Un parfum de crunch en quart de finale avec ce France - Angleterre.
Ce sont nos pires amis, ou nos meilleurs ennemis, comme vous préférez, qui viennent nous voir à l’heure du Breakfast Tea : les abominables et formidables Anglais, aussi beaux joueurs que tricheurs sans vergogne, adeptes du fair play et de la baffe dans la mêlée. Quelle joie de les retrouver.
Voici donc le drapeau anglais, dit drapeau de Saint-George. Il vous dira sans doute quelque chose : il rappelle en effet celui de la Géorgie, que nous affrontâmes lors de la dernière coupe du monde.
La croix rouge sur fond blanc est un emblème très répandu dans la chrétienté, Saint Georges étant le Saint Patron, outre de l’Angleterre et de la Géorgie, de l’Aragon, de la Catalogne, du Canada, de l’Éthiopie, de la Grèce, de la Serbie, du Montenegro, du Portugal, de la Russie et même de la Palestine, ainsi que des villes de Beyrouth, Barcelone ou Moscou. C’est ainsi que le symbole du club de football de Barcelone, le fameux Barça, comporte la croix de Saint George.
Ce symbole remonte aux Croisades, où il était le symbole des chevaliers et soldats français, le pape ayant décidé que les anglais porteraient une croix blanche sur fond rouge, les germains ayant une croix bleue et jaune, devenue le drapeau suédois. Les Anglais, qui ne font JAMAIS ce qu’on leur dit de faire, ont néanmoins adopté la croix rouge sur fond blanc, et la croix de St George est ainsi devenue le symbole des croisés dans leur ensemble, étant à son tour adoptée par les Templiers. Lors de la Réforme, tous les drapeauxs représentant des saints ont été abandonnés en Angleterre à l’exception de celui de St George. Dans la Navy, le drapeau de Saint Georges indique un navire amiral.
Le drapeau du Royaume Uni s’appelle le drapeau de l’Union, ou Union Jack dans la marine (“Jack” indiquant un pavillon de marine), car il est composé de la réunion des drapeaux des trois couronnes réunies sur la tête des rois d’Angleterre, chacun représenté par une croix liée à un saint : la croix de Saint George pour l’Angleterre, la croix de Saint André pour l’Écosse, et la croix de Saint Patrick pour l’Irlande. Cette union s’est faite en deux temps : en 1606, quand James VI d’Ecosse devient roi d’Angleterre sous le nom de James Ier, les croix de Saint George et Saint André sont réunies pour faire le premier drapeau d’Union. Puis en 1801, la croix de Saint Patrick est ajoutée quand l’Acte d’Union fusionne les royaumes d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande pour former le Royaume-Uni, dénomination encore officielle de nos voisins d’Outre Manche. Le pays de Galles n’est pas représenté dans ce drapeau car il ne s’agit pas d’un royaume mais d’une principauté, apanage de l’héritier du trône d’Angleterre, actuellement le Prince Charles, Prince de Galles, le titre de princesse étant vacant nonobstant le second mariage du prince. À la mort de Charles ou d’Élisabeth, selon celui de ces événements qui arrivera en premier, Harry sera Prince de Galles, et en attendant, il est Duc de Cambridge.
L’équipe d’Angleterre joue isolément car le Royaume-Uni n’a pas de fédération de rugby. L’Acte d’Union a ses limites. À la place, chaque royaume a sa propre fédération, reconnue par l’International Rugby Board, et sa propre équipe (l’Irlande du Nord est intégrée à l’équipe d’Irlande). Il en va de même au football, d’où le match d’ouverture Brésil Écosse lors de la coupe du monde 1998.
Le symbole du XV d’Angleterre est la rose rouge. Il s’agit d’une allusion à la rose rouge des Lancastre, famille opposée à celle d’York au cours de la guerre des Rose (1455-1485), qui aboutit à la chute de la maison des Plantagenêts, dont Lancastre et York étaient deux branches, au profit de la maison des Tudor (qui n’étaient pas des meuniers contrairement à la chanson). Je ne crois pas que la fédération anglaise prête allégance à la maison des Lancastre cinq cent ans après la fin du conflit, mais le maillot de l’équipe d’Angleterre étant blanc (couleur royale, comme le maillot du Real Madrid, que je me devais de citer ayant mentionné le Barça afin d’éviter une autre guerre civile), une rose blanche ou la rose des Tudor (rouge et blanche pour marquer la réconcilation du royaume) serait peu visible sur le maillot.
L’Angleterre n’ayant pas d’hymne officiel propre, c’est bien le God Save The Queen qu’entonne le XV d’Angleterre, qui est pourtant l’hymne du Royaume-Uni. Une scène fort cocasse a lieu quand l’Angleterre joue contre l’Ecosse à Murrayfield, quand l’hymne (lui aussi non officiel) écossais, Flower Of Scotland, est entonné, car on voit la Princesse Anne, fille de la reine Elisabeth et Duchesse d’Edimbourg, chanter de bon cœur cet hymne nationaliste célébrant la victoire des Ecossais contre les Anglais à Bannockburn en 1314 (la bataille qui clôt le film Braveheart). Au Royaume Uni, le pragmatisme est la vraie religion d’Etat.
Mais en réalité, le XV à la rose a un hymne non officiel, qui galvanise autant les Anglais qu’une Marseillaise fait oublier la fatigue aux Français.
Le Swing Low, Sweet Chariot, la kryptonite universelle.
Swing low, sweet chariot
Coming for to carry me home
Swing low, sweet chariot
Coming for to carry me home
L’histoire de cette chanson se confond avec l’histoire de notre vieille rivalité rugbystique qui nous oppose à nos cousins d’Outre-Manche. En fait, une vieille rivalité oppose l’Angleterre à un peu tout le monde, et c’est une des équipes les plus cordialement détestées, chacune de ses (trop rares) défaites étant savourée d’un hémisphère à l’autre, mais la France jouit d’une position de détestation cordiale privilégiée. Un adage écossais dit ainsi “I support two teams : Scotland and whoever is playing England” : je soutiens deux équipes : l’Écosse, et celle qui joue contre l’Angleterre.
Tout d’abord, l’Angleterre n’a accueilli la France dans le concert des nations rugbystiques qu’avec réticence en 1910. Le sport de l’aristocratie anglaise était en France pratiquée par les paysans rugueux du sud, et l’Anglais n’aimait guère se mélanger. Il faut dire qu’au début, la France a tout fait pour lui donner raison. En 1913, la foule envahit le terrain pour assommer l’arbitre de France-Ecosse. La France est exclue du tournoi, mais sauvée si j’ose dire par la première guerre mondiale qui suspend le tournoi, qui reprend en 1918 toutes rancoeurs oubliées au nom de la fraternité d’armes. En 1927, c’est la première victoire contre les Anglais (le pays de Galles résistera jusqu’en 1948). En 1931, la France est à nouveau exclue pour son comportement violent jusqu’en 1939. En fait, deuxième guerre mondiale oblige, la suspension durera jusqu’à la reprise du tournoi en 1947. En 1952, l’Angleterre accuse la France de professionnalisme des joueurs (ironie de l’histoire, l’Angleterre sera la première à passer au professionnalisme dans les années 90 : en Angleterre, le pragmatisme est religion d’Etat) et des joueurs français sont définitivement exclus de la sélection pour apaiser les Anglais. Voilà donc le terreau de la rivalité. La fleur éclora à la fin des années 80.
En 1988, le XV d’Angleterre était en train de traverser une des plus mauvaises passes de son histoire, battu notamment par la France plusieurs années de suite, y compris sur son sol sacré, à Twickenham. L’Angleterre jouait face à l’Irlande, et avait perdu 15 de ses 23 derniers matchs du Tournoi des Cinq Nations, tournoi qu’elle n’avait plus gagné depuis 1980. En deux ans et demi, les supporters de Twickenham n’avaient vu qu’un seul misérable essai marqué par les Anglais. A la mi temps, l’Irlande menait 3 à 0. Et puis comme cela arrive parfois au rugby, l’espoir changea de camp, le combat changea d’âme, et tout à coup, rien ne semblait plus pouvoir arrêter les Anglais, qui gagnèrent 35 à 3, dont trois essais marqués par Chris Oti, qui faisait ses débuts de jour là. Les collégiens d’une école bénédictine de Woolhampton qui assistaient au match entonnèrent alors un gospel en l’honneur d’Oti, Swing Low, Sweet Chariot, que la foule reprit en choeur.
Ce fut le signal d’une résurrection, et d’un nouvel âge d’or pour le XV à la rose, l’époque de Will Carling et Brian Moore, époque qui se construisit sur le dos de l’équipe de France. Pendant sept ans, nous ne gagnerons jamais, et toujours pour la même raison : être poussé à la faute par les Anglais, de préférence à 20 mètres en face de nos poteaux, ce qui donnait trois points aux Anglais, et faisait résonner le Swing Low. Le clou était enfoncé par Will Carling qui félicitait les Français vaincus d’un “Good game” dont l’évocation fait encore monter les larmes aux yeux des joueurs de l’époque. Il faudra des années pour que le XV de France vole aux Anglais leur sang froid, et il est encore fragile : la propension des Français à garder le ballon au sol, à le talonner à la main, quand ce n’est pas distribuer des baffes sous les yeux de l’arbitre est pudiquement appelée “le jeu latin” des Français. C’est la défaite assurée quand il pointe son vilain nez.
Cette rivalité prendra fin brutalement, du jour au lendemain, lors de notre inoubliable victoire en petite finale de la coupe du Monde en 1995 (19 à 9), où enfin, la série noire prendra fin, et au plus beau moment, la Coupe du Monde. Les joueurs Français sont tous allés serrer la main de Will Carling abattu en lui disant un “Good game !” chantant avec l’accent du sud ouest. La partie s’est en réalité terminée le lendemain à l’aube, les joueurs des deux équipes s’étant donné rendez vous pour faire une fête de tous les diables jusqu’à l’aube, enterrant définitivement la hache de guerre. Cela sera aidé par le virage vers le professionnalisme, des Anglais venant jouer en France et des Français allant jouer en Angleterre (Sébastien Chabal a joué cinq ans dans le club de Sale, près de Manchester), ce qui comblera un peu le fossé d’incompréhension, les Anglais allant jusqu’à recruter un entraîneur français, Pierre Villepreux en 1995. Il fut naturellement tondu à son retour, rassurez-vous.
Cette époque a laissé une tradition, une rivalité qui fait que vaincre l’autre équipe est un plaisir sans nul pareil, mais la terrible tension 1988-1993 a disparu. On la rejoue pour s’amuser. Il n’empêche : piétiner les Anglais est toujours une coupe d’ambroisie.
Et cette coupe du monde, alors ?
Malgré la joie d’affronter les Anglais, ce match promet peu. L’Angleterre s’est qualifiée aux forceps, tout comme la France. En outre un scandale touche plusieurs de ses joueurs qui sont accusés d’avoir voulu jouer au Directeur du FMI avec une femme de chambre. L’équipe de France ne va guère mieux, qui n’a d’équipe que le nom, car force es tde le constater : l’alchimie n’a pas pris. On a un groupe, pas une équipe, des joueurs talentueux individuellement mais qui ne se parlent pas sur le terrain, qui semblent n’avoir aucune vision du jeu, aucune stratégie de jeu servie par une tactique adéquate sur le terrain. C’est triste à dire, mais celle de ces deux équipes qui ira en demi finale aura volé sa place. Espérons quand même que ce sera la notre.
Nonobstant l’amertume qui m’étreint, je ne jetterai la pierre à personne. Marc Lièvremont a échoué, et sera remplacé après la coupe du monde par Philippe Saint-André, ce qui n’est pas le meilleur moyen de le motiver. On critique beaucoup le professionnalisme, mais les trois grandes équipes du Sud baignent dedans depuis 20 ans et savent jouer au rugby. Le moment le plus douloureux pour moi a été de voir Vincent Clerc intervenir en direct après France-Tonga pour débiter sans conviction un texte convenu selon lequel tout allait bien entre les joueurs et le staff. Je revoyais Ribéry en chaussettes et tongs sur la même chaine il y a un an (vision déjà douloureuse en soi) et ce déni de l’évidence n’est pas le signe d’une prise de conscience du problème.
Mais, comme je vous l’ai raconté, le XV de France a connu des longs hivers, mais toujours suivis de printemps. Je lui pardonnerai toujours tout.
Alors, plus que jamais…
ALLEZ LES BLEUS ! ! !
Mise à jour :Je n’en reviens toujours pas. Non seulement on a battu les Anglais, mais avec l’art et la manière ; surtout en première mi-temps. L’alchimie a pris semble-t-il, en une semaine. Que c’est bon de se tromper.
Bon, le Pays de Galles est sacrément en forme, donc méfiance. Mais on est en demi-finale, avec deux défaites et 96 points encaissés en phase de poule, et quoiqu’il arrive, on a deux matchs à jouer. Ne boudons pas notre plaisir. Bravo les gars, et merci.