ne se perd, tout se crée. On peut encore lire des archives de ce site et constater par nous même. Il écrivait anonymement, sous le pseudonyme de Garfieldd.

Résultat, des millers de gens savent que qualifier le blogue de ce proviseur de pornographique est une insulte à l'intelligence, et que prononcer la sanction maximale à son encontre est, j'allais dire injuste, mais c'est un euphémisme : c'est dégueulasse.

Sur son blogue, ce monsieur disait qu'il était proviseur. Rien ne l'interdit, et tu le sais : tu as fait droit, comme moi.

Sur son blogue, ce monsieur disait qu'il était homosexuel. Rien ne l'interdit non plus, et dieu merci, aujourd'hui, ce n'est plus honteux de le dire.

Sur son blogue, ce monsieur parlait de son école, sans jamais la nommer. Tu devrais lire ces archives, d'ailleurs, si tu as le temps, tu y apprendrais beaucoup de choses très intéressantes sur comment ça se passe sur le terrain.

Mais jamais, tu m'entends, Gilles, jamais ce monsieur n'a mélangé son métier et ses orientations sexuelles. JAMAIS il n'a fait le moindre rapprochement ni exprimé le moindre propos déplacé vis à vis de ses élèves. Je ne mens pas, tu peux vérifier. Aucun de ses propos ne tombe sous le coup de la loi pénale, et tu sais qu'en la matière, elle est rigoureuse.

Parce que, Gilles, toi et moi savons bien que l'homosexualité n'a rien à voir avec des pulsions inquiétantes envers des jeunes gens, que les homosexuels ne sont pas des pervers, pas plus que tes proviseurs hétérosexuels ne se jettent avec concupicence sur leurs élèves du sexe opposé.

Malheureusement, j'ai l'impression que tous les membres de la commission mixte paritaire nationale ne sont pas au courant. Que veux-tu, Gilles, il ne faut jamais faire totalement confiance à des gens qui n'ont jamais quitté l'école, et qui ont besoin que tu leur fasses une circulaire pour qu'ils sachent quoi faire quand une de leurs collègues est menacée de mort.

Et permets moi de te parler franchement : ils t'ont mis dans la merde.

Car ce monsieur n'a jamais fait de pornographie sur son site. C'est un fait. Il a quelquefois utilisé des mots crus, mais d'abord, aucun qu'un de ses élèves n'emploie pas abondamment dans la cour de récréation, et surtout, c'était en citant pour s'en moquer les requêtes des moteurs de recherche qui avaient amené sur son site des visiteurs impromptus. Tiens, Dangereuse Trilingue(NB : lien mort) (une blogueuse) l'explique très bien, et montre comment Libération s'est ridiculisé une fois de plus. Et c'était une lectrice de ce blog, elle peut parler en connaissance de cause.

Tu vois venir le problème ? Cette commission avec sa position à l'emporte-pièce et ses schémas antédiluviens, elle va te faire passer pour un réac homophobe. Laisse donc ce rôle à Christian, il n'a que ça et son rapport sur la loi DADVSI pour faire parler de lui. Car c'est TOI et toi seul qui a signé cette révocation, qui repose sur des faits grossièrement exagérés quand ils ne sont pas matériellement inexacts, et que tout le monde ne pourra s'empêcher de penser que si ce proviseur avait été hétérosexuel et avait montré des jeunes femmes en lingerie, son site aurait fait le tour du rectorat en faisant marrer tout le monde, et c'est tout.

Mais tu as encore le temps, non seulement de rattraper le coup, mais encore de le tourner à ton avantage. Il a déposé un recours gracieux contre sa révocation. Rapporte là (tu es dans le délai), et, après avoir pris connaissance de l'ensemble des éléments du dossier, atténue-là. Je ne te demande pas de te déjuger, et de ne prendre aucune sanction. Ce serait un camouflet pour la commission mixte paritaire, et ce proviseur reconnaît lui même, rétrospectivement (il l'a dit à la commission) qu'il a transgressé son obligation de réserve en parlant ainsi de sa vie privée. Mais fais un communiqué (ton conseiller en communication, celui qui te dit que les blogues c'est l'avenir, te fera ça très bien) soulignant que tu maintiens le principe de la sanction, car tu es un ministre sévère, tu la diminues, car tu es un ministre juste, du fait des éléments qu'un mouvement civique sur l'internet ont mis en valeur, car tu es un ministre moderne et à l'écoute du peuple.

Renaud sera vert de jalousie de voir comment tu t'es mis la blogosphère dans la poche, et tu auras une vraie sympathie sur internet, et ça, c'est précieux.

Ne te préoccupe pas des réactions au sein des caciques de ton administration. Ils sont de gauche, ils ne voteront jamais pour toi, et de toutes façons, depuis ton idée de la bi-valence, ils te détestent.

Le temps presse : la nouvelle est reprise dans les médias : midi libre, l'AFP, Libération (qui dit disait des bêtises, ils ont rectifié l'article sur l'édition en ligne : il n'y a pas de honte à rectifier ses erreurs), le Figaro. Les blogues en parlent aussi beaucoup, il y a une liste chez Embruns, chez Pointblog, qui sont des caisses de résonnance sur le net.

Par contre, si tu t'obstinais à maintenir ta décision malgré tout ce que nous, les blogueurs, aurions pu te dire, je crains fort que tu ne te retrouves face à un incendie d'opinion que tu auras du mal à maîtriser, et qui rendrait toute marche arrière humiliante politiquement. Ne laisse pas le temps à l'opposition de se saisir de l'affaire, ne laisse pas le temps aux syndicats de rameuter l'opinion, agis vite et évite l'incendie.

Car s'il devait se déclarer, je ne suis pas sûr que je ne serais pas parmi ceux qui souffleraient sur les flammes.

Très respectueusement,

Maître Eolas.

P.S. : Je ne suis pas l'avocat de Garfieldd, que je ne connais pas personnellement, et je n'ai pas écrit ce billet à sa demande ou à la requête de qui que ce soit.

lundi 16 janvier 2006

Va-t-on renvoyer en prison les acquittés d'Outreau ?

C'est la question qu'on peut se poser face à la maladresse incroyable qui s'ajoute à la liste des bourdes de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire d'Outreau.

On se souvient que la commission a décidé, contre l'avis général y compris des personnes concernées au premier chef (le juge d'instruction et les mis en examen finalement acquittés) de procéder aux auditions à huis clos. Philippe Bilger a déjà fort bien expliqué en quoi cette décision est aberrante, et je me rallie à son opinion sans rien y retrancher. Signalons pour mémoire que Madame Guigou a décidé de ne pas siéger dans les audiences à huis clos pour protester, et que Madame Lebranchu y siégeait initialement alors qu'elle était garde des sceaux lorsque l'affaire a éclaté et que les acquittés ont été placés sous mandat de dépôt, ergo qu'elle était à la tête du parquet qui a requis ces placements en détention, et vous voyez avec quel soin cette commission a été constituée.

Dernier épisode en date, dont il faut se hâter de rire avant d'avoir à en pleurer : les avocats des parties ont été convoqués ce jeudi pour être entendus. Vu leur nombre et le temps consacré à leur audition, un rapide calcul montre qu'ils auront quinze minutes pour s'exprimer sur un dossier qui représente quatre années d'instruction, deux procès d'assises soit environ une tonne de papier. D'où légitime colère, relayée par les acquittés qui ont le sentiment qu'on veut leur faire faire de la figuration, montrer qu'on les a entendu mais sans vraiment les écouter. Pour manifester leur mécontentement, l'une d'entre eux, Roselyne Godard, a menacé de ne pas se rendre à sa convocation.

Sauf que.

Sauf que, magie des traitements de texte et des documents-type, la convocation envoyée à cette personne mentionne in fine que le fait de ne pas déférer à cette convocation est puni de deux ans d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende (article 6, III de l'Ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Donc, cette personne va aller déposer "sous la contrainte" et la menace d'un emprisonnement, tout en relevant que Madame Guigou, elle, ne risque rien pour son absence protestative.]

Evidemment, il va de soi que le parquet ne poursuivrait pas Madame Godard si elle ne déférait pas à cette convocation, et si par impossible cela arrivait devant un tribunal, aucun juge n'oserait prononcer une peine de prison fût-ce avec sursis (j'imagine l'embarras du président !).

Mais quand même, quand même, quelle maladresse, quelle injure faite aux personnes qui ont souffert déjà dans ce dossier.

La malédiction qui a frappé ce dossier semble continuer ses effets sur le volet parlementaire, et cette commission souffre d'ores et déjà d'une perte de crédibilité qu'elle aura du mal à surmonter.

(Via le Big Bang Blog)

vendredi 13 janvier 2006

Le DADVSI Code(5) : l'Opus d'Elie

Luc Saint-Elie, piqué au vif par ma critique de son emploi du terme stalinisme pour exprimer son désaccord avec la loi DADVSI, s'est fendu de plusieurs longs commentaires fort bien écrits et argumentés. Vous pouvez les lire ici, ici, et .

Il exprime plusieurs préoccupations et craintes des adversaires de cette loi.

Voilà qui m'offre l'occasion d'en expliciter le contenu en le confrontant à des critiques, ce qui sera bien plus intéressant qu'un commentaire de texte article par article.

Et me fournit un cinquième jeu de mot pour le titre.

Tentons de résumer ce que dit la loi DADVSI.

Ha, précision importante : vu l'état actuel de la discussion parlementaire, je m'en tiens au pur projet de loi. Tenir compte des amendements serait un travail herculéen, et une autre lecture devant avoir lieu au Sénat, probablement d'un intérêt éphémère. Gageons que le texte qui sortira finalement au JO sera assez proche du projet de loi pour que cette base de travail soit assez solide. Je ne tiens donc pas compte de l'adoption de la licence optionnelle.

D'abord, cette loi ne légalise pas les DRM (digital rights management, gestion des droits numériques, que la loi inclut dans la catégorie des "mesures techniques efficaces") : ils le sont déjà, ni ne les rend obligatoires.

Dès lors que l'informatique permet de limiter le nombre de copies (transferts vers un CD ou sur un autre ordinateur), il est tout à fait légal pour un auteur ou ses ayant-droits (concrètement, les maisons de disques) d'utiliser ces protections, du moment que l'acheteur en est informé. C'est du droit des contrats : il y a une offre, qui est acceptée, ce qui forme le contrat. L'offre est librement fixée par le pollicitant, dans le respect de la loi. Ainsi, l'achat d'un CD n'est en fait que l'achat d'une reproduction d'une oeuvre musicale permettant un nombre illimité de représentations sur un lecteur adéquat. Il est tout à fait licite de ne vendre qu'un droit limité (le morceau ne peut être écouté qu'un nombre de fois limité, ou sur une période limitée). Si l'acheteur n'est pas d'accord, il n'achète pas, ou négocie des droits plus étendus, hypothèse à écarter pour un particulier seul, mais des actions collectives sont possibles. Notons que pour le moment, les deux offres existent simultanément : le droit limité (vente en ligne à prix modique) ou illimité (vente sur support CD audio à prix scandaleux plus élevé).

Par exemple, un groupe de communication propose de télécharger des films visibles sur ordinateur, qui ne peuvent être regardés que pendant 24 heures, pour 3 euros, ce qui est moins cher qu'un DVD que parfois, on ne regarde qu'une fois. Idéal pour ceux qui voyagent avec leur portable. Je me souviens avoir vu un service vendant des DVD qu'un produit chimique rend illisible au bout de quelques heures.

Ce sont des mesures techniques efficaces, et tout à fait licites en soi.

Ce que change la loi DADVSI, c'est que ces mesures doivent être légalement protégées. En l'état actuel, un informaticien qui parviendrait à supprimer la protection d'un film canalplay pour le voir indéfiniment ne commet qu'une faute contractuelle civile. La loi DADVSI assimilera ce fait à de la contrefaçon.

Mais si un musicien décide de mettre ses oeuvres en circulation sans mesure technique efficace, il en a parfaitement le droit. Tel est le cas des podcasts, par exemple ; ce sont des oeuvres numériques comme les autres. Un podcast en mp3 reproductible aisément restera parfaitement licite une fois la loi DADVSI adoptée. Nul n'imposera à Bloïc™ de mettre des DRM sur ses podcast.

Bref : la loi DADVSI ne rend pas les DRM obligatoires, elle rend leur respect obligatoire et pénalement sanctionné. Mais les formats ouverts comme le .OGG ne sont pas concernés. Les DRM ne sont pas les seules mesures techniques efficaces : la destruction chimique du support en est un autre exemple.

Voilà pour la philosophie de la loi.

Concrètement, la loi se divise en 5 titres, dont seul le titre I (articles 1 à 15) nous intéresse, et spécialement son chapitre 3 (article 6 à 15) : Le titre II concerne les agents publics pour les œuvres réalisées dans le cadre de leurs fonctions ; le titre III précise les modalités de contrôle des sociétés de perception et de répartition, le titre IV étend l'obligation du dépôt légal aux logiciels et bases de données et le titre V étend cette loi aux DOM TOM.

La loi définit les mesures techniques efficaces dans un langage de pur technocrate : « toute technologie, dispositif, composant, qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, empêche ou limite les utilisations non autorisées par le titulaire d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur, d'une œuvre, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme ». De l'art de faire des redondances…

La loi fait obligation aux utilisateurs (les maisons de disque et sociétés de production) de ces mesures techniques efficaces d'accorder "de manière non discriminatoire" des licences d'utilisation aux fabricants de lecteurs et concepteurs de logiciels de lecture, à condition que ceux-ci respectent à leur tour ces mesures. Que donnera l'application de cet article ? Bien malin qui pourrait le dire. La loi ne précise pas les sanctions de cette obligation.

Tout contournement ou procédé permettant le contournement de ces mesures techniques devient un délit : la fabrication d'un lecteur ou d'un logiciel lisant tous les fichiers sans tenir compte des DRM deviendrait illicite.

Les logiciels libres (de lecture d'oeuvres numériques, Linux, Firefox et Dotclear ne sont pas concernés) sont-ils menacés ?

A première vue, non, je ne vois pas en quoi. Les concepteurs de VLC doivent pouvoir obtenir des licences d'utilisation des DRM dans des conditions non discriminatoires. Je sais que cette portion du programme, nécessairement inaccessible, contrevient aux règles définissant les logiciels libres qui doivent être intégralement accessibles en code source. Mais là, il y a conflit entre une loi et une définition. C'est la loi qui l'emporte.

Cette disposition donne la base légale pour que les divers constructeurs de baladeurs rendent enfin leur produit compatible avec les formats concurrents. C'est une avancée, je pense.

Qu'en dit Luc Saint Elie ?

Première critique, assez générale : le texte serait "à côté de la plaque" comme allant contre le sens de l'histoire, rien que ça.

Plus prosaïquement, il exprime la crainte que les évolutions techniques et la détérioration physique des supports rendent à terme impossible la transmission de ces données dans un cadre familial par exemple. Très concrètement, il pense aux livres et disques vinyles de nos parents, que nous pouvons lire et écouter à loisir, tandis qu'un fichier muni de DRM, ne pouvant être transmis que sur un nombre limité d'ordinateurs ou gravé qu'un certain nombre de fois, est destiné à disparaître, puisqu'une fois qu'il aura figuré sur un nombre prédéterminé de disques durs et de CD-ROM, il ne pourra plus être reproduit, et que ces supports perdront un jour leur efficacité, ce d'autant qu'en 2100, il est peu probable que le .m4p soit encore un format lisible.

Souci légitime, encore qu'à relativiser d'un strict point de vue historique. Les tourne-disques sont des collectors, les lecteurs VHS sont obsolètes, et bientôt vous aurez bien du mal à écouter vos vieux 33 tours et vos cassettes VHS (qui a encore un magnétoscope Philips V2000 ?). La discothèque de mon grand-père reste dans les cartons où l'ont mis ses héritiers, et ses livres ont pour la plupart été refusés par Emmaüs à qui on les a proposé. Quant aux 45 tours de ma jeunesse, je ne suis pas sûr qu'ils constituent un patrimoine que je serai fier de transmettre à mes enfants…

La perte du patrimoine culturel individuel existe et existera toujours, au même titre que la dissipation de l'argenterie, sauf à ce que chacun d'entre nous se transforme en gardien de musée des générations antérieures.

Là, on touche au sens de la création législative : le législateur doit parfois trancher entre deux intérêts opposés : la discothèque de Luc Saint-Elie (et plus largement la conservation intégrale du patrimoine artistique des individus) d'une part, la protection des droits des artistes d'autre part. Le législateur, européen en l'occurrence, a tranché en faveur des seconds, pour favoriser, selon lui, la création en protégeant la source de leurs revenus : le droit exclusif sur leur oeuvre. Je n'exprime pas ma préférence personnelle ici : j'énonce un fait. Il suffit de lire l'exposé des motifs de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information :

(9) Toute harmonisation du droit d'auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l'intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.

Le législateur a arbitré entre deux intérêts divergents. Il n'y avait pas un bon et un mauvais. Il n'a pas choisi celui des consommateurs : en tant que consommateur, je le regrette. Luc Saint-Elie le regrette, lui, au nom du patrimoine culturel à transmettre. Qu'il se rassure : comme il le relève lui même, « les données numériques ne sont pas des éléments fixes mais des éléments nomades, destinés à errer de support à support ». Ses disques se perdront dans l'oubli comme les larmes dans la pluie, mais les données, elles, ne seront jamais perdues. La pérennité des oeuvres n'est pas, à mon avis, menacée par cette loi, pas plus qu'elle n'est garantie, puisque là n'est pas son propos.

Luc Saint-Elie m'interpelle d'ailleurs par une question qui montre à mon sens qu'il a mal cerné l'objet de cette loi :

Maître Eolas, vous qui êtes juriste, quel regard portez-vous sur le fait que je détiens des livres que je n’ai pas payés puisqu’ils me viennent de mes parents, que je détiens des disques que je n’ai pas payés puisqu’ils me viennent de mes parents, que demain, je peux aller voir un vieux bouquiniste et lui acheter des livres pour lesquels il n’a pas payé ni l’auteur ni les ayant droit ? Suis-je un malfaiteur ?

Bon, je ne consulte pas sur ce site en principe, mais je ferai une exception. Non, vous n'êtes pas un malfaiteur, vous êtes un héritier ou un donataire. Vous possédez une reproduction matérielle originale (pardon pour cette oxymore), c'est à dire licite. Vous n'avez causé aucun préjudice à l'auteur de ces livres ou disques car vous n'avez pas copié l'oeuvre. Il n'en va pas de même lors de la circulation d'oeuvres numériques, puisque la transmission implique l'apparition d'un nouvel exemplaire de l'oeuvre et non sa transmission. Aucune analogie pertinente ne peut être tirée de la comparaison d'un livre papier ou d'un disque vinyle avec une oeuvre numérisée.

la notion de copie (je lui préfère celui de migration qui a le mérite de ne pas être encore connoté) est inhérent à la numérisation. La migration de données n’est pas une simple péripétie occasionnelle, c’est un des éléments constitutifs d’un univers numérique.

Parfaitement, même un nul en informatique comme moi le sait. La loi DADVSI dissipe tout doute en ajoutant une exception au principe "pas de copie sans autorisation de l'auteur" :

Article L.122-5, 6° (futur) : L'auteur ne peut s'opposer à « La reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu'elle est une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique et qu'elle a pour unique objet de permettre l'utilisation licite de l'œuvre ou sa transmission entre tiers par la voie d'un réseau faisant appel à un intermédiaire ; toutefois, cette reproduction provisoire qui ne peut porter que sur des œuvres autres que les logiciels et les bases de données, ne doit pas avoir de valeur économique propre », article 1er de la loi.

Luc Saint-Elie se lamente du fait que cette évolution fait que nous allons être dépossédés des oeuvres numériques. A terme, les fichiers que nous achetons, voire les CDs audio et DVD ordinaires, finiront par ne plus être lisibles, par épuisement des DRM ou obsolescence de la mesure technique efficace, quand ils ne sont pas illisibles ''ab initio''. C'est un risque, qui doit avoir comme contrepartie la baisse du prix de la musique. Si iTunes vous vend un morceau un euro, pouvez-vous exiger d'avoir l'équivalent parfait d'un CD single ? Est-ce un scandale que vous risquiez de ne plus pouvoir l'écouter dans dix ans et que vous soyez obligé de le racheter un euro sous un autre format ? On pourrait même imaginer à terme une véritable écoute à la demande, où l'auditeur rémunère modiquement l'artiste, mais le fait à chaque fois qu'il écoute une oeuvre de lui.

Comprenez moi bien : je ne dis pas que cette évolution est bonne, souhaitable et digne de réjouissance. Mais ce n'est pas non plus du e-stalinisme, ou du e-fascisme.

Qui plus est, cette loi transcrit une directive européenne. La France est tenue de le faire, elle a trois ans de retard. La directive en question a été adoptée dans des conditions totalement transparentes (la procédure européenne est détaillée sur cette page) et le processus remonte à 1997 pour s'achever en 2001. Espérer que ce projet sera abandonné ou "jeté à la poubelle" est une chimère.

Mais l'Union Européenne n'est pas la machine à réglementer soumise aux intérêts des lobbies qu'on nous a vendu le printemps dernier. Elle a remarqué depuis longtemps que les technologies évoluent et que le législateur européen est faillible.

La démarche de l'Union est que la priorité doit être que TOUS les états membres appliquent les même règles, pour éviter des distorsions nuisibles à la concurrence et la libre circulation des biens culturels, même si ces règles ne sont pas satisfaisantes (elles ne sauraient satisfaire tout le monde) ; une fois ces règles appliquées partout, on observe les résultats, au besoin par périodes de trois ans, et on envisagera une nouvelle directive plus adaptée. C'est la clause de "revoyure" (article 12 de la directive). Problème ici, quatre pays étant en manquement de cette directive, dont la France, ce ré-examen, qui devait avoir lieu le 22 décembre 2004, soit après trois ans d'application, est bloqué.

Donc l'inaction de la France contribue à aggraver les aspects critiquables de cette loi. Ainsi, Luc Saint-Elie appelle de ses voeux une remise à plat totale. La Commission ne demande pas autre chose, mais elle refuse de le faire tant qu'elle n'aura pas constaté les résultats de quelques mois ou années d'application dans TOUTE l'Europe.

Etant entendu que de toutes façons, la Commission aura toujours comme priorité la protection des droits des auteurs. Et que cette protection se fera forcément d'une façon ou d'une autre au détriment du consommateur.

Celui-ci n'est pas toutefois sans protection.

La loi protège le consommateur contre un produit non conforme : si un acheteur se retrouve avec un CD illisible, il bénéficie de l'action en conformité de l'article L.211-4 du Code de la consommation, qui n'est qu'une transcription… de la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 1999.

Si vous êtes tenus de respecter les DRM des oeuvres que vous achetez (et que vous n'êtes jamais obligés d'acheter une oeuvre protégée par des DRM), les ayant-droits sont tenus de vous fournir une copie lisible de cette oeuvre, ou de vous rembourser si cela s'avérait impossible.

Ajout de dernière minute : Tristan Nitot soulève dans son billet d'hier une autre objection : l'article 8 de la loi autorisant à limiter le nombre de copies sans fixer de minimum permettrait à l'éditeur de fixer ce nombre à zéro (futur article L.331-6 du CPI).

Dans ce sens, il cite Bernard Lang qui invoque l'amendement n°30 qui veut faire préciser dans l'article L.331-6 du CPI que ce nombre doit être au moins égal à un.

Je ne partage pas cette opinion. L'article L.331-6 ne fait pas obstacle au droit de copie privée de l'article L.122-5 du même code. L'auteur ne peut s'opposer à la réalisation d'une copie privée (art. L.122-5) mais peut limiter ce nombre de copies (Art. L.331-6). Sauf à donner à la loi un sens absurde, l'interprétation necessaire est qu'au moins une copie doit pouvoir être réalisée. Notons que la loi est muette sur la limitation du nombre de copies de cette copie. Graver un fichier iTunes au format CD audio inscrit-elle des DRM sur le CD ? Il ne me semble pas.

mardi 10 janvier 2006

Le DADVSI Code (4) : la Cène de ménage

Je reviens brièvement sur l'invitation dont ont fait l'objet quelques blogueurs de la part du ministre de la culture, pour un déjeûner débat sur la loi DADVSI. Naturellement, ceux ci en rendent compte de manière détaillée, cf. les blogs respectifs de Cyril Fievet, Tristan Nitot, Bloïc™ Le Meur, Bertrand Lemaire, Vincent Glad, Thomas Clément, et, même s'il n'est pas blogueur, Fafa.

J'ai eu l'honneur d'être sur la liste des invités, de même que mon directeur de conscience Versac, mais ne me suis pas rendu à cette invitation, non pas que je ne sais pas me comporter en société comme certains qui renversent leur vin ou enfument leurs convives, mais j'étais également en déplacement à l'étranger. J'avais informé la personne qui m'avait contacté la veille, mais le billet de Tristan Nitot m'apprend que l'information n'était pas remontée rue de Valois et qu'un couvert vide signalait mon absence.

J'ai lu avec intérêts les divers compte-rendus et commencé à écouter l'enregistrement audio de Loïc Le Meur.

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vendredi 23 décembre 2005

Le DADVSI code (3) : La bévue fache

C'est noël pour les opposants au projet de loi DADVSI, dont l'examen à l'assemblée tourne au fiasco pour le gouvernement. La reprise en main de sa majorité semble infaisable à court terme, et le gouvernement n'a pas pas voulu prendre le risque de faire adopter l'ensemble du texte en demandant une seconde délibération sur l'amendement 153, n'étant pas sûr qu'il se trouverait une majorité pour l'écarter. Renaud Donnedieu de Vabres doit se mordre les doigts, puisqu'il avait une possibilité d'écarter cet amendement d'un trait de plume, en arguant qu'il a été déposé après l'examen en commission. Il a sans doute voulu laisser les députés faire le travail impopulaire, et s'est pris les pieds dans le tapis.

Conséquence, le gouvernement, qui a la maîtrise de l'ordre du jour des assemblées, a décidé de suspendre l'examen du projet de loi et de renvoyer l'examen à la prochaine séance, soit après les vacances parlementaires, le 17 janv 2006 à 9h30.

Ces trois semaines permettront au groupe UMP de resserrer les rangs.

▬ Mais le gouvernement n'avait-il pas dit qu'il y avait urgence ?

▬ Oui, il l'a dit et le pense toujours. Mais il faut rappeler le calendrier (mis à jour le 12/01/2006 : j'ai inclus la procédure en manquement qui explique la réaction du gouvernement) :

22 juin 2001 : la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 est publiée au journal officiel des communautés européennes. Elle fixe jusqu'au 22 décembre 2002 aux Etats membres pour la transposer en droit interne.

22 décembre 2002 : Rien ne s'est passé en France. La commission signale à la France qu'elle est en manquement de ses engagements.

23 janvier 2003 : La Commission met en demeure la France de lui communiquer les mesures législatives qu'elle a prise pour se conformer à cette directive. Aucune réponse.

11 juillet 2003 : La Commission rend un avis motivé invitant la France à prendre les mesures nécessaires pour s'y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

12 septembre 2003 : La France répond à cet avis, que les dispositions de la directive 2001/29 étaient déjà intégrées dans le code français de la propriété intellectuelle à l'exception de l'article 5, paragraphe 1, et des articles 6 et 7 de ladite directive, pour lesquels les mesures nécessaires à leur transposition étaient en cours de préparation.

12 novembre 2003 : le projet de loi DADVSI (n°1206) est déposé sur le bureau de l'assemblée nationale.

11 février 2004 : N'ayant pas eu d'autres nouvelles de la France, la Commission dépose un recours en manquement contre la France à la Cour de justice des Communautés Européennes.

27 janvier 2005 : La Cour de Justice rend un arrêt C-59/04 condamnant la France pour manquement.

31 mai 2005 : Examen du projet en commission. Rapport déposé le 1er juin 2005.

Septembre 2005 : Le gouvernement déclare l'urgence pour et fixe l'examen aux 21 et 22 décembre 2005.

On n'est donc pas à trois semaines près.

Il faut aussi rappeler le sens de l'urgence déclarée en matière législative (qui n'a rien à voir avec l'état d'urgence décrété suite aux émeutes de novembre) : un projet de loi urgent est renvoyé en commission mixte paritaire après la première lecture en cas de désaccord entre les deux assemblées ; un texte ordinaire est renvoyé en CMP après la deuxième lecture. C'est tout. Le gouvernement a d'autres moyens plus violents de faire passer un projet contre la volonté des députés : le vote bloqué, ou la question de confiance (l'article 49 alinéa 3 de la Constitution). Donc en tout état de cause, le projet de loi adopté devra être examiné par le Sénat.

Que va-t-il advenir de ce projet de loi ?

Il finira par être adopté, puisque la France est tenue de transcrire la directive du 22 mai 2001. Mais cette directive laisse une certaine marge de manœuvre aux parlements nationaux. La discussion a été suspendue avant que l'article 7, l'article central de la loi, ne soit adopté. L'amendement dit "Vivendi Universal" par ses adversaires n'a pas encore été discuté puisqu'il crée un article supplémentaire après l'article 12, et qu'on en est qu'au 7.

Je reparlerai donc de ce projet de loi mi janvier, à la reprise des débats. Le temps de trouver un quatrième jeu de mot sur le roman de Dan Brown, et je vous expliquerai pourquoi à mon sens l'amendement Voldemort Vivendi Universal me semble inapplicable en l'état.

jeudi 22 décembre 2005

Le DADVSI code (2) : le P2P de Sion

Je continue mon festival de jeux de mots pour commenter brièvement la pantalonnade cette nuit, pantalonnade pour le gouvernement mais une vraie victoire pour l'opposition.

A cours de la séance de nuit, deux amendements qui n'en font qu'un, puisqu'ils sont identiques, ont été soumis au vote. Déposés par un parlementaire UMP (Alain Suguenot) sous le numéro 153 et des parlementaires de l'opposition (Messieurs Mathus, Bloche, Christian Paul, Caresche, Migaud, Dumont, Balligand) sous le numéro 154, il visait à ajouter à l'article L.122-5 du Code de la propriété intelelctuelle qui prévoit le droit de copie privée un alinéa ainsi rédigé :

De même, l'auteur ne peut interdire les reproductions effectuées sur tout support à partir d'un service de communication en ligne par une personne physique pour son usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à l'exception des copies d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde, à condition que ces reproductions fassent l'objet d'une rémunération telle que prévue à l'article L. 311-4.

L'article L.311-4 est erroné, c'est l'article L.311-1 qui prévoit la rémunération pour copie privée, l'article L.311-4 ne précise que des modalités d'application, mais ça, on a l'habitude.

Le député UMP a défendu son amendement en des termes diplomatiques :

M. Alain Suguenot - Je veux rendre un hommage particulier au ministre, car son rôle de conciliateur d'intérêts contradictoires n'est vraiment pas facile à tenir. Quant au législateur, il lui revient de servir l'intérêt général en envisageant tous les enjeux du problème, sans se contenter de transposer à l'identique une directive européenne.

L'objectif central - beaucoup l'ont déjà dit -, c'est de concilier les intérêts des créateurs et ceux des utilisateurs de l'internet, porte ouverte sur la diversité culturelle. Mon amendement 153 - qui fait suite à ma proposition de loi sur le même objet - tend à relever ce défi en créant la licence globale optionnelle, dont Christine Boutin a rappelé l'économie générale. A moyen terme, cet outil doit permettre de trouver une réponse adaptée aux problèmes en suspens, conforme à la jurisprudence et de nature à mettre en sécurité juridique la copie privée, les échanges de fichiers par peer to peer et, plus généralement, les technologies émergentes d'accès à la diversité culturelle. Je ne vois pas au nom de quoi l'on devrait se priver de telles possibilités, même si j'accorde au Gouvernement que sa philosophie de la réponse graduée est éloignée du tout-répressif.

Les outils de gestion des droits numériques doivent permettre de rémunérer de manière plus équitable les auteurs en identifiant les internautes et en les incitant à acquitter une redevance forfaitaire, sans attenter à la facilité d'accès à l'offre culturelle. Même si de bonnes nouvelles sont tombées hier pour ce qui concerne le cinéma...

M. Christian Paul - C'est Noël !

M. Alain Suguenot - Beaucoup reste à faire, notamment pour conforter l'exception pour copie privée. Mon amendement va dans ce sens, fixe le régime des copies par téléchargement sur internet et respecte la directive européenne comme la règle dite des trois étapes, qu'un prochain amendement viendra préciser.

Le député PS en charge de la question, Didier Mathus, va défendre le sien dans ces termes :

M. Didier Mathus - Je défendrai notre amendement 154 dans des termes voisins de ceux d'Alain Suguenot et nous sommes en effet au cœur de la question posée, à laquelle le présent texte tente de répondre. Il est tout à fait essentiel de prendre en compte la jurisprudence récente, en particulier l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier de mars dernier entérinant le fait que les téléchargements de fichiers par des réseaux peer to peer relèvent de l'exception pour copie privée posée dans la directive européenne.

J'observe qu'au milieu des années 1990, le Gouvernement de l'époque - soutenu par la famille politique dont se réclame aujourd'hui l'UMP - avait su trouver une réponse adaptée pour faire face au développement massif de la photocopie. Nous sommes aujourd'hui dans une situation assez analogue : confrontés à l'apparition d'une technique nouvelle à croissance rapide, il nous faut franchir le gué en adaptant l'arsenal juridique à la nouvelle donne. Notre amendement 154 propose une esquisse pour tenter de mettre en sécurité juridique les nouvelles formes de circulation de l'intelligence globale. Les techniques nouvelles commandent de nouvelles règles : après tout, on n'applique pas le code de la route aux aéronefs ! En faisant entrer les échanges de fichiers de pair à pair dans le champ de l'exception pour copie privée, nous franchirons une étape décisive.

Là où l'opposition va avoir une idée lumineuse, c'est qu'elle va demander un scrutin public sur cette question. C'est à dire que, d'ordinaire, pour gagner du temps, les votes ont lieu à main levée, le président constatant que les bancs de la majorité lèvent la main pour le oui, ceux de l'opposition pour le non, et on passe à la question suivante. Mais tout président de groupe peut demander à ce qu'une question soit décidée par scrutin public (article 65 du règlement de l'assemblée nationale). La différence est pyschologique : le vote a lieu par voie électronique, et les noms des députés ayant voté oui ou non est publiée au JO.

Le rapporteur, Christian Vanneste, va donner un avis défavorable au nom de la commission des lois sur cet amendement, le qualifiant d'irresponsable, soutenu en cela par Jean Dionis du Séjour. Renaud Donnedieu de Vabres va émettre un avis défavorable au nom du gouvernement. AVis défavorable du gouvernement et de la commission, génralement, c'est un arrêt de mort pour un amendement.

Mais la fronde se manifeste dans les travées, et qui va être la passionaria du P2P ? Nulle autre que Madame Christine Boutin, qui va s'attirer par son intervention les applaudissements… des socialistes et des communistes :

>Mme Christine Boutin - J'ai cosigné l'amendement d'Alain Suguenot et vous n'en serez pas surpris ! Je voudrais répondre plus particulièrement à M. le Rapporteur. D'abord, vous avez invoqué la nécessité de se conformer à la directive européenne : cher Monsieur, je vous resservirai l'argument lors d'un prochain débat, en lien avec les travaux de la mission sur la famille ! La France ne se conforme pas toujours strictement aux directives, et, selon que cela arrange ou non, on manie l'argument dans un sens ou dans l'autre. L'argument ne vaut donc pas.

En outre, la directive date de 2001 : depuis son élaboration, figurez-vous que la technique a bien avancé !

Ensuite, je ne vous traiterai pas d'irresponsable, et je n'accepterai pas d'être ainsi qualifié. La licence globale optionnelle prévoit le financement par autorisation des ayants droit. Arrêtons donc cette discussion ! Et en ce qui concerne le cinéma, que vous nous avez envoyé à la figure, vous devez savoir qu'il a été retiré de nos amendements suivants. S'il n'y a que cela qui vous empêche de voter le présent amendement, je veux bien le rectifier tout de suite !

Enfin, nous n'allons pas nous lancer dans une course à l'échalote pour savoir qui est le plus réactionnaire ! Franchement ! Nous discutons de libertés fondamentales, et la seule chose qui vous intéresse est de savoir qui est de gauche et qui est de droite ? Si vous voulez un début de réponse, je vous signale que les jeunes, c'est-à-dire la France de demain, soutiennent cette proposition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Les représentants des groupes politiques de la majorité (UMP et UDF) vont s'exprimer contre cet amendement, mais à titre individuel, des députés de la majorité vont prendre position pour cet amendement, notamment Monsieur Le Fur :

M. Marc Le Fur - J'ai aujourd'hui des enfants de quatorze et seize ans dont internet constitue la culture et l'espace de liberté (Interruptions sur certains bancs du groupe UMP). C'est ainsi, mes chers collègues ! Sans doute téléchargent-ils des fichiers, et je suis incapable de les contrôler, ne maîtrisant pas comme eux ces techniques (Exclamations sur certains bancs du groupe UMP). Dans la situation actuelle, ils pourraient être considérés comme des délinquants (Mêmes mouvements). Seule la licence globale permet d'éviter ce risque en leur permettant, pour quelques euros par mois, de retrouver la liberté de télécharger sans porter atteinte au droit d'auteur puisque les sommes prélevées seront mutualisées et redistribuées aux auteurs, à l'instar de ce que pratique la SACEM.

Au moment d'encadrer les libertés du XXIe siècle, inspirons-nous de Tocqueville pour qui la société civile devait toujours prévaloir. Dans la société civile d'aujourd'hui, notamment pour les jeunes, internet est un espace de liberté. Ne le restreignons pas à l'excès.

M. André Chassaigne - Très bien !

Bon, je ne suis pas sûr et certain que Tocqueville aurait donné sa bénédiction au Peer to Peer mais pour une fois qu'un auteur libéral est approuvé par des députés communistes, ne boudons pas notre plaisir.

L'amendement, mis aux voix, est adopté par 30 voix contre 28, sur 59 votants et 58 suffrages exprimés.

Alors, la cause est entendue, téléchargeons guillerets ?

Rien n'est moins sûr, comme le rappelle Paxatagore, qui n'aime rien plus que jouer les trouble-fêtes. La Constitution et le règlement de l'assemblée prévoient des gardes-fous contre les députés récalcitrants. Le gouvernement a ainsi la possibilité de demander une seconde délibération (article 101 du règlement). Ensuite, le texte doit passer devant les sénateurs qui doivent l'adopter dans les mêmes termes, faute de quoi le texte sera renvoyé devant une commission mixte paritaire.

Enfin et surtout, Paxatagore a mille fois raison, l'adoption d'un amendement n'équivaut pas à sa promulgation immédiate.

L'opposition a marqué un point politique, en torpillant l'économie du projet de loi DADVSI, et en s'assurant ainsi que le projet ne sera pas adopté tambour battant. Elle a infligé un camouflet au ministre et à la commission des lois.

Il demeure que cet amendement est en sursis et ne devrait pas survivre à la procédure législative.

Au moins, cet incident balayera je l'espère un leitmotiv beaucoup relayé sur la toile sur le caractère prétendument peu démocratique de cette discussion, qui n'a jamais été fondé.

Le compte rendu de la séance peut être lu intégralement ici (faites une recherche sur le mot "Suguenot" et vous aurez le début des débats sur ces amendements).

mardi 20 décembre 2005

Le DADVSI Code

Je n'aurais malheureusement pas le temps de faire le billet que je m'étais promis de faire sur la loi DADVSI, en discussion au moment où je rédige ce billet. J'y reviendrai tranquillement après l'adoption du projet en première lecture, mais vous livre d'ores et déjà le jeu de mot que j'avais trouvé avant de me le faire piquer.

Juste deux brèves sur le sujet :

  • Le fameux amendement suggéré par le Conseil Supérieur de la Propriété Intellectuelle, appelé par ses détracteurs l'amendement Vivendi Universal BSA et je sais plus qui, a bien été déposé le 8 décembre 2005 par Monsieur Mariani sous le numéro 150 et par Messieurs Dionis du Séjour et Baguet sous le numéro 151 déposé . Si le gouvernement accepte cet amendement, il devrait être adopté. Si le gouvernement le refuse, il sera déclaré irrecevable. Le fait qu'il figure dans la liste officielle des amendements déposés tend à indiquer que sa recevabilité ne pose plus question, donc que le gouvernement l'a accepté.


  • Un rappel au règlement survenu en séance de discussion de la loi de finance en apprend de belles sur le lobbying en place au Palais Bourbon. Je retranscris ici le compte rendu de séance :

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dimanche 18 décembre 2005

La mort clinique de l'article 434-7-2 du code pénal

En avril dernier, je narrais les mésaventures d'une consœur toulousaine mise en examen et placée sous mandat de dépôt pour avoir révélé des éléments d'une instruction en cours à une personne qui était impliquée dans le dossier.

L'émoi avait été grand chez les avocats face à cette première et sévère application de ce délit nouveau, créé par la loi du 9 mars 2004 dite loi Perben II, qui a fourni à ce blog tant de sujets de billets.

La chancellerie avait annoncé sinon l'abrogation réclamée par les avocats du moins une révision à la baisse, tant de la peine encourue (cinq années d'emprisonnement) que de la sévérité de la définition du délit.

C'est chose faite avec la loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales. Oui, l'article 434-7-2 n'a rien à voir avec le traitement de la récidive, c'est ce qu'on appelle un cavalier, une disposition "diverse" qui n'a pas grand chose à voir avec l'objet de la loi.

Cette loi a modifié deux éléments du délit ce qui va à mon sens plonger ce texte dans un état de mort clinique : il existe encore, est en vigueur, mais ne sera jamais appliqué, sauf cas exceptionnel.

Premier changement, la peine, réduite de cinq à deux années d'emprisonnement et l'amende passe de 75.000 à 30.000 euros. La conséquence est de taille, puisque la détention provisoire ne peut être ordonnée que pour les délits passibles de trois ans d'emprisonnement ou plus (article 143-1 du CPP). La peine reste toutefois de 5 ans d'emprisonnement quand l'instruction concerne un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement relevant des dispositions dérogatoires de la loi Perben II.

Deuxième changement, non moins de taille : l'élément intentionnel du délit est renforcé. Ce délit est ainsi modifié (les dispositions abrogées sont barrées, et les nouvelles sont en gras.

Sans préjudice des droits de la défense, le fait, pour toute personne qui, du fait de ses fonctions, a connaissance, en application des dispositions du code de procédure pénale, d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction en cours concernant un crime ou un délit, de révéler, directement ou indirectement, ces informations à des personnes susceptibles d'être impliquées de révéler sciemment ces informations à des personnes qu'elle sait susceptibles d'être impliquées, comme auteurs, coauteurs, complices ou receleurs, dans la commission de ces infractions, lorsque cette révélation est de nature à entraver est réalisée dans le dessein d'entraver le déroulement des investigations ou la manifestation de la vérité.

Ainsi, l'avocat doit avoir agi sciemment, et savoir que la personne à qui il révèle des informations est susceptible d'être impliquée ; de plus, l'avocat doit ce faisant vouloir entraver le déroulement des investigation : ce n'est plus un délit de négligence, mais un délit intentionnel exigeant un dol spécial, c'est à dire la volonté d'atteindre un résultat déterminé et non la simple action en connaissance de cause.

Outre le fait qu'une telle hypothèse confine à l'absurde, elle met à la charge du parquet des preuves tellement difficiles à rapporter, pour un délit passible de deux années et ne permettant pas la détention provisoire, que je prédis à ce texte une désuétude définitive (qui est une abrogation diplomatique). En effet, si un de mes confrères devait avoir la langue trop bien pendue, il y a gros à parier que le parquet se rabattra sur la violation du secret professionnel, passible seulement d'un an d'emprisonnement, mais tellement plus facile à démontrer.

samedi 17 décembre 2005

Mise à jour du billet "Blogueurs et responsabilité"

Vous vous souvenez de ce billet dans lequel je faisais le point sur l'ensemble des obligations des blogueurs, dont le respect était sanctionné pénalement.

Parmi elles, je mentionnais

-déclarer son site à la CNIL s'il conserve des données personnelles, en indiquant une personne auprès de qui effectuer le droit d'accès et de rectification des données. Si les pseudos choisis par les commentateurs ne sont pas des données personnelles, la CNIL estime que les adresses e mail et les adresses IP le sont.

Cependant, la CNIL, par une délibération n°2005-284 du 22 novembre 2005 publiée au JO de ce jour,

La commission constate le développement de l'utilisation par les particuliers, à titre privé, de sites web comme moyen de communication, notamment au travers des blocs-notes ou « blogs » ; (…)

et que les blogs

sont susceptibles de permettre, d'une part, la collecte de données à caractère personnel de personnes qui s'y connectent et, d'autre part, la diffusion de données à caractère personnel

ce qui les faits effectivement rentrer dans le cadre de la loi informatique et liberté, mais toutefois elle décide

De faire application des dispositions de l'article 24-II de la loi du 6 janvier 1978 modifiée et de dispenser de déclaration les sites web diffusant ou collectant des données à caractère personnel mis en oeuvre par des particuliers dans le cadre d'une activité exclusivement personnelle.

Donc fini l'obligation de déclaration à la CNIL. Cependant,

Par opposition, la diffusion et la collecte de données à caractère personnel opérée à partir d'un site web dans le cadre d'activités professionnelles, politiques, ou associatives restent soumises à l'accomplissement des formalités préalables prévues par la loi.

La dispense de déclaration n'exonère pas le responsable de tels traitements des obligations prévues par les textes applicables à la protection des données à caractère personnel.

C'est une décision de bon sens, et une bonne nouvelle pour les blogs en général, la CNIL prenant ainsi acte de leur inocuité, et de leur succès qui l'a amené à adapter la réglementation en vigueur.

Merci à Servicedoc.info pour l'info.

lundi 12 décembre 2005

Faut-il être outré par Outreau ?

Un peu tard, j'aborde à mon tour ce qu'il est désormais convenu d'appeler l'affaire d'Outreau.

Paxatagore l'aborde longuement sur sept billets et n'a pas encore achevé, et propose une petite revue de blogs ; l'avocat général Philippe Bilger n'a pas manqué de traiter également de la question, concluant d'un optimiste et volontaire «"Outreau,plus jamais ça", c'est un engagement facile à tenir. Cela dépend seulement de nous. ».

Les réactions politiques n'ont pas manqué, ce qui peut paraître curieux puisque d'habitude, la réponse invariable est : « Il nous est interdit de commenter une décision de justice ». Peut-être faut-il préciser «...quand elle nous dérange » ?

Patrick Devedjian est déchaîné , parlant « d'erreur judiciaire », vilipendant les juges et leur « religion de l'aveu », et invoquant le spectre de l'affaire Patrick Dils, Grégory Villemin et du notaire de Bruay en Artois. Je cite sa réaction non pour sa qualité (elle en est dépourvue) mais parce qu'elle représente l'archétype des réactions entendues abondamment, c'est à dire : l'erreur d'analyse non dépourvue d'arrières-pensées.

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lundi 28 novembre 2005

Où l'on reparle des banlieues

Je reviens sur ce thème qui reste d'actualité, pour faire un petit point vu du prétoire. Les hommes politiques de la majorité ou de l'opposition ont déjà tous trouvé l'origine du mal (ce serait donc les discriminations et les parents démissionnaires) et vont le résoudre en deux lois et trois décrets, comme ils ont résolu le problème du... de... heu... Zut, j'ai un trou.

Je suis assez pessimiste, et il y a lieu de l'être, tant face à cette explosion de violence difficilement contenue, les réponses restent caricaturales, entre répression accrue et expulsion d'un côté, et commisération intéressée de l'autre.

Je n'aurai pas la prétention de poser le bon diagnostic. Je vous propose simplement les réflexions d'un poilu du droit dans sa tranchée, de ce qu'on voit au front, à travers les quelques cas que j'ai vu juger ou ceux que j'ai défendus sur plusieurs années, étant clairement entendu que cet échantillon est trop réduit pour permettre la certitude scientifique.Tout point de vue différent sera le fort bienvenu.

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vendredi 25 novembre 2005

Des fois, le législateur sait prendre son temps.

Je reconnais m'être un peu emporté dans ma charge contre la loi antiterroriste. L'agacement face à la précipitation du législateur pour maintenir un état d'urgence caduc, l'adoption expresse d'une loi antiterroriste face à aucun événement en particulier...

Mais des fois, le législateur (au sens large, que les juristes me pardonnent : il s'agit en fait du pouvoir réglementaire) sait prendre son temps, réfléchir, méditer, remettre son ouvrage sur le métier.

Ainsi, le gouvernement vient de prendre un décret n°2005-1309 du 20 octobre 2005 pour l'application de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Cette loi crée la CNIL et pose les règles fondamentales des protections des libertés face aux capacités de traitement de l'information par voie informatique. L'article 71 de cette loi prévoyait, comme c'est fréquent, qu'un décret en Conseil d'Etat serait pris pour prévoir les modalités d'application de la loi.

Le voici enfin, presque 18 ans après le vote de la loi.

Comme quoi, parfois, le gouvernement sait agir sans précipitation.

Bon, dommage, c'est en l'espèce pour appliquer un texte protecteur des libertés.

Mais pour ma part, je n'y vois qu'une coïncidence cocasse.

Adoption du projet de loi anti-terroriste

L'Assemblée va donc adopter dans une quasi unanimité républicaine le projet de loi « relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers », seuls les Verts allant voter contre.

A l'heure où le parlement adopte en deux temps trois mouvements une loi maintenant un état d'urgence pendant trois mois, et ce trois jours après que les émeutes le motivant ont pris fin, des nouvelles règles d'exception et aggravations de la répression vont être rapidement adoptées.

Je respecte la représentation nationale, et pense que la lutte contre le terrorisme est effectivement un enjeu majeur. Mais malgré tout, je ressens une profonde amertume, et sur un point précis, une profonde colère.

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jeudi 17 novembre 2005

La crise des banlieues : paroles d'un magistrat

(Via Commentaire et vaticination) : Didier Peyrat, magistrat à Pontoise, publie une tribune dans Le Monde du 17 novembre 2005. Un point de vue lucide, qui rejoint bien des réflexions que je m'étais faites ces derniers temps.

Ceux qui accusent "la jeunesse des banlieues" d'être responsable de ce qui est arrivé sont des falsificateurs. Ceux qui, à mots couverts ou pas, félicitent "les jeunes" de protester sont aussi dans le faux. Il y a amalgame d'un côté, contre-amalgame de l'autre. Et dans ce face-à-face de deux analyses délirantes, la raison disparaît. Mais ce à quoi on cloue le bec aussi, c'est la majorité des jeunes, la majorité des immigrés, la majorité des Français.

Les motivations réelles des "émeutiers", on peut spéculer dessus. On ne les connaît pas vraiment. On ne saurait s'en tenir, sur ce sujet, à leurs déclarations. Personne ne doit être cru sur parole. En plus, pour la plupart, ils se taisent, ne disent rien, ne sont pas "sondés".

(...)

Bien sûr, ce n'est pas "le" mal qui surgit dans l'histoire. Il ne s'agit pas d'une catastrophe ontologique. Bien sûr, il y a du contexte, mais dans le contexte il y a de tout. Pour brûler une école, un théâtre, un centre de PMI... il faut bien que ces équipements existent. Après le passage des saccageurs, le contexte est dégradé. Dans le contexte, il y a des gens, des voisins, des habitants. Après le passage des incendiaires et des cogneurs, les voisins, les habitants, les personnes sont un peu plus abîmés. Des individus font du mal à d'autres individus, beaucoup plus nombreux. Par quelle inversion de sens peut-on décider qu'en réalité les coupables et les victimes sont associés, les uns parlant au nom des autres, alors qu'ils leur tapent dessus, qu'ils détruisent leurs biens, privés ou publics ?

A lire.

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