Il est un rapport qui est passé tellement inaperçu qu’il a même fallu une insistance syndicale particulière pour qu’il soit publié : il s’agit du rapport du Conseil Supérieur de la Magistrature[1] rendu le 21 mars 2011 dans le cadre de l’affaire de Pornic, suite à sa saisine par le Garde des Sceaux, conformément à l’article 65 de la constitution de 1958, tel que modifié par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008. En effet, il était auparavant arrivé que la Conseil Supérieur de la Magistrature donne spontanément son avis sur le fonctionnement de l’institution judiciaire, et particulièrement des entraves qui pouvaient voir le jour suite à des interventions politiques. Cette liberté a paru si démocratiquement honteuse que la réforme constitutionnelle de 2008 a estimé nécessaire de ne plus permettre au CSM d’intervenir hors saisine du Garde des Sceaux.
Suite au mouvement des fonctionnaires et magistrats du ministère de la Justice, après les propos du Président de la République sur les dysfonctionnements judiciaires ayant selon lui conduit au meurtre de Laëtitia Perrais, le Ministre de la Justice s’était engagé à saisir le CSM d’une demande d’avis portant sur deux questions principales :
- la qualité du suivi des personnes condamnées, élément fondamental de la lutte contre la récidive.
- l’exercice par les chefs de juridiction et de Cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci.[2].
Le rapport du CSM ne traitera pas la seconde question, précisant que la question de la répartition des compétences entre Premier Président de Cour d’Appel et Président de TGI est d’une telle importance qu’elle mérite à elle seule un rapport annuel.
Quant au traitement de la première question, le Conseil n’a pas attendu la deuxième page de son rapport pour ouvrir la boîte à gifles. Je ne sais pas si les membres du CSM renouvelé suite à la réforme constitutionnelle de 2008, et sur la nomination desquels des critiques ont pu être faites, ont voulu immédiatement marquer leur indépendance, mais je dois reconnaître que la lecture de leur avis est plus que réjouissante.
A titre préliminaire, le Conseil rappelle en effet que “le respect du principe de la présomption d’innocence, garanti par la Déclaration de droits de l’Homme et du Citoyen et le code de procédure pénale, s’impose à l’égard de toute personne mise en cause dans une affaire criminelle tant qu’elle n’a pas été jugée”. Si ça, ce n’est pas un message directement adressé au garant de l’indépendance de la Justice, je ne sais pas ce que c’est. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’il parlait d’un présumécoupable…
Concernant le fonctionnement des juridictions, le CSM débute par un rappel salutaire : en matière de récidive, d’exécution et d’application des peines, 11 rapports se sont succédé entre 2002 et 2011. On a beau savoir depuis Clémenceau que lorsque l’on veut enterrer un problème, on créé une commission, qui pondra un rapport, cela commence à faire beaucoup. Et ce d’autant plus que selon le Conseil, une des rares dispositions reprise dans une loi a consisté à “inclure la prévention de la récidive dans la définition des missions des services pénitentiaires d’insertion et de probation”. De l’aspect magique de la loi… Et le Conseil de proposer qu’il soit établi une liste des recommandations déjà formulées et d’assurer la mise en œuvre de celles qui le méritent. Ou comment expliquer calmement qu’un énième rapport ne présente qu’un intérêt plus que relatif, et qu’appliquer les précédents serait déjà une bonne chose.
Le Conseil souligne ensuite que pour une lutte efficace contre la récidive, il conviendrait qu’existe une réelle stabilité législative, ce qui n’est plus le cas depuis quelques années, pointant la “succession trop rapide des textes”. On ne saurait mieux dire.
Une fois ces critiques faites (et bien faites), le rapport reprend à son compte différentes propositions qui avaient déjà pu être formulées, concernant la lutte contre la récidive. Il y souligne particulièrement une “recherche en criminologie” accrue, afin de mieux détecter la dangerosité criminologique des condamnés, qui ne peut se réduire à la dangerosité psychiatrique, concept plus restreint, puisque reposant essentiellement sur la recherche d’une pathologie mentale. Le Conseil ne met cependant en exergue que le manque de formation des conseillers d’insertion et de probation, ce qui me paraît trop limité. En effet, sauf changement intervenu depuis ma propre formation, l’ENM ne forme pas les futurs magistrats à la criminologie, ce qui est regrettable. Pas même une formation du Cesare Beccaria, que tout magistrat pénaliste se doit cependant d’étudier. La formation à la criminologie devrait également être proposée à tous les personnels pénitentiaires, et notamment aux directeurs et chefs de service, appelés à donner leur avis sur les aménagements de peine des personnes incarcérées. Sauf erreur de ma part, je ne crois pas que cela soit actuellement le cas à l’ENAP.
Suivent quatre propositions portant sur la nécessité de suivis pluridisciplinaires des condamnés, l’augmentation des moyens humains et matériels afin d’assurer efficacement ce suivi, et le nombre de médecins coordonnateurs, notoirement insuffisants en matière de suivi des délinquants et criminels sexuels. Bref, la reprise quasi intégrale des demandes portées par les syndicats depuis des années, et à nouveau malheureusement remise à l’ordre du jour suite au drame de Pornic.
Face à cette mise en cause claire et précise que la Chancellerie a tenté de camoufler, voici la réponse du Ministère, qui se passe de commentaire :
Communiqué de la Chancellerie
07 avril 2011
Avis du CSM relatif au fonctionnement de la Justice
La qualité du suivi des personnes condamnées et l’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci.
Après avoir pris connaissance des rapports des inspections diligentées à Nantes à la suite du meurtre de Laëtitia Perrais, et en vertu de l’article 65 de la Constitution, Michel Mercier, Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés, a saisi le 22 février 2011 la formation plénière du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) d’une demande d’avis relative au fonctionnement de la Justice.
Les deux rapports d’inspection, celui de l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) concernant le service de l’application des peines du tribunal de grande instance de Nantes, et celui de l’Inspection des services pénitentiaires relatif aux conditions de prise en charge de Tony Meilhon par le service d’insertion et de probation de Loire-Atlantique, ont été communiqués au CSM.
Dans sa saisine, le Garde des Sceaux rappelait en particulier les éléments mis en lumière par le rapport de l’IGSJ :
difficultés quant à la prise en compte et au relais par les chefs de juridiction et de cour des demandes de renfort en effectifs exprimées par les magistrats du service de l’application des peines, délégation par le président du tribunal de grande instance de Nantes de ses responsabilités d’administration de la juridiction à sa principale collaboratrice, carences dans la validation des orientations définies par ce service, insuffisante coordination entre les juges de l’application des peines et le service pénitentiaire d’insertion et de probation.
Dans son avis rendu le 21 mars 2011, le CSM a souhaité distinguer deux aspects :
- la qualité du suivi des personnes condamnées,
- l’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci.
Sur la qualité du suivi des personnes condamnées :
- Le CSM établit la liste des différents rapports établis depuis 2002 sur la récidive et préconise un suivi des recommandations qui en sont issues. Il relève 5 thématiques ayant fait l’objet de développements et de préconisations dans les deux rapports d’inspection, qui lui paraissent intéresser et impacter le fonctionnement des juridictions :
* la formation à la recherche en criminologie,
* la nature du suivi par une équipe pluridisciplinaire,
* les moyens humains du suivi des personnes condamnées,
* le nombre des médecins coordonnateurs,
* les moyens matériels.
Sur l’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci :
Le Garde des Sceaux souhaitait connaître les préconisations du CSM afin d’améliorer l’exercice par les chefs de juridiction et de cour de leur responsabilité dans l’administration et la gestion de celles-ci et sollicitait particulièrement son avis :
* sur la possibilité, pour le président d’une juridiction de déléguer ses attributions en la matière,
* sur le rôle des chefs de cour au regard de leur faculté de recourir à l’emploi de vacataires, à l’affectation de magistrats placés ou à la délégation de magistrats de leur cour,
* sur les obligations incombant aux chefs de juridiction et de cour en matière de contrôle des modalités d’organisation décidées par les services de leur ressort.
En vertu de l’article 65 de la Constitution, le pouvoir de nomination des premiers présidents et des présidents de tribunaux de grande instance appartient en effet au CSM, dans sa formation compétente à l’égard des magistrats du siège. Cette même formation statue également comme conseil de discipline des magistrats du siège.
Le CSM relève que l’ensemble de ces questions porte sur le rôle et les missions de premiers présidents des cours d’appel ainsi que sur les compétences respectives du premier président et du président.
Il a toutefois estimé que l’importance de ces questions justifiait qu’elles soient traitées dans un futur rapport annuel qui leur serait consacré.
On mesure à la lecture du communiqué la parfaite analyse de la Chancellerie des critiques émises par la plus haute instance de régulation de la Magistrature. Qui s’en étonnera ?
Notes
[1] N’y cherchez pas le rapport, il ne s’y trouve pas
[2] Il était notamment reproché dans le rapport de l’inspection générale des services judiciaires au président du TGI de Nantes d’avoir trop délégué à sa première vice-présidente
Ce billet, écrit à 10:00 par Gascogne dans la catégorie Commensaux
a suscité :
Bonjour mes amis. Un peu plus d’une semaine après l’irruption par effraction des droits de la défense dans nos commissariats et gendarmerie, semaine que j’ai en grande partie consacrée à des permanences pour faire face à la mobilisation que cela impose. J’en ai tiré quelque expérience et quelques enseignements, et il est temps de faire un point tous ensemble.
Le début d’une intervention en garde à vue commence comme à l’époque de l’Âge des Ténèbres, cette époque légendaire où les avocats étaient tenus à l’écart des gardes à vue. Un coup de fil de la permanence, l’adresse d’un commissariat, le nom d’un gardé à vue, un numéro de téléphone, le nom de l’Officier de Police Judiciaire en charge du dossier. On confirme à la permanence qu’on y va, elle envoie un fax avec notre nom pour confirmer notre désignation. Nous appelons l’OPJ pour nous assurer que notre client est disponible (il peut avoir demandé à voir un médecin, ce qui à Paris, se fait généralement par une visite à l’Hôtel Dieu, et quand le car de ramassage passe, le gardé à vue doit partir). Tout va bien, le client est là, l’OPj nous attend ? We have a go.
C’est dès l’arrivée au commissariat que les choses changent. En effet, les commissariats ont reçu des instructions du parquet leur disant d’appliquer les dispositions de la loi du 14 avril 2011, par anticipation, et en toute illégalité, puisque cette loi n’est pas en vigueur, et n’est pas conforme à la décision de la Cour de cassation du 15 avril 2011, qui ne permet aucune restriction à l’accès au dossier par l’avocat.
Si l’OPJ doit toujours nous notifier la nature des faits, la date et l’heure présumée de leur commission, il doit également, à notre demande, nous présenter le procès verbal de notification des droits. Ce document a pour intérêt de nous indiquer l’identité complète de notre client, notamment ses coordonnées personnelles, à noter pour la suite. S’il a demandé un avis famille, demandez s’il a été fait, le gardé à vue voudra sûrement le savoir.
C’est à ce moment qu’il convient de demander, courtoisement, à avoir accès au dossier, notamment, mais pas seulement, les PV d’interpellation et d’audition du plaignant et des témoins. On vous le refusera. Dégainez aussitôt votre feuille d’observations et mentionnez ce refus. Vous avez ouvert un boulevard pour une action en nullité de la procédure.
La police a pris l’habitude, je suppose que cela fait partie des instructions reçues, de notifier le droit à l’entretien avec un avocat et le droit à l’assistance comme deux droits séparés. Il peut arriver que l’OPJ vous précise, sans rire, que le gardé à vue souhaite un entretien d’une demi heure avec un avocat n’ayant pas accès au dossier, mais souhaite en revanche être laissé seul et sans assistance pendant les auditions où ses propos vont être recueillis. Bon, c’est de bonne guerre. Au cours de l’entretien, expliquez bien comme il faut au gardé à vue qu’il peut demander à ce que vous restiez à ses côtés pendant l’entretien pour le conseiller et intervenir si l’audition se déroule mal — j’y reviendrai. Précisez bien que c’est gratuit, à un gardé à vue pour outrage à agent qui avait posé la question, les policiers ont répondu “je ne sais pas”. Ce qui est d’autant étrange que les policiers outragés ont, eux, demandé à bénéficier de l’assistance d’un avocat commis d’office, et avaient l’air parfaitement au courant de la gratuité pour eux de cette intervention. Le surmenage, sans doute.
Le gardé à vue, ainsi éclairé, vous confirmera s’il souhaite bien bénéficier du tête à tête à huis clos avec l’OPJ ou si tout compte fait votre présence lui apparaît souhaitable. S’il change d’avis (ce qui arrive dans environ 100% des cas), mentionnez-le sur votre feuille d’observations.
Le contenu de cet entretien est totalement bouleversé par rapport à celui de l’Âge des Ténèbres. Auparavant, les faits ne devaient pas être abordés. Inutile et pas le temps. C’était un cour accéléré de procédure pénale : qu’est-ce qu’une garde à vue, qu’est-ce que le délit qu’on lui reproche (une escroquerie ou un recel, ce n’est pas évident à comprendre), que peut-il se passer à la fin de cette garde à vue (remise en liberté avec ou sans convocation, défèrement pour placement sous contrôle judiciaire, comparution immédiate ou mise en examen), et s’assurer que la garde à vue se passait dans des conditions normales (cet aspect n’a pas disparu, les anomalies doivent être notées : repas, client qui grelotte de froid, etc). Désormais, les faits doivent être abordés pour préparer l’audition. Attention, en garde à vue plus que jamais, le client aura la tentation de vous mentir, de minimiser les faits. Parce qu’une seule question lui brûle les lèvres, et vous l’entendrez sans doute à chaque fois : “Vais-je finir en prison et combien je risque ?” Gardez toujours à l’esprit qu’entre ce que vous dit le client et ce qu’il déclarera lors de l’audition, il peut y avoir des changements. Visage de Sphinx.
S’agissant des auditions, l’OPJ vous indiquera l’heure à laquelle il pense procéder. Ce sera juste après l’entretien de garde à vue, le plus souvent, mais parfois une perquisition doit avoir lieu et nous n’avons pas à y assister, puisque les déclarations de nos clients n’ont pas à être reçues à cette occasion. Rappelez-leur que tout ce qu’ils ont à dire quand on leur présente un objet, c’est si c’est à eux ou pas. Voire rien du tout, droit de garder le silence. Notons que le Bâtonnier de Paris ne partage pas mon opinion là-dessus et estime que l’avocat doit pouvoir assister à la perquisition. Comme je ne saurais avoir raison contre mon Bâtonnier bien-aimé, je vous invite à demander à assister à la perquisition et à mentionner le refus qui vous sera immanquablement opposé.
Une question se pose : faut-il porter la robe lors de ces auditions. L’Ordre des avocats de Paris répond par la négative, mais sans en donner les raisons. Je disconviens respectueusement. L’article 3 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que nous portons notre costume “dans l’exercice de nos fonctions judiciaires”. Or la garde à vue fait à présent partie intégrante de la procédure. En comparution immédiate, elle constitue même la totalité du dossier sur lequel s’appuie le parquet. En outre, en audition, nous défendons, nous sommes avocats. La robe me paraît s’imposer. Je la mettrai donc en ce qui me concerne et vous encourage à faire de même.
Au cours de l’audition, nous sommes assis à côté de notre client, comme dans un cabinet de juge d’instruction, en somme. La différence est que les bureaux des policiers sont généralement communs à trois fonctionnaires, qui parfois travailleront sur leurs propres dossiers. J’ai eu ainsi à assister un gardé à vue tandis que derrière moi une plaignante déposait sa plainte, et qu’à ma gauche, deux policiers discutaient boulot. Avec en prime une radio en fond sonore (Chante-France). Ça demande une certaine capacité de concentration.
Parfois, vous serez placé de façon à pouvoir lire le PV en cours de rédaction. C’est une bonne place, puisque cela vous permet d’intervenir si vous constatez une erreur ou un oubli. Ignorez les fautes d’orthographe, c’est vexant et un PV sans faute d’accord du participe passé devrait selon moi être annulé pour vice de forme.
À cette occasion, vous découvrirez avec effroi que les PVs sont tapés avec un logiciel de traitement de texte spécial fonctionnant sous MS-DOS. Tellement dépassé qu’il n’intègre même pas la souris. Ainsi, un simple copier-coller suppose pas moins de 11 opérations au clavier, j’ai compté. Mon téléphone a un traitement de texte plus perfectionné.
Durant l’audition, vous devez être stylo à la main, avec à portée de la main votre feuille d’observations pour ce que vous voulez voir mentionné au dossier, et un carnet de notes pour tout ce que vous souhaitez noter à votre attention pour plus tard. Attention à ne pas confondre.
Vient enfin la question centrale : intervenir ou se taire ? La réponse est bien sûr : intervenir chaque fois qu’on l’estime nécessaire. Nous exerçons les droits de la défense, par Portalis ! Cela provoquera des incidents, parce que les instructions du parquet, se référant à une disposition de la loi du 14 avril 2011, affirment que l’avocat doit rester taisant.
À cela je répliquerai que la loi du 14 avril 2011 n’est pas entrée en vigueur, c’est pour le 1er juin. Et qu’à cette date, nous pourrons contester cette disposition par la voie d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (l’opposition n’ayant pas cru utile de soumettre cette loi au contrôle de constitutionnalité) et devant les juridictions en soulignant qu’elle viole manifestement l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et est contraire aux arrêts de la Cour de cassation du 15 avril qui exige que les droits reconnus par la Convention soient réel et effectifs ; or la Convention n’exige pas la présence d’un avocat comme une plante verte. Que le parquet n’a aucun droit et encore moins de légitimité à limiter l’exercice de la défense. Bref, il n’y a aucune base légale solide pour nous imposer le silence, et il est hors de question que nous l’acceptions.
Pourquoi et quand intervenir ?
À bon escient, bien sûr. Il est hors de question de répondre à la place du client. Sauf à accepter d’être condamné à sa place. Nous devons intervenir si le ton du policier est déplacé (n’hésitez pas à noter sur vos observations les sarcasmes de l’OPJ qu’il oublierait de noter au PV), ou si la question est piégeuse. Ainsi, je n’ai aucun problème de principe à ce que mon client réponde sur ce qu’il a vu ou entendu, dit, ou fait. Mais je refuse qu’il réponde à des questions du style “Pourquoi M. Machin dit-il que c’est vous qui avez commis les faits ?” Cette question est manifestement destinée à M. Machin, mon client n’est pas télépathe, ce n’est pas parce que c’est lui et non M. Machin qu’on a sous la main qu’il faut lui poser cette question. Droit de garder le silence, il n’y a pas de bonne réponse. J’ai eu un policier qui est allé jusqu’à demander à mon client pourquoi une rumeur courait dans le quartier sur sa culpabilité ! Et l’OPJ de s’étonner que je dise à mon client de ne pas répondre !
J’ai eu des incidents assez sérieux à l’occasion de mes interventions. Je vais vous en démontrer l’absurdité. Pour prévenir des situations où la tension monterait de manière exagérée (ce que j’appelle un Moment Synergie), je conviens lors de l’entretien confidentiel avec le gardé à vue d’un signal discret signifiant : “Refusez de répondre à cette question”. Si l’OPJ s’offusque de mon intervention et que cela risque de provoquer un Moment Synergie, je fais semblant de céder, et je continue avec mon signal discret. Donc j’exerce mon travail de surveillance des questions, mais le policier perd du coup la possibilité de mentionner au procès verbal “Maître Eolas intervient pour dire à son client de refuser de répondre”. Le PV perd en sincérité, alors que je suis prêt à expliquer devant le juge pourquoi je suis intervenu en ce sens. Vous voyez, refuser à l’avocat d’intervenir, c’est nuire à la vérité de la procédure. Autant que tout soit fait dans la plus grande transparence.
Les interventions doivent être limitées au strict nécessaire mais avoir lieu chaque fois que nécessaire. Il va falloir se battre pour imposer cela. Mais là encore, nous aurons gain de cause, c’est inéluctable.
De manière générale, demandez à pouvoir exercer pleinement les droits de la défense. Et mentionnez cette demande et son refus dans vos observations. certains OPJ font une application littérale de la loi de façon à entraver la défense. Ainsi, la loi pas encore en vigueur précise que le droit pour l’avocat de s’entretenir avec son client ne peut excéder trente minutes par période de 24 heures de garde à vue. J’ai eu un dossier où j’ai été appelé pour une deuxième audition une heure avant le renouvellement de la garde à vue. J’ai demandé à pouvoir consulter le dossier pour voir les éléments nouveau depuis la première audition la veille, refus mentionné dans mes observations, conclusions en nullité à venir. L’audition a lieu, je découvre en même temps que mon client les nouveautés. Puis une fois celui-ci entendu sans avoir pu préparer ce nouvel interrogatoire, on a notifié à mon client la prolongation de sa garde à vue et, après 10 minutes d’attente inutile pour que la grande aiguille soit sur le bon chiffre, j’ai enfin pu m’entretenir seul avec mon client. Ah bah c’est trop bête, l’audition a déjà eu lieu et c’était la dernière prévue. Voilà typiquement un cas d’usage de la procédure pour entraver la défense. Aucun juge d’instruction en France n’aurait seulement l’idée de refuser à un avocat la possibilité de s’entretenir le temps nécessaire avec son client. Il y a des OPJ qui font en sorte que ce soit le cas. Face à cela, il faut faire usage de la seule arme à notre disposition : le droit de garder le silence. Il faut dire à notre client de refuser de répondre à quelque question que ce soit sans avoir pu s’entretenir avec nous, quitte à attendre la prolongation (qui est de toutes façons déjà décidée depuis longtemps). Il faut que le client nous fasse confiance, il subit une pression terrible. Quand on est choisi, cette confiance existe. Quand on est commis d’office, il y a toujours le doute sur la compétence d’un avocat gratuit. Il faut bien préparer le client à un éventuel rapport de force.
Enfin, pour Paris, informez votre client que s’il le souhaite, il peut demander à ce que vous le défendiez en cas de suites judiciaires. L’Ordre accepte désormais le droit de suite (il se demande par fax au Bureau pénal), et c’est un vrai plus pour le client, puisqu’on connaît déjà le dossier. Mais c’est lui qui décide, hors de question de faire pression sur lui à cette fin.
N’oubliez pas le délai de carence : l’OPJ doit vous contacter avec deux heures d’avance qu’une audition va avoir lieu. Dès lors que vous avez été informé, il peut commencer à l’heure dite même si vous n’êtes pas là. La ponctualité est plus que jamais une obligation.
Enfin, nonobstant le ton parfois offensif que je peux avoir, n’oubliez pas que nous ne sommes pas là pour saboter la procédure. Les OPJ le font très bien tout seul. Au contraire, nous devons faire en sorte de faciliter l’organisation de l’enquête, en nous rendant disponibles à toute heure. Rappelons aussi une évidence : convaincre un client qui s’enferre dans un déni inutile car contre toutes les preuves et les faits de limiter les dégâts en assumant sa responsabilité, c’est aussi défendre. Ce qui démontre une fois de plus l’absurdité de nous refuser l’accès au dossier, car dans le doute, je conseille toujours le silence.
Nous sommes dans une phase d’adaptation. Elle est très difficile pour les policiers, qui n’ont pas été préparés à ce changement et manquent d’instructions claires et cohérentes, et doivent y faire face livrés à eux même. Nous leur sommes imposés dans leurs bureaux, c’est nouveau et perturbant. Ils méritent notre compréhension, et surtout notre respect et notre courtoisie. Il y aura assez d’incompréhensions et de malentendus naturellement pour en rajouter par un comportement déplacé. Il va nous falloir apprendre à nous connaître et à nous faire confiance. Dans un an, la routine se sera installée, et ils se demanderont comment on faisait avant. En attendant, les principes essentiels de notre profession de tact et de courtoisie sont plus indispensables que jamais.
Par jean Cattan, Allocataire de recherche, Faculté de droit d’Aix-en-Provence, Diplômé du Collège d’Europe
Un arrêt tombe, les commissariats s’effondrent. Les geôles à peine fermées sur tout type de contrevenants s’ouvrent sous un ciel ensoleillé. Les miracles peuvent pleuvoir et la Cour de cassation peut décider de l’application immédiate d’une loi à peine votée.
Non, mes très chers. La Cour de cassation n’a pas décidé de l’application immédiate de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue et devant entrer en vigueur, d’après son article 26, « le premier jour du deuxième mois suivant sa publication au Journal officiel et au plus tard le 1er juillet 2011 ». La Cour de cassation ne fait pas ce genre de choses. Ce qu’elle a fait dans ses quatre arrêts en date du 15 avril 2011 est tout à la fois bien plus classique et bien plus beau.
L’action entreprise par la Cour de cassation tient à son rôle de juridiction nationale devant exercer un contrôle des mesures internes au regard des conventions internationales à laquelle la France est partie. Une mission dévolue à toute juridiction nationale, dite contrôle de conventionnalité et dont le président de la Cour d’appel de Lyon, pour ne prendre que l’affaire le mettant en cause, avait cru pourvoir se défaire. En effet, celui-ci avait considéré d’une part, n’être pas lié par le arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme et d’autre part, que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme n’obligeait pas les États signataires à ce que toute « personne interpellée ne puisse être entendue qu’en présence de son avocat ». Ainsi, la procédure française de garde à vue n’aurait rien eu d’irrégulière. C’était oublier cette longue file d’arrêts rappelant ces droits fondamentaux impartis aux justiciables au titre de l’article 6, paragraphe premier de la Convention précitée.
Lorsque la Cour de cassation casse cette ordonnance au visa de ce même article 6, paragraphe premier, elle l’affuble de l’article 63-4 du code de procédure pénale toujours en vigueur jusqu’à ce que la loi du 14 avril prenne effet. En aucun cas, la Cour de cassation a décidé de l’application immédiate de cette dernière loi. Cela est tout autant valable pour les trois autres affaires concernées. La Cour de cassation n’a fait que ce qu’elle devait faire depuis longtemps. Si une circulaire vient ensuite dire qu’il convient de lire aux personnes interpellées des articles de loi qui n’existent pas encore et qui contiennent quelques uns des droits exigés par le principe du procès équitable, qu’il en soit ainsi. Mais gardons bien à l’esprit que ce texte administratif ne peut lui non plus avancer la date d’entrée en vigueur d’une loi.
Bien mieux que de faire de l’alchimie juridique, par ces quatre arrêts rendus au lendemain de l’adoption de la loi relative à la garde à vue, la Cour de cassation s’inscrit dans un rapport de pouvoirs dont le justiciable sort gagnant. Dans une décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 rendue sur question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel avait déclaré certains pans de notre procédure pénale ici mis en cause incompatible avec notre bloc de constitutionnalité. D’après l’article 2 de cette décision, le législateur avait jusqu’au 1er juillet 2011 pour mettre notre bloc législatif en conformité avec les règles constitutionnelles qui lui sont supérieures.
Cette pratique de diffusion dans le temps des décisions est connue de nombreuses cours constitutionnelles européennes. Le problème s’est d’ailleurs déjà posé de savoir ce qu’il advient pendant ce temps improbable où une disposition considérée comme contraire à ses règles supérieures doit tout de même s’appliquer dans l’attente de jours meilleurs. Comment nos droits reconnus peuvent-ils être garantis au cours de cette période ? Et c’est précisément ici que le contrôle de conventionnalité vient montrer toute sa force. Alors que le Conseil constitutionnel, par peur du vide, diffère dans le temps l’application de ses décisions, le législateur adopte ses maigres réformes. Pendant cet entre-deux, nous justiciables sommes protégés par nos conventions internationales et une fois de plus la Cour de cassation se pose en messagère du front européen de nos libertés.
Note d’Eolas :
le monde judiciaire est vaste, et il inclut la Faculté, dont le point de vue est toujours digne d’attention. Jean Cattan m’a proposé de publier cette tribune, ce que je fais volontiers tant elle me paraît apporter une précision utile sur ce qu’a fait la Cour de cassation, et plus précisément sur ce qu’elle n’a pas fait, à savoir anticiper l’entrée en vigueur de la loi n°2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue. Elle n’en n’avait ni la volonté ni la possibilité. C’est le gouvernement qui, ayant senti le coup venir (la Cour de cassation et la Place Beauvau ont le téléphone), a hâté la promulgation de la loi sur la garde à vue et donné pour instructions à la police d’en appliquer les dispositions pour avoir un cadre juridique.
La Cour de cassation n’a fait que rappeler une évidence que, sans vouloir diminuer son mérite, les avocats répétaient sans cesse depuis 2 ans et demi : la Convention européenne des droits de l’homme s’applique depuis 1974, et elle exige cette intervention immédiate de l’avocat, il n’est plus décemment possible de l’ignorer. Sauf dans les Deux-Sèvres.
Cet arrêt s’inscrit aussi dans ce qu’on appelle à la Faculté le dialogue des juges : une décision, au-delà de ce qu’elle tranche dans le cas particulier qui lui est soumis, contient un message adressé aux autres juges : “voici quelle est mon interprétation de la loi que j’applique, tenez-en compte dans vos décisions”.
Le message est ici fort clair, et repris dans la dernière phrase du communiqué de presse du Premier président :
Les droits garantis par la Convention devant être effectifs et concrets, le principe de sécurité juridique et les nécessités d’une bonne administration de la justice ne peuvent être invoqués pour priver un justiciable de son droit à un procès équitable.
Message adressé à la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, le 19 octobre dernier, avait constaté que la Convention exigeait bien en effet l’intervention d’un avocat tout le long de la garde à vue en France et pas seulement en Turquie, mais eu égard à la décision du Conseil constitutionnel, avait repoussé cette exigence au 1er juillet. Une pierre dans le jardin du Conseil constitutionnel aussi, par ricochet puisqu’il est à l’origine de la décision de repousser dans le temps l’effet des droits de l’homme - une première dans le monde.
Pour ma part, j’ai une belle collection de jugements rejetant mes conclusions de nullité en invoquant justement cet effet différé, suivant en cela les réquisitions du parquet. Cela fait une bonne centaines de juges, une trentaine de procureurs. Je ne tire aucune satisfaction d’avoir eu raison contre tout cet aréopage : il faudrait quand même que les magistrats s’interrogent sur ce qui les a fait passer à côté d’une telle évidence, afin qu’au moins, cela n’arrive plus par la suite. Au hasard, sur le problème de l’accès à l’intégralité du dossier en garde à vue, qui nous est toujours refusé à ce jour, et sur l‘habeas corpus : les arrêts Medvedyev c. France et Moulin c. France posent eux aussi des principes applicables immédiatement.
Ce billet, écrit à 10:36 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit
a suscité :
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 15 avril 2011
M. LAMANDA, premier président
Cassation sans renvoi
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi forme par Mme X…,
contre l’ordonnance rendue le 5 mars 2010 par le premier président de la cour d’appel de Lyon, dans le litige l’opposant au préfet du Rhône, préfecture du Rhône, 106 rue Pierre Corneille, 69419 Lyon cedex 3,
défendeur à la cassation ;
La première chambre civile de la Cour de cassation a, par arrêt du 18 janvier 2011, décidé le renvoi de Parfaire devant l’assemblée plénière ;
La demanderesse invoque, devant l’assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par Me Bouthors, avocat de Mme X…
Des observations complémentaires ont été déposées par Me Bouthors;
Un mémoire en intervention volontaire en demande a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat du syndicat des avocats de France ;
Le rapport écrit de Mme Bardy, conseiller, et I’avis écrit de Mme Petit, premier avocat général, ont été mis à la disposition de Me Bouthors et de la SCP Masse-Dessen et Thouvenin ;
Sur quoi, LA COUR, (…)
Donne acte au syndicat des avocats de France de son intervention ;
Sur le moyen unique pris en sa deuxième branche :
Vu l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de |’homme et des libertés fondamentales, ensemble l’article 63-4, alinéas 1 à 6, du code de procédure pénale ;
Attendu que les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ; que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 5 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ;
Attendu, selon l’ordonnance attaquée rendue par le premier président d’une cour d’appe| et les pièces de la procédure, que Mme X…, de nationalité comorienne en situation irrégulière en France, a été placée en garde à vue le 1er mars 2010 à compter de 11 heures 30 ; qu’elle a demandé à s’entretenir avec un avocat dès le début de la mesure ; qu’elle a été entendue par les fonctionnaires de police de 12 heures 30 à 13 heures 15 ; qu’elle s’est entretenue avec un avocat de 14 heures 10 à 14 heures 30 ; que le préfet du Rhône lui a notifié un arrêté de reconduite à la frontière et une décision de placement en rétention le mêmejour à 15 heures 30 ; qu’i| a saisi un juge des libertés et de la détention d’une demande de prolongation de la rétention pour une durée maximale de 15 jours à compter du 3 mars 2010 a 15 heures 30 ; qu’ayant interjeté appel de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention qui avait accueilli la demande, Mme X….a soutenu qu’elle n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue et durant son interrogatoire par les fonctionnaires de police ;
Attendu que pour prolonger la rétention, l’ordonnance retient que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ne lient que les États directement concernés par les recours sur lesquels elle statue, que ceux invoqués par l’appeIante ne concernent pas I’État français, que la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’impose pas que toute personne interpellée ne puisse être entendue qu’en présence de son avocat et que la garde à vue, menée conformément aux dispositions actuelles du code de procédure pénale, ne saurait être déclarée irrégulière ;
Qu’en statuant ainsi alors que Mme X…. n’avait eu accès à un avocat qu’après son interrogatoire, le premier président a violé les textes susvisés ;
Vu l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;
Et attendu que les délais légaux de rétention étant expirés, il ne reste plus rien à juger ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’ordonnance rendue, entre les parties, le 5 mars 2010 par le premier président de la cour d’appel de Lyon ;
Dit n’y avoir lieu à renvoi ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme X…
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du quinze avril deux mille onze.
Ce billet, écrit à 16:14 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit
a suscité :
Michel Mercier, Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, était ce 13 avril l’invité de France Inter pour présenter un peu plus en détail la réforme annoncée des jurés correctionnels. Des nouveautés sont apparues à cette occasion, le tout lié dans un argumentaire que le ministre a eu un peu la flemme d’apprendre par cœur d’où certaines imprécisions.
Je me propose de commenter ses propos, avec une méthode qui aura le mérite de la simplicité mais qui tord le cou à un millénaire de tradition universitaire : l’ordre chronologique dans lequel les propos ont été tenus. Les propos du ministre sont graissés. Je laisse intentionnellement de côté les propos purement politiques ou de communication, comme l’affirmation purement gratuite que les Français veulent cette réforme au point qu’ils ne parlent que de ça. Quand un ministre affirme entendre ce que disent les Français, c’est qu’il a discuté avec son chauffeur.
Tout d’abord, le ministre a été interrogé en tête à tête par le présentateur par intérim de la matinale, Bruno Duvic.
Les jugements rendus par ces tribunaux renforcés ne seront pas plus sévères.
C’est en effet probable, tous les magistrats ayant siégé aux assises confirment qu’ils n’ont pas constaté d’unanimité répressive chez les jurés, qui aux assises auraient d’ailleurs les moyens d’imposer leurs vues. J’y reviendrai.
Aux assises, les jurés siègent avec les magistrats depuis 1932.
Non, depuis la loi du 25 novembre 1941 (Journal Officiel du 12 décembre). Vous comprendrez vu la date que cette précision n’est pas anodine. Auparavant, le jury criminel français était le même qu’en Angleterre et aux États-Unis : douze hommes délibérant seuls sur la culpabilité, la cour composée de trois juges délibérant seule sur la peine. Mais la crainte de voir des peines sévères frapper des coupables ne méritant pas la sévérité (l’ancien Code pénal prévoyant, voyez-vous ça, des peines plancher), on assistait de plus en plus à des acquittements d’opportunité. La loi avait déjà été modifiée pour permettre au jury de voter les circonstances atténuantes (dont le seul vote sauvait le condamné du risque de la guillotine), mais le régime de Vichy, qui ne se caractérisait pas par sa confiance démesurée dans le peuple a fondu cour et jury en une entité unique, de neuf jurés et trois juges pour garder le nombre douze, dont l’origine est biblique (allusion à la Pentecôte : quand douze hommes de bonne volonté sont réunis, l’Esprit Saint est avec eux).
Cette loi sur le jury de 1941 fait partie des rares lois de l’État Français sauvées de la nullité à la libération. Elle est de fait encore en vigueur aujourd’hui.
Sur le ralentissement du rythme des jugements
En effet, Jean-Paul Garraud fait dans la démesure dans sa critique, mais on a l’habitude de son caractère histrionique. Une audience ordinaire en collégiale (3 juges) peut espérer juger une dizaine d’affaires simples dans des conditions à peu près satisfaisantes, une quinzaine dans des mauvaises conditions (comme les comparutions immédiates), au-delà risque de sombrer dans le sordide et les juges décident généralement de renvoyer d’office les affaires surnuméraires avec une remarque glaciale au parquet qui décide du nombre d’affaires à juger par audience. Je n’imagine pas qu’en une après midi, le tribunal correctionnel renforcé puisse juger plus de 5-6 affaires.
Les moyens nécessaires seront affectés à cette réforme
Le ministre finira par s’agacer du caractère répétitif de cette question et des réactions dubitatives que ses affirmations réitérées provoqueront. Mais le manque dramatique de moyens de la justice est désormais bien connu, je comprends donc cette réticence et la partage pleinement. Notamment la centaine de magistrats recrutés annoncée aura pour effet d’équilibrer le nombre de magistrats recrutés en tout et ceux partant à la retraite. J’ai donc du mal à les considérer comme des magistrats supplémentaires pouvant sans dommages être affectés à cette tâche nouvelle.
Les questions techniques, comme les nullités de procédure, resteront réservées aux magistrats professionnels.
C’est le cas devant la cour d’assises, pour des raisons évidentes de technicité mais aussi parce que les jurés ne s’expriment aux assises que par un vote à bulletin secret, qui suppose une réponse binaire incompatible avec un débat sur, au hasard, la conformité du contrôle de la garde à vue par le seul parquet avec la convention européenne des droits de l’homme. Néanmoins, le projet de loi prévoit des assesseurs pour l’application des peines, ce qui est un peu contradictoire, car la matière est très technique.
L’entrée en vigueur sera progressive et commencera par une phase d’expérimentation dans le ressort de deux cours d’appel de taille différente.
Je vais solliciter mes taupes pour savoir lesquelles sont les heureuses élues. Je note en tout cas qu’une superbe porte de sortie est aménagée, puisque l’entrée en vigueur généralisée est reportée au delà de la fin du monde les élections présidentielles de 2012 — on nous avait promis des jurés « avant l’été »— ce qui en cas de changement de majorité veut dire enterrement de première classe et en cas de stabilité politique permet de changer d’avis sans perdre la face. Une réforme qu’on lance une patte en avant et l’autre déjà sur le recul ne paraît pas promise à une espérance de vie bien longue.
On va créer des tribunaux correctionnels pour mineurs de 16 à 18 ans récidivistes.
Une vieille lune de ce gouvernement, qui partage avec certains de mes clients une certaine obsession morbide pour la jeunesse. Actuellement, les mineurs —le droit pénal parle d’enfants— sont jugés par deux juridictions : le juge des enfants statuant seul en audience de cabinet (comprendre : dans son bureau) quand il s’agit de prononcer des mesures éducatives, qui sont des sanctions pénales pouvant être très contraignantes, mais où la finalité éducative est dominante, ou le tribunal pour enfants quand le prononcé d’une peine comme de la prison est envisagé. Le tribunal pour enfants est présidé par un juge pour enfants assisté de deux assesseurs non juges, choisis parmi des personnalités qualifiées ayant démontré leur intérêt pour les affaires de l’enfance. Les mineurs de 16 à 18 ans ayant commis un crime relèvent de la cour d’assises des mineurs, qui a pour particularité de siéger à huis clos, et d’avoir des juges assesseurs pris parmi les juges pour enfants.
Là, je ne comprends pas. Cette nouvelle juridiction spéciale aurait pour seule spécificité d’écarter les assesseurs du tribunal pour enfants pour les remplacer par des juges professionnels. je soupçonne aussi que ce tribunal pourra statuer dans une sorte de comparution immédiate pour mineurs, qui est une obsession récurrente de ce gouvernement depuis des années. J’aimerais qu’on m’explique la cohérence de vouloir adjoindre aux juges professionnels des citoyens assesseurs en correctionnelle pour les majeurs et dans la même loi virer les citoyens assesseurs du tribunal pour enfants dès lors que les faits sont graves. C’est donc qu’on craint leur trop grande clémence ? Mais on nous assure que les citoyens assesseurs en correctionnelle ne seront pas plus sévères ! Ajoutons à cela que les peines plancher créées en août 2007 s’appliquent aux mineurs, donc que la loi impose déjà une sévérité minimale en cas de récidive. Si quelqu’un trouve la logique interne, ses parents l’attendent à l’entrée du magasin.
C’est la loi du 12 avril 1906, et non l’ordonnance du 2 février 1945, qui a créé la spécificité du droit pénal des mineurs.
L’histoire du droit est une matière très noble. Mais on ne déchoit pas à la travailler. La loi du 12 avril 1906 fait 3 articles et n’a eu qu’un seul effet, certes notable : passer la majorité pénale fixée à 16 ans sous la révolution (Code pénal de 1791, repris dans le Code pénal de 1810 à 18 ans (la majorité civile n’a été fixée à 18 ans qu’en 1974). Elle n’a rien changé au régime pénal applicable aux mineurs, qui a essentiellement été fixé par la loi du 5 août 1850.
Cette loi créait les maisons de correction qui accueillaient les mineurs punis de six mois de prison au plus ou enfermés au titre de la correction paternelle. Le père avait en effet le pouvoir de faire enfermer ses enfants mineurs : un mois s’ils avaient moins de 16 ans, sans que le juge puisse y redire quoi que ce soit, et jusqu’à 6 mois de 16 à 21 ans, mais le juge pouvait refuser ou raccourcir cette période : art. 376 et suivants du Code Napoléon.
Outre les établissement pénitentiaires, se trouvaient les colonies pénitentiaires, les tristement célèbres “bagnes pour enfants”, comme la fameuse colonie de Mettray fondée en 1834, ou celle de Belle-Île-En-Mer, qui accueillent les mineurs dont la peine est comprise entre six mois et deux ans. En 1934, une révolte des enfants détenus suite au passage à tabac de l’un d’eux par les gardiens a donné lieu à une prime de 20 francs à quiconque capturerait un fugitif. Jacques Prévert, bouleversé par ce spectacle de battues, composa à cette occasion son célèbre poème La Chasse à l’Enfant.
Enfin, les colonies correctionnelles accueillent, si j’ose dire, les mineurs condamnés à plus de deux ans de prison.
Les conditions abominables dans lesquelles étaient traitées les enfants, et le grand nombre d’orphelins livrés à eux même dans un pays en ruine où les autorités étaient inexistantes a poussé un dangereux gauchiste bobo droitdelhommiste à prendre en février 1945 une ordonnance créant les juges pour enfants et les tribunaux pour enfants et posant le principe que toute sanction frappant un mineur devait avant tout viser à l’éduquer. Ce crypto-marxiste-léniniste s’appelait Charles de Gaulle.
Cette ordonnance est encore en vigueur aujourd’hui, même si elle a été modifiée 68 fois depuis. Oui, plus d’une fois par an.
L’excuse de minorité est graduée, elle a plus d’effets quand on a 13 ans que quand on en a 18.
Oui, il a dit ça. Comment vous dire, monsieur le Garde des Sceaux… Vous savez, depuis la loi du 12 avril 1906 (celle là même que vous avez amenée à Bruno Duvic), la majorité pénale est fixée à 18 ans. Il n’y a plus d’excuse de minorité à cet âge là.
L’excuse de minorité est une règle qui divise par deux les peines encourues par un mineur. Un vol simple est passible de 3 ans de prison. Commis par un mineur, l’excuse de minorité abaisse cette peine encourue à 18 mois. Elle s’applique à partir de 13 ans, qui est l,âge à partir duquel on peut prononcer une peine. Elle est impérative jusqu’à 16 ans. De 16 à 18 ans, le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs peut écarter l’excuse de minorité par une décision spécialement motivée et prononcer alors une peine comprise entre la moitié et le maximum légal.
Les délinquants mineurs de 1945 ne sont pas les mêmes qu’aujourd’hui.
Argument régulièrement ressorti pour justifier des textes très répressifs contre les mineurs. Et qui est un pur sophisme.
Naturellement, ce ne sont pas les mêmes : 65 ans ont passé, soit toute une vie. Le monde a changé pendant ces 6 décennies, et sans doute plus qu’il n’a jamais changé en aussi peu de temps dans l’Histoire. On est pour le moment dans le domaine de l’évidence. Là où on bascule dans l’affirmation contestable, c’est quand on laisse entendre qu’ils ont changé en pire.
Les mineurs de 1945, ceux qui s’occupaient d’eux goûtent désormais aux félicités éternelles, et lesdits mineurs ne sont plus très frais (il doit en rester quelques uns au Sénat). Donc on ne risque pas trop la contradiction. Pour ma part, j’ai tendance à penser que des gamins de 12 à 21 ans, orphelins, SDF, livrés à eux mêmes dans un pays en guerre où l’occupant se livrait à la terreur avec la complicité des autorités administratives n’avaient aucune raison d’être plus doux, honnêtes et obéissants que les caïds de banlieue qui font les délices des documentaires de la première chaîne. En tout cas, l’affirmation selon laquelle nos doux bambins d’aujourd’hui seraient plus enclins au crime et à la violence qu’à l’époque mériterait d’être un tant soit peu étayée par des arguments scientifiques. Tout comme le fait que les conditions de vie exécrables dans les maisons de correction et les colonies pénitentiaires n’aient en rien assagi les enfants délinquants de l’époque peut nourrir une réflexion sur l’efficacité autre qu’électorale de la méthode. Ajoutons à cela les progrès pédagogiques, comme le fait par exemple qu’on ait supprimé de l’enseignement des établissements pour mineur l’entraînement au tir et à la manipulation des armes enseigné dans les années 30
Et en admettant un instant que les mineurs délinquants aujourd’hui soient en effet pires que ceux de 1945, en quoi sera-ce une solution de changer la composition du tribunal chargé de les juger ? Qui peut croire que nos Rapetout en culottes courtes trembleront d’effroi en lisant le Code de l’Organisation Judiciaire et aussitôt décideront d’employer leur vie à des travaux des champs ?
On ne le saura pas. On en reste à la gesticulation, et on écarte les assesseurs des tribunaux pour enfants en disant qu’ils sont nocifs, et on en fait entrer dans les tribunaux correctionnels en disant qu’ils sont indispensables. Dans la même loi.
Vient à présent la deuxième partie de l’émission, baptisée Inter Active. Jean-Philippe Deniau, le chef du service police-justice (dit aussi le service partout-nulle part) de France Inter et Jean-François Achilli, chef du service politique, se joignent à la ronde, même si, ce qui est un peu vexant pour ces journalistes de talent, ce sont des auditeurs qui sont amenés à poser des questions, avec le risque, pas toujours évité, du syndrome du café du commerce.
Premier thème abordé, qui me fait frétiller : la garde à vue.
Le texte sur la garde à vue est un texte d’équilibre
Ça commence mal. Rappelons que le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme ont constaté l’évidence que les avocats, dont modestement votre serviteur, répétaient jusque là en vain depuis deux ans : la garde à vue ne répondait pas aux exigences minimales des droits de l’homme. Le Conseil a donné dans sa décision de juillet dernier le mode d’emploi pour se mettre en conformité : assistance effective d’un avocat, donc présence aux interrogatoires, accès au dossier, possibilité de poser des questions, de s’entretenir confidentiellement avec son avocat, bref tout ce qu’il faut pour commencer à exercer la défense dès le moment de l’arrestation.
Ce sont là des exigences minimales : en deçà, on n’est pas en conformité avec les droits de l’homme.
Quand le Garde des Sceaux nous dit donc fièrement qu’il s’agit d’un texte “d’équilibre” entre les droits de la défense et les nécessités de l’enquête, vous l’aurez compris, et la lecture de la petite loi (c’est ainsi qu’on appelle un texte de loi voté par le parlement mais pas encore promulgué car pouvant être soumis au Conseil constitutionnel) le confirme : le législateur n’a pas été fichu de se conformer à ces exigences minimales (notamment sur le point crucial de l’accès au dossier). Citoyens français, vos droits font peur.
Je note au passage que, invité à commenter les propos de Claude Guéant sur les incidents que notre présence ne manquerait pas de provoquer, le ministre assure de son entière confiance les policiers et les gendarmes. Je vous laisse trouver qui il a oublié.
Les avocats seront indemnisés 300 euros pour une garde à vue outre 150 euros en cas de prolongation
Dont acte.Sous réserve de la sujétion réelle qu’imposera la garde à vue nouvelle formule, et qui nécessite d’être confronté à la réalité, le niveau d’indemnisation semble correct pour une mission d’AJ. Il faudrait préciser s’il y a majoration pour déplacement ; la question ne se pose pas à Paris, mais chez nos voisins de Versailles, où la plupart des cabinets sont à Versailles même, où siègent le tribunal, la cour d’appel, le tribunal administratif et la cour administrative d’appel, il y a 50 km entre cette ville et Saint Arnoult, au fin fond du département. Il faut en tenir compte.
Cette loi sur la garde à vue sera appliquée
Cela ne fait aucun doute. Au 1er juillet, tous les articles du code de procédure pénale sur la garde à vue seront définitivement abrogés. Le Gouvernement n’a pas le choix. Il ne le fait pas de gaîté de cœur, mais il doit le faire.
On va définir les cas dans lesquels ont pourra recourir à la garde à vue
« Cette mesure doit constituer l’unique moyen de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants :
« 1° Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;
« 2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête ;
« 3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;
« 4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;
« 5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ;
« 6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit.
Maintenant, je ne me fais aucune illusion. D’abord, la garde à vue actuelle était aussi soumise à conditions (il faut que ce soit pour les nécessités de l’enquête,et qu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction.
Ensuite, l’article 144 du même Code prévoit une liste de ce genre restreignant le recours à la détention provisoire, qui doit être “exceptionnelle” et “l’unique moyen” de parvenir à ces buts. On sait ce que ça donne en pratique.
Viennent à présent les auditeurs.
Ariane de Lorient
Ariane va nous proposer un formidable condensé synthétique de tous les clichés sur le jury populaire, avec en prime l’argument d’autorité : “Moi, j’ai assisté à des procès d’assises”, comprendre dans le public.
Le jury arrive et il ne sait pas de quoi il s’agit : c’est un peu le principe du jury populaire. Mais le début de l’audience est consacré à la lecture de l’ordonnance de mise en accusation qui est un résumé complet des faits et de l’enquête, et les débats durent généralement au moins deux jours pour leur permettre de s’imprégner du dossier et de connaître les parties en présence. S’ils sont ignorants au début, ce qui est une garantie de leur impartialité, à la fin du procès, il y a peu de gens qu’ils connaissent aussi bien que l’accusé. Même dans leur entourage familial proche.
Les jurés s’endorment : le coup de barre d’après le repas du midi est une malédiction, et pour peu que ce soit un expert au ton monotone qui vienne témoigner, c’est radical. Mais le coup de barre n’est pas le sommeil. La loi prévoit qu’un juré qui se serait endormi doit être remercié et remplacé par un juré supplémentaire, car il n’a pas assisté à l’intégralité des débats. Il en va de même d’ailleurs quand c’est l’avocat. En aucun cas la cour ne continue ses travaux en chuchotant pour ne pas réveiller les 9 jurés renversés sur leurs fauteuils.
Les jurés ne comprennent rien à ce qui se passait, car c’est souvent compliqué aux assises : chère Ariane, si vous avez compris ce qui se passait à chaque fois, ce que je veux croire puisque vous y retourniez, faites donc le même crédit à vos concitoyens.
Les jurés n’ont aucune notion de droit : C’est en effet le cas la majorité des fois. Mais avant d’aller délibérer, ils vont avoir trois éminents juristes qui vont chacun leur tout leur exposer l’état du droit et la solution que selon eux il préconise dans l’intérêt de la victime, de la société et de l’accusé. Pendant le délibéré, ils ont sous la main trois juristes au moins aussi bons qui peuvent répondre à toutes leurs questions. Et si malgré cela ils ne savent toujours pas, la loi leur indique la voie : cela doit profiter à l’accusé.
Les jurés jugent par rapport à leur affectif et non par rapport à des preuves : Chère Ariane, de quoi parlons-nous donc pendant les deux jours d’audience ? Croyez-vous que l’expert balistique et le médecin légiste, son rapport d’autopsie sous le bras, viennent inviter les jurés à laisser parler leur Moi psychanalytique ?
L’impression que m’a donné Ariane est qu’elle n’a pas assisté à des procès d’assises, mais à un procès d’assises, concernant un de ses proches, et que le résultat ne l’a pas satisfaite.
Néanmoins, rebondissons sur ces remarques pour faire un examen comparé de la cour d’assises et du tribunal correctionnel renforcé. On a vu que depuis 1941, juges et jurés délibèrent ensemble. Mais d’une part, le jury est majoritaire, et peut emporter une décision contre l’avis des magistrats. D’autre part, le secret du vote garantit sa sincérité. Non que les présidents manipulent ou veulent imposer leurs vues au jury — il y en a, mais ils sont rares — mais cette garantie assure à ceux qui ne sont pas au délibéré, l’accusé en premier, que ce délibéré a lieu dans des conditions optimales d’indépendance d’esprit. Devant le tribunal correctionnel renforcé, il n’en sera rien. Les jurés seront minoritaires, et leur vote sera connu des magistrats. Cette différence est fondamentale et suffit à réfuter tout argument comparatif avec la cour d’assises. La loi ne parle d’ailleurs pas de jurés correctionnels, mais de citoyens assesseurs. C’est exactement cela. Et rien de plus. Cet aspect mérite d’être au centre de la réflexion sur les modalités de cette réforme.
Les citoyens assesseurs pourront poser directement des questions au prévenu, à la partie civile, aux témoins et pourquoi pas aux avocats
C’est expressément prévu par le projet de loi. Et c’est une bombe à retardement.
Aux assises, si un juré exprime au cours de l’audience son opinion sur la culpabilité, il doit être excusé et remplacé par un juré supplémentaire. Il n’y aura rien de tel devant le tribunal correctionnel renforcé. Qu’un juré laisse échapper un “Mais vous croyez qu’on va gober vos mensonges ?” et le procès ne sera plus équitable faute d’impartialité du juge. Je sens que les présidents de correctionnelle retiendront leur respiration en donnant la parole aux citoyens assesseurs.
La rémunération des jurés
Le ministre n’a pas compris ou n’a pas voulu comprendre la question de l’auditeur à 8 euros par dossier. Il ne s’agissait pas d’un juré mais d’un délégué du procureur, une de ces petites mains de la justice qui contribue à faire du chiffre dans l’indifférence. Le délégué du procureur reçoit l’auteur de faits délictuels dans le cadre des alternatives aux poursuites. Il propose à l’auteur des faits d’accepter des mesures qui s’apparentent à des peines sans en être (pas d’inscription au casier) et à indemniser la victime en échange d’un classement sans suite. Il peut traiter plusieurs dizaines de dossiers par jour, qui comptent comme une réponse pénale. Ils sont payés 8 euros par dossier, avec parfois un an de retard. Les juges de proximité, créés par le président précédent, ne sont plus payés et devraient bientôt être supprimés. Les experts ne sont plus payés qu’avec deux ans de retard.
Et le ministre annonce que les citoyens assesseurs seront rémunérés aussi bien voire mieux que des magistrats professionnels. Vous comprendrez les réactions dubitatives, surtout quant à la pérennité de ce financement.
Ce sujet n’est pas épuisé, mais je crains que mes lecteurs ne le soient ; certains aspects de la loi n’ayant pas été abordés. Le texte du projet en est publié, je vais en prendre connaissance, et il y aura lieu de revenir notamment sur la cour d’assises light.
Mais vous savez que je suis un citoyen se voulant exemplaire, et je me devais de rectifier certains propos du ministre. Voilà qui est fait.
Ce billet, écrit à 13:54 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit
a suscité :
La réforme voulue par le président de la République… non, pas la suppression du juge d’instruction, l’autre : l’instauration de jurés dans les tribunaux correctionnels, cette réforme disais-je est sur le point de paraître au jour. Le projet devrait bientôt être présenté en Conseil des Ministres (on parle de la semaine prochaine) et les grandes lignes en ont habilement fuité auprès de la presse. Jean-Philippe Deniau, chroniqueur judiciaire à France Inter, a révélé ces grandes orientations dans son émission du 11 mars dernier, que je m’en vais reprendre ici pour l’édification des mes quelques lecteurs qui n’étaient pas l’oreille collée à leur transistor ce vendredi là à 6h24, et dont l’ignorance est sans excuse, l’émission étant podcastable.
Les jurés seraient au nombre de deux, et siégeraient avec un tribunal correctionnel en formation collégiale, soit trois magistrats, dont au moins un ayant rang de vice-président, portant le nombre des juges à cinq. Ils n’interviendraient que pour des dossiers de violences volontaires, de vol avec violences et d’agression sexuelle. Les autres atteintes aux biens et surtout les dossiers économiques et financiers seraient exclus. La sélection des jurés se ferait par tirage au sort sur les listes électorales, selon le mode de sélection des jurés d’assises en vigueur depuis 1978 et que j’ai détaillé ici.
Sauf erreur de ma part, aucune allusion n’a été faite à la présence de jurés pour les juridictions d’application des peines.
Enfin, 120 millions d’euros seront consacrés à cette réforme.
Sur ces fonds, je veux croire qu’il s’agira d’une rallonge au budget de la justice et non des fonds pris ailleurs. Ce qui permettra au Gouvernement de pavaner en vantant cette augmentation de 1,7% du budget de la Justice sans qu’un centime supplémentaire ne soit consacré au fonctionnement quotidien des juridictions. J’ajoute que les experts judiciaires qui voient leurs prestations impayées depuis parfois plusieurs années apprécieront le sens des priorités budgétaires du Gouvernement.
Sur la réforme elle-même, je relève, à l’instar de Jean-Philippe Deniau, que la montagne a accouché d’une souris. Le principal point qui fait de cette réforme annoncée à cor et à cri une réformette sans portée est le faible nombre des jurés.
Rappelons qu’à la Cour d’assises, le jury, composé de 9 jurés, 12 en appel, est majoritaire, et même d’une majorité écrasante (neuf sur douze en première instance, douze sur quinze en appel). Le jury peut mettre les magistrats en minorité. Et même assez facilement pour emporter une décision favorable à l’accusé en raison de la règle de la majorité qualifiée (aucune règle similaire n’est prévue en correctionnelle, où la majorité simple prévaudra donc). En correctionnelle, rien de tout cela : le jury sera minoritaire : deux sur cinq. Outre son faible poids en voix, l’influence psychologique des magistrats professionnels sera difficile à contester. L’argument que des soutiens à cette réforme pouvaient avancer du contrôle direct des citoyens est ainsi balayé : de contrôleurs, les citoyens sont réduits au rôle de simples spectateurs. Difficile de ne pas y voir malgré tout une trace de défiance à l’encontre de ces jurés, qui au besoin peuvent être neutralisés par les juges professionnels. Comme quoi ils ne semblent pas si mauvais que ça…
Là où l’action brouillonne du Gouvernement a un effet involontairement cocasse est qu’on se propose de permettre aux citoyens de donner leur avis sur les délits de violences volontaires, car il est important que le citoyen puisse prendre une part active, et qu’en même temps on vote une loi (art. 37 de la loi n°2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) qui impose des peines planchers sur les délits de violences volontaires même pour un premier délit. C’est à dire qu’on va permettre au citoyen de donner son avis, tout en lui imposant cet avis par la loi. C’est ce qu’on appelle de la cohérence dans l’action.
De même, Jean-Paul Garraud, député UMP avait déposé il y a un an tout juste (le 1er avril, c’était prédestiné) une proposition de loi très détaillée, au point que je me permets de douter que ce député en soit le seul auteur, visant à supprimer le jury criminel en première instance aux assises. Ce jury criminel en première instance était alors enterré avec cette épitaphe figurant dans l’exposé des motifs :
Ce système de double cour d’assises s’avère en effet extrêmement lourd. Il est sans aucun doute coûteux. Il mobilise beaucoup d’énergie, de temps et d’argent. Surtout, en raison de sa lourdeur, il contraint trop souvent les juges et les procureurs à contourner ce qui constitue une difficulté, en fait, insurmontable.
Lourd, coûteux, gaspillant de l’énergie, du temps, de l’argent, au point d’être une difficulté insurmontable ? Voilà d’excellentes raisons de l’introduire en correctionnelle !
Je ne peux non plus m’empêcher de noter que s’il est importantissime que le peuple puisse donner son avis en matière correctionnelle, on s’abstient néanmoins de le lui demander pour toutes les qualifications qui sont susceptibles de couvrir le financement occulte des partis et la corruption de la vie publique. Le sens du sacrifice de nos élus, qui renoncent à cette garantie que constitue le jury populaire, force l’admiration.
Rappelons pour finir que cette réforme a jailli du chapeau présidentiel le 3 février dernier lors d’une table ronde à Orléans. Et je dis bien jailli du chapeau, car la page consacrée à cette table ronde sur la prévention de la délinquance, mise en ligne le jour même et donc préparée à l’avance, ne mentionne absolument pas cette réforme pourtant de taille dans la rubrique “annonces du président de la République”. Moralité : il y a gros à parier (au hasard, 120 millions d’euros) que cette idée est née le jour même dans le trajet entre Paris et le Loiret, et a dû déclencher un certain vent de panique à la Chancellerie.
Voilà comment on réforme la Justice en France. Voilà pourquoi vous me permettrez d’être peu enthousiasmé par cette réforme.
Ce billet, écrit à 11:45 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit
a suscité :
(Art. L. 331-38 du Code de la Propriété Intellectuelle, Art. 143 de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure)
Par décision en date du 01/04/2011, la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet a ordonné la suspension pour une durée de 24 heures du blog “Journal d’un avocat” (http://maitre-eolas.fr) au motif de la constatation par procès-verbaux dressés par les agents assermentés visés à l’article R.331-36 du CPI, et ce de manière réitérée, que ce service de communication au public en ligne a été utilisé à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise, en l’occurrence le plagiat par plusieurs billets de larges extraits de l’oeuvre ISBN-13: 978-2246734017 (Titre : Je vous fais juges ; Editeur : Grasset ; Auteurs : C. Askolovitch et R. Dati).
Cette décision est exécutoire de droit par provision au seul vu de la minute transmise par voie électronique à l’hébergeur, la société Typhon SARL.
J’archive ici cet avis qui, ce 1er avril 2011, s’affichait aux lieu et place de mon blog (en Comic Sans, mais je refuse de défigurer mon blog en archivant cette partie du poisson).
J’en profite pour remercier les petites mains derrière ce blog, la société Ubiquitic pour la plomberie et Typhon pour les tuyaux, qui a accepté sans ciller de se faire traiter de SARL, ainsi que Gandi, sans qui ce blog ne serait qu’une page 404.
Je salue les esprits purs qui ont cru que je pouvais avoir en effet plagié un livre contenant les bons mots de Rachida Dati, et mes lecteurs assidus qui ont tout de suite décelé le poisson d’avril car ils savaient bien que la HADOPI n’a aucun pouvoir de sanction.
Mes taupes m’ont indiqué que l’attention de la HADOPI a été attirée sur mon poisson, et qu’il a été pris avec humour, et c’est tant mieux car la HADOPI a vraiment besoin de beaucoup d’humour vu sa mission.
J’avais laissé un espace de commentaires sous mon poisson, ils ont tous été archivés précieusement.
Ce blog peut désormais reprendre une activité normale jusqu’au 1er avril 2012.
Ce billet, écrit à 12:36 par Eolas dans la catégorie Poisson d'avril
a suscité :
Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est
délibéré sous Firefox
et promulgué par Dotclear.
Tous les billets de ce blog sont la
propriété exclusive du maître de ces
lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en
précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation
expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.