Bonjour mes amis. Un peu plus d’une semaine après l’irruption par effraction des droits de la défense dans nos commissariats et gendarmerie, semaine que j’ai en grande partie consacrée à des permanences pour faire face à la mobilisation que cela impose. J’en ai tiré quelque expérience et quelques enseignements, et il est temps de faire un point tous ensemble.
Le début d’une intervention en garde à vue commence comme à l’époque de l’Âge des Ténèbres, cette époque légendaire où les avocats étaient tenus à l’écart des gardes à vue. Un coup de fil de la permanence, l’adresse d’un commissariat, le nom d’un gardé à vue, un numéro de téléphone, le nom de l’Officier de Police Judiciaire en charge du dossier. On confirme à la permanence qu’on y va, elle envoie un fax avec notre nom pour confirmer notre désignation. Nous appelons l’OPJ pour nous assurer que notre client est disponible (il peut avoir demandé à voir un médecin, ce qui à Paris, se fait généralement par une visite à l’Hôtel Dieu, et quand le car de ramassage passe, le gardé à vue doit partir). Tout va bien, le client est là, l’OPj nous attend ? We have a go.
C’est dès l’arrivée au commissariat que les choses changent. En effet, les commissariats ont reçu des instructions du parquet leur disant d’appliquer les dispositions de la loi du 14 avril 2011, par anticipation, et en toute illégalité, puisque cette loi n’est pas en vigueur, et n’est pas conforme à la décision de la Cour de cassation du 15 avril 2011, qui ne permet aucune restriction à l’accès au dossier par l’avocat.
Si l’OPJ doit toujours nous notifier la nature des faits, la date et l’heure présumée de leur commission, il doit également, à notre demande, nous présenter le procès verbal de notification des droits. Ce document a pour intérêt de nous indiquer l’identité complète de notre client, notamment ses coordonnées personnelles, à noter pour la suite. S’il a demandé un avis famille, demandez s’il a été fait, le gardé à vue voudra sûrement le savoir.
C’est à ce moment qu’il convient de demander, courtoisement, à avoir accès au dossier, notamment, mais pas seulement, les PV d’interpellation et d’audition du plaignant et des témoins. On vous le refusera. Dégainez aussitôt votre feuille d’observations et mentionnez ce refus. Vous avez ouvert un boulevard pour une action en nullité de la procédure.
La police a pris l’habitude, je suppose que cela fait partie des instructions reçues, de notifier le droit à l’entretien avec un avocat et le droit à l’assistance comme deux droits séparés. Il peut arriver que l’OPJ vous précise, sans rire, que le gardé à vue souhaite un entretien d’une demi heure avec un avocat n’ayant pas accès au dossier, mais souhaite en revanche être laissé seul et sans assistance pendant les auditions où ses propos vont être recueillis. Bon, c’est de bonne guerre. Au cours de l’entretien, expliquez bien comme il faut au gardé à vue qu’il peut demander à ce que vous restiez à ses côtés pendant l’entretien pour le conseiller et intervenir si l’audition se déroule mal — j’y reviendrai. Précisez bien que c’est gratuit, à un gardé à vue pour outrage à agent qui avait posé la question, les policiers ont répondu “je ne sais pas”. Ce qui est d’autant étrange que les policiers outragés ont, eux, demandé à bénéficier de l’assistance d’un avocat commis d’office, et avaient l’air parfaitement au courant de la gratuité pour eux de cette intervention. Le surmenage, sans doute.
Le gardé à vue, ainsi éclairé, vous confirmera s’il souhaite bien bénéficier du tête à tête à huis clos avec l’OPJ ou si tout compte fait votre présence lui apparaît souhaitable. S’il change d’avis (ce qui arrive dans environ 100% des cas), mentionnez-le sur votre feuille d’observations.
Le contenu de cet entretien est totalement bouleversé par rapport à celui de l’Âge des Ténèbres. Auparavant, les faits ne devaient pas être abordés. Inutile et pas le temps. C’était un cour accéléré de procédure pénale : qu’est-ce qu’une garde à vue, qu’est-ce que le délit qu’on lui reproche (une escroquerie ou un recel, ce n’est pas évident à comprendre), que peut-il se passer à la fin de cette garde à vue (remise en liberté avec ou sans convocation, défèrement pour placement sous contrôle judiciaire, comparution immédiate ou mise en examen), et s’assurer que la garde à vue se passait dans des conditions normales (cet aspect n’a pas disparu, les anomalies doivent être notées : repas, client qui grelotte de froid, etc). Désormais, les faits doivent être abordés pour préparer l’audition. Attention, en garde à vue plus que jamais, le client aura la tentation de vous mentir, de minimiser les faits. Parce qu’une seule question lui brûle les lèvres, et vous l’entendrez sans doute à chaque fois : “Vais-je finir en prison et combien je risque ?” Gardez toujours à l’esprit qu’entre ce que vous dit le client et ce qu’il déclarera lors de l’audition, il peut y avoir des changements. Visage de Sphinx.
S’agissant des auditions, l’OPJ vous indiquera l’heure à laquelle il pense procéder. Ce sera juste après l’entretien de garde à vue, le plus souvent, mais parfois une perquisition doit avoir lieu et nous n’avons pas à y assister, puisque les déclarations de nos clients n’ont pas à être reçues à cette occasion. Rappelez-leur que tout ce qu’ils ont à dire quand on leur présente un objet, c’est si c’est à eux ou pas. Voire rien du tout, droit de garder le silence. Notons que le Bâtonnier de Paris ne partage pas mon opinion là-dessus et estime que l’avocat doit pouvoir assister à la perquisition. Comme je ne saurais avoir raison contre mon Bâtonnier bien-aimé, je vous invite à demander à assister à la perquisition et à mentionner le refus qui vous sera immanquablement opposé.
Une question se pose : faut-il porter la robe lors de ces auditions. L’Ordre des avocats de Paris répond par la négative, mais sans en donner les raisons. Je disconviens respectueusement. L’article 3 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que nous portons notre costume “dans l’exercice de nos fonctions judiciaires”. Or la garde à vue fait à présent partie intégrante de la procédure. En comparution immédiate, elle constitue même la totalité du dossier sur lequel s’appuie le parquet. En outre, en audition, nous défendons, nous sommes avocats. La robe me paraît s’imposer. Je la mettrai donc en ce qui me concerne et vous encourage à faire de même.
Au cours de l’audition, nous sommes assis à côté de notre client, comme dans un cabinet de juge d’instruction, en somme. La différence est que les bureaux des policiers sont généralement communs à trois fonctionnaires, qui parfois travailleront sur leurs propres dossiers. J’ai eu ainsi à assister un gardé à vue tandis que derrière moi une plaignante déposait sa plainte, et qu’à ma gauche, deux policiers discutaient boulot. Avec en prime une radio en fond sonore (Chante-France). Ça demande une certaine capacité de concentration.
Parfois, vous serez placé de façon à pouvoir lire le PV en cours de rédaction. C’est une bonne place, puisque cela vous permet d’intervenir si vous constatez une erreur ou un oubli. Ignorez les fautes d’orthographe, c’est vexant et un PV sans faute d’accord du participe passé devrait selon moi être annulé pour vice de forme.
À cette occasion, vous découvrirez avec effroi que les PVs sont tapés avec un logiciel de traitement de texte spécial fonctionnant sous MS-DOS. Tellement dépassé qu’il n’intègre même pas la souris. Ainsi, un simple copier-coller suppose pas moins de 11 opérations au clavier, j’ai compté. Mon téléphone a un traitement de texte plus perfectionné.
Durant l’audition, vous devez être stylo à la main, avec à portée de la main votre feuille d’observations pour ce que vous voulez voir mentionné au dossier, et un carnet de notes pour tout ce que vous souhaitez noter à votre attention pour plus tard. Attention à ne pas confondre.
Vient enfin la question centrale : intervenir ou se taire ? La réponse est bien sûr : intervenir chaque fois qu’on l’estime nécessaire. Nous exerçons les droits de la défense, par Portalis ! Cela provoquera des incidents, parce que les instructions du parquet, se référant à une disposition de la loi du 14 avril 2011, affirment que l’avocat doit rester taisant.
À cela je répliquerai que la loi du 14 avril 2011 n’est pas entrée en vigueur, c’est pour le 1er juin. Et qu’à cette date, nous pourrons contester cette disposition par la voie d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (l’opposition n’ayant pas cru utile de soumettre cette loi au contrôle de constitutionnalité) et devant les juridictions en soulignant qu’elle viole manifestement l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et est contraire aux arrêts de la Cour de cassation du 15 avril qui exige que les droits reconnus par la Convention soient réel et effectifs ; or la Convention n’exige pas la présence d’un avocat comme une plante verte. Que le parquet n’a aucun droit et encore moins de légitimité à limiter l’exercice de la défense. Bref, il n’y a aucune base légale solide pour nous imposer le silence, et il est hors de question que nous l’acceptions.
Pourquoi et quand intervenir ?
À bon escient, bien sûr. Il est hors de question de répondre à la place du client. Sauf à accepter d’être condamné à sa place. Nous devons intervenir si le ton du policier est déplacé (n’hésitez pas à noter sur vos observations les sarcasmes de l’OPJ qu’il oublierait de noter au PV), ou si la question est piégeuse. Ainsi, je n’ai aucun problème de principe à ce que mon client réponde sur ce qu’il a vu ou entendu, dit, ou fait. Mais je refuse qu’il réponde à des questions du style “Pourquoi M. Machin dit-il que c’est vous qui avez commis les faits ?” Cette question est manifestement destinée à M. Machin, mon client n’est pas télépathe, ce n’est pas parce que c’est lui et non M. Machin qu’on a sous la main qu’il faut lui poser cette question. Droit de garder le silence, il n’y a pas de bonne réponse. J’ai eu un policier qui est allé jusqu’à demander à mon client pourquoi une rumeur courait dans le quartier sur sa culpabilité ! Et l’OPJ de s’étonner que je dise à mon client de ne pas répondre !
J’ai eu des incidents assez sérieux à l’occasion de mes interventions. Je vais vous en démontrer l’absurdité. Pour prévenir des situations où la tension monterait de manière exagérée (ce que j’appelle un Moment Synergie), je conviens lors de l’entretien confidentiel avec le gardé à vue d’un signal discret signifiant : “Refusez de répondre à cette question”. Si l’OPJ s’offusque de mon intervention et que cela risque de provoquer un Moment Synergie, je fais semblant de céder, et je continue avec mon signal discret. Donc j’exerce mon travail de surveillance des questions, mais le policier perd du coup la possibilité de mentionner au procès verbal “Maître Eolas intervient pour dire à son client de refuser de répondre”. Le PV perd en sincérité, alors que je suis prêt à expliquer devant le juge pourquoi je suis intervenu en ce sens. Vous voyez, refuser à l’avocat d’intervenir, c’est nuire à la vérité de la procédure. Autant que tout soit fait dans la plus grande transparence.
Les interventions doivent être limitées au strict nécessaire mais avoir lieu chaque fois que nécessaire. Il va falloir se battre pour imposer cela. Mais là encore, nous aurons gain de cause, c’est inéluctable.
De manière générale, demandez à pouvoir exercer pleinement les droits de la défense. Et mentionnez cette demande et son refus dans vos observations. certains OPJ font une application littérale de la loi de façon à entraver la défense. Ainsi, la loi pas encore en vigueur précise que le droit pour l’avocat de s’entretenir avec son client ne peut excéder trente minutes par période de 24 heures de garde à vue. J’ai eu un dossier où j’ai été appelé pour une deuxième audition une heure avant le renouvellement de la garde à vue. J’ai demandé à pouvoir consulter le dossier pour voir les éléments nouveau depuis la première audition la veille, refus mentionné dans mes observations, conclusions en nullité à venir. L’audition a lieu, je découvre en même temps que mon client les nouveautés. Puis une fois celui-ci entendu sans avoir pu préparer ce nouvel interrogatoire, on a notifié à mon client la prolongation de sa garde à vue et, après 10 minutes d’attente inutile pour que la grande aiguille soit sur le bon chiffre, j’ai enfin pu m’entretenir seul avec mon client. Ah bah c’est trop bête, l’audition a déjà eu lieu et c’était la dernière prévue. Voilà typiquement un cas d’usage de la procédure pour entraver la défense. Aucun juge d’instruction en France n’aurait seulement l’idée de refuser à un avocat la possibilité de s’entretenir le temps nécessaire avec son client. Il y a des OPJ qui font en sorte que ce soit le cas. Face à cela, il faut faire usage de la seule arme à notre disposition : le droit de garder le silence. Il faut dire à notre client de refuser de répondre à quelque question que ce soit sans avoir pu s’entretenir avec nous, quitte à attendre la prolongation (qui est de toutes façons déjà décidée depuis longtemps). Il faut que le client nous fasse confiance, il subit une pression terrible. Quand on est choisi, cette confiance existe. Quand on est commis d’office, il y a toujours le doute sur la compétence d’un avocat gratuit. Il faut bien préparer le client à un éventuel rapport de force.
Enfin, pour Paris, informez votre client que s’il le souhaite, il peut demander à ce que vous le défendiez en cas de suites judiciaires. L’Ordre accepte désormais le droit de suite (il se demande par fax au Bureau pénal), et c’est un vrai plus pour le client, puisqu’on connaît déjà le dossier. Mais c’est lui qui décide, hors de question de faire pression sur lui à cette fin.
N’oubliez pas le délai de carence : l’OPJ doit vous contacter avec deux heures d’avance qu’une audition va avoir lieu. Dès lors que vous avez été informé, il peut commencer à l’heure dite même si vous n’êtes pas là. La ponctualité est plus que jamais une obligation.
Enfin, nonobstant le ton parfois offensif que je peux avoir, n’oubliez pas que nous ne sommes pas là pour saboter la procédure. Les OPJ le font très bien tout seul. Au contraire, nous devons faire en sorte de faciliter l’organisation de l’enquête, en nous rendant disponibles à toute heure. Rappelons aussi une évidence : convaincre un client qui s’enferre dans un déni inutile car contre toutes les preuves et les faits de limiter les dégâts en assumant sa responsabilité, c’est aussi défendre. Ce qui démontre une fois de plus l’absurdité de nous refuser l’accès au dossier, car dans le doute, je conseille toujours le silence.
Nous sommes dans une phase d’adaptation. Elle est très difficile pour les policiers, qui n’ont pas été préparés à ce changement et manquent d’instructions claires et cohérentes, et doivent y faire face livrés à eux même. Nous leur sommes imposés dans leurs bureaux, c’est nouveau et perturbant. Ils méritent notre compréhension, et surtout notre respect et notre courtoisie. Il y aura assez d’incompréhensions et de malentendus naturellement pour en rajouter par un comportement déplacé. Il va nous falloir apprendre à nous connaître et à nous faire confiance. Dans un an, la routine se sera installée, et ils se demanderont comment on faisait avant. En attendant, les principes essentiels de notre profession de tact et de courtoisie sont plus indispensables que jamais.