Le Figaro a publié une tribune d’une consœur qui a fait réagir, et je pense que c’était son but, attaquant le droit de mentir que le droit français reconnaitrait selon elle à tout accusé (au sens large : toute personne poursuivie au pénal, même si le droit réserve ce terme à celui qui est poursuivi pour un crime, les degrés inférieurs utilisant le terme de prévenu), prônant non seulement sa suppression, mais qu’il soit remplacé par l’obligation de dire la vérité, avec serment identique à celui du témoin, et sanctions pénales à la clé, invoquant le délit d’entrave à l’exercice de la justice.
Sa soif de réforme révolutionnaire de la procédure pénale trouverait sa source dans une affaire qui a été jugée récemment, ou plus exactement dans les réquisitions prises lors de cette audience, dont le résultat, à l’heure où les deux auteurs concernés écrivent leurs lignes respectives, n’était pas connu : il s’agissait des poursuites intentées contre Jonathann Daval, condamné définitivement pour le meurtre de son épouse à une peine de 25 ans de réclusion criminelle, pour avoir, au cours de l’instruction, après avoir dans un premier temps reconnu les faits, s’être rétracté et avoir affirmé que le décès de son épouse était imputable à son beau-frère dans le cadre d’un complot familial. Il maintiendra ces affirmations environ six mois, avant que, lors d’une confrontation, il finisse par reconnaître à nouveau les faits, cette fois définitivement. Mécontent d’avoir été ainsi accusé, son beau-frère a porté plainte pour dénonciation calomnieuse (art. 226-10 du code pénal). La plainte fut classée sans suite, et l’intéressé, comme il en avait le droit, mit lui-même en mouvement l’action publique par citation directe, et l’affaire fut jugée devant le tribunal correctionnel de Besançon. Lors de cette audience, le procureur de la République a requis la relaxe, au motif, rapporte la presse, que « la loi et la jurisprudence reconnaissent à une personne poursuivie de pouvoir mentir, même si c’est moralement très dur », assurant « mesurer toute la souffrance de cette famille qui s’est sentie souillée ».
Avant même de connaitre le sort judiciaire de cette affaire, cette consœur a pris la plume pour appeler de ses vœux une réforme obligeant l’accusé à prêter serment de dire la vérité, car cette absence de serment fait qu’il ne peut pas « être accusé de parjure », et bénéficierait
d’une sorte de «droit de mentir» contrairement aux témoins qui, eux, peuvent faire l'objet d'une condamnation pour entrave à l'exercice de la justice (article 434-13 du Code pénal). Il n'existe pour autant aucun texte accordant ce «droit de mentir» et il n'est d'ailleurs aucune raison valable de vouloir le fonder juridiquement.
Elle ajoute
La réalité est que la recherche de la vérité nécessiterait au contraire, que les témoins comme l'accusé ou le prévenu soient tenus de prêter serment. Plus encore, on comprend mal pour quelle raison des auteurs de délits ou de crimes se voient accorder le droit de se défendre en trompant ceux qui ont en charge de protéger la société contre ceux qui en menacent la sécurité et l'équilibre. N'est-ce pas là «marcher sur la tête» ?
Elle conclut
On doit même se demander si ce n'est pas aller trop loin dans la protection des droits de l'accusé, qui dispose notamment de celui de se taire, reconnu à toute personne soupçonnée ou jugée ce qui, déjà laisse place à des mensonges par omission. Mieux : comment peut-on accepter qu'un mis en cause puisse impunément mentir avec pour effet de brouiller les pistes et d'induire volontairement en erreur le juge et les enquêteurs ? On le comprend, une telle initiative n'est pas sans alourdir considérablement les tâches de ces derniers ainsi que les budgets qui leur sont alloués,
avant de finir sur de la nécessité d'adapter notre législation à un environnement qui n'a plus rien à voir avec celui dans lequel elle fut initialement conçue et qui se montre de plus en plus menaçant pour les droits essentiels de la personne.
Je vous avoue que j’avais entendu beaucoup d’arguments contre les droits de la défense, y compris celui sur notre environnement de plus en plus menaçant (par opposition à un âge d’or où la délinquance était quasi inexistante et la sécurité assurée, sans que nul ne me précise si cela s’entend de l’époque des attentats des GIA, ceux d’Action Directe, de l’OAS, à moins que ce ne soit l’Occupation, l’époque des attentats anarchistes et de la bande à Bonnot, ou des bandes de chauffeurs qui écumaient les campagnes) ; mais celui de leur impact budgétaire m’avait jusque là été épargné.
Vous l’avez compris, je disconviens respectueusement avec ma consœur, dont le raisonnement est, je le crains, faux en chacun de ses développements.
Tout d’abord, admettons que des réquisitions faites à l’audience, même si elles nous contrarient (l’expérience m’est fréquente), ne sont jamais un motif pour une réforme législative d’ampleur, surtout si elle remet en cause l’héritage des Lumières. La prémisse est donc déjà fragile.
Ensuite, nul ne peut être accusé de parjure en France, où ce délit n’existe pas. Il appartient au monde anglo-saxon et aux séries qu’il nous offre, mais pas au code pénal. De même que le délit d’entrave à l'exercice de la justice n’existe pas : il s’agit là du titre de la section 2 du chapitre IV du titre III de livre IV du code pénal, où se trouve l’article 434-13 qui réprime le faux témoignage. Le faux témoignage, comme son nom l’indique, ne concerne que le témoin, et encore pas en toute circonstance : il faut que son mensonge soit proféré sciemment devant une juridiction (ce qui inclut le juge d’instruction) ou un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire, ce qui exclut le mensonge au cours d’une enquête de flagrance ou préliminaire. On voit déjà que cette interdiction du mensonge est limitée et suppose une certaine solennité pour avertir le témoin de la gravité de ses propos.
Cette sanction du témoin repose sur le fait que le témoin est extérieur aux faits : il n’en est par définition ni la victime ni l’auteur, il doit donc apporter son concours à la justice en lui disant ce qu’il sait. La loi l’encourage même au repentir puisque le faux témoin est exempté de peine (il reste déclaré coupable) s’il rétracte spontanément son mensonge avant la décision mettant fin à la procédure (ordonnance de non lieu, jugement d’acquittement ou de condamnation).
Ce choix, fait à l’époque révolutionnaire, repose sur l’héritage des Lumières rejetant la procédure ecclésiastique inquisitoriale où le Saint Office exigeait des accusés qu’ils jurassent de dire la vérité sous peine de damnation éternelle, quand bien même cette vérité devait les mener à l’échafaud. Ce dilemme entre la mort aujourd’hui ou la damnation pour l’éternité (les deux pouvant se cumuler si celui qui avait juré était néanmoins déclaré coupable) a paru immoral aux philosophes des Lumières, et qu’il me soit permis de partager leur avis. Le droit au silence tire de là ses racines, d'ailleurs, puisqu'il est une alternative honorable au mensonge, et notez qu'il s'agit d'un droit, je vais y revenir. Pour ma part, je ne partage pas le désir de ma consœur de revenir à l'ancien droit.
C’est ainsi que depuis le code d’instruction criminelle de ce wokiste qu’était Napoléon, l’accusé n’est plus tenu de prêter serment.
Cela ne veut pas dire qu’il a le droit de mentir. Cette expression est hélas employé, surtout par des pré-adolescents qui affirment leur droit d'avoir la télécommande, mais y compris par des praticiens du droit ; mais c’est un abus de langage. Le mot droit est souvent employé à la place de celui de liberté : ce n’est pas la même chose.
La liberté consiste à pouvoir faire tout ce que la loi n’interdit pas. Elle est de fait le principe. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’article 5 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais le fait que ça ne soit pas interdit n’assure pas pour autant l’impunité : cette liberté doit s’exercer dans le respect de celle des autres, et nous sommes civilement responsables des dommages que nous pouvons causer par l’exercice de notre liberté. Pour l’Etat, notre liberté suppose une simple abstention : qu’il n’entrave pas son exercice.
Le droit en revanche est un degré au-dessus. Il doit être expressément proclamé par un texte, et oblige l’Etat à aller plus loin qu’une abstention à entraver, il doit au besoin intervenir pour protéger et garantir son exercice.
Ainsi, la liberté d’expression veut dire que l’Etat ne doit pas en principe entraver la libre communication des idées (il peut en réprimer les abus, par exemple quand votre voisin veut librement communiquer ses idées à trois heures du matin), mais pas que l’Etat doit vous donner les moyens de les diffuser ou que quiconque soit obligé de vous écouter. C’est ce qui en fait toute la valeur : vous lisez ce texte car vous le voulez, et à la seconde où cette volonté disparaitrait, vous cesseriez immédiatement, et c’est ce qui rend votre lecture précieuse à mes yeux.
Le droit de propriété, lui, impose à l’Etat d’employer au besoin la force publique pour vous remettre en possession de vos biens, soit qu’on vous les ait volés si ce sont des meubles, soit qu’on les occupe sans droit si ce sont des immeubles, sans avoir à porter de jugement sur le mérite que nous avons à être propriétairesde ces choses : nous le sommes, cela suffit. Le droit de vote oblige l’Etat à organiser les scrutins et à surveiller leur bon déroulement sur l’ensemble du territoire. Etc. Et donc, le droit au silence, qui est un droit et non une liberté, interdit en principe au juge de tirer quelque conclusion que ce soit de son exercice (hormis que l'avocat qui conseille l'accusé est décidément très bon). La CEDH a admis que ce principe, comme tout principe en droit avait des exceptions (d'ailleurs, ce principe aussi a des exceptions puisqu'il existe des principes absolus qui n'en connaissent aucune ; c'est compliqué, le droit, je sais), et c'est le rôle des avocats de veiller à ce que des magistrats récalcitrants ne soient tentés de faire de ces exceptions le principe. Ils sont si taquins.
Il n’y a en droit français aucun droit de mentir, ma consœur a raison sur ce point. Vous chercherez en vain le texte qui le consacre. C'est une simple liberté. Dès lors, pourquoi diable vouloir le supprimer ?
La nuance est de taille : l’exercice de nos libertés nous engage, pas celle de nos droits. Si un accusé décide de mentir, et que son mensonge est découvert, est manifeste, ou même que le juge en est intimement convaincu par les indices et preuves à lui présentés, il peut en tenir compte pour la sévérité de sa décision, et ne s’en privera généralement pas, ne serait-ce que parce que l’absence de reconnaissance des faits peut faire craindre leur réitération. J'ajouterai que j'ai du mal à percevoir en quoi la menace de commettre un délit passible de 5 ans de prison pourrait inciter quelqu'un à reconnaître un crime lui faisant encourir de trente ans à la perpétuité, mais je sous-estime peut-être le respect de la loi qu'ont les criminels.
En revanche, il y a des circonstances où mentir est interdit. C’est le cas du témoin en justice, on l’a vu, de celui qui dépose devant une commission d’enquête parlementaire, qui doivent parler et dire la vérité. Et il y a le cas de celui à qui on n’a rien demandé et qui décide de mentir. Le simple mensonge n’est pas en soi un délit, sinon tous les parents seraient en prison le 25 décembre au matin. Il faut qu’il soit proféré dans certaines circonstances. Ainsi en est-il du délit de dénonciation calomnieuse, qui consiste, nous dit l’article 226-10 du code pénal, en la dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu'elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée.
Il faut donc : une dénonciation, faite à des personnes ayant le pouvoir d’y donner suite, de faits de nature à entrainer une sanction, que l’on sait être faux. C’est un délit qui est difficile à établir, et qui peut donner lieu à des relaxes douloureuses, j’en ai raconté un exemple il y a de cela 15 ans. Le parquet, prudent, ne le poursuit que rarement, et il est très souvent porté par les victimes elle-mêmes, qui perdent souvent. Et dans l’affaire qui a bouleversé ma consœur au point de vouloir mettre à la poubelle deux siècles d’état du droit et l'héritage révolutionaire, la relaxe est quasi-certaine, pour des motifs de droit.
En effet, pour que la dénonciation calomnieuse soit constituée, il faut que les faits dénoncés soient faux : ici, ils le sont, cela ne fait aucun doute. Il faut aussi que le dénonciateur ait su qu’ils étaient faux. C’est également le cas ici, le dénonciateur étant bien placé pour savoir qu’ils sont faux et aucune erreur n’étant possible. Une décision définitive de justice parachève d’établir leur fausseté, puisque Jonathann Daval a été déclaré lui-même coupable de ces faits. Il ne manque donc que la dénonciation, et c’est elle ici qui fait défaut.
La jurisprudence estime en effet, et désormais vous savez pourquoi, que la dénonciation, pour constituer le délit, doit être spontanée : il ne peut être commis que par celui qui a pris l'initiative de porter, devant les autorités, des accusations mensongères contre un tiers (Crim, 16 juin 1988, n°87-85.432), or une dénonciation faite par un prévenu ou un accusé ne peut, si elle se rattache étroitement à sa défense, être considérée comme spontanée (Crim, 3 mai 2000, n°99-84.029).
Si vous ne voulez pas qu’un meurtrier accuse un tiers d’être le coupable, ne lui posez la question de sa culpabilité, ou alors, acceptez qu’il puisse vous mentir dans sa réponse.
Cet état du droit ne convient pas à ma consœur ; mais aucune de ses objections ne résiste à l’analyse.
La recherche de la vérité imposerait que l’accusé prêtât serment au même titre que le témoin ? Admettons. Mais alors ce serait oublier la troisième partie au procès : la victime. Il faudrait qu’elle aussi jurât le même serment, et acceptât d’encourir les foudres de la justice et celles de celui qu’elle accuse, fût-il coupable, si elle proférait le moindre mensonge, aussi véniel fût-il. Je ne suis pas sûr que ma consœur souhaite soumettre les victimes à ce risque de pression de la part de quelqu’un qui a tout à perdre, mais son refus du droit de mentir ne peut aboutir à en octroyer un à la victime. Ce serait marcher sur la tête.
Le brouillage de pistes par le mensonge du suspect ne tient pas non plus. Le fait que le suspect peut, et probablement va mentir est intégré par les enquêteurs, qui ont même baptisé la première audition sur les faits, celle où le suspect va mentir parce qu’il ignore encore les preuves réunies contre lui, « l’audition de chique ». Ainsi, tenez : dans l’affaire qui la préoccupe, jamais le beau-frère que Jonathann Daval a accusé six mois durant n’a été mis en examen, ni même placé en garde à vue, ni même entendu librement, et n’a à aucun moment été considéré comme suspect. Le brouillage de piste n’a eu aucun effet, car les enquêteurs ne sont pas naïfs, grâce précisément à des générations de suspects qui leur ont menti avec obstination.
J’ajouterai, pour finir de la rassurer, elle qui s’interroge sur si nous n’irions pas trop loin dans la protection des droits de la défense : la réponse est non, absolument non, définitivement non, aucun risque. La France n’a jamais encouru ce reproche. Il a fallu des condamnations de la france par la CEDH pour toutes les avancées récentes des droits de la défense, et il y en aura d’autres à venir notamment sur l’accès au dossier en garde à vue par exemple, il a fallu un siècle pour que les avocats puissent assister leurs clients dès l’inculpation, un autre siècle pour qu’ils puissent aller leur rendre une brève visite en garde à vue, et deux décennies pour qu’ils puissent enfin rester pendant les interrogatoires. J’ajoute que je cherche en vain dans l’histoire le cas d’un pays qui, pris d’un étrange vertige humaniste, serait allé trop loin dans les droits de la défense au point de devenir le royaume du crime impuni, mais je suppose que cela a dû arriver à l’époque où la France était ce fameux havre de paix à l’abri de toute criminalité où les femmes pouvaient circuler librement jour et nuit dans les moindres ruelles avant de rentrer retrouver leur conjoint sans ressentir à aucun moment la moindre peur ni chez elles ni dehors.