Par Gascogne
Lorsque je recherche la définition d’un “institut”, outre le côté beauté de la chose, je tombe le plus souvent sur la définition suivante : “établissement de recherches scientifiques et d’enseignement supérieur”. De manière assez étonnante, je n’arrive dès lors pas à comprendre comment l’Institut pour la justice peut relever d’une telle définition.
Non pas que je ne comprenne pas comment ses membres peuvent réfléchir à l’avenir de l’institution judiciaire française. Qu’ils le fassent comme n’importe quel autre citoyen est non seulement normal mais encore salutaire. Qu’ils le fassent par le biais de vidéos virales est pourtant déjà plus troublant. Est-il en effet besoin d’appeler tous les citoyens de France et de Navarre à témoins pour réfléchir sur les modifications à apporter au système judiciaire ? En dehors d’une élection démocratique, s’entend… Est-il besoin d’utiliser la douleur de la famille d’une victime pour mettre en avant sa propre conception de ce que doit-être le système judiciaire français ?
Il est bien évident que tout un chacun est en droit d’exiger un débat démocratique, même en dehors de périodes électorales, sur n’importe quel sujet, l’institution judiciaire n’échappant ni à la critique, ni à la discussion. Mais cela suppose que l’on accepte en retour la critique… de la critique. D’autant plus lorsqu’elle est systématique. Alors je dois reconnaître un certain étonnement lorsque j’ai appris que l’Institut pour la Justice avait diffusé sur son blog[1] un billet d’humeur suite au discours du président de l’Union Syndicale des Magistrats lors du congrès annuel de ce syndicat, en présence du Garde des Sceaux, et, fait exceptionnel, du Ministre de l’Intérieur, à Colmar.
Cette association, qui se veut proche des “victimes”, mais qui l’est surtout de partis politiques, a publié sur son site, avant même de l’avoir envoyé à son destinataire naturel, la lettre suivante :
Monsieur le Président,
Je me permets de vous écrire suite à votre discours lors du Congrès de l’USM, le 19
octobre dernier, à Colmar.
Je tenais à vous faire part de ma stupéfaction à la lecture de celui-ci. Vous n’avez,
en effet, pas hésité à attaquer violemment l’Institut pour la Justice, en utilisant des mots
particulièrement discourtois et mensongers à notre égard, évoquant « un discours
populiste et extrémiste », « des amalgames pathétiques » ou des « voix qui tentent de faire
croire qu’elles défendent les victimes ».
Je me permettrai de revenir sur le fond de vos attaques très rapidement, mais
j’aimerais auparavant souligner une contradiction particulièrement manifeste dans votre
discours. Après avoir invectivé publiquement et de manière éhontée l’Institut pour la
Justice, vous ajoutez, dans votre discours, que vous croyez « au nécessaire dialogue
républicain », que vous êtes « ouverts au dialogue et au compromis » et concluez par « nous
préférons infiniment aux oppositions frontales du passé le débat d’idée ! ».
A la lecture de ces mots, je suis pris d’un sérieux doute sur votre sincérité et votre
volonté de parvenir à un dialogue constructif, ce qui ne veut pas dire sans oppositions. En
ayant recours à l’amalgame, l’invective et même la stigmatisation systématique, vous
utilisez des procédés qui sont à l’opposé de vos déclarations et vous rapprochent de
partis ou mouvements qui n’hésitent pas à recourir, eux, à des « discours populistes et
extrémistes ». Vous critiquez les méthodes de certains syndicats de policiers à l’encontre
de l’USM mais usez des mêmes procédés à notre égard. En ce sens, je dois reconnaître
mon étonnement, pour ne pas dire plus.
Par ailleurs, vous faites une erreur – dont j’espère qu’elle n’est pas volontaire – en
laissant croire que nos analyses sur les dysfonctionnements de la justice visent les
magistrats. Si des critiques individuelles peuvent être faites à l’égard de certains
magistrats, ce dont vous ne vous privez pas à l’égard de M. COURROYE, il n’en est pas moins vrai que les juges appliquent, plus ou moins strictement, les lois pénales décidées
et votées par les pouvoirs exécutif et législatif.
Or, ce sont ces lois que nous dénonçons et que nous souhaitons voir modifier dans
le sens des préoccupations et idées qui sont les nôtres. Je vous saurai donc gré de ne pas
simplifier nos discours et nos propositions qui reçoivent, par ailleurs, le soutien de
nombreux magistrats, professionnels et experts du monde judiciaire.
Vous revendiquez, et c’est une idée à laquelle nous ne sommes pas insensibles,
l’instauration d’un véritable pouvoir judiciaire dans notre pays, symboliquement
matérialisé par une réforme de notre Constitution. Or, je ne doute pas que comme nous,
vous souscriviez à l’idée qu’il n’est de plus grand danger dans une démocratie, qu’un
pouvoir sans contre-pouvoir.
La Justice est rendue dans notre pays au nom du peuple français. Sans céder à
quelque populisme que cela soit, refuser d’entendre l’opinion publique ne peut être
compatible avec la mission même de la Justice. Instaurer un pouvoir judiciaire digne de ce
nom en France, nécessiterait dans le même temps que des contre-pouvoirs forts soient
mis en place. Cette remarque s’applique d’ailleurs à l’ensemble de nos institutions, notre
pays souffrant, sans aucun doute, de l’absence de véritables contre-pouvoirs.
La démocratie et l’information des citoyens sont un combat et une mission de
chaque jour. Certes, nous sommes sans doute en désaccord sur l’orientation des
réformes qui seraient nécessaires à notre système judiciaire, mais je vous prierai de ne pas
recourir à des discours ou à des procédés que vous condamnez légitimement lorsqu’ils
sont adressés à votre encontre.
Nous sommes tout à fait disposés à vous rencontrer et à multiplier les échanges
avec l’Union Syndicale des Magistrats. Le débat démocratique a tout à y gagner à
condition que les invectives ne soient pas l’instrument privilégié par votre organisation
pour nous décrire.
Je crois qu’il était nécessaire que l’Institut pour la Justice vous fasse part de sa
préoccupation à l’égard des propos qui sont les vôtres. Je ne doute pas que nous aurons
l’occasion d’échanger à ce sujet.
Restant à votre disposition, je vous prie de croire, Monsieur le Président, à
l’expression de mes salutations cordiales.
Alexandre GIUGLARIS
Délégué général adjoint de l’Institut pour la Justice
L’IPJ s’est entendu faire la réponse suivante :
Monsieur le délégué général adjoint,
J’accuse réception ce jour de votre courrier du 25 octobre dernier qui m’est tardivement
parvenu, mais dont je n’avais pas manqué de prendre connaissance, puisque vous l’avez
concomitamment diffusé sur votre site internet sous forme de lettre ouverte.
Vous semblez me reprocher un passage du discours que j’ai prononcé en présence de Mme
TAUBIRA et de M. VALLS à l’occasion du 38ème congrès annuel de l’USM à Colmar le 19
octobre dernier.
Je me félicite de l’intérêt que vous portez à nos travaux. Néanmoins, vous me permettrez de
trouver inapproprié d’extraire quatre lignes d’un discours de 45 minutes en en modifiant le
sens et la portée.
Après m’être félicité du discours respectueux du Ministre de l’Intérieur à l’égard des
magistrats et de leurs décisions, ouvrant la porte à un travail serein et consensuel gage de
succès dans la lutte contre la délinquance et la récidive, j’ai émis des inquiétudes quant aux
oppositions de certains, tant au sein de la police qu’au sein de la magistrature, à cette attitude
responsable.
J’ai ajouté : « D’autres voix, qui tentent de faire croire qu’elles défendent les victimes, mais
véhiculent un discours populiste et extrémiste, les rejoindront. Comment ne pas condamner
les derniers amalgames pathétiques diffusés sur internet, par ceux qu’il faudrait plutôt
appeler ICJ, « l’Institut contre la Justice » ! »
Je conçois que ces propos vous soient désagréables, mais ils correspondent au ressenti de très
nombreux collègues après les multiples attaques dont l’IPJ est coutumier à l’égard des
magistrats.
Il m’avait en effet échappé que c’étaient les lois et procédures que vous contestiez et non les
magistrats et leurs décisions. Le visionnage intégral des vidéos diffusées sur votre site
internet, les raccourcis saisissants que vous opérez, les approximations et les amalgames
flagrants prouvent qu’au-delà des lois, ce sont également les décisions de justice et ceux qui
les rendent que vous attaquez.
Vous êtes naturellement libre de penser ce que vous voulez des magistrats et fonctionnaires de
greffe qui servent pourtant la justice avec abnégation et sans les moyens suffisants pour faire
face à l’ensemble de leurs missions.
Vous avez le droit de porter des idées qui n’ont été efficaces dans aucun pays au Monde et de
faire du lobbying pour les imposer dans notre pays.
Mais vous ne pouvez pas, comme vous le faites, systématiquement stigmatiser la Justice,
laissant entendre que les magistrats, par esprit partisan, sont laxistes, font fi des victimes et
favorisent en réalité les délinquants. Ou si vous le faites, acceptez au moins, sans vous
victimiser, que ceux qui majoritairement représentent les magistrats fassent part publiquement
de leur réprobation !
« La démocratie (j’ajouterai la séparation des pouvoirs et l’indépendance des magistrats) et
l’information des citoyens sont un combat et une mission de chaque jour » écrivez-vous.
Je partage ce sentiment, mais, à l’USM, nous considérons que la démocratie ne peut se mettre
en œuvre que si les organes régulateurs de la société, au rang desquels nous plaçons
naturellement l’institution judiciaire, sont respectés.
Quant à l’information donnée, encore faudrait-il qu’elle soit juste et exprimée avec sincérité,
ce qui, j’ai le regret de vous le dire, n’est pas le sentiment principal qui émane de vos
publications.
Vous comprendrez que tant que ces deux conditions préalables ne sont pas remplies, il ne peut
être envisagé un quelconque travail entre l’USM et votre institut
Je vous prie d’agréer, Monsieur le délégué général adjoint, mes salutations distinguées.
Christophe REGNARD
Président de l’Union Syndicale des Magistrats
Je ne suis certes en rien objectif, comme membre du syndicat si honni de l’IPJ, et par ailleurs fort peu adhérent dudit institut. Mais tout de même, il me semble qu’à la démagogie d’un tel regroupement qui se positionne sur l’échiquier politique, et en matière de justice, à l’extrême de ce qu’une démocratie peut accepter, il faut systématiquement répondre, pour ne pas leur laisser le champ libre de la discussion démocratique. Si tant est que la réponse à la réponse ne soit pas la plainte en diffamation, solution facile de celui qui finalement refuse toute forme de dialogue.
Une chose est claire : je ne laisserai jamais cet “institut” discourir seul de ce qui est sa vision extrême de la justice. Je suis immodestement persuadé que je suis mieux placé que n’importe quel de ses membres pour savoir ce qu’est la justice en France et ce dont elle a réellement besoin. Et je continuerai à le dire, à le réclamer, à la critiquer. Fut-ce au prix d’une assignation en justice pour “diffamation”, puisqu’il semble que la seule réponse de cette association à la critique de sa vision du monde judiciaire soit le recours à cette justice qu’elle semble pourtant tant détester.