À la suite de la mort de la jeune
Lætitia le 19 janvier dernier à Pornic (Loire-Atlantique), mort
dont est soupçonné Tony Meilhon, la Chancellerie a ordonné deux
enquêtes administratives sur le fonctionnement global du service
assurant le suivi des condamnés (qu’on appelle le Service
Pénitentiaire d’Insertion et de Probation, SPIP) et de
l’application des peines au sein du tribunal de grande instance de
Nantes et plus spécifiquement le traitement du dossier de Tony
Meilhon.
Pourquoi deux enquêtes ? Parce que
l’exécution des peines relève à la fois de l’administration
pénitentiaire (qui gère les SPIP) et de la Justice (Parquet de
l’exécution des peines, Service d’Application des Peines (SAP)
composé de juges de l’application des peines (JAP), qui relèvent
de deux Directions Générales différentes au sein du ministère,
souvenir du temps où la Pénitentiaire relevait du ministère de
l’intérieur.
Ces deux rapports, que vous trouverez
reproduits intégralement en annexe au grand dam de ma bande
passante, sont riches d’enseignement.
Je vais d’abord vous en faire une
synthèse, avant de vous faire part, pour ceux que cela intéressera,
de mes commentaires.
Un petit mot néanmoins avant cette
plongée dans les rouages de la justice. Je vous rappelle que je suis
avocat. C’est à dire que je suis indépendant, farouchement
indépendant ajouterais-je même. J’exerce en profession libérale.
Je ne vis que des honoraires que veulent bien me verser mes clients.
Je n’ai rien dans mon bureau que je n’aie payé de ma poche
(hormis quelques cadeaux faits par des clients satisfaits, qu’ils
en soient remerciés), ce qui inclut les murs l’entourant. Je ne
dois rien au ministère de la justice (j’aimerais pouvoir en dire
autant de celui du Budget), je suis extérieur à l’administration
de la justice, et en aucun cas les magistrats et les Conseillers
d’Insertion et de Probation ne me considèreront comme l’un des
leurs. Je suis là pour les aider à décider, étant auxiliaire de
justice, mais je suis en tout premier lieu solliciteur au nom de mes
clients. Inutile donc pour certains esprits chagrins qui voudront
faire coller les faits à leurs préjugés sur cette affaire de
tenter de disqualifier les propos que je pourrais tenir semblant
défendre les services concernés face à des anomalies constatées
en les affublant du cliché commode de « corporatisme ».
Pour qu’il y ait corporatisme, il faut qu’il y ait identité de
corps, et le fait que nous portions tous une robe noire (similaire
pas point identique) ne suffit pas à créer une quelconque
connivence. Nous passons plus de temps à nous engueuler qu’à
boire ensemble, sauf sur ce blog bien sûr.
Néanmoins, nous partageons une haine
commune pour l’injustice. C’est elle seule qui m’animera dans
mes commentaires.
La triste histoire judiciaire de Tony Meilhon
Les deux rapports ayant été écrits
séparément reviennent tous deux sur la trajectoire judiciaire de
Tony Meilhon. Beaucoup d’informations, parfois contradictoires
ayant circulé là-dessus, un rappel des faits sera éclairant. Et
déprimant, surtout pour les lecteurs extérieurs au monde
judiciaire, car des trajectoires comme celle-là, on en a tous vu, et
même des pires.
Tony Meilhon est né le 14 août 1979.
Son casier judiciaire mentionne 13 condamnations. Les voici, étant
précisé que je n’ai que la date des condamnations et non celle
des faits, qui peut expliquer que des condamnations postérieures à
des faits identiques ne soient pas en récidive.
1. Le 15 mai 1996 (à l’âge de 16
ans), 3 mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve pendant 3
ans pour vol aggravé et conduite sous l’empire d’un état
alcoolique. Ce sursis a été totalement révoqué le 4 décembre
1996.
2. Le 29 avril 1997 (17 ans), 4 mois
d’emprisonnement avec sursis pour vols aggravés. Ce sursis simple
n’aurait pas dû être prononcé du fait de la condamnation
précédente.
On passe ensuite, sauf mention
contraire, aux juridictions pour majeurs.
3. Le 13 mars 1998 (18 ans), 6 mois
fermes pour vol aggravé. J’ignore pourquoi la récidive n’a pas
été visée.
Le 8 août 1999 (18 ans), il est
incarcéré en détention provisoire pour des faits de viol,
agression sexuelle et violences avec armes (cf. condamnation n°5).
4. Le 22 juin 2000 (20 ans), 6 mois
fermes pour évasion par violence.
5. Le 9 mars 2001 (21 ans), la cour
d’assises des mineurs l’a condamné à 5 ans dont 1 an avec
sursis et mise à l’épreuve d’une durée de 3 ans pour des faits
de viol, violences aggravées, agression sexuelle. Ces faits ont été
commis en détention dans un établissement pour mineurs, sur la
personne d’un détenu pour des faits de viol. Tony Meilhon a
expliqué les avoir commis pour « punir » ce détenu, ces
faits là le dégoûtant. Il estimera du coup avoir été injustement
condamné et en concevra une profonde colère. Détail important :
cette condamnation apparaît de manière erronée au casier comme
« réputée non avenue », c’est à dire comme si le
délai d’épreuve était terminé. Or la détention suspend le
délai de mise à l’épreuve. J’y reviendrai, c’est un élément
essentiel du dossier.
6. Le 30 avril 2002 (22 ans), 6 mois
fermes pour vols aggravés en récidive, violences aggravées en
récidive et dégradations volontaires. Il s’agit de sa première
condamnation en récidive.
Le 3 avril 2003, la cour d’appel de
Rennes rejette sa demande de confusion de cette peine avec sa
condamnation criminelle : il devra les purger successivement.
Il est libéré le 31 mai 2003, en fin
de peine. Il a alors purgé ses condamnations à du ferme, et doit
rester suivi dans le cadre de la mise à l’épreuve de la
condamnation n°5. Ils est bien reçu par le juge d’application des
peines dans les 5 jours, comme la loi le prévoit, mais celui-ci n’a
pas pu retrouver les obligations auxquelles Tony Meilhon était tenu
(il n’y avait pas d’obligation de soins, ce qui est rare pour des
faits de viol). Le juge lui a dit qu’un CIP prendrait contact avec
lui, mais ça n’a pas eu lieu, puisque dès le 31 août 2009, Tony
Meilhon était à nouveau incarcéré pour des faits criminels (un
braquage, cf. condamnation n°7). Vous allez voir qu’il n’est pas
resté inactif en liberté.
7. Le 22 juin 2005 (25 ans), la cour
d’assises le condamne à 6 ans de prison pour vol avec arme et
recel de vol. C’est sa seconde et dernière condamnation criminelle
à son casier.
8. Le 27 janvier 2006 (26 ans), 7 jours
de prison pour outrage à une personne dépositaire de l’autorité
publique (un surveillant de prison).
9. Le 11 décembre 2007 (28 ans), 6
mois de prison ferme pour refus d’obtempérer (c’est un délit
routier : la police vous fait signe de vous arrêter, vous continuez
nonobstant).
10. Le 20 décembre 2007, 2 mois de
prison pour menaces envers un magistrat (faits commis en détention).
11. Le 22 janvier 2008, 6 mois de
prison et 150 euros d’amende pour refus d’obtempérer, conduite
sans permis, défaut d’assurance, violences légères (moins de 8
jours d’incapacité temporaire de travail).
12. Le 26 mars 2008, 8 mois de prison
pour évasion (faits commis en détention, par définition).
13. Enfin, le 30 juin 2009, 1 an de
prison dont 6 mois avec sursis et mise à l’épreuve pendant 2 ans
pour outrage à magistrat en récidive (un juge des enfants). Faits
commis en détention. C’est sa deuxième et dernière condamnation
en récidive légale.
Il a été libéré en fin de peine le
24 février 2010, son temps de détention ayant été rallongé de 6
mois et 15 jours en raison de problèmes disciplinaires (retraits de
crédits de réduction de peine, pour les techniciens).
Du fait de sa condamnation pour des
faits de viol, il a été inscrit au Fichier Judiciaire des Auteurs
d’Infraction Sexuelle (FIJAIS), ce qui l’obligeait à déclarer
son adresse à la sortie. Comme il ne l’a pas fait, une alerte est
lancée le 9 septembre 2010 et transmise au commissariat de Nantes,
qui l’ recherché recherche en vain. Le parquet de Nantes, informé
de ces vaines recherches, le fait inscrire au fichier des personnes
recherchées en émettant un mandat de recherche le 4 janvier 2011.
Ce n’est donc pas sa mise à l’épreuve qui est à l’origine de
ces recherches, je vais y revenir.
Le 19 janvier 2011, sa route croisait
celle de Lætitia Perrais.
Premier commentaire sur ce point.
On ne peut pas soutenir sérieusement
que la justice a été laxiste ici. Sur les 11 dernières années,
Tony Meilhon a été libre 3 mois, du 31 mai au 31 août 2003, outre
deux brèves périodes d’évasion, du 16 décembre 1999 à début
2000 et du 11 janvier 2007 au 18 avril 2007, qui ont rallongé sa
détention de 14 mois. Il a été condamné à de la prison ferme et
incarcéré dès sa minorité, ses sursis ont tous été révoqués,
toutes ses peines de prison ont été mises à exécution, les
confusions de peine refusées, et les condamnations sont
objectivement sévères, particulièrement la dernière pour outrage
à magistrat : un an de prison pour outrage, c’est le maximum
encouru pour le délit simple. Il est d’ailleurs intéressant de
relever que les deux cours d’assises, avec jurés populaires, sont
loin d’avoir fait preuve de sévérité : 5 ans sur 15 encourus, et
6 ans sur 20 encourus. Un beau thème de réflexion pour un projet de
réforme récent.
Les assoiffés d’enfermement pourront
constater que la prison n’a pas empêché plusieurs passages à
l’acte.
Tony Meilhon en prison
Le rapport de la Pénitentiaire s’est
intéressé au déroulement des deux dernières périodes de
détention.
On apprend ainsi qu’il a toujours été
demandeur d’un suivi psychiatrique, et que chaque fois qu’il a
été mis en place, ce suivi a donné des résultats.
Ainsi, lors de sa première
incarcération, Tony Meilhon a demandé ce suivi car « j’avais
la haine en moi par rapport à ma condamnation en cour d’assises
qui est une erreur de justice. » Il admet que ce suivi a
été efficace « en ce sens que je n’ai pas été me
venger de quoi que ce soit à ma sortie ». Ce sont ses
mots, recueillis en septembre 2003 dans le cadre de l’instruction
pour braquage. Pour comprendre le travail à accomplir, il convient
de préciser qu’il reconnaît parfaitement avoir forcé son
co-détenu à lui pratiquer une fellation. Et pourtant, dit-il
« J’étais innocent de ces faits d’agressions sexuelles
sur mineur. (…) Ça se fait souvent des choses comme ça en prison.
J’étais mineur en prison avec un mineur qui avait fait un viol et
moi je ne supporte pas ces gens là. Je ne suis pas un violeur, je
suis un voleur ». Voilà
l’échelle des valeurs en prison : les criminels sexuels sont des
« pointeurs », des moins que rien, des souffre-douleurs
qui n’ont que le droit de subir. Les violer n’est pas un viol
mais une juste vengeance. Je me demande ce qu’on pouvait espérer
de cette éducation républicaine.
Au cours de sa
deuxième incarcération, Tony Meilhon a demandé un suivi
psychiatrique, qui a d’abord été effectué par un infirmier
psychiatrique d’octobre 2003 à mi 2005, sans résultat probant (6
sanctions disciplinaires, dont 4 violences sur co-détenu, et une
menace à surveillant). En février 2006, un psychiatre le prend en
charge, effet immédiat. Comportement satisfaisant en détention, il
travaille et n’a plus d’incident disciplinaire sauf un en parloir
avec sa compagne, mais l’enquête conclura que l’agresseur était
la compagne et l’incident sera sans suites. Face à cette évolution
positive, le Conseiller d’Insertion et de Probation qui le suit émet
même un avis favorable à une semi-liberté pour préparer sa sortie
prévue alors un an plus tard en décembre 2007. Tony Meilhon a
d’ailleurs demandé à plusieurs reprises que son suivi
psychologique continue à l’extérieur, et a exprimé le souhait
que ce soit le même praticien qui le suive.
Mais au cours d’une
permission de sortie en janvier 2007, il ne regagne pas son
établissement, à la suite d’un incident avec son fils, incident
qui n’est pas détaillé dans le rapport. Il est rattrapé en avril
et tout le projet de préparation de sortie est abandonné, 6
nouvelles peines venant par la suite s’ajouter à celles qu’il
effectue. Son suivi psychiatrique a continué, sur la base d’une
consultation par mois, jusqu’à sa libération. D’ailleurs, le
jugement n°13 qui l’a condamné à 6 mois fermes et 6 mois avec
sursis mise à l’épreuve avait prévu une obligation de soin
visant expressément la poursuite de ce traitement.
Les dysfonctionnements
Les deux rapports
vont analyser, chacun en ce qui les concerne, les deux services qui
ont été, légalement du moins, en charge du dossier de Tony Meilhon
après sa libération. En effet, les deux rapports coïncident pour
estimer que la prise en charge de Tony Meilhon en détention a été
satisfaisante.
Voyons d’abord ce
qui aurait dû se passer, avant de voir pourquoi ça ne s’est pas
passé du tout.
Tout détenu libéré
ayant une mise à l’épreuve à effectuer est affecté à un juge
d’application des peines chargé du suivi de cette mesure, mesure
qu’on appelle « en milieu ouvert » par opposition au
« milieu fermé », la détention. Il peut déléguer ce
suivi au SPIP. Alors qu’avant 2005, cette convocation était
obligatoire (Tony Meilhon a bien été convoqué par le juge
d’application des peines lors de sa libération en 2003), elle est
devenue facultative, la notification des obligations se faisant
désormais lors de la condamnation. Ce qui est une économie stupide
de bouts de chandelles : certes, on allège la charge de travail des
juges d’application des peines, ce qui dispense d’en nommer
d’autres, mais espérer qu’un condamné, souvent peu ou pas
instruit, se souviendra d’une phrase compliquée prononcée par le
président après la seule information qui l’intéressait (le
nombre de mois de prison) tient de la fiction. Pour le dossier de
Tony Meilhon, le juge d’application des peines a bien été saisi, et
comme vous allez voir, il a bien saisi l’urgence du dossier et a
donné des instructions en ce sens au SPIP. C’est au niveau de la
courroie de transmission que ça n’a pas fonctionné.
Premier problème : les milieux fermés
et ouverts au sein du SPIP ne communiquent pas. Les dossiers sont
transmis, et c’est tout. Le Conseiller d’Insertion et de Probation
de la prison n’a pas signalé à son collègue du milieu ouvert que
le dossier Meilhon était à surveiller comme le lait sur le feu. Il
y avait des annotations au dossier ; encore fallait-il qu’il fût
lu. Un logiciel, APPI, a été mis en place depuis 2004, est censé
permettre un suivi en réseau, le dossier informatique étant
accessible par les Conseiller d’Insertion et de Probation des milieux
fermés et ouverts et par le juge d’application des peines. Le
rapport se contente de constater que ce logiciel n’est pas utilisé
« de manière optimale » sans s’étendre sur ces
raisons. Mon esprit mal tourné me conduit à penser que tout ce que
l’Inspection Générale préfère passer pudiquement sous silence
met plus en cause la Chancellerie que les services locaux. Genre
logiciel inadapté ou buggé, ou pas d’ordinateurs capables de le
faire tourner…
Deuxième problème : Le sous-effectif
du SPIP – milieu ouvert. Les affectations de Conseiller d’Insertion
et de Probation ont clairement favorisé le milieu fermé. Ainsi, les
3 Conseiller d’Insertion et de Probation nommés à Nantes en 2010
ont été affectés au milieu fermé, et deux agents du milieu fermé
ont été affectés au milieu ouvert : un à temps partiel de 80% et
un élu syndical bénéficiant d’un détachement syndical de 70% de
son temps de travail. Résultat : le SPIP milieu ouvert de Nantes
avait 16,5 agents en comptant les temps partiels, alors qu’il était
censé en avoir 21, chiffre qui était déjà en deçà des besoins
réels. À cela s’ajoute les absences des agents pour maladie
(522,5 jours de congé maladie ordinaire, 238 jours de congé longue
maladie, 3 agents cumulant à eux seuls 616 de ces 760 journées, 81
jours de congé longue durée, 8 jours d’absence pour garde
d’enfant et 245 jours de congé maternité). Ce qui fait sauter
1094,5 jours de travail sur l’année 2010, ce qui est considérable
: cela fait presque un tiers de la capacité de travail du service
(31% contre 6,8% en moyenne nationale). Le service ne pouvant faire
face à sa charge de travail, on en aboutit au troisième problème.
Troisième problème : le stock de
dossier non affecté. Le directeur du SPIP en poste de 2007 à 2009 a
pris l’initiative de créer un stock de dossiers non affectés à
un Conseiller d’Insertion et de Probation pour alléger d’autant la
charge de travail de ceux-ci. Il s’agissait dans son esprit d’une
solution temporaire pour rattraper le retard du service. Ses
successeurs n’ont pas réussi à le résorber. Ce stock de Sursis
avec Mise à l’Épreuve non affectés, de 611 dossiers en janvier
2011 contre 357 un an plus tôt) était constitué sur des critères
assez précis, tenant en compte la nature de l’infraction,
l’existence d’une ou de deux mises à l’épreuve (la loi ne
permet pas plus de deux mises à l’épreuve), et le comportement en
détention. Le directeur du SPIP a donc eu en main le dossier
Meilhon, et a rapidement (l’examen a été très bref) décidé de
le non-affecter car la détention était pour des faits d’outrage,
il avait un domicile et une couverture sociale, ainsi qu’un projet
professionnel, et son évolution en détention était positive, et
surtout son casier ne mentionnait qu’un seul Sursis avec Mise à
l’Épreuve. Ce qui nous amène au quatrième problème.
Quatrième problème : le sursis réputé
à tort non avenu. La condamnation criminelle pour viol incluait un
sursis avec mise à l’épreuve de 3 ans, j’attire tout
particulièrement l’attention de Philippe Meyer sur ce point, qui
dans l’Esprit Public de ce dimanche manifestait sa surprise qu’une
condamnation pour viol n’ait pas donné lieu à une telle mesure
alors qu’un simple outrage à magistrat, si. Il y a bien eu mise à
l’épreuve, mais parmi ses obligations, toutefois, pas d’obligation
de soin. La Cour a probablement estimé (ses arrêts ne sont pas
motivés) que s’agissant d’un viol punitif, cela ne révélait
pas de perversion sexuelle nécessitant des soins. Le suivi
socio-judiciaire n’était pas possible, les faits remontant à
1997, donc avant la loi de 1998 l’ayant instauré. Mais la détention
suspend de plein droit le délai d’épreuve. Or Tony Meilhon était
détenu lors de cette condamnation et n’a été libre que trois
mois jusqu’à sa libération en février 2010. Le délai d’épreuve
de 3 ans n’a pas pu courir. Mais le casier judiciaire national
n’ayant pas été informé de cette cause de suspension (obligation
qui sauf erreur de ma part incombe au parquet) a naturellement
computé le délai et en 2004 a réputé la peine non avenue. Or si
le SPIP de Nantes avait su qu’en réalité, il y avait 2 Sursis
avec Mise à l’Épreuve en cours, le dossier de Tony Meilhon aurait
été « priorisé » selon les critères de tri des
dossiers.
Du côté des juges d’application des
peines de Nantes, le rapport de l’IGSJ souligne aussi le sous
effectif ancien (3 juges au lieu de 4, qui ont en outre d’autres
fonctions à exercer) et ses conséquences sur les dossiers en
retard. Je vous fais grâce des pages et des pages de jargon
bureaucratique où on apprend, merveilles de la gestion des
ressources humaines, que le tribunal de grande instance de Nantes
était considéré sur le papier comme en sureffectif de 2
magistrats (50 magistrats pour 48 postes) alors qu’en réalité il
en manquait 3 (2,25, mais j’ai pas trouvé la virgule du
magistrat).
Cependant, dans le cas de Tony Meilhon,
cet état de fait n’a pas eu de conséquences, son dossier ayant
été très vite repéré comme prioritaire. Ainsi, il a été
condamné en juin 2009 pour outrage. Le jugement est transmis le 20
août 2009 par l’exécution des peines (le parquet) au juge
d’application des peines qui le reçoit le 3 septembre. Le 18
septembre, le juge d’application des peines, qui connait parfaitement
la politique de non affectation de certains dossiers, note sur le
jugement « saisir SPIP urgent ». Tony Meilhon étant
détenu, c’est le service « milieu fermé » qui reçoit
cette instruction en novembre 2009. Mais lors de la libération de
Tony Meilhon en février, comme on l’a vu, le service Milieu Fermé
s’est contenté de transmettre le dossier au service milieu ouvert,
sans attirer son attention sur l’urgence. Ainsi, la décision de
mise en stock du dossier sera prise un mois après la sortie de Tony
Meilhon alors qu’un traitement prioritaire supposait une
convocation par le SPIP dans les 3 jours de la sortie. En outre, la
fiche informatique du logiciel APPI est renseignée pour indiquer que
le dossier a été affecté à un Conseiller d’Insertion et de
Probation, ce qui était inexact, mais a pu laisser croire au juge
d’application des peines que Tony Meilhon bénéficiait bien d’un
suivi effectif. En outre, la fiche avait été créée le 24 novembre
2004 ce qui était largement en dessous des délais d’enregistrement
habituel vu le retard du service. Cela laissait à penser que le
dossier était bien traité comme prioritaire. Pas de raison de
s’alarmer donc.
Conclusion
Désolé de ce pavé, mais je vous ai résumé 63 pages de rapport
technique. Vous trouverez les originaux ci-dessous. J’ai tenu à
faire ce résumé pour que vous sachiez exactement de quoi on parle,
avec des faits et des dates.
Pour ma part, j’en tire les conclusions suivantes.
Quand on veut trouver un dysfonctionnement, on le trouve toujours,
et quand on le cherche dans des services qui sont dans un état
d’anémie budgétaire depuis des décennies, on n’a jamais à
chercher longtemps. On peut reprocher au juge d’application des
peines de Nantes de ne pas s’être assuré plus avant de
l’effectivité du suivi de Tony Meilhon, malgré tous les signaux
rassurants qu’il avait. On peut reprocher au SPIP de Nantes sa
politique de stock de dossiers non suivis, qui à mon avis existe
dans la plupart des services départementaux (amis Conseiller
d’Insertion et de Probation qui me lisez, confirmez-vous ?). Mais
quand on dit à des services « débrouillez-vous avec ce que
vous avez », peut-on leur reprocher de faire de la débrouille
faute des moyens de pouvoir faire leur travail ? Ces rapports ont le
mérite de pointer des aspects qui peuvent être rapidement améliorés
: la communication entre les services, notamment le milieu fermé et
le milieu ouvert, autrement que par annotations manuscrites sur le
dossier. Je ne sais pas si APPI est l’outil adéquat pour ça, s’il
y a un problème de matériel informatique ou de formation, mais il
est clair qu’en l’état, ça ne marche pas (le rapport relève
qu’il y a une inexplicable différences de 200 dossiers
informatiques qui n’ont pas de dossier physique correspondant). Il
me paraît difficile de reprocher cet absentéisme aux agents du SPIP
faute de plus de renseignements. Le congé maternité est un droit,
les problèmes de santé, une fatalité, que des conditions de
travail stressantes n’arrangent pas. La souffrance au travail n’est
pas l’apanage du privé.
Mais surtout, nous devons nous demander une chose : et si le
dossier de Tony Meilhon avait bien été priorisé, s’il avait fait
l’objet d’un suivi effectif, qu’est-ce qui nous permet
d’affirmer que Lætitia Perrais serait encore en vie ? Quel lien de
causalité établir entre ce défaut de suivi et ce qui s’est passé
— surtout qu’à ce stade on ignore encore ce qui s’est passé.
Regardons les antécédents de Tony Meilhon. Un viol quand il était
mineur, mais qu’il décrit comme étant punitif. Aucun autre cas
d’agression sexuelle, même au cours de ses évasions ou de sa
courte libération où in n’est pas resté inactif point de vue
délinquance. Il est plus condamné pour des délits routiers que
pour des violences, ses récidives concernent des vols et des
outrages. Il n’a objectivement pas le profil d’un meurtrier. Quel
signal aurait dû alerter la justice sur le fait qu’il pouvait tuer
? Rappelons que sa version des faits serait celle d’un accident
mortel, suivi de la dissimulation du cadavre. On peut naturellement
prendre ce récit avec méfiance, mais il n’est pas incohérent
avec ses antécédents.
La Justice doit rendre compte de son action. Jamais aucun
magistrat n’a prétendu à l’impunité pour ses fautes, et le
Conseil Supérieur de la Magistrature ne chôme pas. Mais l’État aussi est comptable de ses choix, et celui de
tenir depuis des décennies la Justice dans une insuffisance totale
de moyens en est un que nous validons à chaque élection. Les
augmentations généreuses qu’agit Éric Ciotti sont largement
surévaluées (72% au lieu de 50% sur 10 ans), et surtout ne tiennent
pas compte des transferts de charges, nombreux depuis l’adoption de
la LOLF (on augmente les crédits et on met à sa charge de nouvelles
dépenses, l’effet est au final nul). Il demeure que ce budget
augmente effectivement, mais à un rythme tel qu’il peine à
combler le retard.
Mais tout comme il serait injuste d’imputer à l’État la
responsabilité de la mort de Lætitia pour faillir à doter la
Justice des moyens décents, car il ne peut être tenu responsable de
comportements individuels, il serait injuste d’imputer à la
Justice la responsabilité de ce fait en prenant prétexte de son
fonctionnement devenu anormal par nécessité.
Addendum : Au moment où je mets ce billet sous presse, j’apprends que le directeur interrégional du SPIP va être relevé de ses fonctions. Il n’est à aucun moment mis en cause dans les rapports. Le Président a promis des têtes, il y en a toujours une qui dépasse.
PS : petit problème avec le rapport de la Pénitentiaire, scanné dans un format trop gourmand en mémoire. Je le mettrai en ligne plus tard.