L’audience
de la semaine passée avait commencé à 09h05. Eléa et Païkan
ont attendu le délibéré avec la boule au ventre.
En s’arrêtant au
commentaire #190, on relève que parmi les commentateurs :
- 6 personnes se sont
prononcées en faveur d’une résidence habituelle chez la mère (avec
un droit de visite et d’hébergement pour le père),
- 9 personnes se sont
prononcées en faveur d’une résidence provisoire chez la mère, dans
l’attente des résultats d’une mesure avant dire droit (enquête
sociale et/ou expertise médico-psychologique),
- 8 personnes se sont
prononcées en faveur d’une résidence alternée « définitive »,
c’est-à-dire sans mesure avant dire droit,
- 4 personnes se sont
prononcées en faveur d’une résidence alternée provisoire, avec
réexamen de la situation dans X mois, sans pour autant ordonner de
mesure avant dire droit,
- 9 personnes se sont
prononcées en faveur d’une résidence alternée provisoire avec
mesure avant dire droit.
Soit 15 commentateurs
(42%) en faveur de la fixation de la résidence des enfants au
domicile de la mère (à titre habituel ou provisoire) et 21
commentateurs (58%) pour la résidence alternée (habituelle ou
provisoire).
Par ailleurs, 23 mesures
avant dire droit ont été ordonnées en tout, dont 16 enquêtes
sociales familiales et 7 expertises médico-psychologique, parfois de
façon cumulative.
*
* *
Au préalable, il
convient de rappeler que les réflexions qui figurent dans ce billet
sont personnelles et que le délibéré qui est proposé ne prétend
pas être la seule solution qui puisse être donnée au litige
opposant Eléa et Païkan. La justice est rendue par des êtres
humains qui, en appliquant les mêmes textes de lois, peuvent parfois
porter une appréciation différente sur les mêmes faits (Pour Paul
Ricoeur, la finalité courte de l’acte de juger consiste à trancher
le litige, « en vue de mettre un terme à l’incertitude »,
et la finalité longue est la contribution à la paix sociale
(« L’acte de juger », Le juste,
1995). La part faite à la vérité et à la justice comme
deux absolus est donc assez restreinte, et de ce point de vue le
juge, même civiliste, est plus un régulateur social qu’un grand
sage.). Les voies de recours sont d’ailleurs faites pour permettre à
chacun de voir sa cause rejugée par un autre juge, et pour
uniformiser les jurisprudences.
Mais avant tout,
comment font Eléa et Païkan dans l’attente du délibéré ?
En moyenne, les délibérés
du juge aux affaires familiales (hors divorce) interviennent entre
quinze jours et un mois après l’audience. Dans un tribunal en crise,
ce délai peut aisément être dépassé. Certains d’entre vous se
sont donc interrogés : que font les parents pendant ce temps ?
Qui est dans son bon droit ?
Lorsque les justiciables
disposent d’une précédente décision judiciaire (comme par exemple
leur divorce, ou un précédent jugement du JAF), celle-ci demeure en
vigueur jusqu’à ce qu’elle soit éventuellement modifiée par une
nouvelle décision. Ce n’était pas le cas d’Eléa et Païkan, qui
viennent d’un
monde idéal où les JAF n’existent pas.
Tous deux ont reconnu
chaque enfant dans l’année de sa naissance et l’autorité parentale
est donc exercée en commun. Or la résidence de l’enfant est l’une
des questions relevant de l’autorité parentale. Dans l’attente du
délibéré, Eléa et Païkan devraient donc prendre, d’un commun
accord, une décision concernant la résidence de leurs enfants, et à
défaut d’accord… saisir le JAF. Joli syllogisme. Eléa et Païkan
sont donc condamnés à attendre.
Comment faire autrement ?
Le juge doit avoir le temps de réfléchir à froid (la prise de
décision à chaud est la plus mauvaise des solutions), prendre
connaissance des pièces, parfois nombreuses, lire les conclusions
des parties lorsqu’il y en a, prendre une décision, la rédiger sur
son ordinateur, la relire, l’envoyer à son greffe pour qu’il la
mette en forme et l’imprime, la relire à nouveau, la signer et
l’adresser aux avocats ou directement aux justiciables lorsqu’ils
n’ont pas d’avocat. Tout cela pour chaque dossier. Ce temps
incompressible est celui du délibéré.
Nous sommes samedi et le
juge a enfin le temps de rédiger ses décisions. Par précaution, il
relit quand même l’article 373-2-11 du code civil, lequel dispose
que, « lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de
l’autorité parentale, le juge prend notamment en considération :
1° La pratique que les
parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient
pu antérieurement conclure ;
2° Les sentiments
exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues à
l’article 388-1 ;
3° L’aptitude de chacun
des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre
;
4° Le résultat des
expertises éventuellement effectuées, tenant compte notamment de
l’âge de l’enfant ;
5° Les renseignements
qui ont été recueillis dans les éventuelles enquêtes et
contre-enquêtes sociales prévues à l’article 373-2-12 ;
6° Les pressions ou
violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par
l’un des parents sur la personne de l’autre. »
Suivons donc le
raisonnement étape par étape.
1.
La pratique antérieure des parents
Le plus souvent, la
pratique antérieure des parents est facile à déterminer car elle
ne souffre aucune discussion. Les parents indiquent que depuis leur
séparation les enfants sont chez l’un ou chez l’autre ou en
résidence alternée, ou encore que depuis le mois de septembre le
petit frère est venu habiter chez son père, etc. Ce n’est pas le
cas d’Eléa et Païkan, pour qui on en est réduits à deviner quelle
était exactement leur pratique antérieure. Quels sont donc les
faits constants, c’est-à-dire les faits non contestés par les
parties ?
- il y a manifestement eu
une période post-séparation de juin 2011 à mi-octobre 2011 où le
père voyait beaucoup plus les enfants qu’il ne les a vus ensuite. Il
est vraisemblable qu’il s’agissait d’une sorte de résidence alternée
puisque la directrice de la crèche parle d’« une semaine sur
deux » (sur une période d’un mois toutefois très courte, dont
on peut se demander si elle est pertinente) et que le père a
consulté le médecin pour ses enfants au moins une fois un mardi,
c’est-à-dire en pleine semaine. Toutefois, aucun des proches de
Païkan attestant pour lui ne fait état d’une quelconque résidence
alternée en septembre-octobre. C’est donc assez louche et on n’en
saura pas plus. Et s’il y a eu une résidence alternée, était-elle
vraiment souhaitée par les deux parents ou bien Eléa la
subissait-elle comme elle le prétend ? Ici encore, nous n’en
saurons rien. Enfin, s’il y a eu une résidence alternée,
était-elle de l’intérêt des enfants et le juge doit-il la faire
sienne ?
- à compter de la
mi-octobre, Païkan a beaucoup moins vu ses enfants, qui résidaient
désormais totalement chez Eléa, suite à une décision unilatérale
de la mère. Depuis, il ne les voit que certains week-ends, au bon
vouloir d’Eléa.
Dans ce dossier, comme
cela arrive parfois, ni les avocats, ni les parties elles mêmes, ni
les pièces du dossier ne permettent de savoir avec précision la
pratique qui a été celle des parents pendant quatre mois.
2.
Les sentiments exprimés par l’enfant mineur
L’article 388-1 du code
civil prévoit que, dans toutes les procédures qui le concernent,
l’enfant peut demander à être entendu par le juge. Cette audition
est de droit et ne peut être refusée que si l’enfant n’est pas
discernant.
Comme en matière pénale,
le législateur n’a pas fixé dans la loi l’âge de discernement de
l’enfant et il appartient à chaque juge d’estimer, au cas par cas,
si un enfant est discernant et peut en conséquence être entendu.
Dans le cas qui nous occupe, Léo et Léa sont trop jeunes pour être
regardés comme discernants et nous devrons donc nous passer de leur
avis.
3.
L’aptitude des parents à assumer ses devoirs et à
respecter les droits de l’autre
Sur les qualités
éducatives de chacun des deux parents
Rien ne permet de
remettre en cause les qualités éducatives et pédagogiques des deux
parents. Celles de la mère ne sont pas du tout remises en cause par
le père. Quant au père, les attestations versées aux débats et
notamment celle du médecin suffisent à écarter tous les doutes
formulés indirectement par la mère.
Sur
le « coup de force » d’Eléa
Certains commentateurs
ont relevé que laisser les enfants chez Eléa au motif qu’ils y sont
depuis quatre mois et ne s’y trouvent pas malheureux serait entériner
son coup de force de la mi-octobre. C’est déjà une interprétation
des faits, car il n’est pas démontré qu’il existait une résidence
alternée auparavant et, même si elle existait, il n’est pas certain
qu’il ne s’agissait pas cette fois-ci d’un coup de force du père.
Mais même à supposer
qu’Eléa ait accompli ce coup de force, que faudrait-il en conclure ?
Qu’il faut faire vivre les enfants chez le père, pour punir la
mère ? Imaginons par exemple une femme quittant le domicile
familial avec les enfants et refusant de les confier à un père
violent : le coup de force ne serait-il pas pour autant, en
l’espèce, conforme à l’intérêt des enfants ? Si les enfants
sont bien chez Eléa depuis quatre mois, il n’est pas totalement
absurde de considérer que leur intérêt peut passer par la
préservation de cette stabilité. Le JAF n’a pas à punir un parent
ni à récompenser l’autre, il est là pour préserver l’intérêt
des enfants.
Il ne s’agit pas
d’encourager ou de légitimer un quelconque coup de force mais
simplement de rappeler que le droit ne peut pas se soustraire à la
réalité et doit bien composer avec elle.
4.
Les mesures avant dire droit
Une enquête sociale
et/ou une expertise médico-psychologique apporteront toujours une
plus value au dossier et des éléments de motivation. Mais ces
mesures sont coûteuses en argent et en temps. Une enquête sociale,
c’est 650 €(À la charge de la partie ou des parties condamnée(s)
aux dépens, ou du trésor public en cas d’aide juridictionnelle) et 3 à 6 mois de délai, outre l’organisation d’une seconde
audience, avec une seconde décision à rendre. Comme indiqué dans
le premier billet, le délai pour être convoqué devant le JAF varie
de 3 à 10 mois environ, selon la situation du tribunal. À moyens
constants, ordonner trop de mesures avant dire droit revient à
prendre le risque de faire doubler ces délais.
Ces mesures doivent donc
présenter un véritable intérêt. Il n’apparaît utile de les
ordonner que si l’on croit qu’elles permettront de mieux trancher
lorsqu’on reverra les parties à la deuxième audience. Dans le cas
qui nous occupe aujourd’hui, il apparaît évident qu’Eléa et Païkan
ont chacun leurs faiblesses, leur vécu, leurs difficultés, et
qu’une mesure avant dire droit permettrait d’en savoir plus à ce
sujet. Mais cela n’apparaît pas pour autant indispensable : il
est intéressant de relever qu’aucun avocat n’a suggéré une telle
mesure, que les qualités éducatives de chacun des parents ne sont
pas valablement remises en cause, pas plus que l’attachement des
enfants à leurs deux parents. Il n’y a aucun élément d’inquiétude
particulier.
En tout état de cause,
s’il l’on voulait vraiment ordonner une mesure avant dire droit dans
ce dossier, il s’agirait plus probablement d’une enquête sociale,
car ni l’épisode de violences du père ni la dépression de la mère
ne suffisent à caractériser des profils psychologiques ou
psychiatriques si complexes qu’une expertise médico-psychologique
apparaisse indispensable. À l’inverse, l’enquête sociale
permettrait, au passage, d’approfondir le vécu du couple parental,
de détailler les conditions d’hébergement des enfants au domicile
de chacun des deux parents (et surtout du père, puisqu’il dit
lui-même que c’est petit) et la façon dont les enfants réagissent
au contact de chacun de leurs parents.
Enfin, certains ont
proposé une résidence alternée provisoire avec une nouvelle étude
de la situation dans quelques mois. C’est tout à fait envisageable,
mais le risque est de n’avoir aucun élément nouveau lors de la
prochaine audience si chacun des parents maintient sa demande et tire
de la résidence alternée provisoire le bilan qui l’arrange. Dans ce
cas, il apparaît intéressant de doubler cette décision d’une
mesure d’enquête sociale afin de disposer d’éléments
d’appréciation complémentaires.
5.
Sur les violences du père
Les violences sont
reconnues par Païkan, quoique visiblement minimisées. Le seul
épisode dont on a la preuve s’est produit plus d’un an avant la
séparation du couple et les attestations versées aux débats ne
reviennent pas sur le caractère éventuellement violent du père. La
réponse pénale est restée modérée, puisque le ministère public
a ordonné une médiation pénale, mesure alternative aux poursuites
qui suppose la reconnaissance des faits par l’auteur et l’acceptation
de cette mesure par la plaignante. Il n’a jamais été allégué la
moindre violence en la présence ou sur les enfants, de sorte que le
contexte dans lequel elles se sont produites n’existe plus et que le
risque pour les enfants apparaît nul. Dans notre dossier, les faits
de violences n’apparaissent donc pas réellement pertinents pour la
prise de décision, même si un rappel dans la motivation sera utile
comme l’a judicieusement rappelé le maître des lieux, afin de ne
pas faire comme si ces violences n’avaient jamais existé.
*
* *
Voici quelques éléments
de débat et de réflexion sur les questions posées par ce cas
pratique.
Sur
la résidence alternée
Il n’est pas question ici
d’émettre un avis de principe en faveur ou contre la résidence
alternée (Les lecteurs qui souhaiteraient se faire un avis à ce
sujet pourront par exemple lire avec profit le
numéro de l’AJ
Famille du
mois de décembre 2011, dont le dossier spécial traite de la
résidence alternée), ce débat dépassant de loin le cadre de ce
billet. Voici simplement quelques éléments de réflexion :
- le législateur de 2002
a prévu la résidence alternée à l’article
373-2-9 du code civil. Ce faisant, il n’a fixé aucune condition
d’âge, et notamment aucun âge minimal. Cela signifie que tout
raisonnement qui consiste à poser comme principe qu’un enfant
de tel âge est trop jeune pour une résidence alternée est un
raisonnement contraire à la loi. Encore faudra-t-il le démontrer et
le dire autrement : pour rejeter une demande de résidence
alternée, il faudra pour le juge expliquer en quoi, dans cette
situation donnée, la résidence chez un des deux parents préserve
mieux les intérêts de l’enfant que la résidence alternée.
- certains ont relevé
une mésentente entre les parents, qui pourrait empêcher la
résidence alternée. Néanmoins, on ne peut pas poser en condition
sine qua non d’une résidence alternée la bonne entente des
parents, sauf à prendre le risque de laisser le parent défavorable
à cette mesure entretenir le conflit.
- le législateur n’a pas
prévu que la résidence alternée serait le fonctionnement de
principe(La proposition
de loi en ce sens semble d’ailleurs n’avoir reçu aucune
suite). Pour Léo et Léa, l’incidence n’est pas des moindres :
il ne suffit pas de constater que la résidence alternée est
réalisable (ce qui reste d’ailleurs à démontrer, notamment avec 25
minutes de trajet en voiture matin et soir) et qu’aucun des deux
parents ne présente de danger pour les enfants, car ce raisonnement
viserait, par la négative, à ne pas exclure l’application du
principe de la résidence alternée. Mais, comme en droit positif la
résidence alternée n’est pas de principe, il faut démontrer,
positivement cette fois-ci, qu’elle répond bien à l’intérêt des
enfants.
Sur
la résidence chez le père ou chez la mère
Dans le cas qui nous
occupe, Païkan ne demandait pas la fixation de la résidence
habituelle des enfants à son domicile. Cette hypothèse n’était
donc pas envisageable pour le juge, qui reste lié par les demandes
des parties.
Les statistiques
réalisées par le ministère de la justice (à propos des divorces),
sont très éclairantes. Il en ressort (Rapport
du Secrétariat général du ministère de la justice, 2009)
que, tous types de divorces confondus, en 2007, la résidence des
enfants était fixée chez le père dans 7,9 % des cas, chez la
mère dans 76,8 % des cas et en alternance dans 14,8 % des
cas.
Une lecture hâtive de
ces chiffres pourrait conforter la théorie selon laquelle il existe
une réelle injustice des juges envers les pères. Toutefois, ces
statistiques concernent les décisions rendues et sont donc à
corréler avec des statistiques concernant les demandes des
parents (Je n’ai pas trouvé de telles statistiques sur Internet,
avis aux commentateurs…). Le juge étant lié par les demandes des
parties, il ne sera pas étonnant que peu de pères obtiennent la
résidence de leurs enfants si peu d’entre eux en font la demande.
C’est une hypothèse de réflexion dont nous reparlerons un peu plus
bas.
Ces données sont donc
insuffisantes pour tirer des conclusions définitives. Elles
permettent cependant de constater trois choses :
- dans le divorce par
consentement mutuel, où les deux époux se mettent d’accord entre
eux sans l’intervention d’aucun juge (Le juge aux affaires
familiales n’intervient que pour homologuer la convention des parties
en vérifiant qu’elle respecte, notamment, l’intérêt des
enfants), le taux de résidences alternées est certes le plus
élevé (21,5 %) mais demeure relativement limité (moins d’une
famille sur quatre), et le taux de résidences chez le père est le
plus faible (6,5 %) ;
- dans un divorce
accepté, qui est un divorce contentieux (Il existe en France quatre
types de divorces. Tout d’abord, le divorce par consentement mutuel,
qui est un divorce gracieux : le JAF homologue la convention de
divorce préparée par les parties et prononce leur divorce. Les
trois autres divorces sont contentieux (le juge tranche alors un
litige) : il s’agit du divorce dit « accepté », où
les parties sont d’accord sur le principe de la rupture du mariage
mais pas sur toutes les conséquences (argent, enfants etc), le
divorce pour faute et le divorce pour altération définitive du lien
conjugal, qui peut être prononcé à la demande d’une partie
seulement, lorsqu’elle justifie que les époux ont cessé de vivre
ensemble depuis au moins deux ans), c’est-à-dire où le juge
tranche, le taux de résidence chez le père (9,1 %) est supérieur à
celui des divorces par consentement mutuel (6,5 %) et même à la
moyenne tous divorces confondus (7,9 %) ; à l’inverse, le
taux de résidences alternées chute à 10,7 % ;
- la part des résidences
fixées chez le père n’est jamais aussi importante (11,1 %) que
lorsque le divorce est très conflictuel, comme les divorces pour
faute (Ce chiffre s’explique toutefois bien plus par la chute
vertigineuse de la résidence alternée – 4,4 % –
probablement en raison du caractère souvent trop conflictuel de la
situation, que par une désaffection des mères, pour qui le taux de
fixation de la résidence culmine à 83,9% dans ce type de
procédures).
Si l’on pose l’hypothèse
selon laquelle, lors d’un divorce par consentement mutuel, aucun des
époux n’est manipulé par l’autre ni contraint, on constate que
71,8 % des familles, et donc 71,8 % des mères et 71,8 %
des pères, souhaitent que la résidence des enfants soit fixée chez
la mère (Certains commentateurs du billet précédent ont soutenu
que les pères se voyaient déconseiller par leur avocat de demander
la résidence de leur enfant. C’est méconnaître la réalité du
système judiciaire : tout d’abord, pourquoi un avocat
déconseillerait-il cette demande à son client ? Le seul risque
d’une telle demande est qu’elle soit rejetée, ce qui revient
exactement au même que de ne pas la formuler… Mais surtout, en
procédure hors-divorce, comme c’est le cas d’Eléa et Païkan,
l’avocat n’est pas obligatoire et plus de la moitié des dossiers
sont des dossiers sans avocats : qui, cette fois, aurait alors
manipulé le père ? Ces théories ne convaincront que ceux qui
veulent absolument se croire victimes d’un complot des juges et des
avocats contre les pères du monde entier…). Dès lors,
l’hypothèse évoquée plus haut et selon laquelle le faible taux de
résidences alternées et de résidences chez le père résulterait,
pour une large part, du faible taux de ces demandes chez les pères,
apparaît relativement valable, même si elle demande à être
confortée par des statistiques.
Et l’idée que les juges
trancheraient en défaveur des pères n’apparaît donc pas évidente.
Sur
la contribution alimentaire
Une bonne méthode de
raisonnement consiste ici à déterminer le coût mensuel que
représente un enfant pour ses parents, notamment en fonction de son
âge et du nombre d’enfants du couple, puis de le répartir entre les
deux parents au prorata de leurs ressources respectives, en estimant
que le parent qui héberge habituellement l’enfant contribue en
nature tandis que l’autre parent contribue sous la forme d’une
pension alimentaire (Par exemple, si un enfant coûte 500 € par
mois, qu’il vit chez sa mère, que celle-ci a un salaire de 1.200 €
et le père de 3.000 €, le rapport des revenus des parents est de
29 % pour la mère et de 71 % pour le père, donc la
pension alimentaire de ce dernier devrait, en théorie, être de (500
€ x 0,71) 355 € par mois).
Il est toutefois
difficile d’estimer précisément le coût réel d’un enfant. Il y a
les frais faciles à quantifier : couches, vêtements, soins…
et les frais plus ou moins masqués parce que dilués dans les
dépenses des parents : alimentation, logement, voiture… Et
même à supposer que l’on puisse établir de façon incontestable le
coût d’un enfant, il reste ensuite à adapter la pension alimentaire
aux facultés contributives du parent qui en est débiteur.
Diverses tentatives de
rationalisation ont été réalisées mais ne revêtent pour les
juges qu’un caractère purement indicatif. Il s’agit par exemple, en
Allemagne, du barème
de Dusseldorf ou, chez nous, du barème
établi par la Direction des affaires civiles et du Sceau
(DACS) (La DACS est l’une des quatre directions du ministère de la
justice avec la Direction des affaires criminelles et des grâces
(DACG), la Direction de protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ)
et la Direction de l’administration pénitentiaire, DAP). Ces
grilles peuvent servir à fixer des ordres de grandeurs, la pension
variant ensuite nécessairement en fonction de la situation
financière et personnelle de chaque créancier, de chaque débiteur
et des besoins de chaque enfant.
En théorie, les revenus
du nouveau compagnon ou de la nouvelle compagne du débiteur ne sont
pas pris en compte. Ils le sont cependant indirectement puisqu’ils
viennent amoindrir les charges du débiteur. Payer seul un loyer de
800 € ou le partager par moitiés avec son nouveau compagnon, ce
n’est évidemment pas la même chose.
*
* *
Voici une proposition de
délibéré.
Sur l’exercice de
l’autorité parentale
Attendu que Léo et Léa
ont été reconnus par leurs deux parents dans l’année de leur
naissance ; que l’autorité parentale est par conséquent
exercée en commun par les deux parents, comme il sera rappelé au
dispositif du présent jugement ;
Sur la résidence
des enfants
Attendu qu’au soutien de
sa demande tendant à voir instaurer une résidence alternée pour
ses deux enfants, Païkan expose que (rappel des moyens et arguments
de Païkan) ;
Attendu toutefois que, si
durant les mois de juillet à octobre 2011 Païkan a manifestement vu
ses enfants de façon fréquente et régulière, les pièces versées
aux débats ne permettent pas pour autant d’établir qu’une réelle
résidence alternée a été mise en place entre les parties
postérieurement à leur séparation ; qu’il est cependant
constant que Léo et Léa résident habituellement au domicile de
leur mère depuis mi-octobre 2011 ;
Attendu par ailleurs que
la mise en place d’une résidence alternée supposerait pour les deux
enfants de changer de cadre de vie chaque semaine alors qu’ils ne
sont âgés que de 4 ans et demi et de 2 ans et 8 mois ; que par
ailleurs un tel mode de résidence impliquerait de leur faire
supporter des trajets d’au moins 50 minutes chaque jour afin de se
rendre à l’école ; que si les conditions d’accueil des enfants
au domicile de leur père apparaissent satisfaisantes pour l’exercice
d’un droit de visite et d’hébergement, elles demeurent moins bonnes
que celles offertes par la mère, restée au domicile familial où
les enfants ont vécu depuis leur naissance et ont leurs habitudes ;
que dès lors, l’intérêt des enfants commande, en l’état, de fixer
leur résidence habituelle au domicile de leur mère ;
Sur les droits du
père
Attendu qu’au soutien de
sa demande subsidiaire tendant à se voir octroyer un droit de visite
et d’hébergement élargi s’exerçant toutes les fins de semaine, du
vendredi soir au lundi matin, Païkan expose que (rappel des moyens
et arguments de Païkan) ;
Attendu qu’il ressort des
pièces versées aux débats que les qualités éducatives des deux
parents sont très satisfaisantes ; que contrairement aux
allégations de la défenderesse, le père démontre qu’il se
préoccupe de la santé de ses enfants en les ayant conduits chez le
médecin à deux reprises en l’espace de deux mois ; que par
ailleurs les faits de violences conjugales, bien que minimisés par
Païkan, ne concernaient pas les enfants et qu’il n’est pas non plus
allégué que ces violences auraient eu lieu en leur présence ;
que dès lors rien ne justifie de faire obstacle aux relations que
les enfants doivent entretenir avec leur père et qu’il sera ainsi
fait droit à la demande de ce dernier de bénéficier d’un large
droit de visite et d’hébergement ;
Attendu cependant qu’un
droit élargi à toutes les fins de semaines reviendrait à priver
les enfants de profiter de périodes de temps libre avec leur mère ;
qu’une telle solution, contraire à leurs intérêts, ne saurait être
retenue ; qu’il convient dès lors de prévoir que les droits du
père prendront la forme d’un droit de visite et d’hébergement
s’exerçant une fin de semaine sur deux, outre une journée en
semaine, du mardi soir au mercredi soir ;
Sur la contribution
du père à l’entretien et à l’éducation des enfants
Attendu qu’il ressort des
déclarations des parties à l’audience et des pièces versées aux
débats que leurs situations personnelles peuvent être résumées
comme suit :
- Païkan est ingénieur
en informatique et dispose d’une situation professionnelle stable ;
il perçoit un revenu mensuel de 3.200 €, règle un loyer de 900 €
qu’il partage avec sa compagne, ainsi que des mensualités de crédit
à hauteur de 640 € par mois, soit un reste à vivre mensuel de
2.110 €, avant déduction des impositions et charges courantes ;
qu’il exerce un droit de visite et d’hébergement élargi sur ses
deux enfants ;
- Eléa est assistante
infographiste depuis le mois d’octobre 2011 ; elle perçoit à
ce titre un revenu mensuel de 1.150 €, outre 125 € d’allocations
familiales, elle règle 114 € de mensualités de crédit à la
consommation et expose un loyer résiduel de 350 € (400 € d’APL),
soit un reste à vivre mensuel de 811 € avant déduction des
impositions et charges de toutes natures ; qu’elle assume au
quotidien les frais liés aux deux enfants ;
Attendu qu’il convient en
conséquence de fixer à la somme de 290 € par enfant et par mois
la part contributive de Païkan pour l’entretien et l’éducation de
ses enfants, soit 580 € par mois en tout…