La réforme voulue par le président de la République… non, pas la suppression du juge d’instruction, l’autre : l’instauration de jurés dans les tribunaux correctionnels, cette réforme disais-je est sur le point de paraître au jour. Le projet devrait bientôt être présenté en Conseil des Ministres (on parle de la semaine prochaine) et les grandes lignes en ont habilement fuité auprès de la presse. Jean-Philippe Deniau, chroniqueur judiciaire à France Inter, a révélé ces grandes orientations dans son émission du 11 mars dernier, que je m’en vais reprendre ici pour l’édification des mes quelques lecteurs qui n’étaient pas l’oreille collée à leur transistor ce vendredi là à 6h24, et dont l’ignorance est sans excuse, l’émission étant podcastable.
Les jurés seraient au nombre de deux, et siégeraient avec un tribunal correctionnel en formation collégiale, soit trois magistrats, dont au moins un ayant rang de vice-président, portant le nombre des juges à cinq. Ils n’interviendraient que pour des dossiers de violences volontaires, de vol avec violences et d’agression sexuelle. Les autres atteintes aux biens et surtout les dossiers économiques et financiers seraient exclus. La sélection des jurés se ferait par tirage au sort sur les listes électorales, selon le mode de sélection des jurés d’assises en vigueur depuis 1978 et que j’ai détaillé ici.
Sauf erreur de ma part, aucune allusion n’a été faite à la présence de jurés pour les juridictions d’application des peines.
Enfin, 120 millions d’euros seront consacrés à cette réforme.
Sur ces fonds, je veux croire qu’il s’agira d’une rallonge au budget de la justice et non des fonds pris ailleurs. Ce qui permettra au Gouvernement de pavaner en vantant cette augmentation de 1,7% du budget de la Justice sans qu’un centime supplémentaire ne soit consacré au fonctionnement quotidien des juridictions. J’ajoute que les experts judiciaires qui voient leurs prestations impayées depuis parfois plusieurs années apprécieront le sens des priorités budgétaires du Gouvernement.
Sur la réforme elle-même, je relève, à l’instar de Jean-Philippe Deniau, que la montagne a accouché d’une souris. Le principal point qui fait de cette réforme annoncée à cor et à cri une réformette sans portée est le faible nombre des jurés.
Rappelons qu’à la Cour d’assises, le jury, composé de 9 jurés, 12 en appel, est majoritaire, et même d’une majorité écrasante (neuf sur douze en première instance, douze sur quinze en appel). Le jury peut mettre les magistrats en minorité. Et même assez facilement pour emporter une décision favorable à l’accusé en raison de la règle de la majorité qualifiée (aucune règle similaire n’est prévue en correctionnelle, où la majorité simple prévaudra donc). En correctionnelle, rien de tout cela : le jury sera minoritaire : deux sur cinq. Outre son faible poids en voix, l’influence psychologique des magistrats professionnels sera difficile à contester. L’argument que des soutiens à cette réforme pouvaient avancer du contrôle direct des citoyens est ainsi balayé : de contrôleurs, les citoyens sont réduits au rôle de simples spectateurs. Difficile de ne pas y voir malgré tout une trace de défiance à l’encontre de ces jurés, qui au besoin peuvent être neutralisés par les juges professionnels. Comme quoi ils ne semblent pas si mauvais que ça…
Là où l’action brouillonne du Gouvernement a un effet involontairement cocasse est qu’on se propose de permettre aux citoyens de donner leur avis sur les délits de violences volontaires, car il est important que le citoyen puisse prendre une part active, et qu’en même temps on vote une loi (art. 37 de la loi n°2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) qui impose des peines planchers sur les délits de violences volontaires même pour un premier délit. C’est à dire qu’on va permettre au citoyen de donner son avis, tout en lui imposant cet avis par la loi. C’est ce qu’on appelle de la cohérence dans l’action.
De même, Jean-Paul Garraud, député UMP avait déposé il y a un an tout juste (le 1er avril, c’était prédestiné) une proposition de loi très détaillée, au point que je me permets de douter que ce député en soit le seul auteur, visant à supprimer le jury criminel en première instance aux assises. Ce jury criminel en première instance était alors enterré avec cette épitaphe figurant dans l’exposé des motifs :
Ce système de double cour d’assises s’avère en effet extrêmement lourd. Il est sans aucun doute coûteux. Il mobilise beaucoup d’énergie, de temps et d’argent. Surtout, en raison de sa lourdeur, il contraint trop souvent les juges et les procureurs à contourner ce qui constitue une difficulté, en fait, insurmontable.
Lourd, coûteux, gaspillant de l’énergie, du temps, de l’argent, au point d’être une difficulté insurmontable ? Voilà d’excellentes raisons de l’introduire en correctionnelle !
Je ne peux non plus m’empêcher de noter que s’il est importantissime que le peuple puisse donner son avis en matière correctionnelle, on s’abstient néanmoins de le lui demander pour toutes les qualifications qui sont susceptibles de couvrir le financement occulte des partis et la corruption de la vie publique. Le sens du sacrifice de nos élus, qui renoncent à cette garantie que constitue le jury populaire, force l’admiration.
Rappelons pour finir que cette réforme a jailli du chapeau présidentiel le 3 février dernier lors d’une table ronde à Orléans. Et je dis bien jailli du chapeau, car la page consacrée à cette table ronde sur la prévention de la délinquance, mise en ligne le jour même et donc préparée à l’avance, ne mentionne absolument pas cette réforme pourtant de taille dans la rubrique “annonces du président de la République”. Moralité : il y a gros à parier (au hasard, 120 millions d’euros) que cette idée est née le jour même dans le trajet entre Paris et le Loiret, et a dû déclencher un certain vent de panique à la Chancellerie.
Voilà comment on réforme la Justice en France. Voilà pourquoi vous me permettrez d’être peu enthousiasmé par cette réforme.