Journal d'un avocat

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Actualité du droit

Le droit fait parfois la Une des journaux. Il y a gros à parier qu'il se retrouvera alors ici.

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mardi 30 octobre 2007

Sans commentaire (ou presque)

PARIS (AFP) — Nicolas Sarkozy a demandé à la Garde des Sceaux de modifier la loi pour les propriétaires de chiens dangereux responsables d'accidents mortels encourent désormais une peine de 10 ans d'emprisonnement, a annoncé lundi l'Elysée.

Constitution de la Ve république, article 34 :

« La loi est votée par le Parlement. (...) »


PARIS (AFP) [Suite] - M. Sarkozy a dit aux parents d'Aaron que les "chiens dangereux doivent désormais être considérés comme des armes et que leurs propriétaires doivent être plus sévèrement condamnés lorsque les blessures que ces animaux infligent causent la mort d'une victime".

Code pénal, article 132-75, alinéa 4 :

« L'utilisation d'un animal pour tuer, blesser ou menacer est assimilée à l'usage d'une arme. En cas de condamnation du propriétaire de l'animal ou si le propriétaire est inconnu, le tribunal peut décider de remettre l'animal à une œuvre de protection animale reconnue d'utilité publique ou déclarée, laquelle pourra librement en disposer.»

Homicide involontaire : Code pénal, article 221-6 :

« Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende.
« En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75000 euros d'amende. »

Blessures involontaires : Code pénal, article 222-19 :

« Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende.
« En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à trois ans d'emprisonnement et à 45000 euros d'amende. »


PARIS (AFP) [Suite] - "A ce titre, le président de la République a demandé au Garde des Sceaux de modifier la loi pour que l'homicide involontaire causé par un chien dangereux devienne une circonstance aggravante, et que la peine encourue s'élève désormais à 10 ans d'emprisonnement".

Soit le sommet de l'échelle des délits, à l'égal du trafic de stupéfiants, de l'association de malfaiteurs, et plus que l'agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans (passible de sept années d'emprisonnement "seulement"). Votre chien vous échappe et tue un enfant qui passe, vous êtes assimilé au chef de la French Connection.

"Cette modification sera intégrée au projet de loi renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux, qui sera prochainement examiné par le Parlement", a-t-il précisé.

C'est à dire qu'il y a déjà un projet de loi contre les chiens dangereux suite à des faits divers antérieurs. Mais comme un nouveau fait divers s'est produit, il faut aggraver le projet de loi pour montrer qu'on réagit.


Dictionnaire de l'Académie française, V° Démagogie :

« Substantif féminin. Recherche de la faveur du peuple pour obtenir ses suffrages et le dominer. »

mercredi 17 octobre 2007

Le président de la République peut-il divorcer ?

Une question, purement théorique bien sûr, se pose avec insistance ces jours-ci : dans l'hypothèse (d'école) où le président de la République en exercice voudrait mettre fin à son mariage, pourrait-il le faire avec le nouveau statut du chef de l'Etat récemment modifié afin d'assurer une fin de mandat paisible à un précédent titulaire de l'office ?

Jules de Diner's Room et le professeur Frédéric Rolin opinent de conserve que non.

Avant de voir et éventuellement répondre aux objections de ces éminents juristes, voyons un peu le nœud du problème.

C'est peu dire que la République n'aime guère ses juges. Atavisme historique dont j'ai déjà parlé, le pouvoir judiciaire fait peur, et le pouvoir dominant, que ce soit l'exécutif ou le législatif, a toujours veillé à le châtrer. Tout d'abord, en le coupant en deux parties séparées, afin d'avoir ses propres juges (mais qui ont à leur tour pris leur indépendance), et en faisant du troisième pouvoir une simple autorité placée sous la protection que l'on espère bienveillante du président de la République, pourtant chef de l'exécutif. Les parlementaires jouissent d'une immunité, les ministres sont justiciables d'une juridiction où les parlementaires sont majoritaires et qui ne s'est pas manifestée pour sa grande sévérité, et le président de la République a été mis hors de portée de tout ce qui dit le droit[1]. Par contre, qu'un juge soit accusé d'avoir mal fait son travail, et il sera sommé de comparaître devant une commission parlementaire, et le garde des sceaux engagera contre lui des poursuites disciplinaires, faute de pouvoir prononcer directement une sanction, quand bien même ses services lui expliqueraient qu'aucune faute n'a pu être relevée. Les pouvoirs sont ici séparés comme le valet est séparé du maître.

Car la séparation des pouvoirs, vous le remarquerez, n'est jamais opposée qu'au pouvoir judiciaire sur un ton de "pas touche" ! Le fait ainsi que l'exécutif tienne le législatif en laisse en allant jusqu'à tenir son agenda n'a ainsi jamais fait sourciller, pas plus que le fait qu'un premier ministre rappelle à l'ordre un député qui se serait cru libre de critiquer le gouvernement ne provoque de cris d'orfraie de la part des parlementaires.

Ces prolégomènes étaient nécessaires pour bien comprendre l'état des textes. N'y cherchez aucune orthodoxie juridique, aucune cohérence : le but était de mettre le président à l'abri des questions déplacées de ceux qui voudraient que la loi s'appliquât à tous en France (il en reste).

La règle applicable est posée dans la constitution, en son article 67 :

Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68 [qui précisent les conditions de sa destitution en cours de mandat.].

Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions.

C'est l'alinéa 2, que j'ai graissé, qui est le centre du problème. Le vocabulaire semble à première vue ne concerner qu'une action pénale : acte d'information, d'instruction, ou de poursuite. Mais en réalité, il n'en est rien.

L'alinéa 2 exclut bien toutes les juridictions et les autorités administratives : cela recouvre toutes les juridictions judiciaires, administratives, et les autorités administratives ayant un pouvoir de sanction (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, CNIL, Autorité des Marchés Financiers, Conseil de la Concurrence...). Nul ne peut faire un procès au président de la République, même pour des faits commis avant sa prise de fonction. A commencer par le conjoint de celui-ci, qui ne peut demander le divorce à un juge, que ce soit pour faute, pour rupture prolongée du lien conjugal, ou même sur demande acceptée, car le président serait défendeur et donc ferait l'objet d'une action, et le juge devra exercer son autorité pour trancher sur les conséquences du divorce. Là, je pense qu'il y aura consensus chez les juristes.

Reste une possibilité, et là, nous entrons dans le brouillard. Quid du divorce par requête conjointe ? Le divorce par requête conjointe est en effet une matière gracieuse et non contentieuse. Les époux demandent au juge de prononcer le divorce en constatant leur volonté commune de divorcer, et que toutes les conséquences matérielles du divorce ont été réglés d'un commun accord, par une convention de divorce qu'ils sont signé avec le concours de leur avocat (dont l'intervention est obligatoire).

A strictement parler, dans une telle hypothèse, le président de la République ne fait pas l'objet d'une action. Il est codemandeur, et il n'y a pas de défendeur. L'office du juge se résumé à dire "oui" ou "non", selon qu'il estime que la volonté des époux est réelle (il les reçoit seul et séparément à cette fin) et que les dispositions prises en commun par les époux respectent les intérêts de chacun (concrètement, ne laisse pas l'époux le plus faible dans le besoin attribuant l'essentiel de la fortune commune à l'autre). Il ne peut pas de sa propre autorité modifier la convention ,et décider unilatéralement que tel époux devra verser à son conjoint une somme à titre de prestation compensatoire alors qu'aucune n'était initialement prévue, ou d'en modifier le montant.

Avant 2005, la loi prévoyait d'ailleurs une procédure en deux étapes. Une première audience visait à constater la volonté des époux, les inviter à réfléchir, et permettait au juge de présenter des observations sur le projet de convention de divorce, en disant clairement que si tel point n'était pas modifié dans le sens qu'il indiquait, il refuserait l'homologation de cette convention et donc de prononcer le divorce à la deuxième audience, plusieurs mois plus tard. Aujourd'hui, il n'y a qu'une audience, ce qui renforce le rôle de conseil de l'avocat, qui se doit de faire en sorte de présenter une convention qui sera acceptée par le juge. Le cas échéant, la convention peut être modifiée à la main sur un coin de table dans le cabinet du juge. Sinon, c'est le refus de prononcé du divorce, et toute la procédure doit être recommencée depuis le début avec une nouvelle convention.

Y a-t-il un obstacle à ce que le président de la République et son conjoint présentent ensemble une requête en divorce avec une convention de divorce ?

Pour ma part, je n'en vois pas. Le fait que le président ne peut faire l'objet d'une action ne lui interdit pas d'en être le sujet, c'est à dire d'exercer lui-même une action. Le juge aux affaires familiales ainsi saisi pourrait prononcer le divorce ou refuser de le prononcer, sans violer l'article 67 de la constitution.

Qu'objectent mes excellents contradicteurs ?

Pour Frédéric Rolin et Jules, le principal argument est commun. Le fait que ce soit une matière gracieuse (les parties ne sont pas en conflit et demandent au juge d'entériner leur accord) et non contentieuse (les parties demandent au juge de trancher entre leurs arguments contradictoires) n'exclut pas l'application de l'article 67. Jusque là, je suis d'accord.

Or, même en matière gracieuse, le juge peut décider de son propre chef qu'une mesure d'instruction est nécessaire (articles 10 et 27 du nouveau Code de procédure civile, ou NCPC) comme une enquête sociale ou une expertise psychiatrique par exemple.

Jules rappelle que parmi ces mesures d'instruction figure l'audition des parties (article 10 du NCPC) : « Au titre des mesures d'instruction, les expertises, l'interrogation de témoins, la réception d'attestations, par exemple. Mais également "entendre les parties". Autrement dit, l'audition des parties constitue une mesure d'instruction au sens du NCPC ». Or cette audition est obligatoire pour le divorce par requête conjointe. Dès lors conclut-il, une mesure d'instruction prohibée étant indispensable, l'article 67 s'oppose au prononcé du divorce.

J'objecte très respectueusement.

L'audition des parties est une formalité obligatoire du procès. Elle est prévue par l'article 250 du Code civil, et les modalités sont prévues par l'article 1092 du NCPC, qui n'est ni l'article 10, ni l'article 27, j'ai des preuves irréfutables de cela, l'article 1092 faisant partie du chapitre consacrée à la procédure de divorce par requête conjointe.

Il ne faut pas confondre formalité obligatoire et mesure d'instruction. La mesure d'instruction est une faculté offerte au juge afin de mieux s'informer avant de statuer. Quand bien même le juge aux affaires familiales s'estimerait pleinement informé par la requête en divorce et la convention elle même dont il est saisi, l'avocat pouvant lors de l'audience apporter les quelques détails manquant, il reste tenu d'entendre les époux.

Plus encore, l'audition des parties, comme tout acte d'instruction doit être contradictoire, c'est à dire que l'autre partie doit pouvoir non seulement ouïr les propos mais y objecter. Or en matière de divorce, cette audition n'est pas contradictoire : les époux sont reçus séparément, et hors la présence du ou des avocats. Cela exclut donc qu'il s'agisse d'une mesure d'instruction.

J'opinerais donc pour ma part qu'un juge aux affaires familiales pourrait prononcer le divorce s'il estimait que la requête et la convention sont satisfaisantes ; s'il devait au contraire estimer qu'une mesure d'instruction serait nécessaire, l'article 67 le lui interdirait et il devrait alors refuser de prononcer le divorce. La seule possibilité qu'a le président de la République de divorcer est donc par requête conjointe, requête ne devant poser aucune difficulté pour le juge.

A cela, Frédéric Rolin objecte que ce raisonnement heurterait la règle de l’unicité de l’office du juge :« le juge ne serait compétent que s’il ne mettait pas en œuvre certains des pouvoirs qui lui sont légalement dévolus. Cela n’est tout simplement pas concevable. »

En effet.

Si l'on aborde le problème sous l'angle de la compétence.

Or dès lors que le juge aux affaires familiale constate qu'il est territorialement et matériellement compétent, dans notre cas qu'il est bien juge aux affaires familiales (c'est écrit sur sa porte) et qu'il siège bien à Nanterre (c'est écrit sur un panneau devant le tribunal), le problème de la compétence est réglé.

Seul se pose le problème des pouvoirs du juge. La loi lui donne des pouvoirs pour mieux s'informer avant de statuer. Mais la constitution les lui retire quand un des époux est président de la République. S'il estime être insuffisamment informé pour pouvoir prononcer le divorce, le juge doit refuser, ou éventuellement surseoir à statuer en invitant les parties à lui fournir les pièces qu'il estime nécessaire, sans utiliser le moindre pouvoir de contrainte ni les ordonner lui même. Si ces éléments ne lui sont pas fournis, retour à la situation initiale : la demande sera rejetée.

Cela ne viole pas l'interdiction du déni de justice : le juge ne refuse pas de statuer sous le prétexte de l'obscurité de la loi : il statue, et sa réponse est de rejeter la demande des époux.

D'ailleurs, le Nouvel Observateur annonce par un titre assez mystérieux que « Les Sarkozy ont matérialisé leur séparation lundi 15 octobre ». Matérialisé une séparation ? Les termes sont paradoxaux. S'ils ont vu un juge, il est bien possible qu'ils soient d'ores et déjà divorcés. Mais les rumeurs vont bon train dans cette affaire : LCI dit qu'une requête aurait été déposée par Cécilia Sarkozy, ce qui ne semble pas très réaliste : je pense qu'elle a autre chose à faire que jouer les coursiers pour son avocat. Comment savoir ?

Mais très simplement, amis journalistes. Allez régulièrement à la mairie où se sont mariés les époux Sarközy de Nagy-Bocsa et Ciganer-Albéniz, et demandez un extrait d'acte de mariage sans filiation (il vous faudra la date du mariage, mais vous êtes journalistes, je vous fais confiance). C'est gratuit et aucun justificatif ne vous sera demandé. Le divorce devra être mentionné en marge pour que ses effets soient opposables au tiers, notamment que les époux puissent se remarier ou que les créanciers de l'un ne puissent poursuivre l'autre. Vous aurez même l'indication du jour où le jugement a été rendu. La demande peut aussi être faite par courrier (n'oubliez pas une enveloppe timbrée pour la réponse).

Et dès lors, réjouissez vous, femmes de France : vous saurez que le président est à nouveau un cœur à prendre.

Notes

[1] "Dire le droit" en latin se dit juris dictio ; d'où le mot juridiction : entité qui dit le droit.

lundi 15 octobre 2007

La libération conditionnelle de Bertrand Cantat

Laissons de côté la si décevante actualité sportive (la France n'a gagné QUE 6 à 0 aux Féroé...) et tournons nous vers l'actualité juridique et judiciaire qui est riche ces temps-ci. Je vais aborder trois thèmes cette semaine, si mon agenda m'en laisse le temps : les peines plancher, la réforme de la carte judiciaire notamment.

Mais tout d'abord, collons le plus à l'actualité, la libération conditionnelle, sous les feux de la rampe aujourd'hui par la libération annoncée de Bertrand Cantat.

Soyons d'emblée très clairs. L'objet de ce billet n'est absolument pas d'étaler soit des déclarations scandalisées sur cette décision soit une approbation bruyante en fustigeant ceux qui s'y opposaient. De tels commentaires seront impitoyablement supprimés, je vous rappelle que je suis de mauvaise humeur depuis samedi soir. Pas de pollution médiatique ici, vous avez le courrier des lecteurs de la presse pour ça (je vous recommande les commentaires sous l'article de Libération, d'un niveau de caniveau très satisfaisant).

Je voudrais simplement expliquer ce qui conduit à de telles décisions de libération à mi-peine, et pourquoi celle-ci en particulier n'a absolument rien de scandaleux, même s'il est permis d'être à titre personnel, moral et pourquoi pas philosophique (domaines dans lesquels ce billet s'abstiendra de pénétrer) en désaccord avec elle.

La peine vise à punir, c'est une évidence, mais elle ne vise pas qu'à cela. C'est là l'écrasante responsabilité des juges - vous comprendrez bientôt le pluriel - que de rechercher l'équilibre entre toutes les finalités de la peine.

C'est l'article 132-24 du Code pénal qui a inscrit dans la loi les principes posés depuis longtemps par la jurisprudence, notamment du Conseil constitutionnel.

alinéa 2 :

La nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l'insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions.

La protection de la société, c'est la neutralisation de l'individu dangereux. La prison est le plus efficace, mais d'autres peines y suffisent parfois amplement (la suspension du permis du chauffard, par exemple).

La sanction du condamné, c'est la rétribution : il a eu un comportement interdit, il doit être sanctionné sauf à faire de l'interdit social une farce. Le but est que quel que soit l'intérêt tiré du comportement, il ne vaille pas la peine qui y est attaché. Rouler à 200 fait arriver plus vite, mais si on vous confisque votre voiture et annule votre permis, le jeu n'en vaut pas la chandelle.

Les intérêts de la victime. Ca, c'est un ajout de la loi Clément sur la récidive du 12 décembre 2005. L'irruption de la victime à tous les stades du procès pénal est une tendance parfois irritante de notre époque tant on détourne le procès pénal de sa finalité et de ce qu'il est vraiment : un individu face à la société dont il a transgressé les règles. Mais la prise en compte de ses intérêts au niveau de la peine est parfaitement naturelle, et les juges n'ont pas attendu le législateur pour en faire un paramètre de la peine. C'est d'ailleurs un très bon argument pour la défense : il faudra réparer, or la prison, privant de travail, empêche la réparation, ou la retarde d'autant. Comme quoi, les intérêts de la victime sont parfois opposés à ceux de la société, qui a plus à gagner à une neutralisation durable.

La nécessité de favoriser l'insertion ou la réinsertion du condamné : il y a toujours un après la peine depuis le 9 octobre 1981. Il faut préparer cet après, car le retour à la liberté après une longue incarcération (et quatre ans, c'est long) est difficile. On passe d'un univers très encadré (vous n'ouvrez aucune porte vous même et n'allez nulle part sans permission) à être livré à soi même, et souvent à la solitude. Il ne faut donc pas insulter l'avenir par la peine. D'où une nécessaire phase de transition, de retour progressif à la liberté sous certaines contraintes. Là se situe le coeur de la libération conditionnelle.

Prévenir la commission de nouvelles infractions. Redondance avec la protection de la société, mais le législateur de 2005 était obsédé par la récidive. Cette prévention, outre la menace de la sévérité en cas de récidive (dont l'efficacité me paraît très douteuse, j'y reviendrai quand je parlerai des peines plancher), il y a aussi le traitement médical ou psychologique, le sevrage alcoolique, qui nécessite aussi une certaine forme de contrainte, qui ne peut être exercée que pendant l'exécution de la peine. La libération conditionnelle sert aussi à cela.

Ces principes s'imposent d'abord à la juridiction de jugement. Dans le cas Cantat, la juridiction était lituanienne, mais ces principes ne sont pas non plus inconnus sur les rives de la Baltique. Une bonne plaidoirie doit à mon sens donner l'opinion de l'avocat sur ces quatre points. C'est en tout cas plus pertinent que l'invocation de l'enfance malheureuse (il y a des présidents de correctionnelle qui viennent de la DDASS, l'excuse passera très mal) ou que "la prison ne sert à rien puisque le prévenu a toujours récidivé", que j'ai entendu récemment dans un prétoire avant que le tribunal ne prononce une peine largement supérieure aux réquisitions du parquet.

Mais une peine s'étalant dans le temps, il ne serait pas bon de la traiter comme une parole sacrée et intangible. Un condamné peut changer, et la longue période d'observation continue qu'est un emprisonnement permet de le constater. C'est là qu'intervient le juge d'application des peines (JAP). Il a de par la loi des pouvoirs étendus mais pas illimités pour modifier la peine en cours d'exécution. Il peut la suspendre, la fractionner (un étudiant condamné à 6 mois de prison ferme fera deux fois trois mois pendant ses vacances scolaires ce qui n'interrompra pas ses études), la réduire pour bonne conduite, donner des autorisations de sorties (une journée à quelques jours, pas plus) et enfin octroyer la libération conditionnelle.

La libération conditionnelle suppose que le condamné ait exécuté une durée d'emprisonnement égale à celle lui restant à accomplir. Ce qu'on appelle la mi-peine, qui n'est pas égale à la moitié de la peine, ce serait trop facile, les réductions de peine devant être décomptées. C'est la première condition, mais pas la seule. Ajoutons que le droit étant la science des exceptions, un condamné ayant un enfant de moins de dix ans avec qui il vit habituellement est dispensé de cette condition de mi peine. La société considère que l'intérêt de l'enfant doit pouvoir justifier une grande clémence.

Une fois que la mi-peine est franchie, le JAP peut, soit d'office (le JAP doit examiner chaque année la situation des condamnés admissibles à cette mesure), soit à la demande du condamné, envisager une libération conditionnelle. Les critères pris en compte sont l'exercice d'un travail à la sortie, les efforts faits en vue d'indemniser les victimes, l'assiduité à un enseignement ou une formation en cours de détention, le suivi d'un traitement médical contre les causes du passages à l'acte, et les conditions qui attendent le condamné à la sortie. Le dossier pénitentiaire est pris en compte, puisque l'avis de l'administration pénitentiraire est sollicité, et un condamné multipliant les incidents et les punitions aura peu de chance de bénéficier d'une telle libération. Un SDF aura bien plus de mal à obtenir une libération conditionnelle qu'une personne attendue par sa famille qui lui a trouvé un emploi. C'est ainsi.

L'intérêt de la libération conditionnelle est que la peine est toujours en cours d'exécution : le libéré reste sous l'autorité de la justice. La libération est conditionnelle. Le droit est aussi la science des épithètes, auquel le public ne prête jamais assez d'attention. Le JAP impose des obligations au libéré (ne pas changer de domicile sans autorisation, répondre aux convocations ou recevoir le travailleur social chargé de son dossier) qui, s'il ne les respecte pas, encourt un retour en prison, qui peut être très rapide, le JAP pouvant révoquer la mesure et décerner mandat d'arrêt sans avertir le condamné. Il y a donc un suivi, et une menace. On est loin du retour à la liberté de fin de peine, ou plus aucun suivi n'est par définition possible (sauf pour les délinquants et criminels sexuels condamnés à un suivi socio judiciaire, car le droit est la science des exceptions).

Ainsi, Bertrand Cantat bénéficiera-t-il d'une telle libération parce qu'il a accompli la moitié de sa peine depuis l'été dernier ; il a intégralement indemnisé les parties civiles qui avaient demandé des dommages-intérêts lors du procès (les enfants de la victime, ses parents s'y étant refusé) ; les risques de récidive paraissent inexistants ; il a de très bonnes conditions d'accueil à l'extérieur et peut espérer aisément retrouver un travail, que ce soit son ancienne activité de chanteur ou tout autre travail. Il est probable qu'il a pu fournir des promesses d'embauche satisfaisantes. Il a un dossier pénitentiaire exemplaire, n'ayant jamais été puni disciplinairement.

Tiens, en rédigeant ce billet, je découvre que Le Figaro publie le jugement du JAP de Toulouse.

Voilà un document précieux.

On apprend donc que la demande a été sollicitée le 22 juillet 2007. On ne peut pas dire que le JAP agisse dans la précipitation. Il a bien un contrat de travail avec Universal Music (oui, un chanteur très marqué à gauche qui travaille pour une multinationale, je ne vois pas où est le problème ?) renouvelé en 2005, des revenus issus de ses droits d'auteur et interprète, qu'il a deux enfants dont il souhaite pouvoir s'occuper - sa fille a 4 ans, son fils 10. La famille de la victime a été consultée qui a exprimé son désaccord, estimant que Bertrand Cantat aurait bénéficié de conditions privilégiées durant sa détention et invoquant l'exemplarité de l'affaire en matière de violences conjugales. L'administration pénitentiaire a donné un avis favorable. Le ministère public ne s'oppose pas (il a un mal fou à être d'accord, c'est un blocage), à condition que la période de suivi ne soit jamais réduite, et que le condamné poursuive à l'extérieur sa prise en charge thérapeutique et s'abstienne de toute intervention publique ou diffusion d'oeuvre relative aux faits (pas de livre, pas d'interview), ce à quoi le condamné a dit qu'il était d'accord.

Le juge explique ensuite sa décision : il constate sa compétence pour statuer seul (peine de moins de dix ans), que le condamné est à mi peine, et répond aux parties.

Sa réponse à la famille de la victime mérite d'être reprise ici, pour les Monsieur Prud'homme qui se scandalisent sans savoir.

Monsieur Cantat et son conseil ont rappelé les conditions de vie carcérale ayant entouré les quatorze mois d'emprisonnement subis à Vilnius, avec notamment un placement en isolement dans une cellule de 6m² située en sous sol, seulement éclairée par un soupirail et une ampoule allumée nuit et jour, une surveillance permanente à travers un miroir sans tain en raison du risque d'un passage à l'acte suicidaire, ou encore l'impossibilité, pour des raisons linguistiques, de bénéficier du soutien psychologique qui lui était à l'époque particulièrement indispensable ;

S’agissant ensuite de l’incarcération subie à MURET, il convient de relever que M.CANTAT, contrairement à certaines allégations ayant pu circuler dans la presse, n’a en aucune manière bénéficié d’un "traitement de faveur" caractérisé par une plus grande liberté de circulation à l’intérieur de l’établissement, de plus larges horaires d’ouverture des cellules , et la prise de repas en commun, l’organisation de sa vie quotidienne ne lui est évidemment pas spécifique, mais réservée à la centaine de détenus affectée au bâtiment dit "de confiance", car ne présentant ni problème de réadaptabilité, ni dangerosité de nature sociale ou psychiatrique.

Loin de lui valoir, comme e pu le penser la partie civile sur le base d’informations erronées, un statut privilégié et des conditions de détention "que bien des prisonniers lui envieraient", la notoriété de M. Cantat l’a au contraire placé dans un contexte singulièrement éprouvant.

Ainsi, et clans la suite de l’incendie [1] survenu au cours de sa détention en Lituanie, et dont le caractère criminel est depuis avéré, M. CANTAT a reçu plusieurs lettres le menaçant de mort, notamment dans les débuts de son incarcération au Centre de Détention faisant actuellement l’objet d’enquêtes auprès du Parquet de TOULOUSE, d’autres sont parvenues à l’approche du débat contradictoire, et même en cours de délibéré. A l’intérieur de l’établissement, un climat de représailles avait également entouré son arrivée et nécessité pour sa sécurité un transfert rapide vers un autre bâtiment, certains détenus ayant utilisé sa faiblesse psychologique pour “s’autoproclamer protecteur” en lui faisant croire qu’il était la cible d’un “contrat” à l’extérieur.

Par ailleurs, toujours en lien direct avec l’extrême médiatisation entourant cette affaire, M. CANTAT a dû affronter de graves atteintes à la vie privée, parmi lesquelles le détournement et la publication dans l’hebdomadaire "VOICI"[2] (édition du 21 février 2005) de sa fiche d’inscription à l’université de Toulouse Le Mirail - ce qui l’a conduit à abandonner les études de philosophie qu’il souhaiter mener par correspondance auprès de cet établissement- , et surtout la parution d’une quinzaine de clichés photographiques pris à son insu en plusieurs moments et lieux du son quotidien carcéral (“VSD” édition du 21 au 27 février 2007, condamnation de la 17e Chambre Civile du TGI de Paris en date du 1er octobre 2007),

Au regard de la durée effective et de la pénibilité de l'emprisonnement subi, la mesure de libération sollicitée par M. CANTAT ne saurait donc être considérée comme prématurée, étant enfin observé que sa sortie définitive eu situe à moins de deux ans, comme étant fixée au 29juillet 2009[3].

Voilà pour ceux qui trouvent que Bertrand Cantat s'en sort trop bien et a passé de joyeuses vacances.

Enfin, rappelons que le fait d'être une personne publique, un "pipole" comme on dit en français moderne, que l'on soit auteur ou victime, n'implique pas la mise à disposition du public de sa vie privée et l'invitation à proférer des jugements aussi définitifs que fondé sur du néant. Laissons ces personnes vivre en paix. A ce titre, je réitère mon avertissement. Les commentaires donnant un avis dont nul, à commencer par moi, n'a que faire sur les divers protagonistes de cette affaire,seront supprimés.

Notes

[1] de sa maison personnelle, NdEolas

[2] Dont je salue au passage la rédaction qui, je le sais, me fait l'amitié de me lire et celle plus grande encore de ne pas s'intéresser à moi

[3] Par le jeu des réductions de peine et décrets de grâce.

mardi 2 octobre 2007

Enfin un vrai Code des étrangers...

Je viens de recevoir la nouvelle édition du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile (CESEDA), publié par LITEC.couverture du code

C'est l'héritier des éditions antérieures, de la collection "Juriscode", dont l'organisation interne ne m'avait jamais paru satisfaisante (surtout avant la codification, où l'index renvoyait aux articles selon une classification absconse entre "texte pertinent" et "texte leader" qui n'en faisait pas un outil de travail très pratique).

Grand coup de balai, pour un résultat très heureux : cette fois, c'est un vrai code, similaire aux Code civil, Code pénal, Code de procédure pénale édités par la maison aux codes bleus. Les articles de la partie législative, puis réglementaire, avec en dessous les annotations de jurisprudence et commentaires pertinents de Vincent Tchen et Fabienne Renault-Malignac, suivi d'annexes où se trouvent les autres textes utiles au droit des étrangers (Convention européenne des droits de l'homme, accord Franco-Algérien de 1968, textes communautaires...) avec cette organisation à laquelle nous sommes habitués.

Réduction de format aussi, qui le rend plus aisément transportable : on passe du Juriscode 24x16 cm, 1400 pages, au format Code 19,5 X 14cm, 1500 pages.

Par contre, ce Code est loin d'être abordable : 73 euros, pour un Code qui ne sera plus à jour dans quelques semaines. Il demeure que c'est un support indispensable pour tous les praticiens de la matière, avocats bien sûr, mais aussi pour les associations intervenant dans le domaine.

Vous pouvez y aller, il est Eolas approved.

NB : Gros errata tout de même : à l'article L.511-1, il manque le premier alinéa du II, ainsi rédigé :

II. L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants :

Cet oubli cause un vrai problème de compréhension du texte, la liste des cas où un APRF peut être pris apparaissant directement sous la liste des cas où le préfet peut prendre une OQTF. A vos crayons pour rectifier.

  • Editeur : Litec; Édition : édition 2008 (sorti le 5 septembre 2007)
  • Collection : Codes LITEC
  • ISBN-10: 271100905X
  • ISBN-13: 978-2711009053

Full disclosure : j'ai acheté mon Code avec mes sous à moi, je ne connais pas Vincent Tchen autrement que par la lecture assidue de son excellent blogue, je n'ai pas été sollicité pour faire cette promotion, qui est spontanée et traduit ma satisfaction face à ce nouveau code que j'attendais depuis longtemps. Cela dit, si les Editions Litec veulent m'offrir l'inévitable édition 2009 mise à jour des deux ou trois lois qui seront votées d'ici là, qu'elles n'hésitent pas, j'en ferai un excellent usage.

jeudi 30 août 2007

Un procureur convoqué à la chancellerie

Dans le bureau du garde des sceaux, Rachida Dati, assise, fait face à un procureur, debout. D'une attitude décontractée, elle lui dit : « C'est pourtant simple : à l'audience, vous êtes libre d'approuver la politique du gouvernement... »

L'événement est assez rare et notable pour mériter plus qu'un dessin quelque peu moqueur.

Rappelons les faits : lundi dernier, à l'audience des comparutions immédiates, le procureur d'audience, Philippe Nativel, a requis qu'il ne soit pas fait application de la peine plancher de quatre années encourue par le prévenu, poursuivi pour cession de stupéfiants en récidive. Pour la petite histoire, il a requis un an ferme, le tribunal a prononcé huit mois, qui font trente deux mois avec la révocation du sursis antérieur.

Là n'est pas le problème, car la loi du 10 août 2007 prévoit expressément qu'on puisse écarter la peine plancher à certaines conditions appréciées par la juridiction.

Le problème vient de propos qu'il aurait tenu à l'audience et qui ont été rapportés par un journaliste de l'Est Républicain présent à l'audience :

Je ne requerrai pas cette peine plancher de quatre ans car les magistrats ne sont pas les instruments du pouvoir. Ce n'est pas parce qu'un texte sort qu'il doit être appliqué sans discernement.

Ces propos lui ont valu une convocation à la Chancellerie, autre nom du ministère de la justice, que l'on utilise quand seuls les services judiciaires sont concernés (le ministère de la justice gère aussi l'administration pénitentiaire). Il n'est pas venu seul, le Procureur de la République de Nancy et le Procureur Général étaient du voyage. Mon dessin est donc incomplet, il est aussi faux car ce n'est pas Rachida Dati qui l'a reçu mais le directeur des services judiciaires et le directeur adjoint de cabinet du garde des sceaux.

Pourquoi cet aréopage, et de quel droit cette convocation ?

Parce que la magistrature se divise en deux : il y a les magistrats du siège, c'est à dire les juges (ils restent assis quand ils parlent), et la magistrature debout, c'est à dire les procureurs, qui se lèvent pour parler. Les procureurs représentent la société, engagent les poursuites, et requièrent l'application de la loi à l'audience, c'est à dire forment une demande, au même titre que les avocats présents, le tribunal étant souverain dans les suites à donner. Il peut même aller au-delà des réquisitions du parquet, le seul maximum étant fixé par la loi.

Alors que les juges sont rigoureusement indépendants, les procureurs ne le sont rigoureusement pas. Le parquet est hiérarchisé, et chacun de ses membres, que j'appellerai "procureurs" pour faire simple, sont interchangeables. Le parquet est indivisible, a-t-on coutume de dire : chaque procureur le représente en entier. On appelle aussi le parquet le ministère public. Ces deux termes sont synonymes, ministère public étant plus utilisé pour désigner l'ensemble fonctionnel, le parquet désignant plutôt l'ensemble des procureurs d'un tribunal. Ainsi, tous mes dossiers pénaux sont intitulés : (nom du client) contre ministère public. Le ministère public est mon adversaire, peu importe que je sois opposé à un procureur du parquet de Thionville ou un avocat général du parquet général de Saint Denis de la Réunion.

La hiérarchie du parquet est simple : dans chaque ressort de cour d'appel, il n'y a qu'un seul grand Manitou, le procureur général, et les procureurs de la République sont ses prophètes.

Voyons plus en détail. Les parquets suivent la carte judiciaire. Pour une cour d'appel, il y a un parquet, qu'on appelle parquet général, dirigé par le procureur général. Il est composé de substituts généraux, qui ont des tâches administratives, et des avocats généraux, qui plaident aux audiences, tout particulièrement aux assises. Philippe Bilger est ainsi avocat général à la cour d'appel de Paris, dirigé par Laurent Le Mesle, qui est donc son supérieur hiérarchique. Le procureur général peut décider d'aller siéger à n'importe quelle audience de la cour d'appel et de requérir aux côtés ou à la place de n'importe quel avocat général, discrétionnairement. C'est ce qui s'est passé lors du procès en appel de l'affaire d'Outreau, ou le procureur général de l'époque, Yves Bot, a siégé en personne, et fait une conférence de presse exprimant ses regrets aux accusés alors même que la cour n'avait pas fini de délibérer. Il ne peut par contre aller siéger devant le tribunal de grande instance, mais peut donner des instructions écrites au procureur de la République pour qu'il aille requérir en personne.

Le procureur général dirige donc son parquet général, mais en plus il est le chef des procureurs de la République, qui, eux, dirigent les parquets des tribunaux de grande instance du ressort, composés de substituts et de procureurs adjoints (je vous fais cadeau des vice-procureurs et premier vice-procureurs, c'est une question d'avancement hiérarchique et non de droit judiciaire). C'est donc lui qui dirige la politique pénale dans son ressort, et qui notamment est en charge de la notation des procureurs de son secteur.

Au dessus des procureurs généraux, il y a le Très Grand Manitou : le Garde des Sceaux. C'est lui (en l'occurrence, elle) qui unifie au niveau national la politique pénale, par des circulaires distribuées aux parquets (généraux, avec copie aux procureurs de la République, et copie pour information aux juges du siège) et donnant des instruction pour appliquer telle loi, et fixant des priorités (par exemple : poursuivre systématiquement toutes les violences conjugales). Le Garde des Sceaux est enfin l'autorité de poursuite des magistrats du siège (il saisit le Conseil Supérieur de la Magistrature, CSM, qui prononcera la sanction) et l'autorité qui sanctionne les magistrats du parquet (le CSM ne donnant qu'un avis consultatif sur la sanction). C'est ainsi que le précédent Garde des Sceaux s'est sérieusement posé la question de savoir si le fait que le célèbre juge d'instruction qui a instruit l'essentiel de l'affaire d'Outreau était désormais procureur au parquet de Paris lui permettait de prononcer lui même une sanction sans passer par le CSM. La réponse est évidemment non, la faute supposée ayant été commise en qualité de juge, ce sont les règles applicables aux juges qui doivent être suivies.

Mais (car en droit, il y a toujours un mais), un procureur a beau être procureur, il n'en est pas moins magistrat. Le parquet est la magistrature debout, pas la magistrature couchée. S'il est tenu, à peine de sanction disciplinaire, d'obéir à ses chef, il en conserve néanmoins une parcelle de liberté à laquelle les procureurs sont farouchement attachés. Cette liberté est joliment résumée par une formule bien connue des étudiants en droits : « A l'audience, la plume est serve mais la parole est libre. »

C'est à dire que le procureur d'audience est tenu de suivre les instructions écrites qu'il aura reçues, mais peut parfaitement, sans que personne ne lui en fasse le reproche, s'en désolidariser oralement à l'audience et dire quelle serait, en son âme et conscience la meilleure application de la loi.

Plus prosaïquement, ce principe est consacré par la loi à l'article 33 du code de procédure pénale.

Si un procureur pense qu'Untel est innocent, mais que sa hiérarchie lui ordonne de le poursuivre, il devra rédiger et signer l'acte de poursuite (cédule de citation, réquisitoire introductif...). Mais une fois à l'audience, il pourra dire « J'ai poursuivi Untel car tels étaient les ordres que j'ai reçus ; mais je reste convaincu comme je l'étais alors qu'il n'est pas l'auteur des faits, et pour ma part, je requiers la relaxe ».

Vous voyez, ce n'est pas une question d'ego ou de susceptibilité professionnelle. Derrière, il y a une garantie des libertés.

Revenons en à notre procureur rechignant à être un instrument.

Le Garde des Sceaux, le Très Grand Manitou, a estimé qu'en tenant les propos rapportés par la presse, il a outrepassé cette liberté en critiquant ouvertement la politique pénale du gouvernement alors qu'il est en charge de faire appliquer la loi selon les directives du gouvernement. Comme chef du parquet, elle a donné l'ordre à l'intéressé de venir s'expliquer. Comme il s'agit d'un procureur, son chef direct, le procureur de la République, est du voyage. Et comme le Procureur Général est le grand chef du parquet, et est en charge de la notation des parquetiers, lui aussi aura pu tester le TGV Est. Car sans aller jusqu'aux poursuites disciplinaires, il est loisible d'apprendre à un procureur le respect dû à ses supérieurs en lui confiant un de ces postes ennuyeux à mourir administratifs le tenant éloigné des prétoires, sa liberté de parole étant ainsi réservée à son assistant de justice.

L'intéressé niant avoir tenu les propos qui lui ont été prêtés, et précisant qu'ils ne reflètent pas ceux qu'il a pu tenir à l'audience, la Chancellerie a fait savoir qu'aucune poursuite ne serait engagée. L'affaire serait close, et le procureur général de Nancy, que j'ai entendu à la radio cet après midi, semble apporter son soutien inconditionnel à son procureur, en disant en gros que d'une part, il nie avoir tenu ces propos et que lui croit la parole de ses procureurs, et qu'en tout état de cause, la liberté de parole des procureurs doit être respectée. Donc, ce procureur ne devrait pas être muté à la révision des registres d'état civil.

Que penser de cette affaire ?

Pour tout dire, elle ne me plaît pas. Il y a dans l'attitude de la Chancellerie un message adressé à tous les parquetiers : nous vous surveillons. Obéir à nos instructions ne suffit plus, si des propos tenus à l'audience nous parviennent et nous déplaisent, ce sera un voyage à Paris avec le chef et le chef du chef, qui seront ravis de perdre ainsi une journée et se souviendront de votre nom le jour des notations. A bon entendeur, silence.

La liberté de parole à l'audience est pour moi fondamentale, c'est une pierre angulaire du procès. Pouvoir tout dire n'est pas le droit de dire n'importe quoi, bien sûr, et il y a des propos qui peuvent entraîner des sanctions disciplinaires ou pénales, pour eux comme pour nous avocats. Mais là, ces propos fussent-ils établis, je ne pense pas que cette limite eût été franchie. En tant qu'avocat, je veux que le procureur puisse émettre des réserves sur les conséquences qu'aurait l'application d'une loi, que ce soit au cas d'espèce par accident, ou de manière générale parce qu'un texte lui semble pernicieux. Le respect dû à la loi suppose que la loi puisse être jugée. En France, ce n'est pas le cas, nous n'avons pas de contrôle de constitutionnalité digne de ce nom. J'apprécie l'idée que face à une loi vraiment dangereuse (ce que la loi sur les peines planchers n'est pas selon moi), le tribunal pourra entendre le tocsin résonner depuis le banc du procureur et joindre son carillon à celui de la défense. C'est un allié de poids dans cette hypothèse, je ne veux pas qu'on le baillonne, même si je sais que le plus souvent, il dira des choses qui ne me conviendront pas. J'en fais mon affaire.

Là où l'attitude du gouvernement confine à l'aveuglement, c'est qu'il ne réalise visiblement pas que pour que ses procureurs gardent une vraie autorité à l'audience, et puissent requérir avec efficacité l'application des lois voulues par le gouvernement, il faut que le tribunal sache que quand il le fait, c'est librement et en conscience. En faire les Beni oui-oui du gouvernement serait se tirer une balle dans le pied.

En somme, celui qui a perdu une bonne occasion de se taire n'est pas celui qu'on croit.

mardi 7 août 2007

La loi sur le service minimum : le législateur a fait le service minimum

La loi sur le service minimum dans les transports a été adoptée par le parlement, et est actuellement pendante devant le Conseil constitutionnel. On est très loin de la déclaration de guerre aux organisations syndicales ou de la protection des usagers se sentant pris en otage.

La lecture de la Petite Loi, surnom donné aux textes adoptés mais non encore promulgués, donne en effet un sentiment de "tout ça pour ça ?"

Que dit exactement cette loi, en l'état, c'est à dire avant son examen par le Conseil constitutionnel ?

Cette loi s'appliquera uniquement aux services publics de transport terrestre régulier de personnes à vocation non touristique.

Le terme service public n'exclut pas les entreprises privées, mais impose que le service soit rendu à la demande d'une entité publique qui participe à son financement (ramassage scolaire dans les campagnes par exemple).

Terrestre exclut le transport maritime (ferry), fluvial et aérien.

Régulier exclut les opérations ponctuelles de location d'un autocar pour une sortie collective. Il s'agit d'une ligne desservie périodiquement, à des horaires préfixés, sans réservation préalable.

De personnes exclut le fret et les transports de type camion.

A vocation non touristique exclut les transports qui ressemblent à des transports en commun sans en être : pensons au Ballabus de la RATP ou aux bus à impériales rouges ou verts qui sillonnent désormais la capitale.

Bref, cette loi ne concerne que les lignes de bus, tramway, métro, trains de banlieue et TER qui servent pour de courts trajets entre le domicile et le lieu de travail, pas les TGV et les grandes lignes qui n'ont pas un rôle de service public.

La loi impose tout d'abord une obligation de négociation au sein des entreprises concernées par le domaine de la loi, de conclure un accord tendant à prévenir les conflits et à favoriser le dialogue social, en prévoyant qu'un préavis de grève ne peut être déposé qu'après que des négociations ont été engagées. Sachant que la loi (article L.521-3 du code du travail) prévoit que tout préavis de grève doit être déposé cinq jours francs avant le début de celle-ci et que dans ce laps de temps, les parties sont tenues de négocier, vous voyez l'efficacité de la négociation préalable pour prévenir une grève.

La loi impose non seulement la négociation, mais fixe son résultat. L'accord doit prévoir que des organisations syndicales doivent notifier leur intention de déposer un préavis (un préavis de préavis, en somme...), que l'employeur doit dans les trois jours engager des négociations qui ne pourront pas excéder huit jours, que l'employeur est tenu de donner certaines informations aux organisations pour la tenue de la négociation (par exemple, les comptes de l'entreprise pour une négociation sur les salaires), et que les salariés sont tenus informés du déroulement des négociations : demandes des syndicats, position de l'employeur, et "relevé de conclusions", le document qui résume des négociations n'ayant pas débouché sur un accord.

Ces accords doivent être conclus avant le 1er janvier 2008. Aucune sanction n'est prévue si ce délai n'est pas tenu, mais la menace sous entendue est qu'à défaut d'accord, le parlement se réserve le droit de légiférer sur ces points unilatéralement.

Outre ces accords, la loi pose des règles applicables lorsque le service est perturbé pour des raisons de grèves, de travaux, d'aléas climatiques ou toute raison protée à la connaissance de l'entreprise, ces trois dernières causes n'entraînant l'application des règles de service minimum qu'après écoulement de trente six heures, du fait de leur caractère difficilement prévisible, ce que n'est pas une grève, avec l'obligation de préavis.

Les entreprises doivent élaborer un plan de transport qui, en fonction de la gravité de la perturbation du service, prévoit des dessertes prioritaires, des plages horaires par destination, et l'information du public de ces conditions de circulation. Le but est d'éviter qu'une ligne soit paralysée tandis qu'une autre n'est que modérément perturbée.

Les modalités de ce plan doivent également faire l'objet d'une négociation avant le 1er janvier 2008.

En cas de grève, la loi prévoit deux mesures qui sont les deux seules mesures vraiment nouvelles de cette loi.

D'une part, les salariés doivent indiquer quarante huit heures à l'avance qu'ils ont l'intention de faire grève. Officiellement, pour permettre une organisation optimale du service. Officieusement pour éviter les pressions subies par les salariés au moment de l'embauche. La loi précise que la liste des grévistes est couverte par le secret professionnel, et qu'elle ne vise qu'à l'organisation du service ; la communication de cette liste à d'autres fins est pénalement sanctionnée.

D'autre part, si la grève dure huit jours, l'employeur, une organisation syndicale représentative ou un éventuel médiateur peuvent demander une consultation à bulletin secret sur la poursuite de la grève. Cette consultation n'est qu'indicative et n'interdit pas la poursuite de la grève même si une majorité se prononce contre, pour des raisons que je vais développer plus bas.

Enfin, la loi prévoit quelques mesures au bénéfice des usagers : ils doivent être informés des perturbations 24 heures à l'avance, ce qui est facilité par l'obligation des salariés de se déclarer gréviste 48 heures à l'avance, puisque les perturbations sont censées être parfaitement prévisibles ; si cette information n'est pas donnée ou si le service minimum n'est pas assuré (la loi parle de "plan de transport adapté", toujours cet art de la périphrase...), l'usager a droit au remboursement de son transport, au prorata temporis.

C'est tout.

Pour bien comprendre dans quel cadre s'inscrit cette loi, quelques mots sur le droit de grève en général.

Le droit de grève ne s'applique que dans un cadre professionnel. La grève de la faim, ou la grève des étudiants sont des abus de langage, étudier n'étant pas une profession mais l'exercice d'une faculté (pas d'un droit, d'une faculté). La grève suppose la cessation concertée du travail dans le cadre de revendications négociables, c'est à dire qu'il doit être dans le pouvoir de l'employeur (au sens large, cela inclut l'Etat pour la fonction publique) d'accorder. Par exemple, une augmentation des salaires, ou l'annulation d'une sanction sont des objectifs négociables. La "défense du service public" est trop vague pour être un tel objectif.

Si ce droit est garanti par la Constitution, ce que les syndicats de salariés n'oublient jamais de souligner, il s'agit d'un droit limité : « Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent » nous dit le paragraphe 7 du préambule de la Constitution de 1946, préambule qui est en resté vigueur. Invoquer la protection constitutionnelle du droit de grève pour refuser toute loi limitant le droit de grève est donc un sophisme. Il est des professions qui n'ont pas le droit de faire grève à cause d'impératifs de service public : l'armée, la police, les juges, mais pas les greffiers, ce qui est un tort car un tribunal sans greffier est aussi inutile qu'un congrès des Verts. La Constitution interdit de porter au droit de grève une atteinte démesurée par rapport au but poursuivi. Interdire le droit de grève dans les transports serait sans nul doute regardé comme anticonstitutionnel. Mais il est des impératifs de valeur constitutionnelle qui justifient qu'on limite ce droit pour essayer d'éviter une paralysie complète.

C'est précisément pourquoi la loi rappelle dans son article 1er que :

Ces services sont essentiels à la population car ils permettent la mise en œuvre des principes constitutionnels suivants :
– la liberté d’aller et venir ;
– la liberté d’accès aux services publics, notamment sanitaires, sociaux et d’enseignement ;
– la liberté du travail ;
– la liberté du commerce et de l’industrie.

C'est là typiquement le genre de phrases que le Conseil aime à sabrer car elles ne légifèrent pas, elles ne posent aucune règle, elles constatent ce qui est. Ce genre de phrase a sa place dans l'exposé des motifs, pas dans la loi elle même. Mais en fait, le législateur s'adresse aux syndicats.

Hormis cette portion de phrase un peu inutile, je ne vois pas ce qui pourrait provoquer l'ire des neuf dix onze sages de la rue de Montpensier.

Le droit de grève est également un droit individuel, même s'il est d'exercice collectif. Le droit de grève n'a de sens que s'il implique le droit de ne pas faire grève. Les pressions exercées sur les salariés, les piquets de grève, sont des violations du droit de grève, qui relève d'une décision prise par le salarié en son âme et conscience. C'est pour cela que la consultation à bulletin secret au bout de huit jours n'a que valeur consultative. Pas plus qu'une majorité ne peut imposer à la totalité de faire grève, une majorité ne peut lui imposer de ne pas faire grève. Ce scrutin sert simplement à compter ses troupes autrement que par des rassemblements pompeusement appelés assemblées générales visant à donner aux médias une image d'unanimité à coups de mains levées, ces mêmes médias étant moins les bienvenues quand l'unanimité disparaît.

Enfin, jetons une pierre dans le jardin du gouvernement : on est loin du "service minimum", slogan de campagne, car rien dans cette loi n'empêche l'intégralité du personnel de se déclarer gréviste ; auquel cas aucune réquisition n'est prévue, et les transports publics seront bel et bien paralysés.

Cette loi vise simplement à rendre cette hypothèse moins probable, et à faire en sorte que chaque entreprise de transport ait un plan adaptant le service en cas de perturbation pour quelque cause que ce soit. La loi aurait pu aller plus loin dans la limitation du droit de grève, pousser jusqu'aux limites de la Constitution. Le législateur n'en a rien fait. Libre à lui, je n'ai rien moi même contre la modération. Mais ne croyez pas plus les cris d'atteinte à un droit sacré venant de votre gauche qu'aux positions de matamores adeptes de la rupture prises sur votre droite.

lundi 9 juillet 2007

La décision de la cour d'appel de Paris sur le CNE : le cadavre bouge encore

La cour d'appel de Paris a rendu vendredi dernier son arrêt final sur le Contrat Nouvelle Embauche (CNE). Final, car un premier arrêt avait été rendu sur la compétence du juge judiciaire pour examiner la question de la légalité du CNE, et un recours avait été exercé sur ce point. Je passe rapidement, je vous ferai bientôt un topo sur la merveilleuse séparation des autorités administratives et judiciaire en France.

La question de la compétence de la cour pour répondre à la question : le CNE est-il compatible à la convention 158 de l'Organisation Internationale du Travail ? a déjà été résolue en mars dernier : oui, la cour était compétente.

L'arrêt se divise en 6 parties, dont seules deux nous intéressent. Car au-delà de la question de la compatibilité du CNE avec cette convention, se posait le problème de Madame D., qui a été embauchée en juillet 2005 par Maître S., mandataire judiciaire, en qualité de secrétaire, par un CDD, à cause d'une surcharge de travail, pour une durée de six mois. Avant même l'expiration de ce CDD, Maître S. décidait d'embaucher Madame D. par un contrat Nouvelle Embauche, le 6 décembre 2005.

Le 27 janvier 2006, Maître S. rompait le CNR par une lettre recommandée, rupture effective après un préavis d'un mois. La salariée saisissait le conseil de prud'hommes de Longjumeau pour contester ce licenciement.

Le 24 avril 2006, soit avec une célérité qui ferait rêver les justiciables d'un Conseil de prud'hommes proche, le Conseil de prud'hommes de Longjumeau a écarté l'application de l'ordonnance du 2 août 2005 instituant le CNE comme contraire à la convention n°158 de l'OIT. Il a été fait appel de cette décision, ce qui nous amène devant la 18e chambre de la cour d'appel de Paris, là haut, tout là haut, sous les toits du palais.

Survolons rapidement les premiers points de l'arrêt : la cour écarte la responsabilité de l'employeur sur le défaut de convocation de la salariée par la médecine du travail, car il avait effectué toutes les démarches à cette fin ; elle rejette la demande de la salariée visant à voir requalifié en CDI le premier CDD de janvier 2005 ; elle rejette la demande de paiement d'heures supplémentaires, faute de preuve ; elle rejette également l'argument de la salariée contestant le recours à un CNE à l'égard d'un salarié présent dans l'entreprise, en relevant que le CDD arrivant à sa fin, on était bien en présence d'une nouvelle embauche.

Voici à présent les points numéro 5 et 6. En voici les considérants (et non les attendus : les décisions du premier degré, comme les conseils de prud'hommes, commencent par "attendu que...", les juridictions supérieures utilisant "considérant que..." ; le sens est strictement le même.)

5° Sur la conventionalité du contrat “nouvelles embauches”

Par conventionalité, il faut comprendre : compatibilité de l'ordonnance du 2 août 2005 avec la convention 158 de l'OIT.

Considérant que le ministère public a relevé appel du jugement qui a dit que l’ordonnance du 2 août 2005, créant le contrat “nouvelles embauches” est contraire à la convention n° 158 de l’organisation Internationale du Travail (OIT);

Considérant que par décision du 19 mars 2007, le tribunal des conflits a annulé l’arrêté du préfet de l’Essonne en date du 31 octobre 2006 qui a décliné la compétence du juge de l’ordre judiciaire pour connaître de l’exception d’illégalité de l’ordonnance du 2 août 2005;

C'est la décision confirmant la compétence de la cour d'appel de Paris pour juger de cette conventionalité.

Qu’ en conséquence , Melle D. et les parties intervenantes au litige sont fondées à invoquer les dispositions de la Convention n° 158 de l’OIT devant la chambre sociale de la cour et cette dernière est compétente pour statuer sur la conventionalité de l’ordonnance précitée,

Précision très importante de la cour, qui a échappé à bien des journalistes :

Considérant cependant que cette compétence, exercée par voie d’exception, ne peut avoir pour effet d’exclure l’ordonnance en cause de l’ordre juridique interne, mais seulement d’en écarter éventuellement l’application à la présente instance ;

hé oui : la cour d'appel de Paris n'a pas abrogé l'ordonnance du 2 août 2005 : elle n'en a pas le pouvoir. Elle écarte son application à cette affaire. L'ordonnance du 2 août 2005 reste en vigueur, tout comme les CNE qui ont été signés et seront encore signés. Bien sûr, vous le verrez, elle laisse lourdement entendre qu'elle statuera comme ça pour toute demande liée à une rupture de CNE.

Considérant qu’il n’est contesté par aucune des parties au litige que la Convention n°158 concernant la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur, adoptée à Genève le 22juin 1982 par l’OIT, et entrée en vigueur en France le 16 mars 1990, est directement applicable par les juridictions françaises;

Que par arrêt en date du 29 mars 2006, la cour de cassation s’est prononcée pour cette solution en ce qui concerne les articles 1, 2§b et 11 de la convention; que les articles 4,7, 8,9 et 10 de la Convention n°158 en cause dans le présent litige, constituent des dispositions à caractère obligatoire et normatif dont la formulation complète et précise, rend inutile l’adoption de règles d’application ; que les articles précités sont donc directement applicables en droit français;

Considérant enfin qu’il n’est pas davantage discuté que, tant en application de l’art 55 de la Constitution, qu’en conformité avec la jurisprudence définie par l’arrêt Jacques Vabre rendu par la cour de cassation, le 24 mai 1975, la primauté du droit international sur la loi française, a pour effet d’écarter cette dernière si elle déroge à une norme supérieure ;

Rien à redire. Kelsen applaudit de sa tombe.

Qu’il importe peu, à cet égard, que le rédacteur de l’ordonnance du 2 août 2005 ait omis de faire référence à la convention n°158 puisque le contrôle de conventionalité s’impose au juge lorsqu’ il est saisi de ce moyen; que le seul effet de cette omission est de présumer que le Gouvernement n’a pas entendu écarter les dispositions de la norme internationale;

Ce considérant répond expressément à l'argument d'une des parties qui soutenait que l'ordonnance du 2 août 2005 ne visant pas la convention 158, elle ne lui était pas applicable. Ca ne tenait pas une seconde, en effet, la cour y répond fort bien. Las, juste après cette motivation irréprochable, c'est la sortie de route.

Considérant que le contrat "Nouvelle Embauche” créé par l’ ordonnance du 2 août 2005 concerne les entreprises du secteur privé et les associations employant au plus 20 salariés ; que suivant les dispositions de son article 2:

ce contrat est soumis aux dispositions du code du Travail à l’exception, pendant les deux premières années courant à compter de sa date de conclusion, de celles des articles L.122-4 à L.122-11, L.122-13 à L.122-14-14 et L321-1 à L.321-17 de ce code

Qu’il en résulte que durant ce délai qualifié de “période de consolidation” par le Gouvernement et de “période de précarité”par certains commentateurs, sont exclues les règles relatives à l’examen par le juge de la régularité et du caractère réel et sérieux du licenciement, à la motivation de la lettre de licenciement, à l’entretien préalable, au délai de préavis, à la notification du licenciement, à l’indemnité légale de licenciement, et à l’indemnisation d’un licenciement irrégulier et abusif ;

Patatras. Avec tout le respect que je dois à la cour d'appel de Paris, je crois que là, il y a une erreur qui constitue un moyen de cassation assez solide. La citation des articles du code du travail est exacte, mais faire dire à l'ordonnance du 2 août 2005 qu'en écartant ces articles, le législateur a entendu exclure les règles relatives à l’examen par le juge de la régularité et du caractère réel et sérieux du licenciement, c'est en faire une fausse application. Il suffit de lire ces articles du Code du travail pour s'en rendre compte. Aucun de ces articles ne mentionne la faculté pour le salarié de contester la rupture du contrat de travail, que ce soit sa régularité ou sa cause réelle et sérieuse. Cette faculté repose sur le principe, valable pour tout contrat, que celui-ci doit être exécuté de bonne foi (article 1134 du code civil et L.120-4 du Code du travail), la rupture du contrat faisant partie intégrante de son exécution, et que c'est au juge d'apprécier cette bonne foi. Or l'ordonnance du 2 août 2005 n'écarte pas l'application de ces articles. Il est parfaitement possible de contester la rupture d'un CNE devant le conseil de prud'hommes, selon les règles de droit commun applicable à tout contrat de travail, car le CNE est un contrat de travail.

L'ordonnance, oui, exclut la procédure habituelle de licenciement : entretien préalable, délai de réflexion, lettre de licenciement motivée, sauf pour une rupture disciplinaire (faute du salarié). Mais en rien l'examen par le juge de la légalité du licenciement. Or cette affirmation erronée se situant en tête du raisonnement, elle le vicie en son entier, et la cour de cassation aurait du mal à ne pas casser ici.

Que la justification par le pouvoir réglementaire du régime juridique dérogatoire de ce nouveau contrat doit être recherché dans les explications données au Parlement à l’occasion du vote de la loi d’habilitation du 26juillet 2005 et dans le rapport adressé par le ministre de l'Emploi, de la cohésion sociale et du logement au Président de la République;

Considérant que la convention n°158 dispose dans son article 4 :

“Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service .“

Considérant que le ministère public relève que la dérogation à l’exigence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement n’implique pas nécessairement que l’ordonnance du 2 août 2005 ait écarté l’exigence d’un motif valable au sens de l’art 4 précité; qu’ainsi un juge ,qui peut toujours être saisi de la contestation d’un licenciement, aura la possibilité de rechercher le caractère valable du licenciement tout en excluant l’examen d’une cause réelle et sérieuse;

Considérant qu’il convient de relever à cet égard [...] qu’à défaut de notification d’un motif de rupture, il appartiendra au salarié, contestant son licenciement devant le juge, de supporter la charge de la preuve d’un abus de droit de son employeur ;

Pas d'accord. La cour met la barre trop haut en laissant entendre que seul l'abus de droit (qui implique l'intention de nuire) de rupture d'un CNE pourra être sanctionné et en mettant le fardeau de la preuve sur le salarié. Le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi : un simple défaut de bonne foi suffit à fonder une sanction. Tout comme la cour a dit dans ce même arrêt, sur le passage relatif aux heures supplémentaires, que « la preuve des heures supplémentaires n'appartient spécialement à aucune des parties », la cour aurait tout à fait pu estimer, en se fondant sur l'article L.120-4 du code du travail et les textes internationaux, qu'en cas de contestation du licenciement par le salarié, l'employeur est tenu de fournir des explications au juge, faute de quoi, le juge pourra en déduire une faute dans la rupture. Le CNE dispense de fournir des motifs dans la lettre de licenciement, mais certainement pas devant une juridiction.

Que sur ce point, le Conseil Constitutionnel dans une décision rendue le 9 novembre 1999 a posé les limites constitutionnelles à la liberté de rompre unilatéralement un contrat:

“...L'information du cocontractant, ainsi que la réparation du préjudice éventuel résultant des conditions de la rupture devant toutefois être garanties”

Pour la petite histoire, c'est la décision portant sur le PaCS.

Que la simple notification de la rupture prévue par l’ordonnance du 2 août 2005, n’équivaut pas à l’information exigée ;

...ce qui ne libère donc pas l'employeur de son obligation d'information, mais ne caractérise certainement pas sa violation.

Que de plus le conseil constitutionnel, dans cette même décision souligne que certains contrats nécessitent une protection de l’une des parties ; que le contrat de travail appartient à cette catégorie de contrat dans lequel le salarié se trouve dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de son cocontractant ; que contrairement aux impératifs que le conseil constitutionnel impose au législateur, le contrat “nouvelles embauches” ne contient aucune précision sur les causes permettant la résiliation lorsqu’une des parties doit être protégée ;

Voilà que la cour parle pour le Conseil constitutionnel, maintenant, et lui fait clairement dire ce qu'il n'a pas dit, car dans cette décision, le Conseil constitutionnel a validé une loi prévoyant la rupture d'un contrat, le PaCS, sans que celui à l'origine de la rupture n'ait à expliquer les causes de cette rupture, et pourquoi ? Parce que le droit du partenaire à réparation en cas de rupture fautive est réservé. Pourquoi n'en irait-il pas de même avec le CNE ?

Considérant que le conseil constitutionnel, saisi de recours contre la loi d’habilitation du 26 juillet 2005 n’a pas manqué de rappeler les principes qu’il a dégagé en déclarant que la loi d’habilitation “ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en application de l’article 38 de la Constitution, de respecter les règles et principes de valeur constitutionnelle, ainsi que les normes internationales ou européennes applicables” ;

Je rappelle que le gouvernement ne peut agir par ordonnance qu'en vertu d'une loi d'habilitation préalable du parlement, ici la loi n° 2005-846 du 26 juillet 2005 habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi.

Considérant, que les conclusions du ministère public qui a, sur ce point, adopté la solution défendue par le commissaire du Gouvernement devant le Conseil d’Etat saisi d’un recours en annulation, tendent à admettre que le motif valable puisse être implicitement contenu dans la décision de rompre le contrat, de sorte que l’ordonnance du 2 août 2005 ne dérogerait pas sur ce point à l’art 4 de la convention n° 158 ;

Une ordonnance, même si elle agit dans le domaine de la loi, est un texte gouvernemental, et comme tel, peut être contesté devant le Conseil d'Etat. Ce fut le cas par un recours diligenté par les principales centrales syndicales, recours qui a été rejeté. Voir mentionner de la jurisprudence administrative dans une décision judiciaire est fort rare. La jurisprudence du conseil d'Etat ne liant nullement le juge judiciaire, celle ci est mentionnée pour l'anecdote, et la cour rappelle aussitôt qu'elle pense autrement :

Que cependant, dans cette hypothèse ,encore faut-il admettre que le motif réel et sérieux de licenciement dont l’employeur est dispensé de rapporter la preuve, est différent du motif valable que le rédacteur de l’ordonnance aurait laissé subsister, peut-être par inadvertance mais au moins par référence implicite à la convention n° 158 ;

J'aime trop l'ironie pour ne pas apprécier cette "inadvertance", mais je ne suis pas sûr que la formule prospère Quai de l'Horloge. Là encore, la cour continue dans son affirmation que l'employeur est dispensé d'apporter la preuve du motif de rupture. I respectfully dissent[1], comme on dit en droit anglo-saxon. Il suffirait que la cour, lors des débats, ait exigé de l'employeur qu'il fournisse les motifs de son licenciement et les preuves de leur bien fondé pour que l'ordonnance soit conforme à la convention 158. Au lieu de cela, elle l'interprète de façon à ce qu'elle soit incompatible. Entre deux interprétations, une aboutissant à l'applicabilité du texte et l'autre non, la cour de cassation préfèrera, je le crains, la première.

Considérant , sur ce point, que la recommandation R119 sur la cessation de la relation de travail adoptée par l’OIT le 26 juin 1963 et qui a servi de base à la rédaction de la convention n°158 précise :

"La définition ou l’interprétation d’un tel motif valable devrait être laissée aux méthodes d’application prévues au paragraphe I ";

Que ces méthodes d’application sont soumises aux règles suivantes :

La présente recommandation pourra être appliquée par voie de législation nationale ...ou de décisions judiciaires, ou de toute autre manière qui serait conforme à la pratique nationale et semblerait appropriée, compte tenu des conditions propres à chaque pays."

Considérant que le droit positif français, tel qu’il résulte des textes législatifs et de leurs applications jurisprudentielles considère que, pour être valable, un licenciement doit reposer sur un motif réel et sérieux.

Que si la terminologie employée par la convention n°158 est différente de la formule retenue en droit interne, il apparaît que son contenu est identique puisque c’est par référence à la pratique nationale qu’il convient de définir le motif valable ;

Qu’il en résulte, qu’en excluant la nécessité d’asseoir la rupture du contrat “nouvelles embauches” sur un motif réel et sérieux, l’ordonnance du 2 août 2005 déroge à l’art 4. de la convention n°158 ;

...sauf si on considère qu'asseoir sur ne signifie pas nécessairement notifier préalablement à.

Considérant que la convention n°158 dispose dans son article 7 :

Un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu’on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées, à moins que l’on ne puisse pas raisonnablement attendre de l’employeur qu’il lui offre cette possibilité."

Considérant que le régime juridique du contrat “nouvelles embauches” supprime temporairement la procédure préalable au licenciement: convocation à l’entretien préalable, entretien sur les motifs du licenciement envisagé, délai de réflexion; qu’il déroge aux dispositions de la convention n°158 ;

Qu’en souscrivant à ce constat, le ministère public limite la portée de la dérogation en rappelant que les licenciements prononcés pour motif disciplinaires sont soumis à la procédure de l’art L. 122-41 C. Trav qui n’a pas été exclue par l’ordonnance du 2 août 2005 ; qu’il acquiesce ainsi à la position adopté par le Conseil d’Etat dans sa décision du 19 octobre 2005 rejetant le recours en annulation de l’ordonnance du 2 août 2005:

si l’obligation de respecter une procédure contradictoire dans les cas de licenciement prononcés pour un motif disciplinaire a le caractère d’un principe général du droit du travail, il ne résulte pas de ce principe qu’une telle procédure devrait être respectée par l’employeur dans les autres cas de licenciement fondés sur des motifs inhérents à la personne du salarié ;"

Que la reconnaissance d’un nouveau principe général de droit du travail, s’accompagne ici de l’exclusion non explicitée de tous les licenciements liés à la personne du salarié subissant néanmoins la même sanction que le salarié qui "bénéficie" d’une procédure disciplinaire ;

Que cette distinction peut d’autant moins justifier une dérogation à l’art 7 de la convention n° 158 que, précisément cet article englobe les deux catégories de licenciement en visant “des motifs liés à sa conduite ou à son travail”,

Qu’en dérogeant expressément à l’unité du droit du licenciement posé par la convention n° 158 , l’ordonnance du 2 août 2005 déroge plus particulièrement à son article 7;

Considérant , au surplus, que cette distinction est inopérante dès lors que l’employeur n’a pas à motiver les raisons de la rupture du contrat et qu’il appartient alors au salarié qui entend se prévaloir des dispositions de l’art. L. 122-41, de rapporter la preuve qu’il a fait l’objet d’un licenciement disciplinaire au risque de convaincre le juge que ce motif était fondé ;

La cour bat ici en brèche l'argument du Conseil d'Etat relevant que l'ordonnance n'écartait pas la procédure contradictoire préalable au licenciement aux cas disciplinaires. Elle relève que l'employeur étant dispensé de présenter les motifs de la rupture, il pourrait aisément rompre un CNE pour motif disciplinaire sans respecter la procédure prévue aux articles L.122-40 et suivants. Le problème est que cet argument ne tient qu'en interprétant l'ordonnance du 2 août 2005 comme dispensant l'employeur d'apporter la preuve que la rupture est fondée. Si, comme je le fais, on comprend l'ordonnance comme dispensant d'une motivation préalable dans une lettre encadrant rigoureusement le débat judiciaire, la solution apparaît alors très simple : si les débats révèlent que la rupture avait une cause disciplinaire, le simple non respect de la procédure disciplinaire caractérise le licenciement fautif.

Considérant que les articles 8 et 9 de la convention n° 158 définissent les conditions dans lesquelles peuvent être exercés les recours contre le licenciement ainsi que le régime de la preuve ;

Considérant qu’il n’est pas contestable que le contrat “nouvelles embauches” ne prive pas le salarié d’accéder à une juridiction pour contester un licenciement qu’il estime injustifié et qu’il peut être accordé au crédit des auteurs de l’ordonnance du 2 août 2005 de ne pas avoir institué un droit de licencier discrétionnaire, échappant à tout contrôle juridictionnel ;

Considérant cependant que l’art 9. de la convention n°158 dispose que la juridiction saisie devra “être habilitée à examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement ainsi que les autres circonstances du cas et décider si le licenciement était justifié.” ; que là encore, la théorie de la motivation implicite se heurte à la contradiction insurmontable de demander à un juge d’apprécier le bien fondé d’un licenciement sans qu’il puisse exiger de l’employeur qu’il rapporte la preuve de son motif ;

Je ne vois pas ce qui empêcherait le juge d'exiger de connaître les motifs du licenciement et d'en voir les preuves sous peine de déclarer le licenciement fautif. C'est l'article 8 du nouveau code de procédure civile qui lui en donne le pouvoir : « Le juge peut inviter les parties à fournir les explications de fait qu'il estime nécessaires à la solution du litige. »

Considérant qu’il ressort de l’examen comparé des dispositions de la convention n° 158 avec le texte de l’ordonnance du 2 août 2005 que ce dernier ne satisfait pas à l’exigence de conventionnalité qu’il devait respecter à l’égard d’une norme supérieure ;

Reste la dernière question : le CNE ne tombe-t-il pas dans la catégorie des exceptions autorisées à la convention 158 ?

6°) Sur l’exclusion du champ d’application de la convention n°158

Considérant que la convention précitée prévoit dans son article 2 qu’un membre pourra exclure du champ d’application de l’ensemble ou de certaines de ses dispositions les catégories de salariés énumérées à l’article 2-2.b: “les travailleurs effectuant une période d’essai ou n’ayant pas la période d’ancienneté requise, à condition que celle-ci soit fixée d’avance et qu’elle soit raisonnable”;

Considérant que l’application de ce texte à l’ordonnance du 2 août 2005 est contestée

Qu’ainsi la Confédération Générale du Travail soutient que le délai de deux années institué par l’ordonnance précitée doit ,à la lumière des travaux préparatoires ,se comprendre comme une période de consolidation dans l’entreprise destinée à vérifier la viabilité de l’emploi, et non pas d’une période d’ancienneté requise au sens de la convention n°158 et fondée sur la situation du salarié au sein de l’entreprise;

Qu’en conséquence, pour la CGT, le fondement du régime dérogatoire de l’ordonnance du 2 août 2002 se serait pas l’art 2-2 b précité mais l’article 2-4 qui prévoit également un régime d’exclusion de la convention pour “certaines catégories de travailleurs salariés dont les conditions d’emploi sont soumises à un régime spécial...

Que cependant, les dispositions de l’ordonnance du 2 août 2005 définissent seulement des catégories d’employeurs qui peuvent y recourir et non des catégories de salariés soumis à un régime spécial ; que cette seule circonstance que leur contrat n’est pas soumis pendant deux années à l’ensemble des dispositions du code du travail, ne les constituent pas en une catégorie spéciale de salariés mais crée à l’égard de tous la même condition suspensive de droits liée à leur ancienneté ; qu’il convient donc de considérer que l’ordonnance du 2 août 2005 entre dans le champ d’exclusion prévu par l’art 2-2.b précité;

Considérant d’autre part que le ministère public appelant conteste l’analyse retenue par les premiers juges selon lesquels, la période de deux ans constitue une période d’essai ; que si la période d’essai doit se définir comme le délai durant lequel l’employeur et le salarié apprécient l’adaptabilité de ce dernier à son emploi, l’ordonnance du 2 août 2005 ne donne aucune indication sur la nature de ce délai de deux années; que son seul objet est d’ouvrir à son terme, l’applicabilité de l’ensemble du code du travail au salarié; que cet écoulement mécanique du temps caractérise l'acquisition de l'ancienneté qui n'est pas soumise, comme une période de formation qui peut être prolongée, à une appréciation subjective des cocontractants;

Que la perception que les usagers du contrat “nouvelles embauches” peuvent avoir de cette période de deux années est inopérante pour en déterminer la nature juridique car la motivation des parties pour user de cette faculté ne peut se substituer à la qualification de ce délai ;

Considérant que pour valider le régime d’exclusion posé par l’art 2 de l’ordonnance du 2 août 2005, il convient de rechercher si le délai de deux ans, est conforme aux prescriptions de la convention n° 158 qui enferme la période dérogatoire dans une “durée raisonnable”;

Qu’il ne peut être ici ignoré que le Conseil d’Etat dans son arrêt précité du 19 octobre 2005 a considéré que cette période de deux années présentait un caractère raisonnable “eu égard au but en vue duquel cette dérogation a été édictée et à la circonstance que le contrat nouvelles embauches est un contrat à durée indéterminée”

Considérant que c’est également à un contrôle de proportionnalité auquel invite le ministère public en prenant soin de souligner que les termes de la comparaison ne sont pas ceux de la période d’essai ; que le rapport au Président de la République expose clairement que le contrat “nouvelles embauches” a été créé pour surmonter les réticences de ces chefs d’entreprises qui “hésitent encore trop souvent à embaucher, même lorsque leur plan de charge immédiat le leur permettrait ;

Qu’ainsi le souci d’encourager les recrutements pérennes au détriment du recours au travail temporaire ou au contrat à durée déterminée, constitue un objectif justifiant les pouvoirs donnés au Gouvernement par la loi d’habilitation;

Considérant que si le principe d’exclusion admis par la convention 158 trouve un juste fondement dans une politique volontariste de l’emploi, il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier le caractère raisonnable de la duré de l'atteinte portée aux droits des travailleurs salariés;

Qu’en l’espèce, durant une période de deux années, le contrat ”nouvelles embauches” prive le salarié de l’essentiel de ses droits en matière de licenciement, le plaçant dans une situation comparable à celle qui existait antérieurement à la loi du 13 juillet 1973 et dans laquelle la charge de la preuve de l’abus de la rupture incombait au salarié ; que cette régression qui va à l’encontre des principes fondamentaux du droit du travail, dégagés par la jurisprudence et reconnus parla loi ,prive les salariés des garanties d’exercice de leur droit au travail ; que dans la lutte contre le chômage, la protection des salariés dans leur emploi semble être un moyen au moins aussi pertinent que les facilités données aux employeurs pour les licencier et qu’il est pour le moins paradoxal d’encourager les embauches en facilitant les licenciements ;

Cette dernière portion de phrase a fait les gorges chaudes de la presse. Outre qu'elle est fausse, car protéger juridiquement une situation contractuelle la rend plus difficilement accessible, elle n'est absolument pas juridique et constitue une critique expresse du travail du législateur.

Qu’il convient enfin de relever qu’aucune législation de pays européens comparables à la France, n’a retenu un délai aussi long durant lequel les salariés sont privés de leurs droits fondamentaux en matière de rupture du contrat de travail ;

A supposer qu'ils soient effectivement privés de ces droits, ce qui est très douteux, la jurisprudence acceptant même d'examiner l'abus du droit de rompre la période d'essai de deux mois prévu en droit commun.

Que dans ces conditions le contrôle de proportionnalité ne permet pas de considérer que le délai de 2 années institué par l’ordonnance du 2 août 2005 soit raisonnable ; qu’en conséquence, ce texte ne peut invoquer à son profit le bénéfice implicite de la dérogation temporaire instituée par la convention n° 158 à son application ;

"Ce texte ne peut invoquer à son profit" ? Lapsus révélateur : c'est à l'ordonnance du 2 août 2005, devenue partie, que l'on fait un procès, maintenant.

Que les dispositions de l’ordonnance précitée créant le contrat ”nouvelles embauches” étant contraires à la convention n°158 de l’OIT, ont été appliquées à tort par M. S. de sorte que contrat de travail conclu avec Melle D. doit être requalifié en contrat à durée indéterminée de droit commun ;

La cour requalifie donc le CNE en CDI, constate que Monsieur S. n'ayant pas motivé le licenciement, celui-ci doit être regardé comme sans cause réelle et sérieuse, et le condamne à payer 1000 euros au titre de la période d'essai irrégulière, 15 000 euros à titre de dommages intérêts pour rupture abusive, et 2000 euros pour non respect de la procédure de licenciement. Oui : 15.000 euros pour un contrat conclu le 6 décembre 2005 et rompu le 27 janvier 2006...

S'il est un ultime argument qui démontre le vice du raisonnement de la cour, c'est bien sur cette conclusion. La cour dit que l'employeur a commis une faute en appliquant les dispositions d'une ordonnance qui est encore en vigueur à l'heure où j'écris ces lignes, non pas car il l'a en connaissance de cause appliquée à une situation où elle n'avait pas vocation à le faire (cet argument a été soulevé par la salarié et expressément rejeté par la cour) mais parce que ce texte était selon elle contraire à la convention 158. L'employeur est condamné à 15 000 euros de dommages intérêt pour n'avoir pas deviné l'interprétation de la convention 158 par la cour. C'est d'autant plus critiquable que dès lors que la cour écarte l'ordonnance, la messe est dite. Elle applique le droit commun qui exige une lettre de licenciement motivée qui limite le débat : or ici il n'y a pas eu de lettre de licenciement motivée en application de l'ordonnance. Le licenciement est donc forcément abusif, l'employeur n'est plus admis à apporter de preuve. Il y a une rétroactivité et aucune prise en compte de la bonne foi de l'employeur, qui aboutissent à faire payer cher à l'employeur les turpitudes que la cour reproche au législateur.

Cette décision me paraît donc fort critiquable, et j'aurais tendance à penser qu'elle ne survivrait pas à l'examen de la cour de cassation si un pourvoi devait être introduit. Mais en prononçant une telle somme de dommages intérêts pour un contrat qui n'a pas duré deux mois, la cour semble s'assurer qu'un tel pourvoi sera formé.

Notes

[1] Je diverge respectueusement. Formule concluant les opinions dissidente des juges des cours suprêmes.

dimanche 8 juillet 2007

In memoriam : la grâce du 14 juillet

Le président de la république a annoncé la rupture d'une tradition remontant à François Mitterrand (Elles étaient systématiques depuis 1991) : l'octroi de grâces collectives le 14 juillet de chaque année.

Ces grâces s'appuyaient sur l'article 17 de la Constitution, qui prévoit que le président de la République dispose du droit de grâce. Rappelons que la grâce s'entend d'une dispense totale ou partielle d'avoir à exécuter une peine, ou de la commutation d'une peine en une autre : elle ne fait pas disparaître la condamnation, qui reste inscrite au casier judiciaire et fonde une éventuelle récidive (ce qui la distingue de l'amnistie, qui ne peut résulter que d'une loi votée par le parlement).

C'est un droit discrétionnaire. Il n'a pas à être motivé, pas plus que le refus d'en faire usage, et ne peut faire l'objet d'un recours. Il a un côté archaïque, puisqu'il nous vient de l'ancien régime, quand le roi était fontaine de justice : c'était lui seul qui avait le pouvoir de rendre la justice, et les juges n'agissaient que sur sa délégation, délégation qu'il pouvait reprendre à tout moment pour statuer lui-même.

Nicolas Sarkozy n'a pas renoncé au droit de grâce en lui-même, et c'est heureux. Le droit de grâce peut jouer un rôle d'apaisement, voire de réparation urgente d'une erreur judiciaire avérée. Mais il faut reconnaître ce qui est : depuis l'abolition de la peine de mort, le droit de grâce a perdu l'essentiel de son intérêt. François Mitterrand avait donc inauguré cette tradition des grâces collectives, car on sait combien il était attaché à l'aspect monarchique de sa fonction.

Exeunt donc les grâces du 14 juillet. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?

D'un point de vue strictement personnel, je les regrette. J'ai quelques clients qui auraient pu en profiter, et un mois de détention en moins, c'est toujours ça de pris.

D'un point de vue plus général, je dois bien dire que non. Ces grâces avaient certes pour effet de diminuer grandement la population carcérale, mais cet effet était très limité dans le temps, et surtout, c'est une solution-rustine à un problème bien plus grand : l'insuffisance du parc carcéral. Problème qui risque de s'aggraver sérieusement avec le vote prochain de la loi sur les peines plancher.

Mais autant un retour à la liberté aménagé, suivi par un juge d'application des peines, précédé de permissions de sortie permettant la recherche d'un logement et d'un emploi, qui aboutissait à une période de liberté conditionnelle avant la liberté pure et simple de la fin de peine, a d'excellents résultats en terme de récidive, autant un retour non préparé à la liberté peut être désastreux. Un voleur qui volait parce qu'il n'avait pas d'emploi se retrouvant brutalement dehors, toujours sans emploi, sans logement et sans argent, a de grandes chances de se "débrouiller" en faisant la seule chose qu'il sache faire et qui rapporte tout de suite. Les comparutions immédiates de juillet et août voyaient passer nombre de ces récents libérés qui avaient gâché cette opportunité.

Car si une incarcération est une expérience violente, un retour à la liberté peut l'être aussi, même pour un primo-délinquant. En prison, le temps passe lentement, on est oisif, mais aussi déresponsabilisé. Dormir, manger ne sont pas des soucis (si on arrive à dormir avec des cris qui résonnent et qu'on aime la soupe froide). Quand sa vie se résume pendant des mois à 9m², deux heures de promenade, et quelques ateliers quand les gardiens n'oublient pas de venir vous chercher, se retrouver à la rue, ou pour les plus chanceux revenir chez soi, pouvoir sortir à tout moment, ou tout simplement pouvoir ouvrir soi même une porte, cela peut donner un vertige, une ivresse mais pas forcément euphorique. Il y a une phase dépressive post-libération pour ceux qui n'ont pas la chance d'avoir une famille et un travail qui les attend. La République ne se rend pas compte de tout ce qu'elle doit aux enfants de détenus et aux employeurs qui acceptent d'embaucher d'anciens taulards. Il y a des médailles qui se perdent.

Et plus la peine a été longue, plus le choc est rude. Dehors, beaucoup de choses ont changé, même en quelques mois. A tel point que beaucoup de prisonniers demandent à bénéficier du droit à reporter leur sortie au lendemain matin pour éviter le souci de la première nuit dehors, alors qu'on pourrait croire qu'ils n'ont pas envie de passer une minute de plus en prison.

Donc ces grâces collectives créaient un risque accru de récidive, ce qui aurait été paradoxal pour un gouvernement qui est en train de faire voter des peines plancher pour lutter contre la récidive (quand bien même l'effet à en attendre est quasi-nul).

Je ne les regretterai donc pas, ces grâces. Mes clients, un peu plus, sans doute. Mais leur disparition rend encore plus prégnante l'obligation pour l'Etat de se doter de places de prison en nombre suffisant, et de développer les alternatives à l'incarcération.

Et las, de ce point de vue, rien à l'horizon.

lundi 25 juin 2007

La réforme de la carte judiciaire

Mes confrères de province, ceux de Metz en tête, manifestent leur mécontentement à l'annonce d'un projet de réforme de la carte judiciaire, dont les détails n'ont pas encore été révélés par le gouvernement. Cette affaire risquant d'entraîner pas mal de remue-ménage ces prochains mois, je vous propose de faire un petit point de la question.

Cette réforme n'est pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu : elle figurait au programme de Nicolas Sarkozy, que j'avais détaillé en son temps.

1. La carte judiciaire, qu'est ce que c'est ?

En un mot : c'est ça.

En plusieurs mots, il s'agit de l'organisation géographique de la justice : en gros, comment chaque parcelle du territoire est rattaché à un et un seul tribunal (en fait, il y a plusieurs types de tribunaux selon les affaires, mais chaque parcelle de territoire est rattaché à un et un seul tribunal de chaque type : il n'y a aucun chevauchement).

la carte judiciaire est différente de la carte administrative, qui divise la France en régions, département, arrondissements, cantons et communes. La France a ainsi 26 régions et 100 départements, tandis qu'elle a 35 cours d'appel et 191 tribunaux de grande instance. La différence n'est pas totale, car elle repose sur les communes (aucune commune n'est divisée entre deux tribunaux de grande instance) et fait en sorte de suivre les limites des départements. Notons au passage qu'il existe une deuxième carte judiciaire, celle des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, mais elle n'est pas concernée par la réforme, et je ne devrais même pas utiliser le terme de "judiciaire" s'agissant des tribunaux de l'ordre administratif, car il s'agit de deux ordres totalement séparés, avec leurs propres juges, leurs propres procédures, et leur propre cour suprême (cour de cassation pour le judiciaire, Conseil d'Etat pour l'administratif). Ca fait partie des exceptions françaises. Je vous en reparlerai, c'est promis.

L'unité de base de la carte judiciaire est le tribunal de grande instance. C'est la juridiction de droit commun, c'est à dire qu'elle connaît de tous les procès, sauf ceux que la loi attribue à d'autres tribunaux spécialisés, qu'on appelle juridictions d'exception (ce qui n'a aucun sens péjoratif)[1]. Le tribunal correctionnel, qui juge les délits, est une des chambres du tribunal de grande instance. C'est auprès du tribunal de grande instance qu'est organisé le ministère public, sous les ordres d'un procureur de la République.

Mais un tribunal de grande instance n'en vaut pas un autre. Il y en a des petits et des grands. Certains tribunaux de grande instance n'ont qu'une, deux ou trois chambres (on les appelle des hors-classes), tandis que celui de Créteil en a 13, Bobigny en a 17, et Paris en a 31.

Certains départements ont un seul tribunal de grande instance (Les Yvelines, TGI de Versailles), d'autres, de taille similaire en ayant trois (la Seine et Marne, TGI de Melun, Meaux et Fontainebleau), le département le mieux fourni étant le Nord, avec sept tribunaux de grande instance (Lille, Dunkerque, Hazebrouck, Douai, Cambrai, Valenciennes et Avesnes sur Helpe).

2. Pourquoi la modifier ?

L'idée de départ est d'aligner les deux cartes, administratives et judiciaire. Un département = un tribunal de grande instance, une région = une cour d'appel. L'argument est triple : la simplicité, le vieillissement de la carte judiciaire, et l'efficacité par la concentration de moyens.

Les deux premiers laissent franchement dubitatifs.

Un seul tribunal de grande instance par département, c'est plus simple sur la carte, mais pour les justiciables et les auxiliaires de justice, je doute que ce soit plus simple de s'y rendre. Après tout, l'Etat lui-même a jugé utile d'ajouter une ou deux sous préfectures par département : c'est que l'unicité de la préfecture posait des problèmes.

Mais le vieillissement de la carte, là, l'argument est inopérant. La carte judiciaire date de 1958. Comme la Ve république, ferais-je remarquer, et comme la Vieille Dame, elle a été modifiée à de nombreuses reprises, notamment avec la créations des tribunaux de grande instance de Nanterre, Bobigny, Créteil au début des années 70, et de la cour d'appel de Versailles en 1975. Dire que cette carte date de 1958 est donc faux.

Mais surtout en quoi, au nom de l'obsolescence, faudrait-il aligner une carte dessinée en 1958 sur une carte dessinée... en 1790 ?

Reste l'argument de l'efficacité. Il s'agit pour le gouvernement de regrouper les tribunaux de grande instance pour en regrouper les moyens et diminuer, voire supprimer les tribunaux de grande instance hors classe (trois chambres ou moins) au profit de tribunaux plus gros. Idem avec des cours d'appel (on parle de celles de Grenoble, Nîmes, Agen et Pau, qui seraient supprimées pour être regroupées avec Lyon, Aix en Provence Montpellier, et Bordeaux pour les deux dernières) (Mise à jour : Bourges serait aussi menacée, et serait regroupée avec Orléans). Cela s'inscrit notamment dans la logique de la réforme votée en mars dernier qui prévoit en 2010 la collégialité de l'instruction, ce qui suppose un minimum de trois juges d'instruction par tribunal, or le principe est qu'un tribunal de grande instance a autant de juges d'instructions que de chambres. Les Tribunaux de grande instance à une ou deux chambres ne pourront pas instaurer un collège de l'instruction, et pour ceux à trois chambres, il suffira qu'un poste soit vacant pour risquer de paralyser l'instruction.

Vis à vis de l'administration, c'est aussi nettement plus simple : un préfet, qui représente l'Etat au niveau du département, aura comme interlocuteur un seul procureur de la République. Mais ne pourrait-on pas obtenir le même résultat par une simple réorganisation du parquet, avec un procureur à compétence départementale, les parquets des tribunaux étant dirigés par des procureurs adjoints ou toute autre dénomination que l'on pourrait leur donner ? Mais j'anticipe un peu : voyons à présent les objections soulevées à l'encontre du principe de cette révision.

3. Les objections à la révision de la carte.

Elles sont de plusieurs natures, et de valeurs inégales. Aucune n'est à mes yeux suffisantes pour condamner cette réforme : l'Etat a le droit de s'organiser comme il le veut et de modifier son organisation, à charge pour lui que cette modification améliore les choses.

Il y aura des résistances locales, notamment de la part des élus. Paxatagore l'exprime très bien :

dans les villes de taille moyenne, un tribunal est une administration à forte visibilité. Les édiles locaux tiennent à avoir leur tribunal, signe de l'implication de l'Etat sur leur territoire. Un tribunal en soi apporte pas mal de notabilités, puisqu'à chaque tribunal correspond un barreau et donc des avocats. Le tribunal, comme d'autres administrations, ce sont des emplois. En soi, un tribunal n'apporte que peu d'emplois, mais la disparition d'un tribunal va servir à d'autres administrations de prétexte pour se concentrer d'avantage et aller dans de plus grandes villes.

Pour les barreaux locaux aussi, c'est une mauvaise nouvelle. Un barreau est rattaché à un tribunal de grande instance. La suppression du TGI imposera la fusion avec un autre barreau, et pour beaucoup un déménagement, puisque le cabinet qui était à deux pas du palais va se retrouver à plusieurs dizaines de kilomètres de celui-ci. Et pour un avocat, il vaut mieux être proche du palais que du domicile de ses clients, que l'on voit fort peu à son cabinet. La suppression d'une cour d'appel avec maintien d'un TGI n'est guère mieux, puisque cela suppose une forte diminution de l'activité judiciaire. Mais je reconnais que cet argument n'a guère de valeur comme objection, car cette réforme n'est pas faite pour le confort des avocats : nous sommes des professions libérales et nous devons nous adapter au fait du prince. Il sera aisé pour le gouvernement de le balayer en invoquant les résistances corporatistes. Le président de la république le fera très bien en invoquant sa qualité d'ancien avocat.

Se pose aussi le problème du point de vue du quotidien, et de la proximité géographique de la juridiction. Même si un citoyen se rend rarement au tribunal (il peut même désigner un avocat pour le faire à sa place), il vaut mieux qu'il puisse le faire aisément. Surtout que les bureaux d'aide juridictionnelle se trouvent au sein du tribunal de grande instance : ce sont donc les populations les plus défavorisées qui se rendent le plus souvent au tribunal. Les avocats, eux, sont de toutes façon contraints à la mobilité. On ne plaide pas que devant le tribunal de grande instance : on va aussi dans les tribunaux d'instance, aux conseils de prud'hommes et au tribunal de commerce qui sont souvent dans d'autres locaux que le tribunal de grande instance, aux maisons d'arrêt, qui sont de moins en moins en centre ville (heureuses les quelques villes qui ont une maison d'arrêt à quelques rues du Palais, comme Niort, par exemple).

Mais il serait souhaitable que les tribunaux restent en centre ville, à défaut, il sera indispensable que des transports en communs soient prévus pour bien desservir le tribunal, et on en est loin actuellement, même en région parisienne : le tribunal de grande instance de Créteil en est un exemple, situé à 500m d'une station de métro, sans aucune ligne de bus qui le desserve.

Il restera enfin les objections les plus fortes, mais qui ne seront pas contre le principe de la révision, seulement contre un aspect précis de cette révision : l'opportunité de la disparition de telle ou telle juridiction. Ici, la parole est à mes confrères et aux magistrats et greffiers concernés. Ne l'étant pas moi même, la région parisienne fonctionnant déjà depuis trente ans sur le principe un département = un tribunal de grande instance (sauf la Seine et Marne), je ne prétendrai pas avoir d'avis tranché sur la question.

4. Et ça va coûter combien ?

Alors, là, cher. Très cher. Parce que regrouper les tribunaux, c'est bien, mais encore faut-il de la place pour accueillir les greffiers, les juges, les archives, et créer les nouvelles salles d'audience nécessaires. La revente des palais désertés ne suffira pas à financer l'aspect immobilier. En plus, je me demande si une loi constitutionnelle ne va pas devoir être votée en raison de l'inamovibilité des juges du siège, ce qui va supposer la collaboration de l'opposition socialiste. Mais ne pas avoir les moyens de ses ambitions serait ici catastrophique pour le fonctionnement de la justice. Sauf à faire, comme le relève Paxatagore à la fin de son billet, une réformette, supprimer deux ou trois juridictions par ici pour les regrouper là, et présenter ça comme la plus grande réforme qu'aura connu la justice depuis cinquante ans.

Notes

[1] Citons la juridiction de proximité pour les petits litiges (moins de 4000 €), le tribunal d'instance pour les litiges moyens (entre 4000 et 10000€), les baux d'habitation, les expulsions, les tutelles, les contrats de crédit à la consommation, les saisies sur salaire, entre autres, les conseils de prud'hommes pour les litiges individuels liés à un contrat de travail ou d'apprentissage (surtout la contestation des licenciements), le tribunal des affaires de sécurité sociale pour les litiges avec les différentes caisses de sécurité sociale, et le tribunal paritaire des baux ruraux pour citer les plus importantes.

mercredi 20 juin 2007

Loi sur les peines planchers : un réquisitoire

Sur le blog Dalloz, Pascal Rémilleux publie un billet très critique sur la future loi sur les peines plancher, sur le principe même plus que sur les modalités de la loi. Par principe, je ne peux passer sous silence un billet qui cite Beccaria, mais je ne résiste pas à l'envie de citer ce passage sur l'usage des statistiques faits dans l'exposé des motifs :

Ainsi, on nous indique que « Le nombre de condamnations en récidive a augmenté de 68,5% en 5 ans, passant de 20 000 en 2000 à plus de 33 700 en 2005. En 2005, 4500 personnes ont été condamnées en récidive pour crimes ou délits violents, soit une augmentation de 145 % par rapport à l’année 2000. La délinquance des mineurs suit également cette tendance. Une étude récente montre que 30,1 % des mineurs condamnés en 1999 ont récidivé dans les cinq années suivantes. »

Avant de tirer des conséquences sociologiques puis juridiques d’une statistique, encore faut-il, la présenter dans son intégralité avec des éléments de définition, de contexte et de comparaison : ici, a minima, on aurait dû ajouter aux chiffres donnés par le garde des Sceaux pour justifier son projet de loi, qu’en 2005, les juridictions ont prononcé 3 232 condamnations pour crimes et 521 118 pour délits, alors même qu’en 2000 il y avait eu 441 312 condamnations prononcées pour délit et 3 610 pour crime. Certes, la hausse (+13 700) de condamnations prononcées en état de récidive est bien réelle, mais doit être ramenée à la hausse générale des condamnations (+79 428)… La conclusion (provisoire) est tout autre que celle de l’exposé des motifs : la hausse en valeur absolue des condamnés en état de récidive s’inscrit dans une augmentation globale des condamnations. Cette dernières ayant elle-même de nombreuses interprétations possibles : est-ce uniquement l’indice d’une hausse des faits, donc du nombre de victimes, ou aussi (mais dans quelle proportion ?) l’indice d’une meilleure productivité de la justice pénale qui peut désormais absorber davantage d’affaires dans des délais plus courts ?

Là, je crois qu'il met le doigt sur le problème : sous prétexte que la récidive augmenterait, chiffres à l'appui, on aggrave la loi réprimant la récidive et on encourage les poursuites systématiques des faits commis en état de récidive. Ce qui mécaniquement augmente le nombre de condamnations en état de récidive. Cette hausse statistique est interprétée comme une hausse de la récidive réelle, ce qui conduit à durcir encore la loi. etc. etc. etc.

L'étape suivante est facile à prédire : ce sera obliger le juge à relever d'office un état de récidive légale qui apparaîtrait à l'audience, avec en parallèle une modernisation du casier judiciaire qui permettrait un enregistrement quasi instantané des condamnations devenues définitives.

Or si une telle loi était votée, le nombre de condamnations en récidive exploserait, et ce quand bien même dans la réalité, les faits commis en récidive régresseraient.

Enfin, l'auteur rappelle ce qui pour les criminologues est une évidence depuis deux siècles : la sévérité d'une peine n'a jamais eu d'effet dissuasif en soi, et le moyen le plus efficace de lutte contre la récidive est l'accompagnement lors du retour à la liberté, par des mesures du type libération conditionnelle. Or le même gouvernement s'apprête à signer le décret de grâce collective du 14 juillet, qui va faire sortir à court terme 8000 détenus sans le moindre accompagnement. C'est pourtant ce genre de libérations massives "sèches" qui offre un boulevard à la récidive.

L'amateurisme en matière pénale est une vieille tradition, et de ce côté là, manifestement, aucune rupture n'est à attendre.

lundi 18 juin 2007

Crétinisme législatif

Via le blog de Vincent Tchen (qui baptise cela « désinvolture réglementaire » ; je n'arrive pas à copier le langage précieux des universitaires) :

Un exemple récent de cache-cache textuel stupide, ridicule et sans aucun intérêt à part compliquer inutilement le droit français.

Les règles de délivrance de la carte d'identité de commerçant étranger, celle qui fait que nous trouvons de la bière et des raviolis très chers près de notre domicile jusqu'à une heure tardive en semaine et le dimanche toute la journée, ont été fixées par un décret n° 98-58 du 28 janvier 1998.

Un décret n° 2007-431 du 25 mars 2007 a transféré ces dispositions, sans les changer (la codification à droit constant dont je vous ai déjà parlé), dans le Code de commerce, aux articles R.122-1 à R.122-17, et avait en conséquence abrogé le décret du 28 janvier 1998 qui faisait doublon (c'est l'article 3, 60° du décret du 25 mars 2007). Bon, pourquoi pas. Il y avait un décret qui traînait, le voilà bien rangé dans un Code.

Un mois et demi plus tard, un nouveau décret n° 2007-750 du 9 mai 2007 relatif au registre du commerce et des sociétés a abrogé dans son article les articles R.122-1 à R.122-17 du code du commerce. Comme ça, sans explications.

Les "explications" (si on peut appeler ça comme ça) viendront quelques jours plus tard, quand un décret n° 2007-912 du 15 mai 2007 reprendra les dispositions abrogées pour les intégrer cette fois au Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). Pourquoi ? Parce que.

Vous croyez que c'est tout ? Nenni. Ce sont les dispositions réglementaires applicables à la carte d'identité de commerçant étranger, c'est à dire les décrets d'application de la loi sur la carte d'identité des commerçant étrangers. Les dispositions de cette loi, elles, n'ont pas bougé : elles sont toujours... dans le code de commerce.

Cela n'a pas échappé au législateur. Et que croyez-vous qu'il a trouvé comme solution ? Un grand classique de la « clarification du droit » : les copier-coller d'un code à l'autre. Avouez que vous n'y auriez jamais pensé. Le législateur, si. C'est à ça qu'on le reconnaît.

Vous comprenez pourquoi les juristes, à commencer par les juges et les avocats, pestent sans cesse contre la bougeotte législative. Il y a des fois où ça vire à la pathologie.

Pour résumer, le législateur se comporte comme une femme de ménage qui ramasserait votre manteau parce qu'elle trouve qu'il traîne dans l'entrée et le changerait de place à plusieurs reprises sans vous le dire, et vous affirmerait benoîtement que comme ça, c'est plus simple et mieux rangé. Sauf que le législateur, vous ne pouvez pas le virer à coups de pieds aux fesses.

Bon, c'était les derniers soubresauts du gouvernement Villepin et de la présidence Chirac. Si le nouveau gouvernement nous débarrasse enfin de ce genre d'usine à gaz, rien que pour ça, il aura ma reconnaissance éternelle (mon vote, on verra) et je ne dirai pas de mal de lui jusqu'au débat sur les peines planchers. La balle est dans son camp.

vendredi 1 juin 2007

Un petit point sur les réformes des peines plancher et de l'excuse de minorité

Une interview dans Le Monde de Madame Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice, apporte des informations intéressantes sur les deux réformes en préparation et promises par le président Sarkozy dans son programme : l'instauration de peines plancher pour les récidivistes et la suppression de l'excuse de minorité pour les mineurs récidivistes de 16 à 18 ans.

Et les nouvelles sont plutôt bonnes, à mon goût.

Sur les peines plancher, on est très loin de l'ahurissant projet communiqué aux parlementaires.

Tout d'abord, il n'y aura pas d'automaticité : le juge pourra descendre en-dessous de ce plancher, en motivant spécialement son jugement.

Explication : Depuis le nouveau code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1994, le juge qui prononce une peine de prison ferme doit spécialement motiver sa décision de ne pas recourir au sursis. Il ne peut se contenter de dire : "attendu qu'il est coupable, il y a lieu de le condamner à six mois d'emprisonnement". Il faut qu'il ajoute une explication à son jugement. Les formulations les plus fréquentes sont du type "Eu égard à l'extrême gravité des faits", "au trouble à l'ordre public causé par l'infraction", ou "aux antécédents judiciaires du prévenu qui démontrent une délinquance habituelle, une peine de prison ferme paraît seule à même de sanctionner efficacement l'infraction". Depuis la loi Clément du 12 décembre 2005, le juge est dispensé de motivation spéciale pour de la prison ferme si le prévenu est en état de récidive, ce qui ne l'oblige pas pour autant à motiver spécialement une peine autre que l'emprisonnement. C'est l'article 132-19 du Code pénal.

La loi nouvelle imposera désormais au juge qui condamne une personne en état de récidive à expliquer pourquoi il ne prononce pas la peine plancher. C'est une incitation à ne pas se casser la tête et à la prononcer, mais il y a un type dans la salle qui se fera un devoir et un plaisir de fournir au juge une telle motivation clefs en main : l'avocat de la défense.

Exit donc l'effarante affirmation de l'argumentaire aux parlementaires selon laquelle les juges peuvent échapper aux peines plancher, mais seulement en ne déclarant pas coupable le prévenu...

De même, le niveau des peines plancher a été sérieusement revu à la baisse. Exeunt donc la moitié à la première récidive, ce sera un an pour un délit passible de trois ans de prison, deux ans pour un délit passible de cinq ans, trois ans pour un délit passible de sept ans et quatre ans pour un délit passible de dix ans. Quid des délits passibles de six mois, un an et deux ans ? Mystère. Sans doute seront-ils exclus du champ d'application. Pour les crimes, le minimum sera respectivement de cinq ans, sept ans, dix ans et quinze ans pour les actes encourant quinze ans, vingt ans, trente ans et la réclusion à perpétuité (voir ce billet pour des explications sur ces seuils de peine).

L'obligation de motivation spéciale ne pouvant être appliquée devant la cour d'assises, qui ne motive pas ses arrêts, je pense que ce sera remplacé par un vote spécial, ou une majorité qualifiée...

Pour les mineurs, l'excuse de minorité (qui divise par deux le maximum encouru) sera écartée pour les mineurs de 16 à 18 ans en cas de deuxième récidive (donc ils devront avoir été déjà deux fois condamnés définitivement) et seulement pour des crimes portant atteinte aux personnes et des délits graves de violences ou agressions sexuelles. Autant dire sur des cas extrêmement rares. Enfin, la juridiction pourra rétablir le bénéfice de cette excuse par une décision spécialement motivée. Alors qu'aujourd'hui, la juridiction doit prendre une décision spécialement motivée pour écarter l'excuse de minorité, dans le cas où elle souhaite dépasser la moitié de la peine.

Je l'ai déjà dit ici, et je récidive : le législateur peut voter toutes les lois répressives qu'il veut, tant qu'il laisse au juge le pouvoir d'adapter la sanction à chaque cas. Ce sera le cas ici. Tant mieux.

Je relève pour conclure ce passage, qui est une magnifique illustration de la gesticulation législative que je dénonce sans relâche.

La loi du 5 mars sur la prévention de la délinquance a étendu la possibilité d'exclure l'excuse de minorité pour les récidivistes ayant commis des faits graves. Le projet va plus loin.

La loi du 5 mars en question, c'est la loi Sarkozy sur la prévention de la délinquance, qui avait tant fait parler d'elle. Elle a été promulguée le 5 mars dernier. Le même jour qu'une réforme de la procédure pénale, la loi tendant à renforcer l'équilibre (sic : on renforce un équilibre ??) de la procédure pénale, soit dit en passant.

Et bien moins de trois mois après, le même ministre, devenu président de la République, va faire voter avant la rentrée une nouvelle loi qui va encore plus loin. On peut se demander ce qui lui a échappé au cours des débats parlementaires qui soit devenu une telle urgence quelques semaines plus tard. Surtout quand on constate que cette loi comporte déjà des dispositions aggravant le traitement de la récidive (art. 43), qui n'entreront en vigueur que le 5 mars 2008. Et qui risquent donc d'entrer en conflit avec les dispositions sur le point d'être votées.

Et pendant ce temps, juges, procureurs et avocats griffonneront rageusement les marges de leurs codes d'annotations de mise à jour...

jeudi 31 mai 2007

Le Monde et le droit : ça ne s'arrange pas

Encore une fois, ne pas comprendre le droit n'est pas une honte ni une tare. Mais quand on est journaliste soit on trouve quelqu'un qui peut apporter l'éclairage manquant, soit on se tait, car donner à ses lecteurs une info que l'on n'a pas soi même comprise, c'est leur transmettre cette confusion, et pas les informer.

Dans un article du Monde daté d'aujourd'hui, dans un article titré Avec le remboursement de la carte orange, Alain Juppé est confronté à son premier arbitrage, Christophe Jakubyszyn écrit ceci (c'est moi qui graisse les passages clef).

Alain Juppé va vivre son premier baptême du feu. Coiffé de la double casquette de l'environnement et des transports, il va devoir trancher, dans les prochaines semaines sur le dossier de la carte orange en Ile-de-france. L'équipe sortante de Dominique de Villepin lui a en effet laissé un "bogue" ou une bombe à retardement : une ordonnance du 12 mars, exhumée par le site Internet du Journal du dimanche, permet au gouvernement Fillon de demander aux employeurs de rembourser 100 % de la carte orange aux salariés d'Ile-de-France, avant mars 2008.

Au milieu de 143 pages d'annexes, l'ordonnance prévoit en effet, dans sa sous-section 1 et son article L3261-2, que "l'employeur situé à l'intérieur de la zone de compétence de l'autorité organisatrice des transports dans la région d'Ile-de-France prend en charge le prix des titres d'abonnements souscrits par ses salariés pour leurs déplacements accomplis au moyen de transports publics de personnes, entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail". Ce présent de l'indicatif diffère de la version précédente de la loi du 4 août 1982 qui prévoyait une prise en charge par l'employeur "aux taux de 40 % à compter du 1er novembre 1982 et de 50 % à compter du 1er octobre 1983".

(...)

Alain Juppé va-t-il s'engouffrer dans cette incertitude juridique pour prendre une mesure symbolique et concrète en matière d'arbitrage entre les différents modes de transport et en faveur des transports publics ? Jeudi matin, son cabinet indiquait pourtant qu'il envisageait de prendre un décret, avant la fin de l'année 2007, pour maintenir le seuil de remboursement à 50 %.

Je suppose que le lecteur, lisant cela, partagera l'incertitude et l'incompréhension d'Alain Juppé, et je le crois aussi, du rédacteur de l'article. Qu'est ce que c'est que cette ordonnance "exhumée" par le site internet du JDD, qui "au milieu de 143 pages d'annexes", glisse une modification à une loi de 1982, que seul un décret pourrait rectifier ? La hiérarchie des normes est bouleversée.

En fait, c'est très simple. Il s'agit de l'ordonnance n°2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail. Il s'agit d'une ordonnance de recodification, c'est à dire de réorganisation du Code du travail. Sans en changer le contenu, on change les numéros des articles et leur ordre, et on intègre des lois extérieures au code, pour... le rendre plus clair.

Oui, je vous assure : le législateur est convaincu qu'il ne prend pas assez de textes, et qu'il faut en plus qu'il change les numéros des articles existant, sans rien changer au contenu, en remplaçant la numérotation à trois chiffres par une numérotation à quatre chiffres, pour rendre le droit plus clair, le tout avec un tableau de concordance des anciens numéros avec les nouveaux de 198 pages. Ce n'est pas dans un sketch des Monthy Pythons, c'est la réalité.

Une ordonnance de recodification est un texte gouvernemental, comme un décret. Pour qu'il puisse agir dans le domaine de la loi, domaine réservé en principe au Parlement, il faut deux conditions cumulatives : une habilitation par une loi, et que l'ordonnance ne change rien à la loi : c'est ce qu'on appelle une codification à droit constant. L'habilitation a ici été donnée par l'article 57 de la loi n°2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social. Ajoutons enfin que l'article 38 de la constitution impose une loi de ratification, à peine de caducité, ce qui oblige le parlement à vérifier que le gouvernement n'a pas outrepassé son autorisation.

Cette ordonnance a donc réorganisé la partie législative du Code du travail. Vous commencez à comprendre : ces "143 pages d'annexe", c'est tout simplement... le nouveau code du travail.

Or l'article L.3261-2 nouveau du Code du travail était censé intégrer dans le Code du travail l'article 1er alinéa 1 deuxième partie de la loi n°82-684 du 4 août 1982. Et là, il y a eu un bug dans le copier coller. Le texte de la loi de 1982 disait que l'employeur situé à l'intérieur de la zone de compétence de l'autorité organisatrice des transports dans la région d'Ile-de-France devait prendre en charge 50% du prix du titre d'abonnement aux transports en commun de ses salariés, et bien sûr plus s'il le voulait. Et la version du nouveau code du travail, qui a fait sauter la mention des 50%, impose la prise en charge intégrale. Vent de panique chez les employeurs, et problème juridique.

En effet, l'ordonnance de codification a modifié la loi, ce qu'elle n'avait pas le droit de faire. Pour le moment, le nouveau texte n'est pas entré en vigueur. Il faut pour cela que la partie réglementaire du code du travail soit aussi recodifiée, sinon l'ordonnance entrera en vigueur quoi qu'il arrive le 1er mars 2008 (c'est prévu par l'article 14 de cette ordonnance).

Donc, le gouvernement doit agir avant cette date, et est face à une alternative : soit faire modifier par le parlement le texte de la loi de 1982 pour la faire coller au texte de l'ordonnance, et c'est mettre à la charge de l'employeur l'intégralité de la carte orange, ce qui fera plaisir aux syndicats et aux salariés mais pas aux employeurs, ou modifier l'ordonnance pour qu'elle colle à la loi et maintienne la prise en charge à 50%. L'ordonnance n'ayant pas encore été ratifiée par une loi, un simple décret suffit. C'est, d'après les sources du journaliste, ce que va faire le gouvernement, ce qui est assez logique : il s'agit de rectifier une erreur de copier-coller, rien de plus.

Le Monde parle pompeusement d'arbitrage. Bon. Et il met ce choix sur le dos d'Alain Juppé. Double erreur ici : d'une part, les décrets d'attribution du ministre d'Etat ne sont pas encore parus, et il y a là plus un problème de droit du travail que de transport, donc ça ressortirait plutôt de Xavier Bertrand ; mais surtout d'autre part, celui qui prendra la décision et signera le décret, c'est François Fillon, en tant que premier ministre (article 21 de la constitution). Alain Juppé ne devrait même pas le co-signer, puisque l'ordonnance du 12 mars n'avait pas été co-signée par le ministre des transports d'alors.

Je reconnais que sur la fin, je chipote, mais c'est juste pour vous donner toutes les explications. Ce qu'il faut retenir, c'est que l'article parle d'une ordonnance exhumée par un site internet, alors qu'elle a été publiée au JO du mois de mars dernier, de 143 pages d'annexes alors qu'il s'agit du code du travail, et parle de baptême du feu pour un ministre alors qu'il s'agit d'un banal erratum, et parle sans fournir d'explication au lecteur d'une ordonnance modifiant une loi qu'un décret va corriger.

Je pense que les lecteurs du Monde ont droit à un peu mieux.

mercredi 3 janvier 2007

Le droit au logement opposable

Les gazettes bruissent d'hosannas, les hautbois jouent et les musettes résonnent. En cette période de quasi Noël, alors que l'Enfant-Jésus grelotte encore du fait que ses parents n'ont pas trouvé de logement en attendant l'arrivée des Rois-Mages samedi, le législateur aurait été touché par la grâce.

Les Enfants de Don Quichotte (qui chargeait des moulins à vent, tandis que ses enfants chargent des tentes) ont obtenu gain de cause, et le législateur va faire accoucher le parlement aux forceps, ou peut-être devrait-on parler de césarienne, tant on est en présence d'un fait du Prince, va le faire accoucher donc d'un droit au logement opposable.

Ce terme est docilement repris par les journalistes, qui n'ont guère l'air de s'interroger sur le sens exact de cette expression et sur son application concrète.

Vous savez comme j'adore jouer les trouble-fêtes, vous pouvez donc compter sur moi pour soulever le couvercle de la marmite pour goûter la soupe à la couleuvre que le gouvernement est en train de nous concocter.

Tout d'abord, c'est quoi un droit opposable ?

Jules, dont la faculté de récupération post-agapes fait la jalousie de tous à la République des Blogs, a dégainé le premier. Je vous renvoie à ses développements, mais pour faire court, un droit opposable est un droit qui ne crée pas d'obligation à l'égard des tiers mais dont ceux-ci doivent tenir compte juridiquement. C'est ce qu'on appelle l'opposabilité.

Rassurez-vous, je développe.

Un droit crée ce qu'on appelle en droit des obligations. Une obligation est un lien de droit qui permet à une personne, le créancier, d'exiger d'une autre, le débiteur, quelque chose de précis, ce qu'on appelle l'objet de l'obligation. C'est là le schéma d'un rapport juridique. Le boulanger qui vend une baguette est tenu de remettre une baguette à l'acheteur, qui doit lui payer 80 centimes. Le boulanger est créancier de 80 centimes et débiteur d'une baguette. Le client est créancier d'une baguette et débiteur de 80 centimes.

Les termes de créanciers et débiteurs sont habituellement employés pour désigner celui à qui on doit de l'argent et celui qui doit cet argent. C'est qu'une dette d'argent est le rapport juridique le plus fréquent, mais ce n'est pas le seul. On peut être créancier d'un bien (d'une baguette dans notre exemple).

Les obligations naissent de deux sources : l'autorité publique, c'est ce qu'on appelle au sens large la loi, et de l'accord des parties, c'est ce qu'on appelle une convention, ou un contrat.

La loi s'applique à tous ceux qu'elle concerne, de manière générale et surtout égale. Nul n'est censé l'ignorer, c'est à dire nul ne peut dire "Ha, mais je ne suis pas au courant" pour être délivré de ses obligations.

Les contrats ont la même force que la loi, mais, et c'est une réserve capitale, qu'entre les parties au contrat. Pour quelqu'un qui n'est pas partie, ce qu'on appelle un tiers, il est inopposable. Un tiers peut valablement dire "Ha, mais je ne suis pas au courant". La loi, elle, ne connaît pas de tiers.

Cette règle s'applique aussi aux jugements, qui n'ont d'autorité qu'à l'égard des parties qui ont été dûment mises en cause. Pour les tiers, il est inopposable.

Un exemple ? D'accord.

Vous avez un contrat avec un fournisseur d'accès internet. Il crée pour ce fournisseur l'obligation de vous fournir un accès effectif à l'internet. Il crée à votre charge l'obligation de vous acquitter périodiquement d'une certaine somme.

Une loi est votée qui crée une journée sans internet le 3 janvier de chaque année. Cette loi oblige les fournisseurs d'accès internet à couper l'accès au réseau de 0 heure à 24 heures le 3 janvier de chaque année. Vous vous retrouvez donc sans internet ce jour là. Peu importe les lettres incendiaires que vous écrirez à votre fournisseur, il vous répondra que la loi lui impose de clore son accès à internet le 3 janvier. Cette loi ne crée aucune obligation à votre égard, vous n'êtes pas fournisseur d'accès. Mais elle vous est opposable. Vous devez tenir compte de son existence. Si vous faites un procès à votre fournisseur demandant des dommages-intérêts pour rupture de contrat, le tribunal vous déboutera, car cette rupture de contrat est le résultat du respect par le fournisseur de la loi, loi qui vous est opposable de par sa publication au J.O.

Le 4 janvier, votre accès au réseau n'est toujours pas établi. Votre fournisseur vous explique que le responsable de ses serveurs a pris ses congés, et qu'il ne pourra rétablir l'accès qu'à son retour. Là, il invoque la nécessité pour lui de respecter le contrat de travail qui le lie à son responsable des serveur. Mais ce contrat de travail n'est qu'un contrat, vous n'êtes pas partie à ce contrat, vous êtes un tiers. Ce contrat vous est inopposable. Quand bien même il est légitimement tenu d'accorder des congés à son employé, cela ne le délivre nullement de ses obligations contractuelles envers vous. Cette fois, le tribunal vous donnera gain de cause, car cette rupture de contrat n'est pas justifié par une cause légitime qui vous soit opposable.

Notons que le droit de propriété est un droit par nature opposable à tous (on dit erga omnes pour faire chic), même aux tiers au contrat de vente.

Adoncques, le gouvernement veut créer un droit au logement opposable. Comprendre que c'est le droit qui est opposable, pas le logement.

Comme à présent le concept d'opposabilité vous est familier, je vous vois froncer un sourcil devant cette phrase manifestement incomplète.

« Opposable, à la bonne heure !» vous exclamez vous, « Il ne l'est donc pas pour le moment ? Et il sera opposable à qui ? ».

L'opposabilité du droit au logement

La loi proclame un droit au logement. Mais suivant une maladie contemporaine du législateur, il ne s'agit que d'une proclamation solennelle destinée à faire joli et à marquer le profond intérêt de la représentation nationale, tellement profond que l'aspect bassement matériel consistant à s'assurer l'effectivité de ce droit lui passe au-dessus[1].

Cette proclamation a eu lieu dans la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, sans doute une des plus connues de nos concitoyens puisqu'elle s'applique à tous les baux d'habitation de logement nus. Vous louez un appartement mais les meubles sont à vous ? Vous avez pris à bail un logement nu.

Son article 1er s'ouvre sur cette formule :

Le droit au logement est un droit fondamental ; il s'exerce dans le cadre des lois qui le régissent.

Nous voilà bien avancés. Essayez de dire au propriétaire qui refuse de vous louer son appartement parce que vous n'êtes ni fonctionnaire ni imposable à l'ISF que votre droit au logement est un droit fondamental. Quant au fait qu'il s'exerce dans le cadre des lois qui le régissent, c'est une jolie lapalissade publiée au JO. Il ferait beau voir qu'il s'exerçât en violation des lois qui le régissent !

Notez bien que cette phrase ne crée aucune obligation. A l'instar des lois qui reconnaissent tel ou tel événement historique, il ne s'agit de loi que parce que ce texte est voté par le parlement et publié au J.O. Une liste des courses votée en séance publique pourrait aussi bien être qualifiée de loi. Fort heureusement, le conseil constitutionnel veille et annule de plus en plus facilement les phrases qui ne posent que de jolis principes et proclament des belles intentions. La loi est l'expression de la volonté générale, elle doit poser des règles, pas exprimer des voeux pieux.

Le législateur va quand même un peu plus loin à l'alinéa suivant.

L'exercice de ce droit implique la liberté de choix pour toute personne de son mode d'habitation grâce au maintien et au développement d'un secteur locatif et d'un secteur d'accession à la propriété ouverts à toutes les catégories sociales.

Maintien par qui ? Développement par quoi ? Mystère.

Bref, ici, pas de règles ni d'obligation.

Le projet de loi annoncé par le gouvernement permettrait, je cite Le Monde, de

la possibilité pour toute personne remplissant les conditions fixées par la loi d'obtenir de l'Etat, par l'intermédiaire du maire de la commune agissant en son nom, un logement correspondant à ses besoins personnels et familiaux.

Ha. Mais s'il n'y a pas de logement ?

En cas de refus ou d'absence de réponse du maire, une "commission de conciliation" peut être saisie et, si le litige persiste, la décision sera soumise au juge administratif.

Donc, cette loi crée une obligation à la charge de l'Etat, en fait du maire, de fournir un logement. Le non-respect de cette obligation pouvant être porté devant le juge administratif, qui condamnera le cas échéant l'Etat à indemniser l'administré non logé malgré ses demandes. C'est donc un droit opposable à l'Etat qui va être créé, par opposition au droit inopposable à quiconque proclamé à l'article 1er.

Que voilà une bonne nouvelle.

Sauf que les conditions prévues par la loi permettant d'obtenir ce logement restent à définir. Que la procédure d'indemnisation devant le tribunal administratif prend des années (dans 15 jours, un tribunal administratif va examiner une requête que j'ai déposée début 2004) pour des sommes misérables (la mort d'un enfant de 10 ans est indemnisée quelques milliers d'euros, alors le fait de ne pas avoir trouvé un logement, je vous laisse imaginer). Et surtout que la loi ne permet pas de créer des logements là où il n'y en a pas. Bref, des demandes aboutissant à une indemnisation effectives seront rarissimes, en supposant qu'il y en ait un jour.

Mais le gouvernement a enfin pris conscience de la gravité du problème du logement, gaudeamus, non ?

Non. J'ai un principe : je ne me réjouis jamais face à de la démagogie.

Parce que le 27 octobre 2005, le gouvernement a déposé au Sénat un projet de loi portant engagement national pour le logement, dont l'exposé des motifs commence ainsi :

La gravité de la crise actuelle du logement appelle des décisions fortes et urgentes de la part du Gouvernement.

ce projet de loi a été adopté et est devenu la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement. Ce texte n'est pas sexy, ce n'est que de la modification de codes, du droit de l'urbanisme et des mesures fiscales. Un cauchemar pour porte-parole de gouvernement. Mais c'est du concret. Il y a cinq mois, tout un train de mesures a été adopté. C'est long à mettre en place, car la construction de logements prend du temps, nécessite des autorisations en nombre, même si elles sont facilitées par cette loi, et suppose un financement. Mais le parlement, sur ce coup là, a plutôt bien travaillé.

Et plutôt que d'expliquer comme à un peuple d'adultes ce qu'il a fait, le gouvernement préfère, face à une vague médiatique à l'approche d'une échéance électorale majeure, prendre le peuple pour des enfants et faire voter un joli gadget qui scintille, qui passe bien à la télévision, mais qui n'apportera rien et va perturber le fonctionnement du parlement qui travaille déjà à plein régime à moins de deux mois de la fin de ses travaux. Et pour éviter que les journalistes ne se posent trop de questions sur le fonctionnement, on recouvre le tout d'un nappage de jargon juridique, qui est le meilleur épouvantail à questions : un droit au logement "opposable", une commission de conciliation et un recours devant le tribunal administratif. Des questions ? Non ? Merci, et bonne année.

Et ce qui à mon sens est le problème principal demeure, qui n'est pas tant le manque de logements existants : on sait qu'il y en a des centaines de milliers de vides. C'est que le droit français fait tout pour décourager les propriétaires de louer. Le revenu foncier est le plus taxé de tous : il est soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu, plus les 11% de prélèvements sociaux que sont la CSG et la CRDS, dont seulement 5% sont déductibles... l'année suivante. La loi de finance qui vient d'être votée a en plus supprimé l'abattement forfaitaire de 14% sur ces revenus.

Ajoutez à cela les règles protectrices du locataire, qui partent d'un bon sentiment, mais achèvent de décourager bien des bonnes volontés. Elles contraignent le propriétaire à ne pouvoir récupérer son bien que tous les trois ans, à certaines conditions et en respectant un préavis de six mois, et s'il se trompe, c'est reparti pour trois ans ; que l'expulsion d'un locataire qui ne paye plus est terriblement longue, coûteuse et compliquée, quand la préfecture veut bien accorder l'assistance de la force publique qui seule permet l'expulsion effective. Chaque année, des milliers de propriétaires se font saisir et vendre aux enchère leur bien occupé par un locataire qui ne paye pas ; la vente d'un bien occupé se faisant à un prix largement inférieur au prix du marché, il n'est même pas certain que le propriétaire récupère quelque chose après la vente.

C'est un paradoxe bien connu qui veut que protéger une situation la rend plus difficilement accessible. Il en va du logement comme du travail. Mais cet aspect là est intouchable.

Il existe un fantasme du travail et du logement à vie, et un mythe du propriétaire nanti exploitant le pauvre locataire qu'il faut toujours protéger. Il va sans dire qu'aborder un problème via un prisme déformant est le meilleur moyen de ne pas le régler. Et que le coercitif n'a jamais réglé un problème aussi bien que l'incitatif.

Alors le gouvernement crée des "droits opposables", vote des lois-gadget inutiles, et prie pour que la bombe médiatique ne lui explose pas à la figure d'ici le 22 avril.

Il y aura encore bien des SDF à Noël 2007. Peu importe, les élections seront passées.


Mise à jour 14:22 : Frédéric Rolin, nouveau membre fraîchement admis dans Lieu-Commun, aborde également le sujet sur le ton à la fois doctrinal, spirituel et précis qui fait sa réputation aux banquets de la Société des Agrégés et fait de l'ombre à votre serviteur. Il me fait découvrir l'origine de cette expression bancale, qui est issu d'un rapport de 2002 du Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées. Quand je vous disais que les commissions et comités étaient une autre maladie française... Il aura donc fallu tout le mandat présidentiel pour que le gouvernement réalise "l'urgence" de ce droit au logement opposable...

Notes

[1] Oui, je sais. Tellement profond que ça lui passe au-dessus. Le travail législatif respecte les lois de la pataphysique.

vendredi 8 décembre 2006

Et pendant ce temps, le législateur...

J'avais abordé dans un précédent billet les projets de loi sur la réforme de la justice. Mon pessimisme naturel m'avait alors poussé à dire

Je vais la présenter plutôt succinctement, pour une raison simple : elle ne verra pas le jour. (…) le calendrier parlementaire est de toutes façons tellement rempli qu'il est impossible de faire passer deux lois ordinaires supplémentaires, sans compter une loi organique, d'ici le 19 juin 2007[1], date à laquelle la 12e législature prendra fin. Je ne pense pas que l'urgence soit déclarée pour éviter deux lectures avant une commission mixte paritaire. Comme il est de coutume que tous les textes non adoptés soient balancés à la poubelle pour faire table rase du passé, ce projet de loi est donc un hochet médiatique. Il suscite donc chez moi un intérêt proportionnel.

Las, mon pessimisme était trop optimiste. Le projet de loi est bien en discussion, puisqu'il a été inséré aux forceps dans l'agenda parlementaire. A la décharge des députés, la charge de travail, le manque de sommeil qui en découle et la précipitation imposée parle gouvernement peuvent expliquer certaines idées, disons... curieuses. Mais quand même.

Rappelons que le projet de loi se veut directement inspiré par l'affaire d'Outreau. Je cite l'exposé des motifs de la loi, deuxième et troisième paragraphes :

Les dramatiques dysfonctionnements de l’institution judiciaire lors de l’affaire Outreau ont mis en évidence l’impérieuse nécessité d’améliorer de façon substantielle le déroulement de notre procédure pénale.

S’il n’est pas envisageable de procéder dès maintenant à une réforme de notre procédure d’une aussi grande ampleur que celle préconisée par le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, des modifications très significatives et qui font l’objet d’un consensus peuvent toutefois être réalisées sans tarder, afin de supprimer les causes les plus flagrantes de ces dysfonctionnements.

Fort bien. Pas de réforme en profondeur qui nécessite temps, réflexion et concertation, mais il s'agit de remédier tout de suite aux défauts de la procédure révélés par cette affaire, notamment un certain déséquilibre au détriment des personnes poursuivies, dues peut être aux dix lois répressives qu'a votées cette même assemblée ?

Alors, quels sont les causes les plus flagrantes de ces dysfonctionnement sur lequel la commission des lois qui vient d'achever l'examen du texte a découvert un consensus ?

  • La modification du serment des magistrats.

A ce jour, les auditeurs de justice[2] prenant leurs fonction de magistrat prêtent le serment suivant :

Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat.

Comme on le voit tout de suite, l'affaire d'Outreau commence avec ce serment manifestement mal rédigé. Ha ! Si le juge d'instruction de Boulogne Sur Mer avait plutôt prêté ce serment :

Je jure de me comporter en tout comme un digne et loyal magistrat, impartial, libre, intègre, diligent, respectueux de la loi, des droits de toutes les parties, du secret professionnel et du devoir de réserve.

Bon, passons sur le fait que les droits des parties, le secret professionnel et le devoir de réserve résultant de la loi, il y a redondance à les citer en plus du respect de la loi. Ces subtilités ne peuvent qu'échapper au législateur : qu'est ce qu'il y connaît, à la loi ?

Car la commission des lois a trouvé encore mieux.

  • L'échevinage en matière correctionnelle.

Désormais, les tribunaux correctionnels, composés en principe de trois juges professionnels, principe qui connaît moult exceptions, tant un nombre important de délits peut être jugé par un juge unique, seront composés d'un juge président le tribunal et de deux citoyens tirés au sort sur les listes des jurés.

On croit rêver, et la suite le confirme, quand on voit avec quelle conviction le député Alain Marsaud (pourtant ancien magistrat) défend son amendement :

M. Alain Marsaud a reconnu que son amendement constituait d’abord un appel pour lancer la réflexion et que son adoption nécessiterait de nombreuses coordinations dans le code de procédure pénale. Par ailleurs, il a indiqué qu’une jurisprudence constitutionnelle, au demeurant discutable, posait le principe d’une présence majoritaire de magistrats professionnels dans la composition des tribunaux correctionnels, condition à laquelle ne satisfait pas l’amendement.

En clair : je dis ça mais c'est histoire de causer, de toutes façons, c'est contraire à la constitution.

Le président de la commission ne cache pas son enthousiasme :

Le président Philippe Houillon a rappelé que l’adoption de l’amendement entraînerait des conséquences considérables qu’il fallait avoir à l’esprit avant de se lancer imprudemment dans cette voie.

Et que croyez-vous qu'il arriva ?

La Commission a adopté l’amendement.

Rappelons que l'affaire d'Outreau n'a jamais relevé de la juridiction correctionnelle, qui juge les délits (infractions passibles de peines de prison pouvant aller jusqu'à 10 ans ou d'amendes supérieures à 1500 euros), mais de la juridiction criminelle, la cour d'assises ; et que la présence de neuf citoyens jurés n'a pas empêché sept des accusés innocentés d'être condamnés par la cour d'assises de Saint Omer. On est donc très loin des réformes consensuelles et urgentes induites par cette affaire.

Vous me direz, le fait d'adopter des lois inutiles n'a jamais effrayé l'assemblée, même en cas d'agenda surchargé.

Cela semble même stimuler l'imagination des députés, puisque certains d'entre eux ont eu le temps de déposer cette proposition de loi (qui, elle, n'a strictement aucune chance d'être adoptée), prévoyant le droit pour tout parlementaire de se constituer partie civile pour les délits d'outrage à l'hymne national et au drapeau national pendant une manifestation, et incidemment de percevoir à titre personnel les dommages-intérêts, il n'y a pas de petit profit, et créant une nouvelle infraction, qui est le plus bel attentat à la liberté d'expression depuis la proposition scélérate déposée par Eric Raoult visant à interdire la banalisation du blasphème religieux par voie de caricature, infraction intitulée "Atteinte à la dignité de la France" et ainsi rédigée :

Constitue une atteinte à la dignité de la France toute insulte, toute manifestation de haine publiée, mise en ligne sur Internet, télévisée ou radiodiffusée, proférée à l’encontre du pays, de ses personnages historiques, des dépositaires de l’autorité publique ou de ses institutions.

Constitue une atteinte à la dignité de la France le détournement du drapeau national.

L’atteinte à la dignité de la France est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

Ainsi, dire "Le Maréchal Pétain était une ordure" pourrait valoir trois années d'emprisonnement...

Evidemment, comme le commente Paxatagore,

On peut s'interroger, en strict droit pénal, sur la conformité de cette nouvelle infraction à la convention européenne des droits de l'Homme.

Se poser la question, c'est y répondre, à mon sens.

Ainsi, voilà les leçons que nos députés tirent de l'affaire d'Outreau : - Réécrire le serment des magistrats ; - des tribunaux correctionnels participatifs, c'est à la mode. Les magistrats peuvent se tromper, le peuple, lui, jamais ; - protéger la dignité de la France, contre ceux qui osent en dire du mal.

Au-delà du rire qui est impératif comme arme contre le désespoir à lire cela, le fil conducteur est hélas évident.

Réécrire un serment, instaurer des jurés correctionnels, créer des nouvelles infractions car on n'en a jamais assez, ça ne coûte rien (un juré est payé bien moins cher qu'un magistrat). Ca permet de parader en disant : "regardez, je réforme !" en évitant par dessus tout la Réforme Interdite : doter la justice du budget dont elle a besoin pour remplir correctement sa mission. Les candidats à l'élection otn d'ailleurs bien appris leur leçon. Interrogés sur la question, tous répondent invariablement le même couplet : « Ce n'est pas qu'une question de moyens. Il faut réformer, simplifier, moderniser, ...»

Ce ,'est pas qu'une question de moyens, je veux bien l'admettre. Mais s'agissant de réformer, je crois que là on verse dans l'excès. Pour ne pas dire le ridicule.

Notes

[1] En fait, c'est le 22 février que les travaux vont cesser, les députés repartant dès lors en campagne dans leur circonscription.

[2] Titre des élèves magistrats

jeudi 30 novembre 2006

France, patrie des droits de l'homme...

La presse étant trop occupée à parler de ce scoop extraordinaire qu'est la déclaration de candidature du président de l'UMP, vous n'entendrez probablement pas parler de deux affaires sans intérêt, qui n'intéresseront nullement aux yeuxdes rédac'chefs les citoyens de la république, dont la curiosité est amplement rassasiée avec des considérations sur la couleur du tailleur de la candidate du parti socialiste.

Les blogues en général et le mien en particulier se passionnant pour le sans-intérêt, je vais donc vous en causer. On ne sait jamais, il pourrait y avoir ci ou là quelques farfelus comme moi qui pourraient s'y intéresser.

La France vient d'être condamnée deux fois en trois semaines par la cour européenne des droits de l'homme, à l'unanimité des sept juges composant la section saisie, la première fois pour traitement inhumain et dégradant, la deuxième fois pour atteinte à la liberté d'expression.

Vous, je ne sais pas, mais moi, ça me fait mal.

La condamnation pour torture a été prononcée le 24 octobre dernier par la deuxième section (arrêt Vincent contre France, req. n°6253/03).

Le plaignant n'est pas sympathique, c'est vrai. Il est en prison, pour enlèvement et séquestration d'un enfant de sept mois, mais pas pour violences sur cet enfant. Il est un détenu désagréable et procédurier, qui porte plainte contre un peu tout le monde ; mais parfois à raison, comme nous allons le voir. Il est paraplégique depuis un accident de la circulation en 1989 et a perdu l'usage de ses jambes. Il est en prison depuis 2002 et purge une peine de dix années d'emprisonnement.

Depuis sa détention provisoire, il a visité plusieurs hostelleries de la république : Nanterre de novembre 2002 à février 2003, Fresnes de février à juin 2003, Osny de juin 2003 à février 2005, Meaux-Chauconin de février 2005 à mars 2006, établissement adapté aux handicapés, d'où il a été transféré à Villepinte où il résiderait encore.

C'est lors de son passage à Fresnes que Monsieur Vincent a connu une situation inhumaine et dégradante pour la cour, du fait de l'inadaptation de cet établissement, construit au XIXe siècle, pour un détenu se déplaçant en fauteuil roulant. Là, je confirme. Je dois baisser la tête et rentrer les épaules pour franchir la porte menant au parloir des avocats, et je mesure 1m80. Monsieur Vincent ne pouvant franchir seul les portes (ce qui nécessitait qu'il fût porté pendant qu'une roue de son fauteuil était démontée), il est resté confiné dans sa cellule pendant quatre mois sauf à l'occasion de rares sorties, principalement pour les nécessités de l'instruction. Cette situation a été constatée dès son arrivée, et aucune raison impérieuse n'imposait de le laisser dans cette maison d'arrêt ; pourtant il y est resté quatre mois, sans sport, sans promenade, sans sans accès à la bibliothèque. Faute de chaise adaptée, il n'a pu prendre de douche pendant deux mois. Enfin, les soins que nécessitaient son état, sondages urinaires et touchers rectaux pour l’évacuation des urines et des selles, étaient faits en cellule, au vu de ses codétenus.

Le récit du plaignant sur ses autres conditions de détention fait frémir, même si la cour les écarte faute de preuve (un détenu ne peut avoir d'appareil photo dans sa cellule ni faire venir un huissier...) : à Nanterre, il ne pouvait atteindre les placards, ni utiliser le miroir ou le lavabo, placés trop haut pour un homme en fauteuil ; il aurait même été contraint durant quatre jour d'aller aux toilettes en rampant, son fauteuil étant cassé. A Osny, Dans sa cellule, la douche n’était pas adaptée à une personne paraplégique puisqu’il devait actionner le bouton poussoir avec l’arrière de sa tête pour obtenir de l’eau. Il faudra neuf mois pour que ce problème soit réglé.

Sans commentaires.

Dans la deuxième affaire (Mamère contre France, req. n°12697/03), le camouflet est double car il dépasse la seule affaire judiciaire. Il s'agit de la condamnation de Noël Mamère et Marc Tessier (président de France Télévision) pour diffamation envers le professeur Pierre Pellerin, ancien directeur du service central de protection contre les rayons ionisants (SCPRI) qui en 1986 était responsable des informations officielles sur le nuage de Tchernobyl. A l'occasion d'un passage à l'émission « Tout le monde en parle », le député maire de Bègles, après avoir rappelé qu'à l'époque, il présentait le journal de treize heures, avait parlé du professeur Pellerin en ces termes :

il y avait un sinistre personnage au SCPRI qui s’appelait Monsieur Pellerin, qui n’arrêtait pas de nous raconter que la France était tellement forte – complexe d’Astérix – que le nuage de Tchernobyl n’avait pas franchi nos frontières

Noël Mamère a été condamné pour ces propos, en raison de leur manque de mesure, qui exclurait la bonne foi de leur auteur, et de leur inexactitude factuelle : le professeur Pellerin avait bien dit que la radioactivité avait augmenté en France, ce qui suppose un survol, mais que cette augmentation n'aurait pas de conséquence sur la santé publique, propos qui, d'après la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 3 octobre 2001, « ce qui n’a toujours pas été réfuté avec certitude ». Qu'en termes choisis ces choses là sont dites, n'est ce pas ?

La cour de cassation a validé cette condamnation le 22 octobre 2002 en rejetant le pourvoi de Messieurs Mamère et Tessier.

La cour des droits de l'homme estime qu'en statuant ainsi, la justice française a violé l'article 10 de la convention qui garantit la liberté d'expression, en soulignant que le débat en question portait sur un sujet d'intérêt général, qui impose une plus grande souplesse, et que dès lors l'interdiction que fait la loi française d'apporter la preuve de la véracité des faits diffamatoires quand ils remontent à plus de dix ans n'est pas une limitation acceptable, car « lorsqu’il s’agit d’événements qui s’inscrivent dans l’Histoire ou relèvent de la science, il peut au contraire sembler qu’au fil du temps, le débat se nourrit de nouvelles données susceptibles de permettre une meilleure compréhension de la réalité des choses. ».

De même, la cour n'accepte pas que la bonne foi du requérant ait été écartée au seul motif qu'il a tenu des propos exagérément vifs, encore une fois, il s'agit d'un débat d'intérêt général, et, flèche du Parthe, « dans le cadre d’une émission qui tient moins de l’information que du spectacle et qui a construit sa notoriété sur l’exagération et la provocation ». La carte de presse de Thierry Ardisson appréciera.

L'animateur n'est pas le seul à se prendre un coup de règle sur les doigts par la cour : savourez cette appréciation obiter dictum sur l'attitude des autorités françaises en 1986, qualifiée « d'attitude particulièrement confiante, au détriment d’ailleurs du bon sens géographique ». Et paf. Le premier ministre de l'époque appréciera. Heureusement pour lui que les Français ne sont pas rancuniers, puisqu'il est à l'Elysée actuellement.

Bref, la cour trouve que condamner un homme qui a dit la vérité sur un sujet d'intérêt général, certes en des termes outranciers, mais dans une émission outrancière par sa nature, sous prétexte qu'il n'a plus le droit de prouver qu'il disait la vérité et qu'il l'a dit en termes exagérés, ça ne s'appelle pas de la liberté d'expression, mais de la police politique (cette dernière interprétation est de moi, elle est outrancière mais d'intérêt général alors j'ai le droit). Dire qu'il aura fallu aller jusqu'à Strasbourg pour que cette évidence soit dite.

Et pour finir sur une envolée lyrique qui plaira à mon ami Jules,

Ha, France, terre des droits de l'homme, qu'as-tu fait de ces fruits ? Alors qu'ils étaient un meuble pour ton blason, tu en as fait une nature morte !

vendredi 24 novembre 2006

Le législateur est notre ami

Quand on est avocat, une grande partie de notre travail consiste à se tenir à jour de l'évolution législative. Je précise à l'égard de certains commentateurs effrayés du taux horaire des avocats que le temps que nous consacrons à cette passionnante activité n'est pas rémunéré par nos clients, et que les formations que nous suivons et la documentation que nous devons acquérir n'est pas gratuite.

Heureusement, de temps en temps, le législateur nous glisse ce que les anglophones appellent un easter egg, un oeuf de pâques, c'est à dire une petite friandise cachée, afin que le plaisir de la croquer soit doublé du plaisir de l'avoir trouvée. Ainsi, la loi Perben II avait modifié un article de loi depuis longtemps abrogé, et qui après cette modification restait tout aussi abrogé.

Cette fois, c'est la très haïssable loi n°2006-1376 du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages, qui m'a quand même arraché un sourire, grâce à son article 1er, qui modifiera au 1er mars 2007 la rédaction de l'article 63 du Code civil.

Cet article prévoit depuis la loi Sarkozy du 26 novembre 2003 sur la maîtrise de l'immigration[1] que l'officier d'état civil qui va célébrer le mariage doit convoquer les époux pour les entendre afin de s'assurer de la sincérité de leur mariage ; s'il a des doutes sur ce point, il peut en avertir le procureur de la République qui pourra alors former opposition au mariage (article 175-2 du Code civil, issu de la loi du 26 novembre 2003).

Prévoyant, le législateur ajoute à l'article 63 du Code civil que :

L'audition du futur conjoint mineur se fait hors la présence de ses père et mère ou de son représentant légal et de son futur conjoint.

Amnésique, le législateur a oublié qu'il a lui-même voté une loi le 4 avril dernier qui dans son article 1er prévoyait que désormais :

L'homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus.

C'est à dire quand ils sont majeurs. L'audition d'un futur conjoint mineur serait donc illégale puisque le futur conjoint ne doit pas être mineur.

Des esprits soucieux de voler au secours de législateur me diront qu'une dispense d'âge est possible pour motifs graves (article 145 du Code civil).

Il est vrai, mais cette dispense est accordée par le procureur de la République. Qu'il me soit permis de me demander où serait la logique du système qui voudrait que l'officier d'état civil pût demander au procureur de s'opposer au mariage qu'il vient d'autoriser.

Je crains fort qu'une fois de plus, le législateur montre qu'à force de voter texte sur texte au pas de charge, il ne se souvient même plus de ce qu'il a voté sept mois plus tôt et continue à légiférer sur des situations qu'il a rendu impossibles par une loi précédente.

Vous comprenez dès lors que chaque annonce d'une nouvelle réforme de la procédure pénale me plonge dans des abîmes d'angoisse.

Notes

[1] Immigration tellement maîtrisée que le même ministre a cru devoir faire voter une nouvelle loi sur le même thème, cette fois baptisée sur l'immigration et l'intégration...

mardi 31 octobre 2006

Réformons la justice avant la fin du monde...

Qui rappelons le aura lieu le 22 avril 2007 pour le premier tour et le 6 mai pour le deuxième tour, c'est officiel depuis mercredi dernier (la fin du monde législative aura lieu les 10 et 17 juin 2007).

Ainsi le gouvernement a annoncé sa grande réforme de la justice. Je vais la présenter plutôt succinctement, pour une raison simple : elle ne verra pas le jour.

Elle comporte en effet trois volets : deux lois ordinaires (une, deux) et une loi organique. Le projet de réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui supposait une révision de la Constitution, est tombé aux oubliettes, du fait de l'impossibilité de réunir le Congrès d'ici la fin de la législature. C'est plutôt heureux, tant ladite loi renforçait le contrôle du pouvoir politique sur l'instance qui sanctionne les magistrats.

Mais le calendrier parlementaire est de toutes façons tellement rempli qu'il est impossible de faire passer deux lois ordinaires supplémentaires, sans compter une loi organique, d'ici le 19 juin 2007, date à laquelle la 12e législature prendra fin. Je ne pense pas que l'urgence soit déclarée pour éviter deux lectures avant une commission mixte paritaire. Comme il est de coutume que tous les textes non adoptés soient balancés à la poubelle pour faire table rase du passé, ce projet de loi est donc un hochet médiatique. Il suscite donc chez moi un intérêt proportionnel.

Mais bon, voyons donc les enseignements que le législateur aura retiré de l'affaire d'Outreau.

Il propose les mesures suivantes :

  • La saisine du Médiateur de la République.

Alors que pour le moment, le Médiateur de la République ne peut être saisi que par l'intermédiaire d'un parlementaire ou d'un de ses délégués départementaux, en cas de dysfonctionnement de la justice, le Médiateur pourra être saisi directement par un particulier, le Médiateur transmettant le cas échéant au Garde des Sceaux.

Sur le principe, rien à redire. Un citoyen doit pouvoir se plaindre de sa justice. C'est donc un mécanisme de filtrage qui mettrait le magistrat à l'abri des pressions directes. Le Médiateur présente l'avantage d'être extérieur au monde judiciaire, donc ne sera pas soupçonné de corporatisme.

Mais je prédis au Médiateur une avalanche de plaintes parfois farfelues. Nous connaissons tous dans notre profession des plaideurs qui, quand ils sont déboutés, mettent ça sur le compte d'un incroyable complot international plutôt que sur leur mauvaise compréhension de la loi ou sur une défaillance de leur "bon sens". Les parlementaires et les délégués locaux servaient à filtrer les affaires du Médiateur. Le Médiateur devient désormais lui-même un filtre. Ce n'est pas très cohérent, mais bon.

  • Le contrôle des compétences des magistrats recrutés autrement que par l'ENM.

Les auditeurs de justice (élèves-magistrats, si vous préférez) qui passent par la voie normale pour devenir magistrat ont un contrôle des compétences qui peut aboutir à ce qu'ils ne soient pas admis à prêter serment. Ce n'est pas le cas des magistrats recrutés sur titre (sur dossier), des juges de proximité, des juges temporaires et de ceux recrutés par concours exceptionnels. Ce sera désormais le cas.

Là encore, rien à redire, mais plus par incompétence : je ne connais pas le mécanisme de contrôle en question.

Bon, le nombre de juges de proximité va sûrement baisser. Notons au passage que dans l'affaire d'Outreau, aucun magistrat recrutés par ces voies parallèle n'est en cause : tous sortaient de l'ENM, à commencer par le plus célèbre d'entre eux.

  • La création d'une nouvelle faute disciplinaire et d'une nouvelle sanction.

La nouvelle faute serait : « la violation des principes directeurs de la procédure civile et pénale », et la nouvelle sanction serait l'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d'exercer des fonctions de juge unique.

Là, premier pataquès. Le Conseil d'Etat a signalé au gouvernement, dans un avis secret et confidentiel réservé au seul gouvernement, que vous trouverez donc reproduit dans un billet ci-après[1], que cette idée « loin de clarifier la définition de cette faute, introduit un risque de confusion entre l'office des juges d'appel et de cassation et celui du juge disciplinaire », ce qui, en dehors des murs du Palais-Royal se résume plus sobrement par « C'est super débile comme idée ». Je développerai mes commentaires dans le billet consacré à cet avis.

Le gouvernement a donc retiré cet aspect et le réintroduira par voie d'amendement en cours de discussion, c'est à dire dès que les poules auront des dents.

Reste la sanction d'interdiction temporaire des fonctions de juge unique. Là encore, je reste réservé. Cela révèle une méconnaissance de l'organisation du siège. Les fonctions de juge unique n'ont rien d'honorifique. Elles ne reflètent pas la valeur supposée du magistrat qui occupe ces fonctions, mais la pingrerie de l'Etat qui préfère n'en payer qu'un pour faire le travail de trois. Si cela s'expliquait pour des fonctions portant sur des affaires simples ou plus techniques que difficiles (Baux commerciaux, petites affaires civiles, exécution des jugements), ou pour la fonction de juge d'instruction, Je ne vois pas en quoi quelqu'un qui se verrait interdire d'être juge aux affaires familiales, juge de l'exécution, juge de l'expropriation ou juge de la taxe se sentirait sanctionné. J'en connais même qui prendraient cela pour une récompense. Surtout, cela semble indiquer que les juridictions collégiales sont des sortes de garderies pour juges incompétents ou des centre de rééducations par le travail. Dans une juridiction collégiale, le travail est réparti. Tel juge traite tel dossier seul, il suggère une décision qui est discutée collégialement puis rédige seul le jugement. Son autonomie reste donc grande. Enfin, cette mesure jette l'opprobre sur les assesseurs, qui seront regardés par des avocats goguenards d'un air de dire "tu es donc trop mauvais pour être juge unique ?". Pour ma part, je préfère avoir un mauvais juge de l'exécution qu'un mauvais assesseur aux assises, juridiction collégiale s'il en est.

Si le but du jeu est de mettre un magistrat en liberté surveillée, je suggérerais plutôt une interdiction d'exercer des fonctions au siège. L'organisation hiérarchisée du parquet permet d'encadrer plus efficacement un élément posant problème, qui peut être substitué sans aucune difficulté en cas de besoin (on les appelle d'ailleurs des substituts pour cela) et ne peut se réfugier derrière son indépendance pour cacher son incompétence. C'est une suggestion, en rien une attaque contre le parquet, et suis intéressé par les objections que des magistrats pourraient m'apporter.

  • La suspension provisoire des cas pathologiques.

Là encore, rien à voir avec l'affaire d'Outreau, puisque tous les magistrats qui sont intervenus dansce dossier étaient sains d'esprit. Mais la magistrature a connu quelques cas de juges, en mi-temps thérapeutique pour la plupart, ce que le Canard Enchaîné définit joliment par : juge le matin, fou l'après midi. L'affaire d'Angoulême, dite de la main courante, reste dans toutes les mémoires. Au passage, cela a permis à Pascal Clément, invité un matin sur Canal +, de citer nommément un magistrat qui avait cité à comparaître tous les parlementaires, dont un certain Pascal Clément, il y a vingt ans de cela, devant le tribunal correctionnel de Pontoise. L'idée de citer un parlementaire en justice révélant à l'évidence une pathologie, le magistrat en question avait été révoqué. Ce qui n'empêche pas Pascal Clément de lâcher son nom vingt ans après. La mule du pape a gardé son coup de pied sept ans, l'âne du président fait trois fois mieux.

La mesure prévue permet au Garde des Sceaux, après avis conforme du CSM, de suspendre un magistrat six mois pour raisons médicales, le temps que le comité médical statue sur sa capacité à exercer ces fonctions, le magistrat restant rémunéré pendant cette période.

Rien à redire là dessus. Magistrat est une fonction difficile et exigeante, une dépression nerveuse peut être invalidante vu le poids des responsabilités, et les incidents qui ont eu lieu, aussi cocasses soient-ils, font un tort considérable à l'institution. La justice n'est pas une maison de repos, elle est même plutôt le contraire.

  • L'enregistrement des Gardes à vue et des interrogatoires.

Uniquement en matière criminelle, soit 2% des affaires, auxquelles il faut ôter celles de terrorisme et de bande organisée, car rien n'est plus timide qu'un terroriste ou un mafieux : ils sont donc exclus de la mesure. Mesure gadget tout droit issue de l'affaire d'Outreau, dont j'ai déjà parlé par le passé. Je doute de son efficacité, mais ne la pense pas nuisible. Il faudra juste désormais que je m'assure que je suis bien coiffé et que je présente mon meilleur profil à la caméra.

  • La création de pôles d'instruction et la co-saisine.

Les affaires les plus complexes et les plus graves seront envoyés à des pôles d'instruction situés dans les gros tribunaux, pour éviter que des tribunaux à un ou deux juges d'instruction ne se trouvent chargées d'affaires médiatiques dépassant leurs moyens. Les parties pourront demander à la chambre de l'instruction que deux juges traitent le dossier ensemble (c'est la co-saisine), un juge d'instruction pouvant solliciter cette co-saisine s'il pense que le dossier le nécessite.

La co-saisine existe déjà depuis 1993 : la loi facilite d'y avoir recours. L'affaire Clearstream, et l'affaire des frégates de Taiwan, par exemple, sont suivies par deux juges d'instruction co-saisis.

Là encore, pourquoi pas, si les moyens suivent. La solitude du juge d'instruction a souvent été invoquée lors de l'affaire d'Outreau. Cela sera plus problématique en province, où les avocats des petits barreaux seront du coup éloignés des pôles en question (j'ai l'intuition que Paris disposera d'un tel pôle) avec à terme le risque de voir les grosses affaires leur échapper, les juges d'instruction locaux restant saisis des plaintes avec constitution de partie civile pour des vols de poule et des petits trafics de stupéfiant. Les avis des juges d'instruction (ou ex juges d'instruction) qui me lisent m'intéressent.

  • Le droit de demander des confrontations individuelles.

L'expression est maladroite. Une confrontation ne peut être individuelle, sauf dans le cas d'un schizophrène. En fait, il s'agit du droit de s'opposer aux confrontations collectives avec des accusateurs multiples.

Là encore, c'est une résultante directe de l'affaire d'Outreau, tant les acquittés ont parlé avec angoisse de ces confrontations. Mais je n'imagine pas un instant une chambre de l'instruction faire droit au refus d'un mis en examen d'être mis face à tous ses accusateurs en même temps si le juge de l'instruction l'estime utile à la manifestation de la vérité.

  • Le droit de contester sa mise en examen tous les six mois.

Actuellement, la loi prévoit qu'une personne contre laquelle il existe des indices graves ou concordants de culpabilité doit être mise en examen, mais seulement si le recours à la procédure du témoin assisté ne paraît pas possible ; c'est à dire que le juge d'instruction pense qu'un contrôle judiciaire ou une détention provisoire est nécessaire, puisque ces mesures ne peuvent être ordonnées contre un témoin assisté. Le mis en examen peut contester sa condition en soulevant devant la chambre de l'instruction que les indices ne sont pas graves ou concordants (mais pour une chambre de l'instruction, tout indice est nécessairement grave ou concordant...). Hormis ce recours, le mis en examen reste mis en examen jusqu'à ce qu'il soit renvoyé devant le tribunal correctionnel (auquel cas il devient prévenu), mis en accusation devant la cour d'assises (auquel cas il devient accusé) ou bénéficie d'un non lieu (auquel cas il est invité chez Julien Courbet).

Le mis en examen pourra demander tous les six mois de passer au statut de témoin assisté.

L'intérêt de cette réforme m'échappe quelque peu. Le témoin assisté a les mêmes droit que le mis en examen, la différence étant qu'il est ainsi à l'abri du contrôle judiciaire et de la mise en examen. C'est d'ailleurs le seul intérêt de contester la mise en examen, qui quand elle est annulée, entraîne de plein droit le statut de témoin assisté. Mais sachant que le mis en examen peut de toutes façons à tout moment demander la mainlevée du contrôle judiciaire ou sa mise en liberté, on voit que cette réforme ne sera que symbolique, le terme de mis en examen étant devenu aussi infamant que celui qu'il remplace depuis treize ans : inculpé.

  • La réforme des expertises pénales.

Dans un souci d'économie, les expertises seront désormais confiées aux femmes de ménage du palais.

Bon, ça va, je plaisante.

Jusqu'à présent, les expertises sont des actes d'instructions, ordonnées par le juge de son propre chef, selon les termes de la mission qu'il décide. Les parties peuvent demander une expertise ou une contre-expertise, ou demander que l'expert entende telle ou telle personne, mais ne peuvent influer sur sa mission. L'expert travaille en principe seul, sauf s'il décide de convoquer les parties. Une fois l'expertise rendue, seules ses conclusions sont notifiées aux parties, avec un délai fixé par le juge pour demander une contre-expertise ou déposer des observations. L'avocat doit donc se rendre rapidement au greffe du juge pour consulter l'expertise. Concrètement, il ne pourra pas en obtenir copie avant l'expiration du délai de demande de contre expertise, et on voit régulièrement des avocats lire l'expertise à vois haute dans leur dictaphone pour que leur secrétaire la retranscrive afin qu'elle puisse être soumise au client ou à un expert-conseil sollicité par la partie au procès. Certains expertises, fondées sur des sciences exactes, ne posent guère de problèmes : l'expertise balistique indique quelle arme a tiré, à quelle hauteur, selon quel angle, et la force avec laquelle il fallait presser la queue de détente pour que le coup parte ; l'expertise ADN indique si c'est le mis en examen ou un éventuel jumeau homozygote qui a commis le viol. Par contre, les expertises psychologiques sont plus délicates, surtout quand on demande à un expert de déterminer la crédibilité du récit de la victime quand les faits sont trop anciens pour que des indices soient rassemblés. Ces expertises sont des machines à erreur judiciaire.

La loi prévoit que la mission sera notifiée aux parties qui pourront demander que la mission soit modifiée, ou qu'un co-expert choisi par elles soit désigné. Le juge reste libre de refuser(avec appel devant la chambre de l'instruction). Là, je trouve l'idée plutôt bonne, quitte à mettre en péril ma réputation de râleur patenté. Je crois que là, on a tiré une vraie leçon de l'affaire d'Outreau, mais je me demande si les juges d'instructions qui me lisent vont partager mon approbation ?

  • Le règlement contradictoire de l'instruction.

Aujourd'hui, quand le juge d'instruction estime avoir fini son travail, il l'indique aux parties (c'est ce qu'on appelle « un article 175 » pour être sûr que les mis en examen ne comprennent rien). Celles-ci ont un délai de 20 jours pour demander des actes, auquel elles peuvent renoncer. C'est ce qu'on fait quand notre client est le seul mis en examen et est incarcéré. Si on n'a pas d'acte à demander, on indique qu'on renonce au délai pour gagner trois semaines que notre client passerait en détention. Le dossier est alors transmis au parquet pour ce qu'on appelle le « règlement ». Le procureur étudie le dossier (et ce n'est pas un examen superficiel, il le décortique) et prend un réquisitoire définitif, demandant au juge d'instruction de renvoyer le mis en examen devant le tribunal correctionnel s'il a commis un délit, de le mettre en accusation devant la cour d'assises s'il a commis un crime, ou de dire n'y avoir lieu à suivre (ce qu'on appelle un non lieu) si le mis en examen est mon client. Le juge reste libre de sa décision (c'est un juge, après tout), mais dans la quasi totalité des cas, il se contente d'adopter les motifs du réquisitoire, ou en fait un copier/coller, violant ainsi les droits de propriété intellectuelle du parquet sous les yeux des avocats impuissants. Les avocats peuvent se tourner les pouces pendant cette phase, et c'est généralement ce qu'ils font. Quelques hurluberlus, dont votre serviteur, déposent des conclusions s'ils estiment avoir quelque chose d'intéressant à dire pour guider la réflexion du parquet puis du juge. Encore faut-il avoir quelque chose d'intéressant à dire, bien sûr.

La loi prévoit que les réquisitions du parquet seront communiquées aux parties qui pourront y répliquer. Enfin, l'ordonnance rendue par le juge (de renvoi, de mise en accusation ou de non lieu) devra préciser les éléments à charge et à décharge. Si la première partie est une bonne idée (je sais que les juges d'instructions sont demandeurs de ce contradictoire à la fin de l'instruction), la deuxième est une fausse bonne idée. C'est une mécompréhension très répandue chez certains confrères du sens de l'article 81 (alinéa 1) du code de procédure pénale (je graisse) :

Le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge.

Instruire à charge et à décharge ne veut pas dire que le juge doit rechercher à tous prix des indices de l'innocence de quelqu'un dont tout indique la culpabilité, à commencer par ses aveux circonstanciés. La première place du hit-parade des clichés des avocats est occupée depuis des décennies par « C'est une instruction uniquement à charge ! ». Ca ne mange pas de pain, ça passe à tous les coups, et c'est suffisamment bref pour passer à la télé si le ton est suffisamment indigné. Instruire à charge et à décharge, cela signifie que le juge n'est pas guidé par la recherche des seules preuves de la culpabilité : il recherche la vérité, et peut ordonner des actes visant uniquement à établir l'innocence (vérifier un alibi à la demande de la défense, par exemple). Il est des instructions qui ne posent aucun problème quant à la culpabilité : l'assassin a été vu par dix personnes, qui font partie de l'Association française des physionomistes, il a été interpellé avec l'arme encore fumante à la main, a été filmé par les caméras de surveillance, a laissé ses empreintes partout, a craché sur la victime en laissant ainsi son ADN, et depuis le début de l'instruction, ne cesse de répéter « Je suis content de lui avoir fait la peau à ce salaud, ça fait un an que je préparais mon coup » malgré les coups de coude répétés de son avocat. Question : quels éléments à décharge le juge d'instruction devra-t-il mentionner dans son ordonnance de mise en accusation ?

Le but de l'ordonnance de règlement est de justifier la décision du juge de renvoyer ou non. Pas de déclarer la culpabilité. Ainsi, une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel n'est pas susceptible d'appel devant la chambre de l'instruction si l'avocat estime que son client aurait dû bénéficier d'un non lieu. Cette contestation sera tranchée par le tribunal correctionnel, qui prononcera le cas échéant une relaxe. Le juge d'instruction estime qu'il existe charge suffisante contre X d'avoir commis tel délit, le tribunal peut décider que si la charge était suffisante, les preuves, elles, ne l'étaient pas. Le juge d'instruction n'aura pas été fautif (juste un peu frileux).

Et puis chacun son métier. Et celui de souligner les éléments à décharge, c'est celui de l'avocat. Laissons faire les professionnels.

  • La limitation de la règle « le pénal tient le civil en l'état ».

Afin d'éviter des décisions divergentes, la loi prévoit que quand une juridiction pénale est saisie de faits, une juridiction civile qui aurait à connaître des mêmes faits doit attendre que la juridiction pénale ait statué, et est alors tenue par sa décision. Je reprends l'exemple invoqué par le projet de loi : Platon est licencié par la société Socrate qui l'accuse d'avoir commis un vol. Platon porte l'affaire aux prud'hommes. La société Socrate porte plainte avec constitution de partie civile contre Platon pour des faits de vol. Le Conseil de Prud'hommes devra surseoir à statuer jusqu'à ce que l'affaire de vol soit jugée. Si Platon est condamné, il perdra aux prud'hommes, les faits étant acquis. S'il est relaxé, la société Socrate sera condamnée pour licenciement abusif. Problème : le conseil de prud'homme aura sursis à statuer pendant deux ans au moins.

La loi propose de limiter cet effet à l'action civile portée devant une juridiction civile[2] et de permettre au conseil de prud'homme de statuer. Cela découragera les plaintes abusives, dit le législateur plein de sagesse. J'entends bien. Mais si Platon gagne aux prud'hommes avant d'être condamné au pénal ? La victime du vol devra-t-elle verser des dommages-intérêts à son voleur ? Et bien oui, sauf si la société Socrate a eu la présence d'esprit de demander à ce qu'il soit sursis à statuer et que le Conseil ait refusé. Alors, la société Socrate aura le bonheur de se voir ouvrir le droit à demander la révision de son procès (article 11 du projet).

Là, honnêtement, on choisit un remède pire que le mal : contraindre la victime à une procédure en révision en matière civile, lourde et très coûteuse, pour accélérer les procédures. Typique de la politique de la rustine des divers gouvernements.

  • La limitation des plaintes avec constitution de partie civile.

Toute victime prétendue de faits constituant une infraction peut elle même saisir le juge d'instruction qui sera obligé d'instruire. Ces plaintes sont pour une certaines des plaies pour les juges d'instruction, mal ficelées, mal préparées, en ne reposant sur aucun fait réel, voire ne constituant pas une infraction, qui relèvent plus de la psychiatrie ou de la basse vengeance, et se terminent pour nombre d'entre elles par un non lieu.

La loi prévoit que ces plaintes ne pourront être reçue qu'après un refus d'agir du parquet ou une inaction de sa part pendant trois mois.

Attendu que le parquet a la curieuse tendance à ne pas donner suite aux plainte fantaisistes, je redoute que la condition des trois mois d'inaction ne soit aisée à remplir. Le filtre me paraît d'une efficacité douteuse.

Meilleure me semble de prime abord l'idée de permettre au parquet, lors du dépôt de la plainte, d'orienter celle-ci vers une enquête préliminaire menée sous sa direction avant que le juge n'ouvre une instruction, pendant un mois au maximum, enquête à l'issue de laquelle le procureur pourra requérir un non lieu, ou renvoyer directement devant le tribunal correctionnel.

Cela demande une réactivité du parquet, donc qu'il ait les moyens de faire procéder à ces enquêtes. Voilà où le bât blesse, évidemment.

  • Réforme de la détention provisoire

Pour la première fois depuis le 15 juin 2000, une loi vise clairement à diminuer le recours à cette mesure. Voilà une bonne nouvelle, mais le gouvernement donne dans la schizophrénie, après avoir fait voter deux lois Perben, trois lois Sarkozy et une loi Clément visant clairement à envoyer le taux de suroccupation des prisons à un niveau stratosphérique.

Rappelons que les critères de la détention provisoire sont à l'article 144 du Code de procédure pénale :

La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle constitue l'unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes et leur famille, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ; de protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement ; de mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé.

C'est ce dernier critère, le trouble à l'ordre public, qui est concerné. Il ne pourra plus être utilisé que pour le placement en détention en matière délictuelle, soit pour une détention de quatre mois, durée du mandat de dépôt. Le mandat de dépôt ne pourra être renouvelé que sur la base des autres critères : pression sur les témoins ou les victimes, risque de réitération, etc. La loi précisera que le trouble à l'ordre public ne peut résulter de la seule médiatisation de l'affaire.

Les esprits chagrins, qui pour qu'on les reconnaissent portent la même robe que moi diront que la gravité de l'infraction ET sa médiatisation suffiront aisément à constituer ce critère. La commission parlementaire sur l'affaire d'Outreau préconisait la suppression pure et simple de ce critère. Le gouvernement est nettement plus frileux. Impact prévisible sur la détention provisoire : quasi nul.

  • La publicité des audiences du juge des libertés et de la détention.

La détention provisoire est décidée par le juge des libertés et de la détention (JLD) au cours d'un débat contradictoire dans son cabinet. Initialement, ce débat était secret. La loi prévoit aujourd'hui que les avocats peuvent demander la publicité qui ne peut être refusée que sur décision motivée du JLD. Il en ira de même devant la chambre de l'instruction.

La publicité deviendra donc la règle, sauf opposition du parquet ou du mis en examen lui même pour les nécessités de l'instruction, la sérénité des débats, la dignité de la personne ou l'intérêt d'un tiers.

Sur le principe, très bien. La publicité contribue à la qualité du débat. Mais comment rendre cette publicité compatible avec le secret de l'instruction ? Pour les affaires médiatiques, le public sera essentiellement constitué de journalistes. Les faits seront nécessairement débattus, les éléments de preuve seront exposés, les déclarations contradictoires des uns et des autres examinées. Du pain blanc pour les journalistes, certes, mais de quoi saboter le travail du juge d'instruction, qui a besoin du secret pour être efficace (c'est à mon sens la seule justification au secret de l'instruction, la présomption d'innocence n'étant plus qu'un mythe).

  • L'examen public de l'instruction par la chambre de l'instruction.

Chaque dossier ou une détention provisoire a été prononcée et est en cours pourra être examiné par la chambre de l'instruction tous les six mois, à l'initiative du président de celle-ci, du parquet ou des parties (mis en examen, témoins assistés ou parties civiles), au cours d'une audience publique. C'est une véritable révision du dossier puisque la chambre, saisie par son président, pourra ordonner des remises en liberté, annuler des actes, évoquer le dossier, c'est à dire décider de mener l'instruction elle même, prescrire au juge d'effectuer certains actes, désigner un autre juge d'instruction en plus du premier voire dessaisir le juge. Cette audience sera en principe publique.

Là, c'est une révolution dans l'instruction. Que la chambre puisse faire tout cela de son propre chef, cela donne au président de la chambre de l'instruction un pouvoir, et donc une certaine responsabilité de contrôler ce qui se passe dans son ressort. Le spectre d'Outreau a indiscutablement inspiré cette mesure.

Et bien l'idée me plaît, même si sa mise ne pratique va être difficile, vu la masse de dossiers à suivre. Cela peut redonner un intérêt aux fonctions de conseiller à la chambre de l'instruction, qui souvent est une corvée pour les magistrats qui y sont nommés, qui sont saisis essentiellement de demandes de remises en liberté à l'occasion desquelles la défense essaye de glisser sur le fond du dossier, ou d'appel de refus d'actes, bref de débats au domaine limité par la demande qui la saisit. Là, la cour peut tout faire dans le dossier, et sans avoir à être saisie. Cela lui donne des pouvoirs de chapeauter tous les juges d'instruction de son ressort. Il est dommage que cette possibilité soit limitée aux seules affaires où une détention est en cours. Il suffirait à un juge de remettre en liberté sous contrôle judiciaire les mis en examen pour s'affranchir de cette curatelle.

  • L'enregistrement obligatoire des auditions d'un mineur victime et son assistance obligatoire par un avocat.

Ces mesures existent mais ne sont que facultatives : le mineur peut s'opposer à l'enregistrement, ainsi que le juge. Ce ne sera plus le cas.

Rien à dire là dessus. Cette mesure n'était pas réclamée, mais elle ne gênera pas, à condition que les cabinets soient rapidement équipées en caméra vidéo.

Ouf ! Nous en avons terminé !

Bon, le côté décousu de cette réforme étant analogue à celui des précédentes, vous aurez compris que cela fait bien longtemps qu'en matière pénale, aucune recherche de cohérence n'est plus faite depuis longtemps. Le législateur se comporte comme un mécanicien face à une usine à gaz qui en déviant un tuyau par ci et en bouchant un robinet par là croit faire un travail d'ingénieur.

Je maintiens mon pessimisme sur l'adoption effective de cette loi. On verra si je me suis trompé.

Je vous laisse digérer et vais faire le tour des cabinets d'instruction du palais pour demander des bonbons.

Joyeux Halloween, et bonne fête des morts.

Notes

[1] Mes taupes se portent très bien, merci pour elles.

[2] Il s'agit de la victime qui assigne l'auteur du délit devant le tribunal d'instance ou de grande instance plutôt que de mettre en route l'action publique ou de s'y joindre par constitution de partie civile. L'hypothèse est rare, sauf en matière de presse.

jeudi 19 octobre 2006

Il suffisait d'y penser...

Je le savais. Au fond de moi, une étincelle d'optimisme refusait de se laisser éteindre par les douches froides à répétition que m'infligeait le gouvernement actuel et sa politique de réformes impulsives et dépourvues de réflexion d'ensemble, préférant les effets d'annonce et les réponses immédiates à des faits divers.

Un avocat place Beauveau et un autre place Vendôme, cela ne pouvait pas ne pas finir par tourner à l'avantage de ma profession.

Et voilà, c'est fait.

Pascal Clément et Nicolas Sarkozy ont annoncé, jeudi 19 octobre, leur décision de faire voter un texte prévoyant le renvoi devant les assises des agresseurs en "bande organisée" de policiers, gendarmes et pompiers. La création d'une "infraction spécifique de violences volontaires sur agent de la force publique commise avec arme et en bande organisée", qui rendra passibles de quinze ans de réclusion, contre dix aujourd'hui, ceux qui tendent des guet-apens contre les policiers, est en cours d'élaboration.

« De délit, nous passerons à la qualification de crime », a souligné le garde des sceaux, précisant que de telles mesures venaient sur proposition du premier ministre, Dominique de Villepin. « Tous ceux qui oseront des guet-apens aux forces de l'ordre sauront qu'ils pourront passer devant des cours d'assises, et nous espérons qu'ainsi il y ait une dissuasion par la gravité de la menace judiciaire », a-t-il encore expliqué.

Le ministre de l'intérieur a pour sa part annoncé qu'il ferait « voter un texte dans [son] projet de loi sur la prévention de la délinquance qui renverra devant les assises toute personne qui portera atteinte à l'intégrité physique des policiers, des gendarmes ou des sapeurs-pompiers », a déclaré Nicolas Sarkozy.

Il a estimé qu'il y avait plusieurs « avantages » à cette criminalisation, notamment parce qu'« aux assises, il y a des jurés et c'est donc le peuple français qui jugera ». « Il faut que ceux qui portent atteinte » aux personnes « qui portent des uniformes sachent que c'est grave, que c'est en vérité une offense à la République et que la République n'est pas décidée à l'accepter », a affirmé M. Sarkozy.[1]

Merci, les gars. Vous êtes géniaux. Grâce à vous, finies les comparutions immédiates des caillasseurs. Instruction obligatoire, certes avec détention provisoire à la clef, mais de toutes façons ils ne ressortaient pas libres de la 23e chambre. Et une détention provisoire, on peut en demander la levée, tandis que pour la libération d'un condamné, c'est une autre paire de manche. C'est possible dans certains cas, mais pas facile : les juges d'application des peines sont tatillons.

Mais surtout, grâce à vous, pour les - nombreux - agresseurs de policiers qui sont à l'aide juridictionnelle, là où je ne gagnais que 170 euros pour les défendre (420 euros dans les rares cas où il y avait une instruction, 590 au cas où il était mis en détention provisoire pendant cette instruction), je vais désormais gagner 1900 euros (instruction criminelle + un jour d'assises, je ne pense pas qu'un deuxième jour soit nécessaire) ! Champagne !

Et oui, je préfère en rire qu'en pleurer. Parce que des fois, c'est à se demander où nos dirigeants bien-aimés vont pêcher leurs idées. Et cette fois, ce n'est pas n'importe qui : le premier ministre, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et impétrant président, et le Garde des Sceaux, ministre de la justice. Une bande organisée, en somme.

En quoi est-ce n'importe quoi ?

L'idée est donc d'aggraver la répression des violences sur policiers commises en bandes organisées. La précision est importante : ce ne sont pas toutes les violences contre la maréchaussée qui seraient concernées (hélas... Mes 1900 euros !).

La bande organisée est définie à l'article 132-71 du Code pénal :

Constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions.

C'est assez large, mais il faut prouver : (1) une entente préalable établie en vue de la préparation d'une infraction, et (2) des faits matériels établissant cette préparation.

La bande organisée, ça peut venir vite. Imaginons cette saynette dans un quartier sensible de l'ouest parisien :

― Charles-Philibert, êtes vous oisif ?
― Si fait, Hubert-Jacques.
― Que diriez vous d'en découdre avec la maréchaussée ?
― Que voilà une galante idée. En vérité, je dis : fi de l'autorité ! Faille dze pot ouère, comme dit mon cousin anglois, sans que je n'ai jamais bien compris ce qu'il entendait par là. En tout cas, à son ton, sa conviction ne fait aucun doute.
― Assez parlé, Charles-Philibert : des actes ! Comment nous y prendre ?
― Rien de plus aisé, Hubert-Jacques. Boutons le feu à la Jaguar de Papa (il est assuré et voulait prendre une Aston-Martin). La police viendra constater les faits comme c'est sa mission. A ce moment, nous leur chercherons querelle.
― Charles-Philibert, les mânes de Sun Zi vous inspirent, assurément. Je m'en vais chercher des allumettes.
― Fort bien. De mon côté, je vais collecter fourches, bâtons, pierres et pavés. Allons poindre le guet, Hubert-Jacques !
― Taïault, mon cousin, il leur en cuira !

Laissons là ces dangereux délinquants. Nous avons ici une entente en vue de commettre des violences et des actes préparatoires (se procurer des allumettes, fourches, bâtons, pierres et pavés). La bande organisée est constituée.

Autant dire que seules les violences spontanées relèveront encore du tribunal correctionnel.

Dès lors qu'un crime est soupçonné, il est obligatoire de saisir le juge d'instruction, quand bien même les faits sont établis. Imaginons que nos apprentis Mandrin soient promptement maîtrisés par la maréchaussée. Ils sont arrêtés des pierres à la main, tandis que les allumettes sont dans la poche de l'un d'entre eux. Ils passent immédiatement aux aveux et expliquent en détail comment ils ont procédés, les vérifications de la police confirmant ce récit en tout point. Et bien il faudra conduire nos chenapans chez un juge d'instruction qui les mettra en examen, sera bien en peine de trouver des questions à leur poser, ordonnera une expertise médico psychologique et une enquête de personnalité obligatoires en matière criminelle qui constitueront de facto le seul acte de l'instruction. Une fois ces enquêtes déposées, le juge transmettra le dossier au parquet qui prendra des réquisisitions de mise en accusation, que le juge suivra forcément, et tout ce monde se retrouvera devant les assises. A Paris, un an aura passé, au minimum. Il est peu probable que nos galopins soeint encore incarcérés, en supposant qu'ils le furent au début. Et on va passer une journée au minimum à faire venir les experts, les policiers présents, les pompiers témoins des faits, bloquer neuf jurés tirés au sort pour prononcer une peine qui pourrait aller jusqu'à quinze ans mais concrètement se comptera en mois et sera assortie du sursis. Car les cours d'assises ne sont pas particulièrement répressives, tant les débats permettent de mettre à jour la personnalité des accusés et les humanisent. Là dessus, nos ministres qui rêvent de sévérité seront bien déçus. Je redoute plus le prétendu laxisme de la 23e que l'espérée sévérité des assises.

Et là où on croit rêver, c'est sur la justification de cette réforme sortie du chapeau.

Le premier ministre déclare : « nous espérons qu'ainsi il y ait une dissuasion par la gravité de la menace judiciaire ». Ahurissant. Il a plus de deux siècles et demi de retard sur la science pénale. Cela fait longtemps que l'on sait que la gravité de la menace pénale ne joue aucun rôle dans la prévention du crime. Comme si on n'assassinait pas quand la peine de mort était en vigueur.

Ce qui est efficace, c'est la promptitude de la sanction et la certitude de la sanction. C'est exactement ce qui fait le succès des rardars automatiques : tous les automobilistes qui sont flashés sont sanctionnés, l'amende arrive dans les jours suivants, il n'y a pas d'échappatoire. Peu importe qu'elles soient relativement modestes : tout automobiliste a les moyens de payer 90 à 135 euros. La certitude de devoir les payer suffit à faire lever le pied. Aggraver la répression ne sert à rien : c'est la rendre plus systématique qui marche. Tant que la plupart des agressions resteront impunies, les policiers préférant pour leur sécurité déguerpir, aggraver ne servira à rien, car tout agresseur aura l'espoir crédible d'échapper à la sanction.

Le ministre de l'intérieur y voit quant à lui l'avantage de faire juger ces affaires par des jurés, donc de permettre au peuple de juger. Sous entendu il pourra ainsi se faire entendre et imposer à ces magistrats laxistes de prononcer des peines très lourdes. Bon, nos deux ministres avocats n'ont visiblement jamais plaidé aux assises et n'y ont sans doute jamais mis les pieds. J'ai déjà indiqué que les jurés et la forme des débats sont plus souvent un élément de modération que de sévérité. Cette idée s'inscrit dans la continuité de sa proposition de généraliser le jury en matière pénale, proposition que même Philippe Bilger ne parvient pas à trouver intéressante. Je me demande au passage si nos ministres seraient vraiment d'accord pour être jugés par un jury populaire quand on leur demande des comptes pour des affaires de financement occultes des partis politiques... J'en connais qui ne seraient probablement jamais revenus du Canada. Mais bon, les délinquants, c'est les autres. Enfin, là encore, nous sommes dans de la gesticulation pré-électorale, la première étude du coût de cette réforme de jury correctionnel signera son arrêt de mort immédiat.

Cette réforme de criminalisation des agressions de policiers en bande organisée, serait-elle votée, ne serait pas appliquée, hormis peut être ponctuellement, à l'occasion d'une agression particulièrement spectaculaire et dangereuse.

Les cours d'assises n'ont pas une capacité de jugement infinie, et elles ont mieux à faire avec les meurtriers, les braqueurs et les violeurs qu'à juger des caillasseurs de policiers. Dès lors, les affaires seront correctionnalisées, c'est à dire que le parquet feindra de ne pas voir de bande organisée mais une simple réunion pour poursuivre en correctionnelle. Or les violences en réunion sont moins sévèrement sanctionnées que des violences en bande organisée (Cinq ans contre dix ans actuellement pour la bande organisée).

Et ainsi, paradoxe ultime, tant le droit pénal aime à se rire des apprentis sorciers de la réforme : voter cette loi répressive diminuera de fait la répression de ces violences.

Et je ne suis pas le seul à le dire, Paxatagore est également critique.

Alors, quand les organisations de magistrats vont protester contre cette réforme, ne laissez pas dire qu'elle ne font que défendre leur pré carré et sont trop politisées pour être honnêtes. Cette proposition est une vraie ânerie, certifiée et AOC. Espérons un retour à la raison.

Notes

[1] Source : Le Monde du 19 octobre 2006, auteur : Le Monde.fr avec Reuters et AFP.

lundi 9 octobre 2006

Ca se passait comme cela...

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, vu les articles 296, 297, 298 et 302 du Code pénal... Messieurs les avocats, ces articles peuvent-ils être considérés comme lus ?

Acquiescement silencieux sur les bancs de la défense et de la partie civile, l'avocat général opine aussi du chef.

A la question « Quidam est-il coupable d'avoir volontairement ôté la vie à Olibrius ? », il a été répondu « Oui » par la majorité de huit voix au moins. A la question « Quidam a-t-il agi avec préméditation ? », il a été répondu « Oui » par la majorité de huit voix au moins. A la question « Quidam bénéficiait-il de circonstances atténuantes ? »...

Le coeur de l'avocat de la défense s'emballe, une prière muette résonne, assourdissante, en son for intérieur.

Il a été répondu « Non » par la majorité de huit voix au moins.

Un frisson glacial descend le long de son échine. Il sait. L'avocat de la défense sait. L'avocat général sait. Le public ne le sait pas encore, il faut que le président prononce les mots. L'avocat, lui, n'ose pas se tourner vers Quidam, assis derrière lui entre deux gendarmes. Comment lui dire ? Comment affronter son regard ?

En conséquence, la cour condamne Quidam à la peine de mort.

La salle semble exploser. La mère de Quidam pousse un hurlement, un long « Non ! » guttural, tandis que des amis de la famille Olibrius applaudissent. Le président appelle fermement au silence. La presse se bouscule pour sortir de la salle et se précipiter vers les téléphones de l'association de la presse judiciaire, à l'autre bout de la galerie de la Sainte Chapelle.

Monsieur Quidam, vous avez un délai de cinq jours francs pour vous pourvoir en cassation. L'audience pénale est levée, le jury est remercié. L'audience civile aura lieu après une suspension de quinze minutes.

Les gendarmes passent les menottes à Quidam. Son avocat lui tient la main. « Je vais me pourvoir en cassation dès demain. Et après, il y aura toujours la grâce du président. Ne perdez pas espoir. »

« Merci, Maître. j'ai confiance en vous. » lui dit Quidam, d'un air simple qui transperce le coeur de son avocat.

L'audience civile se passe comme dans un rêve, et dure à peine dix minutes. La famille Olibirus réclame trois cent mille francs, la défense s'en rapporte, la famille Quidam n'a pas les moyens de payer, et il est douteux que les Olibrius les poursuivent si leur fils est exécuté.

L'avocat va ensuite parler avec son client dans la salle où l'accusé est emmené lors des suspensions d'audience. Sa mère peut brièvement l'embrasser avant que les gendarmes ne les séparent. En retrait dans le long couloir, l'avocat jette un oeil sur sa gauche. Au fond, la porte de la salle des délibérés est entr'ouverte. Une odeur de papier brûlé flotte. Il faut aller saluer le président et l'avocat général, et supporter leur regard mêlant commisération et bonne conscience d'avoir fait son travail. Pour eux, c'est fini. Pour lui, tout reste à faire.

Le lendemain est consacré à la rédaction du pourvoi. La procédure a été parfaitement respectée, le président est un routard des assises, il connaît le code de procédure pénale comme sa poche. Tant pis, il se contentera de la déclaration de pourvoi, et fera appel à la SCP Plume & Doie, avocat au Conseil. Il va falloir demander à Madame Quidam de s'endetter un peu plus pour son fils. Elle a déjà vendu la maison que lui avait légué ses parents, hypothéqué sa maison actuelle, mais elle devrait pouvoir emprunter un peu plus. Et chez Plume & Doie, ils sont compréhensifs, et abolitionnistes convaincus, il lui feront un traitement de faveur. Et puis, si la chambre criminelle a envie de casser, elle cassera. Elle semble être de plus en plus hostile à la peine de mort. Enfin, c'est ce qu'on raconte.

Trois mois plus tard, un coup de fil vient briser cet espoir. C'est Maître Doie, de la SCP Plume & Doie. La chambre criminelle a rejeté le pourvoi. Une de ses secrétaires est en train de taper une copie de l'arrêt, et il enverra un coursier la lui déposer.

Il ne reste que la grâce présidentielle. La demande partira aujourd'hui même.

Une semaine plus tard, l'avocat se présente rue du Faubourg Saint Honoré. Pour les peines capitales, il est d'usage que le président reçoive l'avocat du condamné. L'entretien dure une demi heure dans le Salon Doré, avec un conseiller du président. Le président ne pose pas de questions, se contente de hocher la tête aux propos de l'avocat. L'avocat oublie vite l'aspect intimidant de l'entretien et est vite habité de sa plaidoirie. Il rappelle le parcours, difficile, de Quidam, de la douleur de sa mère, qui voit la république vouloir couper son fils en deux, du fait que Quidam est un débile léger, pas assez pour le rendre irresponsable, mais assez pour rendre sa mise à mort profondément insupportable et injuste. Le président le remercie, et, en se levant, lui dit qu'il lui fera connaître sa décision. En traversant la cour gravillonnée, l'avocat ne peut s'empêcher de ressentir une bouffée d'espoir.

Le lendemain, il est conforté par sa lecture de la presse : Le Matin de Paris affirme qu'une source proche du président aurait laissé entendre que le président allait commuer la peine de mort en réclusion à perpétuité, information reprise sur Europe n°1 et RTL.

Trois jours après, alors qu'il discute avec son collaborateur sur un épineux dossier de succession, son téléphone sonne.

« Martine, nous sommes sur le dossier Découyousse, j'avais demandé qu'on ne me dérange pas. »

« C'est le parquet général, Maître, ils disent que c'est urgent. »

« Passez les moi » dit-il, en faisant signe à son collaborateur de prendre le combiné rond au dos de l'appareil.

« Bonsoir Maître. Je vous appelle pour le dossier Quidam. C'est pour cette nuit, à quatre heures. »

« Comment ? Mais... Le recours en grâce a été rejeté ? »

« Cet après-midi, nous venons de le recevoir. Nous voulons procéder avant que ça ne se sache à la Maison d'Arrêt. Ca met toujours les détenus dans un état de nerf terrible. Soyez rue de la Santé à trois heures. »

Un silence de plomb s'abat dans le bureau.

« Pouvez-vous me laisser ? Je dois appeler Madame Quidam. »

La conversation durera deux heures. Comment expliquer à une mère qu'il n'y a plus rien à faire, qu'elle s'est presque ruinée pour sauver son fils et que cela aura été en vain, qu'elle n'a même pas le droit d'aller le voir une dernière fois, que demain matin, elle n'aura plus son enfant, que la République l'aura coupé en deux ? Oui, son fils pourra lui écrire une dernière lettre. Oui, il peut lui transmettre un message, qui après beaucoup d'hésitations, de reformulations, aboutira à un simple et bouleversant « maman t'aime, et elle t'aimera toujours. ».

La traversée du cabinet est lugubre, toutes les conversations se taisent sur son passage, les regards de ses associés, collaborateurs et secrétaires le suivent sans pouvoir se détourner. Il ne lui reste qu'à rentrer chez lui et attendre.

Le sommeil ne viendra pas cette nuit. Il passe la soirée et le début de la nuit avec son épouse, qui refuse de le laisser seul en ces circonstances. Cafés après cafés, l'heure tourne, et il sursaute quand son épouse lui dit « Mon amour... Il est deux heures quarante ».

Il enfile son manteau, passe l'écharpe que son épouse lui tend avec insistance : « Il fait si froid la nuit... ». La traversée de Paris au volant de sa D.S. se passe sans incident, tout Paris est endormi à cette heure-ci, noyée dans le teint blafard que lui donnent les ampoules blanches des lampadaires.

Il se gare dans la contre-allée du Boulevard Saint-Jacques, et va à pied jusqu'à la porte de la Maison d'arrêt. Quelques journalistes sont là, qui le prennent en photo tandis que d'autres, un monumental magnétophone en bandouillère, lui mettent un micro sous le nez pour recueillir une déclaration. Peine perdue, il n'en fera pas. Il n'a même pas à présenter sa carte professionnelle au guichet, la poterne s'ouvre dès son approche. Il était attendu.

On le conduit dans le bureau directeur d'établissement. En traversant la cour, il voit la guillotine déjà dressée. La bascule, la planche ou on attachera Quidam, est relevée. Un seau carré en métal, est posé devant la lunette, là où on passera la tête. Une grande corbeille en osier est posée à gauche de l'engin. Souvenir d'une époque révolue, elle peut contenir jusqu'à quatre corps. Devant le guichet, un paravent en bois est posé, face à la guillotine. Au dessus de la cour, un dai a été tendu, pour protéger des regards.

Le directeur d'établissement se lève à l'arrivée de l'avocat. « Nous n'attendions plus que vous. » dit-il maladroitement, en faisant ainsi de l'avocat le signal déclencheur. Dans le bureau sont présent l'aumônier de la prison, le chef d'équipe des exécutants, le gardien-chef, et un représentant du parquet général.

« Allons-y. »

Guidés par le gardien-chef, le petit groupe se rend dans l'aile isolé qui accueille les condamnés à mort, escortés de deux gardiens supplémentaires. Ainsi, pas de risque de réveiller les autres ailes du bâtiment, ce qui était l'émeute assurée.

Le gardien-chef s'arrête devant la porte de la cellule de Quidam, tourne la clef et ouvre la porte en s'effaçant. C'est donc l'avocat qui entre en premier. Quidam est réveillé en sursaut, et ébloui par la lumière. Il reconnaît son avocat et lui sourit. « Alors, ça y est ? Je suis gracié ? ». L'avocat ne trouve pas de mots. Quidam voit dans le couloir le directeur d'établissement et l'aumônier, et son sourire s'efface. Il devaient très pâle et est saisi de tremblements. « Ne fais pas d'histoires, lui dit le gardien chef d'un ton ferme, et tout se passera bien. Habille toi. ».

Mécaniquement, Quidam enfile son pantalon et une chemise blanche, lace ses chaussures. Le cortège se met en route et s'arrête dans une petite pièce, où l'aumônier s'entretient seul avec Quidam. Au bout de quelques minutes, l'aumônier trace un signe de croix devant Quidam et lui donne l'absolution. Puis le gardien chef lui tend une feuille de papier et un stylo, pour écrire, s'il le souhaite, à sa mère. L'exercice est difficile pour Quidam, qui s'applique en tirant la langue. Puis l'exécuteur entre avec une paire de ciseaux et découpe le col de la chemise de Quidam et les cheveux qui recouvrent la nuque. Il lui tend ensuite une cigarette, qu'il accepte, et lui propose un verre de cognac, qu'il accepte également. Sa main tremble de plus en plus. Il le boit très lentement, essayant de retarder l'inévitable. Dans le couloir, personne ne dit un mot, les regards s'évitent, le directeur d'établissement regarde régulièrement sa montre.

Il finit par faire signe au gardien chef, qui entre avec ses deux hommes, qui prennent chacun fermement un bras de Quidam. Le gardien chef lui lie les poignets dans le dos.

« Non... » dit-il d'une voix étranglée. Les gardiens le sortent de la pièce, font une pause devant l'avocat.

« Votre... Votre maman me fait vous dire qu'elle vous aime. Elle vous aimera toujours. » Sa voix se brise à cause de l'émotion. Les yeux de Quidam s'emplissent de larmes, et il dit « Merci... Dites lui que je l'aime aussi » en souriant. Sur un signe de tête du directeur d'établissement, les gardiens conduisent Quidam dans la cour, où attendent les deux assistants de l'exécuteur.

Tout le monde sait qu'à partir du moment où le prisonnier voit la guillotine, il faut aller très vite. Les gardiens le plaquent contre la bascule. L'exécuteur se place à côté du montant droit, près du déclic, le levier qui libèrera le mouton, le poids où est fixé le couteau. L'un des assistants se place face à la lunette, derrière le paravent de bois, qui le protègera des éclaboussures. Le troisième, voyant tout le monde en place, fait pivoter la bascule et la pousse sur des roulements qui amènent la tête au-delà de la lunette. L'exécutant en chef laisse tomber la partie haute de la lunette, qui en écrasant la nuque étourdit le condamné. L'assistant situé en face du condamné, qu'on surnomme le photographe, saisit la tête entre ses mains. L'exécuteur en chef abaisse le déclic. Un bruit de roulement, puis comme un coup de marteau sur une planche, suivi de deux bruits d'éclaboussure : deux jets de sang ont giclé de chaque côté sur les pavés de la cour.

L'assistant soulève un côté de la bascule à peine le couteau tombé et fait chuter le corps dans la corbeille. Le photographe y dépose la tête et referme le couvercle. Le gardien chef présente au chef d'établissement le procès verbal d'exécution, qu'il signe puis remet au représentant du parquet.

« C'est terminé. Merci, messieurs. » conclut le chef d'établissement. L'avocat serre rapidement la main des personnes présentes par courtoisie irréfléchie, puis se dirige aussitôt vers la sortie, n'ayant pas le coeur de dire un mot. Les assistants ont déjà commencé le nettoyage de la cour qui précède le démontage.

C'est un visage fermé que l'avocat présente aux journalistes présents sur le trottoir, un peu plus nombreux, la nouvelle s'étant répandue. Il ne desserre par les lèvres et marche d'un pas rapide vers sa voiture. Jamais Paris, dans le jour qui se lève lentement, ne lui a paru aussi gris.

Le 9 octobre 1981, il y a 25 ans aujourd'hui, était signé le décret de promulgation de la loi portant abolition de la peine de mort. La dernière exécution remonte au 10 septembre 1977. C'est la dernière exécution, à ce jour, de toute l'Europe occidentale.


Ce récit est inspiré des récits de plusieurs avocats ayant assisté leur client jusqu'au bout, notamment bien sûr Robert Badinter (L'Exécution, Ed. LGF, 1976) et des récits d'anciens exécuteurs, tels André Obrecht[1]. Le fait que les détenus apprenaient au dernier moment qu'ils allaient être exécutés est attesté notamment par le récit de l'exécution de Christian Ranucci (qui, réveillé en sursaut, a crié qu'il allait le dire à son avocat) et de Roger Bontems. C'est ce dernier qui a cru un instant, en voyant Robert Badinter, que son recours en grâce avait été accepté.

Notes

[1] Le Carnet Noir du Bourreau, avec Jean Ker, Ed. Gérard de Villiers, 1989

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