“Par Gascogne, bibliothécaire intérimaire “
Les vacances scolaires sont toujours propices à lire un peu plus que la moyenne. Ajoutez à cela un abonnement en salle de sport qu’il convient de rentabiliser, malgré un corps déjà sculpté à l’image de celui d’un dieu grec, et vous aurez une occasion supplémentaire de dévorer quelques ouvrages en plus (j’adore faire du vélo en lisant, mais d’un pur point de vue sécuritaire, il vaut mieux pratiquer en salle…).
Je viens d’enchaîner un essai et un roman, dont les rapports avec ce blog ne vont pas vous échapper. Le premier d’entre eux s’appelle “Le Justicier”. Ecrit par Dorothée Moisan, journaliste, il rapporte l’histoire des rapports difficiles[1] entre le président de la République et l’institution judiciaire. Je pensais ne pas y trouver grand chose que je ne sache déjà, et j’ai été agréablement surpris. Encore qu’agréablement ne soit pas vraiment le terme lorsque l’on se rend compte :
1°/ que le mépris du chef de l’Etat, censé être le garant de l’indépendance de la magistrature, pour cette dernière, ne date pas d’hier, et est encore bien pire que ce que j’imaginais. Il est d’ailleurs entouré de magistrats qui eux-mêmes estiment que le reste de la magistrature de vaut pas tripette. Venant pour certains de “collègues” qui n’ont quasiment jamais exercé en juridiction, cela me laisse assez indifférent. Par contre, lorsqu’il s’agit de personnage de la trempe d’un Philippe Courroye, je dois avouer que cela me perturbe. Comment quelqu’un qui s’est forgé une réputation de magistrat intègre lorsqu’il était au siège a-t-il pu à ce point tomber dans les travers d’éventuels conflits d’intérêts multiples (remise de médaille par l’exécutif, dîners à domicile avec des parties potentielles à une enquête en cours, mainmise sur de multiples affaires politico-financières sans saisine d’un juge d’instruction…) une fois passé au parquet, contre l’avis du Conseil Supérieur de la Magistrature, soit dit en passant ?
Le mépris du président de la République semble d’ailleurs porter sur l’ensemble des corps dits “intermédiaires”. Le Canard Enchaîné de cette semaine rapporte ainsi les propos présidentiels tenus le 21 février suite à la crise au Maghreb. Selon le bien informé palmipède, Nicolas Sarkozy se serait allé à cette belle envolée : “C’est vrai, les diplomates n’ont rien vu venir. Ce n’est pas la première fois. Je n’ai d’ailleurs jamais aimé les diplomates ni les magistrats (il faudra que quelqu’un m’explique le rapport…), ce n’est pas ma culture. Moi, j’aime les préfets et le flics (sic). Les magistrats et les diplomates vivent comme leur corps, repliés sur eux-même et pas assez en phase avec la société qu’ils cotoient.”
N’habitant dans aucun palais de la République, mais dans une modeste maison individuelle avec femme, enfants, chien et poisson rouge, dans une petite ville où j’ai effectué l’essentiel de mon cursus scolaire, le reste s’étant fait à la faculté la plus proche, fréquentant cinéma, clubs de sport, et associations sportives, et d’autres activités encore dans ma ville, participant comme tout un chacun aux réunions parents-professeurs, vous comprendrez que je vois difficilement comment être plus en “phase avec la société”. Ceci étant, je suis tout prêt à apprendre de la part de quelqu’un qui n’est jamais sorti des Hauts de Seine que pour se rendre à Paris, au Fouquet’s ou encore sur des Yachts pour les vacances, quand je dois me contenter d’une petite location saisonnière…
2°/ que le garant de l’indépendance de la magistrature a su mettre en place un véritable réseau d’affidés dans la haute magistrature, qui a pu lui rendre quelques menus services ces derniers temps. Je ne doute pas qu’en cas de changement de majorité, le “spoil system” reprendra ses droits, mais tout cela resta tout de même assez inquiétant.
Une nuance, malgré tout. Les critiques du livre sur la mainmise élyséenne sur l’institution judiciaire souffre une seule atténuation, mais de taille. Cette mainmise, réelle à mon sens, n’existe que pour quelques juridictions, et dans le cadre de leur fonctionnement, pour quelques dossiers. C’est déjà beaucoup trop dans une société démocratique, mais cela ne doit pas faire oublier que dans l’immense majorité des autres tribunaux, et pour l’immense majorité des autres dossiers, dont le pouvoir se moque comme de l’an 40, l’institution fonctionne hors de toute intervention politique. En quelques années de fonction, n’ayant quasiment jamais eu à traiter de dossiers dit “sensibles”, je n’ai jamais eu a sentir le poids d’une quelconque intervention politique, et je pense avoir toujours pu faire mon travail en mon âme et conscience.
=============================================================================
Le deuxième livre dont je voulais parler est un roman sans grand rapport. Il s’agit de “Faute de preuve”, d’Harlan Coben. Les amateurs de polar ne peuvent que le connaître, particulièrement sa série des Mayron Bolitar, que personnellement, j’adore. Harlan Coben a l’art et la manière de construire des intrigues à tiroir, assez complexes, ce qui peut parfois d’ailleurs faire sa faiblesse, en terme de crédibilité.
Ce livre, dont je ne vous narrerai bien sûr pas la fin (sauf vengeance anti-troll), porte globalement sur des accusations portées contre trois personnes, dont une est accusée de pédophilie. Or, l’homme qui supporte cette accusation, relaxé suite à un problème procédural, finit par subir les foudres du père d’une victime, par ailleurs Marshall à la retraite. Du moins semble-t-il.
Un passage dans le livre m’a particulièrement intéressé. Le mis en cause du meurtre du “présumé pédophile”, dont soit dit en passant on ne retrouve pas le cadavre, est interrogé par la police, sur la base d’un témoignage direct (je vous passe les détails, ce serait trop complexe, et sans intérêt pour la suite). Outre le fait qu’il est assisté d’une avocate genre Pittbull, qui parle intégralement à sa place lors de sa “garde à vue”, c’est surtout la suite qui m’a intéressé. En effet, malgré le témoignage direct du témoin indiquant l’avoir vu faire feu à bout portant sur la victime, et après la brillante démonstration du ténor du barreau sur la légèreté des charges contre son client (c’est vrai, quoi, on ne retrouve que le sang de la victime dans son véhicule, un témoin le voit tirer sur la victime, contre laquelle il éprouve une légère rancoeur dont nul ne pourrait le blâmer), le mis en cause est relâché sans aucune autre procédure d’ordre judiciaire.
Ce qui m’a particulièrement interpellé, c’est que des histoires de meurtre sans cadavre, avec des charges que l’on peut discuter, nous en avons connu un certain nombre en France, la dernière d’entre elles étant celle de ce professeur toulousain, finalement acquitté. Et je me suis fait la réflexion que dans notre système, notre bon vieux Marshall à la retraite aurait terminé en détention provisoire, malgré ses (molles) dénégations.
Je ne pense pas que ce soit un problème de procédure, mais plus de mentalité. Les américains, de par leur histoire, privilégient la liberté de l’individu sur la défense de la société. Notre société tend plutôt vers l’inverse, et les déclarations intempestives visant la recherche de coupable avant tout ne fait rien pour arranger les choses. Je ne pense pas que toutes les procédures du monde pourront chez nous suffisamment limiter la détention provisoire, tant que le public n’acceptera pas qu’un “présumé coupable” puisse attendre son jugement en étant libre, comme cela est pourtant le principe.
Deux livres en plus des affaires de ski, ça n’est quand même pas grand chose, surtout lorsqu’ils font réfléchir en plus de vous distraire. Alors bonne lecture !
Notes
[1] doux euphémisme