Le 18 novembre dernier, le Conseil constitutionnel a examiné par le biais d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) la conformité à la Constitution de la réformes de la garde à vue entrée en vigueur le 1er juin dernier. Hormis une réserve d’interprétation qui n’est certes pas dénuée d’intérêt, le Conseil a déclaré la réforme conforme à la Constitution, écartant notamment le moyen tiré de l’absence d’accès au dossier, et le fait qu’en cas d’audition libre, c’est à dire d’interrogatoire d’une personne venue sans contrainte au commissariat, elle ne bénéficie pas du droit à l’assistance d’un avocat (les autres griefs ne me paraissaient pas en effet relever de la procédure de QPC, j’y reviendrai brièvement).
Naturellement, je suis très déçu par cette décision sur l’accès au dossier et sur l’audition libre sans avocat, mais la parade existe pour cette dernière. Mes lecteurs savent bien que je participe, modestement, au combat pour cette réforme, qui n’est pas terminé, mais ma déception ne vient pas tant du fait que cette décision ne va pas dans mon sens mais du fait que le Conseil Constitutionnel, comme effrayé par sa propre audace de juillet 2010, quand il avait jugé que l’ancien régime de la garde à vue n’était pas conforme aux exigences constitutionnelles, a renoncé, vous allez le voir, à aller au bout des principes qu’il avait alors posés.
Après vous avoir expliqué dans ce billet ce qu’a dit le Conseil et en quoi à mon sens il a déchu, je vous inviterai dans un prochain billet à faire un petit point sur l’état actuel de la garde à vue, et les conséquences à en tirer sur l’exercice de la défense. Les étudiants en droit qui me lisent auront reconnu ici une problématique et une annonce de plan on ne peut plus académique.
La décision du Conseil constitutionnel donc.
Re-situons un peu le débat.
Le 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le régime de garde à vue tel qu’il existait, c’est à dire avec une intervention d’un avocat limitée à un entretien confidentiel de 30 minutes en début de garde à vue et en cas de prolongation, cet entretien étant repoussé dans des affaires de délinquance et criminalité organisée, stupéfiants et terrorisme.
Ce ne fut pas un coup de soleil dans un ciel bleu, loin de là. Des coups de boutoirs résonnaient régulièrement depuis la Cour européenne des droits de l’homme, qui a condamné la Turquie, puis l’Ukraine, précisément pour interdire l’assistance d’un avocat au cours des gardes à vue, c’est-à-dire chaque fois que des propos pouvant incriminer le gardé à vue étaient reçus.
Ce qui a condamné l’ancien système, pour le Conseil, est que les dispositions légales en vigueur alors autorisaient l’interrogatoire d’une personne gardée à vue mais ne permettaient pas à la personne ainsi interrogée, alors qu’elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat ; le Conseil a donc estimé; et j’attire votre attention sur cette phrase (considérant n°28), qu’une telle restriction aux droits de la défense est imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes. Le Conseil constate enfin que la personne gardée à vue ne recevait pas la notification de son droit de garder le silence.
Voilà la règle posée : une restriction aux droits de la défense imposée de manière générale et sans considération des circonstances particulières pouvant la justifier, c’est niet. Je ne pouvais qu’applaudir et boire une Guinness.
Vint alors la loi sur la garde à vue. Le législateur semblait avoir compris le message, et l’appliquer, certes sans enthousiasme, mais avec une résignation républicaine, allant au-delà de la décision en supprimant l’intervention repoussée de l’avocat dans les gardes à vue dérogatoires (délinquance organisée, stups, terrorisme), et en remplaçant cela par la possibilité offerte au parquet de décider, dans toutes les procédures, de repousser de 12 heures l’intervention de l’avocat, et de 24 heures avec l’accord du juge, à condition de motiver sa décision, ce qui implique que si le tribunal devait par la suite estimer ces motifs injustifiés, les déclarations reçues en garde à vue étaient susceptibles d’être annulées. C’est l’article 63-4-2 du Code de procédure pénale (CPP).
Pour la petite histoire, j’ai constaté que dans mes premiers dossiers suivant l’application de cette loi, plusieurs OPJ, pour manifester leur mécontentement, demandaient à ce que l’intervention de l’avocat soit repoussée, y compris dans des dossiers banals d’outrage-rébellion. Le parquet a systématiquement refusé ces demandes infondées, et c’est tout à son honneur. Du coup, ces demandes mécaniques ont rapidement disparu.
Mais il y eut l’article 63-4-1. Et là, on est proche de la malfaçon législative, et encore dans le meilleur des cas.
Cet article, source de tous mes maux, est ainsi rédigé.
À sa demande, l’avocat peut consulter le procès-verbal établi en application du dernier alinéa de l’article 63-1 constatant la notification du placement en garde à vue et des droits y étant attachés, le certificat médical établi en application de l’article 63-3 [Il s’agit du certificat dressé par le médecin quand le gardé à vue a demandé à bénéficier d’un examen médical visant à s’assurer que son état de santé est compatible avec une garde à vue], ainsi que les procès-verbaux d’audition de la personne qu’il assiste. Il ne peut en demander ou en réaliser une copie. Il peut toutefois prendre des notes.
Passons sur cette ridicule autorisation de prendre des notes. Cet article a rapidement été interprété comme constituant la liste exhaustive des pièces auxquelles nous avons accès, bien qu’il ne le dise pas expressément. C’est ce sens que lui donne d’ailleurs le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 novembre 2011, j’en prends acte. C’est d’ailleurs confirmé par l’examen des débats parlementaires sur cet article, proprement affligeants. C’était à la session du 20 janvier 2011, sur l’article 7 de la loi qui crée ce fameux article 63-4-1 du CPP. Voici ce que va dire le Garde des Sceaux pour justifier d’écarter l’amendement prévoyant un droit d’accès au dossier pour l’avocat.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je crois qu’il ne faut pas se méprendre. Dans la plupart des cas, la garde à vue est, heureusement, une phase très courte : plus de 80 % des gardes à vue ne dépassent pas douze heures. Dans ce cas, le dossier n’est pas très épais ; en cas de flagrance, il n’y a pas de dossier du tout.
Le dossier se constitue donc au fur et à mesure, et on ne peut pas communiquer un dossier qui, par nature, n’existe pas. Il ne s’agit pas de cacher quoi que ce soit à l’avocat, mais on ne peut pas lui donner quelque chose qui n’est qu’en cours de constitution, puisque la garde à vue a justement pour objet d’aider à la constitution d’un dossier.
Je comprends donc bien le but poursuivi par M. Raimbourg, mais je pense que ces amendements devraient être retirés.
Affligeant. En cas de flagrance, il n’y a pas de dossier du tout ? Les policiers qui me lisent vont s’étrangler. Pour info, le dernier dossier de flagrance que j’ai traité faisait 132 pages au terme de la garde à vue. Quant à l’affirmation selon laquelle je demanderais à accéder à un dossier qui n’existe pas, je rassure notre garde des Sceaux, ma demande ne porte que sur les pièces qui existent. Concrètement, la plainte de la victime, ou ce qu’on appelle la saisine-interpellation quand les policiers constatent eux-même une infraction (en “flag”), et les éventuelles dépositions de témoins.
Là où le bat me blesse, c’est que, comme vous l’avez remarqué, cette règle est générale et s’applique à toutes les gardes à vue et à toutes les pièces de la procédure, sans la moindre distinction. Or me refuser d’accéder à ces pièces, c’est entraver mon action d’avocat. C’est une restriction aux droits de la défense. Nul ne peut en disconvenir.
Or qu’avait dit le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010 pour censurer l’ancien système, déjà ? Une telle restriction aux droits de la défense est imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes.
Si le Conseil avait été cohérent, il aurait dû censurer cet article 63-4-1 du CPP et imposer par exemple un système analogue à celui du 63-4-2 : le dossier peut être si les cirocnstances l’imposent et seulement dans ce cas, dans un premier temps caché à l’avocat, sur décision du procureur et du juge selon le délai.
Mais cohérent, il ne le fut pas. Sa décision du 18 novembre tient de l’esquive pure et simple puisqu’il ne se prononce même pas sur la pertinence de ces arguments.
Voici ce que dit cette décision sur l’article 63-4-1 du CPP. C’est le Considérant n°28.
comme le Conseil constitutionnel l’a jugé dans sa décision du 30 juillet 2010 susvisée, les évolutions de la procédure pénale qui ont renforcé l’importance de la phase d’enquête policière dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée doivent être accompagnées des garanties appropriées encadrant le recours à la garde à vue ainsi que son déroulement et assurant la protection des droits de la défense ;
Jusque là nous sommes d’accord. Voyons donc ce qu’il en est des garanties appropriées assurant la protection des droits de la défense, non ? Non.
(…) les dispositions contestées n’ont pas pour objet de permettre la discussion de la légalité des actes d’enquête ou du bien-fondé des éléments de preuve rassemblés par les enquêteurs, qui n’ont pas donné lieu à une décision de poursuite de l’autorité judiciaire et qui ont vocation, le cas échéant, à être discutés devant les juridictions d’instruction ou de jugement ; (…) elles n’ont pas davantage pour objet de permettre la discussion du bien-fondé de la mesure de garde à vue enfermée par la loi dans un délai de vingt-quatre heures renouvelable une fois ;(…), par suite, les griefs tirés de ce que les dispositions contestées relatives à la garde à vue n’assureraient pas l’équilibre des droits des parties et le caractère contradictoire de cette phase de la procédure pénale sont inopérants.
Inopérants, c’est à dire que quand bien même ces griefs seraient bien fondés (et ils le sont), ils ne sont pas de nature à entrainer l’inconstitutionnalité du texte.
Là, j’ai du mal à comprendre. Le Conseil dit en 2010 que les évolutions de la procédure doivent être accompagnées des garanties appropriées protégeant les droits de la défense, et il censure l’ancienne garde à vue pour ce motif ; aujourd’hui, on lui dit que la nouvelle loi ne comporte toujours pas les garanties appropriées protégeant les droits de la défense, et il répond que ces griefs sont inopérants. À croire qu’effrayé par sa propre audace, le Conseil constitutionnel fait machine arrière toute et, vous le verrez dans le prochain billet, se défausse complètement sur la Cour européenne des droits de l’homme, qui ne pourra qu’imposer cette solution, puisqu’elle tente déjà de le faire.
Comme toujours, celui qui souhaite comprendre ce que dit le Conseil constitutionnel va lire le commentaire de la décision aux Cahiers du Conseil constitutionnel(pdf).
On y apprend ainsi que le Conseil a décidé de distinguer les exigences du procès équitable et les droits de la défense, et cette distinction le conduit à séparer deux phases dans la procédure : la garde à vue, qui est une mesure de police judiciaire, et la phase judiciaire, devant le juge, où le rôle de la défense pourra s’exercer pleinement (ou même s’exercer tout court), avec accès au dossier, droit à l’avocat, etc. Le Conseil refuse de juridictionnaliser la garde à vue en donnant au gardé à vue le droit de discuter cette mesure, tant en légalité qu’en opportunité, cette contestation devant prendre place devant le juge.
Je disconviens respectueusement.
Cette distinction est totalement arbitraire et ne repose sur rien dans la Constitution. Elle va même totalement à contre-courant de la Convention européenne des droits de l’homme, qui certes ne fait pas partie de la Constitution, mais celle-ci ne perd rien à être interprétée de façon conforme aux engagements internationaux de la France en matière de droits de l’homme. Il n’y a rien d’incongru à ce que la France applique sa norme suprême de manière conforme aux traités qu’elle signe quand on touche aux droits de l’homme.
La garde à vue est avant tout une mesure privative de liberté frappant une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction lui faisant encourir une peine d’emprisonnement, et visant à réunir les preuves de cette infraction, ses déclarations en faisant partie au premier chef. Elle est particulièrement éprouvante, tant physiquement que psychologiquement, les conditions de détention étant bien plus dures en garde à vue qu’en prison. Une cellule de garde à vue, c’est une pièce de quelques mètres carrés, avec un banc en ciment, trois murs opaques et un quatrième en verre blindé. Je n’ai vu des toilettes (à la turque) dans des cellules de garde à vue que dans un seul commissariat pour le moment (celui du 17e arrdt, rue Truffaut, qui vient d’être refait à neuf). Ça veut dire que dans tous les autres, il vous faut quémander pour aller uriner ou plus si affinités. Pas de fenêtre vers l’extérieur, avec ce qu’il en découle au niveau de l’aération (il y est suppléé par l’usage généreux de désodorisant/désinfectant en spray). Vous y périssez d’ennui car vous n’avez ni télévision, ni radio, ni même de livre dans le cas peu probable où vous en auriez eu un sur vous au moment de votre arrestation, tous vos effets personnels (lunettes, montre, ceinture, lacets, cravate) étant écartés pour des motifs de sécurité. Curieusement, ces mêmes effets vous sont laissés en prison, leur dangerosité disparaissant mystérieusement lors de votre écrou.
Face à cette atteinte grave (grave ne voulant dire nécessairement injuste, inutile ou illégale, mais ce n’est pas non plus incompatible), le Conseil nous dit benoîtement et sans rire : pas de problème, vous pourrez la contester… quand elle sera finie. L’intérêt de la chose est tout de même fortement réduit, admettez-le.
Je ne puis être d’accord, nonobstant mon respect pour le Conseil. Dès lors qu’il y a privation de liberté, qui rappelons-le est selon notre Constitution est un des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme dont la conservation est le but de toute association politique (Art. 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789), il y a exercice de la force par l’État, et les droits de la défense doivent pouvoir s’exercer à plein car c’est la seule protection du Citoyen contre l’arbitraire de l’État. C’est pour jouir de cette protection contre l’arbitraire que nous avons fait la Révolution il y a deux siècles, pas pour substituer à l’arbitraire du monarque absolu celle de l’officier de police judiciaire. Distinguer entre la privation de liberté dans les geôles d’un commissariat et celles du Palais de Justice, c’est une vue de l’esprit. L’État a beaucoup de geôles, mais nous n’avons qu’une liberté.
Ce qui me désole est qu’une fois de plus, c’est de l’Europe que viendra le Salut ; je préférerais que la France donne l’exemple en matière de droits de l’homme plutôt que recevoir des leçons.
En effet, cette position va frontalement à l’encontre de la Convention européenne des droits de l’homme, et en l’appliquant, nous nous exposons à des condamnations à répétition devant la Cour. Car Ce n’est pas que nous n’ayons pas l’habitude, mais en ces temps de crise, les deniers de l’État pourraient être mieux employés. Ce serait dommage de perdre notre AAA à cause de violations des droits de l’homme… En effet, l’arrêt Dayanan c. Turquie de la Cour européenne des droits de l’homme, que mes lecteurs connaissent bien, pose dans son §32 que :
32. Comme le soulignent les normes internationales généralement reconnues, que la Cour accepte et qui encadrent sa jurisprudence, un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit (pour les textes de droit international pertinents en la matière, voir Salduz, précité, §§ 37-44). En effet, l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer.
Cette jurisprudence, qui est aussi claire que la volonté des magistrats français de ne pas l’appliquer, exige une intervention sans entrave de l’avocat dès la privation de liberté, qui est le seul critère pertinent. Elle exige nécessairement l’accès au dossier puisque nous sommes censés préparer les interrogatoires, organiser la défense, rechercher des preuves favorables à l’accusé, qui bien souvent se trouvent dans le dossier, quand on le lit avec un œil un peu critique, les procureurs le savent bien, et en tout état de cause, c’est là que se trouvent les éléments nous permettant de préparer les interrogatoires (plainte de la victime, audition des témoins et des policiers eux-même en cas de “flag” et d’organiser la défense, qui peut très bien être : “arrêtez avec votre baratin à deux balles, il y a toutes les preuves contre vous, reconnaissez les faits, c’est dans votre intérêt”. Dire comme le fait le Conseil que cette phase est de pure “police judiciaire”, ce qui justifie que l’avocat soit maintenu dans l’impuissance jusqu’à ce qu’il soit trop tard, n’est pas conforme à la CEDH, mais aussi aux normes internationales généralement reconnues, dixit la Cour. Bref, nous avons ici une exception française qui n’est pas à notre gloire.
Enfin, pour tous ceux qui reprocheront aux juristes de planer dans l’exosphère juridique au point d’en oublier la pratique, reproche absurde au demeurant car il n’y a pas matière plus concrète que le droit, mon prochain billet redescendra au ras des pâquerettes pour faire un bilan pratique du nouveau régime et vous inviter à réfléchir aux conséquences à tirer de cette décision et de son volet “audition libre”. Au mépris du risque de paradoxe, on y parlera beaucoup du silence.