Depuis une quinzaine de jours, un mouvement sans précédent agite les greffes des tribunaux. Chaque jours, les personnels des greffes se retrouvent en robe sur les marches du palais pour afficher leur colère et leur ras-le-bol des conditions honteuses dans lesquelles on les fait travailler, à gérer en sous effectif les pénuries de tout, en portant à bout de bras cette machine judiciaire qui ne tourne plus depuis des années que grâce à l’abnégation de tous ses agents, des adjoints administratifs aux magistrats.
En tant qu’avocat, je suis le témoin atterré de ce lent naufrage, je vois l’envers du décor et le bricolage qui est le seul mode de fonctionnement de ce qui n’est rien de moins qu’un des trois pouvoirs essentiels de la démocratie, l’expression de la souveraineté du peuple, la contrepartie de l’abandon de la violence privée et la garantie du règne du droit dans les relations entre les hommes. Rien que ça, et je n’exagère pas d’un cheveu.
La coupe est pleine, elle déborde, et c’est un torrent. Vous le savez, et je l’ai répété il y a peu, ce journal est avant tout un lieu d’échange direct entre les intervenants de la justice et les citoyens. Il a accueilli en son temps les paroles des magistrats en colère, puis celle de leurs collègues administratifs. L’auteur de ces lignes confesse volontiers une profonde sympathie pour les greffiers. Le fait que ce corps soit extrêmement féminisé y contribue sans doute, mais pas seulement. Tout jeune avocat a connu un jour une détresse procédurale, perdu dans les méandres des différents codes et pratiques des juridictions, généralement parce qu’il avait été envoyé au casse-pipe par un associé chenu tout aussi ignorant que lui de la question, mais placé plus haut dans la chaîne alimentaire qu’est l’organigramme d’un cabinet d’avocat. Et tous ont été sauvés au milieu de la tempête par la main secourable d’un greffier, qui en une phrase qui pourrait tenir en un tweet, lui donnait la réponse précise à son problème. Et je suis prêt à parier que c’est arrivé aussi aux jeunes magistrats.
Les greffiers ne sont pas les secrétaires des juges. Ca y ressemble, car ils passent leurs journées à taper des documents et à manipuler des dossiers,un peu comme nos secrétaires, et ils répondent en plus au téléphone car personne ne le ferait à leur place. Ajoutons à cela qu’ils gèrent l’agenda de la juridiction, et la ressemblance peut être trompeuse. Les greffiers sont les gardiens de la procédure. Ils sont indépendants des magistrats qu’ils assistent (ils ne sont pas notés par eux notamment) car ils sont là pour, avec leur signature et le sceau de la juridiction (la fameuse “Marianne” même si ce n’est pas Marianne qui y est représentée mais Junon) authentifier le jugement et garantir ainsi avoir personnellement veillé à la véracité de toutes les mentions concernant la procédure. Ce sont eux qui font ainsi des jugements des actes authentiques, à la force probante quasi indestructible.
Sans greffiers, nos demandes ne seraient jamais examinées, les jugements jamais rendus, mes clients jamais libérés (et ceux de mes confrères jamais incarcérés). Sans greffier, pas de justice. Ils sont importants,indispensables, et d’une gentillesse inébranlable malgré les avanies des justiciables et parfois hélas de certains avocats qui les prennent un peu trop pour des laquais. Et comme si leur malheur n’était pas suffisant, la Chancellerie leur a offert Cassiopée, un logiciel codé avec les pieds par des incubes venus de l’enfer le plus méphitique et qui pourrait faire étouffer le rage le Dalaï-Lama s’il lui prenait l’envie de le tester.
Bref, greffiers, et surtout greffières : je vous aime, et suis avec vous de tout cœur.
C’est pourquoi le moins que je puisse faire est de vous offrir ce blog comme porte-voix. Je vous propose donc de faire comme les magistrats que vous avez la gentillesse de garder à l’œil quand nous avons le dos tourné, et de prendre votre plus belle plume document wordperfect et d’expliquer aux mékéskidis qui viennent en ces lieux les raisons de la votre ire, et de leur raconter le quotidien d’un greffier, comment fonctionne la justice aujourd’hui et à quoi elle en est réduit, elle qu’on rend au nom du peuple français. Billet pédagogique, témoignage, récit ou anecdote, tout sera accepté. Soyez libres comme c’est l’essence de vos fonctions.
Envoyez-moi vos textes, sans contrainte de longueur, ni minimale ni maximale, à eolas <at> maitre-eolas.fr. Si vous souhaitez les envoyer avec des gras, italiques, soulignés, ou des liens hypertexte, merci de me les envoyer au format html (enregistrer sous… / format de fichier) ou à la rigueur RTF, je devrais pouvoir me débrouiller. Je garantis votre anonymat, et ne vous demande même pas de me donner votre véritable nom, je saurais je pense déceler un imposteur. Je vous demande juste de choisir un pseudonyme pour signer votre texte, de lui donner un titre (faute de quoi je prendrai le début de la première phrase) et d’indiquer devant quel type de juridiction vous exercez principalement votre sacerdoce. Les adjoints administratifs faisant fonction sont également les bienvenus, car vous êtes les dindons de la farce en exerçant les fonctions de greffiers sans en avoir le statut ni le traitement. Les greffiers en chef sont aussi les bienvenus à s’exprimer, naturellement. Et si des magistrats veulent témoigner de leur vision du rôle du greffier, bi maille gueste comme dirait notre président polyglotte.
Je me propose de publier ces textes mercredi prochain, ce qui vous laisse le week end pascal pour rédiger votre dies iræ. Un conseil : lancez-vous, laissez courir vos doigts, et faites confiance à votre premier jet. Ca vient tout seul après quelques phrases. Je vous attends avec impatience.