Par
Chaton en chef
Nous
parlons greffier, nous parlons adjoint, faisant fonction de greffier
ou non. Mais nous parlons peu des greffiers en chef, directeurs de
greffe et chefs de greffe (greffier faisant fonction de greffier en
chef)
La
rue en parle peu, la réforme elle même en parle peu…
Je
ne suis qu’un chaton (*) parmi les greffiers en chef, tout juste
stagiaire et bien loin de la titularisation. Pourtant, je ne pense
pas être un chaton au sein des services judiciaires. Il y a un
peu plus de dix ans de ça, je foulais pour la première
fois le sol d’un TGI en tant qu’adjoint administratif. J’ai ensuite
été faisant fonction de greffier durant quelques années
puis greffier, avant de réussir à intégrer ce
corps de catégorie A. J’ai connu des juridictions de taille
plus ou moins importantes, du sud au nord et d’ouest en est du
territoire national.
J’avais
d’ailleurs déjà laissé mon empreinte
sur ce blog, lorsque le maitre des lieux l’avait ouvert à la
grogne du monde judiciaire. C’était un 23 octobre, on était
en 2008, et la colère grondait déjà. Depuis,
elle n’a jamais été réellement apaisée,
elle a juste été étouffée.
Je
ne me permettrai pas de parler au nom de tous les greffiers en chef
de France, débutant dans ces fonctions, je ne parlerai que
selon mon expérience personnelle.
Le
greffier en chef, élément méconnu du monde
judiciaire, être humain placé entre le marteau et
l’enclume, chair à canon confronté aux assauts des
magistrats d’un côté, des fonctionnaires de greffe de
l’autre, quelques fois des auxiliaires de justice voire directement
de la Chancellerie, placée en embuscade. Et croyez bien, que
chacun tire à balles réelles et parfois (souvent?) sans
coup de semonce !
Fonctions
méconnues, oui.
Apostrophez
une personne choisie au hasard dans une rue ( et même à
la sortie d’un palais de justice), demandez lui ce qu’est un
magistrat, elle vous répondra. Demandez ensuite ce qu’est un
greffier, elle hésitera et vous répondra vaguement que
c’est la secrétaire du juge, la dame qui est assise à
côté de lui et qui écrit pendant l’audience. Elle
sera bien éloignée de la réalité mais
aura au moins le mérite de connaitre son existence. Demandez
lui enfin ce qu’est un greffier en chef. Elle vous regardera avec de
grand yeux ronds, un air ahuri, haussant les épaules avec dans
le regard ce vide de celui à qui l’on vient de demander de
nous expliquer la théorie de la relativité…
Mais,
je ne pourrais blâmer cette personne, puisque moi même,
avant de faire un pas dans ce corps, je ne savais réellement
en quoi consistaient ces fonctions. Comme beaucoup de greffiers et
adjoints, je contestais les décisions prises par mon supérieur
hiérarchique direct, autour de la machine à café,
les critiquais à grands coups d’arguments que je pensais
irréfutables.
Désormais,
je comprends… Du moins, je commence à comprendre…
Mais
qu’est ce qu’un greffier en chef au fond?
Quoi
de mieux, pour répondre à cette question, que de citer
son statut particulier :
Article
2 du Décret n°92-413 du 30 avril 1992 portant statut
particulier des greffiers en chef des services judiciaires
« Les
greffiers en chef ont vocation à exercer des fonctions
administratives de direction, d’encadrement et de gestion dans
les juridictions. Ils ont également vocation à exercer
des fonctions d’enseignement professionnel. Des missions ou
études particulières peuvent leur être confiées.
Les
fonctions de direction peuvent s’exercer notamment à la
direction d’un greffe ou d’un service administratif de
greffe ainsi qu’à l’Ecole nationale des greffes.
Les
fonctions de gestion peuvent comprendre notamment la gestion des
personnels, la gestion des moyens matériels, la gestion
financière et budgétaire, la gestion de l’informatique,
la gestion de la formation, la coordination de ces différentes
fonctions dans les services administratifs régionaux.
Les
fonctions d’enseignement peuvent être exercées à
l’Ecole nationale des greffes ou dans les juridictions.
Les
greffiers en chef ont vocation à assister le juge dans les
actes de sa juridiction, dans les conditions prévues par le
code de l’organisation judiciaire, le code du travail et les
textes particuliers. »
Ceci
ne vous éclaire pas d’avantage? Je serai donc plus synthétique
: un greffier en chef dirige, encadre, gère , parfois enseigne et peut avoir certaines activités
juridictionnelles. Ces missions, il les exerce sous l’autorité
ou sous le contrôle des chefs de cour (premier président
et procureur général des cours d’appel), de juridiction
(président et procureur de la République des tribunaux
de grande instance) ou des magistrats délégués à
l’administration du tribunaux d’instance.
Voilà
en quoi, il est placé entre le marteau et l’enclume : il
dirige des fonctionnaires de greffe mais est soumis à
l’autorité hiérarchique de magistrats.
Et
pour illustrer ces fonctions, j’aimerais simplement citer quelques
propos émanant de greffiers en chef titulaires, et captés
au gré de ma formation initiale :
« Vous
verrez, le quotidien d’un DG (directeur de greffe), c’est
l’application à chaque instant de la Loi de Murphy, la théorie
de l’emmerdement maximum !Vous arrivez chaque matin avec plein de
projets pour votre journée et vous repartez chaque soir en
prenant conscience que vous n’avez pu absolument rien faire de ce que
vous aviez prévu… »
« Le
principe des demandes budgétaires ? C’est simple : listez moi
tout ce dont vous avez besoin et je vous expliquerai comment vous en
passer! »
« En
tant que DG, j’ai l’impression d’être un couteau suisse… »
« Le
but est de faire mieux avec moins… »
Faire
mieux avec moins…
Voilà
qui résume parfaitement le fonctionnement actuel des services
judiciaires : des dotations budgétaires toujours moindres et
une demande constante et croissante de rapidité, d’efficacité,
d’efficience, d’amélioration et … d’économie!
A
titre d’exemple, le TGI au sein duquel je suis actuellement affecté
s’est vu accordé une enveloppe diminuée de 100 000
euros par rapport à celle allouée pour l’année
précédente… sur un budget de fonctionnement de
l’ordre de 400 000 euros ! Là, ça coince… On sait
d’ores et déjà qu’en cours d’année, on ne pourra
plus payer. Le but n’est même plus de boucler l’année
budgétaire mais bel et bien de repousser la date de cessation
de paiement…
Et
nous devons chaque jour travailler dans ces conditions. Et ce budget
ne vise que les dépenses obligatoires, inéluctables,
celles découlant des nécessités de
fonctionnement de base de la juridiction (électricité,
chauffage, eau, entretien… bref ce que dans la vie quotidienne,
tout à chacun nommerait les « charges fixes »)
Dans ces conditions, toute demande de crédit supplémentaires
est superflue. Et un greffier en chef doit chaque jour expliqué
aux fonctionnaires pourquoi le photocopieur irréparable ne
sera pas remplacé ; aux magistrats pourquoi leur fauteuil
bringueballant ne sera pas remplacé ; aux chefs de juridiction
pourquoi les archives qui encombrent les couloirs et bureaux ne
seront pas déménagées ; aux experts pourquoi
leurs honoraires ne seront pas payés cette année ; aux
avocats pourquoi ils n’auront pas de copies du dossier réclamé
depuis des mois, faute de CD-Rom ; aux fournisseurs pourquoi leur
facture ne sera pas payée dans le délai légal de
30 jours ; aux chefs de cour, pourquoi nos charges à payer
(dettes contractées par l’Etat en année N mais payée
en N + 1) augmenteront encore en 2015…
A
titre d’exemple, l’année dernière, nous avons cessé
de payer les frais postaux à compter de… mars…
En
France, on n’a pas de pétrole, en France, on n’a pas plus
d’argent, en France, on a des idées, mais de mauvaises
idées… Et cette réforme sur la justice du 21ème
siècle en est une supplémentaire.
Je
ne n’appesantirai pas sur toutes ses facettes. D’autres le feront
bien mieux que moi. En revanche je m’attarderai sur le grand méconnu
de cette réforme qu’est le greffier en chef.
Elle
réorganise, elle refont, elle mutualise. Elle modifie le
canevas judiciaire, repense le « maillage » du
territoire, réussit l’exploit de démontrer et nous
faire croire que le regroupement de toute juridiction au sein d’un
(ex) tribunal de première instance permettra une meilleure
justice de proximité. Elle crée un nouveau corps
hybride, mi greffier, mi magistrat : le greffier juridictionnel.
Corps auquel seraient, semble t’il, également dévolues
les attributions juridictionnelles incombant aujourd’hui
statutairement aux greffiers en chef (délivrance des
certificats de nationalité française, vérification
des comptes de tutelles, vérification des dépens…),
dans le but de les recentrer dans leurs missions premières de
direction, encadrement et gestion. Mais le but caché, nous le
connaissons tous : la suppression pure et simple du corps de greffier
en chef et la création d’un corps commun d’administrateur
civil du ministère de la justice, tout droit issu des IRA et
ne connaissant du fonctionnement des juridictions que ce que tout
citoyen lambda en connait : Le greffier ? C’est le secrétaire
du juge ?
Quant
à la création d’un TPI par département avec
chambres détachées sur les anciens lieux de justice du
ressort (TI, CPH), il aura à sa tête un directeur de
greffe, semble t’il.
Mais
ensuite ?
Actuellement,
la plupart des greffes de juridictions (CA, TGI, TI, CPH) sont
dirigés par un greffier en chef – directeur de greffe,
lequel est assisté par d’autres greffiers en chef en fonction
de la taille de cette juridiction (taux d’encadrement préconisé
de 1 greffier en chef pour 20 fonctionnaires)
Prenons
un département lambda : il y aura a minima un TGI, un TI, un
CPH et, a fortiori, 3 postes de greffier en chef. Prenons ce même
département après réforme : il y aura un TPI et
2 chambres détachées et, a fortiori, 1 poste de
greffier en chef gérant le TPI et les chambres détachées…
Si ce n’est pas là l’éradication programmée du
corps des greffiers en chef, ça en a l’odeur et la couleur…
Bref,
le corps des greffier en chef n’est pas seulement touché par
cette réforme, il est menacé dans son existence même!
J’ai
choisi d’entrer dans les services judiciaires. J’ai choisi de gravir
les échelons un à un, de connaître des trois
corps composant sa hiérarchie. J”ai choisi de devenir
greffier en chef, non pas tout autre corps de catégorie A de
la fonction publique d’Etat, non pas un corps d’administrateur civil,
mais bel et bien celui des greffiers en chef! J’ai choisi d’exercer
ces missions et aucune autre mais je veux les exercer sereinement, je
veux avoir les moyens de diriger, encadrer, gérer, enseigner
et exercer les attributions juridictionnelles qui me sont dévolues
!
Oui,
je suis greffier en chef stagiaire et oui, je suis en colère !
(*)
En argot, le terme greffier désigne un chat.